Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

et

Assemblée des Premières Nations

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

(Représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

l’intimé

- et -

Chefs de l’Ontario

- et -

Amnistie Internationale

les parties intéressées

Décision sur requête

Membres : Sophie Marchildon, Réjean Bélanger et Edward P. Lustig

Date : Le 3 juillet 2013

Référence : 2013 TCDP 16

 

 

 

 

Table des matières

Page

 

I............. Le contexte. 1

II........... Les faits pertinents. 1

III......... La requête en ajournement de l’intimé et la requête en ordonnance de production de la plaignante  4

IV......... Les observations des parties. 10

A.           La position de l’intimé. 10

B.           La position de la Société de soutien. 11

C.           La position de la Commission. 13

V........... Les événements depuis l’audition de la requête. 14

VI......... La décision-lettre. 16

VII....... Analyse et décision. 18

 


I.                   Le contexte

[1]               Les plaignants, l’Assemblée des Premières Nations (l’APN) et la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations (la Société de soutien) ont déposé une plainte en matière de droits de la personne, alléguant que le financement inéquitable des services de bien-être à l’enfance fournis dans les réserves des Premières Nations équivaut à de la discrimination fondée sur la race et l’origine nationale ou ethnique, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi). La plainte a été renvoyée au Tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 14 octobre 2008.

[2]               Le 21 décembre 2009, l’intimé a déposé une requête visant à faire rejeter la plainte au motif que les questions soulevées excédaient la compétence du Tribunal (la requête relative à la compétence). Dans une décision publiée sous la référence 2011 TCDP 4, le Tribunal s’est prononcé sur la requête relative à la compétence le 14 mars 2011 et il y a fait droit, rejetant ainsi la plainte. Cette décision a par la suite fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Le 18 avril 2012, celle-ci a annulé la décision du Tribunal et a renvoyé l’affaire à une formation collégiale pour un réexamen de l’affaire, conformément à ses motifs (2012 CF 445). Le 10 juillet 2012, une formation constituée de Mme Marchildon et MM. Lustig et Bélanger, a été désignée pour entendre la présente affaire (2012 TCDP 16).

II.                Les faits pertinents

[3]               Le 26 septembre 2012, le Tribunal a tenu une conférence de gestion d’instance en personne (CGI) afin de vérifier les disponibilités des parties pour prévoir des dates pour l’audience sur le fond. L’intimé a demandé un ajournement de la procédure, en attendant la décision de la Cour d’appel fédérale dans le dossier 2012 CF 445, dont l’audience devait avoir lieu devant la Cour d’appel fédérale en mars 2013. La formation a rendu sa décision, rejetant la requête en ajournement. Sur consentement des parties, le Tribunal a établi les dates d’audience pour la semaine du 25 février au 1er mars 2013, comme le demandaient les plaignants, et a établi les autres dates d’audience à partir d’avril 2013, comme le demandait l’intimé. Le Tribunal a aussi établi, sur consentement, un calendrier de production continue des documents à divulguer, y compris des listes révisées des témoins. L’intimé devait déposer ses divulgations en trois temps : le 31 octobre 2012, le 28 décembre 2012 et le 25 février 2013.

[4]               L’intimé a déposé sa première divulgation et sa deuxième Liste complémentaire des documents le 29 octobre 2012 et a déposé sa troisième Liste complémentaire des documents le 20 décembre 2013.

[5]               Le 22 janvier 2013, le Tribunal a tenu une conférence téléphonique de gestion d’instance (CTGI). Pendant l’appel, la Commission a déclaré qu’elle déposerait sa divulgation supplémentaire le plus rapidement possible, probablement avant le 1er février 2013. L’intimé a confirmé que, pour sa part, il serait en mesure de respecter l’échéance du 25 février 2013, comme il l’avait été prévu pendant la conférence de gestion d’instance (CGI) du 26 septembre 2012, pour sa troisième et dernière divulgation.

[6]               La Commission et l’intimé ont déposé leur quatrième Liste complémentaire des documents le 4 février 2013 et le 21 février 2013, respectivement.

[7]               L’audience a commencé le 25 février 2013. Le Tribunal a entendu le témoignage de Mme Cindy Blackstock, directrice administrative de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, du 25 février au 1er mars 2013. Ce témoignage a été suivi de cinq jours supplémentaires d’audience, les 2, 3, 4, 8 et 9 avril 2013, au cours desquels le Tribunal a entendu le témoignage de M. Jonathan Simpson, directeur du Secrétariat à la santé et au développement social de l’APN, de M. Nicolas Trocmé, directeur du Centre de recherche sur l’enfance et la famille de l’Université McGill, et de M. Derald Dubois, directeur administratif de Touchwood Child and Family Services en Saskatchewan.

[8]               Le 6 mars 2013, la Cour d’appel fédérale a entendu l’appel de la décision de la Cour fédérale dans le dossier 2012 CF 445, qui renvoyait l’affaire en l’espèce au Tribunal pour nouvelle instruction. La Cour d’appel fédérale a rendu sa décision 2013 CAF 75 quelques jours plus tard, le 11 mars 2013, confirmant la décision de la Cour fédérale.

[9]               Le 24 avril 2013, le Tribunal a reçu une lettre de M. Champ, avocat pour la Société de soutien, divulguant l’existence d’un CD-ROM contenant des renseignements que sa cliente, Mme Blackstock, avait reçus le 9 avril 2013 à la suite d’une demande de [traduction] « renseignements sur l’approche ou le modèle de financement amélioré pour les services à l’enfance des Premières Nations, datés ou possiblement datés du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2012 », présentée conformément à la Loi sur l’accès à l’information (la LAI). La Société de soutien fait valoir que l’ensemble des documents reçus en réponse à cette demande, qui totalisait environ 4000 pages, contenait des documents hautement pertinents quant à la plainte qui aurait dû être divulgués par l’intimé. La Société de soutien prétend aussi qu’une partie de ces documents révèle l’existence de documents supplémentaires qui n’ont pas été divulgués par l’intimé et de documents qui ont été retenus en application d’un certain nombre d’exemptions prévues par la LAI, qui ne s’appliquent pas au devoir de divulgation dans des procédures judiciaires comme celles en l’espèce.

