Tribunal canadien des droits de la personne

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TD 4/ 88 Décision rendue le 11 mars 1988

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée

Dans l’affaire d’une audience devant le tribunal des droits de la personne constitué conformément à l’article 39 de la Loi.

ENTRE JOHN F. SCHAAP ET PAUL M. LAGACÉ Plaignants - ET LES FORCES ARMÉES CANADIENNES Mis en cause

TRIBUNAL : JOHN R. A. DOUGLAS

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : JAMES HENDRY, avocat des plaignants et de la Commission canadienne des droits de la personne; BRIAN SAUNDERS, avocat du mis en cause;

DATES DE L’AUDIENCE : les 9 et 10 mars 1987

TRADUCTION: ORIGINAL EN ANGLAIS

INTRODUCTION

M. John F. Schaap a déposé une plainte, datée du 15 ao t 1980, auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il y affirmait que le ministère de la Défense nationale commettait ou avait commis un acte discriminatoire le ou vers le 1er ao t 1980. Cette discrimination, d’après lui, se fondait sur son état matrimonial puisqu’il n’aurait pas eu accès aux résidences normalement réservées aux couples mariés, parce qu’il vivait en union de fait. Une lettre datée du 20 ao t 1980 et adressée au Directeur général, Coordination du personnel, ministère de la Défense nationale, donne des prévisions sur la plainte, faisait notamment valoir que celle- ci s’appuie sur l’article 6 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 77, c. 33.

Quant à l’autre plaignant, M. Paul M. Lagacé, dans une plainte adressée à la Commission et datée du 16 juillet 1984, il a affirmé que le ministère de la Défense nationale commettait ou avait commis un acte discriminatoire le ou

vers le mois de juin 1982 et par la suite, et que cette discrimination était fondée sur son état matrimonial et sa situation de famille. M. Lagacé affirmait qu’on lui avait refusé une résidence privée pour personne mariée parce qu’il n’était pas marié affirmait que le ministère de la Défense nationale l’avait défavorisé en raison de son état matrimonial et de sa situation de famille, en contravention du paragraphe 7 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 77, C. 33, version modifiée par la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 143, et que cette pratique du mis en cause touchant l’allocation des résidences le privait, personnellement et en tant que membre d’une catégorie, à savoir les personnes qui vivent en union de fait, des avantages sociaux des employés, en raison de son état matrimonial et de sa situation de famille, en contravention du paragraphe 10 a) de la Loi.

> - 2 Le 7 ao t 1986, le prisent tribunal a été nommé en vertu du paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (citée plus haut), pour instruire la plainte de John F. Schaap et pour déterminer si l’acte faisant l’objet de la plainte constituait une discrimination dans la prestation de services, fondée sur la situation matrimoniale. Le 2 mars 1987, le tribunal a été chargé d’instruire la plainte de M. Paul M. Lagacé et de déterminer si l’acte faisant l’objet de la plainte constituait une discrimination dans l’emploi fondée sur la situation de famille et l’état matrimonial, dont il est question dans les paragraphes 7b) et 10 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La compétence du présent tribunal repose sur les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne S. C. 19716- 77, c. 33, version modifiée. D’après l’article 39( 1), la Commission des droits de la personne peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne pour instruire la plainte. Le paragraphe 40( 1) définit les fonctions de ce tribunal et précise qu’il doit examiner l’objet de la plainte et donner aux partis qui en ont reçu avis la possibilité pleine et entière de paraître devant lui et de présenter des éléments de preuve et des arguments, même par l’intermédiaire d’un avocat.

Les dispositions sur lesquelles se fondent les plaintes se lisent comme suit: Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 77, c. 33, art. 6 :

"Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de locaux commerciaux ou de logements

a) de priver de leur occupation, ou

> - 3 -

b) de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite."

Loi canadienne sur les droits de la personne (citée plus haut), telle

que modifiée par la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 143, art. 7 :

"Constitue un acte discriminatoire le fait (...) b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement pour un motif de distinction illicite."

Art. 10 :

"Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite (...) pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus."

Il est important de souligner, dès le départ, que la Loi canadienne sur les droits de la personne a été modifiée après le dépôt de la plainte de M. Schaap et avant celui de la plainte de

> - 4 M. Lagacé. Si cette modification a tant d’importance en l’espèce, c’est que l’expression situation de famille, en tant que motif illicite de discrimination, a été ajoutée dans la modification de 1983. Ce motif ne pouvait donc être invoqué par M. Schaap. A cela s’ajoute une autre différence. En effet, le paragraphe 14 g) de la Loi ne peut être invoqué pour la défense dans le cas du plaignant Lagacé, puisque celui- ci se prévaut des articles 7 et 10. Il n’est pas non plus possible de l’invoquer en rapport avec la plainte Schaap, car le paragraphe 14 g) ne figurait pas dans la Loi à l’époque.

