Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Stephen Closs

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Fulton Forwarders Incorporated et Stephen Fulton

les intimés

Décision

Membre : Susheel Gupta

Date : Le 30 novembre 2012

Référence : 2012 TCDP 30

 



I.                   La plainte

[1]               Le 8 juin 2011, en vertu du paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la Loi), la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a demandé au président du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire les plaintes déposées par Stephen Closs (le plaignant) contre Fulton Forwarders Inc. (FFI) et Stephen Fulton (M. Fulton). Le plaignant affirme que FFI a commis des actes discriminatoires, en contravention des alinéas 7a) et 7b) de la Loi, pour des motifs de distinction fondés sur la déficience et la situation de famille. Le plaignant affirme également que FFI ou M. Fulton ont commis un acte discriminatoire en contravention de l’alinéa 14(1)c) de la Loi, pour les mêmes motifs.

II.                La prevue du plaignant

[2]               Dans le contexte de l’instruction de ces plaintes, une audience s’est tenue le 2 février 2012 à Cambridge, en Ontario. Au début de l’audience, les parties ont présenté un exposé conjoint des faits au Tribunal. En plus des faits qui ont fait l’objet de l’entente, le plaignant a présenté sa version des faits qui ont donné lieu aux présentes plaintes.

[3]               Le plaignant était employé comme camionneur par FFI. Située à Cambridge, en Ontario, FFI est une entreprise de camionnage qui livre des marchandises en Ontario et également entre l’Ontario et le Québec. En 2008, le plaignant travaillait sous la supervision de Terence Fulton, président de FFI, en tant que chauffeur suppléant, remplaçant les chauffeurs malades ou en vacances. En février 2009, Stephen Fulton, chef des opérations de FFI, a engagé le plaignant comme chauffeur à temps partiel. Le plaignant affirme que quand il a commencé à travailler à temps partiel pour FFI, il effectuait principalement des quarts de jour. Il arrivait parfois qu’on lui demande d’effectuer des quarts de nuit en plus de ses quarts de jour. Le plaignant prétend qu’au fil du temps, ces demandes étaient devenues tellement fréquentes qu’il effectuait jusqu’à quatre quarts de nuit par semaine, en plus de sa journée de travail. Le plaignant a déclaré avoir [traduction] « travaillé dur » pour FFI pendant cette période, effectuant de 60 à 70 heures de travail par semaine et n’ayant que peu de temps pour dormir entre ses quarts de travail. Du 9 février 2009 jusqu’à son dernier quart de travail pour le compte de FFI le 14 mai 2010, le plaignant relevait directement de Stephen Fulton et lui rendait directement compte de son travail.

[4]               Le plaignant a informé FFI qu’il souffrait d’une [traduction] « maladie » affectant sa vision. Le plaignant a déclaré avoir dit aussi bien à Terrence qu’à Stephen Fulton, au début de sa relation d’emploi avec chacun d’eux, qu’il était atteint de la maladie de Jessner-Kanoff, forme de lupus. Le plaignant affirme que son lupus agit sur son système nerveux et lui cause de la fatigue. Le plaignant a ajouté qu’une partie des médicaments qu’il prend pour se soigner affecte sa vision. Il doit ainsi passer un examen de la vue tous les six mois. Il lui arrivait de devoir s’absenter du travail pour se rendre à des rendez‑vous médicaux ou à cause des effets secondaires des médicaments qui lui avaient été prescrits. Le plaignant a déclaré qu’au début, FFI s’adaptait à la situation et faisait preuve de compréhension à l’égard des congés qu’il devait prendre en raison de ses problèmes de santé. Le plaignant affirme que, du fait de son état, il a aussi demandé à emmener son ami, Tim Caskenette, dans ses parcours pour que ce dernier l’aide à rester éveillé. Le plaignant soutient que FFI était au courant du fait que Tim Caskenette l’accompagnait dans son camion pour cette raison. En fait, le plaignant a déclaré n’avoir aucune raison de se plaindre des mesures d’adaptation que FFI lui a accordées à cet égard.

[5]               Sous le titre [traduction] « L’état de santé de M. Closs », au paragraphe 12 de l’exposé conjoint des faits, il est précisé que le plaignant a informé M. Fulton qu’il ne pourrait plus conduire la nuit et que FFI a accédé à cette demande. Dans son témoignage, le plaignant a expliqué qu’il n’avait pas demandé à FFI de ne plus lui attribuer de quarts de nuit. Comme il avait l’impression que son horaire de travail jour/nuit l’épuisait, il a plutôt demandé l’autorisation de rentrer chez lui pour dormir entre ses quarts de travail ou une réduction de son nombre d’heures de travail. Le plaignant soutient être allé jusqu’à suggérer à M. Fulton d’engager un autre chauffeur afin de voir sa charge de travail réduite.

[6]               En avril 2009, le plaignant et sa femme ont appris qu’ils allaient avoir un enfant. Le 13 avril 2009, ou autour de cette date, la femme du plaignant s’est rendue à l’hôpital pour y passer une échographie. L’échographie a montré qu’il se présentait des complications, et la femme du plaignant a pris rendez-vous avec son médecin plus tard ce jour‑là pour discuter de la nature de ces complications. Le plaignant était au travail quand il a appris que la grossesse présentait des complications et qu’un rendez-vous avait été fixé. Il a téléphoné à M. Fulton pour l’aviser de la situation et lui faire part de son désir d’accompagner sa femme à son rendez‑vous. Le plaignant a déclaré que M. Fulton avait pris des dispositions pour accélérer le processus de chargement et de déchargement de son camion, ce qui lui avait permis de terminer ses livraisons tôt et de quitter le travail pour aller au rendez‑vous.

[7]               Lors du rendez-vous, le plaignant et sa femme ont appris que cette dernière avait perdu le bébé et qu’elle devrait se rendre à l’hôpital afin d’y recevoir un traitement. Comme le plaignant devait effectuer un autre quart de travail ce soir‑là, il a appelé M. Fulton pour discuter de la situation et demander à prendre congé pour la nuit afin d’accompagner sa femme à l’hôpital. Le plaignant affirme que cela lui a été refusé et qu’on l’a menacé de renvoi dans l’éventualité où il ne travaillerait pas. Le plaignant affirme que M. Fulton lui a dit quelque chose comme [traduction] « Tu as un travail à faire – fais-le. » Le plaignant a décidé de rester à l’hôpital jusqu’au moment où la fausse couche se produirait, et il a dit à M. Fulton qu’il le rappellerait à ce moment-là.

[8]               Autour de minuit, le 14 avril 2009, la femme du plaignant a fait une fausse couche. Peu de temps après, le plaignant affirme avoir rappelé M. Fulton pour discuter de la situation et avoir demandé quelques jours de congé pour faire le deuil de cette fausse couche avec sa femme. Le plaignant soutient que quand il a informé M. Fulton de la fausse couche, ce dernier lui a répondu quelque chose comme [traduction] «  Dans ton intérêt, la première chose que tu as à faire c’est de remonter dans ce camion et de prendre l’autoroute parce que ça va te faire penser à autre chose. » Le plaignant a compris que M. Fulton s’était adressé à lui en ces termes parce qu’il était lui‑même passé par une fausse couche et qu’il y avait fait face de cette manière, mais le plaignant n’avait pas l’impression que le travail était la meilleure solution pour lui. Le plaignant affirme que, par la suite, on lui a refusé tous les congés qu’il a demandés et qu’on l’a menacé de congédiement s’il ne travaillait pas. D’après le plaignant, M. Fulton lui a déclaré quelque chose comme [traduction] « Je vais devoir te renvoyer et embaucher un vrai camionneur parce que tu ne peux pas faire ton travail correctement. » Par conséquent, le plaignant est allé travailler.

[9]               En septembre 2009, le plaignant et sa femme ont de nouveau appris que cette dernière était enceinte, de jumeaux cette fois. Le 17 décembre 2009, ou autour de cette date, la femme du plaignant a été hospitalisée en raison de complications liées à sa seconde grossesse. Le plaignant travaillait quand il a appris que sa femme avait été hospitalisée. Le plaignant a téléphoné à M. Fulton pour le mettre au courant de la situation et lui faire part de son désir de se trouver auprès de sa femme. Le plaignant affirme qu’on lui a refusé la permission de quitter son poste pour se rendre à l’hôpital aux côtés de sa femme. Le plaignant a déclaré que M. Fulton lui avait tenu des propos comme [Traduction] « C’est une fausse couche, elle va s’en remettre, contente‑toi de faire ton travail. » Pendant le quart de travail du plaignant, le vendredi 18 décembre 2009 ou autour de cette date, la femme du plaignant a fait une seconde fausse couche. Le plaignant affirme que, par la suite, il a de nouveau demandé à prendre quelques jours de congé pour faire le deuil de cette grossesse avec sa femme. Le plaignant affirme que M. Fulton lui a de nouveau fait savoir qu’il serait congédié s’il ne venait pas travailler. Par conséquent, le plaignant a effectué son quart de travail suivant, le lundi 21 décembre 2009.