[10]           Le 7 mai 2013, l’intimé a répondu à la communication de la Société de soutien du 24 avril 2013, déclarant que, comme il l’avait exprimé à toutes les CTGI depuis la reprise de l’affaire en 2012, il possédait un grand nombre de documents qui n’avaient pas encore été divulgués et que cette divulgation était continue. L’intimé a aussi précisé qu’il avait tout juste été avisé par son client que plus de 50 000 documents supplémentaires, qui n’avaient pas encore été divulgués, avaient été ciblés comme étant possiblement d’intérêt, documents que le client recueillait présentement. De plus, l’intimé a déclaré qu’il avait été avisé qu’un nombre indéterminé de courriels était aussi visé par la divulgation et que la date prévue pour la fin de la cueillette, de l’organisation et du dépôt de ces documents était entre septembre et décembre 2013. L’intimé a allégué qu’une partie de ces documents provenait des régions ainsi que de l’administration centrale. L’intimé a déclaré qu’il croyait avoir maintenant divulgué la majorité des documents jusqu’à 2010.

[11]           Le 9 mai 2013, la Société de soutien a répondu à cette lettre, déclarant que, bien qu’elle reconnaissait qu’une divulgation continue était prévue, elle n’avait jamais envisagé ou compris qu’il restait à l’intimé un aussi grand nombre de documents pertinents à divulguer. La Société de soutien avait plutôt compris que les obligations de divulgation de l’intimé avaient, en grande partie, été satisfaites en date du 25 février 2013. La Société de soutien a aussi déclaré qu’elle était d’avis que le délai que l’intimé prévoyait entre septembre et décembre 2013 était inacceptable, parce que cela entraînerait la divulgation d’un grand nombre de documents pertinents après que tous les témoins aient témoigné. La Société de soutien a avisé l’intimé de son intention de soulever la question auprès du Tribunal le 13 mai 2013 et de demander une ordonnance obligeant l’intimé à produire toute sa divulgation au plus tard le 14 juin 2013.

[12]           Le 13 mai 2013, le Tribunal a repris l’audience pour la troisième semaine. Compte tenu des derniers échanges au sujet des questions de divulgation, le Tribunal a demandé aux parties si elles voulaient profiter de plus de temps pour discuter de ces questions entre elles et tenter d’arriver à une entente. Les parties ont accepté et le Tribunal a ajourné l’audience pour la journée. Le lendemain, dans une lettre datée du 14 mai 2013, la Société de soutien a avisé le Tribunal que, malgré leurs discussions, les parties n’étaient pas parvenues à une entente.

 

III.             La requête en ajournement de l’intimé et la requête en ordonnance de production de la plaignante

[13]           Le 15 mai 2013, l’intimé a déposé une requête demandant une ordonnance fondée sur le paragraphe 1(6) et les alinéas 3(2)d), 5(3)d) et 5(3)f) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles du Tribunal), pour faire ajourner les dates d’audience prévues en l’espèce jusqu’à ce que l’intimé puisse satisfaire à ses obligations de divulgation. Ces articles se lisent comme suit :

1(6) Le membre instructeur conserve le pouvoir de se prononcer sur toute question de procédure non prévue par les présentes règles.

1(6) The Panel retains the jurisdiction to decide any matter of procedure not provided for by these Rules.

3(2) Dès réception de l’avis de requête, le membre instructeur

d) doit disposer de la requête de la façon qu’il estime indiquée.

3(2) Upon receipt of a Notice of Motion, the Panel

(d) shall dispose of the motion as it sees fit.

5(3) À la conférence préparatoire, le membre instructeur

d) peut fixer les dates d’audience;

f) peut traiter de toute autre question ayant trait au déroulement de la procédure.

5(3) At the case conference the Panel,

(d) may set dates for the hearing of the inquiry;

(f) may deal with any other matters necessary for the conduct of the proceeding.

[14]           L’intimé soutient qu’un ajournement en l’espèce serait approprié parce qu’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC) a embauché deux entreprises tierces indépendantes, c’est-à-dire Public History Inc. (PHI) et Canadian Development Consultants Inc. (CDCI), qui ont ciblé environ 50 000 documents qui pourraient être pertinents quant à l’audition de la plainte et qui ne seront pas divulgués à l’intimé avant le 30 septembre 2013. L’intimé soutient que, lorsqu’il aura reçu ces documents, il devra les examiner pour en confirmer la pertinence et vérifier qu’il n’y a aucun privilège avant de les divulguer aux autres parties, ce qui prendra plus de temps.

[15]           Comme ces documents pourraient contenir des renseignements qui sont pertinents quant à la plainte, l’intimé note qu’ils seront peut-être aussi pertinents pour l’interrogatoire des témoins appelés par les parties. L’intimé soutient que, compte tenu des principes de justice naturelle, un ajournement assurerait que le dossier du Tribunal est complet et que toutes les parties ont l’occasion de recevoir et d’examiner les documents, ainsi que de bien comprendre les questions dont le Tribunal est saisi. Cela garantirait le meilleur usage des ressources judiciaires parce que, si l’audience procède selon l’horaire déjà établi, il est possible que des témoins doivent être rappelés pour répondre à de nouveaux renseignements qui n’étaient pas disponibles au moment où ils ont témoigné.

[16]           Le 21 mai 2013, la Société de soutien a déposé son propre avis de requête, demandant une ordonnance :

[traduction]

[O]bligeant l’intimé à produire les documents pertinents quant à la plainte et à fournir des résumés du témoignage prévu de chacun de ses témoins, accordant les dépens pour entrave au processus du Tribunal et toute autre mesure de redressement que l’avocat pourrait demander et que le Tribunal puisse permettre.

[17]            La Société de soutien prétend que, malgré le fait que l’audience sur le fond de l’affaire en l’espèce a commencé le 25 février 2013, l’intimé n’a que récemment admis qu’il possédait des dizaines de milliers de documents possiblement pertinents qu’il n’avait pas divulgués aux parties. En plus du défaut de l’intimé de produire des résumés des témoignages prévus de ses témoins, conformément à l’obligation prévue à l’alinéa 6(1)f) des Règles du Tribunal, la Société de soutien fait valoir que l’intimé a aussi manqué aux paragraphes 1(1), 6(1) et à l’alinéa 6(5)b) des Règles du Tribunal. La Société de soutien note aussi que l’intimé a constamment manqué aux délais établis par le Tribunal pour la divulgation des documents, ainsi que pour la présentation des listes de témoins et des rapports d’experts.

