Contenu de la décision
Entre :
Doris Cassidy
la plaignante
- et -
Commission canadienne des droits de la personne
la Commission
- et -
Société canadienne des postes
- et
Raj Thambirajah
les intimés
Décision
Membre : Matthew D. Garfield
Date : Le 23 novembre 2012
Référence : 2012 TCDP 29
Table des matières
Page
III......... Les retards et la longueur de la procédure
A. La requête visant à rouvrir la cause de la plaignante et les événements subséquents
V........... Conclusions de fait
A. Le 9 novembre 2005 : l’incident de l’attouchement et du commentaire
B. Le rapport d’enquête de Postes Canada
C. Conclusions concernant l’incident du 9 novembre 2005
D. Du 10 novembre 2005 au 9 avril 2006 : l’interaction entre la plaignante et l’intimé
E. Le conflit s’intensifie en avril 2006
F. La plainte écrite à Postes Canada en date du 25 avril 2006
G. Est-ce que Postes Canada était au courant de l’incident du 9 novembre avant le 25 avril 2006?
I. Les facteurs de stress dans la vie de Mme Cassidy
J. La prétendue réunion entre Mme Cassidy et ses superviseurs (et A. B.)
K. Quand Postes Canada a-t-elle pris connaissance pour la première fois de l’incident du 9 novembre?
L. Ce qui s’est produit après le 25 avril 2006 : la « comédie des erreurs » et les malentendus
M. Autres mesures prises par Postes Canada après le 25 avril 2006
O. Trois allégations de représailles durant l’audience
B. Responsabilité du fait d’autrui (société) : article 65 de la LCDP
C. Représailles : article 14.1 de la LCDP
A. Responsabilité vis-à-vis la plainte contre M. Thambirajah
B. Responsabilité vis-à-vis la plainte contre Postes Canada
C. Participation du syndicat dans cette affaire
VIII..... Mesures de réparation
A. Réparation vis-à-vis la plainte déposée contre M. Thambirajah
B. Réparation vis-à-vis la plainte contre Postes Canada.
C. Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées
I. Introduction
[1] Voici les motifs de ma décision relativement aux plaintes déposées par Doris Cassidy contre Raj Thambirajah (l’intimé à titre personnel), un collègue et délégué syndical, et la Société canadienne des postes (Postes Canada), son employeur. La plaignante allègue que M. Thambirajah l’a harcelée sexuellement, en contravention du paragraphe 14(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, version modifiée (la LCDP). La plainte a été modifiée de manière à inclure trois incidents de représailles qui seraient survenus durant la période où se déroulait l’instance, en contravention de l’article 14.1 de la LCDP. La plainte contre Postes Canada est que cette dernière aurait défavorisé Mme Cassidy et omis de lui assurer un lieu de travail exempt de harcèlement fondé sur le sexe, en contravention de l’alinéa 7b) et du paragraphe 14(2) de la LCDP, respectivement. Les plaintes ont été instruites dans une seule instance. La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) n’a pas participé à l’audience.
II. Décision
[2] Les plaintes sont accueillies en partie.
III. Les retards et la longueur de la procédure
[3] La genèse des plaintes remonte au 9 novembre 2005 ou vers cette date (la plaignante ne se souvient pas de la date exacte), soit le jour où M. Thambirajah aurait harcelé sexuellement la plaignante en effectuant des attouchements et en formulant des commentaires inappropriés en milieu de travail. La plaignante a déposé ses plaintes le 27 mars 2007. La Commission les a acheminées au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) le 26 mai 2009. Les plaintes ont fait l’objet d’une gestion de cas, puis m’ont été assignées en vue de la tenue d’une audience. La première journée d’audience a eu lieu le 1er février 2010; la dernière, le 11 octobre 2011. Le Tribunal a clos la procédure lorsqu’il a rejeté la demande de la plaignante visant la réouverture de l’audience le 19 janvier 2012.
[4] Ce délai était trop long – la clôture est survenue sept années après l’événement qui a donné lieu à l’action. Je ne formulerai pas d’observations sur le délai entre le dépôt de la plainte à la Commission et le renvoi de cette plainte au Tribunal. Toutefois, je me permettrais d’en formuler sur le déroulement de l’affaire devant le Tribunal.
[5] Depuis de nombreuses années, on me confie l’arbitrage d’affaires relatives aux droits de la personne; or, la présente affaire est unique et s’est révélée plus difficile que d’autres, pour diverses raisons. D’abord, il y a eu des difficultés liées à la communication et à la production de la preuve. Ces difficultés avaient trait aux six journaux de la plaignante. Pour respecter son droit à la vie privée, j’ai accepté de les examiner pour en relever les éléments pertinents. Il y avait des centaines de pages à parcourir attentivement. Lorsque j’ai ordonné que certains extraits soient communiqués aux intimés et que les autres journaux soient renvoyés à la plaignante, il y a eu de la confusion. La plaignante ou la personne qui la représente a remis les documents non divulgués à M. Machelak, l’avocat de Postes Canada (mais pas à M. Platt, le représentant de l’intimé à titre personnel). La plaignante était perturbée que M. Machelak ait des sections confidentielles de ses journaux qui devaient être expurgées et elle l’a accusé de les avoir prises dans ses effets personnels dans la salle d’audience. Évidemment, M. Machelak a réagi à cette accusation avec indignation. Par la suite, il y a eu des problèmes avec les copies préparées par la plaignante. Les copies fournies à chacun des intimés, celle fournie à l’agente du greffe et celle présentée lors du témoignage ne correspondaient pas.
[6] J’aimerais également préciser que, étant donné que la plaignante était, à juste titre, troublée que des éléments intimes et privés aient été divulgués aux intimés, particulièrement à l’intimé à titre personnel, j’ai également rendu une ordonnance visant la mise sous scellés de certains documents et contraignant les intimés à remettre certains des documents communiqués par la plaignante au terme de la présente procédure et de toute procédure subséquente d’appel ou de contrôle judiciaire. L’inquiétude de Mme Cassidy était palpable et j’espère avoir trouvé un équilibre judicieux lorsque j’ai examiné les journaux et rendu l’ordonnance.
[7] De plus, l’horaire des témoignages a été remanié à quelques reprises, parfois même avant que les témoins n’aient achevé leur témoignage, afin de remédier à des problèmes d’horaire; je tiens à remercier les parties de leur coopération, qui a nous a permis d’éviter la perte de journées d’audience. En outre, avec le temps, il y avait la difficulté peu inhabituelle de trouver des dates de disponibilité communes pour les parties, leurs avocats ou représentants et le Tribunal.
[8] L’audience elle-même a nécessité plus temps – soit 22 journées d’audience, sans compter les nombreuses conférences téléphoniques de gestion de l’instance que j’ai tenues avec les parties pour régler diverses questions soulevées durant la procédure – en partie parce que le témoignage de la plaignante a duré plus longtemps que prévu. Comme nous le verrons ultérieurement, parfois la plaignante répondait de manière évasive, parfois ses réponses n’étaient pas évasives, mais elle avait tout de même de la difficulté à répondre aux questions, particulièrement durant le contre-interrogatoire. Il y a également eu une médiation, au milieu de la première semaine de l’audience, entre la plaignante et Postes Canada, menée par la présidente du Tribunal. Un règlement a été conclu, mais le lendemain la plaignante a dit qu’elle souhaitait [traduction] « déchirer » l’accord et aller de l’avant avec l’audience contre les deux intimés.
[9] Il y a aussi eu des requêtes qui ont eu pour effet de prolonger l’audience. Il y a eu une requête visant à modifier la plainte contre M. Thambirajah pour y ajouter une allégation de représailles relativement à trois incidents survenus durant la première semaine de l’audience. Il y a aussi eu une requête visant la présentation de preuves factuelles similaires.
[10] Une autre requête a eu un effet plus important : celle visant à rouvrir la cause de la plaignante après sa clôture le 28 mai 2010 et à y ajouter une allégation de représailles contre Postes Canada. En fin de compte, cette requête n’a pas été réglée avant le 14 mars 2011 – environ 10 mois plus tard. Et pendant ce délai, des changements sont survenus en ce qui concerne la représentation de Mme Cassidy : Julie Marshall (représentante) a été remplacée par William Kelly (avocat), puis la plaignante s’est représentée elle-même pendant une brève période après la décision de son avocat de se retirer du dossier. (Il est par la suite réapparu à titre d’avocat de la plaignante le 25 avril 2011 et ce, jusqu’à la fin de l’audience.)
A. La requête visant à rouvrir la cause de la plaignante et les événements subséquents
[11] La genèse de la requête visant à rouvrir la cause de la plaignante était la réunion que Mme Cassidy aurait eue avec ses superviseurs le 9 novembre 2005, soit le jour même de l’incident de harcèlement sexuel impliquant M. Thambirajah. J’aborderai cette question plus loin dans les présents motifs. Le 31 mai 2010, Mme Cassidy a dit pour la première fois qu’il y avait un témoin qui l’avait accompagnée et qui avait assisté à la réunion. Elle ne s’en était pas souvenue parce que, soutenait-elle, elle avait souffert de troubles de stress post-traumatique (TSPT) depuis ce jour en novembre 2005 et en souffrait encore le 28 mai 2010. J’ai fixé une date pour la présentation de documents et la présentation d’observations liées à cette requête, y compris le rapport d’expert d’un psychiatre. La plaignante n’avait pas consulté de psychiatre et n’avait pas reçu de diagnostic de TSPT de la part d’un médecin. J’ai discuté avec les parties du critère juridique applicable à la réouverture d’une cause, ainsi qu’il est exposé dans la décision Johnson c. Société Radio-Canada, 1994 CanLII 284 (TCDP) (Vermette), confirmée 1996 CanLII 3858 (CF). L’audience a été ajournée jusqu’à la date d’examen de la requête.
[12] Plusieurs événements sont alors survenus. Lors d’une conférence téléphonique, Mme Marshall a dit que la plaignante s’était [traduction] « présentée de son propre gré » à l’unité psychiatrique de l’hôpital Lakeridge après la séance d’audience du 31 mai 2010. Elle était maintenant sous les soins d’un psychiatre, le docteur Malamed. La plaignante n’a pas respecté sa première échéance pour le dépôt de la documentation liée à la requête. L’agente du greffe du Tribunal n’a pu joindre ni Mme Marshall ni la plaignante. Après l’écoulement de plusieurs semaines, Mme Marshall a finalement communiqué avec le Tribunal. J’ai alors accordé à la plaignante un délai supplémentaire pour déposer sa documentation. Lorsque cette documentation est arrivée le 8 octobre 2010, elle ne respectait pas une des exigences exposées le 31 mai 2010 : pour satisfaire au critère juridique, la partie requérante devait démontrer qu’elle souffrait de TSPT durant toute la période allant de l’événement ayant donné à l’action à la clôture de la preuve à l’audience. De plus, elle devait démontrer qu’elle avait fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation de sa preuve (autrement dit, elle ne pouvait pas être au fait de l’existence de ce témoin, comme en atteste le diagnostic de TSPT). La lettre du psychiatre de l’hôpital, qui ne répondait pas aux exigences d’un rapport d’expert aux termes des Règles de procédure du Tribunal, ne comportait pas de diagnostic de TSPT pour la période allant du 9 novembre 2005 à mai 2010.
[13] Départ de Mme Marshall; arrivée de l’avocat Kelly. Il convient de signaler qu’il s’agissait d’un dossier difficile et que Mme Marshall, qui n’avait aucune formation juridique, a représenté son amie Mme Cassidy à titre bénévole. Elle a accompli du bon travail dans ce contexte. Le 10 novembre 2010, M. Kelly a avisé le Tribunal que la plaignante avait retenu ses services. J’ai tenu une conférence téléphonique avec les parties le 29 novembre 2010. Malgré l’opposition des intimés, j’ai autorisé, encore une fois, la plaignante à déposer à nouveau la documentation liée à sa requête, la nouvelle échéance étant le 25 janvier 2011. Avec l’arrivée de l’avocat de la plaignante, j’espérais que la documentation serait déposée correctement et qu’il serait possible d’instruire la requête dans les plus brefs délais. Mes espoirs ne se sont pas concrétisés.
[14] Je dois ajouter que, avant que les services de M. Kelly ne soient retenus, pour faire avancer le processus et avec le consentement des parties, j’avais demandé le 31 mai 2010 que l’on entende d’abord le témoignage d’A. B. (qui aurait assisté à la prétendue réunion du 9 novembre 2005), avant d’ordonner à la partie requérante de déposer un rapport d’expert rédigé par un psychiatre et avant que les autres parties ne répliquent en présentant eux aussi un rapport d’expert. Selon les intimés, le témoin ne se trouvait même pas au bureau de service de Postes Canada en cause le 9 novembre 2005 – soit le jour de l’incident et de la prétendue réunion entre la plaignante et ses superviseurs. Le 20 juillet 2010, j’ai entendu le témoignage d’A. B. sur cette question, ainsi que les témoignages des témoins de Postes Canada. Les parties avaient convenu que la preuve se rapportant à la requête pourrait également servir à trancher « sur le fond » de la cause principale, le cas échéant, afin d’éviter qu’A. B. soit appelée à témoigner une nouvelle fois dans le cadre de l’audience « principale ».
[15] L’échéance du 25 janvier 2011 pour le dépôt par la plaignante de la documentation liée à sa requête est passée, sans un mot de la part de l’avocat de la plaignante. Des semaines ont passé. L’avocat de la plaignante n’a pas répondu aux lettres du Tribunal et aux messages laissés dans sa boîte vocale, lui signalant que l’échéance était passée. M. Machelak et M. Platt n’ont pas eu de ses nouvelles non plus. Le 2 février 2011, j’ai demandé au greffe du Tribunal d’envoyer une lettre à l’avocat de la plaignante pour l’aviser que, en raison de l’omission de déposer la documentation connexe, j’avais conclu au désistement de la requête visant à rouvrir la cause (et de l’autre requête visant à ajouter une allégation de représailles contre Postes Canada). L’audience reprendrait le 14 mars 2011.
[16] Une semaine avant la reprise de l’audience, le Tribunal a reçu une lettre de l’avocat de la plaignante demandant l’ajournement de l’audience et l’autorisation de poursuivre la requête et de déposer à nouveau la documentation connexe. Les autres parties se sont opposées à cette demande. J’ai rejeté la demande. Le 9 mars 2011, l’avocat de la plaignante a de nouveau écrit au Tribunal pour lui demander de revoir son rejet de la demande d’ajournement. J’ai répondu qu’il aurait [traduction] « l’occasion d’aborder cette question [en personne] lors de la reprise de l’audience le 14 mars 2011 […] » L’avocat de la plaignante a ensuite été admis à une clinique et a fait parvenir une note de son médecin signalant qu’il ne serait pas en mesure de participer à l’audience. Je lui ai alors demandé de trouver quelqu’un qui pourrait venir à sa place à l’audience pour défendre la demande d’ajournement; je lui ai également proposé la possibilité de tenir une conférence téléphonique avec les parties et moi en personne dans la salle d’audience. Il a choisi la deuxième option. Ainsi, le 14 mars 2011, l’audience a repris à Toronto, avec la participation de l’avocat de la plaignante (et de sa cliente) par téléconférence.
[17] Ce qui s’est passé ce jour-là était vraiment bizarre. L’avocat de la plaignante a expliqué qu’il avait souffert d’une [traduction] « grippe intestinale » pendant un mois et que c’était la raison pour laquelle il n’avait pas respecté les échéances et n’avait pas communiqué avec le Tribunal ou les autres parties. Il a également dit que, bien que trois mois et demi se fussent écoulés depuis la date de la conférence téléphonique à laquelle sa cliente avait obtenu encore une fois un délai supplémentaire pour déposer à nouveau la documentation liée à sa requête, il n’avait toujours pas obtenu de rapport d’expert de la part du Dr Malamed. La raison? Il avait écrit une lettre au psychiatre, mais venait d’apprendre qu’elle n’avait jamais été envoyée au Dr Malamed. Il a également affirmé que, si je refusais la demande d’ajournement et la poursuite de la requête, il se verrait obligé de se retirer du dossier et d’aviser son assureur de la possibilité d’une réclamation pour négligence. Les autres parties ont accepté un bref ajournement (étant donné que Mme Cassidy se trouvait à Oshawa avec son avocat, et non dans la salle d’audience) pour permettre à la plaignante d’embaucher un nouvel avocat; toutefois, elles s’opposaient catégoriquement à ce que la plaignante puisse poursuivre la requête. Les autres parties ont fait valoir que j’avais accordé suffisamment de chances à la plaignante pour le dépôt de sa documentation, que neuf mois et demi s’étaient écoulés depuis la présentation de la requête visant à rouvrir sa cause (soit le 31 mai 2010), et que l’avocat de la plaignante avait repris le travail et aurait certainement dû demander à son adjointe de communiquer avec le Tribunal et les autres parties, s’il n’était pas en mesure de le faire lui-même. J’étais du même avis. J’ai accordé un ajournement d’un mois à Mme Cassidy pour retenir les services d’un nouvel avocat et pour en aviser le Tribunal. Une date d’audience serait alors fixée. La requête ne serait pas accueillie. J’ai fourni des motifs de vive voix.
[18] Le mois s’est écoulé, sans un mot de Mme Cassidy ou de son nouvel avocat, contrairement à mon ordonnance. J’ai demandé à l’agente du greffe de faire parvenir une lettre aux parties (étant donné que Mme Cassidy se représentait elle-même maintenant) pour préparer une conférence téléphonique de gestion de l’instance où on fixerait les prochaines dates de l’audience. Le Tribunal a reçu les réponses des parties, dont celle de M. Kelly, qui a mentionné qu’il était de nouveau inscrit au dossier. J’ai tenu la conférence téléphonique et fixé les nouvelles dates de l’audience prévues pour octobre 2011 afin de mener à terme l’audience.
[19] Le mois d’octobre est arrivé et l’audience s’est assez bien déroulée. Nous avons achevé le volet de la preuve. Les parties ont demandé si elles pouvaient présenter des observations finales par écrit, suivies d’une brève plaidoirie par téléconférence. J’ai consenti à leur demande. J’ai fixé les échéances pour la présentation des observations finales et pour la conférence téléphonique. Je dois ajouter que l’avocat de la plaignante s’est bien comporté durant l’audience. Mes réserves ont trait à son comportement avant et après les dates d’audience en octobre 2011.
[20] L’échéance du 1er novembre 2011 pour la présentation des observations finales est passée sans que la plaignante ne présente les siennes et, de plus, sans la moindre communication de sa part. Encore une fois, j’ai demandé à l’agente du greffe de communiquer avec l’avocat de la plaignante pour savoir ce qui s’était passé; aucune réponse. J’ai demandé aux autres parties de présenter leurs observations écrites selon l’échéance fixée et elles l’ont fait. Le 28 novembre 2011, le Tribunal a finalement eu des nouvelles de l’avocat de la plaignante : une lettre demandant une prolongation du délai (bien après l’échéance du 1er novembre) pour la présentation des observations écrites et l’ajournement de la conférence téléphonique du 6 décembre 2011 prévue pour la plaidoirie, car il devait comparaître devant la Cour supérieure de l’Ontario à Oshawa ce jour-là, même si le Tribunal avait retenu cette date auparavant. Les autres parties s’opposaient catégoriquement à ces demandes, signalant qu’il s’agissait du même type de comportement que l’avocat de la plaignante avait adopté par le passé. Elles avaient subi un préjudice et souhaitaient achever l’audience. J’ai accueilli la demande d’ajournement de la conférence téléphonique présentée par l’avocat de la plaignante, à la condition qu’il communique avec M. Machelak et M. Platt pour établir une date de remplacement en décembre et qu’il en avise le Tribunal au plus tard le 9 décembre 2011. J’ai rejeté sa demande visant la présentation d’observations écrites, mais je lui ai dit qu’il pourrait présenter des observations orales. N’ayant pas reçu de nouvelles de l’avocat de la plaignante malgré la directive ci-dessus, le Tribunal a écrit aux parties le 16 décembre 2011 pour les aviser que, s’il n’avait pas de nouvelles de l’avocat de la plaignante au plus tard le 19 décembre, [traduction] « l’audience sera réputée close et le Tribunal amorcera la rédaction des motifs de décision ». J’ai également demandé à l’agente du greffe de téléphoner à l’avocat de la plaignante et, s’il n’était pas disponible, de laisser un message dans sa boîte vocale faisant état du contenu de la lettre. Elle a joint la réceptionniste, qui a confirmé l’adresse de courriel à laquelle le Tribunal a transmis la présente lettre et la correspondance antérieure. La réceptionniste a dit que l’avocat de la plaignante serait au bureau le 19 décembre 2011 et, par conséquent, serait en mesure de répondre à la lettre du Tribunal. Le 21 décembre 2011, le Tribunal a reçu une lettre télécopiée en date de la veille en provenance de l’avocat de la plaignante; il signalait, entre autres, qu’il devait [traduction] « consacrer toute la journée à des interrogatoires préalables », mais qu’il répondrait le lendemain. Il a prétendu n’avoir jamais reçu la lettre du Tribunal en date du 5 décembre 2011. Le 23 décembre 2011, il a écrit pour indiquer qu’il communiquerait avec les autres représentants en janvier 2012 en vue de s’entendre sur une date en janvier pour la tenue de la conférence téléphonique consacrée aux conclusions finales. J’ai ensuite demandé au Tribunal d’envoyer une lettre aux autres parties pour prendre connaissance de leurs positions. Les autres parties s’opposaient à la demande. Comme M. Machelak l’a noté avec justesse, [traduction] « M. Kelly a choisi d’ignorer la lettre [du Tribunal] tout comme il a ignoré les autres échéances fixées par le Tribunal ». Le 19 janvier 2012, j’ai fait parvenir une lettre aux parties leur indiquant que j’avais rejeté la requête de la plaignante visant la réouverture de l’audience. L’audience est demeurée close.
[21] Je tiens à signaler que je suis très conscient de la difficulté et de la gravité de la décision de clore une audience sans avoir reçu les observations de toutes les parties. En fait, je statue sur des affaires relatives aux droits de la personne aux niveaux fédéral et provincial (en Ontario) depuis plus de 14 ans, j’exerce l’arbitrage et la médiation en pratique privée, et il s’agit de la première fois qu’une telle situation se produit. Toutefois, j’estime que l’essentiel n’est pas tant de recevoir les observations finales de toutes les parties, mais d’avoir accordé à toutes les parties une occasion raisonnable de présenter leurs observations finales. Et je crois avoir accordé une chance plus qu’équitable à la plaignante d’exposer pleinement sa cause et aux intimés de présenter leur défense. Mais, à un moment donné, trop c’est trop, au-delà de ce point, l’intimé et la procédure du Tribunal subissent un préjudice. Cela constitue presque un usage abusif de la procédure du Tribunal et porte atteinte à son aptitude à gérer sa propre procédure. La jurisprudence est pleine d’exemples de tribunaux qui rejettent des causes (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) pour avoir omis de respecter les règles de procédure.
[22] De plus, je suis appelé à trancher une affaire de harcèlement sexuel. Dans notre société fondée sur le respect des droits, les personnes accusées de harcèlement sexuel sont stigmatisées. Souvent, le public ne fait pas de distinction entre les allégations de harcèlement sexuel et celles d’agression sexuelle criminelle. Dans l’arrêt Blencoe c. British Columbia (Human Rights Commission), 1998 CanLII 13300, inf. par 2000 CSC 44, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a écrit au paragraphe 57 : [traduction] « Bien que l’arbitrage des droits de la personne soit souvent décrit comme étant une procédure de médiation et de conciliation visant à remédier à la discrimination et à rétablir la victime dans sa situation antérieure, et non à punir la personne mise en cause, le fait demeure que des accusations non prouvées de harcèlement sexuel et de discrimination sexuelle entraînent, dans notre société, une forte stigmatisation. De telles accusations peuvent détruire des vies. » La présente affaire n’a pas seulement des répercussions sur M. Thambirajah, car il y a d’autres employés (et anciens employés) de Postes Canada dont les réputations sont mises en cause par les allégations se rapportant à leur action (ou inaction) à la suite de la plainte déposée par Mme Cassidy contre la Société canadienne des postes.