[10]           Le vendredi 9 avril 2010, ou autour de cette date, le plaignant s’est blessé à la jambe. Il a déclaré avoir glissé sur de la boue dans la cour de FFI, au moment de descendre de son camion. Le plaignant a affirmé avoir essayé de joindre M. Fulton les 10 et 11 avril afin de discuter de sa blessure et lui avoir laissé des messages. Le 11 avril 2010, M. Fulton a téléphoné au plaignant et ils ont parlé de la blessure à la jambe de ce dernier au téléphone. Au cours de cette conversation, le plaignant a dit à M. Fulton qu’il ne pouvait pas travailler parce qu’il avait du mal à marcher et qu’il devait consulter son médecin au sujet de sa blessure. Le plaignant a affirmé que lors de cette conversation, M. Fulton lui avait demandé de ne pas soumettre de formulaire à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) au sujet de sa blessure, et qu’il l’avait assuré que FFI l’indemniserait pour son temps de congé. Le plaignant a déclaré qu’à la suite de cette conversation, il avait obtenu un certificat de son médecin, qu’il a remis à M. Fulton, certificat selon lequel il devait prendre une semaine de congé pour permettre à sa blessure à la jambe de guérir.

[11]           Pendant sa semaine de congé, le plaignant a de nouveau consulté son médecin au sujet de sa blessure, et ce dernier lui a recommandé de prendre une autre semaine de congé pour permettre à sa blessure de guérir. Le médecin a rédigé un nouveau certificat, daté du 20 avril 2010, lequel précisait que le plaignant devait s’absenter du travail du 12 au 26 avril. Le plaignant a téléphoné à M. Fulton pour lui faire savoir qu’il devait s’absenter pendant une autre semaine et qu’il ne pourrait revenir au travail que le 26 avril 2010. Le plaignant a déclaré que M. Fulton avait alors exigé qu’il se rende à la cour de FFI le 23 avril 2010 pour nettoyer son camion afin de permettre à un autre chauffeur de le conduire en son absence.  

[12]           Le 23 avril 2010, ou autour de cette date, le plaignant s’est rendu à la cour de FFI pour y rencontrer M. Fulton et nettoyer son camion. Le plaignant a alors remis à M. Fulton le certificat médical daté du 20 avril 2010. Le plaignant a affirmé avoir demandé à M. Fulton pourquoi, considérant qu’il revenait au travail le 26, il devait nettoyer son camion. Le plaignant a déclaré que M. Fulton lui avait dit qu’un nouveau chauffeur avait été embauché pour le remplacer et qu’il n’y avait plus de travail pour lui. Un relevé d’emploi (RE) daté du 23 avril 2010, sur lequel figurait le code D « Maladie ou blessure », a été produit à l’intention du plaignant. Sur ce RE, sous « Date prévue de rappel », il est écrit « Date non connue ». Le plaignant a affirmé qu’à ce stade, le ton de la conversation était monté, et qu’au cours de l’échange, M. Fulton lui avait dit de [traduction] « profiter » des prestations d’assurance-emploi pour soigner sa [Traduction] « maladie ».

[13]           À ce moment, le plaignant a compris qu’il n’y avait plus d’emploi pour lui chez FFI; il se souvient toutefois du fait que M. Fulton lui a offert de le rappeler pour des remplacements, en cas de besoin. Pour cette raison, et comme il craignait que le fait de refuser du travail puisse mettre en péril sa demande de prestations d’assurance‑emploi, le plaignant a effectué un autre quart de travail pour FFI, le 14 mai 2010, en remplacement d’un chauffeur qui était malade. Par la suite, le plaignant a déclaré que, du fait qu’il avait déposé les présentes plaintes, on lui avait déconseillé de retourner travailler pour FFI, parce que cela pourrait mettre en péril ses actions en justice et plaintes à l’encontre de cette dernière.

[14]           M. Tim Caskenette a également témoigné pour le compte du plaignant lors de l’audition de la présente plainte. Comme il a été susmentionné, et comme M. Caskenette l’a confirmé, ce dernier accompagnait le plaignant pendant ses trajets en camion afin de l’aider à rester éveillé. En dehors du fait que M. Caskenette ne se rappelait pas avoir vu le certificat médical et le RE changer de main le 23 avril 2010, son témoignage a corroboré sa déclaration, qu’il a affirmé avoir préparée tout seul, en se fondant sur ses propres souvenirs des évènements en cause en l’espèce. Dans l’ensemble, le témoignage de M. Caskenette est venu appuyer la version que le plaignant a donnée des évènements ayant donné lieu à la présente plainte.

III.             Le Plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination?

[15]           Dans les procédures intentées devant le Tribunal, le plaignant doit établir une preuve prima facie de discrimination. Une preuve prima facie est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […] » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28 (O’Malley)). En l’espèce, le plaignant a allégué qu’il avait eu contravention aux alinéas 7a), 7b) et 14(1)c) de la Loi. 

A.                Les allégations du plaignant fondées sur l’alinéa 7a) de la Loi

[16]           En ce qui a trait à son congédiement, le plaignant affirme que sa blessure au genou et son traitement pour le lupus ont été des facteurs dans la décision de FFI de le congédier. Le plaignant a ajouté que, considérant les commentaires que M. Fulton a formulés à l’égard de sa femme, sa situation de famille a aussi été un facteur dans la décision de le congédier. Par conséquent, le plaignant soutient avoir été victime de discrimination au travail fondée sur sa déficience et sa situation de famille, en contravention de l’alinéa 7a) de la Loi.

[17]           L’alinéa 7a) de la Loi prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu. Dans les plaintes déposées en application de l’alinéa 7a), le plaignant doit établir un lien entre un motif de distinction illicite et la décision de l’employeur de refuser de l’employer ou de continuer de l’employer (voir Roopnarine c. Banque de Montréal, 2010 TCDP 5, au paragraphe 49). Cela étant dit, il n’est pas nécessaire que la discrimination constitue le seul fondement de la décision en cause. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont joué dans la décision (voir Holden c. Chemins de fer nationaux du Canada, [1990] A.C.F. n° 419 (C.A.F.) (Q.L.); et Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, au paragraphe 61).

[18]           En l’espèce, le plaignant a souffert d’une blessure au genou, déficience physique qui a imposé une limite fonctionnelle à sa capacité de conduire un camion. Dans les circonstances, je conclus que la blessure au genou du plaignant constituait une déficience physique au sens de la Loi (voir la définition de « déficience » à l’article 25 de la Loi; et Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, au paragraphe 15 (Desormeaux)). Après avoir reçu du plaignant un certificat médical précisant que ce dernier pouvait retourner au travail le 26 avril 2010, FFI a remis au plaignant un RE, daté du 23 avril 2010, dans lequel figurait le code D « Maladie ou blessure ». Ce RE constitue une indication du fait que le plaignant ne travaillait plus pour FFI en date du 23 avril 2010. En outre, FFI a engagé un autre chauffeur pour faire le travail du plaignant et a fait savoir à ce dernier que, bien qu’il soit en mesure de revenir travailler une fois que son genou serait guéri, on ne ferait appel à ses services que pour des remplacements (de chauffeurs malades ou en vacances). Cette situation est bien différente des 60 à 70 heures de travail par semaine que le plaignant a affirmé avoir faites sur une base régulière. Même s’il se peut que le plaignant n’ait pas été congédié, on ne lui a plus offert le même type d’emploi qu’il avait avant d’être blessé. Nous sommes en présence d’une situation similaire à celle qui prévalait dans Tanzos c. AZ Bus Tours Inc., 2007 TCDP 33, confirmée par 2009 CF 1134, dans laquelle le Tribunal a conclu que le refus d’un employeur de consentir au retour à temps plein d’une employée et le fait de ne lui offrir que du travail à temps partiel, à la suite d’une recommandation du médecin selon laquelle cette employée ne devrait plus travailler de soir, constituait une preuve prima facie de discrimination au sens de l’alinéa 7a) de la Loi. Compte tenu de la preuve du plaignant, je conclus que ce dernier a établi un lien entre sa blessure et la décision de FFI de lui délivrer un RE et de ne plus lui offrir le même type d’emploi que celui qu’il occupait avant d’être blessé.

[19]           Même si l’émission du RE résultait de la blessure à la jambe du plaignant, ce dernier a déclaré que d’autres motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans la décision de FFI. Le plaignant a déclaré que quand il lui avait remis le RE le 23 avril 2010, M. Fulton lui avait conseillé de [Traduction] « profiter » des prestations d’assurance‑emploi pour soigner sa [traduction] « maladie ». Le plaignant a déclaré avoir informé FFI, tant Terence que Stephen Fulton, et ce dès le départ, qu’il était atteint de la maladie de Jessner‑Kanoff, forme de lupus. D’après le plaignant, il arrivait que ce lupus limite sa capacité à conduire un camion. Pour faire face à ses limites, il a demandé à prendre congé occasionnellement et à être accompagné par M. Caskenette lors de ses déplacements. Compte tenu de ce témoignage, je suis convaincu que le lupus dont le plaignant souffre est aussi une déficience physique au sens de la Loi (voir la définition de « déficience » à l’article 25 de la Loi; et Desormeaux, au paragraphe 15). FFI a soutenu que le plaignant ne lui a jamais fourni de documents médicaux, pas plus qu’il n’en a fourni au Tribunal, établissant qu’il souffre de lupus, mais cette déclaration mise à part, FFI n’a pas réfuté la déclaration que le plaignant a faite devant le Tribunal selon laquelle il est atteint de lupus. FFI n’a pas non plus avancé de raisons pour expliquer pourquoi les affirmations du plaignant selon lesquelles il souffre de lupus ne sont pas crédibles. Par conséquent, compte tenu du témoignage du plaignant concernant les commentaires formulés par M. Fulton au moment où ce dernier lui a remis le RE, je conclus également qu’il y a des éléments de preuve d’un lien entre le lupus dont le plaignant souffre et la décision de FFI de ne plus continuer de l’employer.

