Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Bronwyn Cruden

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Agence canadienne de développement international

- et -

Santé Canada

les intimées

Décision sur requête

Membre: Sophie Marchildon

Date: Le 6 juillet 2012

Référence: 2012 TCDP 15

 



[1]               Le 23 septembre 2011, le Tribunal a rendu sa décision dans l’affaire Bronwyn Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada, 2011 TCDP 13 [Cruden].

[2]               Le 24 novembre 2011, l’avocate de Mme Bronwyn Cruden (la plaignante) a demandé des éclaircissements au sujet de la mise en œuvre de la mesure de redressement ordonnée par le Tribunal au paragraphe 176 de la décision Cruden, à savoir :

[…] [C]onformément à l’alinéa 53(2)b) de la LCDP, j’ordonne à l’ACDI de déployer la plaignante à la DGPG au niveau PM‑06 et de prendre avec elle les mesures nécessaires pour l’affecter dans un pays ami, faisant partie de ses trois premiers choix où il y a des installations médicales appropriées et où elle ne sera soumise à aucune restriction médicale.

(Cruden, paragraphe 176)

[3]               Dans le cas d’une ordonnance rendue en vertu de l’alinéa 53(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 [la Loi], la personne reconnue coupable d’un acte discriminatoire – en l’occurrence l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI ou l’intimée) – est tenue d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les chances dont l’acte l’a privée. La question qui requiert présentement des éclaircissements est le moment où l’on doit appliquer l’obligation de déployer la plaignante à un pays ami, c’est-à-dire celui où il y a lieu d’accorder à cette dernière, dès que les circonstances le permettent, les chances dont elle a été privée.

[4]               Le 5 décembre 2011, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas functus officio et qu’il demeurait saisi de l’affaire pour ce qui était de l’exécution de l’ordonnance en litige (Bronwyn Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada, 2011 TCDP 21). Il a toutefois demandé aux parties de lui fournir des observations additionnelles afin de pouvoir trancher l’affaire.

[5]               Après avoir pris en considération les observations additionnelles des parties, le Tribunal a eu besoin de plus amples explications sur les informations qu’elles contenaient. Vu la nature technique et factuelle du litige opposant les parties, le Tribunal a convoqué une audience en vue d’entendre les parties. Cette audience a eu lieu le 16 janvier 2012.

[6]               Le 1er mars 2012, dans une décision sur requête - 2012 TCDP 5 – le Tribunal a conclu que les chances d’accorder à la plaignante une affectation dès que les circonstances le permettaient étaient en 2013 et qu’il était nécessaire de clarifier son ordonnance en vue d’en faciliter l’exécution et de veiller à ce que la plaignante puisse bénéficier de la mesure de redressement ordonnée. À cet égard, le Tribunal a ordonné :

1.   que, dans les sept jours suivant le prononcé de la présente décision, l'ACDI affecte Mme Cruden à un poste de niveau PM‑06 à la Direction générale des programmes géographiques;

2.   que l’ACDI, dans les 15 jours suivant le prononcé de la présente décision, présente à Mme Cruden des affectations disponibles en 2013 dans des pays étrangers qui sont ou seront disponibles, à des endroits où il y a des installations médicales appropriées et où elle ne sera soumise à aucune restriction médicale;

3.   que l’ACDI, dans les 21 jours suivant la date où Mme Cruden lui fait part, par écrit, de ces trois principaux choix d’affectation parmi ceux que l’ACDI lui aura présentés (qu’il s’agisse de trois choix relatifs à une affectation dans des pays différents ou dans un même pays, ou de deux choix dans un même pays et d’un choix dans un autre), établisse en consultation avec Mme Cruden un plan d’apprentissage personnalisé qui indiquera la formation que cette dernière devra suivre ou l’expérience qu’elle devra acquérir en vue d’exécuter avec succès l’une des affectations sur le terrain qui sera retenue pour 2013;

4.   le plan d’apprentissage personnalisé devra préciser de quelle façon l’ACDI permettra à Mme Cruden de suivre la formation ou d’acquérir l’expérience qui sera nécessaire, et ce plan devra également inclure un calendrier, assorti de dates précises, quant au moment où Mme Cruden pourra suivre cette formation ou acquérir cette expérience avant la date d’affectation;

5.   une fois que Mme Cruden aura suivi la formation ou acquis l’expérience qui sera indiquée dans le plan d’apprentissage, que l’ACDI accorde à Mme Cruden l’affectation sur le terrain pour laquelle le plan d’apprentissage aura été établi.