[23] Je dois ajouter que la poursuite de la requête visant à rouvrir la cause de la plaignante parce qu’elle souffrait de TSPT n’a pas d’intérêt pratique, compte tenu de ma conclusion – exposée plus loin dans les présents motifs – selon laquelle A. B. ne se trouvait pas à la succursale D de Willowdale (Willowdale D) à la suite de l’incident des attouchements ou des commentaires ayant eu lieu vers midi le 9 novembre 2005; par conséquent, elle ne pouvait pas avoir assisté à la réunion prétendument tenue entre elle, Mme Cassidy, M. Tidman et M. Sultan. Par conséquent, la partie requérante n’aurait pas respecté le troisième volet du critère juridique exposé dans la décision Vermette, précitée. Les trois volets du critère sont les suivants :
[traduction]
1) il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il n’aurait pas été possible d’obtenir les éléments de preuve pour présentation au procès;
2) les éléments de preuve doivent être susceptibles d’influer substantiellement sur l’issue de l’affaire, quoiqu’ils n’aient pas à être déterminants;
3) les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même s’il n’est pas nécessaire qu’ils soient irrécusables.
[24] Même si je n’ai pas reçu les observations finales de la plaignante, les témoignages oraux et la preuve documentaire présentés à l’audience ainsi que les exposés des précisions et les formulaires de plainte m’ont permis de formuler des conclusions de fait et de droit et de trancher les questions se rapportant à la responsabilité et à la réparation. Une dernière remarque : mea culpa – il m’a fallu dix mois depuis la clôture de la procédure le 19 janvier 2012 pour rédiger et publier l’exposé de mes motifs. Je remercie les parties de leur patience.
IV. Crédibilité
[25] En ce qui a trait à la crédibilité, je me reporte à l’arrêt maintes fois cité Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 (Cour d’appel de la Colombie-Britannique) :
[traduction]
[…]
Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire, son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité.
[…]
Le critère applicable consiste plutôt à examiner si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits de l’espèce. Bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c’est que son témoignage doit être compatible avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pragmatique et bien renseignée reconnaîtrait aisément comme raisonnable dans ce lieu et dans ces conditions.
[26] Je me suis efforcé de suivre l’approche ci-dessus. À titre d’arbitre, je suis conscient que la salle d’audience est un environnement artificiel où les témoins réagissent de manières différentes et personnelles au stress d’avoir à témoigner, etc. Par conséquent, leur comportement n’est qu’un des indices quant à la crédibilité. Ce qui compte davantage c’est le contenu de leur témoignage, ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit et écrit (car la preuve documentaire est importante aussi) au sujet des événements passés qui constituent l’objet de la plainte sur laquelle je dois rendre une décision, et comment leur témoignage se tient dans le contexte de l’ensemble de la preuve présentée. Je souhaite également ajouter qu’arriver à la conclusion qu’un témoin est crédible ou pas ne revient pas nécessairement à dire que tout ce que ce témoin a dit ou écrit est admis ou rejeté. Un témoin peut être sincère, tout en ayant tort au sujet des faits. J’ai tâché de tirer le sens de tous ces éléments de preuve et de formuler des conclusions de fait concernant ce qui s’est véritablement produit.
[27] Dans les présents motifs, je formulerai des conclusions quant à la crédibilité lorsque j’aborderai les diverses allégations. Toutefois, j’aimerais signaler que j’ai eu de sérieux doutes au sujet de la crédibilité et de la fiabilité de deux principaux témoins dans la présente affaire : Mme Cassidy et M. Thambirajah. Mme Cassidy répondait parfois de manière évasive et demandait qu’on lui répète les questions à plusieurs reprises. Le témoin Cam Tidman a affirmé que la plaignant n’est pas une [traduction] « grande communicatrice ». J’en ai tenu compte. Je conclus également que son témoignage sur des questions clés comportait des contradictions et des omissions. Ce qu’elle a dit à l’audience ne correspondait pas à ce qu’elle a dit à Postes Canada ou à la Commission, verbalement ou dans ses documents. Je fournirai des exemples plus loin dans les présents motifs. Sur certains points, je dois conclure qu’elle a fabriqué, embelli ou exagéré des choses. Mon doute est tel que j’hésite à admettre son témoignage sur des questions importantes contestées à moins d’avoir une forte preuve corroborante.
[28] Je doute aussi de la crédibilité et de la fiabilité de M. Thambirajah. Sur certaines questions, il s’est contredit durant son propre témoignage. Mentionnons à titre d’exemple son témoignage à l’audience au sujet de l’allégation de représailles dans le parc de stationnement, ainsi que ce qui s’est réellement produit le 9 novembre 2005. Même si l’anglais n’est pas sa langue maternelle, je suis convaincu qu’il maîtrise suffisamment bien l’anglais pour participer à l’audience, y compris pour témoigner. Il est vrai qu’il a un accent prononcé et que les avocats, les témoins et moi avions de la difficulté à le comprendre. Toutefois, il ne faut pas confondre le fait d’avoir un accent prononcé avec une difficulté à comprendre une langue ou à s’exprimer dans cette langue. M. Thambirajah est au Canada depuis plus de 30 ans, travaille à Postes Canada depuis 22 ans et est délégué syndical au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) chez Postes Canada depuis 1998. À ce titre, il est appelé à interpréter des documents juridiques complexes tels que la convention collective et une multitude de politiques et de règles organisationnelles et syndicales. Il communique en anglais et rédige également ses journaux et ses documents de travail en anglais.
[29] J’ai aussi eu des doutes au sujet du témoignage de John Pyziak. Bien que certains éléments de son témoignage étaient crédibles et fiables, d’autres ne l’étaient pas. Par exemple, il a donné quatre versions différentes de ce qui est arrivé le 9 novembre 2005, qui se trouvent dans : sa déclaration à Kelly Edmunds, chargée de l’enquête relative aux droits de la personne à Postes Canada; sa déclaration à l’enquêteur de la Commission; ses déclarations lors d’une conversation enregistrée avec M. Thambirajah; et son témoignage à l’audience.
[30] Par contre, j’ai trouvé que les témoins de Postes Canada étaient crédibles et que leurs témoignages étaient assez fiables ou exacts. En particulier, Mme Edmunds et Cam Tidman, chef de service à la retraite, ont témoigné longuement et avaient joué des rôles de premier plan dans les événements décrits ci-après. Ils se sont révélés des témoins crédibles.
V. Conclusions de fait
[31] Mme Cassidy était factrice suppléante chez Postes Canada en 2005, affectée à Willowdale D. Elle est encore employée par Postes Canada. Au besoin, elle remplaçait les facteurs réguliers et effectuait leurs itinéraires. Elle n’avait pas son propre itinéraire; elle pouvait être affectée à divers itinéraires et à différents bureaux de service. M. Thambirajah travaillait comme facteur chez Postes Canada depuis 2005 au même emplacement que Mme Cassidy. Il était également délégué syndical.
A. Le 9 novembre 2005 : l’incident de l’attouchement et du commentaire
[32] Voici la genèse des plaintes de Mme Cassidy. Le ou vers le 9 novembre 2005, elle se trouvait à la succursale et parlait avec un collègue, John Pyziak. Mme Cassidy ne se souvient pas de la date exacte et ne l’a jamais consignée par écrit. Toutefois, selon son témoignage, elle était [traduction] « certaine que c’était au début de novembre » en 2005. À la lumière de la preuve documentaire, y compris des calendriers, je conclus que l’incident est vraisemblablement survenu le 9 novembre 2005. Selon la plaignante, [traduction] « il était vers midi, […] les après-midi après le trajet [postal] […] il arrivait souvent que Raj [Thambirajah] reste un peu à la succursale après sa journée de travail ». L’heure est importante, comme nous le verrons plus tard lors de l’examen du témoignage d’A. B., qui a affirmé que l’incident s’était produit tôt le matin avant que les facteurs n’effectuent leurs itinéraires. Je conclus qu’il était près de midi lorsque l’incident est survenu.
[33] Mme Cassidy a mentionné que la première description de l’incident du 9 novembre 2005 (y compris la date) se trouvait dans un de ses journaux. J’ai examiné les six journaux présentés en preuve. Ils comptaient des centaines de pages au total. Je n’ai relevé aucune description de l’événement, ni de date. Elle a affirmé que cette description se trouvait dans le journal qu’elle avait remis à l’enquêteur, M. Cecile. Elle a affirmé que ce dernier ne lui avait pas rendu le journal. Selon le témoignage de M. Cecile, il avait examiné les journaux pour vérifier s’ils contenaient des renseignements pouvant mener, conformément à la demande de Mme Cassidy, à une accusation d’agression sexuelle contre M. Thambirajah. Selon l’agent, il ne se souvenait pas d’un renvoi à une date exacte ou à une description des événements dans le journal. S’il avait relevé un tel renvoi, il aurait été contraint de le signaler dans son rapport et d’en aviser la Couronne pour qu’elle le communique à la défense; de plus, il aurait signalé la date précise dans le rapport de police. Il a mentionné avoir vérifié avec les responsables de la salle de conservation des biens saisis et des preuves; le journal ne s’y trouvait pas non plus. J’admets ce témoignage.
[34] Parmi les éléments de preuve présentés, la première description écrite de l’incident du 9 novembre 2005 se trouve dans la plainte de Mme Cassidy à Postes Canada en date du 25 avril 2006. Dans cette plainte, elle a écrit que M. Thambirajah avait abordé M. Pyziak et elle :
[traduction]
À un moment donné, mon collègue lui a demandé pourquoi il fixait ma poitrine. Puis, mon collègue a remarqué qu’un bouton de ma chemise était défait et me l’a signalé. Au moment où je me tournais pour attacher le bouton, Raj a dit – « je ne fixais pas sa poitrine, elle n’a même pas de seins ». Pendant qu’il le disait, il a tiré sur ma chemise de façon à plonger un regard derrière. J’étais très fâchée, gênée et consternée de ce qui venait d’arriver.
[35] Dans sa plainte à la Commission, elle a écrit : [traduction] « En novembre 2005, pendant que je travaillais à Willowdale D, un collègue (Raj Thambirajah) a tiré sur ma chemise et l’a ouverte devant un autre collègue. »
[36] D’après la description de Mme Cassidy à l’audience, elle parlait à M. Pyziak, avec qui elle était en bons termes. Elle plaisantait avec lui. À un moment donné, M. Thambirajah est arrivé et, aux dires de la plaignante :
[traduction]
Raj me fixait. Johnny lui a demandé ce qu’il fixait […] Il [M. Thambirajah] a répondu : elle n’a même pas de seins. Il [John Pyziak] m’a dit que mes boutons étaient défaits. Au moment où je me tournais, il [Raj] a tendu les doigts et tiré ma chemise vers le bas […] et a plongé un regard derrière ma chemise […] Un des boutons s’est défait. J’étais gênée et humiliée […] Mes seins étaient exposés. Je lui ai dit de ne plus jamais me toucher, je l’ai traité d’imbécile. Il a tiré sur ma chemise et l’a ouverte, je voulais juste m’enfuir. Je me sentais humiliée. Raj a dit « elle n’a même pas de seins ». J’ai dit que ça n’a pas d’importance, il n’aurait pas dû me toucher.
[37] En contre-interrogatoire, on lui a demandé si elle avait dit quelque chose du genre [traduction] « j’ai de petits seins, on m’a toujours taquinée à l’école secondaire à cause de cela », elle a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas. Mais elle a réitéré que M. Thambirajah avait tiré sur sa chemise et plongé un regard derrière. Quant à son affirmation que ses seins avaient été exposés, elle a affirmé qu’elle portait un soutien-gorge balconnet. À la barre des témoins, elle s’est servie d’une chemise de Postes Canada comme accessoire pour faire une démonstration de ce qui était arrivé. Elle a clairement montré comment un bouton s’arrache lorsqu’on tire sur la chemise avec force, comme lorsque M. Thambirajah avait [traduction] « arraché » un des boutons et ouvert sa chemise.
[38] Dans le rapport de police en date du 14 octobre 2006 lié à l’accusation d’agression sexuelle (R1-33), il y a la déclaration suivante :
[traduction]
[Après que M. Thambirajah s’est joint à la conversation entre la plaignante et M. Pyziak…] Pendant ce temps, [expurgé par la police] a remarqué que [expurgé] fixait la poitrine de Mme Cassidy, [expurgé] puis a regardé Mme Cassidy et a constaté qu’un bouton de sa chemise était défait; Mme Cassidy s’est tournée rapidement pour boutonner sa chemise et c’est à ce moment que [expurgé] a affirmé : « je ne fixais pas sa poitrine, elle n’a même pas de seins ». Pendant que M. Thambirajah prononçait cette phrase, [expurgé] a tendu la main et saisi le haut de sa chemise de Mme Cassidy, puis l’a tirée vers le bas, faisant en sorte qu’un troisième bouton s’est défait. Mme Cassidy était tellement gênée et consternée qu’elle s’est tournée pour s’en aller en traitant [expurgé] de trou-de-cul et en lui disant « ça démontre encore une fois pourquoi personne ne t’aime dans cette succursale ».
Le témoignage de M. Thambirajah sur cette question
[39] Le témoignage de M. Thambirajah concernant ce qui était arrivé ce jour-là, si en fait quelque chose était arrivé, avait changé au terme de l’audience. Lorsque Kelly Edmunds l’avait questionné dans le cadre de son enquête en juin 2006, il avait nié l’incident. D’après l’exposé des précisions de M. Thambirajah déposé à l’audience, [traduction] « L’intimé reconnaît qu’il y a eu un contact inapproprié en novembre 2005, mais nie toute agression sexuelle envers la plaignante et, à ce qu’il se souvienne, l’incident n’était qu’un échange de plaisanteries entre collègues ». Pour expliquer la position de son client à l’audience, M. Platt a affirmé : [traduction] « Le conflit en milieu de travail survenu en avril 2006 a déclenché la plainte [relative à l’incident du 9 novembre 2005]. L’incident du 9 novembre 2005 a eu lieu, mais pas de la façon décrite par Mme Cassidy. Il s’agissait d’un flirt consensuel ». Dans ses observations finales, M. Platt a écrit au paragraphe 6 de son sommaire : [traduction] « Ni la plaignante ni aucun des autres témoins, y compris M. Pyziak, n’a signalé d’agression sexuelle à Postes Canada en novembre 2005 parce qu’il n’y en a pas eu, à moins que l’effleurement de la chemise de Mme Cassidy par l’intimé puisse être considéré comme étant une agression sexuelle ».
[40] Lors de l’interrogatoire principal, M. Thambirajah a affirmé ce qui suit : [traduction] « En novembre 2005, il n’est rien arrivé ». À la question de savoir s’il était possible qu’il ait fait le commentaire du 9 novembre au sujet des seins de Mme Cassidy, il a répondu : [traduction] « Non, je ne fais [sic] jamais ça. Peut-être l’effleurement avec la main. » Plus tard, en interrogatoire principal, M. Platt lui a demandé : en supposant que la version de l’incident du 9 novembre 2005 soit exacte et qu’il avait touché Mme Cassidy de manière inappropriée et formulé le commentaire déplacé sur la taille de ses seins, le regrettait-il? Il a répondu par l’affirmative. [traduction] « Présenteriez-vous vos excuses? », lui a demandé M. Platt. M. Thambirajah a répondu : [traduction] « Je présente mes excuses à quiconque croit que j’avais l’intention de le toucher à des fins sexuelles […] mille excuses. »
[41] Durant son témoignage en réponse aux questions de M. Machelak, M. Thambirajah a affirmé :
[traduction]
Il se peut qu’il y ait eu un contact, mais pas de nature sexuelle. Pour une raison quelconque, Johnny, qui était un bon ami, a accepté une entente avantageuse avec la direction […] pour me sortir de la succursale […] [L’effleurement] est arrivé avant ou après le 8 ou le 9 novembre. Ma main n’a pas eu de contact avec sa chemise, peut-être que j’ai effleuré Johnny.
Lorsque M. Machelak lui a demandé pourquoi il avait dit en interrogatoire principal qu’il s’était peut-être produit quelque chose et qu’il présentait ses excuses, l’intimé à titre personnel a répondu : [traduction] « il est possible que j’aie effleuré Johnny Pyziak, il est possible que j’aie touché la main de Doris. Johnny la tenait dans ses bras. Il est possible que j’aie touché le bras de Doris. »
[42] En contre-interrogatoire, M. Thambirajah a convenu que l’incident de l’attouchement et du commentaire, prétendument survenu le 9 novembre 2005, aurait constitué un comportement déplacé si en fait une telle chose s’était produite. Toutefois, il a maintenu que [traduction] « cela n’est pas arrivé ». Il n’est pas clair ce qu’il entendait par [traduction] « cela » : voulait-il dire que l’attouchement et le commentaire n’avaient jamais eu lieu? Ou qu’un attouchement de nature sexuelle n’avait jamais eu lieu? Ou que le commentaire (au sujet de la taille de ses seins, etc.) n’a jamais eu lieu? Lorsque M. Kelly a laissé entendre qu’il ne présentait pas vraiment ses excuses étant donné qu’il affirme n’avoir rien fait de mal, M. Thambirajah a reconnu que c’était vrai. [traduction] « Alors, pourquoi présenter des excuses? », lui a demandé M. Kelly. L’intimé à titre personnel a répondu : [traduction] « Il est possible que ce soit arrivé avant le 10 avril [2006]. On se taquinait, on riait […] on se lançait des jurons ». Poussé par M. Kelly à reconnaître que l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre avait peut-être eu lieu, M. Thambirajah a réagi : [traduction] « Non. On m’a demandé de présenter mes excuses. Vaut mieux présenter des excuses si j’avais fait une telle chose. Jamais je ne me sens mal parce que je ne reconnais pas ce que je n’ai pas fait. Personne ne vit dans un monde parfait […] Encore une fois, si une telle chose est arrivée, je présenterai mes excuses. L’anglais n’est pas ma langue maternelle. Si j’avais effleuré son corps, mais pas sa poitrine, je présenterais mes excuses. » Plus tard, il a affirmé : [traduction] « Je me sentirais mal si je l’avais touchée intentionnellement ». Il a également affirmé qu’il était la [traduction] « victime » dans cette affaire et que [traduction] « toute la vérité sortira un jour ».
[43] M. Thambirajah a ensuite affirmé qu’il était possible, comme l’avait soutenu M. Pyziak, qu’il ait [traduction] « effleuré » la poitrine de Mme Cassidy avec la main : [traduction] « Il est possible que son souvenir soit exact ». Puis, il a affirmé qu’il pouvait [traduction] « garantir » et qu’il était [traduction] « certain à 100 pour 100 » que l’incident n’était pas survenu le 8 ou le 9 novembre 2005, car il n’est pas consigné dans son journal [ni dans celui de Mme Cassidy, d’ailleurs]. Son journal signale une rencontre entre lui, Mme Cassidy et la défunte Ann Jones, une collègue de travail, le 8 novembre, mais aucune rencontre avec Mme Cassidy le 9 novembre.
Le témoignage de John Pyziak sur cette question
[44] M. Pyziak est le seul tiers qui ait vu ce qui est arrivé ce jour-là. M. Thambirajah a affirmé que M. Pyziak et lui étaient [traduction] « de très bons amis » et que M. Pyziak avait dirigé sa campagne lors de son élection à titre de délégué syndical. Selon M. Pyziak, ils étaient amis jusqu’à ce que l’intimé [traduction] « change » après avoir obtenu le poste de délégué syndical. Il est demeuré en bons termes avec M. Thambirajah par la suite. Il était également en bons termes avec la plaignante.
[45] M. Pyziak a affirmé que le jour en cause :
[traduction]
Raj voulait aller fumer avec moi […] Ce n’était pas intentionnel, mais il a mis la main sur la chemise de Doris […] J’étais stupéfié. Je ne sais pas ce que Raj avait en tête. Doris a réagi en faisant une farce, « dans ma famille, les femmes n’ont pas de poitrine », mais elle a rougi, elle était très surprise, elle était gênée. Elle ne l’a pas giflé ou quelque chose du genre […] Le geste l’avait rendue nerveuse. Elle a ri nerveusement.
M. Pyziak a affirmé que, après l’incident, il est allé à la plate-forme arrière avec M. Thambirajah et celui-ci a dit [traduction] « Ah, ce n’est rien. Il a tout simplement fait comme si de rien n’était. »
[46] En contre-interrogatoire, M. Pyziak a affirmé avoir signalé à Postes Canada dans une entrevue : [traduction] « Ce qu’il a fait m’a stupéfié. Il a tendu la main et a dit en plaisantant qu’elle n’avait pas de poitrine […] Il a fait un geste d’effleurement. Sa main a touché la chemise de Doris. » Plus tard en contre-interrogatoire, il a affirmé : [traduction] « Il l’a effleurée de la main, a dit qu’elle n’avait pas de poitrine, et sa main a touché sa poitrine. Il n’a pas saisi ses seins. Il a touché le haut de son corps. » En réponse à la suggestion qu’il ne savait pas si le geste avait été accidentel, en réponse à l’affirmation que Mme Cassidy n’avait pas giflé l’intimé, mais avait plutôt fait une farce, et en réponse à la question de savoir pourquoi il avait trouvé le geste [traduction] « totalement déplacé », il a répondu [traduction] « ce que Raj a fait – le coup d’œil, l’effleurement et le commentaire selon lequel elle n’avait pas de poitrine – était déplacé. Ce qu’il a fait m’a stupéfié. » Il a également reconnu ne pas être resté auprès d’elle après l’incident : [traduction] « je serais resté avec elle si elle avait été bouleversée ».
[47] D’après les notes de Mme Edmunds rédigées à la suite de son entrevue avec M. Pyziak le 12 juillet 2006, ce dernier avait affirmé :
[traduction]
Il [M. Thambirajah] fixait Doris (à la hauteur de sa poitrine). Elle s’est rendu compte qu’un bouton de sa chemise était défait et, lorsqu’elle l’a boutonné, Raj a tendu la main vers elle et a accroché la chemise avec son index, puis a tiré la chemise vers lui et a plongé un regard derrière. Doris ne savait pas quoi faire ou quoi dire, alors j’ai l’impression que, à cause de nervosité, elle a dit « Oh, j’ai de petits seins. On m’a toujours taquinée à l’école secondaire à cause de cela […] » ou quelque chose du genre. Ensuite, il est parti. J’ai regardé Doris et je lui ai dit : « peux-tu croire ce qu’il vient de te faire? » Peu après, sur la plate-forme, j’ai vu Raj et je lui ai dit : « je ne peux pas croire que tu as fait ça ». Je pense que Raj était conscient de ce qu’il venait de faire et a tenté de minimiser son geste en disant : « Oh, ce n’est rien » et en faisant peu de cas de la situation.
[48] La déclaration écrite de M. Pyziak à la Commission en date du 19 septembre 2007 a été fournie par Mme Cassidy; cette déclaration était jointe à une lettre de Mme Cassidy à la Commission après le dépôt de sa plainte. Dans cette déclaration, M. Pyziak a écrit :
[traduction]
J’ai remarqué qu’il fixait la chemise de Doris, alors je lui ai demandé ce qu’il regardait. Il répond [sic] « rien, elle n’a même pas de seins », je ne pouvais pas croire ce qu’il venait de faire. En me retournant, j’ai remarqué que le bouton du haut de la chemise de Doris était défait et je le lui ai dit. Gênée, elle voulait se tourner rapidement pour le boutonner, mais n’a pas eu le temps parce que Raj a tendu la main et arraché un autre bouton, exposant la poitrine de Doris […]
Selon les notes d’entrevue de l’enquêteur de la Commission en date du 12 septembre 2008, M. Pyziak a affirmé : [traduction] « […] Je parlais à Doris et Raj a accroché la chemise de Doris avec son doigt et l’a tirée vers lui et a dit “pas de seins”. Doris a rougi et était gênée […] »
[49] En contre-interrogatoire, M. Pyziak a reconnu que sa déclaration écrite en date du 19 septembre 2007 transmise à la Commission par Mme Cassidy différait dans sa description des événements du 9 novembre 2005 en comparaison avec ses déclarations à Postes Canada et à l’enquêteur de la Commission. On lui a souligné que la déclaration à la Commission en date du 19 septembre 2007 [traduction] « embellissait » les événements. Il a répondu : [traduction] « je ne l’ai pas tapée. Je ne me souviens plus qui me l’a remise »; toutefois, il a reconnu que la déclaration porte sa signature. Le passage [traduction] « […] Raj a tendu la main et arraché un autre bouton, exposant la poitrine de Doris » ne correspond pas à ce qu’il a vu ce jour-là. Il a répondu : [traduction] « Exactement ». Puis, l’avocat de l’intimé a dit : [traduction] « Mais vous l’avez signée. » [traduction] « C’est possible », a répondu M. Pyziak. [traduction] « Doris l’a écrite et vous a demandé de la signer et de l’envoyer à la Commission des droits de la personne », a affirmé l’avocat de l’intimé. [traduction] « Je ne me souviens pas », a répondu le témoin.