[20]           Par conséquent, le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur le motif de distinction de la déficience, tant en ce qui a trait à sa blessure à la jambe qu’à son lupus, au sens de l’alinéa 7a) de la Loi.

[21]           En ce qui a trait aux commentaires que M. Fulton aurait faits au sujet de la femme du plaignant, la preuve présentée par ce dernier a montré que ces commentaires ont été formulés dans le contexte de ses demandes de congé consécutives à chaque fausse couche. Le plaignant n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que ces évènements et les commentaires qui en ont découlé ont été de quelque manière des facteurs dans la décision de FFI de lui remettre un RE en avril 2010. Par conséquent, je ne vois pas de lien entre les commentaires que M. Fulton aurait formulés au sujet de la femme du plaignant et les gestes posés par FFI en avril 2010.

B.                 Les allégations du plaignant fondées sur l’alinéa 7b) de la Loi

[22]           Le plaignant prétend également que FFI lui a refusé des mesures d’adaptation quand sa femme a fait ses deux fausses couches. Par conséquent, le plaignant affirme avoir été victime de discrimination fondée sur la situation de famille, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi.

[23]           L’alinéa 7b) de la Loi prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de défavoriser un employé en cours d’emploi. Le terme « défavoriser » renvoie au fait d’opérer une distinction ou de traiter quelqu’un différemment (voir Gendarmerie royale du Canada c. Tahmourpour, 2009 CF 1009, au paragraphe 44 (Tahmourpour); modifiée pour d’autres motifs dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 192 (Tahmourpour (CAF)); et Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, au paragraphe 254). Toutefois, toutes les distinctions ne sont pas discriminatoires; en anglais, la Loi met d’ailleurs l’accent sur le fait qu’on doit être en présence d’une « différence de traitement défavorable » (« to differentiate adversely »).  D’après la Cour fédérale,  « défavorable » est un adjectif dont le sens ordinaire est préjudiciable, dommageable ou mauvais (voir Tahmourpour, au paragraphe 44; voir aussi Tahmourpour (CAF), au paragraphe 12). Enfin, la « différence de traitement défavorable » doit être fondée sur un motif de distinction illicite. En l’espèce, le plaignant affirme que FFI l’a défavorisé du fait de sa situation de famille.

[24]           Pour établir la portée de la protection offerte contre la discrimination fondée sur la situation de famille, la Cour suprême du Canada s’est prononcée en faveur d’une interprétation axée sur le préjudice subi par l’individu, que ce dernier fasse clairement partie ou non d’une catégorie identifiable de personnes touchées de semblable manière (voir B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66, au paragraphe 46 (B.)). À cet égard, le libellé de l’objet de la Loi, à l’article 2, semble militer en faveur d’une définition de la discrimination axée sur le préjudice subi par l’individu :

[…] le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations […]

[Non souligné dans l’original.]

Le Tribunal a clairement déclaré que, dans un contexte d’emploi, l’article 2 de la Loi était une reconnaissance manifeste, dans le contexte de la « situation de famille », du droit et de l’obligation d’un individu de trouver un équilibre entre ses exigences professionnelles et ses besoins familiaux, assortie de l’obligation claire pour l’employeur de rendre possible l’atteinte de cet équilibre et d’accorder les mesures d’adaptation nécessaires (voir Brown c. Canada (Ministère du revenu), 1993 CanLII 683 (TCDP), à la page 20 (Brown)). En partant de ce principe, le Tribunal a reconnu que la portée de l’expression « situation de famille » pouvait également viser les tâches et les obligations d’un individu dans sa famille (voir Brown; Hoyt c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 33 (Hoyt); Johnstone c. Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20 (Johnstone); et Seeley, Denise c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada , 2010 TCDP 23 (Seeley)).

[25]           La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a laissé entendre que seule une [traduction] « interférence sérieuse » entre les exigences professionnelles et les besoins familiaux établira une preuve prima facie de discrimination fondée sur le statut de famille dans un contexte d’emploi (voir Health Sciences Assoc. of B.C. v. Campbell River and North Island Transition Society, 2004 BCCA 260). Toutefois, le Tribunal et la Cour fédérale ont rejeté cette approche au motif qu’elle fusionnait le critère préliminaire de discrimination à première vue et l’analyse, à la deuxième étape, relative à l’exigence professionnelle justifiée, et au motif qu’elle imposait une hiérarchie des motifs de discrimination, le motif de la situation de famille étant isolé et devant faire l’objet d’une norme différente et plus sévère d’établissement de la preuve prima facie (voir Hoyt; Johnstone; Seeley; et Johnstone c. Canada (Procureur général), 2007 CF 36).

[26]           FFI a prétendu que les exigences visant à établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille étaient les suivantes :

[…] la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d’être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l’emploi impartial, la plaignante n’a pas eu de chances de travail égales et entières.

[Johnstone, au paragraphe 55.]

Compte tenu de ces exigences, FFI soutient que le plaignant ne peut être qualifié de parent; qu’il n’existe aucune règle de l’employeur empêchant le plaignant d’accomplir son travail de façon égale et entière; et que la demande du plaignant visant à élargir la définition de la « situation de famille » de manière à ce qu’elle inclue les circonstances de l’espèce a pour effet d’élargir cette définition au‑delà des limites établies par la jurisprudence, ce qui ne donnerait pas lieu à une interprétation raisonnable.

[27]           Même si les exigences décrites dans la décision Johnstone sont instructives, elles ne peuvent pas être appliquées automatiquement à tous les cas, de manière rigide ou arbitraire. Il faut plutôt examiner les circonstances propres à chaque affaire pour vérifier si le plaignant a établi une preuve prima facie, conformément au critère défini dans l’arrêt O’Malley. J’ajouterais que la Loi ne définit pas l’expression « situation de famille » comme certaines législatures provinciales ont choisi de le faire dans leurs textes législatifs en matière de droits de la personne (voir par exemple la définition d’« état familial » au paragraphe 10(1) du Code des droits de la personne de l’Ontario et l’alinéa 44(1)f) du Alberta Human Rights Act). Par conséquent, le Parlement a investi le Tribunal de la responsabilité de définir l’expression « situation de famille ». L’intimé n’a pas non plus renvoyé à des décisions restreignant la définition juridique de la « situation de famille » au fait d’être parent ou d’être dans une relation parent-enfant. Comme il a été susmentionné, pour établir la portée de la protection contre la discrimination fondée sur la situation de famille, il faut examiner le préjudice subi par l’individu, que ce dernier fasse clairement partie ou non d’une catégorie identifiable de personnes touchées de semblable manière (voir l’arrêt B., au paragraphe 46).       

[28]           En l’espèce, le plaignant a témoigné au sujet de la peine qu’il a éprouvée de ne pas avoir été présent pour soutenir sa femme pendant et après ses fausses couches. Il a également parlé du chagrin qu’il avait ressenti du fait de la perte des bébés et des effets que ces pertes continuaient d’avoir sur lui. Pour ce qui est de la seconde grossesse en particulier, le plaignant a déclaré qu’il se sentait aujourd’hui encore blessé de ne pas avoir pu être aux côtés de sa femme pendant et après la fausse couche. Il a expliqué que ces expériences de fausses couches l’avaient rendu craintif à l’idée d’attendre un autre enfant et qu’il évitait de fréquenter les gens qui pouvaient attendre un enfant. Il affirme que le fait de ne pas avoir eu le temps de faire le deuil des grossesses l’avait déprimé, ce qui avait eu des répercussions sur sa vie de famille.  Le plaignant a déclaré qu’il cherchait maintenant à suivre une thérapie pour faire face à ces problèmes.      

[29]           Dans leurs observations finales, les intimés ont déclaré que les déclarations du plaignant témoignaient clairement du fait qu’il avait été profondément touché par les fausses couches de sa femme. J’en conviens, mais je crois que, compte tenu des circonstances, il convient mieux de parler des fausses couches comme ayant été subies tout à la fois par le plaignant et par sa femme, en tant que famille. La relation entre époux est couverte par le motif de la situation de famille (voir la signification de « situation de famille » dans la décision Schaap c. Forces armées canadiennes, 1988 CanLII 125 (TCDP), à la page 27, infirmée pour d’autres motifs [1989] 3 C.F. 172 (C.A.); et dans l’ouvrage des juges Walter Surma Tarnopolsky et William F. Pentney, Discrimination and the Law, vol. 2 (Toronto, Carswell, 2004) à la page 9-3).

[30]           Quand sa femme a souffert de certaines complications liées à ses grossesses et qu’elle a dû se rendre à l’hôpital, le plaignant a eu le sentiment d’avoir l’obligation familiale d’être aux côtés de sa femme pour lui offrir réconfort et soutien. Quand sa femme a fait ses fausses couches, le plaignant a également eu le sentiment d’avoir l’obligation familiale de prendre congé afin de faire son deuil avec sa femme. Le plaignant affirme qu’il a demandé à FFI des congés pour s’acquitter de ses obligations familiales, mais que cela lui a été refusé.