[18]           Pour plus de facilité, nous avons reproduit les Règles du Tribunal susmentionnées. Elles sont rédigées ainsi :

1(1) Les présentes règles ont pour objet de permettre

a) que toutes les parties à une instruction aient la possibilité pleine et entière de se faire entendre;

b) que l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace;

c) que toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible.

1(1) These Rules are enacted to ensure that

(a) all parties to an inquiry have the full and ample opportunity to be heard;

(b) arguments and evidence be disclosed and presented in a timely and efficient manner; and

(c) all proceedings before the Tribunal be conducted as informally and expeditiously as possible.

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

a) les faits pertinents que la partie cherche à établir à l’appui de sa cause;

b) sa position au sujet des questions de droit que soulève la cause;

c) le redressement recherché;

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

e) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

f) les noms des divers témoins – autres que les témoins experts – qu’elle a l’intention de citer ainsi qu’un résumé du témoignage prévu de chacun d’eux.

6(1) Within the time fixed by the Panel, each party shall serve and file a Statement of Particulars setting out,

(a) the material facts that the party seeks to prove in support of its case;

(b) its position on the legal issues raised by the case;

(c) the relief that it seeks;

(d) a list of all documents in the party’s possession, for which no privilege is claimed, that relate to a fact, issue, or form of relief sought in the case, including those facts, issues and forms of relief identified by other parties under this rule;

(e) a list of all documents in the party’s possession, for which privilege is claimed, that relate to a fact, issue or form of relief sought in the case, including those facts, issues and forms of relief identified by other parties under this rule;

(f) a list identifying all witnesses the party intends to call, other than expert witnesses, together with a summary of the anticipated testimony of each witness.

6(5) Une partie doit divulguer et produire les documents supplémentaires nécessaires

b) si elle constate qu’elle ne s’est pas conformée correctement ou complètement aux alinéas 6(1)d), 6(1)e) et 6(1)f) ou aux paragraphes 6(3) ou 6(4).

 

6(5) A party shall provide such additional disclosure and production as is necessary

(b) where the party discovers that its compliance with 6(1)(d), 6(1)(e), 6(1)(f), 6(3) or 6(4) is inaccurate or incomplete.

[19]           Le Tribunal a entendu les deux requêtes le 21 et le 22 mai 2013.

[20]           Le Tribunal a d’abord entendu la requête en ajournement de l’intimé et les témoignages de Mme Pia Newell Santiago, coprésidente de PHI, de Mme Laurie Howe, gestionnaire de projet chez CDCI et de Mme Janice Mah, parajuriste au ministère de la Justice du Canada.

[21]           La preuve a révélé que PHI fournissait des services de recherche et de gestion des documents à AADNC en vue de la divulgation en l’espèce depuis 2008 et qu’elle avait commencé l’étape actuelle de recherche et de gestion des documents en octobre 2012. À l’époque, PHI a avisé l’intimé que la date prévue de fin de projet était la fin mars 2013, mais qu’il était possible que cette date doive être reportée à l’été. Le Tribunal a entendu des témoignages au sujet du grand nombre de documents qui avaient été examinés (et du grand nombre de documents qui restaient à examiner) en raison de la portée étendue des questions en jeu. Bien que l’intimé ait restreint la portée de la pertinence en 2012, Mme Newell Santiago a témoigné que la recherche et la gestion de documents qui restaient à effectuer étaient laborieuses parce que la portée de la pertinence avait été élargie afin de comprendre les dossiers de tous les bureaux régionaux d’AADNC, en plus de ceux de l’administration centrale d’AADNC.

[22]           Mme Newell Santiago a témoigné qu’en janvier ou en février 2013, PHI avait discuté avec l’intimé au sujet du fait que le traitement des documents des bureaux régionaux d’AADNC constituait un travail trop lourd pour l’entreprise. PHI a recommandé qu’à l’exception des courriels provenant des bureaux régionaux, la recherche et la préparation de documents pour les bureaux régionaux soient attribuées à une autre entreprise. PHI a confirmé que la date actuelle prévue pour la fin de sa partie du travail était le 31 août 2013, une date qui, selon Mme Newell Santiago, a été communiquée à l’intimé au plus tard à la mi-mars 2013. Cependant, lorsque la Commission l’a contre-interrogée, Mme Newell Santiago a noté que, si le traitement des courriels régionaux était retiré de leur liste de tâches, la date de fin prévue du 31 août 2013 pourrait être devancée à la mi-juillet 2013.

[23]           Mme Howe a témoigné que l’intimé a communiqué avec CDCI le 14 mars 2013, soit, note le Tribunal, trois jours après la décision de la Cour d’appel fédérale 2013 CAF 75. Le même jour, l’intimé a demandé leur aide et, par voie de contrat finalisé, a retenu leurs services le 15 avril 2013. Conformément à ce contrat, CDCI devait entreprendre la cueillette de documents électroniques des bureaux régionaux d’AADNC à partir d’avril 2009 jusqu’à ce jour; la cueillette des courriels du bureau régional de Québec et la cueillette de tout petit document papier des bureaux régionaux. Mme Howe a souligné les défis que représentait la production d’un aussi grand volume de documents dans un aussi court laps de temps, déclarant que la date prévue de fin du projet pour CDCI était au plus tôt le 30 septembre 2013.

[24]           La preuve a aussi révélé que ni PHI, ni CDCI n’était responsable de la recherche et de la préparation de documents provenant de la Direction générale de la vérification et de l’évaluation d’AADNC, un domaine qui, comme l’ont souligné les plaignants, était particulièrement pertinent quant à l’affaire. L’intimé a par la suite confirmé qu’une troisième entreprise inconnue avait récemment été embauchée par l’intimé pour obtenir tous les documents pertinents de cette direction générale. Cependant, l’intimé a été incapable de fournir plus de détails sur ce contrat de service.