[7]               Le Tribunal a continué d’être saisi de l’affaire afin d’être disponible au cas où d’autres éclaircissements seraient nécessaires, et ce, jusqu’à ce que les parties confirment que les modalités de son ordonnance avaient été mises en œuvre.

[8]               Le Tribunal a reçu de l’intimée une lettre datée du 25 avril 2012 en vue de faire modifier le passage suivant de l’ordonnance :

[Q]ue l’ACDI, dans les 15 jours suivant le prononcé de la présente décision, présente à Mme Cruden des affectations disponibles en 2013 dans des pays étrangers qui sont ou seront disponibles, à des endroits où il y a des installations médicales appropriées et où elle ne sera soumise à aucune restriction médicale.

[9]               Le Tribunal a reçu de toutes les parties des observations sur leurs positions concernant la modification proposée. La réponse de l’intimée a été déposée le 1er juin 2012.

[10]           À l’appui de la modification qu’elle propose, l’intimée fait valoir :

[traduction]

Nous proposons que le libellé de la partie 2 soit modifié afin de tenir compte du fait que l’ACDI ne sera pas en mesure d’offrir à Mme Cruden avant octobre 2012 une affectation disponible en 2013. Cela est dû au fait que le processus relatif à 2012 est en cours et qu’il faudra attendre qu’il soit terminé avant de pouvoir déterminer les postes disponibles en 2013. L’ACDI prévoit qu’elle saura en octobre 2012 quels postes seront disponibles pour le cycle d’affectation de 2013, et elle est disposée à s’engager à présenter à Mme Cruden les postes possibles dès que les informations à ce sujet seront disponibles.

Il va sans dire que si ces informations deviennent disponibles avant octobre 2012, l’ACDI présentera plus tôt les affectations en question à Mme Cruden.

[11]           L’intimée soutient que, conformément à la partie 1 de l’ordonnance du 1er mars, Mme Cruden occupe présentement un poste de niveau PM‑06 au sein de la DGPG à l’ACDI. Conformément à la partie 4 de cette même ordonnance, Mme Cruden et l’ACDI ont établi ensemble un plan d’apprentissage personnalisé. Quant à la partie 5, l’ACDI l’honorera une fois que la formation que Mme Cruden aura suivie sera terminée.

[12]           Pour ce qui est des affectations sur le terrain, l’intimée soutient que ces dernières sont habituellement d’une durée de deux ans, assortie d’une option de prolongation d’un an. Le suivi que l’on fait auprès des employés présents sur place, en vue de déterminer s’ils souhaitent se prévaloir de l’option de prolongation (ou non) et d’obtenir l’accord de la direction à cet égard, a lieu au cours de l’été. S’il est convenu qu’un employé prolongera son affectation, il va donc de soi que le poste n’est pas inclus dans l’offre des affectations sur le terrain. Si un employé décide de ne pas prolonger la durée de son affectation ou si la direction ne souscrit pas à cette mesure, son poste est alors ajouté à l’« exercice d’affectations à l’étranger » (EAE) qui s’applique à cette année additionnelle là. Habituellement, l’intimée le sait au cours des mois de septembre ou d’octobre, avant le lancement de l’EAE proprement dit en octobre.