[31]           Le plaignant affirme qu’en lui refusant des congés, FFI a créé une distinction blessante entre les obligations familiales et professionnelles du plaignant. Comme il a été décrit ci‑dessus, en empêchant le plaignant de s’acquitter de ses obligations familiales, cette distinction a porté préjudice à ce dernier. Selon le plaignant, aucun effort n’a été fait pour lui permettre d’atteindre un équilibre entre ses obligations familiales et professionnelles. Au lieu de cela, d’après le témoignage du plaignant, FFI ne voulait que s’assurer que le plaignant fasse son travail, sans se soucier de ses obligations familiales. Pour cette raison, je suis convaincu que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, fondée sur la situation de famille, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi.  

C.                Les allégations du plaignant fondées sur l’alinéa 14(1)c) de la Loi

[32]           L’alinéa 14(1)c) de la Loi prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu en matière d’emploi. Le plaignant déclare que Stephen Fulton l’a harcelé pendant tout le temps où il a travaillé pour FFI, en contravention de l’alinéa 14(1)c) de la Loi. Plus particulièrement, le plaignant prétend que M. Fulton a eu constamment recours à un langage cru pour s’adresser à lui et lui donner des ordres; que l’intimé a refusé de donner suite aux requêtes raisonnables qu’il a formulées, sans même les examiner ou lui donner d’explication; et que l’intimé l’a fréquemment menacé de congédiement dans le cas où [traduction] « il déciderait d’exercer ses droits prévus par la loi » ou quand le plaignant a fait part de ses doutes au sujet de la conformité des pratiques de son employeur aux règles en matière d’heures de travail. Le plaignant a ajouté que l’intimé a systématiquement fait fi de la gravité des fausses couches ou des répercussions cumulatives qu’elles ont eues sur lui. À cet égard, en plus des commentaires que l’intimé a formulés au moment où les fausses couches se sont produites, le plaignant a déclaré que l’intimé a également formulé ce commentaire : [traduction] « peut-être que si tu te débarrassais de ta femme, tu pourrais travailler plus et tu n’aurais plus à penser à rentrer chez toi pour passer du temps avec elle. » Le plaignant a également affirmé qu’à l’occasion d’une discussion au sujet de son lupus, M. Fulton lui a suggéré de questionner son médecin au sujet de la prise de marijuana à des fins médicales.

[33]           Au sens de l’article 14 de la Loi, le harcèlement a été défini comme une conduite non sollicitée, dirigée contre une autre personne et fondée sur un motif de distinction illicite.  Par définition, un acte de harcèlement exige la présence d’un élément de persistance ou de répétition; toutefois, plus la conduite est grave et ses conséquences manifestes, moins la répétition sera exigée. La gravité de la conduite reprochée est évaluée selon la norme de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances (voir les décisions Janzen c. Platy enterprises ltd., [1989] 1 RCS 1252; et Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 CF 653).

[34]            En ce qui a trait aux allégations de recours à un langage cru et aux menaces relatives aux droits prévus par la loi et aux heures de travail, le plaignant n’a pas établi que ces éléments étaient liés à un motif de distinction illicite. J’ajouterais que les allégations du plaignant concernant ses obligations familiales ont fait l’objet de l’analyse relative à l’alinéa 7b) ci‑dessus ; et, en dehors des raisons qui ont poussé FFI à émettre un RE, le plaignant à déclaré qu’il n’avait aucune plainte à formuler à l’égard de la conduite de FFI relativement à son lupus.

[35]           Au sujet du commentaire formulé par M. Fulton au sujet de la prise de marijuana à des fins médicales, le plaignant a déclaré qu’il n’était pas certain de savoir si ce commentaire était une véritable suggestion ou une simple boutade. Quoi qu’il en soit, le témoignage du plaignant n’a pas établi que les commentaires relatifs à la marijuana avaient persisté au‑delà d’un incident isolé ou que la gravité du commentaire isolé était telle qu’il constituait en soi du harcèlement.

[36]           Je conclus également qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il y a eu harcèlement sur le fondement de l’allégation du plaignant selon laquelle M. Fulton a systématiquement fait fi de la gravité des fausses couches ou de leurs répercussions cumulatives. Le plaignant a évoqué les commentaires formulés par l’intimé au moment où les fausses couches ont eu lieu; toutefois, il n’y a que très peu d’éléments de preuve montrant qu’il y a eu un élément de persistance dans ces commentaires en dehors des moments où le plaignant a demandé à prendre congé. Dans son témoignage, le plaignant a déclaré que l’intimé avait formulé un commentaire additionnel selon lequel le plaignant devrait se débarrasser de sa femme, mais il n’a pas précisé quand et dans quel contexte ce commentaire avait été formulé, ou s’il avait continué de recevoir ce type de commentaire après cet incident isolé.

[37]           La persistance mise à part, je conclus que la gravité des commentaires ne suffit pas à établir qu’il y a eu harcèlement. Les commentaires présumés de M. Fulton ont trait au fait que le plaignant devait s’acquitter de ses obligations professionnelles. Même si une telle priorité témoigne d’une certaine insensibilité à l’égard de la situation du plaignant et de ses obligations familiales, le plaignant n’a pas laissé entendre que ces commentaires en tant que tels l’avaient sérieusement touché. Je comprends plutôt du témoignage du plaignant que c’est le refus de lui accorder des congés en tant que tel qui lui a causé préjudice lorsqu’il a dû faire face aux fausses couches. J’ajouterais que le plaignant a reconnu que les commentaires formulés par M. Fulton au sujet des fausses couches avaient été influencés par le fait qu’il avait dû lui aussi faire face à une fausse couche. Pour faire face à sa peine, M. Fulton avait choisi de travailler pour se changer les idées. Même si le plaignant a trouvé qu’une telle stratégie ne lui convenait pas, et qu’il se peut que M. Fulton ait fait preuve d’insensibilité en incitant le plaignant à adopter la même façon de faire, je conclus que cet élément met les commentaires de M. Fulton en perspective et appuient ma conclusion selon laquelle la gravité de ces commentaires ne suffit pas à établir qu’il y a eu harcèlement. 

[38]           Compte tenu des motifs susmentionnés, je conclus que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie pour l’application de l’alinéa 14(1)c) de la Loi.

IV.             La Preuve de l’intimé

[39]           Pour les raisons susmentionnées, j’ai conclu que le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, pour l’application des alinéas 7a) et 7b) de la Loi, fondée sur la déficience et la situation de famille. Une fois qu’un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, il incombe à l’intimé de démontrer que la discrimination prima facie n’a pas eu lieu comme il a été allégué, ou que la conduite en cause peut se justifier au regard de la Loi.

[40]           À l’audience, Stephen Fulton a témoigné pour le compte de FFI.

A.                La réponse aux allégations de discrimination prima facie fondées sur l’alinéa 7a) de la Loi

[41]           M. Fulton a déclaré que le plaignant avait été informé, avant de se blesser au genou, qu’un autre chauffeur partagerait sa charge de travail. D’après M. Fulton, la décision d’embaucher un autre chauffeur a été prise après que le plaignant a fait savoir qu’il ne pouvait plus conduire la nuit en toute sécurité. M. Fulton a affirmé que le plaignant avait également été informé, en avril 2010, du fait que FFI avait vu son volume de travail de jour diminuer considérablement et qu’il n’y avait plus suffisamment de travail pour le plaignant, compte tenu de son impossibilité à conduire la nuit.

[42]           D’après le témoignage de M. Fulton, le plaignant lui a téléphoné après s’être blessé au genou pour l’informer qu’il avait glissé dans la cour. M. Fulton affirme que le plaignant lui a d’abord dit qu’il lui faudrait six mois pour guérir de sa blessure. M. Fulton ajoute avoir offert au plaignant de présenter une demande à la CSPAAT; mais le plaignant lui a répondu de ne pas s’en faire et qu’il dirait qu’il s’était blessé chez lui. M. Fulton prétend qu’au cours de leur conversation téléphonique, ils ont également discuté de l’option consistant à demander des prestations d’assurance-emploi pour compenser le fait que le plaignant devait prendre congé.

[43]           La rencontre qui a eu lieu dans la cour le 23 avril 2010 s’est tenue à la demande du plaignant, lequel souhaitait récupérer les effets personnels qu’il avait laissés dans son camion, alors conduit par un autre chauffeur. M. Fulton affirme que quand le plaignant s’est présenté dans la cour le 23 avril 2010, il boitait et semblait beaucoup souffrir. Le plaignant avait fourni à M. Fulton un certificat daté du 20 avril 2010 dans lequel il était précisé que le plaignant serait incapable de travailler pendant la période allant du 12 au 26 avril 2010, mais M. Fulton a demandé un nouveau certificat, plus précis, en plus de ce premier certificat succinct. D’après M. Fulton, le plaignant a refusé de fournir un autre certificat en raison des coûts associés à une telle démarche.

[44]           Dans l’ensemble, M. Fulton a déclaré que les raisons pour lesquelles il a produit le RE étaient que le plaignant l’avait informé que sa [traduction] « maladie » ne lui permettrait plus de conduire la nuit et que le volume de travail de jour de FFI diminuait de beaucoup.  M. Fulton a déclaré avoir dit au plaignant : [traduction] « tu dois faire face à ta maladie », et avoir ajouté que FFI n’offrait pas de prestations d’invalidité de courte durée, mais que l’Assurance‑emploi pouvait lui fournir ce genre de prestations. Dans ses observations finales, au paragraphe 31, FFI a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Compte tenu du manque de travail, du fait que M. Closs n’a pas fourni de certificat médical concernant [un] retour au travail, de ses avis répétés au sujet d’une série de problèmes d’ordre médical et de l’absence de prestations d’assurance-invalidité, M. Fulton a informé M. Closs qu’il pourrait obtenir des prestations d’assurance‑emploi et que cela lui permettrait d’avoir du temps pour aller à ses rendez-vous médicaux et se soigner. 