[25]           Le Tribunal a par la suite entendu, à l’appui de la requête de la Société de soutien pour la divulgation, le témoignage de Mme Blackstock, directrice administrative de la Société de soutien. Mme Blackstock a souligné à quel point l’examen du grand nombre de documents divulgués en l’espèce constituait un lourd fardeau pour leur petit organisme et aussi la surprise et l’inconvénient causé par la découverte, à la suite de sa dernière demande d’accès à l’information, que deux tiers de la divulgation de l’intimé n’étaient pas encore présentés. Mme Blackstock expliquait que certaines parties de la divulgation pendante, comme les évaluations et les vérifications de la formule « approche améliorée » dans les provinces de la Saskatchewan, de la Nouvelle-Écosse, du Manitoba, de l’Alberta, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Québec, étaient particulièrement pertinentes quant à leur cause, en particulier compte tenu du fait qu’il était prévu que les témoins du Manitoba témoignent lors des dates d’audience prévue en mai 2013. Mme Blackstock a soutenu qu’en plus, les documents divulgués en réponse à la demande d’accès à l’information montraient que l’équipe de litiges de l’intimé avait ces documents en sa possession depuis l’été 2012, ce qui entraîne la question de savoir pourquoi ces documents n’avaient pas été divulgués auparavant. Mme Blackstock a aussi souligné qu’à ce jour, la Société de soutien n’a reçu qu’une liste incomplète des témoins et des résumés des témoignages anticipés de l’intimé.

[26]           En réponse à la requête en ajournement de l’intimé, Mme Blackstock a souligné le préjudice qui avait déjà été causé aux 161 000 enfants touchés par la présente plainte, en raison des retards en l’espèce. Mme Blackstock a soutenu qu’un ajournement, qui causerait des retards supplémentaires, ne ferait qu’exacerber ce préjudice.

IV.             Les observations des parties

A.                La position de l’intimé

[27]           L’intimé demande un ajournement jusqu’à ce que toute la divulgation soit terminée. Compte tenu de la preuve présentée par les entreprises tierces embauchées pour préparer la divulgation et compte tenu du temps dont il aura besoin pour examiner les divulgations fournies, l’intimé prévoit que l’audience devrait être ajournée jusqu’au début novembre 2013.

[28]           Bien qu’il comprenne le désir des parties de procéder à l’instruction le plus rapidement possible, l’intimé souligne que ce désir doit être soupesé avec le besoin de garantir l’équité et l’intégrité du processus, en particulier compte tenu de la nature importante de l’affaire en l’espèce. L’intimé soutient qu’à l’étape actuelle de la procédure, les témoignages de la majorité des témoins qui ont déjà été entendus ne seraient pas affectés par la divulgation tardive. Cependant, selon lui, le fait de poursuivre l’audience selon l’horaire prévu, où les témoins témoigneraient avant que la divulgation des documents soit complète, pourrait créer une situation où les témoignages seraient affectés, ce qui soulèverait des questions d’équité.

[29]           Se fondant sur ses propres notes de la CGI du 26 septembre 2012 (en raison d’un problème technique, cette conférence n’a malheureusement pas été enregistrée), l’intimé a aussi noté qu’il avait avisé toutes les parties à cette date qu’il fournirait une divulgation continue et qu’il s’attendait à divulguer environ 30 000 documents. L’intimé reconnaît que, bien qu’il ait pu y avoir un malentendu au sujet du nombre de documents qui restaient à divulguer, l’intimé avait soulevé la question de l’existence de documents supplémentaires possiblement pertinents auprès des parties aussitôt qu’il en avait été avisé.

[30]           L’intimé a exprimé la volonté de travailler avec les parties afin d’établir un horaire raisonnable pour garantir que la divulgation soit complétée et ainsi procéder de la façon la plus juste et efficace possible.

B.                 La position de la Société de soutien

[31]           La Société de soutien fait valoir qu’il y a déjà eu manquement à l’équité procédurale parce que deux semaines d’audience se sont déjà écoulées et que les parties ont seulement récemment été avisées du grand nombre de documents qu’il restait à l’intimé à divulguer. La Société de soutien fait aussi valoir que, selon ce qu’elle avait compris au sujet de la divulgation continue, l’intimé devait divulguer des documents et des éléments de preuve qui avaient vu le jour après le début de la procédure et que cela ne comprenait pas, contrairement aux prétentions de l’intimé, la divulgation d’un grand nombre de documents produits avant le 25 février 2013.

[32]           Cela dit, la Société de soutien fait valoir que les répercussions de la divulgation tardive de l’intimé restent conjecturales et ne justifient pas un ajournement de neuf semaines des dates d’audience déjà prévues. La Société de soutien est d’avis que toute préoccupation quant à l’équité, découlant du fait que les témoins témoigneraient avant la divulgation complète, peut être corrigée de diverses façons, y compris en demandant de rappeler des témoins afin qu’ils témoignent au sujet de documents qui n’avaient pas encore été divulgués lors de leur premier témoignage. La Société de soutien reconnaît qu’il est évidemment idéal que tous les documents soient divulgués avant de procéder à l’audience. Cependant, lorsqu’on les soupèse avec le préjudice très réel qu’un retard supplémentaire causerait aux plaignants, ces hypothétiques manquements à l’équité à venir ne justifient pas l’ajournement demandé par l’intimé. En effet, les enfants des Premières Nations qui sont touchés défavorablement par les actes censément discriminatoires de l’intimé ne pourront jamais récupérer ces premières années de formation scolaire passées loin de la maison.

[33]           La Société de soutien note que le témoignage de Mme Newell Santiago a révélé que l’intimé avait su en janvier ou en février 2013 qu’un grand nombre de documents ne serait pas disponible pour la divulgation avant l’été et pourtant, il n’en a avisé les parties que très récemment. Le témoignage de Mme Howe a aussi révélé que, lorsque l’intimé a communiqué avec CDCI pour la première fois à la mi-mars 2013, l’entreprise avait donné une date prévue de fin des travaux pour la fin juillet 2013, ce que l’intimé a aussi omis de communiquer aux autres parties. La Société de soutien fait valoir que cette preuve, ajoutée au défaut de l’intimé de fournir une explication justifiant la raison pour laquelle il n’avait commencé à traiter ces documents pertinents que très récemment, devrait entraîner une conclusion défavorable; ces documents auraient pu ne jamais être divulgués si ce n’était de la demande d’accès à l’information de Mme Blackstock. La Société de soutien est d’avis que le fait d’accorder l’ajournement ne ferait qu’entériner ce qu’elle décrit comme étant [traduction] « le manquement volontaire [de l’intimé] aux Règles du Tribunal ». La Société de soutien déclare qu’elle a été incapable de trouver une seule affaire où une partie avait omis de divulguer des documents et avait ensuite demandé un ajournement pour ce motif.

