Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Doris Cassidy

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Société canadienne des postes

- et

Raj Thambirajah

les intimés

Décision

Membre : Matthew D. Garfield

Date : Le 23 novembre 2012

Référence : 2012 TCDP 29


Table des matières

Page

I............. Introduction. 1

II........... Décision. 1

III......... Les retards et la longueur de la procédure. 1

A.           La requête visant à rouvrir la cause de la plaignante et les événements subséquents. 4

IV......... Crédibilité. 11

V........... Conclusions de fait 13

A.           Le 9 novembre 2005 : lincident de lattouchement et du commentaire. 13

B.           Le rapport denquête de Postes Canada. 23

C.           Conclusions concernant lincident du 9 novembre 2005. 23

D.           Du 10 novembre 2005 au 9 avril 2006 : linteraction entre la plaignante et  lintimé. 25

E.           Le conflit sintensifie en avril 2006. 27

F.            La plainte écrite à Postes Canada en date du 25 avril 2006. 29

G.           Est-ce que Postes Canada était au courant de lincident du 9 novembre avant le 25 avril 2006?  29

H.           Les mesures prises par M. Tidman après avoir reçu la plainte du 25 avril et la « comédie des erreurs » subséquente. 30

I.             Les facteurs de stress dans la vie de Mme Cassidy. 31

J.             La prétendue réunion entre Mme Cassidy et ses superviseurs (et A. B.) 32

K.           Quand Postes Canada a-t-elle pris connaissance pour la première fois de  lincident du 9 novembre?  37

L.           Ce qui sest produit après le 25 avril 2006 : la « comédie des erreurs » et les malentendus  38

M.          Autres mesures prises par Postes Canada après le 25 avril 2006. 41

N.           Incidents survenus lorsque la plaignante et lintimé à titre personnel ne travaillaient plus ensemble  46

O.           Trois allégations de représailles durant laudience. 55

VI......... La législation. 60

A.           Harcèlement sexuel 61

B.           Responsabilité du fait dautrui (société) : article 65 de la LCDP. 62

C.           Représailles : article 14.1 de la LCDP. 64

VII....... Responsabilité. 66

A.           Responsabilité vis-à-vis la plainte contre M. Thambirajah. 66

B.           Responsabilité vis-à-vis la plainte contre Postes Canada. 72

C.           Participation du syndicat dans cette affaire. 77

VIII..... Mesures de réparation. 78

A.           Réparation vis-à-vis la plainte déposée contre M. Thambirajah. 78

B.           Réparation vis-à-vis la plainte contre Postes Canada. 80

C.           Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées. 84

D.           Maintien de la compétence. 84

IX......... Ordonnance. 84

 

 


I.                   Introduction

[1]               Voici les motifs de ma décision relativement aux plaintes déposées par Doris Cassidy contre Raj Thambirajah (lintimé à titre personnel), un collègue et délégué syndical, et la Société canadienne des postes (Postes Canada), son employeur. La plaignante allègue que M. Thambirajah la harcelée sexuellement, en contravention du paragraphe 14(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, version modifiée (la LCDP). La plainte a été modifiée de manière à inclure trois incidents de représailles qui seraient survenus durant la période où se déroulait linstance, en contravention de larticle 14.1 de la LCDP. La plainte contre Postes Canada est que cette dernière aurait défavorisé Mme Cassidy et omis de lui assurer un lieu de travail exempt de harcèlement fondé sur le sexe, en contravention de lalinéa 7b) et du paragraphe 14(2) de la LCDP, respectivement. Les plaintes ont été instruites dans une seule instance. La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) na pas participé à laudience.

II.                Décision

[2]               Les plaintes sont accueillies en partie.

III.             Les retards et la longueur de la procédure

[3]               La genèse des plaintes remonte au 9 novembre 2005 ou vers cette date (la plaignante ne se souvient pas de la date exacte), soit le jour où M. Thambirajah aurait harcelé sexuellement la plaignante en effectuant des attouchements et en formulant des commentaires inappropriés en milieu de travail. La plaignante a déposé ses plaintes le 27 mars 2007. La Commission les a acheminées au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) le 26 mai 2009. Les plaintes ont fait lobjet dune gestion de cas, puis mont été assignées en vue de la tenue dune audience. La première journée daudience a eu lieu le 1er février 2010; la dernière, le 11 octobre 2011. Le Tribunal a clos la procédure lorsquil a rejeté la demande de la plaignante visant la réouverture de laudience le 19 janvier 2012.

[4]               Ce délai était trop long – la clôture est survenue sept années après lévénement qui a donné lieu à laction. Je ne formulerai pas dobservations sur le délai entre le dépôt de la plainte à la Commission et le renvoi de cette plainte au Tribunal. Toutefois, je me permettrais den formuler sur le déroulement de laffaire devant le Tribunal.

[5]               Depuis de nombreuses années, on me confie larbitrage daffaires relatives aux droits de la personne; or, la présente affaire est unique et sest révélée plus difficile que dautres, pour diverses raisons. Dabord, il y a eu des difficultés liées à la communication et à la production de la preuve. Ces difficultés avaient trait aux six journaux de la plaignante. Pour respecter son droit à la vie privée, jai accepté de les examiner pour en relever les éléments pertinents. Il y avait des centaines de pages à parcourir attentivement. Lorsque jai ordonné que certains extraits soient communiqués aux intimés et que les autres journaux soient renvoyés à la plaignante, il y a eu de la confusion. La plaignante ou la personne qui la représente a remis les documents non divulgués à M. Machelak, lavocat de Postes Canada (mais pas à M. Platt, le représentant de lintimé à titre personnel). La plaignante était perturbée que M. Machelak ait des sections confidentielles de ses journaux qui devaient être expurgées et elle la accusé de les avoir prises dans ses effets personnels dans la salle daudience. Évidemment, M. Machelak a réagi à cette accusation avec indignation. Par la suite, il y a eu des problèmes avec les copies préparées par la plaignante. Les copies fournies à chacun des intimés, celle fournie à lagente du greffe et celle présentée lors du témoignage ne correspondaient pas.

[6]               Jaimerais également préciser que, étant donné que la plaignante était, à juste titre, troublée que des éléments intimes et privés aient été divulgués aux intimés, particulièrement à lintimé à titre personnel, jai également rendu une ordonnance visant la mise sous scellés de certains documents et contraignant les intimés à remettre certains des documents communiqués par la plaignante au terme de la présente procédure et de toute procédure subséquente dappel ou de contrôle judiciaire. Linquiétude de Mme Cassidy était palpable et jespère avoir trouvé un équilibre judicieux lorsque jai examiné les journaux et rendu lordonnance.

[7]               De plus, lhoraire des témoignages a été remanié à quelques reprises, parfois même avant que les témoins naient achevé leur témoignage, afin de remédier à des problèmes dhoraire; je tiens à remercier les parties de leur coopération, qui a nous a permis déviter la perte de journées daudience. En outre, avec le temps, il y avait la difficulté peu inhabituelle de trouver des dates de disponibilité communes pour les parties, leurs avocats ou représentants et le Tribunal.

[8]               Laudience elle-même a nécessité plus temps – soit 22 journées daudience, sans compter les nombreuses conférences téléphoniques de gestion de linstance que jai tenues avec les parties pour régler diverses questions soulevées durant la procédure – en partie parce que le témoignage de la plaignante a duré plus longtemps que prévu. Comme nous le verrons ultérieurement, parfois la plaignante répondait de manière évasive, parfois ses réponses nétaient pas évasives, mais elle avait tout de même de la difficulté à répondre aux questions, particulièrement durant le contre-interrogatoire. Il y a également eu une médiation, au milieu de la première semaine de laudience, entre la plaignante et Postes Canada, menée par la présidente du Tribunal. Un règlement a été conclu, mais le lendemain la plaignante a dit quelle souhaitait [traduction] « déchirer » laccord et aller de lavant avec laudience contre les deux intimés.

[9]               Il y a aussi eu des requêtes qui ont eu pour effet de prolonger laudience. Il y a eu une requête visant à modifier la plainte contre M. Thambirajah pour y ajouter une allégation de représailles relativement à trois incidents survenus durant la première semaine de laudience. Il y a aussi eu une requête visant la présentation de preuves factuelles similaires.

[10]           Une autre requête a eu un effet plus important : celle visant à rouvrir la cause de la plaignante après sa clôture le 28 mai 2010 et à y ajouter une allégation de représailles contre Postes Canada. En fin de compte, cette requête na pas été réglée avant le 14 mars 2011 – environ 10 mois plus tard. Et pendant ce délai, des changements sont survenus en ce qui concerne la représentation de Mme Cassidy : Julie Marshall (représentante) a été remplacée par William Kelly (avocat), puis la plaignante sest représentée elle-même pendant une brève période après la décision de son avocat de se retirer du dossier. (Il est par la suite réapparu à titre davocat de la plaignante le 25 avril 2011 et ce, jusquà la fin de laudience.)

A.                La requête visant à rouvrir la cause de la plaignante et les événements subséquents

[11]           La genèse de la requête visant à rouvrir la cause de la plaignante était la réunion que Mme Cassidy aurait eue avec ses superviseurs le 9 novembre 2005, soit le jour même de lincident de harcèlement sexuel impliquant M. Thambirajah. Jaborderai cette question plus loin dans les présents motifs. Le 31 mai 2010, Mme Cassidy a dit pour la première fois quil y avait un témoin qui lavait accompagnée et qui avait assisté à la réunion. Elle ne sen était pas souvenue parce que, soutenait-elle, elle avait souffert de troubles de stress post-traumatique (TSPT) depuis ce jour en novembre 2005 et en souffrait encore le 28 mai 2010. Jai fixé une date pour la présentation de documents et la présentation dobservations liées à cette requête, y compris le rapport dexpert dun psychiatre. La plaignante navait pas consulté de psychiatre et navait pas reçu de diagnostic de TSPT de la part dun médecin. Jai discuté avec les parties du critère juridique applicable à la réouverture dune cause, ainsi quil est exposé dans la décision Johnson c. Société Radio-Canada, 1994 CanLII 284 (TCDP) (Vermette), confirmée 1996 CanLII 3858 (CF). Laudience a été ajournée jusquà la date dexamen de la requête.

[12]           Plusieurs événements sont alors survenus. Lors dune conférence téléphonique, Mme Marshall a dit que la plaignante sétait [traduction] « présentée de son propre gré » à lunité psychiatrique de lhôpital Lakeridge après la séance daudience du 31 mai 2010. Elle était maintenant sous les soins dun psychiatre, le docteur Malamed. La plaignante n’a pas respecté sa première échéance pour le dépôt de la documentation liée à la requête. Lagente du greffe du Tribunal na pu joindre ni Mme Marshall ni la plaignante. Après lécoulement de plusieurs semaines, Mme Marshall a finalement communiqué avec le Tribunal. Jai alors accordé à la plaignante un délai supplémentaire pour déposer sa documentation. Lorsque cette documentation est arrivée le 8 octobre 2010, elle ne respectait pas une des exigences exposées le 31 mai 2010 : pour satisfaire au critère juridique, la partie requérante devait démontrer quelle souffrait de TSPT durant toute la période allant de lévénement ayant donné à laction à la clôture de la preuve à laudience. De plus, elle devait démontrer quelle avait fait preuve dune diligence raisonnable lors de la préparation de sa preuve (autrement dit, elle ne pouvait pas être au fait de lexistence de ce témoin, comme en atteste le diagnostic de TSPT). La lettre du psychiatre de lhôpital, qui ne répondait pas aux exigences dun rapport dexpert aux termes des Règles de procédure du Tribunal, ne comportait pas de diagnostic de TSPT pour la période allant du 9 novembre 2005 à mai 2010.

[13]           Départ de Mme Marshall; arrivée de lavocat Kelly. Il convient de signaler quil sagissait dun dossier difficile et que Mme Marshall, qui navait aucune formation juridique, a représenté son amie Mme Cassidy à titre bénévole. Elle a accompli du bon travail dans ce contexte. Le 10 novembre 2010, M. Kelly a avisé le Tribunal que la plaignante avait retenu ses services. Jai tenu une conférence téléphonique avec les parties le 29 novembre 2010. Malgré lopposition des intimés, jai autorisé, encore une fois, la plaignante à déposer à nouveau la documentation liée à sa requête, la nouvelle échéance étant le 25 janvier 2011. Avec larrivée de lavocat de la plaignante, jespérais que la documentation serait déposée correctement et quil serait possible dinstruire la requête dans les plus brefs délais. Mes espoirs ne se sont pas concrétisés.

[14]           Je dois ajouter que, avant que les services de M. Kelly ne soient retenus, pour faire avancer le processus et avec le consentement des parties, javais demandé le 31 mai 2010 que lon entende dabord le témoignage dA. B. (qui aurait assisté à la prétendue réunion du 9 novembre 2005), avant dordonner à la partie requérante de déposer un rapport dexpert rédigé par un psychiatre et avant que les autres parties ne répliquent en présentant eux aussi un rapport dexpert. Selon les intimés, le témoin ne se trouvait même pas au bureau de service de Postes Canada en cause le 9 novembre 2005 – soit le jour de lincident et de la prétendue réunion entre la plaignante et ses superviseurs. Le 20 juillet 2010, jai entendu le témoignage dA. B. sur cette question, ainsi que les témoignages des témoins de Postes Canada. Les parties avaient convenu que la preuve se rapportant à la requête pourrait également servir à trancher « sur le fond » de la cause principale, le cas échéant, afin déviter quA. B. soit appelée à témoigner une nouvelle fois dans le cadre de laudience « principale ».

[15]           Léchéance du 25 janvier 2011 pour le dépôt par la plaignante de la documentation liée à sa requête est passée, sans un mot de la part de lavocat de la plaignante. Des semaines ont passé. Lavocat de la plaignante na pas répondu aux lettres du Tribunal et aux messages laissés dans sa boîte vocale, lui signalant que léchéance était passée. M. Machelak et M. Platt nont pas eu de ses nouvelles non plus. Le 2 février 2011, jai demandé au greffe du Tribunal denvoyer une lettre à lavocat de la plaignante pour laviser que, en raison de lomission de déposer la documentation connexe, javais conclu au désistement de la requête visant à rouvrir la cause (et de lautre requête visant à ajouter une allégation de représailles contre Postes Canada). Laudience reprendrait le 14 mars 2011.

[16]           Une semaine avant la reprise de laudience, le Tribunal a reçu une lettre de lavocat de la plaignante demandant lajournement de laudience et lautorisation de poursuivre la requête et de déposer à nouveau la documentation connexe. Les autres parties se sont opposées à cette demande. Jai rejeté la demande. Le 9 mars 2011, lavocat de la plaignante a de nouveau écrit au Tribunal pour lui demander de revoir son rejet de la demande dajournement. Jai répondu quil aurait [traduction] « loccasion daborder cette question [en personne] lors de la reprise de laudience le 14 mars 2011 […] » Lavocat de la plaignante a ensuite été admis à une clinique et a fait parvenir une note de son médecin signalant quil ne serait pas en mesure de participer à laudience. Je lui ai alors demandé de trouver quelquun qui pourrait venir à sa place à laudience pour défendre la demande dajournement; je lui ai également proposé la possibilité de tenir une conférence téléphonique avec les parties et moi en personne dans la salle daudience. Il a choisi la deuxième option. Ainsi, le 14 mars 2011, laudience a repris à Toronto, avec la participation de lavocat de la plaignante (et de sa cliente) par téléconférence.

[17]           Ce qui sest passé ce jour-là était vraiment bizarre. Lavocat de la plaignante a expliqué quil avait souffert dune [traduction] « grippe intestinale » pendant un mois et que cétait la raison pour laquelle il n’avait pas respecté les échéances et navait pas communiqué avec le Tribunal ou les autres parties. Il a également dit que, bien que trois mois et demi se fussent écoulés depuis la date de la conférence téléphonique à laquelle sa cliente avait obtenu encore une fois un délai supplémentaire pour déposer à nouveau la documentation liée à sa requête, il navait toujours pas obtenu de rapport dexpert de la part du DMalamed. La raison? Il avait écrit une lettre au psychiatre, mais venait dapprendre quelle navait jamais été envoyée au Dr Malamed. Il a également affirmé que, si je refusais la demande dajournement et la poursuite de la requête, il se verrait obligé de se retirer du dossier et daviser son assureur de la possibilité dune réclamation pour négligence. Les autres parties ont accepté un bref ajournement (étant donné que Mme Cassidy se trouvait à Oshawa avec son avocat, et non dans la salle daudience) pour permettre à la plaignante dembaucher un nouvel avocat; toutefois, elles sopposaient catégoriquement à ce que la plaignante puisse poursuivre la requête. Les autres parties ont fait valoir que javais accordé suffisamment de chances à la plaignante pour le dépôt de sa documentation, que neuf mois et demi sétaient écoulés depuis la présentation de la requête visant à rouvrir sa cause (soit le 31 mai 2010), et que lavocat de la plaignante avait repris le travail et aurait certainement dû demander à son adjointe de communiquer avec le Tribunal et les autres parties, sil nétait pas en mesure de le faire lui-même. Jétais du même avis. Jai accordé un ajournement dun mois à Mme Cassidy pour retenir les services dun nouvel avocat et pour en aviser le Tribunal. Une date daudience serait alors fixée. La requête ne serait pas accueillie. Jai fourni des motifs de vive voix.

[18]           Le mois sest écoulé, sans un mot de Mme Cassidy ou de son nouvel avocat, contrairement à mon ordonnance. Jai demandé à lagente du greffe de faire parvenir une lettre aux parties (étant donné que Mme Cassidy se représentait elle-même maintenant) pour préparer une conférence téléphonique de gestion de linstance où on fixerait les prochaines dates de laudience. Le Tribunal a reçu les réponses des parties, dont celle de M. Kelly, qui a mentionné quil était de nouveau inscrit au dossier. Jai tenu la conférence téléphonique et fixé les nouvelles dates de laudience prévues pour octobre 2011 afin de mener à terme laudience.

[19]           Le mois doctobre est arrivé et laudience sest assez bien déroulée. Nous avons achevé le volet de la preuve. Les parties ont demandé si elles pouvaient présenter des observations finales par écrit, suivies dune brève plaidoirie par téléconférence. Jai consenti à leur demande. Jai fixé les échéances pour la présentation des observations finales et pour la conférence téléphonique. Je dois ajouter que lavocat de la plaignante sest bien comporté durant laudience. Mes réserves ont trait à son comportement avant et après les dates daudience en octobre 2011.

[20]           Léchéance du 1er novembre 2011 pour la présentation des observations finales est passée sans que la plaignante ne présente les siennes et, de plus, sans la moindre communication de sa part. Encore une fois, jai demandé à lagente du greffe de communiquer avec lavocat de la plaignante pour savoir ce qui sétait passé; aucune réponse. Jai demandé aux autres parties de présenter leurs observations écrites selon léchéance fixée et elles lont fait. Le 28 novembre 2011, le Tribunal a finalement eu des nouvelles de lavocat de la plaignante : une lettre demandant une prolongation du délai (bien après léchéance du 1er novembre) pour la présentation des observations écrites et lajournement de la conférence téléphonique du 6 décembre 2011 prévue pour la plaidoirie, car il devait comparaître devant la Cour supérieure de lOntario à Oshawa ce jour-là, même si le Tribunal avait retenu cette date auparavant. Les autres parties sopposaient catégoriquement à ces demandes, signalant quil sagissait du même type de comportement que lavocat de la plaignante avait adopté par le passé. Elles avaient subi un préjudice et souhaitaient achever laudience. Jai accueilli la demande dajournement de la conférence téléphonique présentée par lavocat de la plaignante, à la condition quil communique avec M. Machelak et M. Platt pour établir une date de remplacement en décembre et quil en avise le Tribunal au plus tard le 9 décembre 2011. Jai rejeté sa demande visant la présentation d’observations écrites, mais je lui ai dit quil pourrait présenter des observations orales. Nayant pas reçu de nouvelles de lavocat de la plaignante malgré la directive ci-dessus, le Tribunal a écrit aux parties le 16 décembre 2011 pour les aviser que, sil navait pas de nouvelles de lavocat de la plaignante au plus tard le 19 décembre, [traduction] « laudience sera réputée close et le Tribunal amorcera la rédaction des motifs de décision ». Jai également demandé à lagente du greffe de téléphoner à lavocat de la plaignante et, sil nétait pas disponible, de laisser un message dans sa boîte vocale faisant état du contenu de la lettre. Elle a joint la réceptionniste, qui a confirmé ladresse de courriel à laquelle le Tribunal a transmis la présente lettre et la correspondance antérieure. La réceptionniste a dit que lavocat de la plaignante serait au bureau le 19 décembre 2011 et, par conséquent, serait en mesure de répondre à la lettre du Tribunal. Le 21 décembre 2011, le Tribunal a reçu une lettre télécopiée en date de la veille en provenance de lavocat de la plaignante; il signalait, entre autres, quil devait [traduction] « consacrer toute la journée à des interrogatoires préalables », mais quil répondrait le lendemain. Il a prétendu navoir jamais reçu la lettre du Tribunal en date du 5 décembre 2011. Le 23 décembre 2011, il a écrit pour indiquer quil communiquerait avec les autres représentants en janvier 2012 en vue de sentendre sur une date en janvier pour la tenue de la conférence téléphonique consacrée aux conclusions finales. Jai ensuite demandé au Tribunal denvoyer une lettre aux autres parties pour prendre connaissance de leurs positions. Les autres parties sopposaient à la demande. Comme M. Machelak la noté avec justesse, [traduction] « M. Kelly a choisi dignorer la lettre [du Tribunal] tout comme il a ignoré les autres échéances fixées par le Tribunal ». Le 19 janvier 2012, jai fait parvenir une lettre aux parties leur indiquant que javais rejeté la requête de la plaignante visant la réouverture de laudience. Laudience est demeurée close.

[21]           Je tiens à signaler que je suis très conscient de la difficulté et de la gravité de la décision de clore une audience sans avoir reçu les observations de toutes les parties. En fait, je statue sur des affaires relatives aux droits de la personne aux niveaux fédéral et provincial (en Ontario) depuis plus de 14 ans, jexerce larbitrage et la médiation en pratique privée, et il sagit de la première fois quune telle situation se produit. Toutefois, jestime que lessentiel nest pas tant de recevoir les observations finales de toutes les parties, mais davoir accordé à toutes les parties une occasion raisonnable de présenter leurs observations finales. Et je crois avoir accordé une chance plus quéquitable à la plaignante dexposer pleinement sa cause et aux intimés de présenter leur défense. Mais, à un moment donné, trop cest trop, au-delà de ce point, lintimé et la procédure du Tribunal subissent un préjudice. Cela constitue presque un usage abusif de la procédure du Tribunal et porte atteinte à son aptitude à gérer sa propre procédure. La jurisprudence est pleine dexemples de tribunaux qui rejettent des causes (ce qui nest pas le cas en lespèce) pour avoir omis de respecter les règles de procédure.

[22]           De plus, je suis appelé à trancher une affaire de harcèlement sexuel. Dans notre société fondée sur le respect des droits, les personnes accusées de harcèlement sexuel sont stigmatisées. Souvent, le public ne fait pas de distinction entre les allégations de harcèlement sexuel et celles dagression sexuelle criminelle. Dans l’arrêt Blencoe c. British Columbia (Human Rights Commission), 1998 CanLII 13300, inf. par 2000 CSC 44, la Cour dappel de la Colombie‑Britannique a écrit au paragraphe 57 : [traduction] « Bien que larbitrage des droits de la personne soit souvent décrit comme étant une procédure de médiation et de conciliation visant à remédier à la discrimination et à rétablir la victime dans sa situation antérieure, et non à punir la personne mise en cause, le fait demeure que des accusations non prouvées de harcèlement sexuel et de discrimination sexuelle entraînent, dans notre société, une forte stigmatisation. De telles accusations peuvent détruire des vies. » La présente affaire na pas seulement des répercussions sur M. Thambirajah, car il y a dautres employés (et anciens employés) de Postes Canada dont les réputations sont mises en cause par les allégations se rapportant à leur action (ou inaction) à la suite de la plainte déposée par Mme Cassidy contre la Société canadienne des postes.