[45]           FFI soutient ne pas avoir congédié le plaignant. Elle fait plutôt remarquer qu’un RE n’est pas un avis de congédiement et que, après que le RE a été émis, le plaignant s’est vu offrir plusieurs quarts de travail en mai 2010. Après le quart de travail qu’il a effectué le 14 mai 2010, le plaignant n’est plus revenu au travail.

[46]           Même s’il est possible que le plaignant n’ait pas été congédié au moment où le RE a été émis, FFI n’a pas contesté le fait qu’à partir de ce moment, elle n’a plus employé le plaignant de la même manière qu’avant. Même si le plaignant avait été embauché à titre de chauffeur à temps partiel, il lui arrivait de travailler jusqu’à 70 heures par semaine; après que le RE a été émis, on lui a seulement offert d’effectuer des remplacements, quand d’autres chauffeurs étaient malades ou s’absentaient du travail.

[47]           Il est curieux qu’en dépit du fait que FFI ait demandé un autre certificat médical au sujet de la blessure à la jambe du plaignant et des possibles répercussions de cette blessure sur la capacité du plaignant à conduire un camion, elle ait été encore disposée à ce que le plaignant travaille pour elle dans les cas où il lui faudrait un chauffeur de remplacement. Dans ces circonstances, sans que le plaignant ait fourni un autre certificat médical attestant que sa blessure à la jambe était guérie, FFI a demandé à ce dernier d’effectuer d’autres quarts de travail en mai 2010. Par conséquent, je n’accepte pas le fait que le refus du plaignant de fournir un autre certificat médical au sujet de sa blessure ait joué un rôle dans la décision de FFI d’émettre un RE. Je n’accepte pas non plus le fait que le RE ait été émis afin de permettre au plaignant de présenter une demande de prestations d’assurance‑emploi au motif que FFI n’offrait pas de prestations d’assurance-invalidité à court terme. Cela n’est pas crédible, considérant que le RE est daté du 23 avril 2010 et que le plaignant s’est absenté du travail à compter du 12 avril 2010; en outre, le RE est incompatible avec le fait que le plaignant a présenté à M. Fulton un certificat médical selon lequel il pouvait retourner travailler. 

[48]           Même si les circonstances ayant donné lieu à l’émission du RE étaient liées à la demande de congé du plaignant consécutive à sa blessure à la jambe, M. Fulton a lui‑même admis que la décision de FFI d’émettre le RE s’expliquait avant tout par la [traduction] « maladie » dont le plaignant souffrait ainsi que par l’incapacité de FFI d’offrir des mesures d’adaptation en réponse à la demande du plaignant de ne plus conduire la nuit. C’est ce que confirment les observations finales des intimés, dans lesquelles on peut lire : [traduction] « Compte tenu [...] de ses avis répétés au sujet d’une série de problèmes d’ordre médical [...] [l’]assurance‑emploi [...] lui permettrait d’avoir du temps pour aller à ses rendez-vous médicaux et se soigner ». Dans son témoignage, M. Fulton a également admis avoir nourri quelques craintes au sujet du fait que le plaignant abusait peut-être de ses congés, mais il a dit ne pas avoir fait part de ces craintes à celui‑ci. On peut conclure de ces déclarations que FFI ne croyait pas que la demande de congé présentée par le plaignant en avril 2010 était liée à sa blessure à la jambe, ou que FFI n’était tout simplement pas disposée à accepter d’autres demandes de congé de la part du plaignant. C’est ce que confirme le fait que FFI ait émis un RE en dépit du fait que le plaignant ait présenté un certificat médical selon lequel il était en mesure de retourner au travail. 

[49]           En dépit des raisons qui ont poussé M. Fulton à émettre le RE, FFI prétend que le plaignant n’a jamais fourni de documents, que ce soit à FFI ou au Tribunal, pour établir qu’il souffrait de lupus. Comme il a été susmentionné, en dehors de cette déclaration, FFI n’a pas réfuté la déclaration du plaignant selon laquelle il était atteint de lupus devant le Tribunal. J’ajouterais que, nonobstant l’absence de documents médicaux, FFI a accepté le fait que le plaignant n’était plus en mesure de travailler la nuit et que, compte tenu de cette restriction et de la diminution du volume de travail de jour, FFI ne pouvait pas offrir de mesures d’adaptation au plaignant. Même s’il est vrai que le plaignant a demandé à ne plus conduire la nuit du fait de son état de santé, ce que le plaignant nie, une fois que la demande de prise de mesure d’adaptation a été présentée, FFI avait le devoir d’obtenir toutes les informations pertinentes relatives à la déficience du plaignant et d’examiner sérieusement des manières de lui offrir ces mesures d’adaptation (voir les décisions Adga Group Consultants Inc. v. Lane, 91 OR (3d) 649 (C. sup. Ont.), au paragraphe 160; et Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, aux paragraphes 64 à 66 (Meiorin)). Vu que FFI n’a jamais demandé de documents médicaux attestant du fait que le plaignant était atteint de lupus, je ne peux pas accepter qu’elle a sérieusement examiné la possibilité de fournir à ce dernier des mesures d’adaptation en réponse à la demande qu’il aurait faite de ne plus travailler la nuit. L’intimée n’a pas non plus présenté suffisamment d’éléments de preuve établissant que la mise en place de mesures d’adaptation en réponse à la demande du plaignant de ne plus conduire la nuit aurait constitué une contrainte excessive pour FFI. En fait, FFI n’a jamais présenté de défense fondée sur l’alinéa 15(1)a) et le paragraphe 15(2) de la Loi pour essayer de justifier sa conduite. 

[50]           Compte tenu des éléments susmentionnés, je conclus que la décision de FFI d’émettre un RE constitue un acte discriminatoire. Au lieu d’examiner sérieusement la possibilité d’offrir des mesures d’adaptation au plaignant après que celui-ci s’est blessé à la jambe, FFI a remplacé le plaignant par un autre chauffeur, soit parce qu’elle ne le croyait pas, soit parce qu’elle n’était pas disposée à accepter sa demande de congé. Je prends acte du témoignage de M. Fulton, qui a affirmé que FFI était une petite entreprise et que l’industrie du camionnage présentait des défis uniques en ce concerne les mesures d’adaptation qu’il faut s’efforcer d’accorder aux employés; toutefois, ces éléments doivent être examinés en parallèle avec « […] les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive » (Meiorin, au paragraphe 62). Comme il a été susmentionné, les éléments de preuve qui ont été présentés en l’espèce n’appuient pas la décision de FFI d’émettre le RE et de ne plus continuer d’employer le plaignant en temps que chauffeur à temps partiel.    

[51]           Par conséquent, je conclus que FFI n’a pas fourni d’explication ou de justification satisfaisante à sa conduite discriminatoire prima facie, qui a consisté à refuser de continuer d’employer le plaignant du fait de sa déficience, tant en ce qui concerne sa blessure à la jambe que son lupus, en contravention de l’alinéa 7a) de la Loi.

B.                 La réponse aux allégations de discrimination prima facie fondeés sur l’alinéa 7b) de la Loi

[52]           M. Fulton a déclaré que quand le plaignant l’a avisé de l’hospitalisation de sa femme le 13 avril 2009, c’était la première fois qu’il entendait parler du fait que le plaignant attendait un enfant. Le plaignant était alors en route pour effectuer une livraison et des dispositions ont été prises pour lui permettre de retourner plus rapidement à son point d’attache. Après la fausse couche de la femme du plaignant, ce dernier et M. Fulton ont discuté du retour au travail du plaignant par téléphone. M. Fulton a affirmé que pour faire preuve de sensibilité à l’égard de la situation, il avait dit au plaignant qu’il fallait se tenir l’esprit occupé et que le temps guérissait les blessures, et il avait évoqué sa propre expérience d’une fausse couche. M. Fulton a nié n’avoir pas tenu compte de la situation ou des sentiments du plaignant. D’après M. Fulton, le plaignant n’a pas demandé à prendre congé après les fausses couches, mais il a plutôt décidé d’effectuer moins d’heures de travail, pour continuer à gagner un revenu, à des moments où sa femme se reposait et où d’autres membres de la famille étaient disponibles pour aider celle‑ci.