[34]            La Société de soutien fait aussi valoir que la demande d’ajournement en l’espèce aurait des répercussions sur le fonctionnement du Tribunal, qui aura à libérer toutes les dates d’audience déjà prévues et devra trouver de nouvelles dates qui auraient autrement pu servir à l’audition d’autres plaintes. La Société de soutien se fonde sur la décision Zhou v. National Research Council, 2009 CHRT 11, dans laquelle le Tribunal a déclaré que, pour décider d’accorder un ajournement, le Tribunal devait tenir compte du préjudice causé au système entier du Tribunal (aux paragraphes 7 et 8).

[35]           Enfin, la Société de soutien note que l’intimé a aussi omis de fournir une liste complète de témoins et des résumés des témoignages anticipés, malgré de nombreuses demandes, et en contravention de l’alinéa 6(1)f) des Règles du Tribunal, et que le Tribunal devrait lui ordonner de déposer ces renseignements.

C.                La position de la Commission

[36]            La Commission est d’avis que le besoin de procéder le plus rapidement possible doit être soupesé avec le besoin de garantir que le processus avance de façon équitable et en présence de la preuve la plus complète possible. Bien qu’on puisse au départ économiser du temps en refusant d’ajourner les dates d’audience déjà prévues, la Commission note que ces économies seront probablement annulées par les retards causés par le fait de rappeler des témoins et risqueront de compromettre la qualité du dossier et du témoignage des témoins. Poursuivre les audiences sans avoir conclu la divulgation pourrait aussi entraîner la création de failles dans le dossier qui pourraient être problématiques s’il devait y avoir contrôle judiciaire.

[37]            Cela dit, la Commission ne souscrit pas à la proposition de l’intimé selon laquelle il faudrait commencer les audiences en novembre ou en décembre 2013. Par conséquent, la Commission a adopté ce qu’elle décrit comme une position modérée. Selon la preuve présentée par Mme Newell Santiago et par Mme Howe, si les parties acceptent de dispenser PHI et CDCI de l’obligation de renvoi relative à la LAI et de codage de la divulgation, alors PHI serait en mesure de fournir la divulgation à l’intimé à la fin juin et CDCI pourrait faire de même pour la fin juillet 2013. La Commission propose donc :

a.       que la requête portant sur les représailles soit entendue en juin;

b.      que l’intimé fournisse une divulgation progressive jusqu’au 26 juillet 2013;

c.       que la Commission présente sa cause sur le fond au début août et termine son interrogatoire des témoins au plus tard à la mi-septembre.

[38]           La Commission demande, afin d’éviter une situation où les parties seraient forcées de présenter des demandes d’ajournement plus tard, que le Tribunal rende une ordonnance détaillant le calendrier de divulgation proposé et fournisse une date butoir pour la production de la liste des témoins et des résumés des témoignages anticipés.

[39]           Bien que l’APN note qu’elle partage certaines des préoccupations de la Société de soutien en ce qui a trait au comportement de l’intimé quant au traitement de la divulgation des documents et aux violations fréquentes des délais, l’APN appuie néanmoins la position et le calendrier proposés par la Commission. Les Chefs de l’Ontario (les COO) appuient aussi la position de la Commission.

V.                Les événements depuis l’audition de la requête

[40]           Dans une lettre datée du 24 mai 2013, l’intimé a précisé qu’après de plus amples discussions avec les entreprises indépendantes qui étaient chargées de l’obtention des documents à divulguer, PHI avait déclaré qu’elle serait en mesure de fournir les documents à divulguer à l’intimé au plus tard le 2 juillet 2013 et CDCI avait déclaré qu’elle pouvait le faire au plus tard le 31 juillet 2013. Par conséquent, l’intimé a déclaré qu’il serait en mesure de fournir une divulgation progressive à certains intervalles en juin, juillet et août et qu’il terminerait sa divulgation au plus tard le 31 août 2013. L’intimé a expliqué qu’il serait alors en mesure de procéder en ce qui concerne les audiences relatives à la plainte de représailles, en juillet ou en août 2013, et de reprendre l’audition du fond de l’affaire en septembre 2013. Bien qu’il ait d’abord noté que cela dépendrait du renoncement des parties à la divulgation des courriels, l’intimé a ensuite confirmé qu’il pourrait compléter la divulgation, y compris les courriels, au plus tard le 31 août 2013. L’intimé a aussi précisé que les documents des régions pouvaient être divulgués dans l’ordre suivant : Atlantique, Manitoba, Saskatchewan, Ontario, Québec, Alberta, Colombie‑Britannique et Yukon.

[41]           Dans une lettre datée du 28 mai 2013, la Commission, sans renoncer à ses droits, a consenti à la dernière proposition de l’intimé, à condition que les courriels de l’intimé fassent partie de la divulgation. La Commission a aussi noté que la troisième compagnie inconnue, avec qui l’intimé avait signé un contrat pour traiter la production des documents portant sur les évaluations et les vérifications, devait respecter les délais prévus. La Commission a proposé que l’audience sur le fond reprenne le 3 septembre 2013.

[42]           Les COO ont envoyé un courriel le même jour, à l’appui de la position de la Commission. L’APN a aussi envoyé une lettre datée du 28 mai 2013, dans laquelle elle appuyait la position de la Commission, à condition que la Commission et les plaignants puissent rappeler les témoins. L’APN a aussi souligné l’importance de prévoir des dates d’audience jusqu’en décembre 2013 afin de permettre à l’intimé de clore sa preuve et de garantir que l’audience se termine le plus rapidement possible.

[43]           La Société de soutien a aussi répondu à la lettre de l’intimé, après avoir pris connaissance de la réponse de la Commission. La Société de soutien a continué d’exprimer son objection à l’ajournement, notant que les répercussions de la divulgation tardive restaient hypothétiques et que cela ne justifiait pas un ajournement de neuf semaines d’audiences déjà au calendrier, en particulier compte tenu du préjudice subi par les enfants des Premières Nations défavorisés par les actes censément discriminatoires de l’intimé.