[50] Des conversations enregistrées les 7 et 8 septembre 2006 (à l’insu de M. Pyziak) entre l’intimé à titre personnel et M. Pyziak ont également été présentées en preuve. La qualité de l’enregistrement n’est pas bonne et certaines sections sont inaudibles. Toutefois, on entend clairement M. Thambirajah poser des questions à M. Pyziak sur ce qui est arrivé le 9 novembre 2005. Dans la première partie, M. Pyziak affirme que M. Thambirajah [traduction] « n’a pas saisi ses seins. Ça ne l’a pas dérangée. C’est des conneries […] quatre mois plus tard, elle veut porter des accusations contre toi » [en fait, cinq mois et demi s’étaient écoulés entre l’incident du 9 novembre 2005 et la plainte écrite de Mme Cassidy en date du 25 avril 2006 à Postes Canada]. Sur l’enregistrement du lendemain [encore une fois, M. Pyziak ne sait pas que leur conversation est enregistrée], il a répété : [traduction] « Tu n’as pas saisi ses seins […] Il ne va rien se passer. Ça fait trop longtemps […] Elle revient plus tard parce qu’elle est fâchée au sujet de quelque chose » [avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire en compagnie de M. Thambirajah pour avoir crié et proféré des jurons en avril 2006]. M. Thambirajah affirme ensuite : [traduction] « Elle le fait pour obtenir un avantage […] annuler le travail que j’ai fait pour le syndicat […] Je ne veux pas être la victime à cause de mon engagement syndical ». M. Pyziak affirme plus loin : [traduction] « C’est une grosse connerie […] Pourquoi elle n’a pas déposé de plainte à la direction à l’époque? C’est tout ce que tu as à leur dire. » Plus loin, M. Pyziak affirme : [traduction] « Ann Jones, la maudite vache […] tu as eu des problèmes avec elle. C’est elle [Mme Jones] qui a poussé cette femme [Mme Cassidy]. » M. Thambirajah a répondu : [traduction] « C’est comme ça que ça se passe. »
[51] En contre-interrogatoire, relativement à la conversation enregistrée le 8 septembre 2006, M. Pyziak a été prié d’expliquer ce qu’il voulait dire quand il répétait constamment : [traduction] « c’est une connerie […] » Il a répondu : [traduction] « Il m’a posé la question une trentaine de fois, m’a questionné constamment au sujet de ce qui est arrivé […] Il ne lâche jamais : trente-deux fois il m’a demandé : “de quelle façon je l’ai touchée?” » Confronté au fait qu’il avait dit au moins huit fois que le geste commis lors de l’incident était [traduction] « pour plaisanter », et que pourtant il avait donné une version différente aux responsables de Postes Canada et de la Commission, M. Pyziak a répondu :
[traduction]
Je cède aux pressions exercées par Raj […] Il me harcelait pour que je fasse les choses à sa façon […] Pour qu’il me laisse tranquille, lui donner raison, c’est le genre de personne qu’il est […] il m’a menacée une fois, mon poste […] ça fait partie de la culture dont il est issu, c’est l’homme qui décide [se tournant vers M. Thambirajah dans la salle d’audience :] Pourquoi tu n’as pas tout simplement présenté tes excuses pour ton geste? Ce n’est pas dans sa personnalité […] Pour que ce gars-là te laisse tranquille, tu devais jouer selon ses règles. Voilà la vérité […] J’étais surpris qu’il se soit présenté [en personne le 8 septembre]. C’est comme ça qu’il faut agir avec lui. Tu te plies à ces exigences.
Toutefois, comme M. Machelak l’a signalé au témoin, c’est lui qui avait invité M. Thambirajah à venir le rencontrer le 8 septembre.
[52] Quand je lui ai demandé ce qu’il entendait par [traduction] « c’est une connerie […] », le témoin a répondu que la [traduction] « connerie » n’était pas la plainte de Mme Cassidy et l’allégation concernant l’incident du 9 novembre 2005, mais le harcèlement de M. Pyziak par M. Thambirajah lors des conversations enregistrées : c’est-à-dire le fait de lui demander une trentaine de fois ce qui était arrivé. M. Machelak l’a interrogé sur ce point : [traduction] « Êtes‑vous en train de dire qu’il a arrêté l’enregistreuse, que vous avez dit “arrête de me harceler” et qu’il a coupé des bouts de votre conversation et a conservé seulement la partie où vous dites “c’est une connerie […] quatre mois” […] qu’il a manipulé l’enregistrement? » Étonnamment, M. Pyziak a répondu : [traduction] « Il en serait capable. Je lui disais tout ce qu’il voulait entendre. C’est pourquoi je n’ai pas d’ennuis avec lui. Je suis toujours d’accord avec lui. » M. Pyziak a également affirmé que l’intimé avait probablement arrêté l’enregistrement par moments.
B. Le rapport d’enquête de Postes Canada
[53] Dans son rapport d’enquête en date du 1er septembre 2006, Mme Edmunds a conclu que la plainte de Mme Cassidy était fondée. Selon le rapport, le récit du [traduction] « témoin A » (M. Pyziak) [traduction] « corrobore » la version de Mme Cassidy de l’incident du 9 novembre 2005. Mme Edmunds a écrit :
[traduction]
Ce témoin corrobore également que le mis en cause a tendu la main, tiré sur la chemise avec son index et plongé un regard derrière. Même si le témoin ne se souvenait pas si le mis en cause avait proféré des paroles telles que « je ne fixais pas sa poitrine, elle n’a même pas de seins », il se souvient que la plaignante semblait abasourdie et stupéfaite […]
[54] Dans son rapport, Mme Edmunds signale aussi que M. Thambirajah niait qu’il y ait eu un tel incident et soutenait ne pas avoir travaillé à Willowdale D pendant une partie du mois de novembre 2005. Dans le rapport, Mme Edmunds précise que, selon les registres des présences de Postes Canada pour le mois de novembre 2005, M. Thambirajah se trouvait à Willowdale D tous les jours, pour la journée entière ou pour une partie de la journée, sauf le 2 et le 21 seulement.
C. Conclusions concernant l’incident du 9 novembre 2005
[55] À la lumière de ce qui précède, je ne peux admettre de manière intégrale aucune des versions de l’incident présentées par les trois personnes qui y étaient présentes – soit Mme Cassidy, M. Thambirajah et M. Pyziak. Le témoignage de Mme Cassidy ne cadre pas avec ses déclarations précédentes et d’autres éléments de preuve documentaires. Le témoignage de M. Pyziak atténue l’incident : un [traduction] « effleurement » de la chemise à la hauteur de la poitrine plutôt que l’accrochage de la chemise avec l’index pour la tirer vers l’avant et plonger un regard derrière. Il ressort clairement des conversations enregistrées que M. Pyziak disait à M. Thambirajah ce que ce dernier espérait entendre, par exemple : [traduction] « c’est une connerie, Raj » – faisant renvoi au fait que la plainte n’avait été déposée qu’en avril 2006. Il est clair que M. Pyziak était de mauvaise foi. De plus, il y a des divergences entre ce qu’il a dit à Mme Edmunds et son témoignage.
[56] Qu’en est-il de la description des événements du 9 novembre 2005 selon M. Thambirajah? Elle va de la dénégation catégorique au quasi-aveu d’un attouchement. Je fais abstraction des observations de M. Platt (qui ont varié grandement du début de l’audience à la présentation des observations finales) et du contenu de l’exposé des précisions. M. Thambirajah s’est contredit durant son témoignage, lors de son interrogatoire principal et de son contre‑interrogatoire – il y avait même des contradictions entre divers passages de son contre‑interrogatoire. Au bout du compte, je constate qu’il est passé de la dénégation complète de l’incident dans sa déclaration à Mme Edmunds à son témoignage selon lequel l’attouchement ou [traduction] « l’effleurement » de la chemise de Mme Cassidy à la hauteur de sa poitrine est peut-être survenu accidentellement. Toutefois, d’après lui, s’il a touché la plaignante, il n’avait pas l’intention de la toucher à des fins sexuelles. D’où la présentation de ses excuses qui n’étaient pas vraiment des excuses, lors de son interrogatoire principal et du contre-interrogatoire mené par M. Kelly. Je conclus que, durant son témoignage, M. Thambirajah a fait un aveu de facto qu’il y avait eu un attouchement quelconque. De plus, M. Pyziak a témoigné que, durant les conversations enregistrées en septembre 2006, l’intimé à titre personnel lui avait demandé trente‑deux fois de quelle manière il avait touché Mme Cassidy. En ce qui a trait à la remarque [traduction] « elle n’a même pas de seins », il a catégoriquement nié l’avoir faite. Il n’y a pas eu de quasi-aveu, même pas un aveu assorti de nuances ou de réserves, à ce chapitre.
[57] À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que le 9 novembre 2005 ou vers cette date, M. Thambirajah a touché de la main la chemise de Mme Cassidy à la hauteur de la poitrine, tout en faisant un commentaire sur la taille de ses seins. Il y a eu un contact physique entre sa main et la chemise à la hauteur de la poitrine. Je n’ai pas à décider s’il s’agissait d’un [traduction] « effleurement » ou d’un [traduction] « léger attouchement ». Le geste n’était pas accidentel. Il s’agissait d’un contact déplacé intentionnel avec la chemise de Mme Cassidy à la hauteur de la poitrine, accompagné d’un commentaire déplacé de nature sexuelle concernant la taille de ses seins. J’aborderai les répercussions juridiques de cette conclusion plus loin dans les présents motifs.
La réaction de Mme Cassidy
[58] Je suis convaincu que Mme Cassidy a dit une plaisanterie au sujet des femmes dans sa famille qui ont peu de poitrine, mais qu’elle a aussi avisé M. Thambirajah que l’attouchement et le commentaire n’étaient pas appréciés. J’admets également que M. Pyziak a fait une remarque à ce moment-là à Mme Cassidy et par la suite à M. Thambirajah, signalant clairement à tous les deux qu’il était [traduction] « stupéfié » par ce qui venait de se produire. Selon le témoignage de Mme Cassidy, elle a, le jour même, porté plainte contre M. Thambirajah à ses superviseurs, Cam Tidman et Moe Sultan. J’examinerai cette question plus loin dans la présente section.
D. Du 10 novembre 2005 au 9 avril 2006 : l’interaction entre la plaignante et l’intimé
[59] Il y a eu une certaine interaction entre Mme Cassidy et M. Thambirajah durant la période qui a suivi l’incident de l’attouchement et du commentaire. Dans son témoignage, Mme Cassidy a affirmé qu’il la narguait ou la [traduction] « harcelait » fréquemment : [traduction] « presque tous les jours au travail, il faisait quelque chose » [durant la période du 9 novembre 2005 à 2006]. Elle soutient que, en décembre 2005, elle est presque tombée dans un bac à courrier au bureau de service et M. Thambirajah a dit : [traduction] « au moins, tu as un cul ». M. Thambirajah a nié l’incident. Rien ne corrobore cet incident. Je ne suis pas disposé à conclure qu’il s’est produit.
[60] Quelle relation avaient-ils avant le 9 novembre 2005? Je conclus que la plaignante et l’intimé à titre personnel étaient en bons termes. Ils n’étaient pas dans un état de conflit permanent en milieu de travail. Ni l’un ni l’autre ne contestent qu’il en était ainsi avant le 9 novembre 2005. Par exemple, j’admets que la note suivante tirée du journal de M. Thambirajah, en date du 8 novembre 2005 (soit la veille de l’incident de l’attouchement et du commentaire) : [traduction] « Doriss [sic] est venue faire un tour et a plaisanté avec moi […] »
[61] Durant la période après l’incident du 9 novembre 2005 jusqu’au 10 avril 2006 (soit la date de l’escalade du conflit), comment était leur relation au travail? Il y avait des éléments de preuve contradictoires à ce sujet. Malgré l’incident du 9 novembre 2005 (que, selon ma conclusion ci-dessus, Mme Cassidy n’a pas apprécié), je conclus que Mme Cassidy et M. Thambirajah n’étaient pas dans un état de conflit permanent. Comme l’a signalé Postes Canada, elle n’a pas pris un seul jour de congé à la suite de l’incident du 9 novembre et n’a inclus aucune journée de ce genre dans sa réclamation pour perte de salaire contre Postes Canada relativement à cette période (pièce C1-31). La première journée signalée dans cette réclamation est le 12 avril 2006. Les notes cliniques détaillées de son médecin de famille, le docteur Ung, ne font état d’aucun conflit entre elle et M. Thambirajah durant cette période.
[62] De plus, je conclus qu’elle a demandé l’aide de M. Thambirajah à plusieurs reprises durant cette période, malgré ses affirmations selon lesquelles elle avait peur de lui durant cette période. Par exemple, M. Thambirajah a témoigné que, le 15 novembre 2005 – moins d’une semaine après l’incident du 9 novembre –, Mme Cassidy l’avait abordé pour qu’il l’aide à remplir un formulaire de congé (pièce RT1-10, p. 10). L’écriture sur ce formulaire est celle de l’intimé. Elle a nié avoir jamais demandé l’aide de l’intimé durant cette période. Toutefois, en contre interrogatoire, elle a répondu : [traduction] « je ne sais pas, ce n’est pas mon écriture ». Plus tard, elle a dit : [traduction] « Je ne suis pas une experte en graphologie, c’est possible. Il est certain que je ne lui aurais pas demandé de l’aide à cause de l’incident survenu ce mois-là [le 9 novembre]. » Plus tard encore, elle a affirmé : [traduction] « je n’irais pas voir Raj pour obtenir de l’aide. J’aurais demandé à Steward, à Ann Jones ou à Cam […] Je ne lui ai pas demandé [à M. Thambirajah]. » Je ne crois pas que M. Thambirajah aurait rempli ce formulaire sans raison et sans que Mme Cassidy lui ait demandé son assistance. Le formulaire porte la signature de Mme Cassidy.
[63] J’admets également la preuve selon laquelle M. Thambirajah a aidé la plaignante le 29 décembre 2005. La note dans son journal pour cette date indique que : [traduction] « Dorris [sic] a dit qu’elle avait une migraine, alors je lui ai trouvé un suppléant pour l’après-midi ». Cela tend à confirmer que Mme Cassidy n’avait pas peur de M. Thambirajah à l’époque et qu’elle était en bons termes avec lui, malgré l’incident du 9 novembre. Elle a fait appel à son assistance à titre de délégué syndical. Il convient de préciser qu’il n’y avait rien d’inapproprié dans le fait qu’elle ait demandé de l’aide à son délégué syndical et collègue.
[64] Les entrées dans le journal de M. Thambirajah pour le 3 et le 10 janvier 2006 indiquent qu’il prêtait assistance à Mme Cassidy. L’entrée du 10 janvier faisait état d’un commentaire inapproprié de Mme Cassidy au sujet d’un employé handicapé. M. Thambirajah lui a demandé de présenter ses excuses et il n’a pas signalé l’incident à la direction. La plaignante reconnaît que cet incident s’est produit. Si leur relation avait été empoisonnée à ce moment-là, le moment aurait été bien choisi pour M. Thambirajah de signaler Mme Cassidy à la direction. Il ne l’a pas fait.
[65] Du 19 janvier 2006 au 20 mars 2006, la plaignante s’est absentée du travail à cause d’une blessure à l’épaule.
E. Le conflit s’intensifie en avril 2006
[66] Selon la thèse de la défense de M. Thambirajah, le conflit entre lui et Mme Cassidy s’est amorcé en avril 2006. J’ai déjà conclu que l’incident de l’attouchement et du commentaire déplacés a eu lieu le 9 novembre 2005. Je conclus également que, dans une large mesure, leur relation était cordiale durant la période qui a suivi cet incident jusqu’au 10 avril 2006. C’est à ce moment-là que le conflit s’est intensifié entre eux. Qu’est-il arrivé?
[67] Il n’est pas contesté que, le 10 avril 2006, la plaignante et l’intimé à titre personnel se sont échangés des jurons au sujet de la livraison de circulaires. Mme Cassidy devait remplacer M. Thambirajah et effectuer son itinéraire. Selon le témoignage de l’intimé à titre personnel, quand il lui a demandé de livrer les circulaires, Mme Cassidy lui a répondu : [traduction] « Va te faire foutre ». Selon la plaignante, il lui a répondu dans la même veine. Le lendemain, ils se sont disputés lors d’une réunion syndicale et Mme Cassidy a demandé à un autre collègue d’accompagner M. Thambirajah à l’extérieur de la salle, sinon elle allait [traduction] « porter des accusations » contre lui. Le 12 avril 2006, ils ont eu une nouvelle dispute. M. Thambirajah a lancé des jurons à Mme Cassidy et elle a pris un congé de maladie pour le reste de la journée.
[68] Mme Cassidy allègue que, le 18 avril 2006, M. Thambirajah [traduction] « m’a touchée, m’a donné une tape sur le derrière » et a dit [traduction] « au moins, tu as un cul ». Une autre fois, selon la plaignante, il a parlé de lui [traduction] « prendre » [les fesses]. D’après la plaignante, il s’agissait du plus troublant de ses torts envers elle après l’incident du 9 novembre 2005. M. Thambirajah rejette cette accusation. En contre-interrogatoire, priée d’expliquer pourquoi elle n’avait pas signalé cet incident grave de l’attouchement de son derrière dans sa plainte écrite à Postes Canada en date du 25 avril 2006 (seul le commentaire y figure), ou pourquoi elle n’avait pas déposé d’accusations criminelles, elle a répondu : [traduction] « parfois on frappe un mur, ça ne sert à rien de continuer ». Toutefois, tel que je l’ai déjà signalé, elle n’a pas hésité à faire valoir ses droits à d’autres moments et relativement à des infractions moins graves. En fait, elle n’a même pas fait allusion à l’incident de la tape ou de l’attouchement dans son interrogatoire principal. Finalement, en ce qui a trait à son omission de le signaler dans sa plainte à Postes Canada en date du 25 avril 2006, elle a dit : [traduction] « si je ne l’ai pas signalé, c’était un gros oubli de ma part ». Plus tard, elle a affirmé qu’il était [traduction] « plus probable » que [traduction] « la tape sur le derrière » s’est produite en décembre 2005, plutôt que le 18 avril 2006, [traduction] « parce que c’est à ce moment-là que tout se passait ». L’avocat de l’intimé a noté qu’elle n’avait travaillé en même temps que M. Thambirajah que pendant deux jours en décembre 2005 et qu’elle ne l’avait peut‑être pas croisé durant ces deux jours. Je conclus qu’elle a répondu de manière évasive durant cette partie de son témoignage et que son témoignage manquait de crédibilité. Elle ne se souvient pas d’un incident d’attouchement sexuel comme celui-là, mais se rappelle le commentaire moins intrusif. Et pourtant, elle fait état de torts beaucoup moins graves commis contre elle par M. Thambirajah (ne comportant pas d’attouchement) dans sa plainte en date du 25 avril 2006. Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas prêt à conclure que cet incident s’est déroulé tel que Mme Cassidy l’a décrit.
[69] Le prochain incident important s’est produit le 19 avril 2006. Des collègues de travail ont entendu une dispute entre Mme Cassidy et M. Thambirajah : ils criaient et se lançaient des jurons dans le couloir à Willowdale D. La dispute s’est envenimée au point où certains collègues se sont plaints auprès du chef de service Cam Tidman. Il est intervenu. M. Tidman les a convoqués tous les deux pour des entrevues et leur a imposé des mesures disciplinaires. Il leur a décerné une mise en garde, qu’il a versée dans leurs dossiers respectifs. Durant son témoignage, Mme Cassidy a affirmé que cette mise en garde l’avait beaucoup vexée, car il était injuste qu’elle subisse une mesure disciplinaire pour cet incident, même si elle admet avoir lancé des jurons à l’intimé à titre personnel dans le couloir. Elle était vexée à cause de ce que, selon elle, il lui avait fait subir auparavant, plus précisément, l’incident du 9 novembre 2005 et [traduction] « le harcèlement continuel ».
[70] Selon le témoignage de M. Tidman, à la suite de l’incident des jurons en avril, Mme Cassidy lui avait dit : [traduction] « tu t’attends à ce que j’effectue l’itinéraire, mais lui il ne coopère pas ». Elle n’a pas fait renvoi à l’incident du 9 novembre 2005 ou à la promesse non tenue de Postes Canada de régler le problème à l’interne. Selon M. Tidman, il ne pouvait pas ignorer l’incident des cris et des jurons du 19 avril 2006, ni omettre de prendre des mesures appropriées. Et cet incident n’est pas plus grave que celui de l’attouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005.
F. La plainte écrite à Postes Canada en date du 25 avril 2006
[71] Il s’agit d’une date importante dans la présente affaire. Ce jour-là, Mme Cassidy a présenté à M. Tidman une plainte écrite concernant l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre 2005 et d’autres allégations de harcèlement continu de la part de M. Thambirajah. Selon Mme Cassidy, après l’incident du 9 novembre 2005, elle a attendu pendant cinq mois et demi que Postes Canada règle la situation, mais en vain. D’après Mme Cassidy, quand elle a porté plainte le 9 novembre à M. Tidman et à M. Sultan, ils lui ont dit qu’ils s’en occuperaient et qu’il était préférable de régler l’affaire à l’interne. M. Sultan n’a pas témoigné. Pour ce qui est de M. Tidman, il a affirmé avec véhémence avoir pris connaissance pour la première fois le 25 avril 2006 de l’incident survenu le 9 novembre 2005.
G. Est-ce que Postes Canada était au courant de l’incident du 9 novembre avant le 25 avril 2006?
[72] Durant son témoignage, Mme Cassidy a fermement maintenu qu’elle s’était rendue toute seule le 9 novembre 2005 au bureau que partageaient M. Tidman et M. Sultan et qu’elle leur avait raconté ce qui venait de se passer. Je note qu’il n’y a aucun renvoi à cette rencontre avec ses superviseurs dans ses journaux volumineux et détaillés. J’examinerai plus loin son allégation en date du 31 mai 2010, déposée après avoir mis fin à la présentation de sa preuve, selon laquelle une employée d’un autre bureau de service, A. B., l’avait accompagnée au bureau de M. Tidman et de M. Sultan et avait assisté à cette rencontre.
[73] M. Tidman a longuement répondu aux questions sur ce point lors de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire. Il a maintenu sans jamais reculer son affirmation selon laquelle c’était le 25 avril 2006, et non le 9 novembre 2005, qu’il avait pris connaissance de l’incident pour la première fois et que cela l’avait renversé. Il a déclaré :
[traduction]
Elle n’est pas venue me voir [le 9 novembre 2005 ou à un autre moment] et il est certain que personne n’a dit quoi que ce soit au sujet d’une agression ou d’attouchements sexuels. Moe et moi partagions le même bureau […] Non, pas du tout [en réponse à la question de savoir si Moe Sultan lui avait parlé de cet incident ou si Mme Cassidy était venue le voir]. Moe et moi, on s’entendait bien. S’il y avait eu un problème, j’en aurais entendu parler.
Il a mentionné que Mme Cassidy venait parfois lui parler, mais c’était au sujet de ses problèmes personnels, comme la maladie chronique de sa fille.
