Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Évelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao, Anne B. Tettaut, Anna Malec, Germaine Méténapéo, Estelle Kaltush

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Conseil des Montagnais de Natashquan

l'intimé

Décision sur requête

Membre:  Michel Doucet

Date:  Le 11 avril 2012

Référence:  2012 TCDP 8

 



[1]               Il s’agit d’une demande d’ajournement dans l’attente d’une décision de la Cour fédérale sur une demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire en question a été présentée par l’intimé à l’encontre de la décision de la présidente du  Tribunal canadien des droits de la personne de m’assigner le présent dossier en tant que membre instructeur.

I.                   Les faits

A.                La décision d’origine

[2]               Le 27 janvier 2010, en tant que membre instructeur, je rendais une décision dans l’affaire Malec et autres c. Conseil des Montagnais de Natashquan, 2010 TCDP 2 [Malec]. Dans cette affaire, les plaignantes, toutes des employées de l’école Uauitshitun, de Nutashkuan, alléguaient être victimes de discrimination aux termes des politiques relatives aux primes d’éloignement offertes à certains employés de l’école et mises en œuvre par le Conseil des Montagnais de Nutashkuan, l’intimé.

[3]               De 1990 à 2007, la politique relative aux primes d’éloignement s’appliquait au « personnel enseignant détenteurs au minimum d’un Bac et au personnel professionnel ayant la même scolarité ». En 2007, la politique relative aux primes d’éloignement a été modifiée et s’applique depuis aux employés qui ne sont pas résidents de Nutashkuan. Toutes les plaignantes sont autochtones, résidentes de Nutashkuan. Elles n’ont jamais reçu de primes d’éloignement, tant sous la politique en vigueur de 1990 à 2007 que sous la politique en vigueur depuis 2007.

[4]               Ultimement, dans ma décision, je déclarais que les plaignantes avaient été défavorisées par la politique en vigueur avant 2007 puisque cette politique ne faisait aucune distinction entre un employé résident et un employé non résident.  Pour arriver à cette décision, j’ai appliqué le


 

test énoncé dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 [ Meiorin ] qui commande une analyse en deux temps :

(1)               Y a-t-il preuve prima facie de discrimination?

(2)               Dans l’affirmative, le motif de distinction illicite est-il justifié?

[5]               La première question à savoir s’il existait une preuve prima facie de discrimination a été répondue dans l’affirmative puisque les enseignantes autochtones de l’école Uauitshitun ne recevaient pas la prime d’éloignement que recevaient pourtant les enseignants non-autochtones résidents de Nutashkuan. En ce qui concerne le deuxième volet, j’ai conclu que : « aucune preuve n’a été présentée au Tribunal par l’intimé pour justifier la raison pour laquelle cette prime n’était pas versée aux enseignantes innues de l’école Uauitshitun » [Malec au para. 41].

B.                 La décision de la Cour fédérale

[6]               Le 23 décembre 2010, la Cour fédérale rendait sa décision en contrôle judiciaire de la décision dans Malec (Conseil des Montagnais de Natashquan c. Malec et autres, 2010 CF 1325 [Conseil des Montagnais]). La juge Tremblay-Lamer accueille alors la demande, casse la décision du Tribunal et renvoie le dossier à « un membre instructeur du Tribunal canadien des droits de la personne pour décider de l’affaire en conformité avec » les motifs de sa décision [Conseil des Montagnais à la p. 15].

[7]               Les motifs de la décision du juge Tremblay-Lamer concernent le deuxième volet du test Meiorin, soit le traitement de la preuve avancée afin de démontrer que le motif de distinction illicite était justifié. Plus précisément, la juge affirme aux para. 32 à 36 :

[I]l est faux d’affirmer que l’employeur n’a fourni aucune preuve justifiant la politique de la prime d’éloignement. Le Tribunal n’a pas tenu compte du témoignage de M. André Leclerc, ancien directeur de l’école Uauitshitun. […] Lors de son témoignage afin d’expliquer le but de la prime d’éloignement, M. Leclerc a déclaré :

[…] c’est d’amener des ressources et d’espérer qu’elles restent en place […]

Le Tribunal a aussi omis, sans motif valable, d’accorder une quelconque force probante à l’admission de Mme Malec, en contre-interrogatoire, selon laquelle son conjoint, non-autochtone, mais résident dans la communauté, avait reçu une prime d’éloignement parce qu’il se trouvait à l’extérieur de la communauté au moment de l’embauche […].