[44]           Le 29 mai 2013, l’intimé a répondu à ces lettres, exprimant sa satisfaction au sujet du fait que la Commission, les Chefs de l’Ontario et l’APN acceptaient les dates que l’intimé avait proposées pour la divulgation dans sa dernière lettre. En réponse à l’objection de la Société de soutien, l’intimé a déclaré qu’il était d’avis que les témoignages présentés par les témoins montraient clairement qu’il restait des documents importants et pertinents à divulguer, ce qui appuyait la requête en ajournement.

[45]           Le 30 mai 2013, le Tribunal a tenu une CTGI, au cours de laquelle la Commission a fourni une proposition d’échéancier mis à jour. Cette proposition comprenait les éléments suivants :

a.       l’établissement de dates d’audience pour la question des représailles à tout moment au cours des dates d’audience déjà prévues en juin, juillet et août;

b.      l’établissement du 30 août 2013 comme date butoir pour la divulgation de l’intimé;

c.       l’établissement du 3 septembre 2013 pour le début de l’audience sur le fond.

[46]           L’APN et les Chefs de l’Ontario ont appuyé cette proposition. La Société de soutien a maintenu son objection à l’ajournement, mentionnant ses observations du 28 mai 2013.

VI.             La décision-lettre

[47]           Préoccupé par les questions pratiques de rendre une décision sur les deux requêtes et par le désir de fournir aux parties une plus grande certitude que l’audience se poursuivrait le plus rapidement possible, le Tribunal a rendu une décision par lettre le 3 juin 2013, dont les motifs devaient suivre. Le texte de la décision est le suivant :

[traduction]

Il s’agit d’une décision en style télégraphique au sujet de la requête en ajournement de l’intimé et de la requête de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada pour une ordonnance de production, ainsi qu’au sujet des dépens. Les motifs de la décision suivront. La question des dépens est prise en délibéré et fera l’objet d’une décision sur requête à venir.

La requête en ajournement de l’intimé est accueillie en partie; la requête de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada pour une ordonnance de production est accueillie en partie.

La CCDP, l’APN et les Chefs de l’Ontario consentent à la requête de l’intimé en ajournement de l’audience dans l’affaire susmentionnée et acceptent que l’audience reprenne le 3 septembre 2013, à condition que l’intimé présente une divulgation pleine et entière, qui doit être terminée au plus tard le 31 août 2013. La CCDP, l’APN et les Chefs de l’Ontario consentent aussi à ce que l’audience au sujet des allégations de représailles ait lieu au cours des semaines d’audiences déjà prévues en juillet ou en août 2013. La Société de soutien, l’APN, la CCDP et les Chefs de l’Ontario conservent le droit de rappeler des témoins au besoin. La Société de soutien ne consent pas à l’ajournement des dates d’audience.

La décision de la formation du Tribunal est la suivante :

Les dates d’audience de juin 2013 sont ajournées. L’audience reprendra le 15 juillet 2013 et se poursuivra jusqu’au 26 juillet 2013 pour couvrir les allégations de représailles. De plus, trois jours seront réservés en août 2013 pour terminer l’audience au sujet des allégations de représailles, si la période de deux semaines en juillet n’est pas suffisante. Ces dates seront du 6 au 8 août 2013.

L’audience sur le fond reprendra au cours des dates restantes qui étaient déjà prévues du 12 au 16 août 2013 et du 26 au 30 août 2013. L’audience se poursuivra en septembre et au cours de l’automne jusqu’à ce que l’audience sur le fond soit terminée, selon les disponibilités de la formation et des parties, dont il sera question lors de la téléconférence du 6 juin 2013. Vous trouverez en pièces jointes une lettre établissant les disponibilités de la formation à cet égard.

La divulgation de l’intimé doit être terminée au plus tard le 31 août 2013. L’intimé fournira la divulgation aux parties en fonction du calendrier fourni par la Commission, en date du 28 mai 2013. Les parties doivent préciser le contenu de la divulgation en fonction du calendrier établi lors de la téléconférence du 6 juin 2013. Si les parties ne s’entendent pas à ce sujet, la formation rendra une décision à ce sujet au même moment où elle rendra ses motifs relativement aux deux requêtes.

Les parties auront le droit de rappeler des témoins au besoin et sur approbation de la formation. Cela sera décidé en fonction de chaque cas, après un examen de chaque situation.

L’intimé déposera sa liste des témoins et des résumés détaillés des témoignages anticipés pour l’audience au sujet des allégations de représailles au plus tard le 2 juillet 2013. L’intimé déposera sa liste de témoins et des résumés détaillés des témoignages anticipés pour l’audience sur le fond au plus tard le 31 août 2013.

[48]            Les motifs de cette décision suivent.

VII.          Analyse et décision

[49]           Les deux requêtes en l’espèce, comme les parties le reconnaissent elles-mêmes, représentent essentiellement les deux côtés d’une même médaille. Le Tribunal doit déterminer, compte tenu de la preuve présentée et des risques de procéder sans avoir une divulgation complète, si les circonstances justifient d’accorder l’ajournement demandé par l’intimé et, le cas échéant, quelle devrait être la durée de l’ajournement. Si le Tribunal décide qu’un ajournement n’est pas justifié et, comme l’affirme la Société de soutien, que les principes d’équité et d’efficacité appuient la position selon laquelle l’audience devrait procéder en fonction du calendrier déjà établi, alors le Tribunal doit déterminer la façon la plus appropriée de maintenir l’intégrité de son processus compte tenu de la grande quantité de documents qu’il reste à l’intimé à divulguer.

[50]           Il est bien établi que le Tribunal est maître de sa propre procédure et que l’ajournement d’une procédure relève de son pouvoir discrétionnaire. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en tenant compte du paragraphe 48.9(1) de la Loi et de l’exigence selon laquelle les procédures doivent être tenues de la façon la plus informelle et la plus rapide possible, en respectant les règles de la justice naturelle : Baltruweit c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2004 TCDP 14, aux paragraphes 14, 15, 16 et 17; Zhou v. National Research Council, précitée, au paragraphe 4; Léger v. Canadian National Railway Company, décision provisoire, 26 novembre 1999 (TCDP), au paragraphe 6; Marshall c. Cerescorp Co., 2011 TCDP 5; Blain c. Gendarmerie royale du Canada, 2012 TCDP 13.