[23]           Je dois ajouter que la poursuite de la requête visant à rouvrir la cause de la plaignante parce quelle souffrait de TSPT na pas dintérêt pratique, compte tenu de ma conclusion – exposée plus loin dans les présents motifs – selon laquelle A. B. ne se trouvait pas à la succursale D de Willowdale (Willowdale D) à la suite de lincident des attouchements ou des commentaires ayant eu lieu vers midi le 9 novembre 2005; par conséquent, elle ne pouvait pas avoir assisté à la réunion prétendument tenue entre elle, Mme Cassidy, M. Tidman et M. Sultan. Par conséquent, la partie requérante naurait pas respecté le troisième volet du critère juridique exposé dans la décision Vermette, précitée. Les trois volets du critère sont les suivants :

[traduction]

1)                  il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il naurait pas été possible dobtenir les éléments de preuve pour présentation au procès;

2)                  les éléments de preuve doivent être susceptibles dinfluer substantiellement sur lissue de laffaire, quoiquils naient pas à être déterminants;

3)                  les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même sil nest pas nécessaire quils soient irrécusables.

[24]           Même si je nai pas reçu les observations finales de la plaignante, les témoignages oraux et la preuve documentaire présentés à laudience ainsi que les exposés des précisions et les formulaires de plainte mont permis de formuler des conclusions de fait et de droit et de trancher les questions se rapportant à la responsabilité et à la réparation. Une dernière remarque : mea culpa – il ma fallu dix mois depuis la clôture de la procédure le 19 janvier 2012 pour rédiger et publier lexposé de mes motifs. Je remercie les parties de leur patience.

IV.             Crédibilité

[25]           En ce qui a trait à la crédibilité, je me reporte à l’arrêt maintes fois cité Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 (Cour d’appel de la Colombie-Britannique) :

[traduction]

[…]

Les possibilités quavait le témoin dêtre au courant des faits, sa capacité dobservation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce quil a vu et entendu contribuent, de concert avec dautres facteurs, à créer ce quon appelle la crédibilité.

[…]

Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de lespèce. Bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, cest que son témoignage doit être compatible avec la prépondérance des probabilités quune personne pragmatique et bien renseignée reconnaîtrait aisément comme raisonnable dans ce lieu et dans ces conditions.

[26]           Je me suis efforcé de suivre lapproche ci-dessus. À titre darbitre, je suis conscient que la salle daudience est un environnement artificiel où les témoins réagissent de manières différentes et personnelles au stress davoir à témoigner, etc. Par conséquent, leur comportement nest quun des indices quant à la crédibilité. Ce qui compte davantage c’est le contenu de leur témoignage, ce quils ont fait, ce quils ont dit et écrit (car la preuve documentaire est importante aussi) au sujet des événements passés qui constituent lobjet de la plainte sur laquelle je dois rendre une décision, et comment leur témoignage se tient dans le contexte de lensemble de la preuve présentée. Je souhaite également ajouter qu’arriver à la conclusion quun témoin est crédible ou pas ne revient pas nécessairement à dire que tout ce que ce témoin a dit ou écrit est admis ou rejeté. Un témoin peut être sincère, tout en ayant tort au sujet des faits. Jai tâché de tirer le sens de tous ces éléments de preuve et de formuler des conclusions de fait concernant ce qui sest véritablement produit.

[27]           Dans les présents motifs, je formulerai des conclusions quant à la crédibilité lorsque jaborderai les diverses allégations. Toutefois, jaimerais signaler que jai eu de sérieux doutes au sujet de la crédibilité et de la fiabilité de deux principaux témoins dans la présente affaire : Mme Cassidy et M. Thambirajah. Mme Cassidy répondait parfois de manière évasive et demandait quon lui répète les questions à plusieurs reprises. Le témoin Cam Tidman a affirmé que la plaignant nest pas une [traduction] « grande communicatrice ». Jen ai tenu compte. Je conclus également que son témoignage sur des questions clés comportait des contradictions et des omissions. Ce quelle a dit à laudience ne correspondait pas à ce quelle a dit à Postes Canada ou à la Commission, verbalement ou dans ses documents. Je fournirai des exemples plus loin dans les présents motifs. Sur certains points, je dois conclure quelle a fabriqué, embelli ou exagéré des choses. Mon doute est tel que jhésite à admettre son témoignage sur des questions importantes contestées à moins davoir une forte preuve corroborante.

[28]           Je doute aussi de la crédibilité et de la fiabilité de M. Thambirajah. Sur certaines questions, il sest contredit durant son propre témoignage. Mentionnons à titre d’exemple son témoignage à laudience au sujet de lallégation de représailles dans le parc de stationnement, ainsi que ce qui s’est réellement produit le 9 novembre 2005. Même si langlais nest pas sa langue maternelle, je suis convaincu quil maîtrise suffisamment bien langlais pour participer à laudience, y compris pour témoigner. Il est vrai quil a un accent prononcé et que les avocats, les témoins et moi avions de la difficulté à le comprendre. Toutefois, il ne faut pas confondre le fait davoir un accent prononcé avec une difficulté à comprendre une langue ou à sexprimer dans cette langue. M. Thambirajah est au Canada depuis plus de 30 ans, travaille à Postes Canada depuis 22 ans et est délégué syndical au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) chez Postes Canada depuis 1998. À ce titre, il est appelé à interpréter des documents juridiques complexes tels que la convention collective et une multitude de politiques et de règles organisationnelles et syndicales. Il communique en anglais et rédige également ses journaux et ses documents de travail en anglais.

[29]           Jai aussi eu des doutes au sujet du témoignage de John Pyziak. Bien que certains éléments de son témoignage étaient crédibles et fiables, dautres ne létaient pas. Par exemple, il a donné quatre versions différentes de ce qui est arrivé le 9 novembre 2005, qui se trouvent dans : sa déclaration à Kelly Edmunds, chargée de lenquête relative aux droits de la personne à Postes Canada; sa déclaration à lenquêteur de la Commission; ses déclarations lors dune conversation enregistrée avec M. Thambirajah; et son témoignage à laudience.

[30]           Par contre, jai trouvé que les témoins de Postes Canada étaient crédibles et que leurs témoignages étaient assez fiables ou exacts. En particulier, Mme Edmunds et Cam Tidman, chef de service à la retraite, ont témoigné longuement et avaient joué des rôles de premier plan dans les événements décrits ci-après. Ils se sont révélés des témoins crédibles.

V.                Conclusions de fait

[31]           Mme Cassidy était factrice suppléante chez Postes Canada en 2005, affectée à Willowdale D. Elle est encore employée par Postes Canada. Au besoin, elle remplaçait les facteurs réguliers et effectuait leurs itinéraires. Elle navait pas son propre itinéraire; elle pouvait être affectée à divers itinéraires et à différents bureaux de service. M. Thambirajah travaillait comme facteur chez Postes Canada depuis 2005 au même emplacement que Mme Cassidy. Il était également délégué syndical.

A.                Le 9 novembre 2005 : lincident de lattouchement et du commentaire

[32]           Voici la genèse des plaintes de Mme Cassidy. Le ou vers le 9 novembre 2005, elle se trouvait à la succursale et parlait avec un collègue, John Pyziak. Mme Cassidy ne se souvient pas de la date exacte et ne la jamais consignée par écrit. Toutefois, selon son témoignage, elle était [traduction] « certaine que cétait au début de novembre » en 2005. À la lumière de la preuve documentaire, y compris des calendriers, je conclus que lincident est vraisemblablement survenu le 9 novembre 2005. Selon la plaignante, [traduction] « il était vers midi, […] les après-midi après le trajet [postal] […] il arrivait souvent que Raj [Thambirajah] reste un peu à la succursale après sa journée de travail ». Lheure est importante, comme nous le verrons plus tard lors de lexamen du témoignage dA. B., qui a affirmé que lincident sétait produit tôt le matin avant que les facteurs neffectuent leurs itinéraires. Je conclus quil était près de midi lorsque lincident est survenu.

[33]           Mme Cassidy a mentionné que la première description de lincident du 9 novembre 2005 (y compris la date) se trouvait dans un de ses journaux. Jai examiné les six journaux présentés en preuve. Ils comptaient des centaines de pages au total. Je nai relevé aucune description de lévénement, ni de date. Elle a affirmé que cette description se trouvait dans le journal quelle avait remis à l’enquêteur, M. Cecile. Elle a affirmé que ce dernier ne lui avait pas rendu le journal. Selon le témoignage de M. Cecile, il avait examiné les journaux pour vérifier sils contenaient des renseignements pouvant mener, conformément à la demande de Mme Cassidy, à une accusation dagression sexuelle contre M. Thambirajah. Selon lagent, il ne se souvenait pas dun renvoi à une date exacte ou à une description des événements dans le journal. Sil avait relevé un tel renvoi, il aurait été contraint de le signaler dans son rapport et den aviser la Couronne pour quelle le communique à la défense; de plus, il aurait signalé la date précise dans le rapport de police. Il a mentionné avoir vérifié avec les responsables de la salle de conservation des biens saisis et des preuves; le journal ne sy trouvait pas non plus. Jadmets ce témoignage.

[34]           Parmi les éléments de preuve présentés, la première description écrite de lincident du 9 novembre 2005 se trouve dans la plainte de Mme Cassidy à Postes Canada en date du 25 avril 2006. Dans cette plainte, elle a écrit que M. Thambirajah avait abordé M. Pyziak et elle :

[traduction]

À un moment donné, mon collègue lui a demandé pourquoi il fixait ma poitrine. Puis, mon collègue a remarqué quun bouton de ma chemise était défait et me la signalé. Au moment où je me tournais pour attacher le bouton, Raj a dit – « je ne fixais pas sa poitrine, elle na même pas de seins ». Pendant quil le disait, il a tiré sur ma chemise de façon à plonger un regard derrière. Jétais très fâchée, gênée et consternée de ce qui venait darriver.

[35]           Dans sa plainte à la Commission, elle a écrit : [traduction] « En novembre 2005, pendant que je travaillais à Willowdale D, un collègue (Raj Thambirajah) a tiré sur ma chemise et la ouverte devant un autre collègue. »

[36]           Daprès la description de Mme Cassidy à laudience, elle parlait à M. Pyziak, avec qui elle était en bons termes. Elle plaisantait avec lui. À un moment donné, M. Thambirajah est arrivé et, aux dires de la plaignante :

[traduction]

Raj me fixait. Johnny lui a demandé ce quil fixait […] Il [M. Thambirajah] a répondu : elle na même pas de seins. Il [John Pyziak] ma dit que mes boutons étaient défaits. Au moment où je me tournais, il [Raj] a tendu les doigts et tiré ma chemise vers le bas […] et a plongé un regard derrière ma chemise […] Un des boutons sest défait. Jétais gênée et humiliée […] Mes seins étaient exposés. Je lui ai dit de ne plus jamais me toucher, je lai traité dimbécile. Il a tiré sur ma chemise et la ouverte, je voulais juste menfuir. Je me sentais humiliée. Raj a dit « elle na même pas de seins ». Jai dit que ça na pas dimportance, il naurait pas dû me toucher.

[37]           En contre-interrogatoire, on lui a demandé si elle avait dit quelque chose du genre [traduction] « jai de petits seins, on ma toujours taquinée à lécole secondaire à cause de cela », elle a répondu quelle ne sen souvenait pas. Mais elle a réitéré que M. Thambirajah avait tiré sur sa chemise et plongé un regard derrière. Quant à son affirmation que ses seins avaient été exposés, elle a affirmé quelle portait un soutien-gorge balconnet. À la barre des témoins, elle sest servie dune chemise de Postes Canada comme accessoire pour faire une démonstration de ce qui était arrivé. Elle a clairement montré comment un bouton sarrache lorsquon tire sur la chemise avec force, comme lorsque M. Thambirajah avait [traduction] « arraché » un des boutons et ouvert sa chemise.

[38]           Dans le rapport de police en date du 14 octobre 2006 lié à laccusation dagression sexuelle (R1-33), il y a la déclaration suivante :

[traduction]

[Après que M. Thambirajah sest joint à la conversation entre la plaignante et M. Pyziak…] Pendant ce temps, [expurgé par la police] a remarqué que [expurgé] fixait la poitrine de Mme Cassidy, [expurgé] puis a regardé Mme Cassidy et a constaté quun bouton de sa chemise était défait; Mme Cassidy sest tournée rapidement pour boutonner sa chemise et cest à ce moment que [expurgé] a affirmé : « je ne fixais pas sa poitrine, elle na même pas de seins ». Pendant que M. Thambirajah prononçait cette phrase, [expurgé] a tendu la main et saisi le haut de sa chemise de Mme Cassidy, puis la tirée vers le bas, faisant en sorte quun troisième bouton sest défait. Mme Cassidy était tellement gênée et consternée quelle sest tournée pour sen aller en traitant [expurgé] de trou-de-cul et en lui disant « ça démontre encore une fois pourquoi personne ne taime dans cette succursale ».

Le témoignage de M. Thambirajah sur cette question

[39]           Le témoignage de M. Thambirajah concernant ce qui était arrivé ce jour-là, si en fait quelque chose était arrivé, avait changé au terme de laudience. Lorsque Kelly Edmunds lavait questionné dans le cadre de son enquête en juin 2006, il avait nié lincident. Daprès lexposé des précisions de M. Thambirajah déposé à laudience, [traduction] « Lintimé reconnaît quil y a eu un contact inapproprié en novembre 2005, mais nie toute agression sexuelle envers la plaignante et, à ce quil se souvienne, lincident nétait quun échange de plaisanteries entre collègues ». Pour expliquer la position de son client à laudience, M. Platt a affirmé : [traduction] « Le conflit en milieu de travail survenu en avril 2006 a déclenché la plainte [relative à lincident du 9 novembre 2005]. Lincident du 9 novembre 2005 a eu lieu, mais pas de la façon décrite par Mme Cassidy. Il sagissait dun flirt consensuel ». Dans ses observations finales, M. Platt a écrit au paragraphe 6 de son sommaire : [traduction] « Ni la plaignante ni aucun des autres témoins, y compris M. Pyziak, na signalé dagression sexuelle à Postes Canada en novembre 2005 parce quil ny en a pas eu, à moins que leffleurement de la chemise de Mme Cassidy par lintimé puisse être considéré comme étant une agression sexuelle ».

[40]           Lors de linterrogatoire principal, M. Thambirajah a affirmé ce qui suit : [traduction] « En novembre 2005, il nest rien arrivé ». À la question de savoir sil était possible quil ait fait le commentaire du 9 novembre au sujet des seins de Mme Cassidy, il a répondu : [traduction] « Non, je ne fais [sic] jamais ça. Peut-être leffleurement avec la main. » Plus tard, en interrogatoire principal, M. Platt lui a demandé : en supposant que la version de lincident du 9 novembre 2005 soit exacte et quil avait touché Mme Cassidy de manière inappropriée et formulé le commentaire déplacé sur la taille de ses seins, le regrettait-il? Il a répondu par laffirmative. [traduction] « Présenteriez-vous vos excuses? », lui a demandé M. Platt. M. Thambirajah a répondu : [traduction] « Je présente mes excuses à quiconque croit que javais lintention de le toucher à des fins sexuelles […] mille excuses. »

[41]           Durant son témoignage en réponse aux questions de M. Machelak, M. Thambirajah a affirmé :

[traduction]

Il se peut quil y ait eu un contact, mais pas de nature sexuelle. Pour une raison quelconque, Johnny, qui était un bon ami, a accepté une entente avantageuse avec la direction […] pour me sortir de la succursale […] [Leffleurement] est arrivé avant ou après le 8 ou le 9 novembre. Ma main na pas eu de contact avec sa chemise, peut-être que jai effleuré Johnny.

Lorsque M. Machelak lui a demandé pourquoi il avait dit en interrogatoire principal quil sétait peut-être produit quelque chose et quil présentait ses excuses, lintimé à titre personnel a répondu : [traduction] « il est possible que jaie effleuré Johnny Pyziak, il est possible que jaie touché la main de Doris. Johnny la tenait dans ses bras. Il est possible que jaie touché le bras de Doris. »

[42]           En contre-interrogatoire, M. Thambirajah a convenu que lincident de lattouchement et du commentaire, prétendument survenu le 9 novembre 2005, aurait constitué un comportement déplacé si en fait une telle chose sétait produite. Toutefois, il a maintenu que [traduction] « cela nest pas arrivé ». Il nest pas clair ce quil entendait par [traduction] « cela » : voulait-il dire que lattouchement et le commentaire navaient jamais eu lieu? Ou quun attouchement de nature sexuelle navait jamais eu lieu? Ou que le commentaire (au sujet de la taille de ses seins, etc.) na jamais eu lieu? Lorsque M. Kelly a laissé entendre quil ne présentait pas vraiment ses excuses étant donné quil affirme navoir rien fait de mal, M. Thambirajah a reconnu que cétait vrai. [traduction] « Alors, pourquoi présenter des excuses? », lui a demandé M. Kelly. Lintimé à titre personnel a répondu : [traduction] « Il est possible que ce soit arrivé avant le 10 avril [2006]. On se taquinait, on riait […] on se lançait des jurons ». Poussé par M. Kelly à reconnaître que lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre avait peut-être eu lieu, M. Thambirajah a réagi : [traduction] « Non. On ma demandé de présenter mes excuses. Vaut mieux présenter des excuses si javais fait une telle chose. Jamais je ne me sens mal parce que je ne reconnais pas ce que je nai pas fait. Personne ne vit dans un monde parfait […] Encore une fois, si une telle chose est arrivée, je présenterai mes excuses. Langlais nest pas ma langue maternelle. Si javais effleuré son corps, mais pas sa poitrine, je présenterais mes excuses. » Plus tard, il a affirmé : [traduction] « Je me sentirais mal si je lavais touchée intentionnellement ». Il a également affirmé quil était la [traduction] « victime » dans cette affaire et que [traduction] « toute la vérité sortira un jour ».

[43]           M. Thambirajah a ensuite affirmé quil était possible, comme lavait soutenu M. Pyziak, quil ait [traduction] « effleuré » la poitrine de Mme Cassidy avec la main : [traduction] « Il est possible que son souvenir soit exact ». Puis, il a affirmé quil pouvait [traduction] « garantir » et quil était [traduction] « certain à 100 pour 100 » que lincident nétait pas survenu le 8 ou le 9 novembre 2005, car il nest pas consigné dans son journal [ni dans celui de Mme Cassidy, dailleurs]. Son journal signale une rencontre entre lui, Mme Cassidy et la défunte Ann Jones, une collègue de travail, le 8 novembre, mais aucune rencontre avec Mme Cassidy le 9 novembre.

Le témoignage de John Pyziak sur cette question

[44]           M. Pyziak est le seul tiers qui ait vu ce qui est arrivé ce jour-là. M. Thambirajah a affirmé que M. Pyziak et lui étaient [traduction] « de très bons amis » et que M. Pyziak avait dirigé sa campagne lors de son élection à titre de délégué syndical. Selon M. Pyziak, ils étaient amis jusquà ce que lintimé [traduction] « change » après avoir obtenu le poste de délégué syndical. Il est demeuré en bons termes avec M. Thambirajah par la suite. Il était également en bons termes avec la plaignante.

[45]           M. Pyziak a affirmé que le jour en cause :

[traduction]

Raj voulait aller fumer avec moi […] Ce nétait pas intentionnel, mais il a mis la main sur la chemise de Doris […] Jétais stupéfié. Je ne sais pas ce que Raj avait en tête. Doris a réagi en faisant une farce, « dans ma famille, les femmes nont pas de poitrine », mais elle a rougi, elle était très surprise, elle était gênée. Elle ne la pas giflé ou quelque chose du genre […] Le geste lavait rendue nerveuse. Elle a ri nerveusement.

M. Pyziak a affirmé que, après lincident, il est allé à la plate-forme arrière avec M. Thambirajah et celui-ci a dit [traduction] « Ah, ce nest rien. Il a tout simplement fait comme si de rien nétait. »

[46]           En contre-interrogatoire, M. Pyziak a affirmé avoir signalé à Postes Canada dans une entrevue : [traduction] « Ce quil a fait ma stupéfié. Il a tendu la main et a dit en plaisantant quelle navait pas de poitrine […] Il a fait un geste deffleurement. Sa main a touché la chemise de Doris. » Plus tard en contre-interrogatoire, il a affirmé : [traduction] « Il la effleurée de la main, a dit quelle navait pas de poitrine, et sa main a touché sa poitrine. Il na pas saisi ses seins. Il a touché le haut de son corps. » En réponse à la suggestion quil ne savait pas si le geste avait été accidentel, en réponse à laffirmation que Mme Cassidy navait pas giflé lintimé, mais avait plutôt fait une farce, et en réponse à la question de savoir pourquoi il avait trouvé le geste [traduction] « totalement déplacé », il a répondu [traduction] « ce que Raj a fait – le coup d’œil, leffleurement et le commentaire selon lequel elle navait pas de poitrine – était déplacé. Ce quil a fait ma stupéfié. » Il a également reconnu ne pas être resté auprès delle après lincident : [traduction] « je serais resté avec elle si elle avait été bouleversée ».

[47]           Daprès les notes de Mme Edmunds rédigées à la suite de son entrevue avec M. Pyziak le 12 juillet 2006, ce dernier avait affirmé :

[traduction]

Il [M. Thambirajah] fixait Doris (à la hauteur de sa poitrine). Elle sest rendu compte quun bouton de sa chemise était défait et, lorsquelle la boutonné, Raj a tendu la main vers elle et a accroché la chemise avec son index, puis a tiré la chemise vers lui et a plongé un regard derrière. Doris ne savait pas quoi faire ou quoi dire, alors jai limpression que, à cause de nervosité, elle a dit « Oh, jai de petits seins. On ma toujours taquinée à lécole secondaire à cause de cela […] » ou quelque chose du genre. Ensuite, il est parti. Jai regardé Doris et je lui ai dit : « peux-tu croire ce quil vient de te faire? » Peu après, sur la plate-forme, jai vu Raj et je lui ai dit : « je ne peux pas croire que tu as fait ça ». Je pense que Raj était conscient de ce quil venait de faire et a tenté de minimiser son geste en disant : « Oh, ce nest rien » et en faisant peu de cas de la situation.

[48]           La déclaration écrite de M. Pyziak à la Commission en date du 19 septembre 2007 a été fournie par Mme Cassidy; cette déclaration était jointe à une lettre de Mme Cassidy à la Commission après le dépôt de sa plainte. Dans cette déclaration, M. Pyziak a écrit :

[traduction]

Jai remarqué quil fixait la chemise de Doris, alors je lui ai demandé ce quil regardait. Il répond [sic] « rien, elle na même pas de seins », je ne pouvais pas croire ce quil venait de faire. En me retournant, jai remarqué que le bouton du haut de la chemise de Doris était défait et je le lui ai dit. Gênée, elle voulait se tourner rapidement pour le boutonner, mais na pas eu le temps parce que Raj a tendu la main et arraché un autre bouton, exposant la poitrine de Doris […]

Selon les notes dentrevue de lenquêteur de la Commission en date du 12 septembre 2008, M. Pyziak a affirmé : [traduction] « […] Je parlais à Doris et Raj a accroché la chemise de Doris avec son doigt et la tirée vers lui et a dit “pas de seins”. Doris a rougi et était gênée […] »

[49]           En contre-interrogatoire, M. Pyziak a reconnu que sa déclaration écrite en date du 19 septembre 2007 transmise à la Commission par Mme Cassidy différait dans sa description des événements du 9 novembre 2005 en comparaison avec ses déclarations à Postes Canada et à lenquêteur de la Commission. On lui a souligné que la déclaration à la Commission en date du 19 septembre 2007 [traduction] « embellissait » les événements. Il a répondu : [traduction] « je ne lai pas tapée. Je ne me souviens plus qui me la remise »; toutefois, il a reconnu que la déclaration porte sa signature. Le passage [traduction] « […] Raj a tendu la main et arraché un autre bouton, exposant la poitrine de Doris » ne correspond pas à ce quil a vu ce jour-là. Il a répondu : [traduction] « Exactement ». Puis, lavocat de lintimé a dit : [traduction] « Mais vous lavez signée. » [traduction] « Cest possible », a répondu M. Pyziak. [traduction] « Doris la écrite et vous a demandé de la signer et de lenvoyer à la Commission des droits de la personne », a affirmé lavocat de lintimé. [traduction] « Je ne me souviens pas », a répondu le témoin.