[13]           L’intimée offre des garanties telles que les suivantes :

[traduction]

1)         les options disponibles seront offertes à Mme Cruden dès la première occasion et, en tout état de cause, avant le lancement des processus officiels d’affectation;

2)         le fait de modifier ainsi le calendrier n’aura pas d’incidence sur le plan d’apprentissage de Mme Cruden, lequel est conçu pour procurer à cette dernière les compétences dont elle aura besoin, peu importe les choix de pays qui deviendront disponibles;

3)         Mme Cruden aura le temps d’acquérir des compétences propres aux pays en question au cours de la période s’étendant entre les mois de septembre‑octobre 2012 et l’été 2013, car le plan de formation que l’intimée a établi avec la plaignante vise à acquérir les compétences ainsi que l’expérience et les connaissances que requièrent l’exécution d’activités de développement sur le terrain en général, et non dans un pays en particulier

I.                   La position de la Commission

[14]           La Commission reconnaît que le Tribunal est habilité à modifier le délai fixé dans les circonstances de l’espèce. À son avis, cette mesure pourrait être prise dans le cadre de la compétence qu’elle a conservée dans le but de superviser la mise en œuvre des mesures de redressement, ou pour faire preuve d’équité procédurale envers l’ACDI qui, à ma connaissance, n’était pas au courant que l’obligation de faire part des affectations disponibles était assortie d’un délai de 15 jours.

[15]           En ce qui concerne le fond de la demande de l’ACDI, la Commission convient avec cette dernière que Mme Cruden doit être informée des possibilités d’affectation en 2013 dès que les informations y afférentes sont disponibles. La Commission fait également remarquer que, selon  l’ACDI, il est impossible de se conformer au délai fixé dans la décision sur requête, ni de faire part des affectations disponibles avant les mois de septembre ou d’octobre 2012.

[16]           La Commission fait également remarquer que, selon l’ACDI, il est impossible de se conformer au délai fixé dans la décision sur requête, ni de faire part des affectations disponibles avant les mois de septembre ou d’octobre 2012.

[17]           Dans les circonstances, et en se fondant sur les garanties de l’intimée, lesquelles sont décrites ci-dessus, la Commission accepte la demande de l’ACDI concernant la modification de la décision sur requête.

II.                La position (reproduite dans son intégralité) de la plaignante

[18]           Mme Cruden s’inquiète du fait que, si le Tribunal accède à la demande de l’ACDI sans mettre en place un certain nombre de garanties, cela aura sur elle un effet négatif.


 

A.                Le plan d’apprentissage

[19]           Le plan d’apprentissage de Mme Cruden est un aspect crucial de la préparation à une affectation et, pour illustrer ce qui inquiète Mme Cruden, il est important de comprendre de quelle façon ce plan a été établi, de même que sa mise en œuvre et l’effet du nouveau délai que propose l’ACDI sur le choix d’une affectation. Une copie du plan d’apprentissage est jointe ci‑après.

B.                 L’établissement du plan d’apprentissage

[20]           Quand Mme Cruden est revenue au travail en février 2012, elle a eu pour tâche de mettre au point son plan d’apprentissage.

[21]           Mme Cruden ne savait pas exactement par où commencer. Elle a rempli la première colonne du plan – les objectifs d’apprentissage – en indiquant les éléments d’expérience qui lui faisaient défaut par rapport à ce que l’ACDI avait mentionné dans l’exercice d’affectations en Asie de 2012.

[22]           Ce plan d’apprentissage a été établi principalement en fonction des exigences opérationnelles d’une affectation en Asie. Le plan de Mme Cruden devrait englober les exigences opérationnelles d’autres affectations, mais elles ne reflètent pas nécessairement celles qui concernent les affectations faites ailleurs qu’en Asie. Par exemple, dans les pays de l’Amérique du Sud la langue de travail est l’espagnol, une langue que Mme Cruden ne parle pas, et cela ne figure pas à l’heure actuelle dans son plan d’apprentissage.

[23]           De plus, les activités choisies sous la rubrique [traduction] « Expérience de la formulation et de la prestation de conseils et de recommandations stratégiques aux gestionnaires supérieurs », à la rangée 5, ont été fixées à la suite de discussions avec la directrice de Mme Cruden. Cette directrice a pensé que Mme Cruden devait profiter de l’occasion d’apprentissage pour suivre le Programme international de formation en évaluation du développement (PIFED) et elle lui a demandé d’inclure cette activité dans son plan d’apprentissage.