H. Les mesures prises par M. Tidman après avoir reçu la plainte du 25 avril et la « comédie des erreurs » subséquente
[74] Selon le témoignage de M. Tidman, le 25 avril 2006 a été [traduction] « la première fois que j’ai eu connaissance de cet incident et j’ai eu un choc. Je n’avais jamais eu à faire face à une telle situation dans ma vie professionnelle. J’ai envoyé un courriel à Kelly [Edmunds], l’avisant que j’avais reçu une plainte relative aux droits de la personne, plus sérieuse que celles dont on s’occupe habituellement […] et qu’il était donc préférable de la confier aux spécialistes. »
[75] M. Tidman a également affirmé que le problème entre la plaignante et l’intimé à titre personnel [traduction] « s’est manifesté pour la première fois en avril 2006 avec cette engueulade. Je n’étais pas au courant de l’attouchement [survenu le 9 novembre 2005] jusqu’à la présentation de la plainte en avril. Je serais sorti de mes gonds si quelqu’un m’avait dit que quelqu’un avait physiquement agressé Doris. » Selon M. Tidman, la stratégie que Moe Sultan et lui avaient adoptée pour gérer les conflits consistait à demander aux employés de trouver une solution eux-mêmes. S’ils n’y parvenaient pas, M. Sultan ou lui intervenait et imposait une solution. Toutefois, il a affirmé de manière catégorique que cette approche ne s’appliquait qu’aux affaires graves, telles que [traduction] « les batailles, le harcèlement sexuel et les attouchements sexuels ». Cela est conforme à la politique sur le harcèlement en vigueur à Postes Canada. De telles [traduction] « affaires graves » auraient eu pour effet de [traduction] « sonner l’alerte » chez lui. Il a affirmé : [traduction] « quand j’ai reçu sa plainte en avril, je l’ai lue trois fois, pour désembrouiller mon cerveau ». Il nie également que la défunte Ann Jones soit jamais venue le voir au sujet de l’incident de novembre 2005.
I. Les facteurs de stress dans la vie de Mme Cassidy
[76] M. Tidman a signalé avoir remarqué un changement dans le comportement de Mme Cassidy entre novembre 2005 et le 25 avril 2006 : [traduction] « elle était moins décontractée, plus stressée. J’attribuais ce changement en partie à l’état de santé de sa fille […] Doris n’était plus la même […] » Comme nous le verrons plus loin, durant cette période et par la suite, soit jusqu’en 2009, Mme Cassidy vivait un stress important de plusieurs sources, comme en attestent son témoignage, les notes dans ses journaux et les notes cliniques du Dr Ung. De plus, elle prenait du Prozac pour traiter sa dépression. Les sources de stress incluaient des problèmes familiaux relativement à son conjoint de fait, la maladie de sa fille et d’autres problèmes de santé, ses blessures professionnelles et ses absences du travail en 2006, sa crainte d’être congédiée par Postes Canada, des problèmes de sommeil et des migraines chroniques. En outre, évidemment, elle vivait un stress de plus en plus important en raison du harcèlement continu de la part de M. Thambirajah (selon les allégations de Mme Cassidy, que j’examinerai ci‑après), qui se serait intensifié après avril 2006 et qui se serait poursuivi jusqu’en 2009. Je conclus qu’elle vivait un grand stress – sur les plans personnel et professionnel – à l’époque; toutefois, je signale qu’il n’y a rien dans les notes cliniques du Dr Ung du 17 novembre 2005 au 2 février 2006 en ce qui concerne le stress au travail. À l’audience, il a reconnu que, durant la période allant de novembre 2005 au 5 mai 2006, elle ne lui avait pas parlé de harcèlement sexuel de la part de M. Thambirajah, car, si elle avait abordé cette question, il l’aurait consigné dans ses notes, comme il avait consigné les autres problèmes, notamment les facteurs de stress tels que la maladie de sa fille et d’autres problèmes de santé.
J. La prétendue réunion entre Mme Cassidy et ses superviseurs (et A. B.)
[77] Ainsi qu’il est signalé précédemment, Mme Cassidy a systématiquement maintenu que le jour de l’incident de l’attouchement et du commentaire, soit le 9 novembre 2005, elle s’était rendue au bureau du chef de service M. Tidman et du superviseur M. Sultan pour déposer une plainte. Selon Mme Cassidy, ces derniers lui avaient dit qu’ils s’occuperaient du dossier et demandé de garder l’affaire à l’interne. M. Tidman nie cette affirmation. M. Sultan n’a pas témoigné.
[78] Le 31 mai 2010, pour la première fois depuis l’incident survenu cinq ans plus tôt, mais seulement après la clôture de sa preuve, Mme Cassidy a dit qu’une autre personne avait assisté à cette réunion, soit A. B., une employée d’un autre bureau de service qui se trouvait par hasard à Willowdale D le 9 novembre 2005. Selon Mme Cassidy, la fin de semaine après la clôture de sa preuve, elle se trouvait chez des amis – George et Pattie Tomaszewski, qui ont tous les deux témoigné à l’audience – et A. B. lui a demandé pourquoi elle ne l’avait pas appelée à témoigner à l’audience. Mme Cassidy lui a demandé pourquoi. A. B. a répondu qu’elle avait assisté à une réunion avec la plaignante et ses superviseurs concernant la plainte de harcèlement sexuel contre M. Thambirajah le 9 novembre. Mme Cassidy a alors demandé la réouverture de sa preuve et la chance d’appeler A. B. à témoigner. Elle a affirmé avoir complètement oublié la présence d’A. B. à la réunion parce qu’elle – c’est-à-dire Mme Cassidy – souffrait de trouble de stress post‑traumatique (TSPT).
[79] Postes Canada a contesté cette affirmation, y compris la présence même d’A. B. à Willowdale D ce jour-là. J’ai accepté, à titre préliminaire, d’entendre les témoignages d’A. B. et des témoins de Postes Canada sur cette question, afin de décider si A. B. se trouvait au bureau de service le 9 novembre 2005.
A. B. et l’incident du 9 novembre à Willowdale D
[80] En novembre 2005, A. B., une amie proche de Patti Tomaszewski qui est également une amie proche de la plaignante, était factrice suppléante à la succursale de Thornhill, appelée West Beaver Creek. Selon le témoignage d’A. B., ce jour-là – elle ne se souvenait pas de la date exacte et n’avait jamais consigné les événements par écrit – un superviseur (elle ne se rappelait pas lequel) lui a demandé d’aller cueillir ou déposer les envois mal dirigés à Willowdale D, le matin entre 7 h 30 et 9 h. À son arrivée, elle a croisé la plaignante qui semblait [traduction] « bouleversée » et [traduction] « agitée » et qui était en larmes. La plaignante lui a raconté ce qui venait d’arriver avec M. Thambirajah. Le témoin a alors insisté pour qu’elles aillent au bureau de M. Tidman pour signaler l’incident. Selon A. B., elle a assisté à la réunion où la plaignante a raconté à M. Tidman et à M. Sultan ce qui était arrivé.
[81] En contre-interrogatoire, l’avocat de Postes Canada a signalé qu’A. B. n’avait jamais pris en note les événements de cette journée, notamment la prétendue réunion. Elle a répondu : [traduction] « je ne pensais pas que c’était important ». Il lui a signalé que les autres témoins de Postes Canada avaient mentionné qu’il n’aurait pas été rentable de lui demander de faire un aller-retour à Willowdale D, alors que la pratique courante consistait à faire appel à un taxi (qui ferait un seul trajet pour acheminer les envois mal dirigés) ou à renvoyer les envois mal dirigés au centre-ville en vue de leur redistribution le lendemain. Elle a répondu : [traduction] « j’ai fait ce qu’on m’a demandé de faire. J’ai obéi aux directives. J’étais une factrice suppléante. Si un superviseur te dit […] s’il te retire de ton itinéraire, tu obéis, tu déposes un grief plus tard ». M. Machelak a répliqué : [traduction] « Mais vous n’avez pas réclamé d’heures supplémentaires ce jour-là […] et dans un formulaire d’heures supplémentaires, vous auriez justifié ces heures supplémentaires ». Le témoin a répondu : [traduction] « Oui, il faut préciser la raison pour laquelle on réclame [des heures supplémentaires] […] je l’indique toujours d’une manière très détaillée ». Toutefois, il n’y a pas eu de telle réclamation dans ce cas-ci. Ensuite, l’avocat de Postes Canada lui a signalé que les fiches déposées à l’audience indiquent qu’elle avait effectué l’itinéraire 51 cette semaine-là, un itinéraire qui se fait à pied, et qu’il n’y avait aucune note concernant un déplacement à Willowdale D pour aller chercher ou déposer du courrier mal dirigé. A. B. a répondu qu’il fallait environ vingt minutes pour se rendre à Willowdale D en fourgonnette vers 8 heures le matin.
[82] L’avocat de Postes Canada a réitéré son argument : [traduction] « Il serait illogique de verser des heures supplémentaires à une factrice pour cette tâche alors que la pratique courante consiste à envoyer un taxi, qui effectue un seul trajet. Et vous ne vous rappelez pas avoir réclamé des heures supplémentaires et cette tâche n’aurait pas constitué des “heures supplémentaires pour situation d’urgence”. » A.B. a répondu : [traduction] « Alors, je me suis fait voler beaucoup d’heures supplémentaires ». L’avocat de Postes Canada a ensuite signalé qu’elle avait réclamé des heures supplémentaires pour les 8 et 9 novembre, en écrivant [traduction] « volume » et [traduction] « réunion syndicale » à titre de justifications. Il a affirmé que les réunions syndicales se tiennent habituellement le matin. Elle a répondu : [traduction] « Pas toujours ». Mais la question importante est qu’A. B. n’a pas inscrit le trajet à Willowdale D dans son formulaire à titre de justification. J’ai demandé au témoin : [traduction] « Pourquoi n’avez‑vous pas écrit “récupérer le courrier mal dirigé” ou quelque chose du genre sur le formulaire? » A.B. a répondu : [traduction] « Je n’en ai pas la moindre idée. Parfois je changeais les cadenas, mais je ne l’indiquais pas. Si cela se produisait aujourd’hui, je préciserais la raison et j’écrirais “envois mal dirigés”. »
[83] Pour ce qui est du moment de la journée où est survenu l’incident du 9 novembre 2005, l’avocat de Postes Canada a signalé à A. B. que la plaignante avait affirmé que l’incident avec M. Thambirajah s’était produit à midi. A. B. a répondu : [traduction] « Ça me surprend. À mon souvenir, j’étais là le matin. » Il a répliqué : [traduction] « Willowdale D est une très petite succursale. À 8 heures le matin, elle serait entourée de collègues, n’est-ce pas? Mais aucun d’entre eux ne l’a approchée et ne lui a demandé “Doris, pourquoi pleures-tu?” Vous dites qu’il a fallu qu’une personne venant de l’extérieur l’aborde et lui demande pourquoi? » A.B. a répondu : [traduction] « Je n’ai vu aucun de ses collègues auprès d’elle ».
[84] M. Machelak lui a ensuite demandé : [traduction] « Vous avez écrit que vous êtes restée avec Mme Cassidy pour une quinzaine de minutes, 40 minutes pour le trajet aller-retour, une pause cigarette de 10 minutes, la réunion de 10 minutes dans le bureau de M. Tidman, etc., et ensuite encore 15 minutes avec Mme Cassidy. Quand vous êtes rentrée, personne ne vous a posé de questions sur le temps que vous avez pris, qui était plus long que prévu? » Elle était d’accord.
[85] Postes Canada a appelé Christopher Moore à témoigner. Il est un superviseur actuellement affecté au bureau de service 2 de Willowdale (à ne pas confondre Willowdale D) et était le [traduction] « superviseur des facteurs » à la succursale de Thornhill en novembre 2005. Il s’agit de la succursale où A. B. était affectée à l’époque. Il a expliqué ce que sont les envois mal dirigés et la pratique en vigueur pour régler ce problème. En termes simples, les « envois mal dirigés » sont des envois postaux qui ne sont pas acheminés au bon bureau de service de Postes Canada. Ces envois sont portés à l’attention du superviseur le matin. Au bureau de service, la politique ou la pratique en vigueur consiste à téléphoner à une compagnie de taxi, à remplir un bon de taxi et à remettre ce dernier au chauffeur avec les envois; ce dernier les livre ensuite au bon bureau de service. [traduction] « C’était le moyen le plus rapide de les acheminer à l’autre succursale. On veut l’acheminer pour que l’erreur de direction ne dure pas toute la journée. Entre 8 h 30 et 9 h 30, les facteurs sortent. Il est important d’acheminer les envois mal dirigés avant 8 h. » Il a mentionné qu’ils tenaient également compte des frais encourus.
[86] Appelé à réagir à l’affirmation d’A. B., M. Moore a affirmé :
[traduction]
Si le superviseur de Willowdale D m’appelait, je lui dirais « envoie-les-moi par taxi ». Je n’enverrais pas un employé et je ne dirais pas à un employé de prendre un taxi. Il faudrait que je paie l’aller-retour et il faudrait que je retire un facteur de son itinéraire et [A. B.] devait effectuer l’itinéraire 51 […] Je n’aurais jamais fait ça, retirer un facteur de son itinéraire. Le facteur s’attendrait à toucher des heures supplémentaires.
[87] M. Machelak a avisé M. Moore que le prétendu incident se serait produit à midi le 9 novembre 2005 à Willowdale D : [traduction] « S’il y avait des envois mal dirigés à Willowdale D, est-ce que quelqu’un irait les chercher à midi pour les rapporter à l’autre succursale? » Affichant un air surpris, le témoin a répondu : [traduction] « Non, l’erreur de direction aurait déjà été commise pour cette journée-là et les envois resteraient là jusqu’au lendemain […] Il suffit de les renvoyer au bureau au centre-ville et ils seront distribués par camion le lendemain entre minuit et 8 heures. »
[88] En contre-interrogatoire, la question suivante a été posée au témoin : [traduction] « Êtes‑vous en train de dire qu’il n’est jamais arrivé qu’on demande à un employé d’aller chercher des envois mal dirigés? » Il a répondu : [traduction] « Je ne connais personne qui ait procédé de cette façon. Je n’ai certainement jamais envoyé un employé pour faire une telle chose. Il est arrivé qu’on envoie un facteur à une autre succursale pour effectuer un itinéraire, une affectation temporaire d’une succursale à l’autre pour un matin, mais pas pour acheminer des envois mal dirigés. »
[89] Postes Canada a également appelé Gwen Kenyon à témoigner. Elle est chef de service à Thornhill; auparavant, elle était directrice de la formation à la division et, avant cela, elle était directrice des centres de tri. Elle est employée par Postes Canada depuis 34 ans. Elle a interrogé les bases de données informatiques de Postes Canada pour vérifier si A. B. avait réclamé des heures supplémentaires du 7 au 9 novembre 2005. D’après les bases de données, A. B. a réclamé des heures supplémentaires, mais pas pour un déplacement à Willowdale D. Les données saisies indiquent qu’elle a travaillé à la succursale de Thornhill durant ces trois jours, y effectuant des heures régulières et supplémentaires. La question suivante a été posée au témoin : si A. B. s’était rendue à Willowdale D pour aller chercher du courrier, l’obligeant ainsi à faire des heures supplémentaires, aurait-on consigné ce déplacement ainsi que la raison de ce déplacement? Mme Kenyon a répondu par l’affirmative. En contre-interrogatoire, l’avocat de la plaignante a demandé à Mme Kenyon s’il était possible qu’un superviseur demande à un facteur de déposer des envois à un autre bureau de service [traduction] « à titre de faveur ». Le témoin a répondu : [traduction] « Bénévolement? Je ne connais aucun de ces employés. Ils ne seraient pas payés pour ce trajet […] Et, en 2005, les employés réclamaient des heures supplémentaires avec une plus grande fermeté qu’aujourd’hui […] Cela n’a pas de sens, sur le plan de la gestion du temps ou de l’argent, je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose […] »
[90] Mme Kenyon a également corroboré le témoignage de M. Moore concernant le système en vigueur pour réacheminer les [traduction] « envois mal dirigés ».
[91] Je conclus qu’A. B. n’est pas allée à Willowdale D le 9 novembre 2005, le jour de l’incident, pour les motifs suivants :
1) selon le témoignage de la plaignante, l’incident s’est produit vers midi. A. B. a affirmé être arrivée à la succursale vers 9 h ce matin-là;
2) j’admets les déclarations des témoins de Postes Canada selon lesquelles un superviseur n’aurait pas demandé à un facteur d’aller chercher ou livrer des [traduction] « envois mal dirigés ». Un superviseur aurait plutôt fait appel à un chauffeur de taxi pour effectuer un trajet unique;
3) si A. B. s’était rendue à Willowdale D ce jour-là, elle aurait réclamé des heures supplémentaires pour cette tâche, comme elle l’a fait pour d’autres tâches exécutées ce jour-là.
K. Quand Postes Canada a-t-elle pris connaissance pour la première fois de l’incident du 9 novembre?
[92] En ce qui a trait à la question importante de savoir quand Postes Canada a pris connaissance pour la première fois de l’incident de l’attouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005, je conclus que c’était le 25 avril 2006, lorsque Mme Cassidy a présenté sa plainte écrite à M. Tidman. Je conclus que ce dernier était un témoin crédible et que son témoignage était fiable. Il a admis franchement que la réaction à la plainte de Mme Cassidy après le 25 avril laissait à désirer. Il est à la retraite et ne travaille plus pour Postes Canada.
[93] De plus, j’admets les témoignages selon lesquels M. Sultan et Mme Edmunds ont demandé à Mme Cassidy, chacun de leur côté – lui, le 16 mai 2006 et elle, le 14 mai 2006 lors d’une conversation avec Mme Cassidy – pourquoi elle n’avait pas signalé l’incident auparavant. Lors de ni l’une ni l’autre de ces conversations, la plaignante n’a précisé qu’elle avait en fait signalé l’incident à M. Tidman et à M. Sultan le jour même où il s’était produit. Selon le témoignage de Mme Edmunds, qui concorde avec son rapport d’enquête en date du 1er septembre 2006, lorsqu’elle a demandé à la plaignante pourquoi elle avait attendu plus de cinq mois avant de signaler l’incident à Postes Canada, [traduction] « Mme Cassidy a affirmé qu’elle n’avait pas voulu donner suite à l’affaire parce qu’elle était stupéfaite et abasourdie que M. Thambirajah ait même eu l’audace de faire ce qu’il a fait; deuxièmement, il était le représentant syndical à la succursale et il pouvait lui causer de nombreuses difficultés […]. »
[94] M. Tidman avait pris des mesures à la suite d’incidents moins graves, y compris un appel à Mme Edmunds le 12 ou le 13 avril 2006 au sujet des incidents d’échange de jurons. Dans son témoignage, Mme Edmunds a parlé de sa collaboration avec M. Tidman sur une période de dix ans, y compris l’habitude qu’il avait de l’appeler au sujet de certaines questions liées aux droits de la personne moins importantes que l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre. D’après la formation qu’ils avaient suivie, M. Tidman et les autres gestionnaires devaient téléphoner à l’agente des droits de la personne chez Postes Canada lorsqu’une affaire pouvant relever de la LCDP se produisait. De plus, je ne pense pas que M. Tidman et M. Sultan auraient demandé à Mme Cassidy de prendre la relève de M. Thambirajah et d’effectuer son itinéraire en avril 2006 s’ils avaient été au courant de l’incident du 9 novembre.
L. Ce qui s’est produit après le 25 avril 2006 : la « comédie des erreurs » et les malentendus
[95] M. Tidman, qui a pris sa retraite de Postes Canada depuis les événements, a parlé franchement de la façon dont l’organisation a traité la plainte de Mme Cassidy en date du 25 avril 2006. À la question de savoir combien de temps il a fallu à la direction pour répondre à la plainte après qu’il a envoyé un courriel à Mme Edmunds le jour même où il a reçu la plainte, il a répondu : [traduction] « Il suffit de lire les courriels pour se faire une idée. J’étais déçu de la lenteur de la réaction des personnes avec qui je communiquais. Kelly était absente du travail pendant un certain temps. Je souhaitais que les choses se déroulent autrement […] J’avais les mains liées […] La machine ne s’est pas mise en marche […] ».
[96] J’admets le témoignage de M. Tidman selon lequel il a immédiatement posté la plainte de Mme Cassidy en date du 25 avril à Mme Edmunds. À ma surprise, il a affirmé qu’il n’y avait pas de télécopieur ou de numériseur à Willowdale D en novembre 2005. Il a également envoyé un courriel à Mme Edmunds [traduction] « l’avisant [qu’il avait] une plainte relative aux droits de la personne et [qu’il avait] besoin de conseils ». N’ayant pas eu de nouvelles après quatre ou cinq jours, M. Tidman a envoyé un autre courriel à Mme Edmunds en guise de suivi, en incluant une copie conforme à la gestionnaire de zone intérimaire, Joanne Coe. Le 12 mai, il a envoyé un autre courriel à Mme Edmunds lui demandant [traduction] « d’accélérer le traitement » de la plainte, car Mme Cassidy se plaignait de la tension entre elle et M. Thambirajah.
[97] Pourquoi Mme Edmunds n’a-t-elle pas répondu? Selon son témoignage, elle s’était absentée du bureau du 28 avril et 16 mai 2006 pour des raisons professionnelles. Il semble que la plainte postée par M. Tidman soit arrivée vers le 28 avril. Mme Edmunds n’avait pas d’adjoint, si bien que l’enveloppe est restée dans son bureau sans que personne l’ouvre avant son retour le 16 mai. À la même époque, il y a eu les engueulades et les échanges de jurons entre la plaignante et l’intimé à titre personnel, survenus entre le 10 et le 19 avril 2006. Mme Edmunds avait discuté de ces incidents avec M. Tidman à cette époque. La « comédie des erreurs » – pour reprendre le terme utilisé par Mme Edmunds durant son témoignage – s’est amorcée lorsque, en écoutant les messages de M. Tidman dans sa boîte vocale et en lisant ses courriels, elle a (incorrectement) présumé qu’ils avaient trait aux échanges de jurons en avril, et non à l’incident de l’attouchement survenu quelque six mois auparavant. Ainsi, quand M. Tidman lui a écrit un courriel le 3 mai pour lui demander : [traduction] « Doris Cassidy aimerait savoir l’état d’avancement de sa plainte. As-tu des nouvelles? », elle a répondu le 9 mai : [traduction] « Cam, je n’ai pas de nouvelles pour l’instant. En fait, j’ai dû m’absenter du bureau pour régler d’autres dossiers. Je vais te téléphoner demain pour examiner celui-ci davantage. » Le 12 mai, M. Tidman a de nouveau envoyé un courriel à Mme Edmunds : [traduction] « Doris est dans mon bureau au moment où je t’écris ce message. Elle me dit qu’elle vit une grande tension à cause de ce problème et que le fait de côtoyer Raj tous les jours lui pèse au travail et après le travail. Y a-t-il quelque chose à faire en vue d’accélérer le traitement de cette plainte? » Selon le témoignage de Mme Edmunds, à ce point, elle n’était toujours pas au courant de la plainte en date du 25 avril concernant l’incident du 9 novembre 2005 et elle pensait que M. Tidman faisait renvoi aux engueulades et aux échanges de jurons en avril 2006. J’admets son témoignage à cet égard. Plus loin dans les présents motifs, j’exposerai les répercussions juridiques de cette [traduction] « comédie des erreurs ».
[98] Ce n’est que la fin de semaine suivante que Mme Edmunds a compris à quoi faisaient renvoi les courriels de M. Tidman. Le dimanche 14 mai, elle a reçu un appel à la maison de Mme Cassidy, qui était affolée. C’est durant cette conversation que Mme Edmunds a su que le problème n’avait pas trait aux incidents d’échanges de jurons en avril. En posant des questions à Mme Cassidy, Mme Edmunds a pris connaissance pour la première fois des allégations relatives au 9 novembre 2005.
[99] Mme Edmunds a amorcé son enquête en juin 2006 et a tenu des entrevues avec les témoins de l’incident du 9 novembre en juin et en juillet. Elle a rendu son rapport d’enquête, comportant des conclusions et des recommandations, le 1er septembre 2006. Elle a tranché en faveur de Mme Cassidy relativement aux deux groupes d’allégations portées contre M. Thambirajah : premièrement, l’incident du 9 novembre ayant trait à [traduction] « l’attouchement déplacé »; et deuxièmement, [traduction] « les allégations concernant le comportement et le langage déplacés », y compris les jurons et [traduction] « le fait de gêner les déplacements de la plaignante à l’intérieur et près du milieu du travail ». Elle a formulé des recommandations visant la prise de mesures disciplinaires.