[50]           Des conversations enregistrées les 7 et 8 septembre 2006 (à linsu de M. Pyziak) entre lintimé à titre personnel et M. Pyziak ont également été présentées en preuve. La qualité de lenregistrement nest pas bonne et certaines sections sont inaudibles. Toutefois, on entend clairement M. Thambirajah poser des questions à M. Pyziak sur ce qui est arrivé le 9 novembre 2005. Dans la première partie, M. Pyziak affirme que M. Thambirajah [traduction] « na pas saisi ses seins. Ça ne la pas dérangée. Cest des conneries […] quatre mois plus tard, elle veut porter des accusations contre toi » [en fait, cinq mois et demi sétaient écoulés entre lincident du 9 novembre 2005 et la plainte écrite de Mme Cassidy en date du 25 avril 2006 à Postes Canada]. Sur lenregistrement du lendemain [encore une fois, M. Pyziak ne sait pas que leur conversation est enregistrée], il a répété : [traduction] « Tu nas pas saisi ses seins […] Il ne va rien se passer. Ça fait trop longtemps […] Elle revient plus tard parce quelle est fâchée au sujet de quelque chose » [avoir fait lobjet dune mesure disciplinaire en compagnie de M. Thambirajah pour avoir crié et proféré des jurons en avril 2006]. M. Thambirajah affirme ensuite : [traduction] « Elle le fait pour obtenir un avantage […] annuler le travail que jai fait pour le syndicat […] Je ne veux pas être la victime à cause de mon engagement syndical ». M. Pyziak affirme plus loin : [traduction] « Cest une grosse connerie […] Pourquoi elle na pas déposé de plainte à la direction à lépoque? Cest tout ce que tu as à leur dire. » Plus loin, M. Pyziak affirme : [traduction] « Ann Jones, la maudite vache […] tu as eu des problèmes avec elle. Cest elle [Mme Jones] qui a poussé cette femme [Mme Cassidy]. » M. Thambirajah a répondu : [traduction] « Cest comme ça que ça se passe. »

[51]           En contre-interrogatoire, relativement à la conversation enregistrée le 8 septembre 2006, M. Pyziak a été prié dexpliquer ce quil voulait dire quand il répétait constamment : [traduction] « cest une connerie […] » Il a répondu : [traduction] « Il ma posé la question une trentaine de fois, ma questionné constamment au sujet de ce qui est arrivé […] Il ne lâche jamais : trente-deux fois il ma demandé : “de quelle façon je lai touchée?” » Confronté au fait quil avait dit au moins huit fois que le geste commis lors de lincident était [traduction] « pour plaisanter », et que pourtant il avait donné une version différente aux responsables de Postes Canada et de la Commission, M. Pyziak a répondu :

[traduction]

Je cède aux pressions exercées par Raj […] Il me harcelait pour que je fasse les choses à sa façon […] Pour quil me laisse tranquille, lui donner raison, cest le genre de personne quil est […] il ma menacée une fois, mon poste […] ça fait partie de la culture dont il est issu, cest lhomme qui décide [se tournant vers M. Thambirajah dans la salle daudience :] Pourquoi tu nas pas tout simplement présenté tes excuses pour ton geste? Ce nest pas dans sa personnalité […] Pour que ce gars-là te laisse tranquille, tu devais jouer selon ses règles. Voilà la vérité […] Jétais surpris quil se soit présenté [en personne le 8 septembre]. Cest comme ça quil faut agir avec lui. Tu te plies à ces exigences.

Toutefois, comme M. Machelak la signalé au témoin, cest lui qui avait invité M. Thambirajah à venir le rencontrer le 8 septembre.

[52]           Quand je lui ai demandé ce quil entendait par [traduction] « cest une connerie […] », le témoin a répondu que la [traduction] « connerie » nétait pas la plainte de Mme Cassidy et lallégation concernant lincident du 9 novembre 2005, mais le harcèlement de M. Pyziak par M. Thambirajah lors des conversations enregistrées : cest-à-dire le fait de lui demander une trentaine de fois ce qui était arrivé. M. Machelak la interrogé sur ce point : [traduction] « Êtes‑vous en train de dire quil a arrêté lenregistreuse, que vous avez dit “arrête de me harceler” et quil a coupé des bouts de votre conversation et a conservé seulement la partie où vous dites “cest une connerie […] quatre mois” […] quil a manipulé lenregistrement? » Étonnamment, M. Pyziak a répondu : [traduction] « Il en serait capable. Je lui disais tout ce quil voulait entendre. Cest pourquoi je nai pas dennuis avec lui. Je suis toujours daccord avec lui. » M. Pyziak a également affirmé que lintimé avait probablement arrêté lenregistrement par moments.

B.                 Le rapport denquête de Postes Canada

[53]           Dans son rapport denquête en date du 1er septembre 2006, Mme Edmunds a conclu que la plainte de Mme Cassidy était fondée. Selon le rapport, le récit du [traduction] « témoin A » (M. Pyziak) [traduction] « corrobore » la version de Mme Cassidy de lincident du 9 novembre 2005. Mme Edmunds a écrit :

[traduction]

Ce témoin corrobore également que le mis en cause a tendu la main, tiré sur la chemise avec son index et plongé un regard derrière. Même si le témoin ne se souvenait pas si le mis en cause avait proféré des paroles telles que « je ne fixais pas sa poitrine, elle na même pas de seins », il se souvient que la plaignante semblait abasourdie et stupéfaite […]

[54]           Dans son rapport, Mme Edmunds signale aussi que M. Thambirajah niait quil y ait eu un tel incident et soutenait ne pas avoir travaillé à Willowdale D pendant une partie du mois de novembre 2005. Dans le rapport, Mme Edmunds précise que, selon les registres des présences de Postes Canada pour le mois de novembre 2005, M. Thambirajah se trouvait à Willowdale D tous les jours, pour la journée entière ou pour une partie de la journée, sauf le 2 et le 21 seulement.

C.                Conclusions concernant lincident du 9 novembre 2005

[55]           À la lumière de ce qui précède, je ne peux admettre de manière intégrale aucune des versions de lincident présentées par les trois personnes qui y étaient présentes – soit Mme Cassidy, M. Thambirajah et M. Pyziak. Le témoignage de Mme Cassidy ne cadre pas avec ses déclarations précédentes et dautres éléments de preuve documentaires. Le témoignage de M. Pyziak atténue lincident : un [traduction] « effleurement » de la chemise à la hauteur de la poitrine plutôt que laccrochage de la chemise avec lindex pour la tirer vers lavant et plonger un regard derrière. Il ressort clairement des conversations enregistrées que M. Pyziak disait à M. Thambirajah ce que ce dernier espérait entendre, par exemple : [traduction] « cest une connerie, Raj » – faisant renvoi au fait que la plainte navait été déposée quen avril 2006. Il est clair que M. Pyziak était de mauvaise foi. De plus, il y a des divergences entre ce quil a dit à Mme Edmunds et son témoignage.

[56]           Quen est-il de la description des événements du 9 novembre 2005 selon M. Thambirajah? Elle va de la dénégation catégorique au quasi-aveu dun attouchement. Je fais abstraction des observations de M. Platt (qui ont varié grandement du début de laudience à la présentation des observations finales) et du contenu de lexposé des précisions. M. Thambirajah sest contredit durant son témoignage, lors de son interrogatoire principal et de son contre‑interrogatoire – il y avait même des contradictions entre divers passages de son contre‑interrogatoire. Au bout du compte, je constate quil est passé de la dénégation complète de lincident dans sa déclaration à Mme Edmunds à son témoignage selon lequel lattouchement ou [traduction] « leffleurement » de la chemise de Mme Cassidy à la hauteur de sa poitrine est peut-être survenu accidentellement. Toutefois, daprès lui, sil a touché la plaignante, il navait pas lintention de la toucher à des fins sexuelles. Doù la présentation de ses excuses qui nétaient pas vraiment des excuses, lors de son interrogatoire principal et du contre-interrogatoire mené par M. Kelly. Je conclus que, durant son témoignage, M. Thambirajah a fait un aveu de facto quil y avait eu un attouchement quelconque. De plus, M. Pyziak a témoigné que, durant les conversations enregistrées en septembre 2006, lintimé à titre personnel lui avait demandé trente‑deux fois de quelle manière il avait touché Mme Cassidy. En ce qui a trait à la remarque [traduction] « elle na même pas de seins », il a catégoriquement nié lavoir faite. Il ny a pas eu de quasi-aveu, même pas un aveu assorti de nuances ou de réserves, à ce chapitre.

[57]           À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que le 9 novembre 2005 ou vers cette date, M. Thambirajah a touché de la main la chemise de Mme Cassidy à la hauteur de la poitrine, tout en faisant un commentaire sur la taille de ses seins. Il y a eu un contact physique entre sa main et la chemise à la hauteur de la poitrine. Je nai pas à décider sil sagissait dun [traduction] « effleurement » ou dun [traduction] « léger attouchement ». Le geste nétait pas accidentel. Il sagissait dun contact déplacé intentionnel avec la chemise de Mme Cassidy à la hauteur de la poitrine, accompagné dun commentaire déplacé de nature sexuelle concernant la taille de ses seins. Jaborderai les répercussions juridiques de cette conclusion plus loin dans les présents motifs.

La réaction de Mme Cassidy

[58]           Je suis convaincu que Mme Cassidy a dit une plaisanterie au sujet des femmes dans sa famille qui ont peu de poitrine, mais quelle a aussi avisé M. Thambirajah que lattouchement et le commentaire nétaient pas appréciés. Jadmets également que M. Pyziak a fait une remarque à ce moment-là à Mme Cassidy et par la suite à M. Thambirajah, signalant clairement à tous les deux quil était [traduction] « stupéfié » par ce qui venait de se produire. Selon le témoignage de Mme Cassidy, elle a, le jour même, porté plainte contre M. Thambirajah à ses superviseurs, Cam Tidman et Moe Sultan. Jexaminerai cette question plus loin dans la présente section.

D.                Du 10 novembre 2005 au 9 avril 2006 : linteraction entre la plaignante et lintimé

[59]           Il y a eu une certaine interaction entre Mme Cassidy et M. Thambirajah durant la période qui a suivi lincident de lattouchement et du commentaire. Dans son témoignage, Mme Cassidy a affirmé quil la narguait ou la [traduction] « harcelait » fréquemment : [traduction] « presque tous les jours au travail, il faisait quelque chose » [durant la période du 9 novembre 2005 à 2006]. Elle soutient que, en décembre 2005, elle est presque tombée dans un bac à courrier au bureau de service et M. Thambirajah a dit : [traduction] « au moins, tu as un cul ». M. Thambirajah a nié lincident. Rien ne corrobore cet incident. Je ne suis pas disposé à conclure quil sest produit.

[60]           Quelle relation avaient-ils avant le 9 novembre 2005? Je conclus que la plaignante et lintimé à titre personnel étaient en bons termes. Ils nétaient pas dans un état de conflit permanent en milieu de travail. Ni lun ni lautre ne contestent quil en était ainsi avant le 9 novembre 2005. Par exemple, jadmets que la note suivante tirée du journal de M. Thambirajah, en date du 8 novembre 2005 (soit la veille de lincident de lattouchement et du commentaire) : [traduction] « Doriss [sic] est venue faire un tour et a plaisanté avec moi […] »

[61]           Durant la période après lincident du 9 novembre 2005 jusquau 10 avril 2006 (soit la date de lescalade du conflit), comment était leur relation au travail? Il y avait des éléments de preuve contradictoires à ce sujet. Malgré lincident du 9 novembre 2005 (que, selon ma conclusion ci-dessus, Mme Cassidy na pas apprécié), je conclus que Mme Cassidy et M. Thambirajah nétaient pas dans un état de conflit permanent. Comme la signalé Postes Canada, elle na pas pris un seul jour de congé à la suite de lincident du 9 novembre et na inclus aucune journée de ce genre dans sa réclamation pour perte de salaire contre Postes Canada relativement à cette période (pièce C1-31). La première journée signalée dans cette réclamation est le 12 avril 2006. Les notes cliniques détaillées de son médecin de famille, le docteur Ung, ne font état daucun conflit entre elle et M. Thambirajah durant cette période.

[62]           De plus, je conclus quelle a demandé laide de M. Thambirajah à plusieurs reprises durant cette période, malgré ses affirmations selon lesquelles elle avait peur de lui durant cette période. Par exemple, M. Thambirajah a témoigné que, le 15 novembre 2005 – moins dune semaine après lincident du 9 novembre –, Mme Cassidy lavait abordé pour quil laide à remplir un formulaire de congé (pièce RT1-10, p. 10). Lécriture sur ce formulaire est celle de lintimé. Elle a nié avoir jamais demandé laide de lintimé durant cette période. Toutefois, en contre interrogatoire, elle a répondu : [traduction] « je ne sais pas, ce nest pas mon écriture ». Plus tard, elle a dit : [traduction] « Je ne suis pas une experte en graphologie, cest possible. Il est certain que je ne lui aurais pas demandé de laide à cause de lincident survenu ce mois-là [le 9 novembre]. » Plus tard encore, elle a affirmé : [traduction] « je nirais pas voir Raj pour obtenir de laide. Jaurais demandé à Steward, à Ann Jones ou à Cam […] Je ne lui ai pas demandé [à M. Thambirajah]. » Je ne crois pas que M. Thambirajah aurait rempli ce formulaire sans raison et sans que Mme Cassidy lui ait demandé son assistance. Le formulaire porte la signature de Mme Cassidy.

[63]           Jadmets également la preuve selon laquelle M. Thambirajah a aidé la plaignante le 29 décembre 2005. La note dans son journal pour cette date indique que : [traduction] « Dorris [sic] a dit quelle avait une migraine, alors je lui ai trouvé un suppléant pour laprès-midi ». Cela tend à confirmer que Mme Cassidy navait pas peur de M. Thambirajah à lépoque et quelle était en bons termes avec lui, malgré lincident du 9 novembre. Elle a fait appel à son assistance à titre de délégué syndical. Il convient de préciser quil ny avait rien dinapproprié dans le fait quelle ait demandé de laide à son délégué syndical et collègue.

[64]           Les entrées dans le journal de M. Thambirajah pour le 3 et le 10 janvier 2006 indiquent quil prêtait assistance à Mme Cassidy. Lentrée du 10 janvier faisait état dun commentaire inapproprié de Mme Cassidy au sujet dun employé handicapé. M. Thambirajah lui a demandé de présenter ses excuses et il na pas signalé lincident à la direction. La plaignante reconnaît que cet incident sest produit. Si leur relation avait été empoisonnée à ce moment-là, le moment aurait été bien choisi pour M. Thambirajah de signaler Mme Cassidy à la direction. Il ne la pas fait.

[65]           Du 19 janvier 2006 au 20 mars 2006, la plaignante sest absentée du travail à cause dune blessure à lépaule.

E.                 Le conflit sintensifie en avril 2006

[66]           Selon la thèse de la défense de M. Thambirajah, le conflit entre lui et Mme Cassidy sest amorcé en avril 2006. Jai déjà conclu que lincident de lattouchement et du commentaire déplacés a eu lieu le 9 novembre 2005. Je conclus également que, dans une large mesure, leur relation était cordiale durant la période qui a suivi cet incident jusquau 10 avril 2006. Cest à ce moment-là que le conflit sest intensifié entre eux. Quest-il arrivé?

[67]           Il nest pas contesté que, le 10 avril 2006, la plaignante et lintimé à titre personnel se sont échangés des jurons au sujet de la livraison de circulaires. Mme Cassidy devait remplacer M. Thambirajah et effectuer son itinéraire. Selon le témoignage de lintimé à titre personnel, quand il lui a demandé de livrer les circulaires, Mme Cassidy lui a répondu : [traduction] « Va te faire foutre ». Selon la plaignante, il lui a répondu dans la même veine. Le lendemain, ils se sont disputés lors dune réunion syndicale et Mme Cassidy a demandé à un autre collègue daccompagner M. Thambirajah à lextérieur de la salle, sinon elle allait [traduction] « porter des accusations » contre lui. Le 12 avril 2006, ils ont eu une nouvelle dispute. M. Thambirajah a lancé des jurons à Mme Cassidy et elle a pris un congé de maladie pour le reste de la journée.

[68]           Mme Cassidy allègue que, le 18 avril 2006, M. Thambirajah [traduction] « ma touchée, ma donné une tape sur le derrière » et a dit [traduction] « au moins, tu as un cul ». Une autre fois, selon la plaignante, il a parlé de lui [traduction] « prendre » [les fesses]. Daprès la plaignante, il sagissait du plus troublant de ses torts envers elle après lincident du 9 novembre 2005. M. Thambirajah rejette cette accusation. En contre-interrogatoire, priée dexpliquer pourquoi elle navait pas signalé cet incident grave de lattouchement de son derrière dans sa plainte écrite à Postes Canada en date du 25 avril 2006 (seul le commentaire y figure), ou pourquoi elle navait pas déposé daccusations criminelles, elle a répondu : [traduction] « parfois on frappe un mur, ça ne sert à rien de continuer ». Toutefois, tel que je lai déjà signalé, elle na pas hésité à faire valoir ses droits à dautres moments et relativement à des infractions moins graves. En fait, elle na même pas fait allusion à lincident de la tape ou de lattouchement dans son interrogatoire principal. Finalement, en ce qui a trait à son omission de le signaler dans sa plainte à Postes Canada en date du 25 avril 2006, elle a dit : [traduction] « si je ne lai pas signalé, cétait un gros oubli de ma part ». Plus tard, elle a affirmé quil était [traduction] « plus probable » que [traduction] « la tape sur le derrière » sest produite en décembre 2005, plutôt que le 18 avril 2006, [traduction] « parce que cest à ce moment-là que tout se passait ». Lavocat de lintimé a noté quelle navait travaillé en même temps que M. Thambirajah que pendant deux jours en décembre 2005 et quelle ne lavait peut‑être pas croisé durant ces deux jours. Je conclus quelle a répondu de manière évasive durant cette partie de son témoignage et que son témoignage manquait de crédibilité. Elle ne se souvient pas dun incident dattouchement sexuel comme celui-là, mais se rappelle le commentaire moins intrusif. Et pourtant, elle fait état de torts beaucoup moins graves commis contre elle par M. Thambirajah (ne comportant pas dattouchement) dans sa plainte en date du 25 avril 2006. Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas prêt à conclure que cet incident sest déroulé tel que Mme Cassidy la décrit.

[69]           Le prochain incident important sest produit le 19 avril 2006. Des collègues de travail ont entendu une dispute entre Mme Cassidy et M. Thambirajah : ils criaient et se lançaient des jurons dans le couloir à Willowdale D. La dispute sest envenimée au point où certains collègues se sont plaints auprès du chef de service Cam Tidman. Il est intervenu. M. Tidman les a convoqués tous les deux pour des entrevues et leur a imposé des mesures disciplinaires. Il leur a décerné une mise en garde, quil a versée dans leurs dossiers respectifs. Durant son témoignage, Mme Cassidy a affirmé que cette mise en garde lavait beaucoup vexée, car il était injuste quelle subisse une mesure disciplinaire pour cet incident, même si elle admet avoir lancé des jurons à lintimé à titre personnel dans le couloir. Elle était vexée à cause de ce que, selon elle, il lui avait fait subir auparavant, plus précisément, lincident du 9 novembre 2005 et [traduction] « le harcèlement continuel ».

[70]           Selon le témoignage de M. Tidman, à la suite de lincident des jurons en avril, Mme Cassidy lui avait dit : [traduction] « tu tattends à ce que j’effectue l’itinéraire, mais lui il ne coopère pas ». Elle na pas fait renvoi à lincident du 9 novembre 2005 ou à la promesse non tenue de Postes Canada de régler le problème à linterne. Selon M. Tidman, il ne pouvait pas ignorer lincident des cris et des jurons du 19 avril 2006, ni omettre de prendre des mesures appropriées. Et cet incident nest pas plus grave que celui de lattouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005.

F.                 La plainte écrite à Postes Canada en date du 25 avril 2006

[71]           Il sagit dune date importante dans la présente affaire. Ce jour-là, Mme Cassidy a présenté à M. Tidman une plainte écrite concernant lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre 2005 et dautres allégations de harcèlement continu de la part de M. Thambirajah. Selon Mme Cassidy, après lincident du 9 novembre 2005, elle a attendu pendant cinq mois et demi que Postes Canada règle la situation, mais en vain. Daprès Mme Cassidy, quand elle a porté plainte le 9 novembre à M. Tidman et à M. Sultan, ils lui ont dit quils sen occuperaient et quil était préférable de régler laffaire à linterne. M. Sultan na pas témoigné. Pour ce qui est de M. Tidman, il a affirmé avec véhémence avoir pris connaissance pour la première fois le 25 avril 2006 de lincident survenu le 9 novembre 2005.

G.                Est-ce que Postes Canada était au courant de lincident du 9 novembre avant le 25 avril 2006?

[72]           Durant son témoignage, Mme Cassidy a fermement maintenu quelle sétait rendue toute seule le 9 novembre 2005 au bureau que partageaient M. Tidman et M. Sultan et quelle leur avait raconté ce qui venait de se passer. Je note quil ny a aucun renvoi à cette rencontre avec ses superviseurs dans ses journaux volumineux et détaillés. Jexaminerai plus loin son allégation en date du 31 mai 2010, déposée après avoir mis fin à la présentation de sa preuve, selon laquelle une employée dun autre bureau de service, A. B., lavait accompagnée au bureau de M. Tidman et de M. Sultan et avait assisté à cette rencontre.

[73]           M. Tidman a longuement répondu aux questions sur ce point lors de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire. Il a maintenu sans jamais reculer son affirmation selon laquelle cétait le 25 avril 2006, et non le 9 novembre 2005, quil avait pris connaissance de lincident pour la première fois et que cela lavait renversé. Il a déclaré :

[traduction] 

Elle nest pas venue me voir [le 9 novembre 2005 ou à un autre moment] et il est certain que personne na dit quoi que ce soit au sujet dune agression ou dattouchements sexuels. Moe et moi partagions le même bureau […] Non, pas du tout [en réponse à la question de savoir si Moe Sultan lui avait parlé de cet incident ou si Mme Cassidy était venue le voir]. Moe et moi, on sentendait bien. Sil y avait eu un problème, jen aurais entendu parler.

Il a mentionné que Mme Cassidy venait parfois lui parler, mais cétait au sujet de ses problèmes personnels, comme la maladie chronique de sa fille.