[51]           Les facteurs dont le Tribunal doit tenir compte pour décider d’exercer son pouvoir discrétionnaire en l’espèce comprennent :

a.       le préjudice causé à la Commission, aux plaignants et aux enfants qu’ils représentent si l’on retarde l’audience de plusieurs semaines;

b.      le préjudice causé à la Commission, qui est chargée de la présentation de la preuve, par le fait de procéder sans attendre et d’entendre le témoignage de ses témoins sans qu’elle puisse bénéficier de la divulgation complète de l’intimé, et qui risquerait ainsi de ne pas avoir tous les documents pertinents;

c.       le préjudice causé à l’intimé s’il est tenu d’examiner la divulgation et de préparer sa cause en peu de temps au cours de l’été;

d.      les répercussions sur le système du Tribunal causées par le retard dans la procédure et le besoin de trouver des dates d’audience supplémentaires qui conviennent à tous les membres du Tribunal et à toutes les parties;

e.       les répercussions sur l’intégrité du processus du Tribunal si la procédure se poursuit sans que la divulgation de l’intimé soit complète.

[52]           Comme ces facteurs le démontrent, il n’y a aucune solution évidente à la question à l’espèce. Au moins une des parties, si ce n’est toutes les parties, subira un préjudice, peu importe la décision.

[53]           Nous tenons à noter que le comportement de l’intimé en l’espèce est loin d’être irréprochable. Comme le démontre la preuve présentée par la Société de soutien à la suite de la demande d’accès à l’information de Mme Blackstock, l’intimé a eu connaissance de l’existence d’une partie de ces documents, qui lui sont préjudiciables et qui sont très pertinents quant à l’affaire en l’espèce, à l’été 2012 et pourtant, il ne les a pas divulgués. La preuve montre aussi que l’intimé savait qu’il serait incapable de terminer sa divulgation le 25 février 2013, comme cela avait été convenu depuis octobre 2012. Il y a eu de nombreux moments, y compris les deux CTGI avant le début de l’audience, au cours desquels l’intimé aurait pu soulever le fait qu’il était fort probable qu’il serait incapable de satisfaire à ses obligations en matière de divulgation. Le Tribunal, à chaque CTGI et dans toutes les communications qu’il a envoyées aux parties, a constamment répété que, si des questions ou des préoccupations survenaient entre les rencontres et les appels, les parties devaient communiquer avec le Tribunal. Ce n’est jamais arrivé. L’intimé s’est présenté aux dates d’audience en avril 2013 en sachant très bien qu’il n’avait pas complètement satisfait à son obligation de divulgation. De plus, il venait tout juste de signer un contrat avec CDCI afin que cette entreprise l’aide à satisfaire à ses obligations de divulgation et il avait été avisé par cette entreprise que la production des grandes quantités de documents qui n’étaient pas encore divulgués prendrait au moins jusqu’à la fin de septembre 2013. L’intimé a caché ces renseignements aux parties et au Tribunal. Ce n’est qu’après que la Société de soutien a envoyé sa lettre au sujet de sa demande d’accès à l’information que l’intimé a avisé les parties et le Tribunal de l’existence des 50 000 documents supplémentaires pendants, dans une lettre datée du 7 mai 2013 qu’il a envoyée peu de temps avant le début de la troisième semaine prévue d’audience.

[54]           Il convient de noter les efforts de toutes les parties à une affaire d’une telle ampleur. La Commission, qui est chargée de l’affaire, a affecté trois avocats au dossier, l’APN a affecté deux avocats, et la directrice administrative de la Société de soutien, Mme Blackstock, ou son avocat, M. Paul Champ, ont été présents tout au long de la procédure à ce jour. Même l’intimé a affecté quatre avocats à l’affaire. De plus, un certain nombre d’intervenants ont consacré beaucoup de temps et de ressources à leur participation à l’affaire. Le Tribunal a désigné une formation de trois membres, notant qu’il s’agissait d’un grand défi vu la charge de travail du Tribunal et la disponibilité de ses membres : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada, 2012 TCDP 16, au paragraphe 29. Comme la Société de soutien le notait, les trois membres désignés auraient autrement entendu trois affaires distinctes, comme le veut la pratique habituelle du Tribunal de confier les affaires à des membres seuls. Treize semaines ont été réservées dans les horaires de tous, les témoins ont été assignés à comparaître et les salles d’audience ont été réservées.

[55]           Comme Mme Karen Jensen, membre du Tribunal,  (tel était son titre) l’a déclaré dans Zhou, au paragraphe 8 :

[traduction]

Le Tribunal doit faire preuve d’efficacité quand il instruit les causes afin de s’acquitter du mandat que le législateur lui a confié d’entendre et de régler les plaintes de façon expéditive (paragr. 48.9(1) de la LCDP; Société canadienne des postes c. AFPC et CCDP, 2008 CF 223, au paragr. 274; Nova Scotia Construction Safety Association, Collins and Kelly c. Nova Scotia Human Rights Commission and Davidson, 2006 NSCA 63, au paragr. 76). La tenue d’une audience exige des ressources financières et humaines considérables. Ces ressources ne peuvent être réaffectées sans que cela ne sème la perturbation dans l’ensemble de l’organisation, particulièrement à la présente étape du processus. De telles perturbations affectent non seulement l’échéancier de la présente affaire, mais également celui de tous les autres litiges en instance. C’est pourquoi un ajournement n’est accordé que dans les cas où aller de l’avant entraverait manifestement la tenue d’un procès équitable.

[56]           Si l’intimé avait communiqué aux autres parties les difficultés qu’il avait à obtenir la grande quantité de divulgation, le Tribunal, avec les parties, aurait travaillé à trouver une solution qui aurait limité les répercussions sur la procédure et sur toutes les parties. En avisant les parties et le Tribunal de ce problème à ce qui est maintenant plus tard que la dernière minute, l’intimé a enlevé cette possibilité à tous et a forcé le Tribunal, pour être franc, à passer en mode de limitation des dégâts. Il convient aussi de mentionner que l’intimé est celui qui ne s’est pas acquitté de son obligation de divulgation, causant un préjudice aux autres parties, et c’est pourtant lui qui demande un ajournement.