Il n’a pas non plus examiné les déclarations de Mme Geneviève T. Néashit, une autochtone ayant acquis son statut par mariage qui a expliqué qu’elle recevait la prime en raison du fait qu’elle vivait à l’extérieur de la communauté […].

Le Tribunal aurait dû prendre en considération l’ensemble des témoignages […].

Il est une chose de dire qu’une preuve est insuffisante pour renverser une preuve prima facie de discrimination, mais il en est une autre de complètement ignorer, comme c’est le cas en l’espèce, la preuve de justification qui a été présentée. Le Tribunal aurait dû prendre en considération les explications apportées par le demandeur et décider si, en vertu de la jurisprudence applicable et de la totalité de la preuve, ces explications étaient suffisantes pour renverser la preuve prima facie de discrimination.

[8]               Finalement, puisque la Cour fédérale a renvoyé l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne, le greffe du Tribunal a sollicité, le 7 mars 2011, les observations écrites des plaignantes, de l’intimé et de la Commission canadienne des droits de la personne afin d’établir la procédure à suivre pour la suite du dossier.

C.                Les procédures suite au contrôle judiciaire

[9]               En réponse à cette requête du Tribunal, les plaignantes ainsi que la Commission canadienne des droits de la personne ont fait valoir qu’aucune nouvelle preuve n’était nécessaire et que le dossier devrait être entendu par le même membre instructeur. En revanche, l’intimé a demandé qu’un nouveau membre instructeur soit assigné au dossier et qu’il soit permis aux parties de présenter à nouveau leur preuve.

[10]           Le 29 septembre 2011, la présidente du Tribunal rend sa décision quant aux procédures à suivre. Celle-ci m’assigne le dossier et me « laisse la discrétion de déterminer [ma] propre procédure » [Malec et autres c. Conseil des Montagnais de Natashquan, Décision sur requête, Dossier T1318/4808, 29 septembre 2011, au para. 13].

[11]           Le 26 octobre 2011, l’intimé présente une demande de contrôle judiciaire de cette décision de la présidente du Tribunal (dossier de la Cour fédérale portant le numéro T-1740-11). Le 16 février 2012, l’intimé a présenté un avis de requête auprès du Tribunal demandant l’ajournement de la procédure devant le Tribunal en attendant que la Cour fédérale rende sa décision sur sa requête en contrôle judiciaire.

II.                Les prétentions des parties

A.                L’intimé

[12]           Dans ses arguments, l’intimé n’a invoqué aucune jurisprudence appuyant sa requête pour un ajournement, mais il semble s’appuyer sur le test à trois volets énoncés dans les affaires RJR- MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 RCS 311 [MacDonald] et Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110 [Metropolitan Stores].

[13]           En ce qui concerne le premier critère pour l’obtention d’un ajournement, l’intimé soutient qu’il existe une « apparence de droit », puisque la nomination du membre instructeur présente, à son avis, une crainte raisonnable de partialité. Il précise que « les propos tenus » par le membre instructeur dans sa décision justifient en soi cette crainte raisonnable de partialité. Il en conclut donc que l’instruction de l’affaire par le même membre instructeur risque ainsi d’être contraire aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

[14]           Il soutient également que le maintien de l’instance en attendant la décision de la Cour fédérale lui causerait un préjudice irréparable. Entre autres, il fait valoir qu’il pourrait être mené à divulguer des éléments de preuve qui lui seraient nuisibles advenant une seconde audience. Il affirme que la tenue d’une audience devant le Tribunal lui occasionnerait des frais juridiques additionnels et, finalement, qu’il pourrait être contraint par le Tribunal à verser des sommes d’argent aux plaignantes, lesquelles sommes seraient difficiles à recouvrer dans l’éventualité où la décision de la Cour fédérale serait en sa faveur.