H.                Les mesures prises par M. Tidman après avoir reçu la plainte du 25 avril et la « comédie des erreurs » subséquente

[74]           Selon le témoignage de M. Tidman, le 25 avril 2006 a été [traduction] « la première fois que jai eu connaissance de cet incident et jai eu un choc. Je navais jamais eu à faire face à une telle situation dans ma vie professionnelle. Jai envoyé un courriel à Kelly [Edmunds], lavisant que javais reçu une plainte relative aux droits de la personne, plus sérieuse que celles dont on soccupe habituellement […] et qu’il était donc préférable de la confier aux spécialistes. »

[75]           M. Tidman a également affirmé que le problème entre la plaignante et lintimé à titre personnel [traduction] « sest manifesté pour la première fois en avril 2006 avec cette engueulade. Je nétais pas au courant de lattouchement [survenu le 9 novembre 2005] jusquà la présentation de la plainte en avril. Je serais sorti de mes gonds si quelquun mavait dit que quelquun avait physiquement agressé Doris. » Selon M. Tidman, la stratégie que Moe Sultan et lui avaient adoptée pour gérer les conflits consistait à demander aux employés de trouver une solution eux-mêmes. Sils ny parvenaient pas, M. Sultan ou lui intervenait et imposait une solution. Toutefois, il a affirmé de manière catégorique que cette approche ne sappliquait quaux affaires graves, telles que [traduction] « les batailles, le harcèlement sexuel et les attouchements sexuels ». Cela est conforme à la politique sur le harcèlement en vigueur à Postes Canada. De telles [traduction] « affaires graves » auraient eu pour effet de [traduction] « sonner lalerte » chez lui. Il a affirmé : [traduction] « quand jai reçu sa plainte en avril, je lai lue trois fois, pour désembrouiller mon cerveau ». Il nie également que la défunte Ann Jones soit jamais venue le voir au sujet de lincident de novembre 2005.

I.                   Les facteurs de stress dans la vie de Mme Cassidy

[76]           M. Tidman a signalé avoir remarqué un changement dans le comportement de Mme Cassidy entre novembre 2005 et le 25 avril 2006 : [traduction] « elle était moins décontractée, plus stressée. Jattribuais ce changement en partie à létat de santé de sa fille […] Doris nétait plus la même […] » Comme nous le verrons plus loin, durant cette période et par la suite, soit jusquen 2009, Mme Cassidy vivait un stress important de plusieurs sources, comme en attestent son témoignage, les notes dans ses journaux et les notes cliniques du Dr Ung. De plus, elle prenait du Prozac pour traiter sa dépression. Les sources de stress incluaient des problèmes familiaux relativement à son conjoint de fait, la maladie de sa fille et dautres problèmes de santé, ses blessures professionnelles et ses absences du travail en 2006, sa crainte dêtre congédiée par Postes Canada, des problèmes de sommeil et des migraines chroniques. En outre, évidemment, elle vivait un stress de plus en plus important en raison du harcèlement continu de la part de M. Thambirajah (selon les allégations de Mme Cassidy, que jexaminerai ci‑après), qui se serait intensifié après avril 2006 et qui se serait poursuivi jusquen 2009. Je conclus quelle vivait un grand stress – sur les plans personnel et professionnel – à lépoque; toutefois, je signale quil ny a rien dans les notes cliniques du Dr Ung du 17 novembre 2005 au 2 février 2006 en ce qui concerne le stress au travail. À laudience, il a reconnu que, durant la période allant de novembre 2005 au 5 mai 2006, elle ne lui avait pas parlé de harcèlement sexuel de la part de M. Thambirajah, car, si elle avait abordé cette question, il laurait consigné dans ses notes, comme il avait consigné les autres problèmes, notamment les facteurs de stress tels que la maladie de sa fille et dautres problèmes de santé.

J.                  La prétendue réunion entre Mme Cassidy et ses superviseurs (et A. B.)

[77]           Ainsi quil est signalé précédemment, Mme Cassidy a systématiquement maintenu que le jour de lincident de lattouchement et du commentaire, soit le 9 novembre 2005, elle sétait rendue au bureau du chef de service M. Tidman et du superviseur M. Sultan pour déposer une plainte. Selon Mme Cassidy, ces derniers lui avaient dit quils soccuperaient du dossier et demandé de garder laffaire à linterne. M. Tidman nie cette affirmation. M. Sultan na pas témoigné.

[78]           Le 31 mai 2010, pour la première fois depuis lincident survenu cinq ans plus tôt, mais seulement après la clôture de sa preuve, Mme Cassidy a dit quune autre personne avait assisté à cette réunion, soit A. B., une employée dun autre bureau de service qui se trouvait par hasard à Willowdale D le 9 novembre 2005. Selon Mme Cassidy, la fin de semaine après la clôture de sa preuve, elle se trouvait chez des amis – George et Pattie Tomaszewski, qui ont tous les deux témoigné à laudience – et A. B. lui a demandé pourquoi elle ne lavait pas appelée à témoigner à laudience. Mme Cassidy lui a demandé pourquoi. A. B. a répondu quelle avait assisté à une réunion avec la plaignante et ses superviseurs concernant la plainte de harcèlement sexuel contre M. Thambirajah le 9 novembre. Mme Cassidy a alors demandé la réouverture de sa preuve et la chance dappeler A. B. à témoigner. Elle a affirmé avoir complètement oublié la présence dA. B. à la réunion parce quelle – cest-à-dire Mme Cassidy – souffrait de trouble de stress post‑traumatique (TSPT).

[79]           Postes Canada a contesté cette affirmation, y compris la présence même dA. B. à Willowdale D ce jour-là. Jai accepté, à titre préliminaire, dentendre les témoignages dA. B. et des témoins de Postes Canada sur cette question, afin de décider si A. B. se trouvait au bureau de service le 9 novembre 2005.

A. B. et lincident du 9 novembre à Willowdale D

[80]           En novembre 2005, A. B., une amie proche de Patti Tomaszewski qui est également une amie proche de la plaignante, était factrice suppléante à la succursale de Thornhill, appelée West Beaver Creek. Selon le témoignage dA. B., ce jour-là – elle ne se souvenait pas de la date exacte et navait jamais consigné les événements par écrit – un superviseur (elle ne se rappelait pas lequel) lui a demandé daller cueillir ou déposer les envois mal dirigés à Willowdale D, le matin entre 7 h 30 et 9 h. À son arrivée, elle a croisé la plaignante qui semblait [traduction] « bouleversée » et [traduction] « agitée » et qui était en larmes. La plaignante lui a raconté ce qui venait darriver avec M. Thambirajah. Le témoin a alors insisté pour quelles aillent au bureau de M. Tidman pour signaler lincident. Selon A. B., elle a assisté à la réunion où la plaignante a raconté à M. Tidman et à M. Sultan ce qui était arrivé.

[81]           En contre-interrogatoire, lavocat de Postes Canada a signalé quA. B. navait jamais pris en note les événements de cette journée, notamment la prétendue réunion. Elle a répondu : [traduction] « je ne pensais pas que cétait important ». Il lui a signalé que les autres témoins de Postes Canada avaient mentionné quil naurait pas été rentable de lui demander de faire un aller-retour à Willowdale D, alors que la pratique courante consistait à faire appel à un taxi (qui ferait un seul trajet pour acheminer les envois mal dirigés) ou à renvoyer les envois mal dirigés au centre-ville en vue de leur redistribution le lendemain. Elle a répondu : [traduction] « jai fait ce quon ma demandé de faire. Jai obéi aux directives. Jétais une factrice suppléante. Si un superviseur te dit […] sil te retire de ton itinéraire, tu obéis, tu déposes un grief plus tard ». M. Machelak a répliqué : [traduction] « Mais vous navez pas réclamé dheures supplémentaires ce jour-là […] et dans un formulaire dheures supplémentaires, vous auriez justifié ces heures supplémentaires ». Le témoin a répondu : [traduction] « Oui, il faut préciser la raison pour laquelle on réclame [des heures supplémentaires] […] je lindique toujours dune manière très détaillée ». Toutefois, il ny a pas eu de telle réclamation dans ce cas-ci. Ensuite, lavocat de Postes Canada lui a signalé que les fiches déposées à laudience indiquent quelle avait effectué litinéraire 51 cette semaine-là, un itinéraire qui se fait à pied, et quil ny avait aucune note concernant un déplacement à Willowdale D pour aller chercher ou déposer du courrier mal dirigé. A. B. a répondu quil fallait environ vingt minutes pour se rendre à Willowdale D en fourgonnette vers 8 heures le matin.

[82]           Lavocat de Postes Canada a réitéré son argument : [traduction] « Il serait illogique de verser des heures supplémentaires à une factrice pour cette tâche alors que la pratique courante consiste à envoyer un taxi, qui effectue un seul trajet. Et vous ne vous rappelez pas avoir réclamé des heures supplémentaires et cette tâche naurait pas constitué des “heures supplémentaires pour situation durgence”. » A.B. a répondu : [traduction] « Alors, je me suis fait voler beaucoup dheures supplémentaires ». Lavocat de Postes Canada a ensuite signalé quelle avait réclamé des heures supplémentaires pour les 8 et 9 novembre, en écrivant [traduction] « volume » et [traduction] « réunion syndicale » à titre de justifications. Il a affirmé que les réunions syndicales se tiennent habituellement le matin. Elle a répondu : [traduction] « Pas toujours ». Mais la question importante est quA. B. na pas inscrit le trajet à Willowdale D dans son formulaire à titre de justification. Jai demandé au témoin : [traduction] « Pourquoi navez‑vous pas écrit “récupérer le courrier mal dirigé” ou quelque chose du genre sur le formulaire? » A.B. a répondu : [traduction] « Je nen ai pas la moindre idée. Parfois je changeais les cadenas, mais je ne lindiquais pas. Si cela se produisait aujourdhui, je préciserais la raison et jécrirais “envois mal dirigés”. »

[83]           Pour ce qui est du moment de la journée où est survenu lincident du 9 novembre 2005, lavocat de Postes Canada a signalé à A. B. que la plaignante avait affirmé que lincident avec M. Thambirajah sétait produit à midi. A. B. a répondu : [traduction] « Ça me surprend. À mon souvenir, jétais là le matin. » Il a répliqué : [traduction] « Willowdale D est une très petite succursale. À 8 heures le matin, elle serait entourée de collègues, nest-ce pas? Mais aucun dentre eux ne la approchée et ne lui a demandé “Doris, pourquoi pleures-tu?” Vous dites quil a fallu quune personne venant de lextérieur laborde et lui demande pourquoi? » A.B. a répondu : [traduction] « Je nai vu aucun de ses collègues auprès delle ».

[84]           M. Machelak lui a ensuite demandé : [traduction] « Vous avez écrit que vous êtes restée avec Mme Cassidy pour une quinzaine de minutes, 40 minutes pour le trajet aller-retour, une pause cigarette de 10 minutes, la réunion de 10 minutes dans le bureau de M. Tidman, etc., et ensuite encore 15 minutes avec Mme Cassidy. Quand vous êtes rentrée, personne ne vous a posé de questions sur le temps que vous avez pris, qui était plus long que prévu? » Elle était daccord.

[85]           Postes Canada a appelé Christopher Moore à témoigner. Il est un superviseur actuellement affecté au bureau de service 2 de Willowdale (à ne pas confondre Willowdale D) et était le [traduction] « superviseur des facteurs » à la succursale de Thornhill en novembre 2005. Il sagit de la succursale où A. B. était affectée à lépoque. Il a expliqué ce que sont les envois mal dirigés et la pratique en vigueur pour régler ce problème. En termes simples, les « envois mal dirigés » sont des envois postaux qui ne sont pas acheminés au bon bureau de service de Postes Canada. Ces envois sont portés à lattention du superviseur le matin. Au bureau de service, la politique ou la pratique en vigueur consiste à téléphoner à une compagnie de taxi, à remplir un bon de taxi et à remettre ce dernier au chauffeur avec les envois; ce dernier les livre ensuite au bon bureau de service. [traduction] « Cétait le moyen le plus rapide de les acheminer à lautre succursale. On veut lacheminer pour que lerreur de direction ne dure pas toute la journée. Entre 8 h 30 et 9 h 30, les facteurs sortent. Il est important dacheminer les envois mal dirigés avant 8 h. » Il a mentionné quils tenaient également compte des frais encourus.

[86]           Appelé à réagir à laffirmation dA. B., M. Moore a affirmé :

[traduction]

Si le superviseur de Willowdale D mappelait, je lui dirais « envoie-les-moi par taxi ». Je nenverrais pas un employé et je ne dirais pas à un employé de prendre un taxi. Il faudrait que je paie laller-retour et il faudrait que je retire un facteur de son itinéraire et [A. B.] devait effectuer litinéraire 51 […] Je naurais jamais fait ça, retirer un facteur de son itinéraire. Le facteur sattendrait à toucher des heures supplémentaires.

[87]           M. Machelak a avisé M. Moore que le prétendu incident se serait produit à midi le 9 novembre 2005 à Willowdale D : [traduction] « Sil y avait des envois mal dirigés à Willowdale D, est-ce que quelquun irait les chercher à midi pour les rapporter à lautre succursale? » Affichant un air surpris, le témoin a répondu : [traduction] « Non, lerreur de direction aurait déjà été commise pour cette journée-là et les envois resteraient là jusquau lendemain […] Il suffit de les renvoyer au bureau au centre-ville et ils seront distribués par camion le lendemain entre minuit et 8 heures. »

[88]           En contre-interrogatoire, la question suivante a été posée au témoin : [traduction] « Êtes‑vous en train de dire quil nest jamais arrivé quon demande à un employé daller chercher des envois mal dirigés? » Il a répondu : [traduction] « Je ne connais personne qui ait procédé de cette façon. Je nai certainement jamais envoyé un employé pour faire une telle chose. Il est arrivé quon envoie un facteur à une autre succursale pour effectuer un itinéraire, une affectation temporaire dune succursale à lautre pour un matin, mais pas pour acheminer des envois mal dirigés. »

[89]           Postes Canada a également appelé Gwen Kenyon à témoigner. Elle est chef de service à Thornhill; auparavant, elle était directrice de la formation à la division et, avant cela, elle était directrice des centres de tri. Elle est employée par Postes Canada depuis 34 ans. Elle a interrogé les bases de données informatiques de Postes Canada pour vérifier si A. B. avait réclamé des heures supplémentaires du 7 au 9 novembre 2005. Daprès les bases de données, A. B. a réclamé des heures supplémentaires, mais pas pour un déplacement à Willowdale D. Les données saisies indiquent quelle a travaillé à la succursale de Thornhill durant ces trois jours, y effectuant des heures régulières et supplémentaires. La question suivante a été posée au témoin : si A. B. sétait rendue à Willowdale D pour aller chercher du courrier, lobligeant ainsi à faire des heures supplémentaires, aurait-on consigné ce déplacement ainsi que la raison de ce déplacement? Mme Kenyon a répondu par laffirmative. En contre-interrogatoire, lavocat de la plaignante a demandé à Mme Kenyon sil était possible quun superviseur demande à un facteur de déposer des envois à un autre bureau de service [traduction] « à titre de faveur ». Le témoin a répondu : [traduction] « Bénévolement? Je ne connais aucun de ces employés. Ils ne seraient pas payés pour ce trajet […] Et, en 2005, les employés réclamaient des heures supplémentaires avec une plus grande fermeté quaujourdhui […] Cela na pas de sens, sur le plan de la gestion du temps ou de largent, je nai jamais entendu parler dune telle chose […] »

[90]           Mme Kenyon a également corroboré le témoignage de M. Moore concernant le système en vigueur pour réacheminer les [traduction] « envois mal dirigés ».

[91]           Je conclus quA. B. nest pas allée à Willowdale D le 9 novembre 2005, le jour de lincident, pour les motifs suivants :

1)                  selon le témoignage de la plaignante, lincident sest produit vers midi. A. B. a affirmé être arrivée à la succursale vers 9 h ce matin-là;

2)                  jadmets les déclarations des témoins de Postes Canada selon lesquelles un superviseur naurait pas demandé à un facteur daller chercher ou livrer des [traduction] « envois mal dirigés ». Un superviseur aurait plutôt fait appel à un chauffeur de taxi pour effectuer un trajet unique;

3)                  si A. B. sétait rendue à Willowdale D ce jour-là, elle aurait réclamé des heures supplémentaires pour cette tâche, comme elle la fait pour dautres tâches exécutées ce jour-là.

K.                Quand Postes Canada a-t-elle pris connaissance pour la première fois de lincident du 9 novembre?

[92]           En ce qui a trait à la question importante de savoir quand Postes Canada a pris connaissance pour la première fois de lincident de lattouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005, je conclus que cétait le 25 avril 2006, lorsque Mme Cassidy a présenté sa plainte écrite à M. Tidman. Je conclus que ce dernier était un témoin crédible et que son témoignage était fiable. Il a admis franchement que la réaction à la plainte de Mme Cassidy après le 25 avril laissait à désirer. Il est à la retraite et ne travaille plus pour Postes Canada.

[93]           De plus, jadmets les témoignages selon lesquels M. Sultan et Mme Edmunds ont demandé à Mme Cassidy, chacun de leur côté – lui, le 16 mai 2006 et elle, le 14 mai 2006 lors dune conversation avec Mme Cassidy – pourquoi elle navait pas signalé lincident auparavant. Lors de ni lune ni lautre de ces conversations, la plaignante na précisé quelle avait en fait signalé lincident à M. Tidman et à M. Sultan le jour même où il sétait produit. Selon le témoignage de Mme Edmunds, qui concorde avec son rapport denquête en date du 1er septembre 2006, lorsquelle a demandé à la plaignante pourquoi elle avait attendu plus de cinq mois avant de signaler lincident à Postes Canada, [traduction] « Mme Cassidy a affirmé quelle navait pas voulu donner suite à laffaire parce quelle était stupéfaite et abasourdie que M. Thambirajah ait même eu laudace de faire ce quil a fait; deuxièmement, il était le représentant syndical à la succursale et il pouvait lui causer de nombreuses difficultés […]. »

[94]           M. Tidman avait pris des mesures à la suite dincidents moins graves, y compris un appel à Mme Edmunds le 12 ou le 13 avril 2006 au sujet des incidents déchange de jurons. Dans son témoignage, Mme Edmunds a parlé de sa collaboration avec M. Tidman sur une période de dix ans, y compris lhabitude quil avait de lappeler au sujet de certaines questions liées aux droits de la personne moins importantes que lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre. Daprès la formation quils avaient suivie, M. Tidman et les autres gestionnaires devaient téléphoner à lagente des droits de la personne chez Postes Canada lorsquune affaire pouvant relever de la LCDP se produisait. De plus, je ne pense pas que M. Tidman et M. Sultan auraient demandé à Mme Cassidy de prendre la relève de M. Thambirajah et deffectuer son itinéraire en avril 2006 sils avaient été au courant de lincident du 9 novembre.

L.                 Ce qui sest produit après le 25 avril 2006 : la « comédie des erreurs » et les malentendus

[95]           M. Tidman, qui a pris sa retraite de Postes Canada depuis les événements, a parlé franchement de la façon dont lorganisation a traité la plainte de Mme Cassidy en date du 25 avril 2006. À la question de savoir combien de temps il a fallu à la direction pour répondre à la plainte après quil a envoyé un courriel à Mme Edmunds le jour même où il a reçu la plainte, il a répondu : [traduction] « Il suffit de lire les courriels pour se faire une idée. Jétais déçu de la lenteur de la réaction des personnes avec qui je communiquais. Kelly était absente du travail pendant un certain temps. Je souhaitais que les choses se déroulent autrement […] Javais les mains liées […] La machine ne sest pas mise en marche […] ».

[96]           Jadmets le témoignage de M. Tidman selon lequel il a immédiatement posté la plainte de Mme Cassidy en date du 25 avril à Mme Edmunds. À ma surprise, il a affirmé quil ny avait pas de télécopieur ou de numériseur à Willowdale D en novembre 2005. Il a également envoyé un courriel à Mme Edmunds [traduction] « lavisant [qu’il avait] une plainte relative aux droits de la personne et [qu’il avait] besoin de conseils ». Nayant pas eu de nouvelles après quatre ou cinq jours, M. Tidman a envoyé un autre courriel à Mme Edmunds en guise de suivi, en incluant une copie conforme à la gestionnaire de zone intérimaire, Joanne Coe. Le 12 mai, il a envoyé un autre courriel à Mme Edmunds lui demandant [traduction] « daccélérer le traitement » de la plainte, car Mme Cassidy se plaignait de la tension entre elle et M. Thambirajah.

[97]           Pourquoi Mme Edmunds na-t-elle pas répondu? Selon son témoignage, elle sétait absentée du bureau du 28 avril et 16 mai 2006 pour des raisons professionnelles. Il semble que la plainte postée par M. Tidman soit arrivée vers le 28 avril. Mme Edmunds navait pas dadjoint, si bien que lenveloppe est restée dans son bureau sans que personne louvre avant son retour le 16 mai. À la même époque, il y a eu les engueulades et les échanges de jurons entre la plaignante et lintimé à titre personnel, survenus entre le 10 et le 19 avril 2006. Mme Edmunds avait discuté de ces incidents avec M. Tidman à cette époque. La « comédie des erreurs » – pour reprendre le terme utilisé par Mme Edmunds durant son témoignage – sest amorcée lorsque, en écoutant les messages de M. Tidman dans sa boîte vocale et en lisant ses courriels, elle a (incorrectement) présumé quils avaient trait aux échanges de jurons en avril, et non à lincident de lattouchement survenu quelque six mois auparavant. Ainsi, quand M. Tidman lui a écrit un courriel le 3 mai pour lui demander : [traduction] « Doris Cassidy aimerait savoir létat davancement de sa plainte. As-tu des nouvelles? », elle a répondu le 9 mai : [traduction] « Cam, je nai pas de nouvelles pour linstant. En fait, jai dû mabsenter du bureau pour régler dautres dossiers. Je vais te téléphoner demain pour examiner celui-ci davantage. » Le 12 mai, M. Tidman a de nouveau envoyé un courriel à Mme Edmunds : [traduction] « Doris est dans mon bureau au moment où je técris ce message. Elle me dit quelle vit une grande tension à cause de ce problème et que le fait de côtoyer Raj tous les jours lui pèse au travail et après le travail. Y a-t-il quelque chose à faire en vue daccélérer le traitement de cette plainte? » Selon le témoignage de Mme Edmunds, à ce point, elle nétait toujours pas au courant de la plainte en date du 25 avril concernant lincident du 9 novembre 2005 et elle pensait que M. Tidman faisait renvoi aux engueulades et aux échanges de jurons en avril 2006. Jadmets son témoignage à cet égard. Plus loin dans les présents motifs, jexposerai les répercussions juridiques de cette [traduction] « comédie des erreurs ».

[98]           Ce nest que la fin de semaine suivante que Mme Edmunds a compris à quoi faisaient renvoi les courriels de M. Tidman. Le dimanche 14 mai, elle a reçu un appel à la maison de Mme Cassidy, qui était affolée. Cest durant cette conversation que Mme Edmunds a su que le problème navait pas trait aux incidents déchanges de jurons en avril. En posant des questions à Mme Cassidy, Mme Edmunds a pris connaissance pour la première fois des allégations relatives au 9 novembre 2005.

[99]           Mme Edmunds a amorcé son enquête en juin 2006 et a tenu des entrevues avec les témoins de lincident du 9 novembre en juin et en juillet. Elle a rendu son rapport denquête, comportant des conclusions et des recommandations, le 1er septembre 2006. Elle a tranché en faveur de Mme Cassidy relativement aux deux groupes dallégations portées contre M. Thambirajah : premièrement, lincident du 9 novembre ayant trait à [traduction] « lattouchement déplacé »; et deuxièmement, [traduction] « les allégations concernant le comportement et le langage déplacés », y compris les jurons et [traduction] « le fait de gêner les déplacements de la plaignante à lintérieur et près du milieu du travail ». Elle a formulé des recommandations visant la prise de mesures disciplinaires.