[24]           La directrice de Mme Cruden a reconnu que cet objectif d’apprentissage prendrait appui sur la vaste expérience de cette dernière en matière d’élaboration de mémoires au Cabinet et de cadres de gestion et de responsabilisation axés sur les risques et les résultats approuvés par le Secrétariat du Conseil du Trésor, notamment, et elle a laissé entendre que cet objectif d’apprentissage lui donnerait l’occasion d’acquérir formation et expérience dans le domaine de l’évaluation. Cet objectif d’apprentissage est conçu pour permettre de comprendre en détail le travail d’évaluation, ce qui renforcera la capacité de Mme Cruden à gérer des programmes.

[25]           Enfin, il est important de signaler que, à la colonne 4 du plan d’apprentissage, la mention « op » indique les objectifs qui découlent des affectations en Asie, tandis que la mention « perf » indique les objectifs qui ont été ajoutés par la directrice de Mme Cruden afin d’aider cette dernière à se perfectionner. Par exemple, il a été recommandé par l’adjoint du directeur général régional de l’Asie que Mme Cruden suive le cours de [traduction] « Préparation de présentations au Conseil du Trésor » (rangée 6), car cela pourrait se révéler utile plus tard pour aider la Direction de l’Asie à atteindre ses objectifs.

C.                La mise en œuvre du plan d’apprentissage

[26]           Il ressort d’un examen du plan d’apprentissage de Mme Cruden qu’il reste encore à déterminer un grand nombre des compétences clés. Voici une explication plus détaillée de l’effet qu’aurait la non-détermination de ces compétences clés sur la capacité de réussite de Mme Cruden :

Rangées 1 et 2 – Expérience de la communication avec les intervenants locaux, nationaux ou internationaux/collaboration avec les représentants gouvernementaux ou les OI (deux objectifs d’apprentissage distincts).

Rangée 3 – Ces objectifs ne seront atteints que si Mme Cruden est affectée à un projet actif. Les trois premiers où elle a été affectée sont deux projets en voie de clôture, ne comportant pas de communication avec les intervenants, de même que le [traduction] Mécanisme d’appui au programme, qui est un projet que Mme Cruden a géré antérieurement.

[27]           Selon ce que l’ACDI a évalué, l’expérience que Mme Cruden a acquise sur le terrain antérieurement (les sept semaines passées à Kaboul et à Kandahar en 2007 et en 2008) n’était pas suffisante pour une affectation en 2012. On prévoyait lui donner l’occasion d’acquérir les connaissances et l’expérience sur le terrain qui étaient requises pendant le temps où elle travaillerait à l’Administration centrale avant d’obtenir une affectation en 2013. À ce stade-ci, aucun délai n’est prévu pour l’obtention des deux autres semaines d’expérience sur le terrain qui sont jugées nécessaires pour acquérir l’expérience sur le terrain requise.

Rangée 4 – Cette rangée contient toute l’expérience qui est requise pour la gestion de projets. Les deux premiers projets affectés à Mme Cruden étaient tous deux en voie de clôture et le troisième est celui qu’elle a déjà géré dans le cadre du programme de l’Afghanistan. Cela étant, il reste encore à planifier ou à mettre en œuvre l’expérience que l’ACDI juge essentielle à la réussite d’une affectation.

[28]           Par ailleurs, l’ACDI n’a pas encore assigné à Mme Cruden un mentor compétent qui la guidera dans son perfectionnement. On lui a plutôt dit de soumettre ses questions à la chef des opérations pour l’Indonésie qui, d’après la plaignante, n’a que quelques années d’expérience sur le plan opérationnel. Mme Cruden n’a rien contre le fait que ce soit la chef des opérations qui l’assiste, mais celle-ci lui a dit que, jusqu’ici, elle a été obligée d’obtenir d’autres personnes les réponses à la totalité des questions qu’elle lui a posées, ce qui signifie que les questions de Mme Cruden restent parfois sans réponse.

[29]           De ce fait, Mme Cruden passe un temps considérable à essayer de deviner ce qu’elle doit savoir et il lui faut suivre ensuite un parcours assez détourné pour obtenir des réponses. L’assignation d’un mentor compétent, ayant une vaste expérience de la gestion des programmes et capable de la guider activement dans le cadre du processus de gestion de programmes, est une exigence qui est cruciale si l’on veut que Mme Cruden atteigne les objectifs figurant dans son plan d’apprentissage. Par exemple, Lawrence Peck, du programme de l’Afghanistan, serait le candidat idéal vu sa vaste expérience de la gestion de programmes au sein de l’ACDI.