[15]           Finalement, l’intimé soutient que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur, mais ne fournit aucun motif précis pour justifier cette allégation.

B.                 La Commission canadienne des droits de la personne

[16]           Pour sa part, la Commission canadienne des droits de la personne [la « Commission »] s’oppose à la requête présentée par l’intimé.

[17]           Selon elle, le Tribunal doit appliquer un test différent que celui énoncé dans MacDonald et Metropolitan Stores. À son avis, puisque la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch H-6 [Loi] n’accorde pas expressément le pouvoir au Tribunal d’ajourner une instance, celui-ci ne saurait le faire que si l’absence d’ajournement constituait un déni de justice naturelle en vertu de l’article 48.9 de la Loi.

[18]           Selon la Commission, la tenue d’une nouvelle audience devant le même membre instructeur ne soulève aucune crainte raisonnable de partialité. La Commission souligne qu’il existe une présomption voulant que le décideur des faits soit impartial. Selon la Commission, cette présomption ne peut être renversée que par des faits concrets et non des soupçons.

[19]           Ainsi, selon la Commission, puisqu’il n’existe aucune crainte raisonnable d’impartialité, l’ajournement demandé n’est pas justifié par quelque principe de justice naturelle. 

C.                Les plaignantes

[20]           Les plaignantes souscrivent aux motifs de la Commission. Elles mettent en outre l’accent sur les délais déjà encourus et réclament le règlement expéditif de l’affaire.


 

D.                La réplique de l’intimé

[21]           L’intimé, en réplique aux arguments de la Commission, soutient que le Tribunal a la compétence pour statuer sur une demande d’ajournement en vertu des paragraphes 3(1) et 1(6) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne adoptées en vertu de la Loi. L’ajournement d’instance devant le Tribunal ne se limite donc pas, selon l’intimé, aux cas où il y aurait déni de justice naturelle.

[22]           L’intimé confirme que les propos tenu par le membre instructeur dans Malec et cité par la juge Tremblay-Lamer dans Conseil des Montagnais sont les seuls faits allégués et qu’ils sont suffisants pour fonder une crainte raisonnable d’impartialité.

[23]           Finalement, l’intimé prétend que la Commission ne devrait pas intervenir dans la présente requête. Selon lui, si la Commission souhaite intervenir, elle devrait prendre « fait et cause » pour les plaignantes. Autrement, elle ne devrait pas intervenir parce qu’elle n’est pas intervenue lors de l’audience devant le Tribunal. L’intimé n’invoque aucune autorité pour appuyer cette conclusion.

III.             Analyse

A.                Demande d’ajournement : le test pertinent

[24]           Afin de décider la présente requête, il me faut d’abord déterminer le test pertinent à appliquer dans le cas d’une demande d’ajournement. Comme indiqué par la Commission, deux courants traversent la jurisprudence du Tribunal sur cette question.

[25]           D’une part, certaines décisions appliquent les critères énoncés dans MacDonald et Metropolitan Stores. Ainsi, dans Laurendeau c. Société Radio-Canada, 2004 TCDP 11 [Laurendeau], une demande d’ajournement avait été présentée dans l’attente d’un contrôle judiciaire portant sur une question préliminaire concernant la compétence du Tribunal. Le Tribunal explique l’approche à privilégier dans cette décision :

Pour obtenir un tel ajournement, l’intimé doit démontrer que sa demande rencontre les trois critères établis dans les affaires […] Metropolitan Stores et dans […] MacDonald […] soit :

a) À la première étape, l’intimée doit établir l’existence d’une question sérieuse à juger.

b) À la deuxième étape, l’intimée doit convaincre le Tribunal qu’elle subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement. Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue.

c) La troisième étape, celle de la prépondérance des inconvénients, consiste à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse l’ajournement. ( Au para. 14).