Non-respect du préavis de 10 jours

[100]       Mme Edmunds a affirmé quelle nétait pas habilitée à imposer des mesures disciplinaires aux employés. Elle formulait des recommandations et il incombait aux gestionnaires dimposer les mesures disciplinaires. Fait important, aux termes de larticle 10 de la convention collective (sur les mesures disciplinaires, la suspension et le congédiement), la direction doit donner un préavis de 10 jours après [traduction] « linfraction alléguée » ou après que cette infraction a été [traduction] « portée à lattention » de lemployeur avant dimposer une mesure disciplinaire. Daprès Mme Edmunds, ce délai de 10 jours sest enclenché le 25 avril 2006 avec lavis à lemployeur et a pris fin vers le 5 mai 2006. Il est également ressorti des témoignages que la direction pouvait [traduction] « arrêter le chronomètre » si certaines mesures étaient prises. Aucune mesure de ce genre na été prise en lespèce. Ainsi, en raison de la [traduction] « comédie des erreurs », le délai de 10 jours na pas été respecté. Quelles ont été les répercussions? Premièrement, selon le témoignage de Mme Edmunds, elle aurait recommandé que M. Thambirajah soit suspendu sans solde pour cinq jours. Quant aux autres recommandations – une formation, le versement dune lettre dans son dossier pendant un an, etc. – M. Thambirajah nétait pas obligé de sy soumettre. Toutefois, il a accepté de suivre un cours sur les droits de la personne (deux ans plus tard). Pendant quil suivait ce cours, il était de service et rémunéré. La lettre est demeurée dans son dossier pendant une année seulement, conformément aux dispositions de la convention collective.

[101]       Du 15 mai au 16 octobre 2006, Mme Cassidy était en congé en raison dune blessure sans lien avec ses interactions avec M. Thambirajah. M. Thambirajah a travaillé à Willowdale D jusquau 18 mai 2006. Il a été muté à une autre succursale dans le cadre dune mesure daccommodement sans rapport avec ses interactions avec Mme Cassidy. Par la suite, ils nont plus jamais travaillé à la même succursale. Jadmets également les témoignages selon lesquels, du 25 avril au 23 mai 2006, la plaignante et lintimé à titre personnel nont pas eu la moindre interaction.

M.               Autres mesures prises par Postes Canada après le 25 avril 2006

Postulation ou mutation à lextérieur de Willowdale D

[102]       Mme Cassidy soutient avoir maintes fois demandé à Candace Carpenter, une agente de dotation responsable de sept succursales, et à Joanne Coe, gestionnaire de zone intérimaire à lépoque, une mutation lui permettant de quitter Willowdale D en raison du harcèlement de lintimé à titre personnel.

[103]       Selon le témoignage de Mme Carpenter, la plaignante lui avait téléphoné à plusieurs reprises et elles sétaient rencontrées. Il était vrai quelle avait demandé une mutation, mais pas en raison de son conflit avec M. Thambirajah. Cette question navait jamais été soulevée. Selon Mme Carpenter, la plaignante disait quelle voulait être plus près de la maison et de sa fille malade : [traduction] « Il na jamais été question de Raj, [il était] question de ses enfants […] Il est tellement facile de postuler, tellement facile [pour elle] de se rapprocher de la maison. » Daprès Mme Carpenter, elle a dit à la plaignante de présenter un formulaire de mutation et que, en raison de son ancienneté, elle lobtiendrait. Elle lui a même proposé de lui télécopier le formulaire de postulation/mutation et de laider à le remplir. Mme Carpenter a affirmé quil sagit dun formulaire simple qui ne compte quune page. À sa surprise et son grand étonnement, la scène sest répétée à plusieurs reprises. Chaque fois, la plaignante revenait la voir, soulevait le même problème et Mme Carpenter lui expliquait quelle devait présenter un formulaire de mutation. Et, chaque fois, la plaignante repartait, mais sans avoir rempli ou présenté de formulaire. Mme Carpenter ne savait pas pourquoi. Il est ressorti des témoignages quelle craignait peut-être de se voir assigner un [traduction] « itinéraire difficile ».

[104]       Finalement, lemployeur a [traduction] « placé » Mme Cassidy, à titre de mesure daccommodement liée à la persistance de ses problèmes avec M. Thambirajah. Elle na pas eu à remplir un formulaire de postulation. Comme nous le verrons plus tard, Mme Edmunds était à lorigine de cette mutation.

[105]       Selon les témoignages, un employé pouvait [traduction] « postuler » dans un autre bureau relevant du même syndicat local ou demander une [traduction] « mutation » à un autre bureau relevant dun autre syndicat local. Il y a un formulaire de [traduction] « postulation », distinct du formulaire de [traduction] « mutation ». Il ressort clairement des fiches de [traduction] « postulation » déposées en preuve que Mme Cassidy aurait obtenu une réaffectation si elle en avait fait la demande dans les mois qui ont suivi lincident du 9 novembre 2005. De plus, aux termes de larticle 56.07 de la convention collective : [traduction] « Sur demande écrite du plaignant et à la suite dune consultation et dune entente, la Société peut accorder au plaignant le droit dêtre affecté à une autre tâche ou à un autre poste sur une base temporaire ». Mme Cassidy na pas demandé de mutation « temporaire » et Postes Canada ne lui a pas demandé si elle en souhaitait une.

[106]       Le 17 mai 2006, la plaignante est allée rencontrer Mme Carpenter et est passée voir Mme Coe. À ce moment-là, la plaignante était en congé jusquau 16 octobre 2006 en raison dune blessure dans lexercice de ses fonctions et M. Thambirajah allait bientôt être muté à une autre succursale dans une autre ville dans le cadre dune mesure daccommodement liée à une incapacité. Je note que, dans son journal, Mme Cassidy a écrit quelle était allée voir Mme Coe ce jour-là non pas en raison de son conflit avec lintimé à titre personnel, mais plutôt parce quelle craignait que M. Sultan conteste sa demande de congé pour la blessure subie au travail.

[107]       Selon le témoignage de Mme Coe, elle croyait que la plaignante était [traduction] « frustrée de ne pas avoir un itinéraire, mais Candace [Carpenter] disait quelle ne présentait pas de demande pour en obtenir une ». Elle a corroboré le témoignage de Mme Carpenter selon lequel Mme Cassidy navait jamais indiqué quelle souhaitait postuler pour quitter Willowdale D à cause de M. Thambirajah. De plus, Mme Coe a affirmé que, le 17 mai, [traduction] « après sa rencontre avec Candace au sujet du processus de postulation, elle [Mme Cassidy] ma parlé de la maladie de sa fille. Elle était très bouleversée. »

[108]       La question suivante a été posée à Mme Coe : une fois que Postes Canada a pris connaissance le 25 avril 2006 de lincident survenu le 9 novembre 2005, quel était le degré durgence selon elle de séparer la plaignante et lintimé? Mme Coe a répondu : [traduction] « pas très élevé. Je nétais au courant daucun autre incident. Il fallait laisser lenquête suivre son cours. » Évidemment, il y avait aussi les incidents des engueulades et des injures en avril 2006.

[109]       Mme Edmunds a corroboré les témoignages de Mme Coe et de Mme Carpenter selon lesquels la plaignante navait jamais dit que M. Thambirajah était la raison pour laquelle elle souhaitait postuler ou demander une mutation; elle avait plutôt parlé de la maladie de sa fille et de sa volonté dêtre plus près de la maison. Toutefois, en fin de compte, Mme Cassidy a quitté Willowdale D, dans le cadre dune [traduction] « postulation » au 101 Placer Court, le 20 septembre 2006. Par la suite, elle a été mutée à Oshawa, à linitiative et avec lassistance de Mme Edmunds. Le témoin a affirmé que :

[traduction]

À un moment donné, je lui ai demandé si elle voulait quitter Willowdale D […] Jai téléphoné à Arthur, lagent de dotation […] pour quil lui réserve un poste. Jai dit à Doris, tu ne croiseras plus Raj, quest-ce que tu penses dOshawa? Il nest pas facile de muter quelquun dune zone à un autre, le syndicat naime pas ça à cause des répercussions sur les droits dancienneté; il sagissait dune affectation temporaire. Il a fallu que je travaille avec les deux syndicats locaux, la démarche contournait larticle 56 […] Je vivais cette expérience avec elle.

Plus tard, elle a ajouté : [traduction] « Je suis allée voir les deux syndicats locaux et jai obtenu leur autorisation pour un accommodement temporaire […] Oshawa est plus proche de sa résidence. Je ne sais pas si elle avait assez dancienneté pour obtenir la mutation par les voies normales […] Doris ne ma jamais demandé cette mutation. De ma propre initiative, je lui ai trouvé un poste à Oshawa. Elle mavait parlé du problème de santé de sa fille […] » Il sagit dun exemple des mesures proactives et pleines de compassion prises par Mme Edmunds au bénéfice de la plaignante.

[110]       Jadmets les témoignages des trois employées de Postes Canada concernant la question de la postulation ou de la mutation à lextérieur de Willowdale D. Elles étaient crédibles à cet égard; Mme Cassidy ne létait pas.

Le Programme daide aux employés offert à Mme Cassidy

[111]       Selon Mme Edmunds, elle a téléphoné à la plaignante pour laviser quil y avait eu un manquement à la protection des renseignements personnels puisque, par inadvertance, on avait envoyé les fiches de postulation à M. Thambirajah. Durant cet appel, elle a demandé à la plaignante si elle voulait avoir recours au Programme daide aux employés (PAE). Mme Cassidy a répondu que non; elle comptait plutôt parler à un ami qui est psychologue.

Versement de deux semaines de paye de vacances

[112]       Mme Edmunds a également affirmé que la plaignante lui avait téléphoné après lincident du « rat mort » en décembre 2006. Selon Mme Edmunds : [traduction] « Jétais vraiment bouleversée. Son récit ma touché droit au cœur jusquà ce quon reçoive la documentation de la Commission. Jai lu ses documents et jai pensé : “ce nest pas ce qui est arrivé”. » Mme Edmunds a affirmé être allée voir le directeur en décembre pour obtenir lautorisation daccorder à la plaignante deux semaines de salaire à la suite de lincident, [traduction] « comme si elle avait été au travail ».

Alerter le service de sécurité

[113]       Mme Edmunds a affirmé avoir communiqué avec le service de sécurité de Postes Canada, souhaitant que les agents de sécurité veillent sur Mme Cassidy à la suite de son transfert à Oshawa, notamment en la suivant de temps à autre. Elle avait agi ainsi parce que Mme Cassidy alléguait que lintimé à titre personnel la harcelait encore et lui faisait peur.

Entrevue avec M. Thambirajah le 8 décembre 2006

[114]       Le 17 octobre 2006, M. Tidman a envoyé un courriel à Mme Coe et à Mme Edmunds, les avisant que Mme Cassidy était venue le voir la veille et avait fait [traduction] « quelques allégations au sujet de Raj dont il faudrait discuter ». Une de ces allégations était que M. Thambirajah faisait [traduction] « lobjet dun procès pour des agressions physiques contre son ex-épouse. Doris dit que la source de ces renseignements est la police. » Elle a raconté la même chose à Mme Edmunds. Mme Edmunds a demandé au service de sécurité de faire enquête et le service lui a répondu que lallégation était sans fondement. Dans son courriel, M. Tidman a également indiqué que lintimé à titre personnel avait été [traduction] « accusé » et quil était visé par un engagement de ne pas troubler lordre public. M. Tidman a également signalé quAnne Jones lui avait dit quelle recevait, tout comme lui, des appels dune personne qui raccrochait immédiatement. Ce sujet na pas été abordé lors de linterrogatoire de M. Tidman, si bien que je ne lui accorde aucun poids.

[115]       À la suite des événements décrits ci-dessus, Postes Canada a tenu une entrevue avec M. Thambirajah [traduction] « pour aviser lemployé des déclarations faites à son sujet par une autre employée et lui dire quun résumé de la réunion serait versé à son dossier ». M. Thambirajah a déposé un grief, mais na pas eu gain de cause.

N.                Incidents survenus lorsque la plaignante et lintimé à titre personnel ne travaillaient plus ensemble

[116]       Les plaintes déposées par Mme Cassidy en vertu de la LCDP concernent notamment des allégations de harcèlement lorsquelle et M. Thambirajah ne travaillaient plus ensemble à Willowdale D.

Voiture égratignée à la réunion syndicale

[117]       Le 19 septembre 2006, Mme Cassidy a assisté à une réunion syndicale. M. Thambirajah y assistait également, comme bon nombre de personnes. Lorsquelle est partie, elle a remarqué que quelquun avait fait des [traduction] « égratignures à laide dune clé » sur sa voiture et gravé dans la peinture [traduction] « va te faire foutre ». Bien entendu, elle était assez bouleversée. Elle a immédiatement soupçonné M. Thambirajah, bien quelle nait aucune preuve directe. Elle a déposé un rapport de police. M. Thambirajah nie toute responsabilité pour lincident [traduction] « des égratignures/de la gravure à laide dune clé » sur la voiture. Je conclus que lincident sest produit. Cependant, selon la prépondérance des probabilités, je ne peux pas conclure que M. Thambirajah était bel et bien responsable de cet incident. Il ny a aucune preuve – p. ex. déclaration dun témoin visuel, surveillance vidéo, etc. – autre que la preuve « circonstancielle » de la présence de celui-ci à la réunion syndicale ce soir-là et de sa relation tendue avec Mme Cassidy durant cette période. Je reconnais que la preuve circonstancielle peut suffire dans certains cas. Cependant, elle est trop faible en lespèce pour appuyer linférence voulue.

Plainte pour agression sexuelle déposée auprès de la police; accusations portées

[118]       Le 28 septembre 2006, Mme Cassidy a déposé une plainte auprès de la police pour agression sexuelle relativement à lincident du 9 novembre 2005. Des accusations ont été portées et M. Thambirajah a été mis en état darrestation le 8 novembre 2006. Elle sest aussi adressée au tribunal afin quun engagement à ne pas troubler lordre public soit émis à légard de M. Thambirajah. La Couronne a retiré les accusations pour agression sexuelle le 31 mars 2008. L’enquêteur, M. Cecile, a témoigné quil avait rencontré Mme Cassidy et lui avait expliqué que la Couronne, après avoir examiné la preuve, nestimait pas quil existait une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité pour ces accusations et quelle les retirerait donc.

Pneus crevés après la comparution au tribunal

[119]       Le 1er novembre 2006, Mme Cassidy et M. Thambirajah ont comparu à la Cour de justice de lOntario. Mme Cassidy a témoigné qualors quelle conduisait pour se rendre à la maison, elle avait perdu le contrôle de sa voiture : [traduction] « mes pneus ont crevé. Jai presque tué une autre femme et son enfant ». Elle est parvenue à conduire jusque chez elle, à apporter la voiture au Canadian Tire et à aller faire des emplettes. Elle affirme que M. Thambirajah est responsable de lincident. Elle a déclaré avoir vu un jeune homme indien entrer dans la salle daudience et parler à M. Thambirajah; il la regardait et souriait.

[120]       Son amie, Sue Baird, a témoigné quelle avait téléphoné à la plaignante après lincident et que cette dernière pleurait. Mme Cassidy a déposé un rapport de police. Elle a dit à la police quelle pensait que M. Thambirajah était responsable de lincident. Aucune accusation na jamais été portée.

[121]       M. Thambirajah a nié toute implication et déclare que la personne à qui il parlait dans la salle daudience était son avocat. Lavocat de Postes Canada a contre-interrogé la plaignante à propos de lincident et a relevé des incohérences dans son témoignage (p. ex. en ce qui a trait à son allégation voulant quelle ait presque tué une femme et son enfant sur lautoroute).

[122]       Je suis convaincu que les pneus de Mme Cassidy ont été crevés ce jour-là. Le rapport du mécanicien de Canadian Tire permet de corroborer que les quatre pneus ont tous été crevés, bien quil nindique pas si la crevaison des pneus était délibérée ou accidentelle (p. ex., en roulant sur des objets pointus). Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas prêt à conclure que M. Thambirajah était responsable. Bien quil est [traduction] « possible » quil puisse être coupable, je ne suis pas prêt à conclure que ce soit [traduction] « probable » uniquement vu les circonstances.

Des « personnes au teint foncé » et des « Indiens » suivant la plaignante en novembre 2006

[123]       Jai entendu la plaignante déclarer, lors de son témoignage, que Postes Canada lavait autorisée à se faire accompagner par son neveu, Scott Parsons, durant son trajet. À lépoque, elle craignait du harcèlement et des représailles de la part de M. Thambirajah malgré le fait quils ne travaillaient plus dans le même bureau de service ni dans le même secteur depuis mai 2006. Le 17 novembre 2006, la plaignante et son neveu ont remarqué un « Indien » qui les suivait à bord dune voiture pendant que Mme Cassidy effectuait son trajet. Ils nont pas pris en note le numéro de plaque dimmatriculation. Par ailleurs, elle et M. Parsons ont tous deux témoigné que, le 8 novembre 2006, ils ont aperçu une voiture quittant lentrée de la résidence de Mme Cassidy située à la campagne, dans la région de Durham. M. Parsons a déclaré quil y avait [traduction] « deux personnes au teint foncé [à bord de la voiture] quittant lentrée » au moment où Mme Cassidy et lui arrivaient. Ils nont pas pris en note le numéro de plaque dimmatriculation.

[124]       Pour sa part, M. Thambirajah nie même le fait que Mme Cassidy et M. Parsons étaient suivis ou que lincident de la voiture dans lallée se soit produit et, à plus forte raison, quil était responsable de leur prise en filature.

[125]       Je suis prêt à conclure que les événements tels que décrits ci-dessus par la plaignante et par M. Parsons sont vraiment survenus (p. ex., une voiture a quitté lentrée chez Mme Cassidy), mais pas que cela impliquait leur [traduction] « filature » ou quils ont fait lobjet de harcèlement ou dintimidation. En outre, à la lumière de la preuve et selon la prépondérance des probabilités, je nirai pas jusquà conclure quil existait un lien entre M. Thambirajah et les incidents de la [traduction] « voiture sur le trajet de livraison du courrier » ou de la [traduction] « voiture dans lentrée ».

Incident du « rat dans la boîte aux lettres »

[126]       Mme Cassidy prétend que, le 4 décembre 2006, M. Thambirajah ou quelquun agissant conformément à ses directives, a déposé un rat mort dans une enveloppe dans sa boîte aux lettres rurale. La plaignante a témoigné quelle vivait à lépoque à la maison de campagne de son conjoint de fait sise sur un terrain de 180 acres bordé sur trois côtés de terres agricoles. Le matin en question, elle a déclaré sêtre rendue à sa boîte aux lettres, lavoir ouverte et avoir trouvé une enveloppe (dans son journal, elle a parlé dun [traduction] « sac brun ») dans laquelle se trouvait un rat mort (ou une souris). [traduction] « Je lai lancé par terre sur notre propriété (plus tard elle a témoigné avoir lancé le rat dans les buissons); le rat pourrait toujours sy trouver aujourdhui […] » Elle est ensuite entrée dans la maison en criant. Son neveu était là et sa fille dormait. Fait surprenant, elle ne sest pas réveillée avec toute cette agitation. Plus tard, sa fille a voulu aller récupérer le rat, mais Mme Cassidy lui a interdit de sortir. Lorsquils sont partis plus tard et à leur retour, ils nont pas cherché le rat. Voici ce quelle a déclaré : [traduction] « Je savais que Raj avait fait ça […] ». Elle a affirmé avoir reçu un appel téléphonique de M. Thambirajah plus tard : « As-tu eu le rat? Ce nest pas encore fini. »

[127]       À ce jour, personne à part la plaignante na vu le rat mort. Je trouve étrange que ni son neveu ni sa fille naient été témoins de ce qui sest passé, ou quelle nait pas pris de photo du rat mort à laide dune caméra ou dun téléphone cellulaire pour la montrer à la police. Cela est particulièrement surprenant étant donné quà ce moment-là en décembre 2006, selon sa propre déclaration, son conflit avec M. Thambirajah sétait intensifié. Je ne reconnais pas que lincident du rat mort ou que lappel téléphonique de suivi de M. Thambirajah ait eu lieu. Par contre, même si je devais conclure quune enveloppe contenant un rat mort a été déposée dans la boîte aux lettres de la plaignante, je nirais pas jusquà conclure que M. Thambirajah en était le responsable.

Appels téléphoniques de menaces

[128]       Selon lune des allégations, M. Thambirajah, ou quelquun obéissant à ses directives, a fait des appels téléphoniques de menaces à la plaignante pendant trois ans. La plaignante a tout dabord déclaré lors de son témoignage qu[traduction] « il a commencé à me téléphoner lorsque Kelly Edmunds a commencé à enquêter. » À un moment donné durant son témoignage, elle a déclaré autre chose, affirmant que M. Thambirajah avait commencé à lui téléphoner peu après lincident du 9 novembre 2005. Questionnée quant à la fréquence à laquelle il téléphonait, elle a répondu [traduction] « Aussi souvent que six à dix fois par jour; certains jours rien […] Je connais la voix de Raj. Il dirait des choses telles que “combien de vies as-tu?” “la prochaine fois tu ne seras pas aussi chanceuse, ce sera ton visage” ».

[129]       Lamie de Mme Cassidy, Sue Baird, a témoigné quelle était [traduction] « plusieurs fois » (plus tard elle a dit 3 ou 4 fois) en compagnie de la plaignante lorsque cette dernière a reçu des appels téléphoniques de menaces. Mme Cassidy lui a dit que cétait M. Thambirajah et elle a tenu le téléphone près de leurs oreilles à toutes deux afin que Mme Baird puisse entendre. Mme Baird a déclaré quil sagissait dune voix masculine avec un accent. Elle a dit quelle ne pouvait pas entendre clairement, mais quune fois, elle avait entendu quelque chose ressemblant à [traduction] « au sujet de ton visage », puis [traduction] « [...] vies as-tu ».

[130]       En contre-interrogatoire, Mme Baird sest fait demander si elle avait déjà entendu la voix de M. Thambirajah auparavant. Elle a répondu [traduction] « non ». Mme Cassidy lui avait dit que cétait M. Thambirajah. [Traduction] « Je nai aucune idée de qui il sagissait », a déclaré le témoin.

[131]       Mme Corinne Pearce, une autre amie de la plaignante, a témoigné quil est arrivé à quelques reprises que Mme Cassidy soit chez elle quand M. Thambirajah lui a téléphoné, disant des choses telles que [traduction] « un rat dans la boîte aux lettres, aimes-tu ton cadeau, la prochaine fois ce sera peut-être toi. » Mme Cassidy a tenu le téléphone près de loreille du témoin afin quelle puisse entendre. Lorsquelle sest fait demander si elle comprenait la personne à l’autre bout du fil, voici ce quelle a répondu : [traduction] « Je le comprenais clairement, un accent, mais pas un fort accent, plutôt celui dun ressortissant des Indes orientales, je pouvais comprendre toutes les paroles. » Lors du second appel, elle a déclaré que la personne à l’autre bout du fil a dit [traduction] « […] Aimes‑tu légratignure sur ta voiture; la prochaine fois ça pourrait être ton visage ».

[132]       Dans la salle daudience, M. Machelak a demandé à M. Thambirajah de répéter les paroles que le témoin affirme avoir entendues lors des deux appels téléphoniques de menaces allégués. Il la fait pour le témoin. [traduction] « Cétait clair? » a demandé lavocat. [traduction] « Oui, et cétait laccent, » a répondu le témoin. Lair étonné, M. Machelak a fait remarquer au témoin que laudience durait depuis une semaine et que les parties et les avocats comprenaient difficilement M. Thambirajah, tandis que le témoin a déclaré quil avait seulement un [traduction] « faible accent ». Voici ce que le témoin a répondu : [traduction] « Oui, je peux affirmer que je pouvais comprendre [M. Thambirajah]. Jai déjà fréquenté des ressortissants des Indes orientales et je comprends leur accent mieux que les autres. » Mme Pearce a reconnu quelle navait jamais rencontré M. Thambirajah avant la tenue de laudience.