Non-respect du préavis de 10 jours
[100] Mme Edmunds a affirmé qu’elle n’était pas habilitée à imposer des mesures disciplinaires aux employés. Elle formulait des recommandations et il incombait aux gestionnaires d’imposer les mesures disciplinaires. Fait important, aux termes de l’article 10 de la convention collective (sur les mesures disciplinaires, la suspension et le congédiement), la direction doit donner un préavis de 10 jours après [traduction] « l’infraction alléguée » ou après que cette infraction a été [traduction] « portée à l’attention » de l’employeur avant d’imposer une mesure disciplinaire. D’après Mme Edmunds, ce délai de 10 jours s’est enclenché le 25 avril 2006 avec l’avis à l’employeur et a pris fin vers le 5 mai 2006. Il est également ressorti des témoignages que la direction pouvait [traduction] « arrêter le chronomètre » si certaines mesures étaient prises. Aucune mesure de ce genre n’a été prise en l’espèce. Ainsi, en raison de la [traduction] « comédie des erreurs », le délai de 10 jours n’a pas été respecté. Quelles ont été les répercussions? Premièrement, selon le témoignage de Mme Edmunds, elle aurait recommandé que M. Thambirajah soit suspendu sans solde pour cinq jours. Quant aux autres recommandations – une formation, le versement d’une lettre dans son dossier pendant un an, etc. – M. Thambirajah n’était pas obligé de s’y soumettre. Toutefois, il a accepté de suivre un cours sur les droits de la personne (deux ans plus tard). Pendant qu’il suivait ce cours, il était de service et rémunéré. La lettre est demeurée dans son dossier pendant une année seulement, conformément aux dispositions de la convention collective.
[101] Du 15 mai au 16 octobre 2006, Mme Cassidy était en congé en raison d’une blessure sans lien avec ses interactions avec M. Thambirajah. M. Thambirajah a travaillé à Willowdale D jusqu’au 18 mai 2006. Il a été muté à une autre succursale dans le cadre d’une mesure d’accommodement sans rapport avec ses interactions avec Mme Cassidy. Par la suite, ils n’ont plus jamais travaillé à la même succursale. J’admets également les témoignages selon lesquels, du 25 avril au 23 mai 2006, la plaignante et l’intimé à titre personnel n’ont pas eu la moindre interaction.
M. Autres mesures prises par Postes Canada après le 25 avril 2006
Postulation ou mutation à l’extérieur de Willowdale D
[102] Mme Cassidy soutient avoir maintes fois demandé à Candace Carpenter, une agente de dotation responsable de sept succursales, et à Joanne Coe, gestionnaire de zone intérimaire à l’époque, une mutation lui permettant de quitter Willowdale D en raison du harcèlement de l’intimé à titre personnel.
[103] Selon le témoignage de Mme Carpenter, la plaignante lui avait téléphoné à plusieurs reprises et elles s’étaient rencontrées. Il était vrai qu’elle avait demandé une mutation, mais pas en raison de son conflit avec M. Thambirajah. Cette question n’avait jamais été soulevée. Selon Mme Carpenter, la plaignante disait qu’elle voulait être plus près de la maison et de sa fille malade : [traduction] « Il n’a jamais été question de Raj, [il était] question de ses enfants […] Il est tellement facile de postuler, tellement facile [pour elle] de se rapprocher de la maison. » D’après Mme Carpenter, elle a dit à la plaignante de présenter un formulaire de mutation et que, en raison de son ancienneté, elle l’obtiendrait. Elle lui a même proposé de lui télécopier le formulaire de postulation/mutation et de l’aider à le remplir. Mme Carpenter a affirmé qu’il s’agit d’un formulaire simple qui ne compte qu’une page. À sa surprise et son grand étonnement, la scène s’est répétée à plusieurs reprises. Chaque fois, la plaignante revenait la voir, soulevait le même problème et Mme Carpenter lui expliquait qu’elle devait présenter un formulaire de mutation. Et, chaque fois, la plaignante repartait, mais sans avoir rempli ou présenté de formulaire. Mme Carpenter ne savait pas pourquoi. Il est ressorti des témoignages qu’elle craignait peut-être de se voir assigner un [traduction] « itinéraire difficile ».
[104] Finalement, l’employeur a [traduction] « placé » Mme Cassidy, à titre de mesure d’accommodement liée à la persistance de ses problèmes avec M. Thambirajah. Elle n’a pas eu à remplir un formulaire de postulation. Comme nous le verrons plus tard, Mme Edmunds était à l’origine de cette mutation.
[105] Selon les témoignages, un employé pouvait [traduction] « postuler » dans un autre bureau relevant du même syndicat local ou demander une [traduction] « mutation » à un autre bureau relevant d’un autre syndicat local. Il y a un formulaire de [traduction] « postulation », distinct du formulaire de [traduction] « mutation ». Il ressort clairement des fiches de [traduction] « postulation » déposées en preuve que Mme Cassidy aurait obtenu une réaffectation si elle en avait fait la demande dans les mois qui ont suivi l’incident du 9 novembre 2005. De plus, aux termes de l’article 56.07 de la convention collective : [traduction] « Sur demande écrite du plaignant et à la suite d’une consultation et d’une entente, la Société peut accorder au plaignant le droit d’être affecté à une autre tâche ou à un autre poste sur une base temporaire ». Mme Cassidy n’a pas demandé de mutation « temporaire » et Postes Canada ne lui a pas demandé si elle en souhaitait une.
[106] Le 17 mai 2006, la plaignante est allée rencontrer Mme Carpenter et est passée voir Mme Coe. À ce moment-là, la plaignante était en congé jusqu’au 16 octobre 2006 en raison d’une blessure dans l’exercice de ses fonctions et M. Thambirajah allait bientôt être muté à une autre succursale dans une autre ville dans le cadre d’une mesure d’accommodement liée à une incapacité. Je note que, dans son journal, Mme Cassidy a écrit qu’elle était allée voir Mme Coe ce jour-là non pas en raison de son conflit avec l’intimé à titre personnel, mais plutôt parce qu’elle craignait que M. Sultan conteste sa demande de congé pour la blessure subie au travail.
[107] Selon le témoignage de Mme Coe, elle croyait que la plaignante était [traduction] « frustrée de ne pas avoir un itinéraire, mais Candace [Carpenter] disait qu’elle ne présentait pas de demande pour en obtenir une ». Elle a corroboré le témoignage de Mme Carpenter selon lequel Mme Cassidy n’avait jamais indiqué qu’elle souhaitait postuler pour quitter Willowdale D à cause de M. Thambirajah. De plus, Mme Coe a affirmé que, le 17 mai, [traduction] « après sa rencontre avec Candace au sujet du processus de postulation, elle [Mme Cassidy] m’a parlé de la maladie de sa fille. Elle était très bouleversée. »
[108] La question suivante a été posée à Mme Coe : une fois que Postes Canada a pris connaissance le 25 avril 2006 de l’incident survenu le 9 novembre 2005, quel était le degré d’urgence selon elle de séparer la plaignante et l’intimé? Mme Coe a répondu : [traduction] « pas très élevé. Je n’étais au courant d’aucun autre incident. Il fallait laisser l’enquête suivre son cours. » Évidemment, il y avait aussi les incidents des engueulades et des injures en avril 2006.
[109] Mme Edmunds a corroboré les témoignages de Mme Coe et de Mme Carpenter selon lesquels la plaignante n’avait jamais dit que M. Thambirajah était la raison pour laquelle elle souhaitait postuler ou demander une mutation; elle avait plutôt parlé de la maladie de sa fille et de sa volonté d’être plus près de la maison. Toutefois, en fin de compte, Mme Cassidy a quitté Willowdale D, dans le cadre d’une [traduction] « postulation » au 101 Placer Court, le 20 septembre 2006. Par la suite, elle a été mutée à Oshawa, à l’initiative et avec l’assistance de Mme Edmunds. Le témoin a affirmé que :
[traduction]
À un moment donné, je lui ai demandé si elle voulait quitter Willowdale D […] J’ai téléphoné à Arthur, l’agent de dotation […] pour qu’il lui réserve un poste. J’ai dit à Doris, tu ne croiseras plus Raj, qu’est-ce que tu penses d’Oshawa? Il n’est pas facile de muter quelqu’un d’une zone à un autre, le syndicat n’aime pas ça à cause des répercussions sur les droits d’ancienneté; il s’agissait d’une affectation temporaire. Il a fallu que je travaille avec les deux syndicats locaux, la démarche contournait l’article 56 […] Je vivais cette expérience avec elle.
Plus tard, elle a ajouté : [traduction] « Je suis allée voir les deux syndicats locaux et j’ai obtenu leur autorisation pour un accommodement temporaire […] Oshawa est plus proche de sa résidence. Je ne sais pas si elle avait assez d’ancienneté pour obtenir la mutation par les voies normales […] Doris ne m’a jamais demandé cette mutation. De ma propre initiative, je lui ai trouvé un poste à Oshawa. Elle m’avait parlé du problème de santé de sa fille […] » Il s’agit d’un exemple des mesures proactives et pleines de compassion prises par Mme Edmunds au bénéfice de la plaignante.
[110] J’admets les témoignages des trois employées de Postes Canada concernant la question de la postulation ou de la mutation à l’extérieur de Willowdale D. Elles étaient crédibles à cet égard; Mme Cassidy ne l’était pas.
Le Programme d’aide aux employés offert à Mme Cassidy
[111] Selon Mme Edmunds, elle a téléphoné à la plaignante pour l’aviser qu’il y avait eu un manquement à la protection des renseignements personnels puisque, par inadvertance, on avait envoyé les fiches de postulation à M. Thambirajah. Durant cet appel, elle a demandé à la plaignante si elle voulait avoir recours au Programme d’aide aux employés (PAE). Mme Cassidy a répondu que non; elle comptait plutôt parler à un ami qui est psychologue.
Versement de deux semaines de paye de vacances
[112] Mme Edmunds a également affirmé que la plaignante lui avait téléphoné après l’incident du « rat mort » en décembre 2006. Selon Mme Edmunds : [traduction] « J’étais vraiment bouleversée. Son récit m’a touché droit au cœur jusqu’à ce qu’on reçoive la documentation de la Commission. J’ai lu ses documents et j’ai pensé : “ce n’est pas ce qui est arrivé”. » Mme Edmunds a affirmé être allée voir le directeur en décembre pour obtenir l’autorisation d’accorder à la plaignante deux semaines de salaire à la suite de l’incident, [traduction] « comme si elle avait été au travail ».
Alerter le service de sécurité
[113] Mme Edmunds a affirmé avoir communiqué avec le service de sécurité de Postes Canada, souhaitant que les agents de sécurité veillent sur Mme Cassidy à la suite de son transfert à Oshawa, notamment en la suivant de temps à autre. Elle avait agi ainsi parce que Mme Cassidy alléguait que l’intimé à titre personnel la harcelait encore et lui faisait peur.
Entrevue avec M. Thambirajah le 8 décembre 2006
[114] Le 17 octobre 2006, M. Tidman a envoyé un courriel à Mme Coe et à Mme Edmunds, les avisant que Mme Cassidy était venue le voir la veille et avait fait [traduction] « quelques allégations au sujet de Raj dont il faudrait discuter ». Une de ces allégations était que M. Thambirajah faisait [traduction] « l’objet d’un procès pour des agressions physiques contre son ex-épouse. Doris dit que la source de ces renseignements est la police. » Elle a raconté la même chose à Mme Edmunds. Mme Edmunds a demandé au service de sécurité de faire enquête et le service lui a répondu que l’allégation était sans fondement. Dans son courriel, M. Tidman a également indiqué que l’intimé à titre personnel avait été [traduction] « accusé » et qu’il était visé par un engagement de ne pas troubler l’ordre public. M. Tidman a également signalé qu’Anne Jones lui avait dit qu’elle recevait, tout comme lui, des appels d’une personne qui raccrochait immédiatement. Ce sujet n’a pas été abordé lors de l’interrogatoire de M. Tidman, si bien que je ne lui accorde aucun poids.
[115] À la suite des événements décrits ci-dessus, Postes Canada a tenu une entrevue avec M. Thambirajah [traduction] « pour aviser l’employé des déclarations faites à son sujet par une autre employée et lui dire qu’un résumé de la réunion serait versé à son dossier ». M. Thambirajah a déposé un grief, mais n’a pas eu gain de cause.
N. Incidents survenus lorsque la plaignante et l’intimé à titre personnel ne travaillaient plus ensemble
[116] Les plaintes déposées par Mme Cassidy en vertu de la LCDP concernent notamment des allégations de harcèlement lorsqu’elle et M. Thambirajah ne travaillaient plus ensemble à Willowdale D.
Voiture égratignée à la réunion syndicale
[117] Le 19 septembre 2006, Mme Cassidy a assisté à une réunion syndicale. M. Thambirajah y assistait également, comme bon nombre de personnes. Lorsqu’elle est partie, elle a remarqué que quelqu’un avait fait des [traduction] « égratignures à l’aide d’une clé » sur sa voiture et gravé dans la peinture [traduction] « va te faire foutre ». Bien entendu, elle était assez bouleversée. Elle a immédiatement soupçonné M. Thambirajah, bien qu’elle n’ait aucune preuve directe. Elle a déposé un rapport de police. M. Thambirajah nie toute responsabilité pour l’incident [traduction] « des égratignures/de la gravure à l’aide d’une clé » sur la voiture. Je conclus que l’incident s’est produit. Cependant, selon la prépondérance des probabilités, je ne peux pas conclure que M. Thambirajah était bel et bien responsable de cet incident. Il n’y a aucune preuve – p. ex. déclaration d’un témoin visuel, surveillance vidéo, etc. – autre que la preuve « circonstancielle » de la présence de celui-ci à la réunion syndicale ce soir-là et de sa relation tendue avec Mme Cassidy durant cette période. Je reconnais que la preuve circonstancielle peut suffire dans certains cas. Cependant, elle est trop faible en l’espèce pour appuyer l’inférence voulue.
Plainte pour agression sexuelle déposée auprès de la police; accusations portées
[118] Le 28 septembre 2006, Mme Cassidy a déposé une plainte auprès de la police pour agression sexuelle relativement à l’incident du 9 novembre 2005. Des accusations ont été portées et M. Thambirajah a été mis en état d’arrestation le 8 novembre 2006. Elle s’est aussi adressée au tribunal afin qu’un engagement à ne pas troubler l’ordre public soit émis à l’égard de M. Thambirajah. La Couronne a retiré les accusations pour agression sexuelle le 31 mars 2008. L’enquêteur, M. Cecile, a témoigné qu’il avait rencontré Mme Cassidy et lui avait expliqué que la Couronne, après avoir examiné la preuve, n’estimait pas qu’il existait une possibilité raisonnable de déclaration de culpabilité pour ces accusations et qu’elle les retirerait donc.
Pneus crevés après la comparution au tribunal
[119] Le 1er novembre 2006, Mme Cassidy et M. Thambirajah ont comparu à la Cour de justice de l’Ontario. Mme Cassidy a témoigné qu’alors qu’elle conduisait pour se rendre à la maison, elle avait perdu le contrôle de sa voiture : [traduction] « mes pneus ont crevé. J’ai presque tué une autre femme et son enfant ». Elle est parvenue à conduire jusque chez elle, à apporter la voiture au Canadian Tire et à aller faire des emplettes. Elle affirme que M. Thambirajah est responsable de l’incident. Elle a déclaré avoir vu un jeune homme indien entrer dans la salle d’audience et parler à M. Thambirajah; il la regardait et souriait.
[120] Son amie, Sue Baird, a témoigné qu’elle avait téléphoné à la plaignante après l’incident et que cette dernière pleurait. Mme Cassidy a déposé un rapport de police. Elle a dit à la police qu’elle pensait que M. Thambirajah était responsable de l’incident. Aucune accusation n’a jamais été portée.
[121] M. Thambirajah a nié toute implication et déclare que la personne à qui il parlait dans la salle d’audience était son avocat. L’avocat de Postes Canada a contre-interrogé la plaignante à propos de l’incident et a relevé des incohérences dans son témoignage (p. ex. en ce qui a trait à son allégation voulant qu’elle ait presque tué une femme et son enfant sur l’autoroute).
[122] Je suis convaincu que les pneus de Mme Cassidy ont été crevés ce jour-là. Le rapport du mécanicien de Canadian Tire permet de corroborer que les quatre pneus ont tous été crevés, bien qu’il n’indique pas si la crevaison des pneus était délibérée ou accidentelle (p. ex., en roulant sur des objets pointus). Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas prêt à conclure que M. Thambirajah était responsable. Bien qu’il est [traduction] « possible » qu’il puisse être coupable, je ne suis pas prêt à conclure que ce soit [traduction] « probable » uniquement vu les circonstances.
Des « personnes au teint foncé » et des « Indiens » suivant la plaignante en novembre 2006
[123] J’ai entendu la plaignante déclarer, lors de son témoignage, que Postes Canada l’avait autorisée à se faire accompagner par son neveu, Scott Parsons, durant son trajet. À l’époque, elle craignait du harcèlement et des représailles de la part de M. Thambirajah malgré le fait qu’ils ne travaillaient plus dans le même bureau de service ni dans le même secteur depuis mai 2006. Le 17 novembre 2006, la plaignante et son neveu ont remarqué un « Indien » qui les suivait à bord d’une voiture pendant que Mme Cassidy effectuait son trajet. Ils n’ont pas pris en note le numéro de plaque d’immatriculation. Par ailleurs, elle et M. Parsons ont tous deux témoigné que, le 8 novembre 2006, ils ont aperçu une voiture quittant l’entrée de la résidence de Mme Cassidy située à la campagne, dans la région de Durham. M. Parsons a déclaré qu’il y avait [traduction] « deux personnes au teint foncé [à bord de la voiture] quittant l’entrée » au moment où Mme Cassidy et lui arrivaient. Ils n’ont pas pris en note le numéro de plaque d’immatriculation.
[124] Pour sa part, M. Thambirajah nie même le fait que Mme Cassidy et M. Parsons étaient suivis ou que l’incident de la voiture dans l’allée se soit produit et, à plus forte raison, qu’il était responsable de leur prise en filature.
[125] Je suis prêt à conclure que les événements tels que décrits ci-dessus par la plaignante et par M. Parsons sont vraiment survenus (p. ex., une voiture a quitté l’entrée chez Mme Cassidy), mais pas que cela impliquait leur [traduction] « filature » ou qu’ils ont fait l’objet de harcèlement ou d’intimidation. En outre, à la lumière de la preuve et selon la prépondérance des probabilités, je n’irai pas jusqu’à conclure qu’il existait un lien entre M. Thambirajah et les incidents de la [traduction] « voiture sur le trajet de livraison du courrier » ou de la [traduction] « voiture dans l’entrée ».
Incident du « rat dans la boîte aux lettres »
[126] Mme Cassidy prétend que, le 4 décembre 2006, M. Thambirajah ou quelqu’un agissant conformément à ses directives, a déposé un rat mort dans une enveloppe dans sa boîte aux lettres rurale. La plaignante a témoigné qu’elle vivait à l’époque à la maison de campagne de son conjoint de fait sise sur un terrain de 180 acres bordé sur trois côtés de terres agricoles. Le matin en question, elle a déclaré s’être rendue à sa boîte aux lettres, l’avoir ouverte et avoir trouvé une enveloppe (dans son journal, elle a parlé d’un [traduction] « sac brun ») dans laquelle se trouvait un rat mort (ou une souris). [traduction] « Je l’ai lancé par terre sur notre propriété (plus tard elle a témoigné avoir lancé le rat dans les buissons); le rat pourrait toujours s’y trouver aujourd’hui […] » Elle est ensuite entrée dans la maison en criant. Son neveu était là et sa fille dormait. Fait surprenant, elle ne s’est pas réveillée avec toute cette agitation. Plus tard, sa fille a voulu aller récupérer le rat, mais Mme Cassidy lui a interdit de sortir. Lorsqu’ils sont partis plus tard et à leur retour, ils n’ont pas cherché le rat. Voici ce qu’elle a déclaré : [traduction] « Je savais que Raj avait fait ça […] ». Elle a affirmé avoir reçu un appel téléphonique de M. Thambirajah plus tard : « As-tu eu le rat? Ce n’est pas encore fini. »
[127] À ce jour, personne à part la plaignante n’a vu le rat mort. Je trouve étrange que ni son neveu ni sa fille n’aient été témoins de ce qui s’est passé, ou qu’elle n’ait pas pris de photo du rat mort à l’aide d’une caméra ou d’un téléphone cellulaire pour la montrer à la police. Cela est particulièrement surprenant étant donné qu’à ce moment-là en décembre 2006, selon sa propre déclaration, son conflit avec M. Thambirajah s’était intensifié. Je ne reconnais pas que l’incident du rat mort ou que l’appel téléphonique de suivi de M. Thambirajah ait eu lieu. Par contre, même si je devais conclure qu’une enveloppe contenant un rat mort a été déposée dans la boîte aux lettres de la plaignante, je n’irais pas jusqu’à conclure que M. Thambirajah en était le responsable.
Appels téléphoniques de menaces
[128] Selon l’une des allégations, M. Thambirajah, ou quelqu’un obéissant à ses directives, a fait des appels téléphoniques de menaces à la plaignante pendant trois ans. La plaignante a tout d’abord déclaré lors de son témoignage qu’[traduction] « il a commencé à me téléphoner lorsque Kelly Edmunds a commencé à enquêter. » À un moment donné durant son témoignage, elle a déclaré autre chose, affirmant que M. Thambirajah avait commencé à lui téléphoner peu après l’incident du 9 novembre 2005. Questionnée quant à la fréquence à laquelle il téléphonait, elle a répondu [traduction] « Aussi souvent que six à dix fois par jour; certains jours rien […] Je connais la voix de Raj. Il dirait des choses telles que “combien de vies as-tu?” “la prochaine fois tu ne seras pas aussi chanceuse, ce sera ton visage” ».
[129] L’amie de Mme Cassidy, Sue Baird, a témoigné qu’elle était [traduction] « plusieurs fois » (plus tard elle a dit 3 ou 4 fois) en compagnie de la plaignante lorsque cette dernière a reçu des appels téléphoniques de menaces. Mme Cassidy lui a dit que c’était M. Thambirajah et elle a tenu le téléphone près de leurs oreilles à toutes deux afin que Mme Baird puisse entendre. Mme Baird a déclaré qu’il s’agissait d’une voix masculine avec un accent. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas entendre clairement, mais qu’une fois, elle avait entendu quelque chose ressemblant à [traduction] « au sujet de ton visage », puis [traduction] « [...] vies as-tu ».
[130] En contre-interrogatoire, Mme Baird s’est fait demander si elle avait déjà entendu la voix de M. Thambirajah auparavant. Elle a répondu [traduction] « non ». Mme Cassidy lui avait dit que c’était M. Thambirajah. [Traduction] « Je n’ai aucune idée de qui il s’agissait », a déclaré le témoin.
[131] Mme Corinne Pearce, une autre amie de la plaignante, a témoigné qu’il est arrivé à quelques reprises que Mme Cassidy soit chez elle quand M. Thambirajah lui a téléphoné, disant des choses telles que [traduction] « un rat dans la boîte aux lettres, aimes-tu ton cadeau, la prochaine fois ce sera peut-être toi. » Mme Cassidy a tenu le téléphone près de l’oreille du témoin afin qu’elle puisse entendre. Lorsqu’elle s’est fait demander si elle comprenait la personne à l’autre bout du fil, voici ce qu’elle a répondu : [traduction] « Je le comprenais clairement, un accent, mais pas un fort accent, plutôt celui d’un ressortissant des Indes orientales, je pouvais comprendre toutes les paroles. » Lors du second appel, elle a déclaré que la personne à l’autre bout du fil a dit [traduction] « […] Aimes‑tu l’égratignure sur ta voiture; la prochaine fois ça pourrait être ton visage ».
[132] Dans la salle d’audience, M. Machelak a demandé à M. Thambirajah de répéter les paroles que le témoin affirme avoir entendues lors des deux appels téléphoniques de menaces allégués. Il l’a fait pour le témoin. [traduction] « C’était clair? » a demandé l’avocat. [traduction] « Oui, et c’était l’accent, » a répondu le témoin. L’air étonné, M. Machelak a fait remarquer au témoin que l’audience durait depuis une semaine et que les parties et les avocats comprenaient difficilement M. Thambirajah, tandis que le témoin a déclaré qu’il avait seulement un [traduction] « faible accent ». Voici ce que le témoin a répondu : [traduction] « Oui, je peux affirmer que je pouvais comprendre [M. Thambirajah]. J’ai déjà fréquenté des ressortissants des Indes orientales et je comprends leur accent mieux que les autres. » Mme Pearce a reconnu qu’elle n’avait jamais rencontré M. Thambirajah avant la tenue de l’audience.