[26]           Cette approche avait aussi été suivie dans Association canadienne des employés de téléphone et autres c. Bell Canada, 2002, No. T503/2098. Dans cette affaire, une demande d’ajournement avait été présentée lorsqu’une décision afférente portant sur l’autonomie institutionnelle et l’impartialité du Tribunal attendait une décision sur une demande d’autorisation d’en appeler devant la Cour suprême du Canada. La demande d’ajournement avait été rejetée, le Tribunal appliquant pour rendre sa décision le test énoncé dans les affaires MacDonald et Metropolitan Stores.

[27]           D’autre part, un second courant de décisions fait valoir que le Tribunal ne possède le pouvoir d’accorder un ajournement que dans la mesure où il y aurait autrement un déni de justice naturelle. Dans Léger c. CN, 1999, No. T527/2299 [Léger], la décision de la Commission de référer une plainte au Tribunal avait été portée en contrôle judiciaire. Dans cette affaire, l’intimé avait demandé au Tribunal d’ajourner l’instance jusqu’à ce que la Cour fédérale rende sa décision sur la requête en contrôle judiciaire. En rejetant la requête, le Tribunal a refusé d’appliquer les critères des arrêts MacDonald et Metropolitan Stores en établissant une distinction entre les pouvoirs d’un tribunal administratif de celui d’un tribunal de contrôle :

Les critères énoncés dans R.J.R. MacDonald s’appliquent à une situation différente; celle où l’on demande à un tribunal ayant le pouvoir de surveillance d’accorder une injonction interlocutoire en vertu de sa compétence inhérente ou des dispositions législatives habilitantes qui le régissent. À mon avis, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal est assujetti aux règles d’équité procédurale et de justice naturelle, ainsi qu’au régime de la Loi. […]

Eu égard à l’article 2 [de la Loi], de nombreuses décisions judiciaires ont permis d’établir que les allégations de discrimination doivent être jugées rapidement et de façon opportune. C’est au regard de cette toile de fond qu’il faut examiner la demande d’ajournement […] (Au para. 5).

[28]           En d’autres mots, puisqu’aucun pouvoir d’ajournement n’est spécifié dans la Loi et puisque l’objet de la Loi vise le traitement expéditif des plaintes de discrimination, seuls l’équité procédurale et les principes de justice naturelle permettraient au Tribunal d’exercer sa discrétion en accordant un ajournement d’instance.

[29]           Dans Baltruweit c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2004 TCDP 14 [Baltruweit], la Commission avait référé une plainte à un conciliateur dans l’espoir d’arriver à un règlement; faute de quoi, après 60 jours, le Tribunal serait saisi du dossier. L’intimé a porté cette décision en contrôle judiciaire et, entre temps, le processus de conciliation s’est soldé par un échec. La plainte a ainsi été transmise au Tribunal. Conséquemment, l’intimé demandait au Tribunal d’ajourner l’instance en attendant le dénouement du contrôle judiciaire porté devant la Cour fédérale. Ultimement, le Tribunal rejette la demande d’ajournement en refusant toujours d’appliquer le test dans MacDonald et Metropolitan Stores. Le Tribunal élabore de façon exhaustive les motifs de cette décision qui reflète l’approche privilégiée dans Léger :

[Dans MacDonald et Metropolitan Stores], la cour de révision, à l’instar de la Section de première instance de la Cour fédérale, était autorisée par la loi à suspendre une procédure. En vertu de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, cette dernière peut surseoir à une procédure d’un tribunal fédéral en attendant l’issue d’une demande de contrôle judiciaire.

Aucune disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne confère au Tribunal […] le pouvoir de surseoir à une instance en attendant le résultat d’une demande de contrôle judiciaire. (Aux para. 11 et 12).