[133]       Ce qui sest ensuite produit était assez intéressant. M. Thambirajah a lui-même contre‑interrogé le témoin. Il a posé cinq questions. À trois dentre elles, le témoin a répondu : [traduction] « Quoi, je vous demande pardon? » Lorsque jai fait remarquer au témoin quelle a dit « pardon » plusieurs fois pendant quil la questionnait indiquant quelle ne pouvait le comprendre, le témoin a répondu : [traduction] « Je peux comprendre ce quil a dit, mais pas ce quil voulait dire. » Elle a aussi dit, [traduction] « Oui, jai été un peu confuse au sujet de ce quil voulait dire. » Je naccepte pas son explication. Selon la preuve, je conclus que la personne quelle pouvait comprendre clairement au téléphone, parlant avec un [traduction] « faible accent », nétait pas la même personne – M. Thambirajah – que celle quelle pouvait difficilement comprendre à laudience.

[134]       Mme Marshall, qui a agi en qualité de représentante de Mme Cassidy pendant une bonne partie des procédures, a aussi livré un témoignage. Elle est une amie proche de la plaignante. Mme Marshall a déclaré que M. Thambirajah, peu avant la date de début de laudience, a [traduction] « persisté » à faire des appels téléphoniques de menaces à Mme Cassidy. Elle affirme avoir entendu un appel, mais seulement certaines parties. La plaignante a placé le téléphone cellulaire sur loreille de Mme Marshall : [traduction] « Jai entendu “tu te crois en sécurité, tu ne peux pas te cacher.” Cétait un homme indien. Je vis dans un quartier où habitent des ressortissants des Indes orientales. » Le témoin a aussi confirmé que le 21 octobre 2009, lorsque des observations devaient être présentées au Tribunal, Mme Cassidy est arrivée chez elle en pleurant, affirmant que M. Thambirajah venait de lui téléphoner et quil avait fait une farce à propos du décès dAnn Jones, disant quelque chose comme [traduction] « ton témoin est mort, et tu es la prochaine […] Jai indiqué au bas de la page [dans la lettre adressée au Tribunal] quil a besoin de soins psychiatriques et quil est cruel. »

[135]       Le mépris de Mme Marshall à légard de lintimé à titre personnel était assez évident au cours de laudience. Elle est une amie proche de la plaignante et elle a passé beaucoup de temps – à titre bénévole – à agir en qualité de représentante de Mme Cassidy dans le cadre des procédures. À laudience, elle a mentionné avoir elle-même souffert dabus et quelle voulait sassurer que justice soit rendue dans le cas du harcèlement continu exercé par M. Thambirajah à lendroit de la plaignante.

[136]       Ni Mme Baird, Mme Pearce ou Mme Marshall, pas plus que la plaignante, ne connaissaient les dates exactes des appels. Elles nont pas pris les dates en note. Bien quelles affirment quau‑delà de 30 appels téléphoniques de menaces ont été reçus, à raison de [traduction] « six ou dix par jour » parfois, la plaignante na jamais consigné un seul appel, elle na pas communiqué avec la police (bien quelle lait fait pour des affaires moins graves, telles que des dommages à sa propriété), elle na pas communiqué avec la compagnie de téléphone ou de téléphone cellulaire pour savoir sil était possible de savoir qui avait appeler chez elle, etc. Ni les relevés téléphoniques de celle-ci ni ceux de M. Thambirajah nont été présentés en preuve. Je dispose seulement de son témoignage et de celui damies proches qui affirment avoir entendu une voix [traduction] « indienne » lors de certains appels, étant certaines quil sagissait de M. Thambirajah. Bien quil soit possible que M. Thambirajah ait bel et bien fait des appels téléphoniques de menaces, selon la prépondérance des probabilités et en labsence déléments de preuve convaincants, je ne suis pas prêt à rendre une conclusion au sujet dune affaire aussi sérieuse, à savoir que, même si des appels ont été faits, ils ont été faits par M. Thambirajah lui-même ou par quelquun agissant suivant ses directives.

Problème concernant la paie

[137]       Mme Cassidy allègue que M. Thambirajah était responsable dune erreur de paie survenue en septembre 2006, alors quelle a reçu des crédits en trop. Elle prétend que M. Thambirajah lui a dit quil [traduction] « rendrait ma vie misérable, quil avait un ami au service de la paie. » M. Thambirajah nie ces propos. Lavocat de Postes Canada a déclaré ce qui suit à la plaignante : [traduction] « Jaimerais dire que la paie à Postes Canada constitue un énorme problème, des cas de paiements insuffisants et de paiements en trop, il y a au-delà de 60 000 employés et des erreurs se produisent. » Voici ce que la plaignante a répondu : [traduction] « Jai aussi eu des retenues sur mon salaire qui étaient trop élevées. Raj ma dit quil avait un ami au service de la paie et que ce nétait que le commencement. »

[138]       Mme Edmunds a témoigné au sujet du problème concernant la paie. Elle a dit que Mme Cassidy a allégué une [traduction] « falsification de la paie », soit un paiement en trop, et que de largent lui était également dû relativement à un congé de maladie. Mme Edmunds, Penny Comport, superviseure à la succursale où elle travaillait à ce moment-là (101, Placer Ct.) et le délégué syndical Mark Sinclair, ont rencontré Mme Cassidy le 4 mai 2007 afin de discuter de la question du paiement insuffisant du congé de maladie. La superviseure a expliqué la raison pour laquelle lerreur avait été commise concernant le [traduction] « congé de maladie », et a mentionné quil avait été établi, après enquête, que Mme Cassidy na pas été sous-payée, mais quelle avait en fait été payée en trop et quelle devait deux jours de plus à Postes Canada. Postes Canada a simplement [traduction] « oublié lincident » et na pas demandé de remboursement.

[139]       Selon les éléments de preuve présentés, je nestime pas que M. Thambirajah était responsable des erreurs de paie décrites ci-dessus.

Violation de la vie privée : numéro de téléphone de la plaignante fourni par mégarde à M. Thambirajah

[140]       La plaignante allègue que Postes Canada a fourni, de façon inappropriée, son numéro de téléphone à M. Thambirajah. À Willowdale D, M. Thambirajah était autorisé à partager une partie de lespace du classeur situé dans le bureau de MM. Tidman et Sultan pour y conserver ses documents syndicaux. Le 26 octobre 2006, alors que M. Thambirajah nétait plus délégué syndical à cet endroit et quil avait fait lobjet dun transfert à Unionville, un employé de Postes Canada lui a envoyé par erreur le contenu du classeur à son nouveau lieu de travail. Il lui a, entre autres, fait parvenir plusieurs [traduction] « demandes de formulaires de congé » demployés, dont ceux de Mme Cassidy. M. Thambirajah a signalé cette erreur et a remis lenveloppe renfermant les formulaires de congé au syndicat, qui la transmise à la direction. Mme Cassidy prétend que son numéro de téléphone figurait sur les formulaires de congé. Cependant, après examen des formulaires présentés en preuve, il semble quelle ait indiqué le numéro de Willowdale D sur le formulaire. Sur un formulaire, elle semble avoir rayé un autre numéro et y avoir inscrit celui de la succursale. Le 15 décembre 2006, Postes Canada a avisé Mme Cassidy de la violation de la vie privée et a présenté des excuses.

[141]       Lincident susmentionné a clairement contrarié la plaignante. Elle croyait que M. Thambirajah avait obtenu son numéro de téléphone sur les formulaires de congé. Elle a aussi déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et déposé un grief.

O.                Trois allégations de représailles durant laudience

[142]       Le 19 février 2010, jai accueilli la requête de la plaignante visant à modifier sa plainte déposée contre M. Thambirajah en y ajoutant trois incidents de représailles en vertu de larticle 14.1 de la LCDP. Ainsi que je lai déclaré à lépoque dans mes motifs exposés de vive voix, le fait daccueillir la requête, vu son seuil peu élevé, ne veut pas dire quune conclusion de responsabilité sera rendue à lencontre de M. Thambirajah à lissue de laudience. Seules mes conclusions de fait à légard des trois incidents sont présentées ci-dessous.

Premier incident : parc de stationnement le 2 février

[143]       Il sagissait du premier incident sur les trois à survenir durant laudience. Mme Cassidy et Mme Marshall ont toutes deux témoigné quà la fin de la deuxième journée daudience, soit le 2 février 2010, Mme Cassidy, son partenaire et Mme Marshall étaient à bord de leur voiture dans le parc de stationnement face à limmeuble où avait lieu laudience. Il tombait une faible neige. Voici ce que Mme Cassidy a déclaré lors de son témoignage :

[traduction]

[…] Julie [Marshall] a levé les yeux et dit “Il [M. Thambirajah] est là.” Il regardait ma plaque dimmatriculation. Il a levé les yeux, ma regardée et a souri. Je me suis effondrée. Mon petit ami était réellement contrarié. Jai commencé à pleurer, je narrivais pas à croire quil en faisait encore : du harcèlement, de lintimidation, tentant de me montrer à sa manière quil peut toujours matteindre peu importe lendroit […] Il se tenait là juste devant.

Elle a déclaré quelle était assise sur la banquette avant, du côté passager. Dans son avis de requête, voici ce quelle écrit : [traduction] Julie la vu traverser quatre voies de circulation et marcher en direction nord sur la rue Bay, avec son sac et son plateau. »

[144]       Mme Marshall a corroboré le témoignage de la plaignante. Elle a déclaré quelle avait marché jusquà la voiture de la plaignante, stationnée sur le côté opposé de la rue où se tenait laudience, sur le côté ouest de la rue Bay et quelle s’était [traduction] « faufilée sur la banquette arrière ». Voici ce quelle a affirmé :

[traduction]

Les essuie-glaces fonctionnaient, une faible neige fondait sur les vitres de la voiture, Doris et George étaient là et discutaient de ce qui avait été dit en cour […] Jai regardé à gauche et dit “Oh mon Dieu, le voilà” […] Raj marchait entre les allées. Nous étions du côté sud. Il était dans le stationnement, entre les deux allées suivantes. Elle a commencé à trembler et à pleurer […] Je lai vu se diriger directement vers la voiture et Doris qui se trouvait du côté passager, il a regardé la plaque dimmatriculation, puis a regardé Doris, lui a souri et fait une mimique puis est parti. Le plus près quil sest approché était environ à six pieds devant la voiture, face au pare-chocs du côté passager. Il a rebroussé chemin, a traversé quatre voies de […] marché en direction nord sur la rue Bay.

Elle a déclaré que M. Thambirajah navait pas sa valise pendant quil se trouvait dans le stationnement : [traduction] « Doris était hystérique, elle tremblait et pleurait. Jai juré, et lai traité dun mauvais nom. Il est effronté pour faire quelque chose comme ça. Jai déclaré que je le signalerais immédiatement à votre attention. » Mme Marshall a affirmé quelle a téléphoné à trois reprises au propriétaire du stationnement, The Hospital for Sick Children, afin de savoir sil y avait une bande vidéo de surveillance, mais quils ne lont pas rappelée. Elle na pas demandé dordonnance de production pour moi.

[145]       Lincident susmentionné a été soulevé le lendemain, le 3 février, en « audience publique ». M. Thambirajah (non assermenté) a déclaré [traduction] « Jai oublié où jétais ». Il a dit que sa voiture nétait pas garée dans le même stationnement que Mme Cassidy. Il sest perdu. Il a dit avoir utilisé son dispositif de commande à distance pour tenter de trouver sa voiture. Il na pas nié sêtre trouvé dans le stationnement où était garée la voiture de Mme Cassidy.

Il a toutefois affirmé ce qui suit : [traduction] « Je nai même pas vu de qui ou de quoi il sagissait […] était plein de [sic] neiges. » Il a nié leur avoir souri. Jai mentionné, lorsque lincident a initialement été soulevé à laudience, que leurs observations non assermentées ne feraient pas [traduction] « à ce moment-ci » partie de la preuve ou de mes conclusions, ou de toute ordonnance. Jai mentionné que cela pourrait devenir pertinent à une date ultérieure. Cela sest concrétisé, étant donné que la plaignante a par la suite présenté une requête visant à modifier sa plainte déposée contre lintimé à titre personnel. Après avoir entendu la requête, je lai accueillie et j’ai fourni des motifs de vive voix.

[146]       Dans le cadre de son témoignage présenté sous serment l’avant-dernier jour de laudience, M. Thambirajah sest fait demander sil sétait approché du véhicule de Mme Cassidy dans le stationnement. Il a répondu [traduction] « Je nai pas fait ça. Je me trouvais là, garé dans le même stationnement, me rendant à ma voiture. Je nai pas regardé sa plaque [dimmatriculation]. » À la fin du réinterrogatoire, jai demandé à lintimé de clarifier son témoignage. Il a déclaré quil était garé dans le même stationnement que Mme Cassidy, mais dans une autre allée, plus précisément [traduction] « à deux allées devant eux en face de lhôpital. » Voici ce quil a affirmé : [traduction] « Jignorais où ils étaient garés et qui se trouvait à bord de la voiture, je ne lai découvert que le lendemain [quand la plaignante a initialement soulevé la question à laudience]. Ce récit est une pure invention. Je ne les ai pas vus ni leur voiture […] » Jai ensuite posé la question suivante à lintimé : [traduction] « Comment saviez-vous que vous étiez dans le même stationnement, dans une allée différente, si vous ne les avez pas vus ni vu leur voiture? » Lintimé a répondu [traduction] « Cétait le seul stationnement à cet endroit. » M. Kelly a ensuite demandé [traduction] « En cour [le 3 février] vous avez avisé le Tribunal que vous étiez garé à deux coins de rue, dans un autre stationnement. » La réponse de M. Thambirajah a été difficile à comprendre en raison de son accent. Il a déclaré quil ne connaissait pas le coin, mais que le stationnement était situé [traduction] « deux allées derrière le Tribunal [immeuble sur la rue Bay]. Il a confirmé que le stationnement se trouvait sur le côté nord-ouest de lintersection des rues Bay et Elm, à côté dun chantier de construction.

[147]       À lexamen des observations non assermentées présentées par M. Thambirajah lorsque lincident a initialement été soulevé le 2 février 2010, et de ses témoignages du 7 et du 11 octobre 2011 (interrogatoire principal, contre-interrogatoire et réinterrogatoire, incluant mes questions), jai eu de la difficulté à comprendre ce qui sest passé. Il semble sêtre contredit. Il affirme tout dabord quil était garé dans un autre stationnement que Mme Cassidy, quil sest perdu et sest retrouvé dans le stationnement où sa voiture à elle était garée, mais quil ne sest jamais trouvé face à sa voiture à elle, et quil ne lui a donc pas souri et quil na pas non plus regardé la plaque dimmatriculation. À laudience, il affirme quil était garé dans le même stationnement quelle, mais quil nest pas allé devant la voiture de celle-ci, quil ne la pas regardée et ne lui a pas fait de sourire, et quil ne savait même pas où elle était garée. Il affirme ensuite quil était là, sa voiture étant garée à deux allées de la sienne, mais quil ne la pas regardée ou na pas regardé la plaque dimmatriculation. Ses réponses sont alambiquées et contradictoires. Même si je devais fournir la meilleure interprétation qui soit de ses réponses et conclure quil était garé dans le même stationnement que Mme Cassidy, quil sest perdu et sest retrouvé sans le savoir devant la voiture de Mme Cassidy, je devrais marrêter là. Je ne pourrais accepter le reste de sa version des événements. Je conclus quil sest tenu devant la voiture de Mme Cassidy après laudience alors quil neigeait. Je crois les affirmations de Mme Cassidy et de Mme Marshall selon lesquelles il a regardé la plaque dimmatriculation de Mme Cassidy, quil a ensuite regardé celle-ci, en souriant ou en faisant une mimique. Il a ensuite quitté le stationnement et marché en direction nord, sans aucun doute pour se rendre dans lautre stationnement où il était garé en réalité. Jaccepte le témoignage de Mme Marshall selon lequel, après sêtre éloigné de leur voiture, [traduction] « Il a rebroussé chemin, a traversé quatre voies de circulation [sur la rue Bay], a ramassé son sac et a marché en direction nord sur la rue Bay. » Le fait de sêtre garé dans le stationnement situé au nord de limmeuble du Tribunal et au nord-est de lendroit où était garée Mme Cassidy, cadre avec sa déclaration initiale et avec le témoignage de Mme Marshall et telle est ma conclusion dans les faits. Jaborderai plus loin dans les présents motifs la question de savoir si ses actes constituaient des « représailles » au sens de larticle 14.1 de la LCDP.

[148]       Après que la plaignante a initialement soulevé lincident du stationnement à laudience du 2 février, jai averti les parties et les ai enjoints de ne pas communiquer entre elles et de traiter avec lautre par lentremise de leurs représentants à laudience. En dépit de cette directive, deux autres incidents allégués se sont produits.

Deuxième incident : dans le couloir, à laudience, le 16 février

[149]       Mme Cassidy allègue que lintimé [traduction] « ma encore harcelée verbalement lorsque je quittais la salle daudience. Nous avions soulevé en cour la possibilité de convoquer un nouveau témoin – Marcia Busarello (Iunni). À ma sortie de la salle daudience, Raj ma dit – alors que personne ne se trouvait assez près pour entendre – “attends [jusquà] larrivée de Iunni” en continuant de mintimider. » La plaignante a témoigné quelle [traduction] « croyait quil sagissait là dune autre façon pour lui de matteindre, de me faire du mal. » Personne ne peut corroborer son témoignage; la plaignante était seule. M. Thambirajah nie que cette interaction soit même survenue. Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas prêt à conclure que cet événement sest produit comme la plaignante la décrit. Par ailleurs, même sil sest produit, les paroles de lintimé disant [traduction] « attends jusquà larrivée de Iunni » ne correspondent pas, à elles seules, et daprès lensemble de la preuve, à des représailles en vertu de la LCDP.

Troisième incident : sur la rue Bay à lextérieur de limmeuble du Tribunal, le 17 février

[150]       Le troisième incident allégué sest soi-disant produit le 17 février. Voici ce que déclare la plaignante dans son avis de requête : [traduction] « Je suis sortie de limmeuble sis au 655, rue Bay, pour fumer une cigarette. Je me promenais sur la rue et M. Thambirajah a surgi de derrière une colonne et ma dit “ton tour viendra”. Jétais vraiment affolée et je suis venue vous aviser [le Tribunal] immédiatement […] ». Elle a témoigné quelle, Mme Marshall et Mme Baird étaient sorties fumer une cigarette : [traduction] « Je me suis éloignée en marchant, Raj était derrière la colonne […] il a formulé le commentaire “ton tour viendra”. Je suis revenue et jai dit “Je ne peux même pas fumer une cigarette et lui échapper” et je leur ai dit ce qui était arrivé. » Mme Marshall confirme que la plaignante lui a révélé ce qui sétait passé peu après que lincident est présumément survenu. Mais personne na été témoin de linteraction qui a réellement eu lieu entre Mme Cassidy et M. Thambirajah. Ce dernier a déclaré ce qui suit au moment de témoigner : [traduction] « Elle est venue vers moi. Je prenais une pause debout près de la colonne. Elle a tenté de provoquer quelque chose […] Je nai rien dit. » Il a affirmé quil ny avait eu aucun échange verbal ni visuel.

[151]       Daprès les témoignages de la plaignante et de lintimé à titre personnel, je conclus quune interaction a eu lieu entre eux près de la colonne. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je ne tire pas de conclusion selon laquelle il a formulé le commentaire de menaces quelle allègue. Je mabstiens également de tirer une conclusion selon laquelle [traduction] « elle a tenté de provoquer quelque chose » chez lui. Je dis cela en gardant présents à lesprit les problèmes de crédibilité quils ont tous deux eus pendant toute la durée de laudience.

VI.             La législation

[152]       Cest le plaignant ou la Commission qui a la charge initiale détablir une preuve prima facie de discrimination au sens de la LCDP : Commission ontarienne des droits de la personne et OMalley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28. Une fois que cette preuve a été établie, il incombe à lintimé de fournir une justification ou des explications quant à lacte discriminatoire. Lexplication fournie par lintimé ne devrait jouer aucun rôle dans la détermination de la question de savoir si une preuve prima facie de discrimination a été établie par le plaignant : Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 22.

[153]       Le principe juridique suivant est aussi pertinent pour les affaires du Tribunal des droits de la personne : « pour faire droit à une plainte, il nest pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont motivé la décision de lemployeur » : Morris c. Canada (Forces armées canadiennes) (2001), 42 C.H.R.R. D/443 (T.C.D.P.), au paragraphe 69; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7.

[154]       La norme de preuve dans les affaires de discrimination est la norme civile habituelle, à savoir la prépondérance des probabilités. Selon cette norme, on peut conclure qu’il y a discrimination quand la preuve présentée à lappui rend cette conclusion plus probable que nimporte quelle autre conclusion ou hypothèse possible : Premakumar c. Air Canada (no 2) (2002), 42 C.H.R.R. D/63 (T.C.D.P.), au paragraphe 81. Ainsi que la déclaré le membre instructeur Craig dans la décision Naistus c. Chief, 2009 TCDP 4, au paragraphe 72 : « La preuve doit toujours être claire et convaincante afin de satisfaire au critère de la prépondérance de la preuve. »

A.                Harcèlement sexuel

[155]       Selon lalinéa 14(1)c) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, sil est fondé sur un motif de distinction illicite, y compris sur le sexe, le fait de harceler un individu « en matière demploi ». Le paragraphe 14(2) précise que « le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite. »

[156]       Dans larrêt de principe portant sur le harcèlement sexuel de la Cour suprême du Canada, Janzen c. Platy Enterprises Inc., [1989] 1 R.C.S. 1252, au paragraphe 1284, le harcèlement sexuel a été décrit comme « étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ». Dautres tribunaux ou lois lont défini comme le fait de formuler des commentaires ou d’avoir des comportements sexuels vexatoires que l’on sait importuns ou que l’on devrait raisonnablement savoir importuns. Des termes identiques ou semblables sont prévus dans de nombreuses lois sur les droits de la personne au Canada. Fait à noter, la LCDP nest pas lune delles.

[157]       Dans une plainte de harcèlement sexuel au sens des articles 7 et 14 de la LCDP, la juge Tremblay-Lamer sest attardé au principe énoncé dans l’arrêt Janzen, précité, dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) et Franke, 1999 3 CF 653. Pour quune allégation de harcèlement sexuel soit étayée, il faut pouvoir démontrer ce qui suit :

1)                  Les actes qui constituent le fondement de la plainte doivent être importuns, ou devraient être jugés importuns par une personne raisonnable;

2)                  La conduite doit être de nature sexuelle. Cela nenglobe pas seulement les contacts physiques ou les attouchements (p. ex., les remarques sexistes, les insultes dordre sexuel, et les commentaires concernant lapparence dune personne, sa tenue vestimentaire ou ses habitudes sexuelles);

3)                  Normalement, le harcèlement sexuel exige un degré de persistance ou de gravité de la conduite, mais dans certaines circonstances (comme dans une agression physique grave), un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un milieu de travail empoisonné ou hostile. La Cour a aussi appliqué « la règle de linversement proportionnel » : moins la conduite est grave, plus doit se manifester la persistance. Plus la conduite est grave, moins la persistance doit être démontrée. La norme objective de la « personne raisonnable » est aussi appliquée pour évaluer ce facteur; et

4)                  Lorsque le harcèlement sexuel a lieu dans un milieu de travail, la victime de harcèlement doit aviser lemployeur de la présumée conduite offensante.