[133] Ce qui s’est ensuite produit était assez intéressant. M. Thambirajah a lui-même contre‑interrogé le témoin. Il a posé cinq questions. À trois d’entre elles, le témoin a répondu : [traduction] « Quoi, je vous demande pardon? » Lorsque j’ai fait remarquer au témoin qu’elle a dit « pardon » plusieurs fois pendant qu’il la questionnait indiquant qu’elle ne pouvait le comprendre, le témoin a répondu : [traduction] « Je peux comprendre ce qu’il a dit, mais pas ce qu’il voulait dire. » Elle a aussi dit, [traduction] « Oui, j’ai été un peu confuse au sujet de ce qu’il voulait dire. » Je n’accepte pas son explication. Selon la preuve, je conclus que la personne qu’elle pouvait comprendre clairement au téléphone, parlant avec un [traduction] « faible accent », n’était pas la même personne – M. Thambirajah – que celle qu’elle pouvait difficilement comprendre à l’audience.
[134] Mme Marshall, qui a agi en qualité de représentante de Mme Cassidy pendant une bonne partie des procédures, a aussi livré un témoignage. Elle est une amie proche de la plaignante. Mme Marshall a déclaré que M. Thambirajah, peu avant la date de début de l’audience, a [traduction] « persisté » à faire des appels téléphoniques de menaces à Mme Cassidy. Elle affirme avoir entendu un appel, mais seulement certaines parties. La plaignante a placé le téléphone cellulaire sur l’oreille de Mme Marshall : [traduction] « J’ai entendu “tu te crois en sécurité, tu ne peux pas te cacher.” C’était un homme indien. Je vis dans un quartier où habitent des ressortissants des Indes orientales. » Le témoin a aussi confirmé que le 21 octobre 2009, lorsque des observations devaient être présentées au Tribunal, Mme Cassidy est arrivée chez elle en pleurant, affirmant que M. Thambirajah venait de lui téléphoner et qu’il avait fait une farce à propos du décès d’Ann Jones, disant quelque chose comme [traduction] « ton témoin est mort, et tu es la prochaine […] J’ai indiqué au bas de la page [dans la lettre adressée au Tribunal] qu’il a besoin de soins psychiatriques et qu’il est cruel. »
[135] Le mépris de Mme Marshall à l’égard de l’intimé à titre personnel était assez évident au cours de l’audience. Elle est une amie proche de la plaignante et elle a passé beaucoup de temps – à titre bénévole – à agir en qualité de représentante de Mme Cassidy dans le cadre des procédures. À l’audience, elle a mentionné avoir elle-même souffert d’abus et qu’elle voulait s’assurer que justice soit rendue dans le cas du harcèlement continu exercé par M. Thambirajah à l’endroit de la plaignante.
[136] Ni Mme Baird, Mme Pearce ou Mme Marshall, pas plus que la plaignante, ne connaissaient les dates exactes des appels. Elles n’ont pas pris les dates en note. Bien qu’elles affirment qu’au‑delà de 30 appels téléphoniques de menaces ont été reçus, à raison de [traduction] « six ou dix par jour » parfois, la plaignante n’a jamais consigné un seul appel, elle n’a pas communiqué avec la police (bien qu’elle l’ait fait pour des affaires moins graves, telles que des dommages à sa propriété), elle n’a pas communiqué avec la compagnie de téléphone ou de téléphone cellulaire pour savoir s’il était possible de savoir qui avait appeler chez elle, etc. Ni les relevés téléphoniques de celle-ci ni ceux de M. Thambirajah n’ont été présentés en preuve. Je dispose seulement de son témoignage et de celui d’amies proches qui affirment avoir entendu une voix [traduction] « indienne » lors de certains appels, étant certaines qu’il s’agissait de M. Thambirajah. Bien qu’il soit possible que M. Thambirajah ait bel et bien fait des appels téléphoniques de menaces, selon la prépondérance des probabilités et en l’absence d’éléments de preuve convaincants, je ne suis pas prêt à rendre une conclusion au sujet d’une affaire aussi sérieuse, à savoir que, même si des appels ont été faits, ils ont été faits par M. Thambirajah lui-même ou par quelqu’un agissant suivant ses directives.
Problème concernant la paie
[137] Mme Cassidy allègue que M. Thambirajah était responsable d’une erreur de paie survenue en septembre 2006, alors qu’elle a reçu des crédits en trop. Elle prétend que M. Thambirajah lui a dit qu’il [traduction] « rendrait ma vie misérable, qu’il avait un ami au service de la paie. » M. Thambirajah nie ces propos. L’avocat de Postes Canada a déclaré ce qui suit à la plaignante : [traduction] « J’aimerais dire que la paie à Postes Canada constitue un énorme problème, des cas de paiements insuffisants et de paiements en trop, il y a au-delà de 60 000 employés et des erreurs se produisent. » Voici ce que la plaignante a répondu : [traduction] « J’ai aussi eu des retenues sur mon salaire qui étaient trop élevées. Raj m’a dit qu’il avait un ami au service de la paie et que ce n’était que le commencement. »
[138] Mme Edmunds a témoigné au sujet du problème concernant la paie. Elle a dit que Mme Cassidy a allégué une [traduction] « falsification de la paie », soit un paiement en trop, et que de l’argent lui était également dû relativement à un congé de maladie. Mme Edmunds, Penny Comport, superviseure à la succursale où elle travaillait à ce moment-là (101, Placer Ct.) et le délégué syndical Mark Sinclair, ont rencontré Mme Cassidy le 4 mai 2007 afin de discuter de la question du paiement insuffisant du congé de maladie. La superviseure a expliqué la raison pour laquelle l’erreur avait été commise concernant le [traduction] « congé de maladie », et a mentionné qu’il avait été établi, après enquête, que Mme Cassidy n’a pas été sous-payée, mais qu’elle avait en fait été payée en trop et qu’elle devait deux jours de plus à Postes Canada. Postes Canada a simplement [traduction] « oublié l’incident » et n’a pas demandé de remboursement.
[139] Selon les éléments de preuve présentés, je n’estime pas que M. Thambirajah était responsable des erreurs de paie décrites ci-dessus.
Violation de la vie privée : numéro de téléphone de la plaignante fourni par mégarde à M. Thambirajah
[140] La plaignante allègue que Postes Canada a fourni, de façon inappropriée, son numéro de téléphone à M. Thambirajah. À Willowdale D, M. Thambirajah était autorisé à partager une partie de l’espace du classeur situé dans le bureau de MM. Tidman et Sultan pour y conserver ses documents syndicaux. Le 26 octobre 2006, alors que M. Thambirajah n’était plus délégué syndical à cet endroit et qu’il avait fait l’objet d’un transfert à Unionville, un employé de Postes Canada lui a envoyé par erreur le contenu du classeur à son nouveau lieu de travail. Il lui a, entre autres, fait parvenir plusieurs [traduction] « demandes de formulaires de congé » d’employés, dont ceux de Mme Cassidy. M. Thambirajah a signalé cette erreur et a remis l’enveloppe renfermant les formulaires de congé au syndicat, qui l’a transmise à la direction. Mme Cassidy prétend que son numéro de téléphone figurait sur les formulaires de congé. Cependant, après examen des formulaires présentés en preuve, il semble qu’elle ait indiqué le numéro de Willowdale D sur le formulaire. Sur un formulaire, elle semble avoir rayé un autre numéro et y avoir inscrit celui de la succursale. Le 15 décembre 2006, Postes Canada a avisé Mme Cassidy de la violation de la vie privée et a présenté des excuses.
[141] L’incident susmentionné a clairement contrarié la plaignante. Elle croyait que M. Thambirajah avait obtenu son numéro de téléphone sur les formulaires de congé. Elle a aussi déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et déposé un grief.
O. Trois allégations de représailles durant l’audience
[142] Le 19 février 2010, j’ai accueilli la requête de la plaignante visant à modifier sa plainte déposée contre M. Thambirajah en y ajoutant trois incidents de représailles en vertu de l’article 14.1 de la LCDP. Ainsi que je l’ai déclaré à l’époque dans mes motifs exposés de vive voix, le fait d’accueillir la requête, vu son seuil peu élevé, ne veut pas dire qu’une conclusion de responsabilité sera rendue à l’encontre de M. Thambirajah à l’issue de l’audience. Seules mes conclusions de fait à l’égard des trois incidents sont présentées ci-dessous.
Premier incident : parc de stationnement le 2 février
[143] Il s’agissait du premier incident sur les trois à survenir durant l’audience. Mme Cassidy et Mme Marshall ont toutes deux témoigné qu’à la fin de la deuxième journée d’audience, soit le 2 février 2010, Mme Cassidy, son partenaire et Mme Marshall étaient à bord de leur voiture dans le parc de stationnement face à l’immeuble où avait lieu l’audience. Il tombait une faible neige. Voici ce que Mme Cassidy a déclaré lors de son témoignage :
[traduction]
[…] Julie [Marshall] a levé les yeux et dit “Il [M. Thambirajah] est là.” Il regardait ma plaque d’immatriculation. Il a levé les yeux, m’a regardée et a souri. Je me suis effondrée. Mon petit ami était réellement contrarié. J’ai commencé à pleurer, je n’arrivais pas à croire qu’il en faisait encore : du harcèlement, de l’intimidation, tentant de me montrer à sa manière qu’il peut toujours m’atteindre peu importe l’endroit […] Il se tenait là juste devant.
Elle a déclaré qu’elle était assise sur la banquette avant, du côté passager. Dans son avis de requête, voici ce qu’elle écrit : [traduction] Julie l’a vu traverser quatre voies de circulation et marcher en direction nord sur la rue Bay, avec son sac et son plateau. »
[144] Mme Marshall a corroboré le témoignage de la plaignante. Elle a déclaré qu’elle avait marché jusqu’à la voiture de la plaignante, stationnée sur le côté opposé de la rue où se tenait l’audience, sur le côté ouest de la rue Bay et qu’elle s’était [traduction] « faufilée sur la banquette arrière ». Voici ce qu’elle a affirmé :
[traduction]
Les essuie-glaces fonctionnaient, une faible neige fondait sur les vitres de la voiture, Doris et George étaient là et discutaient de ce qui avait été dit en cour […] J’ai regardé à gauche et dit “Oh mon Dieu, le voilà” […] Raj marchait entre les allées. Nous étions du côté sud. Il était dans le stationnement, entre les deux allées suivantes. Elle a commencé à trembler et à pleurer […] Je l’ai vu se diriger directement vers la voiture et Doris qui se trouvait du côté passager, il a regardé la plaque d’immatriculation, puis a regardé Doris, lui a souri et fait une mimique puis est parti. Le plus près qu’il s’est approché était environ à six pieds devant la voiture, face au pare-chocs du côté passager. Il a rebroussé chemin, a traversé quatre voies de […] marché en direction nord sur la rue Bay.
Elle a déclaré que M. Thambirajah n’avait pas sa valise pendant qu’il se trouvait dans le stationnement : [traduction] « Doris était hystérique, elle tremblait et pleurait. J’ai juré, et l’ai traité d’un mauvais nom. Il est effronté pour faire quelque chose comme ça. J’ai déclaré que je le signalerais immédiatement à votre attention. » Mme Marshall a affirmé qu’elle a téléphoné à trois reprises au propriétaire du stationnement, The Hospital for Sick Children, afin de savoir s’il y avait une bande vidéo de surveillance, mais qu’ils ne l’ont pas rappelée. Elle n’a pas demandé d’ordonnance de production pour moi.
[145] L’incident susmentionné a été soulevé le lendemain, le 3 février, en « audience publique ». M. Thambirajah (non assermenté) a déclaré [traduction] « J’ai oublié où j’étais ». Il a dit que sa voiture n’était pas garée dans le même stationnement que Mme Cassidy. Il s’est perdu. Il a dit avoir utilisé son dispositif de commande à distance pour tenter de trouver sa voiture. Il n’a pas nié s’être trouvé dans le stationnement où était garée la voiture de Mme Cassidy.
Il a toutefois affirmé ce qui suit : [traduction] « Je n’ai même pas vu de qui ou de quoi il s’agissait […] était plein de [sic] neiges. » Il a nié leur avoir souri. J’ai mentionné, lorsque l’incident a initialement été soulevé à l’audience, que leurs observations non assermentées ne feraient pas [traduction] « à ce moment-ci » partie de la preuve ou de mes conclusions, ou de toute ordonnance. J’ai mentionné que cela pourrait devenir pertinent à une date ultérieure. Cela s’est concrétisé, étant donné que la plaignante a par la suite présenté une requête visant à modifier sa plainte déposée contre l’intimé à titre personnel. Après avoir entendu la requête, je l’ai accueillie et j’ai fourni des motifs de vive voix.
[146] Dans le cadre de son témoignage présenté sous serment l’avant-dernier jour de l’audience, M. Thambirajah s’est fait demander s’il s’était approché du véhicule de Mme Cassidy dans le stationnement. Il a répondu [traduction] « Je n’ai pas fait ça. Je me trouvais là, garé dans le même stationnement, me rendant à ma voiture. Je n’ai pas regardé sa plaque [d’immatriculation]. » À la fin du réinterrogatoire, j’ai demandé à l’intimé de clarifier son témoignage. Il a déclaré qu’il était garé dans le même stationnement que Mme Cassidy, mais dans une autre allée, plus précisément [traduction] « à deux allées devant eux en face de l’hôpital. » Voici ce qu’il a affirmé : [traduction] « J’ignorais où ils étaient garés et qui se trouvait à bord de la voiture, je ne l’ai découvert que le lendemain [quand la plaignante a initialement soulevé la question à l’audience]. Ce récit est une pure invention. Je ne les ai pas vus ni leur voiture […] » J’ai ensuite posé la question suivante à l’intimé : [traduction] « Comment saviez-vous que vous étiez dans le même stationnement, dans une allée différente, si vous ne les avez pas vus ni vu leur voiture? » L’intimé a répondu [traduction] « C’était le seul stationnement à cet endroit. » M. Kelly a ensuite demandé [traduction] « En cour [le 3 février] vous avez avisé le Tribunal que vous étiez garé à deux coins de rue, dans un autre stationnement. » La réponse de M. Thambirajah a été difficile à comprendre en raison de son accent. Il a déclaré qu’il ne connaissait pas le coin, mais que le stationnement était situé [traduction] « deux allées derrière le Tribunal [immeuble sur la rue Bay]. Il a confirmé que le stationnement se trouvait sur le côté nord-ouest de l’intersection des rues Bay et Elm, à côté d’un chantier de construction.
[147] À l’examen des observations non assermentées présentées par M. Thambirajah lorsque l’incident a initialement été soulevé le 2 février 2010, et de ses témoignages du 7 et du 11 octobre 2011 (interrogatoire principal, contre-interrogatoire et réinterrogatoire, incluant mes questions), j’ai eu de la difficulté à comprendre ce qui s’est passé. Il semble s’être contredit. Il affirme tout d’abord qu’il était garé dans un autre stationnement que Mme Cassidy, qu’il s’est perdu et s’est retrouvé dans le stationnement où sa voiture à elle était garée, mais qu’il ne s’est jamais trouvé face à sa voiture à elle, et qu’il ne lui a donc pas souri et qu’il n’a pas non plus regardé la plaque d’immatriculation. À l’audience, il affirme qu’il était garé dans le même stationnement qu’elle, mais qu’il n’est pas allé devant la voiture de celle-ci, qu’il ne l’a pas regardée et ne lui a pas fait de sourire, et qu’il ne savait même pas où elle était garée. Il affirme ensuite qu’il était là, sa voiture étant garée à deux allées de la sienne, mais qu’il ne l’a pas regardée ou n’a pas regardé la plaque d’immatriculation. Ses réponses sont alambiquées et contradictoires. Même si je devais fournir la meilleure interprétation qui soit de ses réponses et conclure qu’il était garé dans le même stationnement que Mme Cassidy, qu’il s’est perdu et s’est retrouvé sans le savoir devant la voiture de Mme Cassidy, je devrais m’arrêter là. Je ne pourrais accepter le reste de sa version des événements. Je conclus qu’il s’est tenu devant la voiture de Mme Cassidy après l’audience alors qu’il neigeait. Je crois les affirmations de Mme Cassidy et de Mme Marshall selon lesquelles il a regardé la plaque d’immatriculation de Mme Cassidy, qu’il a ensuite regardé celle-ci, en souriant ou en faisant une mimique. Il a ensuite quitté le stationnement et marché en direction nord, sans aucun doute pour se rendre dans l’autre stationnement où il était garé en réalité. J’accepte le témoignage de Mme Marshall selon lequel, après s’être éloigné de leur voiture, [traduction] « Il a rebroussé chemin, a traversé quatre voies de circulation [sur la rue Bay], a ramassé son sac et a marché en direction nord sur la rue Bay. » Le fait de s’être garé dans le stationnement situé au nord de l’immeuble du Tribunal et au nord-est de l’endroit où était garée Mme Cassidy, cadre avec sa déclaration initiale et avec le témoignage de Mme Marshall et telle est ma conclusion dans les faits. J’aborderai plus loin dans les présents motifs la question de savoir si ses actes constituaient des « représailles » au sens de l’article 14.1 de la LCDP.
[148] Après que la plaignante a initialement soulevé l’incident du stationnement à l’audience du 2 février, j’ai averti les parties et les ai enjoints de ne pas communiquer entre elles et de traiter avec l’autre par l’entremise de leurs représentants à l’audience. En dépit de cette directive, deux autres incidents allégués se sont produits.
Deuxième incident : dans le couloir, à l’audience, le 16 février
[149] Mme Cassidy allègue que l’intimé [traduction] « m’a encore harcelée verbalement lorsque je quittais la salle d’audience. Nous avions soulevé en cour la possibilité de convoquer un nouveau témoin – Marcia Busarello (Iunni). À ma sortie de la salle d’audience, Raj m’a dit – alors que personne ne se trouvait assez près pour entendre – “attends [jusqu’à] l’arrivée de Iunni” en continuant de m’intimider. » La plaignante a témoigné qu’elle [traduction] « croyait qu’il s’agissait là d’une autre façon pour lui de m’atteindre, de me faire du mal. » Personne ne peut corroborer son témoignage; la plaignante était seule. M. Thambirajah nie que cette interaction soit même survenue. Selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas prêt à conclure que cet événement s’est produit comme la plaignante l’a décrit. Par ailleurs, même s’il s’est produit, les paroles de l’intimé disant [traduction] « attends jusqu’à l’arrivée de Iunni » ne correspondent pas, à elles seules, et d’après l’ensemble de la preuve, à des représailles en vertu de la LCDP.
Troisième incident : sur la rue Bay à l’extérieur de l’immeuble du Tribunal, le 17 février
[150] Le troisième incident allégué s’est soi-disant produit le 17 février. Voici ce que déclare la plaignante dans son avis de requête : [traduction] « Je suis sortie de l’immeuble sis au 655, rue Bay, pour fumer une cigarette. Je me promenais sur la rue et M. Thambirajah a surgi de derrière une colonne et m’a dit “ton tour viendra”. J’étais vraiment affolée et je suis venue vous aviser [le Tribunal] immédiatement […] ». Elle a témoigné qu’elle, Mme Marshall et Mme Baird étaient sorties fumer une cigarette : [traduction] « Je me suis éloignée en marchant, Raj était derrière la colonne […] il a formulé le commentaire “ton tour viendra”. Je suis revenue et j’ai dit “Je ne peux même pas fumer une cigarette et lui échapper” et je leur ai dit ce qui était arrivé. » Mme Marshall confirme que la plaignante lui a révélé ce qui s’était passé peu après que l’incident est présumément survenu. Mais personne n’a été témoin de l’interaction qui a réellement eu lieu entre Mme Cassidy et M. Thambirajah. Ce dernier a déclaré ce qui suit au moment de témoigner : [traduction] « Elle est venue vers moi. Je prenais une pause debout près de la colonne. Elle a tenté de provoquer quelque chose […] Je n’ai rien dit. » Il a affirmé qu’il n’y avait eu aucun échange verbal ni visuel.
[151] D’après les témoignages de la plaignante et de l’intimé à titre personnel, je conclus qu’une interaction a eu lieu entre eux près de la colonne. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je ne tire pas de conclusion selon laquelle il a formulé le commentaire de menaces qu’elle allègue. Je m’abstiens également de tirer une conclusion selon laquelle [traduction] « elle a tenté de provoquer quelque chose » chez lui. Je dis cela en gardant présents à l’esprit les problèmes de crédibilité qu’ils ont tous deux eus pendant toute la durée de l’audience.
VI. La législation
[152] C’est le plaignant ou la Commission qui a la charge initiale d’établir une preuve prima facie de discrimination au sens de la LCDP : Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28. Une fois que cette preuve a été établie, il incombe à l’intimé de fournir une justification ou des explications quant à l’acte discriminatoire. L’explication fournie par l’intimé ne devrait jouer aucun rôle dans la détermination de la question de savoir si une preuve prima facie de discrimination a été établie par le plaignant : Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 22.
[153] Le principe juridique suivant est aussi pertinent pour les affaires du Tribunal des droits de la personne : « pour faire droit à une plainte, il n’est pas nécessaire que les considérations liées à la discrimination soient le seul motif de la conduite reprochée. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont motivé la décision de l’employeur » : Morris c. Canada (Forces armées canadiennes) (2001), 42 C.H.R.R. D/443 (T.C.D.P.), au paragraphe 69; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7.
[154] La norme de preuve dans les affaires de discrimination est la norme civile habituelle, à savoir la prépondérance des probabilités. Selon cette norme, on peut conclure qu’il y a discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible : Premakumar c. Air Canada (no 2) (2002), 42 C.H.R.R. D/63 (T.C.D.P.), au paragraphe 81. Ainsi que l’a déclaré le membre instructeur Craig dans la décision Naistus c. Chief, 2009 TCDP 4, au paragraphe 72 : « La preuve doit toujours être claire et convaincante afin de satisfaire au critère de la prépondérance de la preuve. »
A. Harcèlement sexuel
[155] Selon l’alinéa 14(1)c) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, y compris sur le sexe, le fait de harceler un individu « en matière d’emploi ». Le paragraphe 14(2) précise que « le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite. »
[156] Dans l’arrêt de principe portant sur le harcèlement sexuel de la Cour suprême du Canada, Janzen c. Platy Enterprises Inc., [1989] 1 R.C.S. 1252, au paragraphe 1284, le harcèlement sexuel a été décrit comme « étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ». D’autres tribunaux ou lois l’ont défini comme le fait de formuler des commentaires ou d’avoir des comportements sexuels vexatoires que l’on sait importuns ou que l’on devrait raisonnablement savoir importuns. Des termes identiques ou semblables sont prévus dans de nombreuses lois sur les droits de la personne au Canada. Fait à noter, la LCDP n’est pas l’une d’elles.
[157] Dans une plainte de harcèlement sexuel au sens des articles 7 et 14 de la LCDP, la juge Tremblay-Lamer s’est attardé au principe énoncé dans l’arrêt Janzen, précité, dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées) et Franke, 1999 3 CF 653. Pour qu’une allégation de harcèlement sexuel soit étayée, il faut pouvoir démontrer ce qui suit :
1) Les actes qui constituent le fondement de la plainte doivent être importuns, ou devraient être jugés importuns par une personne raisonnable;
2) La conduite doit être de nature sexuelle. Cela n’englobe pas seulement les contacts physiques ou les attouchements (p. ex., les remarques sexistes, les insultes d’ordre sexuel, et les commentaires concernant l’apparence d’une personne, sa tenue vestimentaire ou ses habitudes sexuelles);
3) Normalement, le harcèlement sexuel exige un degré de persistance ou de gravité de la conduite, mais dans certaines circonstances (comme dans une agression physique grave), un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un milieu de travail empoisonné ou hostile. La Cour a aussi appliqué « la règle de l’inversement proportionnel » : moins la conduite est grave, plus doit se manifester la persistance. Plus la conduite est grave, moins la persistance doit être démontrée. La norme objective de la « personne raisonnable » est aussi appliquée pour évaluer ce facteur; et
4) Lorsque le harcèlement sexuel a lieu dans un milieu de travail, la victime de harcèlement doit aviser l’employeur de la présumée conduite offensante.