[30]           Le Tribunal poursuit ensuite en expliquant le test pertinent :

La Loi exige que l’instruction des plaintes par le Tribunal se fasse sans formalisme et de façon expéditive et que ce mandat du Tribunal soit exercé dans le respect des principes de justice naturelle (par. 48.9(1)). […]

Il est bien établi que les tribunaux administratifs sont maîtres de leur procédure. Par conséquent, ils disposent d’importants pouvoirs discrétionnaires lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des demandes d’ajournement. […]

Il est évident que ce Tribunal doit, dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires, tenir compte des règles de justice naturelle. Ainsi, le Tribunal pourrait devoir tenir compte des règles de justice naturelle dans le cas de la non-disponibilité d’éléments de preuve, de la nécessité d’ajourner une instance pour obtenir les services d’un avocat ou d’une divulgation tardive par la partie adverse. (Aux para 14, 15 et 17).

[31]           Finalement, tel que cité par la Commission, un raisonnement similaire à celui retrouvé dans Léger et Bultruweit est adopté dans plusieurs décisions récentes : Marshall c. Cerescorp, 2011 CHRT 5, Marshall v. Cerescorp, 2011 TCDP 9 et Emmett v. Canada Revenue Agency, 2012 CHRT 3.

[32]           Le second courant de jurisprudence soulève un point important en indiquant que  les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure. Comme le souligne l’intimé, la Règle 1(6) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, adoptée sous le régime de la Loi, accorde un large pouvoir discrétionnaire aux membres instructeurs en matière de procédure :

1(6) Le membre instructeur conserve le pouvoir de se prononcer sur toute question de procédure non prévue par les présentes règles.

[33]           Ainsi, le Tribunal n’est pas tenu d’appliquer le test énoncé dans les arrêts MacDonald et Metropolitan Stores, bien qu’il puisse s’en inspirer ou s’y reporter selon les circonstances et la plaidoirie des parties.  La procédure privilégiée par le Tribunal doit cependant respecter les dispositions et l’objet de la Loi. La Loi vise l’enrayement de la discrimination, ce qui implique un traitement rapide des plaintes de discrimination. D’ailleurs, le paragraphe 48.9(1) de la Loi confirme cette volonté d’apporter des correctifs rapides aux pratiques discriminatoires :

48.9 (1) L’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

[34]           Ainsi, pour obtenir un ajournement, l’intimé en l’espèce devra convaincre le Tribunal que la poursuite de la présente instance, sans délai additionnel, lui causerait un déni de justice naturelle et d’équité procédurale. Cette approche semble d’autant plus suffisante que l’intimé peut, le cas échéant, demander à la Cour fédérale de surseoir à l’instance devant le Tribunal. En effet, l’article 18.2 de la Loi sur les cours fédérales, RSC, 1985, c F-7 stipule ce qui suit :

18.2 La Cour fédérale peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive

[35]           Entre temps, le Tribunal doit donner effet à l’objet et aux dispositions de la Loi qui commandent un traitement expéditif des plaintes de discrimination tout en respectant les principes de justice naturelle.

B.                 Crainte raisonnable de partialité

[36]           Au soutient de sa demande pour un ajournement, l’intimé fait valoir qu’il existe une crainte raisonnable de partialité suite à la nomination du membre instructeur. À cet effet, les seuls faits soulevés par l’intimé à l’appui de son allégation de crainte raisonnable de partialité sont ces parties de la décision dans Malec reprises par la juge Tremblay-Lamer dans Conseil des Montagnais aux paragraphes 31 et 32.  Aux paragraphes 8 et 9 de sa réplique, l’intimé précise :

8. Quant à la prétention de la Commission et des plaignantes à l’effet que l’Intimé plaide sans faits précis, démontrant que le membre Doucet ne peut statuer de nouveau sur la plainte, nous référons le présent Tribunal au mémoire de l’Intimé, dont copie est jointe à la présente, déposé au dossier du contrôle judiciaire de la Cour fédérale;