Rangée 5 – Le fait d’observer comment se fait l’évaluation des programmes n’est pas une expérience qui relève de la Direction générale des programmes géographiques, mais de la Direction générale des politiques. Il ne faut pas seulement du temps pour mener des négociations entre les directions générales; il faut aussi que la participation de Mme Cruden soit incluse dans le cadre de référence d’un éventuel marché conclu avec l’évaluateur. L’évaluation est prévue pour le mois  de septembre mais, à ce jour, il n’y a eu aucune discussion entre les directions générales sur cet objectif.

D.                L’effet du calendrier sur le choix d’affectations

[30]           La décision sur requête initiale veillait à ce que Mme Cruden ne soit pas obligée de concourir avec d’autres personnes en vue d’obtenir une éventuelle affectation. Si vous révisez la décision sur requête comme l’ACDI le voudrait, Mme Cruden présentera à l’ACDI sa liste d’affectations pendant que d’autres participent à un concours pour les affectations de leur choix. Cela étant, l’ACDI sera en mesure de choisir quelle affectation offrir à Mme Cruden après avoir évalué quelles sont les personnes qui participent à un concours pour les mêmes affectations. Par ailleurs, il sera injuste pour tous les membres du personnel de présenter leur candidature à une affectation pour laquelle il n’est peut-être pas possible d’organiser un concours.

[31]           De plus, le plan d’apprentissage existant est censé être terminé d’ici avril 2013. Si la prolongation est accordée, Mme Cruden se verra présenter une liste d’affectations à un moment où seuls six mois de son plan d’apprentissage auront été faits, et certaines des expériences clés mentionnées dans le plan n’auront pas été acquises.

[32]           De plus, si l’affectation de Mme Cruden a lieu dans un pays autre que ceux visés par le programme de l’Asie, étant donné que les options sont limitées à cause des restrictions budgétaires, cela ne lui laissera qu’une période de six à neuf mois pour suivre une formation linguistique.

[33]           Compte tenu de ce qui précède, Mme Cruden propose que la demande de prolongation de l’ACDI soit révisée ainsi :

1.      l’ACDI présentera à Mme Cruden la liste des affectations disponibles en 2013, deux semaines avant que celles-ci soient annoncées aux employés de l’ACDI;

 

2.      Mme Cruden fera part à l’ACDI des trois affectations qu’elle aura choisies dans la semaine suivant la réception de la liste indiquée au point no 1. L’ACDI choisira l’affectation finale. Après avoir communiqué cette décision à Mme Cruden, l’ACDI fera ensuite connaître la liste des pays à tous les employés, comme cela se fait normalement.

 

3.      L’achèvement du plan d’apprentissage ne devrait pas être un facteur à prendre en considération au moment de procéder à l’affectation en 2013.

 

4.      Si Mme Cruden n’est pas en mesure de faire part à l’ACDI des trois postes prescrits dans l’ordonnance, elle en indiquera un ou deux, étant entendu que cela permettra à l’ACDI, si elle décide de ne pas accorder à Mme Cruden l’un des pays indiqués, de reporter l’affectation à 2014. Cette mesure tiendra compte du fait qu’en 2013 il y aura vraisemblablement moins de postes qu’au cours des années précédentes à cause des réductions budgétaires et, partant, vraisemblablement moins de postes appropriés que Mme Cruden pourra demander d’obtenir dans un pays où elle pourrait amener sa famille.

 

Voici quelques exemples des répercussions que le budget a eues sur le nombre des affectations :

         cette année, les affectations au Mozambique, au Rwanda et en Afrique du Sud ont été annulées (un fait que confirme le procès-verbal d’une réunion du personnel ci‑joint);

         l’ACDI a mis fin à des programmes dans huit pays (trois en Asie et cinq en Afrique, voir l’article de presse ci-joint).

[34]           Les postes en Asie pour lesquels Mme Cruden pourra présenter sa candidature seront nettement réduits en 2013. Trois pays de moins sont disponibles et, de plus, elle n’est pas en mesure d’accepter un poste au Bangladesh, car c’est sa sœur qui est la chef de mission. Cela voudrait dire que Mme Cruden ne pourrait pas remplacer sa superviseure, la chef d’aide, en cas d’absence, car dans un tel cas elle relèverait directement de sa sœur.