[53]           Les feuilles de route du plaignant pour la période allant du 4 au 17 avril 2009 ont été présentées au Tribunal au cours du témoignage de M. Fulton. Les feuilles de route, qui sont remplies par le chauffeur du camion, font état des informations relatives au trajet, y compris les dates de départ et d’arrivée, les lieux de chargement et de livraison de la marchandise et le nombre de kilomètres parcourus pour un jour donné. M. Fulton se souvenait que le 14 avril 2009, le plaignant était allé travailler tôt le matin parce qu’il était allé voir sa femme à l’hôpital le soir précédent. D’après M. Fulton, des dispositions avaient été prises pour que le plaignant effectue une livraison et retourne ensuite directement à la cour de FFI. Le plaignant a ensuite effectué un quart de travail le 15 avril 2009, lequel s’est achevé le jour suivant, le 16 avril 2009, à Bowmanville, en Ontario. D’après M. Fulton, le plaignant a commencé son quart de travail tard le 15 avril 2009, parce qu’il était resté avec sa femme jusqu’à ce que d’autres membres de la famille puissent tenir compagnie à celle‑ci. Le 16 avril 2009, au départ de Bowmanville, le plaignant est allé prendre un chargement à Etobicoke. D’après M. Fulton, comme la femme du plaignant ne se sentait pas bien, des dispositions ont été prises pour expédier le chargement du camion du plaignant à Etobicoke, pour permettre à ce dernier de revenir rapidement à la cour de FFI. M. Fulton a ajouté que le plaignant n’a pas travaillé le soir du 16 avril 2009. M. Fulton a cru que, le 17 avril 2009, le plaignant avait travaillé pendant que sa femme dormait.

[54]           D’après M. Fulton, à la suite de la première fausse couche, le plaignant ne s’est pas plaint de sa conduite ou du fait qu’il devait travailler. M. Fulton se souvient que le plaignant lui a dit éprouver des difficultés à faire face à la fausse couche, mais qu’il l’a consolé en lui disant que le temps guérissait les blessures et qu’il devait aller de l’avant.        

[55]           En ce qui a trait à la seconde fausse couche, M. Fulton a déclaré qu’il n’avait pas été possible de relever le plaignant les 17 et 18 décembre 2009. Le journal de bord du plaignant pour le 18 décembre 2009 ainsi que ses feuilles de route pour les 17 et 18 décembre 2009 ont été fournis au Tribunal. Le 17 décembre 2009, le plaignant a effectué une livraison à Belleville, en Ontario, et s’est ensuite rendu dans la nuit de Bellville à Scarborough, en Ontario, pour aller chercher un autre chargement dans la matinée du 18 décembre 2009. De Scarborough, il a livré le chargement à Toronto, et est ensuite retourné à la cour de FFI à Cambridge. D’après M. Fulton, pendant ce temps, un autre chauffeur a eu un accident. Quand le plaignant l’a informé de l’hospitalisation de sa femme et a demandé à se rendre auprès d’elle, il a également demandé à ce que le chauffeur qui avait eu un accident vienne le remplacer. Compte tenu de l’accident et du fait que l’autre chauffeur avait dépassé son nombre d’heures de travail pour la journée, M. Fulton ne pensait pas qu’il était prudent que l’autre chauffeur aille remplacer le plaignant. De plus, étant donné que le plaignant était de toute manière sur le chemin du retour avec un chargement, M. Fulton ne pensait pas que le plaignant serait de retour chez lui plus tôt, qu’on le relève ou qu’il termine ses livraisons. M. Fulton a ajouté que, de nouveau, des dispositions ont été prises pour accélérer le chargement du camion du plaignant à Toronto, afin de permettre à ce dernier de rentrer chez lui plus vite.

[56]           Étant donné que le 18 décembre 2009 était un vendredi, le plaignant n’a pas travaillé le week‑end des 19 et 20 décembre 2009. M. Fulton se rappelle être entré en contact avec le plaignant au cours de ce week-end pour lui demander comment il allait et s’il était prêt à retourner au travail. D’après M. Fulton, le plaignant était soucieux d’avoir de l’argent pour Noël. Par conséquent, M. Fulton lui a offert d’effectuer un quart de travail le 21 décembre 2009. M. Fulton affirme que le plaignant lui a dit que d’autres membres de la famille pouvaient tenir compagnie à sa femme et qu’il serait disposé à travailler le 21 décembre 2009. Le journal de bord et la feuille de route du plaignant pour le lundi 21 décembre 2009 montrent qu’il a travaillé de 5 h 30 à 19 h. Le plaignant n’a pas effectué de quart de soir cette nuit‑là.

[57]           M. Fulton ne se souvient pas avoir eu d’autres discussions avec le plaignant après le quart de travail du 21 décembre au sujet de son retour au travail ou de demandes de congé. Le plaignant est revenu travailler le 28 décembre 2009.

[58]           Dans l’ensemble, FFI soutient que le plaignant n’a pas été défavorisé du fait de sa situation de famille. FFI fait valoir qu’elle s’est efforcée de répondre aux urgences médicales relatives aux grossesses et aux fausses couches en accélérant le retour du plaignant à son point d’attache et en fournissant à celui‑ci le travail qu’il avait demandé. À cet égard, FFI affirme que les gestes qu’elle a posés étaient raisonnables compte tenu de la situation.

[59]           Encore une fois, sans se prévaloir de la défense prévue à l’alinéa 15(1)a) et au paragraphe 15(2) de la Loi, FFI prétend avoir accordé des mesures d’adaptation au plaignant dans les circonstances qui ont entouré les fausses couches. Avant les deux fausses couches, quand la femme du plaignant a eu des complications liées à ses grossesses et a dû se rendre à l’hôpital, FFI a pris des dispositions pour accélérer le retour du plaignant à la cour de manière à ce qu’il puisse partir tôt du travail pour être aux côtés de sa femme. Toutefois, le nœud de la plainte concerne le fait que le plaignant s’est vu refuser la permission de quitter le travail avant d’avoir terminé ses livraisons. Même si FFI a pris des dispositions, les éléments de preuve qui ont été présentés n’ont pas suffi à établir que du fait de ces dispositions, FFI s’était acquittée de son obligation d’offrir des mesures d’adaptation. Le paragraphe 15(2) est ainsi rédigé :

Les faits [...] sont des exigences professionnelles justifiées [...] s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne […] constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

En général, il y a contrainte excessive quand un employeur montre qu’il n’aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l’individu (voir l’arrêt Meiorin, aux paragraphes 38 et 64 à 65; et l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, au paragraphe 130). En l’espèce, l’intimée n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir que FFI avait envisagé de prendre d’autres mesures d’adaptation que le fait d’accélérer le retour du plaignant à la cour, ou bien que le fait d’autoriser le plaignant à quitter son poste avant la fin de son parcours aurait constitué pour elle une contrainte excessive. Même si M. Fulton a expliqué qu’il n’avait pas été possible de permettre au plaignant de quitter son poste avant la seconde fausse couche, encore une fois, l’intimée n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve montrant que FFI avait examiné la possibilité d’offrir une autre mesure d’adaptation que celle que le plaignant avait proposée (soit qu’un chauffeur précis vienne le relever) ou dans quelle mesure le fait que le plaignant ne termine pas ses livraisons aurait constitué une contrainte excessive pour FFI.

[60]           Le plaignant affirme aussi qu’on lui a refusé des congés après les fausses couches. Par ailleurs, FFI soutient que le plaignant n’a pas demandé à prendre congé, mais qu’il a plutôt exprimé le souhait que son horaire de travail soit modifié, de manière à continuer de gagner un revenu, à des moments où sa femme disposait du soutien d’autres personnes. Vu les témoignages contradictoires que les parties ont donnés, ce volet de la plainte exige du Tribunal qu’il procède à une évaluation de la crédibilité. Le journal de bord et les feuilles de route fournies par FFI ne sont pas très utiles à cet égard. Elles établissent que le plaignant a travaillé pendant les journées en cause, ce qui n’a fait l’objet d’aucune contestation, mais elles n’apportent aucun éclairage additionnel à l’affirmation de M. Fulton selon laquelle le plaignant n’a pas demandé à prendre congé après les fausses couches.   

[61]           Après avoir considéré l’ensemble de la preuve relative à ce volet de la plainte, je ne trouve pas que la version des faits que FFI a donnée soit crédible. Je conclus qu’il est plus probable que le plaignant ait demandé à prendre congé après les fausses couches. J’ai notamment pu relever certaines incohérences dans la version des faits de FFI. M. Fulton a admis qu’après la première fausse couche, il avait fait des recherches pour savoir si FFI avait l’obligation d’accorder des congés, payés ou non, en pareilles circonstances. Si le plaignant n’a pas demandé de congés, payés ou non, et souhaitait en fait continuer à travailler, pourquoi M. Fulton aurait‑il pris des renseignements au sujet des obligations de FFI à cet égard? En outre, en ce qui a trait à la seconde fausse couche, on a demandé à M. Fulton : [traduction] « Considérez‑vous qu’il ait été raisonnable de sa part [le plaignant] de vous demander des congés? » En réponse, M. Fulton a déclaré : [traduction] « Je lui ai donné des congés [...] Pendant la période des Fêtes, il a travaillé une journée ». Dans ses observations finales, au paragraphe 22, FFI a ajouté ce qui suit :

[traduction]

Le fait que M. Closs n’a pas travaillé entre le 22 décembre 2009 et le 29 décembre 2009 n’a pas été contesté. M. Fulton a confirmé que, pendant ce temps, son entreprise de camionnage continuait ses activités comme d’habitude, exception faite des jours fériés, selon les exigences de la charge de travail. M. Closs était d’avis que, pour une raison ou une autre, cette période d’inactivité n’avait pas compté comme un congé, sans toutefois expliquer sa position.