9. Dans ledit mémoire, l’Intimé fait une description des faits et des propos tenus par le membre-instructeur Doucet dans sa décision du 27 janvier 2010 et soulignés par la juge Tremblay-Lamer dans son jugement préalablement déposé au présent dossier […]

[37]           Les faits et propos auxquels réfère l’intimé sont résumés comme suit par la juge Tremblay-Lamer dans Conseil des Montagnais :

À cet égard, le Tribunal a déterminé qu’aucune preuve n’avait été présentée par le demandeur afin de justifier pourquoi cette prime n’avait pas été versée aux défenderesses :

Le fardeau incombe donc maintenant à l’intimé de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son refus de verser aux plaignantes la prime d’éloignement comporte un motif justifiable. L’intimé n’a fourni aucune preuve pour justifier l’existence de ce traitement inégal. En plus, l’intimé n’a pas présenté de preuve afin d’établir que le traitement s’expliquait en raison de la résidence permanente des récipiendaires plutôt que de leur race/origine ethnique ou nationales. Lesdites « admissions » des plaignantes ne possèdent pas une valeur probante permettant une telle conclusion ou pratique ». (décision du Tribunal, au par. 45). [mon soulignement]

Or, il est faux d’affirmer que l’employeur n’a fourni aucune preuve justifiant la politique de la prime d’éloignement. (Aux para. 31 et 32).

[38]           À mon avis, ces faits et propos ne suffisent pas, dans les circonstances, à fonder une crainte raisonnable de partialité.

[39]           Une allégation de crainte raisonnable de partialité doit être prise au sérieux, car elle implique des conséquences importantes pour la réputation du système judiciaire et quasi judiciaire. Une telle allégation ne peut être faite à la légère. C’est pourquoi il existe une présomption voulant que le décideur des faits, en l’occurrence le membre instructeur, soit impartial. Cette présomption ne peut être renversée que par des faits concrets et une preuve probante.

[40]           Dans Arthur c. Canada (procureur général), 2001 CAF 223, la cour faisait face à une allégation de crainte raisonnable de partialité. En refusant de donner raison au demandeur, la cour souligne le caractère sérieux de l’allégation en cause ainsi que le degré et la nature de la preuve requise :

Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l’encontre d’un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l’intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. Pour ce faire, il est souvent utile et même nécessaire de recourir à des preuves extrinsèques au dossier.  (Au para. 8).

[41]           Dans Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, la Cour suprême a établi le test pertinent afin de déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] [C]e critère consiste à se demander […] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. […] (Aux para. 40 et 41). 

[42]           À la lumière de la preuve avancée par l’intimé, une personne bien renseignée et ayant bien étudié la question ne serait pas portée à conclure qu’il existe une crainte raisonnable de partialité. Le fait qu’un juge ou que le membre d’un tribunal aurait commis une erreur de droit ne révèle pas un préjugé ou quelque degré de partialité; il révèle tout au plus une erreur dans l’évaluation du droit et des faits. Dépourvue de preuves additionnelles démontrant la partialité du membre instructeur au-delà d’une erreur de droit, une personne bien renseignée ne saurait arriver à la conclusion qu’il existe une crainte raisonnable de partialité.

[43]           Par exemple, dans Irvine c. Forces armées canadiennes, 2004 TCDP 9 [Irvine], le Tribunal avait conclu dans une décision précédente (Irvine c. Canada (Forces armées canadiennes), [2001] DCDP No 39) que les Forces armées canadiennes avaient agi de façon discriminatoire lorsqu’elles avaient libéré le plaignant pour cause médicale. En contrôle judiciaire (Irvine c. Canada (Forces armées canadiennes), 2003 CFPI 660), la Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en omettant d’appliquer le test Meiorin en fonction du principe de l’« universalité du service », un principe reconnu par la jurisprudence et voulant que chaque employé des Forces armées soit apte à être un soldat. Le dossier a donc été renvoyé au Tribunal pour une analyse ajustée et davantage motivé en fonction du principe de l’universalité du service.