[35]           De plus, étant donné que deux postes ont été pourvus au Vietnam en 2012, le seul pour lequel elle pourrait présenter sa candidature dans ce pays en 2013 serait vraisemblablement un poste de niveau EX-1. Le seul moyen possible, car un poste de niveau EX-1 n’est pas envisagé dans l’ordonnance, serait que Mme Cruden satisfasse concrètement aux compétences exigées, ou bien que la personne de niveau PM-06 qui sera affectée en 2012 au Vietnam, et qui exerce à titre intérimaire les fonctions de niveau EX-1 depuis un certain nombre d’années, envisage d’exercer les fonctions de EX-1, ce qui permettrait à Mme Cruden d’assumer les fonctions de niveau PM‑06.

[36]           Le Vietnam était le deuxième choix d’affectation de Mme Cruden après l’Afghanistan. De ce fait, s’il lui est impossible de trouver un poste approprié dans une autre région, Mme Cruden préférerait que l’ACDI reporte son affectation à 2014 plutôt que d’offrir un pays figurant dans la liste des trois où elle ne se sentirait pas à l’aise de vivre durant trois ans. La décision sur requête actuellement en vigueur ne prévoit pas d’autres options si Mme Cruden n’est pas en mesure de faire part de trois postes.

III.             La réponse de l’intimée aux observations de la plaignante

[37]           L’intimée a déjà mentionné que la plaignante serait informée des postes disponibles avant le lancement du processus d’affectation officiel. Elle s’attend à faire part de ces informations en octobre 2012, soit, en théorie, plus de deux semaines avant le lancement du processus officiel.

[38]           Les préoccupations de la plaignante ont été transmises à l’intimée, qui demeure disponible pour en discuter et les régler.

[39]           L’intimée réitère que la modification demandée ne touchera pas le plan d’apprentissage de la plaignante.

[40]           Enfin, l’intimée répond à la demande que fait la plaignante d’être autorisée à reporter son affectation jusqu’en 2014 si elle est insatisfaite du choix d’affectations disponibles. L’intimée soutient que cette demande contredit l’intention de l’ordonnance qui est reconnue dans la décision sur requête datée du 1er mars 2012, laquelle intention était d’offrir à la plaignante, dès que les circonstances le permettaient, les chances dont elle avait été privée. L’intimée soutient de plus que l’ordonnance initiale prévoyait expressément qu’elle conserverait une certaine latitude quant au pays auquel la plaignante serait affectée. Selon elle, cette dernière demande de la plaignante est inappropriée, car elle implique une modification importante et préjudiciable de l’ordonnance et elle prolonge l’exécution de ses dispositions. Elle demande au Tribunal de ne pas prendre en considération cette dernière demande ou, à tout le moins, pas dans le contexte de sa demande de modification.

[41]           L’intimée laisse entendre que la plaignante, si elle est insatisfaite des chances qui lui seront offertes, pourrait toujours présenter une requête à ce moment-là, et le Tribunal ne rendrait pas sa décision sur requête en l’absence d’éléments de preuve.

IV.             Analyse

[42]           Dans Cruden, et dans la décision sur requête qu’il a rendue le 1er mars 2012 dans la présente affaire, le Tribunal a dit qu’il conserverait sa compétence en vue de superviser la mise en œuvre des mesures de redressement ordonnées. Conformément à cette compétence, l’intimée demande que le Tribunal modifie le calendrier d’exécution de l’ordonnance décrite dans sa décision sur requête du 1er mars 2012. La Commission consent à la demande de l’intimée et la plaignante, au cas où le calendrier d’exécution de l’ordonnance serait prolongé, demande que l’on fixe des garanties appropriées afin de s’assurer que l’ordonnance soit exécutée. Je souscris à l’argument de l’intimée selon lequel les affectations de 2013 ne peuvent pas être déterminées avant la fin du processus relatif à l’année 2012 et qu’elle ne disposera de ces informations qu’en octobre 2012 ou aux alentours de cette date. Par conséquent, la décision du 1er mars 2012 du Tribunal sera modifiée en conséquence, conformément aux dispositions qui suivent.