Alors qu’elle soutient que le plaignant n’a pas demandé de congés, FFI décrit ici la période comprise entre le 22 et le 29 décembre 2009 comme une période de congé accordée par FFI au plaignant. Pour finir, en réponse à la question [traduction] « Il [le plaignant] vous causait des problèmes, n’est‑ce pas? », M. Fulton a répondu : [traduction] « Pas quand il travaillait. »

[62]           Ce dernier commentaire corrobore l’allégation du plaignant selon laquelle, dans le contexte des fausses couches de sa femme et des congés qu’il a demandés après ces fausses couches, la principale préoccupation de FFI était de s’assurer qu’il continuait de travailler et terminait ses parcours. Le témoignage du plaignant a été clair et compatible avec cette affirmation. Si je me fie au comportement et aux réponses du plaignant, je n’ai aucune raison de mettre en doute la capacité de celui‑ci à se remémorer les évènements qui ont entouré les fausses couches ou la crédibilité de son affirmation selon laquelle il a bien demandé à prendre congé après les fausses couches.   

[63]           Ayant accepté qu’il est plus probable que le plaignant a demandé à prendre congé après les fausses couches, je considère que FFI avait le devoir d’étudier la possibilité d’accorder des mesures d’adaptation au plaignant en réponse à cette demande. M. Fulton a déclaré que, parmi les mesures d’adaptation disponibles, il aurait pu faire appel à des chauffeurs de remplacement pour effectuer les quarts de travail du plaignant. Toutefois, la possibilité de prendre une telle mesure ne semble pas avoir été étudiée. Cela ne signifie pas que FFI devait donner congé au plaignant ou qu’elle n’avait pas de raisons valables de lui refuser ce congé; toutefois, comme il a été susmentionné, ces éléments doivent être examinés en même temps que « [...] les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n’impose aucune contrainte excessive » (arrêt Meiorin, au paragraphe 62). Même s’il se peut que M. Fulton ait été d’avis que le plaignant devait travailler pour oublier le chagrin causé par les fausses couches, en se fondant sur son expérience personnelle d’une fausse couche, il ne s’agit pas d’une stratégie que le plaignant souhaitait adopter, ou qui aurait nécessairement pu être appliquée à ce dernier. À cet égard, « [l]e caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé.  En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise. » (Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, au paragraphe 22). En l’espèce, considérant que FFI réfute le fait que le plaignant ait demandé des congés, ce que je ne trouve pas crédible, il n’y a aucun élément de preuve donnant à penser que FFI a sérieusement examiné les besoins du plaignant quand celui‑ci a demandé à prendre congé après les fausses couches ou que FFI s’est sérieusement penchée sur la question de savoir si elle pouvait répondre à ces besoins. 

[64]           Par conséquent, je conclus que FFI n’a pas expliqué ou justifié de façon satisfaisante sa conduite discriminatoire prima facie fondée sur la situation de famille du plaignant, en contravention de l’alinéa 7b) de la Loi.          

V.                Conclusion

[65]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve et du raisonnement énoncé ci‑dessus, je conclus que les plaintes fondées sur les alinéas 7a) et 7b) de la Loi sont fondées.

VI.             Ordonnance

[66]           En application du paragraphe 53(2) de la Loi, à l’issue de l’instruction, le membre instructeur du Tribunal qui juge la plainte fondée peut ordonner à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire de prendre certaines mesures. À cet égard, le plaignant demande au Tribunal de rendre une ordonnance imposant les mesures de redressement suivantes : indemnité pour les pertes de salaire et intérêts sur ces pertes de salaire; indemnité pour préjudice moral; indemnité pour le fait que l’acte discriminatoire dont l’intimé s’est rendu coupable a été délibéré ou inconsidéré; et toute autre mesure de redressement que le Tribunal estimera juste.

[67]           Le fait de rendre une ordonnance en application du paragraphe 53(2) ne vise pas à punir la personne qui a été trouvée coupable d’un acte discriminatoire, mais à éliminer, autant que possible, les effets discriminatoires de cet acte (voir l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, au paragraphe 13). Pour y parvenir, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal en matière de redressement doit obéir à des principes, compte tenu du lien entre l’acte discriminatoire et la perte alléguée (voir l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au paragraphe 37). Autrement dit, le Tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de redressement raisonnablement, en fonction des circonstances particulières de la plainte et de la preuve présentée (Hughes c. Élections Canada, 2010 TCDP 4, au paragraphe 50).

A.                Les pertes de salaire

[68]           Le plaignant demande à être indemnisé pour les pertes de salaire qu’il a subies pendant la période allant du 9 avril 2010 au 15 décembre 2011. D’après le plaignant, son revenu annuel prévu pour les années 2010 et 2011 aurait été de 63 000 $, soit 1 220 $ par semaine. Par conséquent, sur une période de 83 semaines, il aurait gagné 101 260 $. Toutefois, cette perte de salaire a été compensée par une somme de 25 729 $, constituée de prestations d’assurance‑emploi et du revenu d’un autre emploi que le plaignant a reçus. Par conséquent, le plaignant affirme qu’on lui doit 75 531 $ au titre de ses pertes de salaire.

[69]           FFI conteste la demande d’indemnisation au titre des pertes de salaire. D’après FFI, le calcul ne s’applique pas parce que leurs chauffeurs sont payés au kilomètre. FFI ajoute que le témoignage du plaignant relatif à ses efforts pour compenser ses pertes de salaire est discutable. Le plaignant a d’abord affirmé être resté sans travailler jusqu’au moment où il n’a plus eu droit aux prestations d’assurance‑emploi. Le plaignant a alors trouvé un emploi et est resté employé depuis décembre 2010, ou autour de cette date. FFI prétend que, par conséquent, le plaignant semble capable d’obtenir et de conserver un emploi quand il le veut bien.

[70]           Le RE daté du 23 avril 2010 que FFI a émis à l’attention du plaignant montre que le 9 avril 2010 est le dernier jour pour lequel le plaignant a reçu un salaire. La preuve montre que le plaignant a effectué un autre quart de travail pour le compte de FFI le 14 mai 2010. Par la suite, le plaignant affirme avoir reçu des prestations d’assurance‑emploi jusque vers la fin du mois de novembre 2010. Le Tribunal a reçu le feuillet T4E du plaignant pour 2010, État des prestations d’assurance‑emploi et autres prestations. Ce document montre que le plaignant a reçu des prestations d’assurance‑emploi totalisant 12 755 $ en 2010.

[71]           Le plaignant a commencé à travailler pour Challenger Motor Freight Inc. (Challenger) en décembre 2010. Le Tribunal a reçu le feuillet T4 du plaignant, État de la rémunération payée, que Challenger a délivré à ce dernier pour l’année 2010, et qui montrait qu’il avait gagné 5 550,27 $. Le document ne fait pas état d’une date de début ou de fin d’emploi du plaignant chez Challenger. D’après le plaignant, comme Challenger ne lui donnait pas suffisamment de travail, seulement 5 à 6 heures par jour, deux à trois jours par semaine, il a quitté Challenger et a commencé à travailler pour Wag-mar Transport Inc. le jour même. Le Tribunal a reçu un RE émis par Wag-mar le 18 mai 2011. Ce document montre que le plaignant a commencé à travailler pour Wag-mar le 11 février 2011 et que le dernier jour pour lequel il a été payé a été le 15 mai 2011. On peut y lire que la raison d’émission du RE est le code M « Congédiement ». Le RE ne fait pas état du revenu du plaignant pendant la période où Wag-mar l’a employé, seulement de sa [traduction] « rémunération assurable totale ». Aucun élément de preuve n’a été présenté relativement à la situation d’emploi du plaignant après que Wag-mar l’a congédié. 

[72]           Étant donné que le plaignant s’est retrouvé sans emploi entre avril 2010 et décembre 2010, du fait de la décision prise par FFI d’émettre le RE, j’accepte qu’il a subi des pertes de salaire pendant cette période. Même si FFI met en doute les efforts fournis par le plaignant pour atténuer ses pertes de salaire pendant cette période, elle n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer son allégation. En outre, j’accepte le témoignage du plaignant selon lequel quand il a travaillé pour Challenger, ses heures de travail se sont trouvées significativement réduites par rapport à celles qu’il effectuait pour le compte de FFI. Même s’il a en partie atténué ses pertes de salaire en travaillant pour Challenger, le plaignant a continué de subir des pertes de salaire pendant cette période.

[73]           Toutefois, même s’il a obtenu un emploi chez Wag-mar, qui lui offrait plus d’heures de travail que Challenger, le plaignant affirme avoir continué de subir des pertes de salaire jusqu’en décembre 2011. Le plaignant n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour expliquer les raisons pour lesquelles il a continué de subir des pertes de salaire après avoir commencé à travailler pour Wag‑mar, ou par la suite. Plus précisément, je note que le calcul que le plaignant a fait de son [traduction] « revenu annuel prévu pour 2010 et 2011 » ne permet pas d’expliquer pourquoi son emploi chez Wag-mar a pris fin, et comme il a été susmentionné, quelle était la situation d’emploi du plaignant pendant la période comprise entre mai et décembre 2011. En outre, même si le plaignant a affirmé dans son témoignage que la poursuite judiciaire qu’il avait intentée contre FFI a fait en sorte qu’il lui a été difficile de trouver et de garder un emploi, il n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour étayer cette allégation.

[74]           Compte tenu de la preuve et du raisonnement énoncé ci‑dessus, et en application de l’alinéa 53(2)c) de la Loi, j’ordonne à FFI d’indemniser le plaignant de ses pertes de salaire pour la période comprise entre le lundi 12 avril 2010 et le 10 février 2011. Cela représente 43 semaines et 4 jours de salaire. 