[44]           Or, dans Irvine, le dossier renvoyé au Tribunal a été assigné au même membre instructeur. Comme dans plusieurs cas, les erreurs du membre d’un tribunal administratif ou d’un juge ne constituent pas, en soi, une crainte raisonnable de partialité.

[45]           Puisque l’intimé ne soulève aucun autre fait que ceux indiqués par la juge Tremblay-Lamer dans Conseil des Montagnais, la preuve est insuffisante et ne démontre pas une crainte raisonnable de partialité. Il s’ensuit que le maintien de l’instance devant le même membre instructeur du Tribunal n’est pas contraire aux principes de justice naturelle. Ainsi, l’ajournement demandé par l’intimé n’est pas fondé en droit.

C.                Préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients

[46]           Puisque l’intimé a plaidé sa demande en vertu du test énoncé dans MacDonald et Metropolitan Stores, il est utile de noter que la requête d’ajournement serait également refusée au terme du test à trois volets.

[47]           En supposant qu’il existe une question sérieuse, l’intimé n’a pas, à mon avis, fait la preuve d’un préjudice irréparable. À cet égard, l’intimé allègue que les coûts juridiques encourus ainsi que les sommes d’argent dont le Tribunal pourrait ordonner le paiement constituent un préjudice irréparable. Toutefois, il est bien établi que ce type de dépenses ne constitue pas un préjudice irréparable, mais plutôt un désagrément (Laurendeau au para. 19).

[48]           L’intimé allègue par ailleurs qu’il subirait un préjudice irréparable en risquant de dévoiler des éléments de preuve qui pourraient lui porter préjudice lors d’une nouvelle audience. Cette crainte ne semble pas fondée dans les circonstances. La Cour fédérale a renvoyé l’affaire au Tribunal pour que celui-ci considère et analyse une preuve déjà existante (Conseil des Montagnais au para 32. à 38). En outre, les faits soulignés par l’intimé ne fournissent aucune raison de croire que la présentation de nouveaux éléments de preuve soit nécessaire.

[49]           Quant à la prépondérance des inconvénients, à mon avis, l’inconvénient pour les plaignantes de ne pas avoir droit au règlement expéditif de leur plainte, après déjà plusieurs années de litige, est supérieur à l’inconvénient pour l’intimé d’avoir à se soumettre à la présente instance.

D.                L’intervention de la Commission

[50]           En ce qui concerne l’objection de l’intimé à l’intervention de la Commission,  celle-ci n’est pas fondée en droit. La Règle 1(1) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne précise l’objet des règles, notamment :

a) que toutes les parties à une instruction aient la possibilité pleine et entière de se faire entendre;

[51]           Or, la Règle 1(3) définit « partie » comme suit :

« partie », dans le cas d’une instruction, désigne la Commission canadienne des droits de la personne, le plaignant et la personne faisant l’objet de la plainte;

[52]           À mon avis, la Règle 1(3) implique que la Commission est une partie à toute instance devant le Tribunal et peut choisir d’intervenir à tout moment en vertu de la Règle 1 et en dérogation à la Règle 8 sur l’adjonction de parties et de parties intéressées. En outre, l’intimé n’invoque aucune autorité à l’effet contraire. La Commission était et demeure en droit d’intervenir dans la présente instance.

IV.             Conclusion

[53]           Pour les raisons qui précèdent, la requête d’ajournement de l’intimé est rejetée.

Signée par

Michel Doucet

Membre du tribunal

OTTAWA (Ontario)

Le 11 avril 2012

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal: T1318/4808

Intitulé de la cause: Évelyne Malec et autres v. Conseil des Montagnais de Natashquan

Date de la décision sur requête du tribunal: Le 11 avril 2012

Comparutions:

Daniel Jouis, pour les plaignantes

François Lumbu and Giacomo Vigna, pour la Commission canadienne des droits de la personne

John White / Marie Eve Pouliot, pour l'intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.