[43]           Cela dit, en réponse à la présente demande de l’intimée, la plaignante a fait état de ses préoccupations à propos de l’établissement et de la mise en œuvre du plan d’apprentissage. À cet égard, il est instructif de comprendre, d’une part, pourquoi il a été nécessaire de clarifier l’ordonnance Cruden et, d’autre part, les motifs qui ont mené à la décision sur requête datée du 1er mars 2012 au sujet de la question d’accorder une affectation à la plaignante dès que les circonstances le permettaient. Une partie de ces motifs est reproduite ci-dessous :

[14] Cependant, hormis cette déclaration, rien n’indique qu’un plan d’apprentissage défini a été établi. Rien n’indique que l’intimée s’est efforcée avec la plaignante de trouver des affectations satisfaisantes, quelle formation ou quelle expérience additionnelles sont nécessaires pour que cette dernière ait du succès dans une affectation, comment l’intimée propose que la plaignante acquière la formation ou l’expérience requise pour avoir du succès dans une affectation et à quel moment se présentera, en conséquence, la chance de l’affecter à l’étranger dès que les circonstances le permettront.

[15] Même si la plaignante a fait part à l’ACDI des choix d’affectation qu’elle privilégiait au début du processus d’affectation, un plan d’apprentissage défini n’a pas été établi à ce stade-là. Au moment où le Tribunal a tenu son audience dans la présente affaire, soit le 16 janvier 2012, un tel plan n’avait pas été non plus établi. À l’audience, le témoin de l’ACDI a été incapable de mentionner des mesures concrètes que l’ACDI avait prises pour voir comment cette dernière exécuterait l’ordonnance du Tribunal parce qu’elle ne participait pas à ce processus. L’intimée a déclaré qu’elle avait envoyé une lettre à la plaignante et à son avocate pour l’inviter à communiquer avec elle à propos de la façon d’exécuter l’ordonnance et que la plaignante n’y avait pas répondu. Elle soutient que les communications ont été rompues entre les parties quand la plaignante a présenté sa demande d’éclaircissements au Tribunal en novembre 2011. Je conclus que cette explication n’est pas crédible. Au début du mois de novembre, l’intimée a déclaré à la plaignante que l’ACDI n’allait pas l’affecter en 2012, mais qu’elle pouvait quand même présenter sa candidature pour le processus d’affectation. La plaignante a ensuite présenté sa candidature pour deux affectations au Vietnam, et sa candidature a été rejetée dans les deux cas. Une fois que la plaignante avait fait part de ses choix d’affectation, l’ACDI aurait pu, à n’importe quel moment, planifier une réunion avec elle pour commencer à discuter de la façon d’exécuter l’ordonnance du Tribunal. La plaignante était disponible pour ces discussions.

[16] Conformément à l’alinéa 53(2)b) de la Loi, il incombe à l’intimée d’accorder à la plaignante les chances dont l’acte discriminatoire l’a privée. Pour déterminer à quel moment il convient d’accorder à la plaignante cette chance, dès que les circonstances le permettent, l’intimée doit tout d’abord examiner de façon sérieuse de quelle façon elle exécutera l’ordonnance. L’ordonnance du Tribunal était conçue comme une directive visant à permettre aux parties de régler entre elles les détails relatifs à l’exécution de l’ordonnance, mais il est possible qu’à cause de cela la plaignante ait perdu la chance d’être affectée aux postes disponibles au Vietnam. Le Tribunal conclut donc qu’il est nécessaire de clarifier son ordonnance afin d’en faciliter l’exécution et de veiller à ce que la plaignante puisse bénéficier de la mesure de redressement qu’il a ordonnée.