B. Responsabilité du fait d’autrui (société) : article 65 de la LCDP
[158] Une société intimée (y compris un intimé gouvernemental) peut être tenue responsable d’actes discriminatoires ou de harcèlement (similaire à la responsabilité du fait d’autrui en droit de la responsabilité délictuelle) commis par ses employés, ses mandataires, ses administrateurs ou ses dirigeants dans le cadre de leur emploi, conformément à l’article 65 de la LCDP. Il en est ainsi, à moins que l’employeur intimé puisse démontrer qu’il n’a pas consenti à l’acte discriminatoire, et a exercé « toutes les mesures nécessaires » pour l’empêcher et a tenté d’en atténuer ou d’en annuler l’effet. Je dois ajouter que, à mon avis, le qualificatif « toutes » précédant « mesures nécessaires » ne nécessite pas l’application d’une norme de « perfection » dans l’exercice des mesures nécessaires. Au contraire, le qualificatif exige que la société intimée ait toujours exercé les mesures nécessaires raisonnables. Dans la décision Hinds c. Canada (Commission de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683 (TCDP), au paragraphe 41611, le Tribunal a déclaré ce qui suit en appliquant le paragraphe 48(6) de la LCDP [le paragraphe 65(2) alors en vigueur] :
Bien que la LCDP n’exige pas que l’employeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois qu’il prenne des mesures promptes et efficaces lorsqu’il sait, ou qu’il devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste […] Pour se soustraire a la responsabilité, l’employeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas. [Non souligné dans l’original.]
[159] Dans cette obligation d’atténuer figure un examen des mesures prises par la société intimée pour enquêter, tirer des conclusions et imposer un mécanisme de règlement. Dans la décision Sutton c. Jarvis Ryan Associates, et al., 2010 HRTO 2421, aux paragraphes 130 à 133, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a statué sur l’obligation de la société intimée d’enquêter sur une plainte de discrimination ou de harcèlement :
[traduction]
Il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal qu’un employeur peut être tenu responsable de la façon dont il répond à une plainte de discrimination.
La raison d’être qui sous-tend le devoir d’enquêter sur une plainte de discrimination est de veiller à ce que les droits en vertu du Code soient efficaces. Ainsi qu’il est précisé dans la décision Laskowska c. Marineland of Canada Inc., 2005 HRTO 30 (CanLII) (Laskowska), au paragraphe 53 :
Ce serait faire de la protection en vertu du paragraphe 5(1) visant à permettre un milieu de travail exempt de discrimination vide de sens si un employeur pouvait rester les bras croisés quand une plainte de discrimination a été faite et ne pas avoir à mener une enquête. Si tel était le cas, comment pourrait-il déterminer si un acte discriminatoire a été commis ou déterminer l’existence d’un milieu de travail empoisonné? Le devoir d’enquêter est un « moyen » qui permet à l’employeur de s’assurer qu’il atteint les « objectifs » dictés par le Code visant à offrir un environnement exempt de discrimination et à fournir à ses employés un environnement de travail sécuritaire.
La jurisprudence du Tribunal a établi que l’obligation de l’employeur d’enquêter s’apprécie suivant la norme du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Dans la décision Laskowska, le Tribunal a énoncé ainsi le critère pertinent dont doit tenir compte l’employeur dans son devoir d’enquêter :
(1) Sensibilisation aux questions de discrimination/harcèlement, mécanisme de plainte prévu par la politique et formation : était-on sensibilisé au problème de discrimination et de harcèlement dans le milieu de travail lors de l’incident? Existait-il une politique anti‑discrimination/harcèlement appropriée? Existait-il un mécanisme de plainte proprement dit en place? La direction et les employés ont-ils bénéficié d’une formation adéquate;
(2) Après la plainte : la gravité de l’incident, la rapidité d’intervention, la prise en charge de son employé, l’enquête et la mesure prise : Après qu’une plainte interne a été formulée, l’employeur a-t-il traité le dossier sérieusement? A-t-il réglé la question rapidement et avec doigté? A-t-il mené une enquête et agi de manière raisonnable?;
(3) Règlement de la plainte (y compris fournir au plaignant un environnement de travail sain) et communication : L’employeur a‑t-il proposé une solution raisonnable dans les circonstances? Si le plaignant a choisi de retourner au travail, l’employeur pouvait-il lui assurer un environnement de travail sain, exempt de discrimination? A-t-il communiqué ses conclusions et interventions au plaignant?
Dans la décision Laskowska, le Tribunal a aussi déclaré ce qui suit au paragraphe 60 :
Bien que les trois éléments ci-dessus soient de nature générale, leur application doit conserver une certaine souplesse pour tenir compte des faits propres à chaque cas. La norme est celle du caractère raisonnable, non pas celles de la décision correcte ou de la perfection. Il y aurait eu plusieurs options – toutes des mesures raisonnables – auxquelles aurait pu recourir l’employeur. Ce dernier n’est pas tenu de satisfaire à chacun des éléments dans tous les cas afin d’être considéré comme ayant agi de façon raisonnable, bien que ce serait l’exception plutôt que la norme. Il faut regarder chaque élément individuellement, puis dans l’ensemble avant de porter un jugement à savoir si l’employeur a agi de manière raisonnable.
C. Représailles : article 14.1 de la LCDP
[160] L’article 14.1 de la LCDP prévoit que le fait, pour la personne visée par une plainte déposée, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant, constitue un acte discriminatoire.
[161] Dans la décision Witwicky c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2007 TCDP 25, le membre instructeur Doucet établit et analyse les deux écoles de pensée opposées quant à savoir si l’« intention » est requise pour établir une plainte au sens de l’article 14.1. La décision Witwicky est l’analyse la plus récente que le Tribunal a réalisée à cet égard. Il y a des décisions contradictoires au niveau du Tribunal, ainsi que dans certains tribunaux provinciaux des droits de la personne, des cours d’appel provinciales et des cours supérieures. La Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada ne se sont pas encore penchées sur cette question.
[162] Dans la décision Witwicky, voici les propos tenus par le Tribunal dans les paragraphes suivants :
[121] Le Tribunal a adopté deux interprétations légèrement différentes quant au cadre juridique dans lequel une allégation de représailles doit être examinée. Ces interprétations sont illustrées dans deux décisions : Wong c. Banque royale du Canada, [2001] D.C.D.P. no 11, et Virk c. Bell Canada (Ontario), [2005] D.C.D.P. no 2. La principale différence entre ces deux interprétations a trait à l’importance accordée à l’intention de la personne à qui on reproche d’avoir exercé des représailles.
[122] Dans la décision Wong, le Tribunal a jugé que, compte tenu du caractère réparateur de la Loi, le plaignant ne doit pas être tenu de prouver que l’intimé avait l’intention d’exercer des représailles contre lui. L’essentiel de l’analyse porte plutôt sur la perception du plaignant et sur la question de savoir si le plaignant aurait pu ou non croire raisonnablement que la conduite de l’intimé constituait des représailles : […]
[124] L’autre interprétation est exposée dans la décision Virk [aux paragraphes 155 à 157] :
En vertu de l’article 14.1 de la Loi, constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.
L’exercice de représailles comporte une certaine forme d’acte volontaire visant à infliger un préjudice à la personne qui a déposé une plainte relative aux droits de la personne pour avoir déposé cette plainte. Ce point de vue déroge en partie à ceux qui ont été exprimés dans les décisions antérieures du Tribunal sur la question des représailles (Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] TCDP 11; Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004 CHRT 40 (CanLII).
Dans Wong et Bressette, les points de vue exprimés portent qu’un plaignant n’a pas à prouver une intention d’exercer des mesures de représailles et que, si un plaignant perçoit raisonnablement que la conduite reprochée à l’intimé constitue des représailles contre la plainte relative aux droits de la personne, il pourrait également s’agir de représailles, nonobstant l’absence de toute preuve de l’intention de l’intimé.
[163] Je souscris au raisonnement adopté dans la décision Virk, précitée, de même que dans d’autres décisions judiciaires et décisions des tribunaux exigeant un élément d’intention. L’« intention » englobe la pensée et l’acte volontaires et téméraires d’exercer des représailles contre un plaignant ou de le punir pour avoir déposé une plainte relative aux droits de la personne. Bien que la LCDP considère l’exercice de « représailles » comme étant un acte discriminatoire, il s’agit d’une disposition différente de l’interdiction visant la discrimination et le harcèlement du fait que les « représailles » ne doivent pas être liées à un motif de distinction illicite selon la LCDP. Comme on le verra plus loin dans les motifs, l’application de l’une ou l’autre des approches concernant l’intention, soit celle dans la décision Virk ou celle dans la décision Wong, donnerait le même résultat en l’espèce.
VII. Responsabilité
A. Responsabilité vis-à-vis la plainte contre M. Thambirajah
Allégation 1 : Incident de l’attouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005
[164] D’après mes conclusions de fait, je suis convaincu que M. Thambirajah savait ou, à tout le moins, aurait dû savoir que son attouchement à l’égard de Mme Cassidy sur sa chemise au niveau de sa poitrine et son commentaire sur la taille de sa poitrine étaient « importuns ». Sa position sur ce qui s’est passé, y compris le fait qu’il ait tout d’abord nié directement ce qui c’était produit à Mme Edmunds de Postes Canada au départ, puis qu’il ait changé de position à l’audience, met en doute sa crédibilité. À tout le moins, à un moment donné, il a admis avoir fait le commentaire, puis l’attouchement, sans toutefois y attribuer d’intention sexuelle. Il ne s’agissait pas d’une « agression sexuelle », selon l’intimé. Je n’ai, bien sûr, pas compétence pour trancher une allégation d’agression sexuelle au criminel ou au civil. C’est le « harcèlement sexuel » qui relève de ma compétence, comme le prévoit la LCDP.
[165] Le contact physique qu’a eu M. Thambirajah avec sa main s’est fait sur une partie sexuelle du corps de la femme, à savoir les seins de la plaignante ou sa poitrine. En outre, son commentaire proféré au même moment au sujet de la taille de ses seins était évidemment de nature sexuelle. Je suis également convaincu que l’attouchement, assorti du commentaire, déclenche la responsabilité au titre de la LCDP. Bien que l’incident se soit produit qu’une seule fois, le contact physique sur la poitrine est suffisamment grave pour entraîner une responsabilité. Ce n’était pas une simple plaisanterie. C’est ce qui ressort de la réaction de Mme Cassidy et de M. Pyziak et de ce que penserait objectivement une « personne raisonnable ». Bien que la LCDP et le Tribunal n’ont pas pour objectif d’aseptiser tous les comportements en milieu de travail au point de devenir un environnement stérile moins humain, il y a tout de même des limites. Et M. Thambirajah a clairement excédé les limites d’un comportement acceptable et ne déclenchant pas l’application de la LCDP. Il a clairement harcelé sexuellement la plaignante le 9 novembre 2005. Cela est d’autant plus inquiétant étant donné sa position en tant que délégué syndical du Syndicat. Comme M. Tomaszewski, lui-même un représentant syndical, l’a dit dans son témoignage, les délégués syndicaux sont tenus de respecter une norme plus élevée. Ils agissent comme [traduction] « tampon » entre le syndicat, l’employé et la direction. Ils sont élus par leurs collègues. Il s’agit d’un poste de confiance. L’on serait en droit de s’attendre à ce que les délégués syndicaux donnent l’exemple en ce qui concerne les droits de la personne, pas qu’ils soient des auteurs de harcèlement sexuel. Cette question sera abordée plus loin dans la section des présents motifs qui porte sur les mesures de réparation.
Allégation 2 : Incidents de la chute dans le bac à courrier et de celui où il a [traduction] « pris mes fesses (ou tapé mon derrière) »
[166] Ainsi qu’il est déclaré dans la section « Conclusions de fait », le témoignage et la preuve documentaire de la plaignante étaient contradictoires sur cette question. Ils n’étaient certes pas « clairs et convaincants ». À un moment donné, elle a semblé dire qu’il s’agissait de deux incidents distincts : l’un concernant la chute dans un bac à courrier et le commentaire de M. Thambirajah indiquant [traduction] « au moins, tu as un cul » (voir son exposé des précisions) et l’autre, concernant le véritable geste posé sur ses fesses tout en faisant le même commentaire. Elle s’est contredite quant à la date : décembre 2005 par opposition au 18 avril 2006. C’est peut-être parce qu’il s’agissait bien d’un seul événement. Quoi qu’il en soit, conformément à mes conclusions de fait, je ne reconnais pas que ces événements se sont déroulés comme elle les a décrits, et pour les motifs qui y sont énoncés. Par conséquent, il n’est pas conclu qu’il y a eu violation des dispositions de la LCDP.
Allégation 3 : Incidents du 10 au 19 avril liés à l’échange de jurons / un langage inapproprié
[167] Les conclusions de fait entourant ces incidents ne justifient pas une conclusion de responsabilité. Les jurons, les cris et le langage inapproprié n’étaient pas de nature sexuelle (ou liés au motif de distinction illicite qu’est le sexe) ou d’une assez grave nature pour engager la responsabilité en vertu de la LCDP. La plaignante et l’intimé à titre personnel ont tous deux échangé des insultes de nature péjorative de haut niveau. Ils ont été sanctionnés de façon appropriée par M. Tidman.
Allégation 4 : Égratignures sur la voiture à l’aide d’une clé à la réunion syndicale : 19 septembre 2006
[168] J’ai tiré une conclusion de fait selon laquelle on a bel et bien fait égratigner avec une clé la voiture de Mme Cassidy en y inscrivant des mots grossiers au cours de la réunion syndicale. Selon la prépondérance des probabilités, il m’a été impossible de conclure que M. Thambirajah (ou un complice obéissant à ses instructions) était responsable. En conséquence, je n’ai pas besoin de décider s’il est responsable en vertu de la LCDP de cet incident, y compris si un tel geste constitue même du « harcèlement sexuel » au sens de la LCDP.
Allégation 5 : Incident de la crevaison des pneus
[169] J’ai tiré une conclusion de fait selon laquelle les pneus de sa voiture ont été crevés le 1er novembre 2006. Encore une fois, je n’étais pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Thambirajah (ou son complice) était responsable, à la lumière de la preuve dont je suis saisi. Ainsi, les dispositions de la LCDP ne sont pas visées ici.
Allégation 6 : Incidents de la filature de la plaignante sur le trajet de livraison du courrier et du véhicule dans son entrée
[170] Je ne suis pas convaincu, d’après mes conclusions de fait antérieures, que M. Thambirajah, selon la prépondérance des probabilités, était responsable de ces incidents ou si d’ailleurs ils constituent même du harcèlement sexuel en vertu de la LCDP.
Allégation 7 : Rat dans la boîte aux lettres : 4 décembre 2006
[171] Cet événement ne s’est pas produit tel que la plaignante l’a décrit, selon moi. La crédibilité et la fiabilité de sa preuve sur ce point, ainsi qu’il a été décrit précédemment, soulèvent de sérieuses inquiétudes. En revanche, si le rat mort a été placé dans sa boîte aux lettres ainsi qu’elle l’a décrit, j’estime qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure que M. Thambirajah était responsable de cet incident, selon la prépondérance des probabilités. Je n’ai pas accepté comme une conclusion de fait qu’il avait fait un suivi des menaces par téléphone à la plaignante sur le rat mort. D’après mes conclusions de fait, je n’ai pas à décider s’il existe une base juridique permettant de conclure que l’intimé a violé les droits de la plaignante en vertu de la LCDP concernant cet incident.
Allégations 8 : Appels téléphoniques de menaces
[172] Mes conclusions de fait illustrent mon inquiétude selon laquelle la preuve n’était pas « claire et convaincante » à cet égard. J’avais d’importantes réserves quant à la crédibilité/fiabilité de ces éléments de preuve. J’ai énoncé ces préoccupations dans la section intitulée « Conclusions de fait ». J’ai conclu que la plaignante avait exagéré le nombre desdits appels. Même si certains d’entre eux ont été faits, selon la prépondérance des probabilités, je n’étais pas en mesure de conclure que M. Thambirajah (ou une personne agissant en son nom) les a faits. En conséquence, l’application des dispositions de la LCDP n’est pas déclenchée. Si j’avais fait un tel constat, il est plus probable qu’une conclusion de « représailles » aurait été plus appropriée que celle de « harcèlement sexuel ».
Allégation 9 : Falsification de la paie
[173] Auparavant dans les présents motifs, j’ai tiré une conclusion de fait selon laquelle, à la suite d’une enquête approfondie menée par Postes Canada, y compris une réunion avec la plaignante, la direction et son représentant syndical, il ressortait clairement que son salaire n’avait pas été trafiqué. En effet, elle a reçu un montant [traduction] « en trop » et son employeur ne lui a pas demandé qu’il lui soit remboursé. De plus, j’ai conclu que la preuve ne permettait pas de justifier une conclusion selon laquelle M. Thambirajah était responsable de la falsification de ses registres de paie. Ainsi, je n’ai pas besoin de passer à la prochaine étape, soit de décider s’il avait violé les droits de la plaignante en vertu de la LCDP.
Allégations 10 à 12 : Les trois incidents de représailles pendant la tenue de l’audience
[174] J’ai ordonné que soit modifiée la plainte contre l’intimé à titre personnel pour inclure trois cas de représailles qui auraient été commis au cours de l’audience. En ce qui concerne le premier cas – l’incident dans le « stationnement » – j’ai tiré une conclusion de fait selon laquelle M. Thambirajah a vraiment surgi devant le véhicule de la plaignante, a regardé sa plaque d’immatriculation, puis a regardé la plaignante, lui a souri ou fait une mimique, puis est parti. J’ai aussi constaté qu’il n’était pas garé dans le même stationnement qu’elle.
[175] Que j’applique ou non le critère d’« intention » aux faits en cause, l’issue serait la même : M. Thambirajah a exercé des « représailles » contre la plaignante pour le dépôt de sa plainte de harcèlement sexuel contre lui. Je suis convaincu que le comportement « volontaire » ou « téméraire » fait partie de « l’intention ». En appliquant le critère objectif de la « personne raisonnable », je conclus que M. Thambirajah était, à tout le moins, indifférent à l’égard de ses actions dans le stationnement. Il était au courant des sentiments agités qu’éprouvait la plaignante envers lui et du stress que celle-ci subissait, lesquels ont tous deux clairement été démontrés lors de l’audience. Il a donné des témoignages contradictoires au cours de l’audience sur l’incident qui s’est produit dans le stationnement. Il n’était pas crédible ou plus fiable; j’ignorais que croire de son témoignage. J’ai dû me rabattre sur le témoignage corroboré de la plaignante et Mme Marshall.
[176] À ce qui précède s’ajoute l’importance pour l’administration de la justice que les parties et les témoins se sentent en sécurité dans un procès ou une audience devant une cour ou un tribunal de justice. Les participants doivent s’attendre à ne pas être la cible de menaces ou d’intimidation, que ce soit implicitement ou autrement, pour les amener à renoncer à participer à un procès ou à une audience. Ainsi, un plaignant ne doit pas être victime de représailles ou de menaces pour avoir déposé une plainte en vertu de la LCDP. Je suis convaincu qu’une personne raisonnable, qui examine objectivement ces faits, conclurait que M. Thambirajah s’est comporté ainsi dans le stationnement pour se venger de Mme Cassidy ou la punir parce qu’elle a déposé une plainte contre lui en vertu de la LCDP, y compris les autres choses qu’elle a faites, comme le fait qu’elle a porté des accusations d’agression sexuelle. Même si tel n’était pas son « intention » en agissant ainsi, il savait que la plaignante pouvait les interpréter de cette façon et il ne s’en est pas soucié (ou arrêté aux conséquences probables de ses actions). Ses actions ont eu un impact néfaste sur elle ce soir-là et le lendemain à l’audience. Par conséquent, je conclus qu’il a porté atteinte aux droits de la plaignante en vertu de l’article 14.1 de la LCDP.
[177] En ce qui concerne les deux autres allégations de représailles, j’ai conclu, comme conclusion de fait, que ces événements ne se sont pas passés comme la plaignante le prétend. Par conséquent, je suis incapable de conclure que M. Thambirajah a exercé des représailles contre elle dans ces cas.
B. Responsabilité vis-à-vis la plainte contre Postes Canada
[178] La plainte déposée contre Postes Canada repose principalement sur le fait que cette dernière n’a pas réussi à fournir à la plaignante un environnement de travail sûr et exempt de harcèlement. Plus précisément, elle aurait été mise au courant de l’incident de l’attouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005 le même jour et n’a rien fait pour y remédier. Elle a ensuite continué de ne pas régler correctement par la suite le conflit qui s’intensifiait entre la plaignante et l’intimé à titre personnel. Bien que la Commission ait renvoyé la plainte au Tribunal au motif d’une violation alléguée des articles 7 et 14 de la LCDP, les parties, dans leurs déclarations (exposé des précisions), et la présentation des éléments de preuve et arguments (la plaignante n’a pas fait d’observations finales) à l’audience, ont porté sur l’article 14 seulement. Par conséquent, je considère que la violation alléguée de l’article 7 a été abandonnée.
[179] J’ai tiré de nombreuses conclusions de fait concernant ces questions. Je vais aborder la question de la responsabilité en analysant l’application de la loi en ce qui concerne l’article 65 de la LCDP – Responsabilité d’entreprise/d’autrui. Cet article prévoit que « la personne, l’organisme ou l’association » peut se soustraire à son application s’il peut être établit que l’acte ou l’omission, et que, par la suite, l’acte ou l’omission ne doivent pas être considérées comme un acte ou une omission commis par la « personne, l’organisme ou l’association » s’il peut être démontré :
1) « que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement »;
2) « qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher »;
3) que, « par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets ».
[180] J’ai tiré des conclusions de responsabilité contre M. Thambirajah pour l’incident de l’attouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005 et l’incident des représailles « du stationnement » qui s’est produit en février 2010; ce dernier incident ne fait pas partie de la plainte déposée contre Postes Canada. Une société intimée peut uniquement être tenue responsable en vertu de la LCDP pour avoir omis de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement dans les cas où une conclusion de harcèlement a été établie. L’article 4 de la LCDP stipule qu’un intimé peut faire l’objet d’une ordonnance corrective prévue à l’article 53 ou 54, s’il est reconnu coupable d’avoir commis un acte discriminatoire. En conséquence, mon analyse ici portera sur les trois critères ci-dessus de l’article 65 concernant ma conclusion contre M. Thambirajah pour l’incident de l’attouchement et du commentaire survenu le 9 novembre 2005.
Le premier critère : le harcèlement a eu lieu sans le consentement de Postes Canada
[181] Je suis convaincu que le harcèlement sexuel dont a été victime la plaignante de la part M. Thambirajah, incident survenu le 9 novembre 2005, a eu lieu sans le consentement de Postes Canada. D’abord, j’ai tiré une conclusion de fait selon laquelle Postes Canada n’en avait pas eu vent avant que Mme Cassidy remette sa plainte écrite du 25 avril 2006 à M. Tidman ce même jour. Postes Canada a signé des dispositions de lutte contre la discrimination et le harcèlement, y compris des procédures pour régler lesdites plaintes, dans ses conventions collectives successives avec le STTP. Elle a mis en place de vastes politiques/procédures à cet égard. J’ai entendu des témoignages au sujet de la formation qu’ont reçus les gestionnaires et les travailleurs à ce sujet. De plus, Postes Canada n’avait aucun moyen de prévenir les actes commis par M. Thambirajah. En fait, elle ne s’attendrait pas à un tel comportement de la part d’un délégué syndical.
[182] La réaction que M. Tidman et Mme Edmunds ont eue en apprenant l’incident du 25 novembre 2006 et les mesures qu’ils ont prises par la suite illustrent à quel point ils ont pris l’affaire au sérieux et révèlent que Postes Canada n’accepterait ou ne tolérerait jamais un tel comportement. Il ne fait aucun doute que ce genre de comportement est contraire aux politiques de lutte contre la discrimination et le harcèlement de Postes Canada et constitue un manquement aux responsabilités et aux obligations de M. Thambirajah en tant qu’employé.
Le deuxième critère : Postes Canada avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’acte ou l’omission
[183] Les commentaires que j’ai formulés ci-dessus démontrent aussi que Postes Canada avait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que se produisent de tels actes.
Le troisième critère : Postes Canada a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets
[184] Postes Canada a pris beaucoup de mesures concrètes en vue de respecter ce troisième critère, dont certaines sont allées au-delà des exigences de la LCDP. Cependant, il y avait beaucoup d’autres exemples flagrants où elle a omis de respecter le seuil de diligence raisonnable pour régler l’incident du 9 novembre 2005, pour lequel je dois conclure qu’elle est responsable.