B.                 Responsabilité du fait dautrui (société) : article 65 de la LCDP

[158]       Une société intimée (y compris un intimé gouvernemental) peut être tenue responsable dactes discriminatoires ou de harcèlement (similaire à la responsabilité du fait dautrui en droit de la responsabilité délictuelle) commis par ses employés, ses mandataires, ses administrateurs ou ses dirigeants dans le cadre de leur emploi, conformément à larticle 65 de la LCDP. Il en est ainsi, à moins que lemployeur intimé puisse démontrer quil na pas consenti à lacte discriminatoire, et a exercé « toutes les mesures nécessaires » pour lempêcher et a tenté den atténuer ou den annuler leffet. Je dois ajouter que, à mon avis, le qualificatif « toutes » précédant « mesures nécessaires » ne nécessite pas lapplication dune norme de « perfection » dans lexercice des mesures nécessaires. Au contraire, le qualificatif exige que la société intimée ait toujours exercé les mesures nécessaires raisonnables. Dans la décision Hinds c. Canada (Commission de lEmploi et de lImmigration) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683 (TCDP), au paragraphe 41611, le Tribunal a déclaré ce qui suit en appliquant le paragraphe 48(6) de la LCDP [le paragraphe 65(2) alors en vigueur] :

Bien que la LCDP nexige pas que lemployeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois quil prenne des mesures promptes et efficaces lorsquil sait, ou quil devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste […] Pour se soustraire a la responsabilité, lemployeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant quil le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées lassurance quil a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas. [Non souligné dans loriginal.]

[159]       Dans cette obligation datténuer figure un examen des mesures prises par la société intimée pour enquêter, tirer des conclusions et imposer un mécanisme de règlement. Dans la décision Sutton c. Jarvis Ryan Associates, et al., 2010 HRTO 2421, aux paragraphes 130 à 133, le Tribunal des droits de la personne de lOntario a statué sur lobligation de la société intimée denquêter sur une plainte de discrimination ou de harcèlement :

[traduction]

Il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal quun employeur peut être tenu responsable de la façon dont il répond à une plainte de discrimination.

La raison dêtre qui sous-tend le devoir denquêter sur une plainte de discrimination est de veiller à ce que les droits en vertu du Code soient efficaces. Ainsi quil est précisé dans la décision Laskowska c. Marineland of Canada Inc., 2005 HRTO 30 (CanLII) (Laskowska), au paragraphe 53 :

Ce serait faire de la protection en vertu du paragraphe 5(1) visant à permettre un milieu de travail exempt de discrimination vide de sens si un employeur pouvait rester les bras croisés quand une plainte de discrimination a été faite et ne pas avoir à mener une enquête. Si tel était le cas, comment pourrait-il déterminer si un acte discriminatoire a été commis ou déterminer lexistence dun milieu de travail empoisonné? Le devoir denquêter est un « moyen » qui permet à lemployeur de sassurer quil atteint les « objectifs » dictés par le Code visant à offrir un environnement exempt de discrimination et à fournir à ses employés un environnement de travail sécuritaire.

La jurisprudence du Tribunal a établi que lobligation de lemployeur denquêter sapprécie suivant la norme du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Dans la décision Laskowska, le Tribunal a énoncé ainsi le critère pertinent dont doit tenir compte lemployeur dans son devoir denquêter :

(1) Sensibilisation aux questions de discrimination/harcèlement, mécanisme de plainte prévu par la politique et formation : était-on sensibilisé au problème de discrimination et de harcèlement dans le milieu de travail lors de lincident? Existait-il une politique anti‑discrimination/harcèlement appropriée? Existait-il un mécanisme de plainte proprement dit en place? La direction et les employés ont-ils bénéficié dune formation adéquate;

(2) Après la plainte : la gravité de lincident, la rapidité dintervention, la prise en charge de son employé, lenquête et la mesure prise : Après quune plainte interne a été formulée, lemployeur a-t-il traité le dossier sérieusement? A-t-il réglé la question rapidement et avec doigté? A-t-il mené une enquête et agi de manière raisonnable?;

(3) Règlement de la plainte (y compris fournir au plaignant un environnement de travail sain) et communication : Lemployeur a‑t-il proposé une solution raisonnable dans les circonstances? Si le plaignant a choisi de retourner au travail, lemployeur pouvait-il lui assurer un environnement de travail sain, exempt de discrimination? A-t-il communiqué ses conclusions et interventions au plaignant?

Dans la décision Laskowska, le Tribunal a aussi déclaré ce qui suit au paragraphe 60 :

Bien que les trois éléments ci-dessus soient de nature générale, leur application doit conserver une certaine souplesse pour tenir compte des faits propres à chaque cas. La norme est celle du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Il y aurait eu plusieurs options – toutes des mesures raisonnables – auxquelles aurait pu recourir lemployeur. Ce dernier nest pas tenu de satisfaire à chacun des éléments dans tous les cas afin dêtre considéré comme ayant agi de façon raisonnable, bien que ce serait lexception plutôt que la norme. Il faut regarder chaque élément individuellement, puis dans lensemble avant de porter un jugement à savoir si lemployeur a agi de manière raisonnable.

C.                Représailles : article 14.1 de la LCDP

[160]       Larticle 14.1 de la LCDP prévoit que le fait, pour la personne visée par une plainte déposée, dexercer ou de menacer dexercer des représailles contre le plaignant, constitue un acte discriminatoire.

[161]       Dans la décision Witwicky c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2007 TCDP 25, le membre instructeur Doucet établit et analyse les deux écoles de pensée opposées quant à savoir si l« intention » est requise pour établir une plainte au sens de larticle 14.1. La décision Witwicky est lanalyse la plus récente que le Tribunal a réalisée à cet égard. Il y a des décisions contradictoires au niveau du Tribunal, ainsi que dans certains tribunaux provinciaux des droits de la personne, des cours dappel provinciales et des cours supérieures. La Cour fédérale, la Cour dappel fédérale et la Cour suprême du Canada ne se sont pas encore penchées sur cette question.

[162]       Dans la décision Witwicky, voici les propos tenus par le Tribunal dans les paragraphes suivants :

[121] Le Tribunal a adopté deux interprétations légèrement différentes quant au cadre juridique dans lequel une allégation de représailles doit être examinée. Ces interprétations sont illustrées dans deux décisions : Wong c. Banque royale du Canada, [2001] D.C.D.P. no 11, et Virk c. Bell Canada (Ontario), [2005] D.C.D.P. no 2. La principale différence entre ces deux interprétations a trait à limportance accordée à lintention de la personne à qui on reproche davoir exercé des représailles.

[122] Dans la décision Wong, le Tribunal a jugé que, compte tenu du caractère réparateur de la Loi, le plaignant ne doit pas être tenu de prouver que lintimé avait lintention dexercer des représailles contre lui. Lessentiel de lanalyse porte plutôt sur la perception du plaignant et sur la question de savoir si le plaignant aurait pu ou non croire raisonnablement que la conduite de lintimé constituait des représailles : […]

[124] Lautre interprétation est exposée dans la décision Virk [aux paragraphes 155 à 157] :

En vertu de larticle 14.1 de la Loi, constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, dexercer ou de menacer dexercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

Lexercice de représailles comporte une certaine forme dacte volontaire visant à infliger un préjudice à la personne qui a déposé une plainte relative aux droits de la personne pour avoir déposé cette plainte. Ce point de vue déroge en partie à ceux qui ont été exprimés dans les décisions antérieures du Tribunal sur la question des représailles (Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] TCDP 11; Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004 CHRT 40 (CanLII).

Dans Wong et Bressette, les points de vue exprimés portent quun plaignant na pas à prouver une intention dexercer des mesures de représailles et que, si un plaignant perçoit raisonnablement que la conduite reprochée à lintimé constitue des représailles contre la plainte relative aux droits de la personne, il pourrait également sagir de représailles, nonobstant labsence de toute preuve de lintention de lintimé.

[163]       Je souscris au raisonnement adopté dans la décision Virk, précitée, de même que dans dautres décisions judiciaires et décisions des tribunaux exigeant un élément dintention. L« intention » englobe la pensée et lacte volontaires et téméraires dexercer des représailles contre un plaignant ou de le punir pour avoir déposé une plainte relative aux droits de la personne. Bien que la LCDP considère lexercice de « représailles » comme étant un acte discriminatoire, il sagit dune disposition différente de linterdiction visant la discrimination et le harcèlement du fait que les « représailles » ne doivent pas être liées à un motif de distinction illicite selon la LCDP. Comme on le verra plus loin dans les motifs, lapplication de lune ou lautre des approches concernant lintention, soit celle dans la décision Virk ou celle dans la décision Wong, donnerait le même résultat en lespèce.

VII.          Responsabilité

A.                Responsabilité vis-à-vis la plainte contre M. Thambirajah

Allégation 1 : Incident de lattouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005

[164]       Daprès mes conclusions de fait, je suis convaincu que M. Thambirajah savait ou, à tout le moins, aurait dû savoir que son attouchement à légard de Mme Cassidy sur sa chemise au niveau de sa poitrine et son commentaire sur la taille de sa poitrine étaient « importuns ». Sa position sur ce qui sest passé, y compris le fait qu’il ait tout d’abord nié directement ce qui c’était produit à Mme Edmunds de Postes Canada au départ, puis qu’il ait changé de position à laudience, met en doute sa crédibilité. À tout le moins, à un moment donné, il a admis avoir fait le commentaire, puis lattouchement, sans toutefois y attribuer dintention sexuelle. Il ne sagissait pas dune « agression sexuelle », selon lintimé. Je nai, bien sûr, pas compétence pour trancher une allégation dagression sexuelle au criminel ou au civil. C’est le « harcèlement sexuel » qui relève de ma compétence, comme le prévoit la LCDP.

[165]       Le contact physique qua eu M. Thambirajah avec sa main sest fait sur une partie sexuelle du corps de la femme, à savoir les seins de la plaignante ou sa poitrine. En outre, son commentaire proféré au même moment au sujet de la taille de ses seins était évidemment de nature sexuelle. Je suis également convaincu que lattouchement, assorti du commentaire, déclenche la responsabilité au titre de la LCDP. Bien que lincident se soit produit quune seule fois, le contact physique sur la poitrine est suffisamment grave pour entraîner une responsabilité. Ce nétait pas une simple plaisanterie. Cest ce qui ressort de la réaction de Mme Cassidy et de M. Pyziak et de ce que penserait objectivement une « personne raisonnable ». Bien que la LCDP et le Tribunal nont pas pour objectif daseptiser tous les comportements en milieu de travail au point de devenir un environnement stérile moins humain, il y a tout de même des limites. Et M. Thambirajah a clairement excédé les limites dun comportement acceptable et ne déclenchant pas lapplication de la LCDP. Il a clairement harcelé sexuellement la plaignante le 9 novembre 2005. Cela est dautant plus inquiétant étant donné sa position en tant que délégué syndical du Syndicat. Comme M. Tomaszewski, lui-même un représentant syndical, l’a dit dans son témoignage, les délégués syndicaux sont tenus de respecter une norme plus élevée. Ils agissent comme [traduction] « tampon » entre le syndicat, lemployé et la direction. Ils sont élus par leurs collègues. Il sagit dun poste de confiance. Lon serait en droit de sattendre à ce que les délégués syndicaux donnent lexemple en ce qui concerne les droits de la personne, pas quils soient des auteurs de harcèlement sexuel. Cette question sera abordée plus loin dans la section des présents motifs qui porte sur les mesures de réparation.

Allégation 2 : Incidents de la chute dans le bac à courrier et de celui où il a [traduction] « pris mes fesses (ou tapé mon derrière) »

[166]       Ainsi quil est déclaré dans la section « Conclusions de fait », le témoignage et la preuve documentaire de la plaignante étaient contradictoires sur cette question. Ils nétaient certes pas « clairs et convaincants ». À un moment donné, elle a semblé dire quil sagissait de deux incidents distincts : lun concernant la chute dans un bac à courrier et le commentaire de M. Thambirajah indiquant [traduction] « au moins, tu as un cul » (voir son exposé des précisions) et lautre, concernant le véritable geste posé sur ses fesses tout en faisant le même commentaire. Elle sest contredite quant à la date : décembre 2005 par opposition au 18 avril 2006. Cest peut-être parce quil sagissait bien dun seul événement. Quoi quil en soit, conformément à mes conclusions de fait, je ne reconnais pas que ces événements se sont déroulés comme elle les a décrits, et pour les motifs qui y sont énoncés. Par conséquent, il nest pas conclu quil y a eu violation des dispositions de la LCDP.

Allégation 3 : Incidents du 10 au 19 avril liés à léchange de jurons / un langage inapproprié

[167]       Les conclusions de fait entourant ces incidents ne justifient pas une conclusion de responsabilité. Les jurons, les cris et le langage inapproprié nétaient pas de nature sexuelle (ou liés au motif de distinction illicite quest le sexe) ou dune assez grave nature pour engager la responsabilité en vertu de la LCDP. La plaignante et lintimé à titre personnel ont tous deux échangé des insultes de nature péjorative de haut niveau. Ils ont été sanctionnés de façon appropriée par M. Tidman.

Allégation 4 : Égratignures sur la voiture à laide dune clé à la réunion syndicale : 19 septembre 2006

[168]       Jai tiré une conclusion de fait selon laquelle on a bel et bien fait égratigner avec une clé la voiture de Mme Cassidy en y inscrivant des mots grossiers au cours de la réunion syndicale. Selon la prépondérance des probabilités, il ma été impossible de conclure que M. Thambirajah (ou un complice obéissant à ses instructions) était responsable. En conséquence, je nai pas besoin de décider sil est responsable en vertu de la LCDP de cet incident, y compris si un tel geste constitue même du « harcèlement sexuel » au sens de la LCDP.

Allégation 5 : Incident de la crevaison des pneus

[169]       Jai tiré une conclusion de fait selon laquelle les pneus de sa voiture ont été crevés le 1er novembre 2006. Encore une fois, je nétais pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Thambirajah (ou son complice) était responsable, à la lumière de la preuve dont je suis saisi. Ainsi, les dispositions de la LCDP ne sont pas visées ici.

Allégation 6 : Incidents de la filature de la plaignante sur le trajet de livraison du courrier et du véhicule dans son entrée

[170]       Je ne suis pas convaincu, daprès mes conclusions de fait antérieures, que M. Thambirajah, selon la prépondérance des probabilités, était responsable de ces incidents ou si dailleurs ils constituent même du harcèlement sexuel en vertu de la LCDP.

Allégation 7 : Rat dans la boîte aux lettres : 4 décembre 2006

[171]       Cet événement ne sest pas produit tel que la plaignante la décrit, selon moi. La crédibilité et la fiabilité de sa preuve sur ce point, ainsi quil a été décrit précédemment, soulèvent de sérieuses inquiétudes. En revanche, si le rat mort a été placé dans sa boîte aux lettres ainsi quelle la décrit, jestime quil ny avait pas suffisamment déléments de preuve permettant de conclure que M. Thambirajah était responsable de cet incident, selon la prépondérance des probabilités. Je nai pas accepté comme une conclusion de fait quil avait fait un suivi des menaces par téléphone à la plaignante sur le rat mort. Daprès mes conclusions de fait, je nai pas à décider sil existe une base juridique permettant de conclure que lintimé a violé les droits de la plaignante en vertu de la LCDP concernant cet incident.

Allégations 8 : Appels téléphoniques de menaces

[172]       Mes conclusions de fait illustrent mon inquiétude selon laquelle la preuve n’était pas « claire et convaincante » à cet égard. Javais dimportantes réserves quant à la crédibilité/fiabilité de ces éléments de preuve. Jai énoncé ces préoccupations dans la section intitulée « Conclusions de fait ». Jai conclu que la plaignante avait exagéré le nombre desdits appels. Même si certains dentre eux ont été faits, selon la prépondérance des probabilités, je nétais pas en mesure de conclure que M. Thambirajah (ou une personne agissant en son nom) les a faits. En conséquence, lapplication des dispositions de la LCDP nest pas déclenchée. Si javais fait un tel constat, il est plus probable quune conclusion de « représailles » aurait été plus appropriée que celle de « harcèlement sexuel ».

Allégation 9 : Falsification de la paie

[173]       Auparavant dans les présents motifs, jai tiré une conclusion de fait selon laquelle, à la suite dune enquête approfondie menée par Postes Canada, y compris une réunion avec la plaignante, la direction et son représentant syndical, il ressortait clairement que son salaire navait pas été trafiqué. En effet, elle a reçu un montant [traduction] « en trop » et son employeur ne lui a pas demandé quil lui soit remboursé. De plus, jai conclu que la preuve ne permettait pas de justifier une conclusion selon laquelle M. Thambirajah était responsable de la falsification de ses registres de paie. Ainsi, je nai pas besoin de passer à la prochaine étape, soit de décider sil avait violé les droits de la plaignante en vertu de la LCDP.

Allégations 10 à 12 : Les trois incidents de représailles pendant la tenue de laudience

[174]       Jai ordonné que soit modifiée la plainte contre lintimé à titre personnel pour inclure trois cas de représailles qui auraient été commis au cours de laudience. En ce qui concerne le premier cas – lincident dans le « stationnement » – jai tiré une conclusion de fait selon laquelle M. Thambirajah a vraiment surgi devant le véhicule de la plaignante, a regardé sa plaque dimmatriculation, puis a regardé la plaignante, lui a souri ou fait une mimique, puis est parti. Jai aussi constaté quil nétait pas garé dans le même stationnement quelle.

[175]       Que japplique ou non le critère d« intention » aux faits en cause, lissue serait la même : M. Thambirajah a exercé des « représailles » contre la plaignante pour le dépôt de sa plainte de harcèlement sexuel contre lui. Je suis convaincu que le comportement « volontaire » ou « téméraire » fait partie de « lintention ». En appliquant le critère objectif de la « personne raisonnable », je conclus que M. Thambirajah était, à tout le moins, indifférent à légard de ses actions dans le stationnement. Il était au courant des sentiments agités quéprouvait la plaignante envers lui et du stress que celle-ci subissait, lesquels ont tous deux clairement été démontrés lors de laudience. Il a donné des témoignages contradictoires au cours de laudience sur lincident qui sest produit dans le stationnement. Il nétait pas crédible ou plus fiable; jignorais que croire de son témoignage. Jai dû me rabattre sur le témoignage corroboré de la plaignante et Mme Marshall.

[176]       À ce qui précède sajoute limportance pour ladministration de la justice que les parties et les témoins se sentent en sécurité dans un procès ou une audience devant une cour ou un tribunal de justice. Les participants doivent sattendre à ne pas être la cible de menaces ou dintimidation, que ce soit implicitement ou autrement, pour les amener à renoncer à participer à un procès ou à une audience. Ainsi, un plaignant ne doit pas être victime de représailles ou de menaces pour avoir déposé une plainte en vertu de la LCDP. Je suis convaincu quune personne raisonnable, qui examine objectivement ces faits, conclurait que M. Thambirajah sest comporté ainsi dans le stationnement pour se venger de Mme Cassidy ou la punir parce quelle a déposé une plainte contre lui en vertu de la LCDP, y compris les autres choses qu’elle a faites, comme le fait qu’elle a porté des accusations dagression sexuelle. Même si tel nétait pas son « intention » en agissant ainsi, il savait que la plaignante pouvait les interpréter de cette façon et il ne sen est pas soucié (ou arrêté aux conséquences probables de ses actions). Ses actions ont eu un impact néfaste sur elle ce soir-là et le lendemain à laudience. Par conséquent, je conclus quil a porté atteinte aux droits de la plaignante en vertu de larticle 14.1 de la LCDP.

[177]       En ce qui concerne les deux autres allégations de représailles, jai conclu, comme conclusion de fait, que ces événements ne se sont pas passés comme la plaignante le prétend. Par conséquent, je suis incapable de conclure que M. Thambirajah a exercé des représailles contre elle dans ces cas.

B.                 Responsabilité vis-à-vis la plainte contre Postes Canada

[178]       La plainte déposée contre Postes Canada repose principalement sur le fait que cette dernière na pas réussi à fournir à la plaignante un environnement de travail sûr et exempt de harcèlement. Plus précisément, elle aurait été mise au courant de lincident de lattouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005 le même jour et na rien fait pour y remédier. Elle a ensuite continué de ne pas régler correctement par la suite le conflit qui sintensifiait entre la plaignante et lintimé à titre personnel. Bien que la Commission ait renvoyé la plainte au Tribunal au motif dune violation alléguée des articles 7 et 14 de la LCDP, les parties, dans leurs déclarations (exposé des précisions), et la présentation des éléments de preuve et arguments (la plaignante na pas fait dobservations finales) à laudience, ont porté sur larticle 14 seulement. Par conséquent, je considère que la violation alléguée de larticle 7 a été abandonnée.

[179]       Jai tiré de nombreuses conclusions de fait concernant ces questions. Je vais aborder la question de la responsabilité en analysant lapplication de la loi en ce qui concerne larticle 65 de la LCDP – Responsabilité dentreprise/dautrui. Cet article prévoit que « la personne, lorganisme ou lassociation » peut se soustraire à son application sil peut être établit que lacte ou lomission, et que, par la suite, lacte ou lomission ne doivent pas être considérées comme un acte ou une omission commis par la « personne, lorganisme ou lassociation » sil peut être démontré :

1)                  « que lacte ou lomission a eu lieu sans son consentement »;

2)                  « quil avait pris toutes les mesures nécessaires pour lempêcher »;

3)                  que, « par la suite, il a tenté den atténuer ou den annuler les effets ».

[180]       Jai tiré des conclusions de responsabilité contre M. Thambirajah pour lincident de lattouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005 et lincident des représailles « du stationnement » qui sest produit en février 2010; ce dernier incident ne fait pas partie de la plainte déposée contre Postes Canada. Une société intimée peut uniquement être tenue responsable en vertu de la LCDP pour avoir omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement dans les cas où une conclusion de harcèlement a été établie. Larticle 4 de la LCDP stipule quun intimé peut faire lobjet dune ordonnance corrective prévue à larticle 53 ou 54, sil est reconnu coupable davoir commis un acte discriminatoire. En conséquence, mon analyse ici portera sur les trois critères ci-dessus de larticle 65 concernant ma conclusion contre M. Thambirajah pour lincident de lattouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005.

Le premier critère : le harcèlement a eu lieu sans le consentement de Postes Canada

[181]       Je suis convaincu que le harcèlement sexuel dont a été victime la plaignante de la part M. Thambirajah, incident survenu le 9 novembre 2005, a eu lieu sans le consentement de Postes Canada. Dabord, jai tiré une conclusion de fait selon laquelle Postes Canada nen avait pas eu vent avant que Mme Cassidy remette sa plainte écrite du 25 avril 2006 à M. Tidman ce même jour. Postes Canada a signé des dispositions de lutte contre la discrimination et le harcèlement, y compris des procédures pour régler lesdites plaintes, dans ses conventions collectives successives avec le STTP. Elle a mis en place de vastes politiques/procédures à cet égard. Jai entendu des témoignages au sujet de la formation quont reçus les gestionnaires et les travailleurs à ce sujet. De plus, Postes Canada navait aucun moyen de prévenir les actes commis par M. Thambirajah. En fait, elle ne sattendrait pas à un tel comportement de la part dun délégué syndical.

[182]       La réaction que M. Tidman et Mme Edmunds ont eue en apprenant lincident du 25 novembre 2006 et les mesures qu’ils ont prises par la suite illustrent à quel point ils ont pris laffaire au sérieux et révèlent que Postes Canada naccepterait ou ne tolérerait jamais un tel comportement. Il ne fait aucun doute que ce genre de comportement est contraire aux politiques de lutte contre la discrimination et le harcèlement de Postes Canada et constitue un manquement aux responsabilités et aux obligations de M. Thambirajah en tant quemployé.

Le deuxième critère : Postes Canada avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher lacte ou lomission

[183]       Les commentaires que jai formulés ci-dessus démontrent aussi que Postes Canada avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que se produisent de tels actes.