(Cruden, aux paragraphes 14 à 16)

[44]           Au vu de ces motifs, j’ai ajouté quelques exigences à l’ordonnance afin d’aider les parties à prendre des mesures pour contribuer à l’établissement et à la mise en œuvre d’un plan d’apprentissage efficace et pour veiller à ce que la plaignante soit formée à temps pour une affectation en 2013. Après avoir pris en considération les observations les plus récentes des parties, il me semble y avoir encore des problèmes entre ces dernières sur le plan de l’établissement et de la mise en œuvre du plan d’apprentissage. L’intimée déclare qu’elle a travaillé avec la plaignante en vue de mettre au point un plan d’apprentissage et qu’elle continuera de le faire pour régler ses préoccupations à l’égard de ce plan, mais la plaignante soutient qu’elle a été laissée à elle-même pour ce qui est de la conception de ce plan d’apprentissage. L’intimée déclare que le fait de modifier le calendrier en vue d’exécuter l’ordonnance n’aura pas d’incidence sur le plan d’apprentissage de Mme Cruden et que cette dernière aura du temps pour acquérir des compétences propres à un pays en particulier au cours de la période qui s’étendra entre les mois de septembre ou d’octobre 2012 et l’été de 2013. L’ordonnance qui suit répond à ces problèmes, mais je crois qu’il serait avantageux que l’on tienne une autre conférence téléphonique à la suite du prononcé de la présente décision sur requête afin que les parties comprennent quelles sont leurs obligations aux termes de l’ordonnance et qu’elles fournissent les autres éclaircissements qui peuvent être nécessaires. Cette autre conférence téléphonique permettra également de discuter des problèmes que les parties ont soulevés à propos de l’exécution de l’ordonnance au-delà du cycle d’affectations de 2013.

V.                L’ordonnance

[45]           Conformément aux motifs qui précèdent, le Tribunal ordonne :

1.      que, au moins deux semaines avant d’annoncer les affectations disponibles en 2013 aux autres employés, l’ACDI fournisse à Mme Cruden une liste des affectations dans un pays étranger en 2013 qui sont ou seront disponibles et où il y a des installations médicales appropriées et où elle ne sera soumise à aucune restriction médicale;

2.      que, dans la semaine suivant la réception de la liste mentionnée au point no 1 ci‑dessus, Mme Cruden fasse part à l’ACDI de ses trois principaux choix parmi les affectations que l’ACDI aura indiquées;

3.      que, parmi les trois choix que Mme Cruden aura indiqués, l’ACDI choisisse l’affectation finale et en fasse part à Mme Cruden avant d’annoncer les affectations disponibles aux autres employés de l’ACDI;

4.      que, après avoir choisi le lieu où Mme Cruden sera affectée en 2013, l’ACDI mette au point, en consultation avec Mme Cruden, un plan d’apprentissage personnalisé décrivant toutes les activités de formation que celle-ci devra suivre et toute l’expérience qu’elle devra acquérir afin pouvoir exécuter avec succès l’affectation disponible en 2013;

5.      que le plan d’apprentissage personnalisé précise de quelle manière l’ACDI offrira à Mme Cruden la formation qu’elle devra suivre ou l’expérience qu’elle devra acquérir et qu’il comprenne également un calendrier, assorti de dates précises, quant au moment où cette formation ou cette expérience lui seront offertes avant la date d’affectation en 2013;

6.      que, lorsque Mme Cruden aura suivi la formation ou acquis l’expérience qui est requise et indiquée par le plan d’apprentissage, l’ACDI accorde à Mme Cruden l’affectation sur le terrain disponible en 2013 pour laquelle le plan d’apprentissage a été établi.

[46]           Le Tribunal continuera d’être saisi de l’affaire afin d’être disponible au cas où d’autres éclaircissements s’avéreraient nécessaires, et ce, jusqu’à ce que les parties confirment que les modalités de son ordonnance ont été mises en œuvre.

[47]           Le Tribunal demande aux parties d’indiquer au greffe d’ici le 7 août 2012 les moments où elles seront disponibles pour prendre part à une conférence téléphonique, qui aura lieu durant les semaines du 13 ou du 20 août 2012.

 

 

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

OTTAWA (Ontario)

Le 6 juillet 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal: T1466/1210

Intitulé de la cause: Bronwyn Cruden c. Agence canadienne de développement international et Santé Canada

Date de la décision sur requête du tribunal: Le 6 juillet 2012

 

Comparutions:

Alison Dewar, pour la plaignante

Brian Smith, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Alex Kaufman, pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.