[75]           Pour définir le montant à accorder au plaignant au titre de cette mesure de redressement, il faut calculer le montant du salaire du plaignant en usant de la même méthode que celle à laquelle les parties ont déjà eu recours, comme il est précisé au paragraphe 29 de l’exposé conjoint des faits, pour établir le montant du revenu hebdomadaire du plaignant :

[traduction]

Instance conduite sous le régime du CCT

29. Aucune décision n’a été rendue quant au bien‑fondé de la plainte et aucune conclusion n’a été rendue à l’égard de la question du congédiement injustifié. Aucune plainte en matière de droits de la personne n’a été présentée ni entendue.  Une entente de règlement sous réserve de tous droits a été conclue, en conséquence de laquelle FFI a versé à M. Closs deux semaines de salaire.

[Non souligné dans l’original.]

[76]           En vue d’éviter une double indemnisation, le salaire que le plaignant a touché pour le quart de travail qu’il a effectué le 14 mai 2010 sera déduit de l’indemnité. En outre, la somme de 12 755 $ sera également déduite de cette indemnité pour tenir compte des prestations d’assurance‑emploi que le plaignant a reçues pendant la période en cause. La somme de 5 550,27 $ sera également déduite de l’indemnité pour tenir compte du revenu que le plaignant a reçu de Challenger en 2010. Pour finir, le revenu que Challenger a versé au plaignant en 2011 sera également déduit de l’indemnité.

[77]           En application du paragraphe 53(4) de la Loi, le plaignant a également demandé à ce que des intérêts lui soient accordés sur toute indemnité qu’il pourrait toucher au titre de ses pertes de salaire. Par conséquent, et en application du paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal, j’accorde au plaignant des intérêts sur ses pertes de salaire, pour la période comprise entre le 23 avril 2010, date à laquelle le RE a été émis, et la date de versement de l’indemnité. Les intérêts seront calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle).

[78]           Je resterai saisi de la question de l’indemnité accordée au titre des pertes de salaire dans le cas où il s’avérerait nécessaire de donner d’autres précisions, et ce, jusqu’à ce que les parties confirment que les modalités de cet aspect de l’ordonnance ont été mises en œuvre.         

B.                 L’indemnité pour préjudice moral

[79]           Le plaignant demande la somme de 20 000 $ à titre d’indemnité pour le préjudice moral qu’il a subi du fait de l’acte discriminatoire en cause. D’après le plaignant, la façon dont FFI l’a traité lors des fausses couches de sa femme et les souffrances que cette conduite lui a causées justifie que lui soit accordée une indemnité pour préjudice moral. Le plaignant fait également valoir qu’il souffre de symptômes associés à la détresse psychologique et à l’anxiété, qui ont commencé à se manifester après que son emploi chez FFI a pris fin et qui ont progressivement empiré depuis son congédiement. Le plaignant affirme qu’on lui a prescrit des médicaments pour traiter ces symptômes.

[80]           D’après FFI, la somme que le plaignant demande est excessive considérant que la preuve montre que ce dernier souffrait de problèmes préexistants et que des facteurs externes influaient sur sa santé mentale.

[81]           En application de l’alinéa 53(2)e) de la Loi, 20 000 $ est la somme maximale que le Tribunal peut accorder à titre d’indemnité pour préjudice moral. Par conséquent, le Tribunal n’accorde cette somme maximale que dans les cas les plus graves : quand l’étendue et la durée du préjudice que le plaignant a subi du fait de l’acte discriminatoire justifient l’octroi du plein montant.

[82]           Le Tribunal a reçu les [traduction] « Antécédents médicaux du patient », document imprimé de Shoppers Drug Mart faisant état de l’historique des ordonnances du plaignant. Entre autres médicaments, le plaignant s’est vu prescrire de la trimipramine, qu’il a décrit comme un antidépresseur, et de la ratio-fluoxetine, qu’il a déclaré avoir pris pour soigner ses crises de panique. Ces deux ordonnances ont été traitées le 27 janvier 2009, avant que M. Fulton embauche le plaignant. Le plaignant a également déclaré avoir été victime d’anxiété et de crises de panique avant de travailler pour FFI, après avoir été témoin d’un accident de voiture dans un emploi précédent. Par conséquent, je n’accepte pas la déclaration du plaignant selon laquelle il n’a commencé à souffrir de détresse psychologique et d’anxiété qu’après avoir travaillé pour FFI. Le Tribunal n’a pas non plus reçu d’éléments de preuve étayant l’affirmation selon laquelle ces symptômes ont empiré après que le RE a été émis.

[83]           Cela étant dit, j’accepte le témoignage du plaignant selon lequel l’émission du RE a été source de troubles émotionnels, ce qui a donné lieu à un vif échange avec M. Fulton et au dépôt de la présente plainte.

[84]           En ce qui a trait aux fausses couches, comme il a été susmentionné et comme FFI l’a déclaré, le plaignant a clairement prouvé qu’il avait été profondément touché par les fausses couches de sa femme. Toutefois, en accordant la réparation prévue par l’alinéa 53(2)e) de la Loi, le Tribunal ne cherche pas à corriger le préjudice moral que le plaignant a subi du fait des fausses couches. Il s’efforce plutôt de corriger les effets des actes discriminatoires en cause. En refusant au plaignant les congés qu’il a demandés pour s’acquitter de ses obligations familiales, sans véritablement s’interroger sur ses besoins, FFI a aggravé le chagrin ressenti par le plaignant du fait des fausses couches. Le plaignant a affirmé que le fait de ne pas avoir été présent pour soutenir sa femme pendant ses fausses couches et de ne pas avoir eu de temps pour faire son deuil avaient eu sur lui des effets à long terme, parmi lesquels la dépression. Même s’il se peut que le plaignant ait souffert de dépression avant cela, de nouveau, j’accepte le fait que la situation en cause ait pu aggraver son état. En outre, le plaignant a déclaré qu’il cherchait à présent à suivre une thérapie pour faire face à ces problèmes, étant donné que ces souffrances affectent maintenant ses relations avec sa femme et avec d’autres personnes. Cela étant dit, et sans négliger les effets de la conduite de FFI, je crois que la preuve du plaignant montre que l’essentiel du préjudice moral qu’il a subi au moment des fausses couches résultait des fausses couches en tant que telles. 

[85]           Compte tenu de ce qui précède, et en application de l’alinéa 53(2)e) de la Loi, il me semble qu’il convient d’ordonner à FFI de verser au plaignant une indemnité de 5 000 $ au titre du préjudice moral que ce dernier a subi du fait des actes discriminatoires en cause.   

C.                L’indemnité au titre d’un acte discriminatoire commis de manière délibérée ou inconsidérée

Le plaignant demande la somme de 20 000 $ à titre d’indemnité pour le fait que FFI a commis les actes discriminatoires en cause de manière délibérée ou inconsidérée. D’après FFI, il n’y a aucun élément de preuve montrant que sa conduite a été délibérée ou inconsidérée et qu’elle donnerait lieu à des réparations à ce titre.

[86]           Pour que la conduite en cause soit considérée comme délibérée ou inconsidérée, il faut conclure qu’il y a eu « […] dans une certaine mesure, une intention ou un comportement si dénué de prudence, ou encore, un mépris des conséquences de ce comportement » (Canada (Procureur général) c. Collins, 2011 CF 1168, au paragraphe 33). En application du paragraphe 53(3) de la Loi, 20 000 $ est l’indemnité maximale que le Tribunal peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré. Par conséquent, l’octroi de l’indemnité maximale devrait être réservé aux cas les plus graves.

[87]           Même si je ne crois pas que la preuve montre que FFI ait intentionnellement cherché à faire preuve de discrimination à l’égard du plaignant, je crois que FFI a fait preuve de manque de considération pour les conséquences de sa conduite. Lors des fausses couches, le plaignant a informé FFI de ses besoins et a demandé à ce que des mesures d’adaptation soient prises, mais FFI a choisi de se concentrer sur ses propres besoins, sans dûment prendre en considération les obligations familiales du plaignant. Pour ce qui est de la situation qui a donné lieu à l’émission du RE, de nouveau, le plaignant a fait part de ses besoins à FFI et a demandé à ce que des mesures d’adaptation soient prises. Les raisons que FFI avait d’ignorer cette demande faisaient fi des besoins du plaignant, et en remplaçant ce dernier par un autre chauffeur, FFI a montré qu’elle n’avait aucune considération pour le processus relatif à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[88]           Compte tenu de ce qui précède, et en application du paragraphe 53(4) de la Loi, il me semble qu’il convient d’ordonner à FFI de verser au plaignant une indemnité de 5 000 $ pour avoir commis les actes discriminatoires en cause de manière inconsidérée.

 

 

 

 

 

Signée par

Susheel Gupta

Président du tribunal par intérim

OTTAWA (Ontario)

Le 30 novembre 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1693/4811 et T1694/4911

Intitulé de la cause : Stephen Closs v. Fulton Forwarders Incorporated et Stephen Fulton

Date de la décision du tribunal : Le 30 novembre 2012

Lieu de l’audience : Cambridge (Ontario)

 

Comparutions :

Mr. Craig Lewis, pour le plaignant

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Carol VandenHoek, pour les intimés

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