Le troisième critère : Postes Canada a tenté den atténuer ou den annuler les effets

[184]       Postes Canada a pris beaucoup de mesures concrètes en vue de respecter ce troisième critère, dont certaines sont allées au-delà des exigences de la LCDP. Cependant, il y avait beaucoup dautres exemples flagrants où elle a omis de respecter le seuil de diligence raisonnable pour régler lincident du 9 novembre 2005, pour lequel je dois conclure quelle est responsable.

[185]       Dabord, je vais aborder les mesures concrètes. Jaimerais, dentrée de jeu, féliciter M. Tidman et Mme Edmunds pour les mesures quils ont prises. Ce sont les principaux gestionnaires de Postes Canada qui se sont occupés de cette question. Parmi les choses quils ont faites pour [traduction] « atténuer les effets » de lincident de harcèlement sexuel de novembre, précisons les suivantes :

1)                  M. Tidman a immédiatement tenté de communiquer avec Mme Edmunds, lagente responsable des droits de la personne;

2)                  Ils ont tous deux fait preuve de compassion et de sensibilité face à Mme Cassidy. M. Tidman a tenté de savoir à maintes reprises où en était lenquête. Mme Edmunds a souvent parlé avec elle, pour la réconforter. Elle éprouvait de lempathie envers la plaignante, elle avait de la [traduction] « compassion » pour elle. Jaccepte son témoignage selon lequel, [traduction] « Doris mavait touchée droit au cœur » jusquà ce quelle demande ce qui sétait passé à la suite de la lecture de la plainte de mars 2007 que Mme Cassidy a déposée à la Commission;

3)                  Mme Edmunds a elle-même pris linitiative de procéder au transfert de Mme Cassidy de Willowdale D à Oshawa en octobre 2006. Je dis cela malgré le fait que M. Thambirajah avait déjà été transféré à un autre endroit – Unionville – à ce moment-là;

4)                  Le rapport denquête et les conclusions de Mme Edmunds étaient justes et raisonnables, bien que jaie certaines réserves précises ainsi quil est indiqué ci‑dessous.

[186]       Dautres mesures ont été qualifiées de décentes, réfléchies et atténuantes, notamment celle daccorder à Mme Cassidy deux semaines de « paye de vacances » et celle dalerter le service de sécurité de veiller sur elle à Oshawa. Ces mesures sont davantage une réponse au [traduction] « harcèlement continuel » dont sest plainte Mme Cassidy, que je nai pas jugé discriminatoire au titre de la LCDP en raison de mes conclusions de fait et/ou de la loi. Cependant, il pourrait être soutenu que ces mesures datténuation découlent de lincident qui est à lorigine du conflit, soit lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre 2005, et visent à le régler.

[187]       Quest-ce qui na pas été fait pour respecter les normes de la LCDP vis-à-vis lincident du 9 novembre 2005? Pour répondre à cette question, je vais me concentrer sur ce qui suit : la [traduction] « la comédie des erreurs et les malentendus », pour reprendre les termes de Mme Edmunds. Il ny a pas de doute quil y a eu un profond malentendu entre M. Tidman et Mme Edmunds entre le 25 avril et le 14 mai 2006. Il ne sagissait pas dun malentendu volontaire, mais il sest néanmoins produit et aurait pu être évité. Quelle a été lincidence de ce malentendu :

[traduction]

1)      Le délai de dix jours pour imposer une mesure disciplinaire à M. Thambirajah n’a pas été respecté. Quelle en est la portée? Dabord, si le délai avait été respecté, la direction aurait pu appliquer la recommandation de Mme Edmunds formulée dans son rapport denquête du 1er septembre 2006, à savoir imposer une [traduction] « suspension pour inconduite grave » de cinq jours sans solde à M. Thambirajah. Cette mesure, assortie des autres recommandations disciplinaires, aurait dûment remédié au tort qui a été causé à Mme Cassidy le 9 novembre 2005 et aurait envoyé un message à M. Thambirajah et aux autres employés, soit que le harcèlement sexuel en milieu de travail est un comportement jugé vraiment inacceptable. Les employés‑plaignants, comme Mme Cassidy, étaient raisonnablement en droit de sattendre à ce que lesdites modalités de la convention collective négociée entre Postes Canada et le STTP soient respectées. En outre, les autres mesures disciplinaires recommandées auraient pu être appliquées par Postes Canada, y compris celles qui ont eu lieu uniquement par voie de consentement de M. Thambirajah;

2)      Postes Canada aurait pu commencer lenquête trois semaines plus tôt et la terminer plus tôt, au lieu de transmettre le rapport et les recommandations aux parties en septembre 2006. Le syndicat sétait plaint, non sans raison, au sujet du délai en août 2006. Le paragraphe 56.05 (enquête) de la convention collective est rédigé ainsi :

a)      Lorsque la Société reçoit une plainte signée, elle entame une enquête dans un délai raisonnable et, dans tous les cas, sefforce de commencer l’enquête dans les trois (3) jours ouvrables suivant réception de la plainte.

b)      La Société veille à ce que lenquête soit effectuée dans un délai raisonnable.

3)      Postes Canada aurait dû réagir plus tôt et demander à Mme Cassidy si elle souhaitait être mutée temporairement à lextérieur de la succursale Willowdale D, conformément au paragraphe 56.07 de la convention collective. Après tout, lorsque Mme Cassidy a remis sa plainte écrite à M. Tidman le 25 avril 2006, il (et par conséquent Postes Canada) était au courant des récentes altercations verbales et injures en avril survenues entre la plaignante et lintimé à titre personnel, qui ont abouti à la prise de mesures disciplinaires à légard de tous les deux.

Quest-ce qui aurait pu empêcher le malentendu

[188]       Je reconnais que [traduction] « les examens a posteriori sont plus faciles ». Cependant, il y a un avantage à examiner la question, non seulement pour déceler ce qui a fait fausse route, mais pour éviter que cela se reproduise. Parmi les pouvoirs que confère lalinéa 53(2)a) de la LCDP au Tribunal figurent les mesures destinées à prévenir les actes semblables dans les [traduction] « pratiques ultérieures ».

[189]       Premièrement, je reconnais que le malentendu est survenu entre deux personnes intelligentes et expérimentées. Deuxièmement, le malentendu est attribuable à une erreur humaine et favorisé par la technologie ou labsence de technologie. Enfin, dautres circonstances ont contribué au malentendu, notamment labsence de Mme Edmunds du bureau pendant cette période cruciale après le 25 avril 2006. Ce malentendu aurait pu être évité si M. Tidman avait expressément indiqué dans son courrier électronique et les appels téléphoniques effectués à Mme Edmunds quil communiquait maintenant avec elle concernant une allégation non divulguée auparavant de harcèlement sexuel : à savoir lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre 2005, non pas au sujet des incidents liés à léchange de jurons et au langage inapproprié survenus entre le 10 et le 19 avril 2006. Et, bien sûr, Mme Edmunds, de son côté, aurait pu raisonnablement soupçonner, ou à tout le moins disposer dun motif pour mener une enquête, si son courriel et ses messages vocaux avaient été différents, étant donné que deux semaines (12 ou 13 avril) sétaient écoulées depuis quil lavait appelée au sujet des incidents liés à léchange de jurons et au langage inapproprié.

[190]       Labsence dun télécopieur ou dun numériseur à Willowdale D et dun « message automatisé dabsence » pour le compte de messagerie de Mme Edmunds a également contribué au malentendu. En outre, lorsque Mme Edmunds était absente, lenveloppe comportant la plainte du 25 avril que M. Tidman avait envoyée est restée dans le bureau de Mme Edmunds pendant trois semaines sans que personne ne l’ouvre. Elle navait aucun adjoint ou remplaçant pour régler les questions urgentes en son absence, ou, si une personne avait été désignée, M. Tidman lignorait.

C.                Participation du syndicat dans cette affaire

[191]       Le STTP na pas été nommé comme partie intimée en lespèce. Par conséquent, je nai pas fait de conclusions défavorables contre celui-ci, y compris la façon dont il a traité les allégations de harcèlement formulées par l’un de ses membres contre un autre de ses membres, qui est délégué syndical.

VIII.       Mesures de réparation

[192]       Après avoir conclu que les plaintes déposées contre M. Thambirajah et Postes Canada étaient fondées en partie, je passe maintenant à la question de la réparation en vertu de larticle 53 de la LCDP. La LCDP et dautres lois antidiscriminatoires sur les droits de la personne visent à « rétablir un plaignant dans sa situation antérieure », à mettre cette personne dans une position dans laquelle elle aurait été si elle navait pas été victime de discrimination. La LCDP est une loi réparatrice. Elle vise à compenser, non pas à punir un intimé. Cela dit, les facteurs aggravants (par opposition aux facteurs punitifs) et atténuants sont pertinents le moment venu daccorder une indemnité. La réparation doit être raisonnable et avoir un lien de causalité avec lacte discriminatoire dont a constaté l’existence.

A.                Réparation vis-à-vis la plainte déposée contre M. Thambirajah

Indemnité pour acte « délibéré et inconsidéré » et pour « préjudice moral » : harcèlement sexuel

[193]       Jai examiné la jurisprudence suivante du Tribunal en matière de harcèlement sexuel concernant lindemnisation à accorder pour le préjudice moral dont la victime a souffert en raison de lacte discriminatoire, jusquà concurrence de 20 000 $, et celle à accorder à titre d« indemnité spéciale » pour les actes discriminatoires qui sont délibérés ou inconsidérés, jusquà concurrence de 20 000 $, conformément à lalinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP, respectivement. En plus de la jurisprudence que les parties ont déposée, jai examiné les décisions suivantes : Woiden c. Lynn, 2002 CanLII 8171; Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 21; Des Rosiers et al. C. Barbe, 2003 TCDP 24; Goodwin c. Birkett, 2004 TCDP 29; Mowat c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 31; Hunt c. Transport One Ltd., 2008 TCDP 23 et Naistus c. Chief, 2009 TCDP 4.

[194]       Je suis convaincu quil est approprié daccorder à la victime en lespèce une indemnité pour avoir subi un acte discriminatoire « délibéré » et « inconsidéré ». M. Thambirajah aurait dû savoir que le geste et le commentaire du 9 novembre 2005 étaient « non sollicités » par Mme Cassidy. Je crois quil savait que ce comportement était indigne dun collègue et surtout, dun délégué syndical. À tout le moins, son geste et son commentaire constituaient du harcèlement sexuel à lendroit de Mme Cassidy, un acte « téméraire » commis, sans tenir compte des conséquences.

[195]       Ainsi, jaccorde à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour le préjudice moral subi et une « indemnité spéciale » dun montant de 2 500 $. Jai déterminé le montant après avoir examiné les indemnités accordées dans les cas de harcèlement sexuel précisés ci-dessus. Ici, il sagissait dun seul événement et le contact physique a été de courte durée et de nature relativement moins sévère que dans dautres cas.

Indemnité pour acte « délibéré et inconsidéré » et pour « préjudice moral » : représailles

[196]       Linterdiction dexercer des représailles en vertu de larticle 14.1 de la LCDP constitue un type distinct d« acte discriminatoire ». Il nécessite lexamen dun type distinct de dommages sous la forme dune indemnisation. Jai mentionné plus tôt limportance que les plaignants puissent pouvoir déposer une plainte auprès de la Commission en vertu de la LCDP tout en préservant leurs droits en vertu de la LCDP d’être à l’abri de toute discrimination et tout harcèlement sans crainte de représailles. Cela est dautant plus important pendant le déroulement de la procédure devant le Tribunal. Par conséquent, la violation de son droit à être protégée contre les représailles donne lieu à une indemnité pour le « préjudice moral » qua subi Mme Cassidy. Jestime aussi que M. Thambirajah a exercé des représailles contre elle (p. ex., lincident du parc de stationnement) de manière « délibérée » ou à tout le moins « inconsidérée ». Vu les incidents quil a eus avec Mme Cassidy qui ont donné lieu à laudience et qui sont survenus pendant laudience, il naurait pas dû se trouver à proximité du véhicule de la plaignante et de celle-ci après laudience, et encore moins regarder la plaque dimmatriculation, puis la regarder avec un sourire ou en faisant une mimique.

[197]       À cet égard, jaccorde à la plaignante une indemnité de 2 000 $ pour préjudice moral et une « indemnité spéciale » dun montant de 500 $. Le montant reflète limpact relativement limité que l’exercice de représailles à titre d’acte discriminatoire a eu sur la plaignante.

Autres réparations sollicitées par la plaignante

[198]       Dans son exposé des précisions, la plaignante a demandé que les réparations additionnelles suivantes soient imposées à lintimé à titre personnel : quil soit renvoyé de Postes Canada, ou encore, quune mesure disciplinaire soit prise à son égard; quil [traduction] « soit radié de tous ses comités syndicaux » et perde son poste à titre de délégué syndical.

[199]       Il nest pas clair si jai compétence pour accorder ces réparations demandées, vu labsence dobservations sur ce point par les parties. Ceci est distinct de la question de savoir si ces réparations auraient un lien de causalité approprié avec les actes discriminatoires relatifs au harcèlement sexuel et aux représailles que jai constatés. En outre, le STTP nest pas partie à cette procédure et aurait sans doute été touché par lesdites réparations qui ont trait à la convention collective négociée entre le STTP et Postes Canada. Pour les motifs qui précèdent, je refuse dordonner lesdites réparations.

B.                 Réparation vis-à-vis la plainte contre Postes Canada

[200]       Lavocat de Postes Canada soutient ce qui suit au paragraphe 88 de ses observations finales : [traduction] « Puisque Mme Cassidy na formulé aucune observation en ce qui concerne la réparation, la Société estime quil est maintenant trop tard pour quelle demande une réparation à légard du salaire ou une indemnité pour le préjudice moral subi ». Je ne suis pas daccord. Même sil est vrai que la plaignante na pas fait dobservations finales (pour les raisons énumérées en détail dans la présente décision), Postes Canada (et M. Thambirajah) ont été avisés des réparations demandées dès le début de la procédure, ainsi quil est indiqué dans son exposé des précisions. Il y a aussi une preuve abondante – de vive voix et documentaire – se rapportant aux réparations demandées, et sur laquelle M. Machelak a fait un contre-interrogatoire. En effet, lavocat de Postes Canada aborde le bien-fondé de la réclamation de la plaignante pour perte de salaire aux paragraphes 89 et 90 de ses observations finales.

Indemnité pour acte « délibéré et inconsidéré » et pour « préjudice moral »

[201]       Jai souligné plus tôt dans la section Responsabilité mes conclusions tirées à lencontre de Postes Canada. Elles étaient liées uniquement à lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre 2005. La réparation doit donc correspondre au comportement discriminatoire reconnu comme tel – le « lien de causalité ». Jai aussi pris en compte les circonstances atténuantes, y compris les nombreuses mesures concrètes que Postes Canada a prises pour améliorer la situation de la plaignante, surtout suivant les directives de Mme Edmunds. En outre, jai tenu compte de labsence dintervention et des [traduction] « signaux contradictoires » envoyés par la plaignante, notamment concernant la postulation ou la mutation à lextérieur de Willowdale D. De plus, je ne crois pas que Postes Canada ait violé les droits de la plaignante de manière délibérée ou inconsidérée; par conséquent une telle indemnité ne sera pas accordée. Je tiens à ajouter que le simple fait que lemployeur nait pas exercé « toutes les mesures nécessaires » ne signifie pas en soi quil était « irresponsable » ou « volontaire », donnant ainsi droit à une telle indemnisation en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[202]       En conséquence et à la lumière de ce qui précède, jaccorde une indemnité de 5 000 $ pour le « préjudice moral » que Postes Canada a fait subir à la plaignante. Le montant a été déterminé en tenant compte du choc émotif et de lanxiété que le manque de diligence raisonnable de Postes Canada a causés à la plaignante.

Perte de salaire

[203]       À la fin du contre-interrogatoire de Mme Cassidy, celle-ci réclamait une indemnité pour perte de salaire pour 17 jours, entre le 12 avril 2006 et le 30 novembre 2007. Aucune réclamation nétait faite pour des jours entre le 9 novembre 2005 et le 11 avril 2006. Lors de laudience, la plaignante, à la fois directement et par lentremise de sa représentante, Mme Marshall, a clairement mentionné que l’indemnité pour perte de salaire qu’elle demandait concernait Postes Canada et non M. Thambirajah.

[204]       Comme cest le cas en ce qui concerne les autres types de réparations, une ordonnance quant au paiement d’une indemnité pour la perte de salaire doit être liée à la violation des droits de la plaignante en vertu de la LCDP par Postes Canada. Même si je devais évaluer cette demande de réparation particulière du point de vue du paragraphe 65(1) – c.-à-d. Postes Canada « prise à la place de » M. Thambirajah – les jours visés par l’indemnité pour perte de salaire devraient encore avoir un lien de causalité avec les actes discriminatoires constatés à lencontre de M. Thambirajah (c.-à-d. lincident de lattouchement et du commentaire du 9 novembre 2005 et lincident de représailles). La première journée visée par l’indemnité réclamée – le 12 avril 2006 – correspond au jour où la plaignante et lintimé à titre personnel se sont échangés des jurons et se sont parlés avec un langage inapproprié. Jai conclu que Postes Canada nétait pas responsable de ce comportement de la plaignante et de lintimé à titre personnel entre le 10 et le 19 avril 2006, et je nai pas non plus conclu que lintimé à titre personnel était responsable de ces incidents. En conséquence, Postes Canada nest pas tenue dindemniser la plaignante parce qu’elle a utilisé un jour de vacances le 12 avril 2006.

[205]       Les 16 autres jours visés par l’indemnité demandée, entre le 15 novembre 2006 et le 30 novembre 2007, correspondent tous à des jours après la dénonciation faite par Mme Cassidy le 25 avril 2006 de lincident du 9 novembre 2005. Ils ont été pris, aux dires de la plaignante, à la suite du stress et du [traduction] « harcèlement continuel » de la part de M. Thambirajah. Ils ne sont pas liés aux éléments pour lesquels jai conclu à un manque de diligence raisonnable de la part de Postes Canada – par exemple, pour ne pas avoir respecté le délai de mesure disciplinaire de 10 jours, ne pas avoir été davantage proactive et avoir tenté plus tôt de séparer la plaignante et lintimé à titre personnel, etc. Il nexiste pas non plus de liens de causalité entre ces jours et les actes discriminatoires que jai conclus que lintimé à titre personnel avait commis ou ces jours ne sont pas « attribuables aux actes discriminatoires ». En conséquence, je refuse de rendre une ordonnance dindemnisation contre Postes Canada pour ces pertes de salaire.

La plaignante et lintimé à titre personnel ne travaillant plus jamais ensemble

[206]       Afin déviter que Mme Cassidy soit de nouveau victime de harcèlement ou de représailles de la part de M. Thambirajah pendant qu’ils occupent tous deux un emploi auprès de Postes Canada, jaccueille la demande de la plaignante visant à obtenir une ordonnance afin que Postes Canada veille à ce que Mme Cassidy et M. Thambirajah ne soient plus jamais affectés dans la même succursale ou le même bureau de service. Je suis convaincu quune telle ordonnance entre dans le cadre du vaste pouvoir de redressement qui mest conféré en vertu de la LCDP[1].

Son propre trajet désigné de livraison du courrier

[207]       Dans son exposé des précisions, la plaignante a demandé d’obtenir une ordonnance enjoignant Postes Canada de lui affecter un trajet désigné de livraison du courrier. Voici ce quelle a écrit : [traduction] « Je pense que je lai mérité après ce que jai dû endurer pendant les quatre dernières années, et jaimerais avoir la liberté de choisir. » Je refuse daccorder cette réparation puisquil na pas été établi quil existe un lien de causalité entre la réparation demandée et les actes discriminatoires au sujet desquels jai tiré une conclusion défavorable à l’égard de Postes Canada (ou de lintimé à titre personnel plus précisément).

C.                Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées

[208]       Des intérêts simples, calculés sur une base annuelle et à un taux équivalent à celui de la Banque du Canada (série mensuelle), doivent être octroyés sur toutes les indemnités ordonnées. La période dintérêt devra sappliquer à compter de la date du dépôt auprès de la Commission de la plainte de la plaignante en vertu de la LCDP jusquau paiement desdites indemnités accordées relativement aux conclusions de responsabilité en matière de « harcèlement ». En ce qui concerne lindemnité pour les « représailles », la période dintérêt devra sappliquer à compter de la date de laccueil de la requête visant à modifier la plainte afin dinclure des allégations de représailles, jusquà la date de paiement de ladite indemnité accordée.

D.                Maintien de la compétence

[209]       Je demeure saisi de la présente affaire pour une période de trois mois à compter de la date de la présente décision et ordonnance, pour régler toute question liée à la mise en œuvre.

IX.             Ordonnance

[210]       Ayant conclu que les plaintes de Mme Doris Cassidy déposées contre M. Raj Thambirajah et la Société canadienne des postes étaient partiellement fondées, le Tribunal ordonne que :

Indemnité

1)      M. Thambirajah verse à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour le préjudice moral découlant du harcèlement sexuel et une « indemnité spéciale » dun montant de 2 500 $;

2)      M. Thambirajah verse à la plaignante une indemnité de 2 000 $ pour le préjudice moral découlant des représailles et une « indemnité spéciale » dun montant de 500 $;

3)      Postes Canada verse à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour préjudice moral;

La plaignante et lintimé à titre personnel ne travailleront plus jamais ensemble

4)      Postes Canada veille à ce que Mme Cassidy et M. Thambirajah ne soient plus jamais affectés dans la même succursale ou le même bureau de service;

Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées

5)      Des intérêts simples, calculés sur une base annuelle et à un taux équivalent à celui de la Banque du Canada (série mensuelle), soient octroyés sur toutes les indemnités ordonnées. La période dintérêt devra sappliquer à compter de la date du dépôt auprès de la Commission de la plainte de la plaignante en vertu de la LCDP jusquau paiement desdites indemnités accordées relativement aux conclusions de responsabilité en matière de « harcèlement ». En ce qui concerne lindemnité pour les « représailles », la période dintérêt devra sappliquer à compter de la date de laccueil de la requête visant à modifier la plainte afin dinclure des allégations de représailles, jusquà la date de paiement de ladite indemnité accordée;

Maintien de la compétence

6)      Le Tribunal demeure saisi de la présente affaire pour une période de trois mois à compter de la date de la présente ordonnance, pour traiter de toute question liée à la mise en œuvre.

 

Signée par

Matthew D. Garfield

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 23 novembre 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1415/4109 et T1416/4209

Intitulé de la cause : Doris Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah

Date de la décision du tribunal : Le 23 novembre 2012

Date et lieu de l’audience : Du 1er au 3, le 5, et du 16 au 19 février 2010

Du 7 au 9 avril 2010

Du 26 au 28 et le 31 mai 2010

Le 20 juillet 2010

Le 14 mars 2011

Du 4 au 7 et le 11 octobre 2011

Le 19 janvier 2012

(Rejet de la requête visant à rouvrir l’audience)

Toronto (Ontario)

Comparutions :

Julie Marshall,

(jusqu’au 10 novembre 2010)

William Kelly

(du 10 novembre 2010 au 14 mars 2011; du 25 avril 2011 à ce jour)

Doris Cassidy (du 14 mars 2011 au 25 avril 2011), pour la plaignante

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Zygmunt Machelak, pour la Société canadienne des postes, l'intimé

Mark Platt, pour Raj Thambirajah, l'intimé



[1]Voir la décision similaire rendue par la Commission denquête de lOntario (Droits de la personne) dans McKinnon c. Ontario (Ministère des Services correctionnels (no 3) (1998), 32 C.H.R.R. D/1, décision qui incluait une ordonnance afin quun superviseur intimé travaillant au même centre correctionnel que le plaignant soit réaffecté et que ledit superviseur et une autre personne ne travaillent plus jamais à lavenir au même endroit que le plaignant. Ladite ordonnance na pas été modifiée par les tribunaux.

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