[185] D’abord, je vais aborder les mesures concrètes. J’aimerais, d’entrée de jeu, féliciter M. Tidman et Mme Edmunds pour les mesures qu’ils ont prises. Ce sont les principaux gestionnaires de Postes Canada qui se sont occupés de cette question. Parmi les choses qu’ils ont faites pour [traduction] « atténuer les effets » de l’incident de harcèlement sexuel de novembre, précisons les suivantes :
1) M. Tidman a immédiatement tenté de communiquer avec Mme Edmunds, l’agente responsable des droits de la personne;
2) Ils ont tous deux fait preuve de compassion et de sensibilité face à Mme Cassidy. M. Tidman a tenté de savoir à maintes reprises où en était l’enquête. Mme Edmunds a souvent parlé avec elle, pour la réconforter. Elle éprouvait de l’empathie envers la plaignante, elle avait de la [traduction] « compassion » pour elle. J’accepte son témoignage selon lequel, [traduction] « Doris m’avait touchée droit au cœur » jusqu’à ce qu’elle demande ce qui s’était passé à la suite de la lecture de la plainte de mars 2007 que Mme Cassidy a déposée à la Commission;
3) Mme Edmunds a elle-même pris l’initiative de procéder au transfert de Mme Cassidy de Willowdale D à Oshawa en octobre 2006. Je dis cela malgré le fait que M. Thambirajah avait déjà été transféré à un autre endroit – Unionville – à ce moment-là;
4) Le rapport d’enquête et les conclusions de Mme Edmunds étaient justes et raisonnables, bien que j’aie certaines réserves précises ainsi qu’il est indiqué ci‑dessous.
[186] D’autres mesures ont été qualifiées de décentes, réfléchies et atténuantes, notamment celle d’accorder à Mme Cassidy deux semaines de « paye de vacances » et celle d’alerter le service de sécurité de veiller sur elle à Oshawa. Ces mesures sont davantage une réponse au [traduction] « harcèlement continuel » dont s’est plainte Mme Cassidy, que je n’ai pas jugé discriminatoire au titre de la LCDP en raison de mes conclusions de fait et/ou de la loi. Cependant, il pourrait être soutenu que ces mesures d’atténuation découlent de l’incident qui est à l’origine du conflit, soit l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre 2005, et visent à le régler.
[187] Qu’est-ce qui n’a pas été fait pour respecter les normes de la LCDP vis-à-vis l’incident du 9 novembre 2005? Pour répondre à cette question, je vais me concentrer sur ce qui suit : la [traduction] « la comédie des erreurs et les malentendus », pour reprendre les termes de Mme Edmunds. Il n’y a pas de doute qu’il y a eu un profond malentendu entre M. Tidman et Mme Edmunds entre le 25 avril et le 14 mai 2006. Il ne s’agissait pas d’un malentendu volontaire, mais il s’est néanmoins produit et aurait pu être évité. Quelle a été l’incidence de ce malentendu :
[traduction]
1) Le délai de dix jours pour imposer une mesure disciplinaire à M. Thambirajah n’a pas été respecté. Quelle en est la portée? D’abord, si le délai avait été respecté, la direction aurait pu appliquer la recommandation de Mme Edmunds formulée dans son rapport d’enquête du 1er septembre 2006, à savoir imposer une [traduction] « suspension pour inconduite grave » de cinq jours sans solde à M. Thambirajah. Cette mesure, assortie des autres recommandations disciplinaires, aurait dûment remédié au tort qui a été causé à Mme Cassidy le 9 novembre 2005 et aurait envoyé un message à M. Thambirajah et aux autres employés, soit que le harcèlement sexuel en milieu de travail est un comportement jugé vraiment inacceptable. Les employés‑plaignants, comme Mme Cassidy, étaient raisonnablement en droit de s’attendre à ce que lesdites modalités de la convention collective négociée entre Postes Canada et le STTP soient respectées. En outre, les autres mesures disciplinaires recommandées auraient pu être appliquées par Postes Canada, y compris celles qui ont eu lieu uniquement par voie de consentement de M. Thambirajah;
2) Postes Canada aurait pu commencer l’enquête trois semaines plus tôt et la terminer plus tôt, au lieu de transmettre le rapport et les recommandations aux parties en septembre 2006. Le syndicat s’était plaint, non sans raison, au sujet du délai en août 2006. Le paragraphe 56.05 (enquête) de la convention collective est rédigé ainsi :
a) Lorsque la Société reçoit une plainte signée, elle entame une enquête dans un délai raisonnable et, dans tous les cas, s’efforce de commencer l’enquête dans les trois (3) jours ouvrables suivant réception de la plainte.
b) La Société veille à ce que l’enquête soit effectuée dans un délai raisonnable.
3) Postes Canada aurait dû réagir plus tôt et demander à Mme Cassidy si elle souhaitait être mutée temporairement à l’extérieur de la succursale Willowdale D, conformément au paragraphe 56.07 de la convention collective. Après tout, lorsque Mme Cassidy a remis sa plainte écrite à M. Tidman le 25 avril 2006, il (et par conséquent Postes Canada) était au courant des récentes altercations verbales et injures en avril survenues entre la plaignante et l’intimé à titre personnel, qui ont abouti à la prise de mesures disciplinaires à l’égard de tous les deux.
Qu’est-ce qui aurait pu empêcher le malentendu
[188] Je reconnais que [traduction] « les examens a posteriori sont plus faciles ». Cependant, il y a un avantage à examiner la question, non seulement pour déceler ce qui a fait fausse route, mais pour éviter que cela se reproduise. Parmi les pouvoirs que confère l’alinéa 53(2)a) de la LCDP au Tribunal figurent les mesures destinées à prévenir les actes semblables dans les [traduction] « pratiques ultérieures ».
[189] Premièrement, je reconnais que le malentendu est survenu entre deux personnes intelligentes et expérimentées. Deuxièmement, le malentendu est attribuable à une erreur humaine et favorisé par la technologie ou l’absence de technologie. Enfin, d’autres circonstances ont contribué au malentendu, notamment l’absence de Mme Edmunds du bureau pendant cette période cruciale après le 25 avril 2006. Ce malentendu aurait pu être évité si M. Tidman avait expressément indiqué dans son courrier électronique et les appels téléphoniques effectués à Mme Edmunds qu’il communiquait maintenant avec elle concernant une allégation non divulguée auparavant de harcèlement sexuel : à savoir l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre 2005, non pas au sujet des incidents liés à l’échange de jurons et au langage inapproprié survenus entre le 10 et le 19 avril 2006. Et, bien sûr, Mme Edmunds, de son côté, aurait pu raisonnablement soupçonner, ou à tout le moins disposer d’un motif pour mener une enquête, si son courriel et ses messages vocaux avaient été différents, étant donné que deux semaines (12 ou 13 avril) s’étaient écoulées depuis qu’il l’avait appelée au sujet des incidents liés à l’échange de jurons et au langage inapproprié.
[190] L’absence d’un télécopieur ou d’un numériseur à Willowdale D et d’un « message automatisé d’absence » pour le compte de messagerie de Mme Edmunds a également contribué au malentendu. En outre, lorsque Mme Edmunds était absente, l’enveloppe comportant la plainte du 25 avril que M. Tidman avait envoyée est restée dans le bureau de Mme Edmunds pendant trois semaines sans que personne ne l’ouvre. Elle n’avait aucun adjoint ou remplaçant pour régler les questions urgentes en son absence, ou, si une personne avait été désignée, M. Tidman l’ignorait.
C. Participation du syndicat dans cette affaire
[191] Le STTP n’a pas été nommé comme partie intimée en l’espèce. Par conséquent, je n’ai pas fait de conclusions défavorables contre celui-ci, y compris la façon dont il a traité les allégations de harcèlement formulées par l’un de ses membres contre un autre de ses membres, qui est délégué syndical.
VIII. Mesures de réparation
[192] Après avoir conclu que les plaintes déposées contre M. Thambirajah et Postes Canada étaient fondées en partie, je passe maintenant à la question de la réparation en vertu de l’article 53 de la LCDP. La LCDP et d’autres lois antidiscriminatoires sur les droits de la personne visent à « rétablir un plaignant dans sa situation antérieure », à mettre cette personne dans une position dans laquelle elle aurait été si elle n’avait pas été victime de discrimination. La LCDP est une loi réparatrice. Elle vise à compenser, non pas à punir un intimé. Cela dit, les facteurs aggravants (par opposition aux facteurs punitifs) et atténuants sont pertinents le moment venu d’accorder une indemnité. La réparation doit être raisonnable et avoir un lien de causalité avec l’acte discriminatoire dont a constaté l’existence.
A. Réparation vis-à-vis la plainte déposée contre M. Thambirajah
Indemnité pour acte « délibéré et inconsidéré » et pour « préjudice moral » : harcèlement sexuel
[193] J’ai examiné la jurisprudence suivante du Tribunal en matière de harcèlement sexuel concernant l’indemnisation à accorder pour le préjudice moral dont la victime a souffert en raison de l’acte discriminatoire, jusqu’à concurrence de 20 000 $, et celle à accorder à titre d’« indemnité spéciale » pour les actes discriminatoires qui sont délibérés ou inconsidérés, jusqu’à concurrence de 20 000 $, conformément à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP, respectivement. En plus de la jurisprudence que les parties ont déposée, j’ai examiné les décisions suivantes : Woiden c. Lynn, 2002 CanLII 8171; Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 21; Des Rosiers et al. C. Barbe, 2003 TCDP 24; Goodwin c. Birkett, 2004 TCDP 29; Mowat c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 31; Hunt c. Transport One Ltd., 2008 TCDP 23 et Naistus c. Chief, 2009 TCDP 4.
[194] Je suis convaincu qu’il est approprié d’accorder à la victime en l’espèce une indemnité pour avoir subi un acte discriminatoire « délibéré » et « inconsidéré ». M. Thambirajah aurait dû savoir que le geste et le commentaire du 9 novembre 2005 étaient « non sollicités » par Mme Cassidy. Je crois qu’il savait que ce comportement était indigne d’un collègue et surtout, d’un délégué syndical. À tout le moins, son geste et son commentaire constituaient du harcèlement sexuel à l’endroit de Mme Cassidy, un acte « téméraire » commis, sans tenir compte des conséquences.
[195] Ainsi, j’accorde à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour le préjudice moral subi et une « indemnité spéciale » d’un montant de 2 500 $. J’ai déterminé le montant après avoir examiné les indemnités accordées dans les cas de harcèlement sexuel précisés ci-dessus. Ici, il s’agissait d’un seul événement et le contact physique a été de courte durée et de nature relativement moins sévère que dans d’autres cas.
Indemnité pour acte « délibéré et inconsidéré » et pour « préjudice moral » : représailles
[196] L’interdiction d’exercer des représailles en vertu de l’article 14.1 de la LCDP constitue un type distinct d’« acte discriminatoire ». Il nécessite l’examen d’un type distinct de dommages sous la forme d’une indemnisation. J’ai mentionné plus tôt l’importance que les plaignants puissent pouvoir déposer une plainte auprès de la Commission en vertu de la LCDP tout en préservant leurs droits en vertu de la LCDP d’être à l’abri de toute discrimination et tout harcèlement sans crainte de représailles. Cela est d’autant plus important pendant le déroulement de la procédure devant le Tribunal. Par conséquent, la violation de son droit à être protégée contre les représailles donne lieu à une indemnité pour le « préjudice moral » qu’a subi Mme Cassidy. J’estime aussi que M. Thambirajah a exercé des représailles contre elle (p. ex., l’incident du parc de stationnement) de manière « délibérée » ou à tout le moins « inconsidérée ». Vu les incidents qu’il a eus avec Mme Cassidy qui ont donné lieu à l’audience et qui sont survenus pendant l’audience, il n’aurait pas dû se trouver à proximité du véhicule de la plaignante et de celle-ci après l’audience, et encore moins regarder la plaque d’immatriculation, puis la regarder avec un sourire ou en faisant une mimique.
[197] À cet égard, j’accorde à la plaignante une indemnité de 2 000 $ pour préjudice moral et une « indemnité spéciale » d’un montant de 500 $. Le montant reflète l’impact relativement limité que l’exercice de représailles à titre d’acte discriminatoire a eu sur la plaignante.
Autres réparations sollicitées par la plaignante
[198] Dans son exposé des précisions, la plaignante a demandé que les réparations additionnelles suivantes soient imposées à l’intimé à titre personnel : qu’il soit renvoyé de Postes Canada, ou encore, qu’une mesure disciplinaire soit prise à son égard; qu’il [traduction] « soit radié de tous ses comités syndicaux » et perde son poste à titre de délégué syndical.
[199] Il n’est pas clair si j’ai compétence pour accorder ces réparations demandées, vu l’absence d’observations sur ce point par les parties. Ceci est distinct de la question de savoir si ces réparations auraient un lien de causalité approprié avec les actes discriminatoires relatifs au harcèlement sexuel et aux représailles que j’ai constatés. En outre, le STTP n’est pas partie à cette procédure et aurait sans doute été touché par lesdites réparations qui ont trait à la convention collective négociée entre le STTP et Postes Canada. Pour les motifs qui précèdent, je refuse d’ordonner lesdites réparations.
B. Réparation vis-à-vis la plainte contre Postes Canada
[200] L’avocat de Postes Canada soutient ce qui suit au paragraphe 88 de ses observations finales : [traduction] « Puisque Mme Cassidy n’a formulé aucune observation en ce qui concerne la réparation, la Société estime qu’il est maintenant trop tard pour qu’elle demande une réparation à l’égard du salaire ou une indemnité pour le préjudice moral subi ». Je ne suis pas d’accord. Même s’il est vrai que la plaignante n’a pas fait d’observations finales (pour les raisons énumérées en détail dans la présente décision), Postes Canada (et M. Thambirajah) ont été avisés des réparations demandées dès le début de la procédure, ainsi qu’il est indiqué dans son exposé des précisions. Il y a aussi une preuve abondante – de vive voix et documentaire – se rapportant aux réparations demandées, et sur laquelle M. Machelak a fait un contre-interrogatoire. En effet, l’avocat de Postes Canada aborde le bien-fondé de la réclamation de la plaignante pour perte de salaire aux paragraphes 89 et 90 de ses observations finales.
Indemnité pour acte « délibéré et inconsidéré » et pour « préjudice moral »
[201] J’ai souligné plus tôt dans la section Responsabilité mes conclusions tirées à l’encontre de Postes Canada. Elles étaient liées uniquement à l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre 2005. La réparation doit donc correspondre au comportement discriminatoire reconnu comme tel – le « lien de causalité ». J’ai aussi pris en compte les circonstances atténuantes, y compris les nombreuses mesures concrètes que Postes Canada a prises pour améliorer la situation de la plaignante, surtout suivant les directives de Mme Edmunds. En outre, j’ai tenu compte de l’absence d’intervention et des [traduction] « signaux contradictoires » envoyés par la plaignante, notamment concernant la postulation ou la mutation à l’extérieur de Willowdale D. De plus, je ne crois pas que Postes Canada ait violé les droits de la plaignante de manière délibérée ou inconsidérée; par conséquent une telle indemnité ne sera pas accordée. Je tiens à ajouter que le simple fait que l’employeur n’ait pas exercé « toutes les mesures nécessaires » ne signifie pas en soi qu’il était « irresponsable » ou « volontaire », donnant ainsi droit à une telle indemnisation en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP.
[202] En conséquence et à la lumière de ce qui précède, j’accorde une indemnité de 5 000 $ pour le « préjudice moral » que Postes Canada a fait subir à la plaignante. Le montant a été déterminé en tenant compte du choc émotif et de l’anxiété que le manque de diligence raisonnable de Postes Canada a causés à la plaignante.
Perte de salaire
[203] À la fin du contre-interrogatoire de Mme Cassidy, celle-ci réclamait une indemnité pour perte de salaire pour 17 jours, entre le 12 avril 2006 et le 30 novembre 2007. Aucune réclamation n’était faite pour des jours entre le 9 novembre 2005 et le 11 avril 2006. Lors de l’audience, la plaignante, à la fois directement et par l’entremise de sa représentante, Mme Marshall, a clairement mentionné que l’indemnité pour perte de salaire qu’elle demandait concernait Postes Canada et non M. Thambirajah.
[204] Comme c’est le cas en ce qui concerne les autres types de réparations, une ordonnance quant au paiement d’une indemnité pour la perte de salaire doit être liée à la violation des droits de la plaignante en vertu de la LCDP par Postes Canada. Même si je devais évaluer cette demande de réparation particulière du point de vue du paragraphe 65(1) – c.-à-d. Postes Canada « prise à la place de » M. Thambirajah – les jours visés par l’indemnité pour perte de salaire devraient encore avoir un lien de causalité avec les actes discriminatoires constatés à l’encontre de M. Thambirajah (c.-à-d. l’incident de l’attouchement et du commentaire du 9 novembre 2005 et l’incident de représailles). La première journée visée par l’indemnité réclamée – le 12 avril 2006 – correspond au jour où la plaignante et l’intimé à titre personnel se sont échangés des jurons et se sont parlés avec un langage inapproprié. J’ai conclu que Postes Canada n’était pas responsable de ce comportement de la plaignante et de l’intimé à titre personnel entre le 10 et le 19 avril 2006, et je n’ai pas non plus conclu que l’intimé à titre personnel était responsable de ces incidents. En conséquence, Postes Canada n’est pas tenue d’indemniser la plaignante parce qu’elle a utilisé un jour de vacances le 12 avril 2006.
[205] Les 16 autres jours visés par l’indemnité demandée, entre le 15 novembre 2006 et le 30 novembre 2007, correspondent tous à des jours après la dénonciation faite par Mme Cassidy le 25 avril 2006 de l’incident du 9 novembre 2005. Ils ont été pris, aux dires de la plaignante, à la suite du stress et du [traduction] « harcèlement continuel » de la part de M. Thambirajah. Ils ne sont pas liés aux éléments pour lesquels j’ai conclu à un manque de diligence raisonnable de la part de Postes Canada – par exemple, pour ne pas avoir respecté le délai de mesure disciplinaire de 10 jours, ne pas avoir été davantage proactive et avoir tenté plus tôt de séparer la plaignante et l’intimé à titre personnel, etc. Il n’existe pas non plus de liens de causalité entre ces jours et les actes discriminatoires que j’ai conclus que l’intimé à titre personnel avait commis ou ces jours ne sont pas « attribuables aux actes discriminatoires ». En conséquence, je refuse de rendre une ordonnance d’indemnisation contre Postes Canada pour ces pertes de salaire.
La plaignante et l’intimé à titre personnel ne travaillant plus jamais ensemble
[206] Afin d’éviter que Mme Cassidy soit de nouveau victime de harcèlement ou de représailles de la part de M. Thambirajah pendant qu’ils occupent tous deux un emploi auprès de Postes Canada, j’accueille la demande de la plaignante visant à obtenir une ordonnance afin que Postes Canada veille à ce que Mme Cassidy et M. Thambirajah ne soient plus jamais affectés dans la même succursale ou le même bureau de service. Je suis convaincu qu’une telle ordonnance entre dans le cadre du vaste pouvoir de redressement qui m’est conféré en vertu de la LCDP[1].
Son propre trajet désigné de livraison du courrier
[207] Dans son exposé des précisions, la plaignante a demandé d’obtenir une ordonnance enjoignant Postes Canada de lui affecter un trajet désigné de livraison du courrier. Voici ce qu’elle a écrit : [traduction] « Je pense que je l’ai mérité après ce que j’ai dû endurer pendant les quatre dernières années, et j’aimerais avoir la liberté de choisir. » Je refuse d’accorder cette réparation puisqu’il n’a pas été établi qu’il existe un lien de causalité entre la réparation demandée et les actes discriminatoires au sujet desquels j’ai tiré une conclusion défavorable à l’égard de Postes Canada (ou de l’intimé à titre personnel plus précisément).
C. Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées
[208] Des intérêts simples, calculés sur une base annuelle et à un taux équivalent à celui de la Banque du Canada (série mensuelle), doivent être octroyés sur toutes les indemnités ordonnées. La période d’intérêt devra s’appliquer à compter de la date du dépôt auprès de la Commission de la plainte de la plaignante en vertu de la LCDP jusqu’au paiement desdites indemnités accordées relativement aux conclusions de responsabilité en matière de « harcèlement ». En ce qui concerne l’indemnité pour les « représailles », la période d’intérêt devra s’appliquer à compter de la date de l’accueil de la requête visant à modifier la plainte afin d’inclure des allégations de représailles, jusqu’à la date de paiement de ladite indemnité accordée.
D. Maintien de la compétence
[209] Je demeure saisi de la présente affaire pour une période de trois mois à compter de la date de la présente décision et ordonnance, pour régler toute question liée à la mise en œuvre.
IX. Ordonnance
[210] Ayant conclu que les plaintes de Mme Doris Cassidy déposées contre M. Raj Thambirajah et la Société canadienne des postes étaient partiellement fondées, le Tribunal ordonne que :
Indemnité
1) M. Thambirajah verse à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour le préjudice moral découlant du harcèlement sexuel et une « indemnité spéciale » d’un montant de 2 500 $;
2) M. Thambirajah verse à la plaignante une indemnité de 2 000 $ pour le préjudice moral découlant des représailles et une « indemnité spéciale » d’un montant de 500 $;
3) Postes Canada verse à la plaignante une indemnité de 5 000 $ pour préjudice moral;
La plaignante et l’intimé à titre personnel ne travailleront plus jamais ensemble
4) Postes Canada veille à ce que Mme Cassidy et M. Thambirajah ne soient plus jamais affectés dans la même succursale ou le même bureau de service;
Intérêts payables par les intimés sur les indemnités accordées
5) Des intérêts simples, calculés sur une base annuelle et à un taux équivalent à celui de la Banque du Canada (série mensuelle), soient octroyés sur toutes les indemnités ordonnées. La période d’intérêt devra s’appliquer à compter de la date du dépôt auprès de la Commission de la plainte de la plaignante en vertu de la LCDP jusqu’au paiement desdites indemnités accordées relativement aux conclusions de responsabilité en matière de « harcèlement ». En ce qui concerne l’indemnité pour les « représailles », la période d’intérêt devra s’appliquer à compter de la date de l’accueil de la requête visant à modifier la plainte afin d’inclure des allégations de représailles, jusqu’à la date de paiement de ladite indemnité accordée;
Maintien de la compétence
6) Le Tribunal demeure saisi de la présente affaire pour une période de trois mois à compter de la date de la présente ordonnance, pour traiter de toute question liée à la mise en œuvre.
Signée par
Matthew D. Garfield
Membre du tribunal
Ottawa (Ontario)
Le 23 novembre 2012
Tribunal canadien des droits de la personne
Parties au dossier
Dossier du tribunal : T1415/4109 et T1416/4209
Intitulé de la cause : Doris Cassidy c. Société canadienne des postes et Raj Thambirajah
Date de la décision du tribunal : Le 23 novembre 2012
Date et lieu de l’audience : Du 1er au 3, le 5, et du 16 au 19 février 2010
Du 7 au 9 avril 2010
Du 26 au 28 et le 31 mai 2010
Le 20 juillet 2010
Le 14 mars 2011
Du 4 au 7 et le 11 octobre 2011
Le 19 janvier 2012
(Rejet de la requête visant à rouvrir l’audience)
Toronto (Ontario)
Comparutions :
Julie Marshall,
(jusqu’au 10 novembre 2010)
William Kelly
(du 10 novembre 2010 au 14 mars 2011; du 25 avril 2011 à ce jour)
Doris Cassidy (du 14 mars 2011 au 25 avril 2011), pour la plaignante
Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne
Zygmunt Machelak, pour la Société canadienne des postes, l'intimé
Mark Platt, pour Raj Thambirajah, l'intimé
[1]Voir la décision similaire rendue par la Commission d’enquête de l’Ontario (Droits de la personne) dans McKinnon c. Ontario (Ministère des Services correctionnels (no 3) (1998), 32 C.H.R.R. D/1, décision qui incluait une ordonnance afin qu’un superviseur intimé travaillant au même centre correctionnel que le plaignant soit réaffecté et que ledit superviseur et une autre personne ne travaillent plus jamais à l’avenir au même endroit que le plaignant. Ladite ordonnance n’a pas été modifiée par les tribunaux.