[57]           L’intimé soutient qu’il a avisé les parties, lors de la CGI du 26 septembre 2012, que la divulgation serait continue et qu’il s’attendait à ce que sa divulgation contienne environ 30 000 documents, sous-entendant que l’estimé récemment ajusté de 50 000 documents n’était pas si loin du nombre de départ et que cela n’aurait donc pas dû être une surprise pour les parties.

[58]           En toute déférence, nous ne sommes pas du même avis. La divulgation prévue de 30 000 documents devait être faite en trois fois, jusqu’au 25 février 2013, et de nombreux milliers de documents ont effectivement été divulgués à ce jour. Les 50 000 documents mentionnés dans la lettre de l’intimé datée du 7 mai 2013 sont des documents supplémentaires et même l’intimé l’a reconnu. On ne peut pas dire que l’intimé avait avisé les parties au préalable de ce fait. De plus, une obligation de divulgation continue ne peut pas être interprétée comme comprenant 50 000 documents pendants, qui représentent les deux tiers de la divulgation qui reste à produire. La Commission et le plaignant, tout comme le Tribunal, avaient compris qu’à l’exception des documents nouvellement créés, l’intimé aurait satisfait à ses obligations de divulgation au plus tard le 25 février 2013. Il convient de préciser que le Tribunal a explicitement confirmé avec l’intimé, au cours de la CGI du 26 septembre 2012, que le calendrier établi pour la divulgation lui donnait suffisamment de temps pour satisfaire à son obligation de divulgation.

[59]           Le Tribunal partage les préoccupations de la Société de soutien au sujet de l’ajournement, qui causera des retards dans la procédure. La plainte en l’espèce, déposée en février 2007 et renvoyée au Tribunal par la Commission le 14 octobre 2008, a déjà été marquée par de nombreux retards importants. Cependant, le Tribunal doit aussi tenir compte de son devoir de fournir aux parties l’occasion pleine et entière de présenter leur cause et des observations : Léger v. Canadian National Railway Company, décision provisoire, 26 novembre 1999 (TCDP), au paragraphe 6. Voir aussi Zhou v. National Research Council, précitée, au paragraphe 4. Lorsque les compagnies embauchées par AADNC auront terminé leur travail sur la divulgation et que l’intimé en aura terminé l’examen, le plaignant et la Commission auront aussi besoin de temps pour effectuer leur propre examen des documents et préparer leur cause en conséquence. La Commission, qui, comme je l’ai déjà mentionné, est chargée de la présentation de la majorité de la preuve, a exprimé le désir de procéder rapidement sans compromettre la qualité de la preuve. Le Tribunal partage ce désir de la Commission.

[60]           C’est pour ces motifs que le Tribunal a décidé d’accueillir, en partie, tant la requête en ajournement de l’intimé que la requête en production de la Société de soutien. Comme il l’était écrit dans la décision-lettre reproduite ci-dessus, le Tribunal a annulé les dates prévues en juin 2013. Les semaines suivantes sont réservées pour l’audience sur les allégations de représailles :

a.       15 au 19 juillet 2013

b.      22 au 26 juillet 2013

c.       6 au 8 août 2013

[61]           L’audience sur le fond, en fonction des disponibilités des parties établies au cours de la CTGI du 6 juin 2013, est prévue aux semaines suivantes :

a.       12 au 16 août 2013

b.      26 au 30 août 2013

c.       3 au 6 septembre 2013

d.      9 au 13 septembre 2013

e.       23 au 27 septembre 2013

f.       28 octobre au 1er novembre 2013

g.      4 au 9 novembre 2013

h.      12 au 15 novembre 2013

i.        2 au 6 décembre 2013

j.        9 au 13 décembre 2013

k.      6 au 10 janvier 2014

l.        13 au 17 janvier 2014

[62]           Les parties auront le droit de rappeler des témoins au besoin, sur approbation de la formation. Cela sera déterminé au cas par cas, après un examen de chaque situation.

[63]           L’intimé doit déposer sa liste des témoins et ses résumés détaillés des témoignages anticipés pour les allégations de représailles au plus tard le 2 juillet 2013.

[64]           L’intimé doit déposer sa liste des témoins et ses résumés détaillés des témoignages anticipés pour l’audience sur le fond de l’affaire au plus tard le 31 août 2013.

[65]           La divulgation de l’intimé doit être terminée au plus tard le 31 août 2013. Comme les parties l’ont convenu lors de la CTGI du 6 juin 2013, l’intimé doit divulguer les documents aux parties de façon continue et progressive toutes les trois semaines, afin d’éviter une divulgation de documents en vrac à la dernière journée prévue pour la divulgation.

[66]           Les parties ont aussi convenu que la date limite pour la divulgation de l’intimé est le 5 décembre 2012 en ce qui a trait aux recherches portant sur les documents de l’administration centrale d’AADNC, et le 22 février 2013 pour les documents de la section de la vérification et de l’évaluation. Cette entente dépend des autres documents pertinents qui pourraient être portés à l’attention de l’intimé après ces dates, que l’intimé aurait à divulguer.

[67]           La requête quant aux dépens déposée par la Société de soutien et l’APN est prise en délibéré.

 

Signée par

 

Sophie Marchildon

Présidente de la formation

 

Signée par

 

Réjean Bélanger

Membre du Tribunal

 

Signée par

 

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

 

 

Ottawa (Ontario)

Le 3 juillet 2013


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties inscrites au dossier

Dossier du Tribunal : T1340/7008

Intitulé :                Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du Tribunal : le 3 juillet 2013

Comparutions :

Paul Champ, pour la plaignante la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

David Nahwegahbow et Stuart Wuttke, pour la plaignante l’Assemblée des Premières Nations

Philippe Dufresne, Daniel Poulin et Sarah Pentney pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jonathan Tarlton, Melissa Chan, Patricia MacPhee et Nicole Arsenault, pour l’intimé

Michael Sherry, pour la partie intéressée les Chefs de l’Ontario

Justin Safayeni, pour la partie intéressée Amnistie Internationale

 

 

 

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