OBJECTION PRÉLIMINAIRE DU MIS EN CAUSE

M. Brian Saunders, avocat du mis en cause, a soulevé une objection préliminaire quant à la compétence du tribunal, soutenant que les allégations contenues dans les plaintes n’entraient pas dans le champ de la protection prévue par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Au vu des plaintes, a- t- il fait valoir, les plaignants soutiennent avoir été privés d’un certain droit par les Forces armées canadiennes, en raison du fait qu’ils vivaient en union de fait. A cela, le mis en cause répond que ni l’état matrimonial ni la situation de famille, soient les deux motifs illicites de discrimination invoqués dans les plaintes, n’englobent l’union de fait, ii n’assurent quelque protection à cet égard.

D’après le mis en cause, le fait que les notions de situation de famille et d’état matrimonial englobent ou non une relation de fait était une question de droit. Si elles ne l’englobent pas, le tribunal n’a alors aucune compétence pour examiner la question de savoir si le mis en cause a oui ou non commis un acte discriminatoire. C’est pourquoi le mis en cause soutenait que la question de la compétence du tribunal devait être examinée comme il se

doit au début et non pas à la fin de l’instruction. > - 5 A l’appui de son raisonnement, M. Saunders a renvoyé le tribunal à l’affaire Bell c. la Commission ontarienne des droits de la personne (1971), 18 D. L. R. (3d) 1 (C. S. C.). Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si une allégation faite à la Commission ontarienne des droits de la personne relevait ou non de la compétence du tribunal. Le mis en cause avait sollicité une interdiction des tribunaux pour mettre un terme aux délibérations en cours devant la commission d’enquête. Le mis en cause m’a cité une déclaration de M. le juge Martland, à la page 19 :

(traduction)

"Les pouvoirs dévolus à une commission d’enquête visent à l’habiliter à déterminer si, oui ou non, il y a eu discrimination dans des domaines qui entrent dans le champ d’application de la Loi. Elle n’a pas le pouvoir d’examiner les prétendus cas de discrimination dans les domaines qui ne sont pas du ressort de la Loi ni de faire des recommandations à cet égard."

Poursuivant son raisonnement, M. Saunders a soutenu que, si le tribunal n’avait pas compétence pour la plainte, il ne devrait certainement pas entendre les témoignages.

Dans l’affaire Bell, la Cour suprême du Canada a accordé une ordonnance d’interdiction, concluant que la Commission n’aurait pas compétence pour instruire la plainte et que l’appelant ne pouvait être forci d’attendre la décision de la Commission sur cette question avant d’entreprendre des démarches pour qu’un tribunal tranche la question, c’est- à- dire en demandant une interdiction. Cela n’équivaut pas à affirmer que la Commission d’enquête ne peut entendre aucune preuve avant de prendre une décision à propos de son domaine de compétence. Dans de nombreux cas, il est essentiel que l’instance en question prenne connaissance des faits avant d’être en mesure de décider si, oui ou non, la plainte relève de sa compétence.

> - 6 Autre affaire citée par le mis en cause dans son objection préliminaire : Procureur général du Canada c. Peter Cumming, membre du tribunal des droits de la personne [1980] 2 C. F. 122 (C. A. F.). Dans cette affaire, on avait sollicité un bref d’interdiction pour empêcher le tribunal des droits de la personne d’examiner certaines plaintes déposées devant la Commission canadienne des droits de la personne. Dans le cas Cumming, la Cour a refusé le bref, estimant qu’il n’était pas certain que le tribunal n’avait pas compétence pour traiter le dossier. A la page 130 de la décision, M. le juge Thurlow déclare ce qui suit :

(traduction)

"Si, comme je le crois, il était dans les pouvoirs de Commission de constituer le tribunal, les articles 40 et 41 ont pour effet d’investir ce tribunal du pouvoir de tenir une enquête et, à l’issue de celle- ci, de déterminer toute la question de savoir si les actes discriminatoires évoqués dans les plaintes ont été établis, ainsi que toute question

subsidiaire quant à savoir si, oui ou non, la conduite faisant l’objet de la plainte et ayant été établie pouvait, en droit, être considérée comme une discrimination illicite en vertu de la Loi."

Ce que le juge Thurlow a déclaré, c’est que la Cour était indubitablement habilitée, lorsque la compétence d’un tribunal inférieur pose une question de droit claire et distincte sur des faits non contestés, de trancher ce point de droit et, si sa conclusion veut que le tribunal n’ait pas compétence, d’interdire à ce tribunal de procéder. Le juge n’a pas affirmé qu’un tribunal n’avait pas le droit d’entendre les faits avant de trancher les questions de compétence.

> - 7 Comme nous l’avons vu dans l’affaire Procureur général du Canada c. Cumming, les articles 40 et 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne investissent le tribunal du pouvoir de tenir une enquête et, à l’issue de celle- ci, de déterminer toute la question de savoir si il y a eu acte discriminatoire, y compris de décider si, oui ou non, la conduite faisant l’objet de la plainte et ayant été établie pouvait, en droit, être considérée comme une discrimination illicite en vertu de la Loi. Dans le cas présent, je conclus qu’il était approprié pour le tribunal de procéder à l’audience de la preuve, avant de prendre une décision sur l’objection du mis en cause quant à la compétence du tribunal.

FAITS A.) JOHN SCHAAP

La relation entre John Schaap et Francine LeMoine a commencé vers le mois de mai 1979, lorsqu’ils ont commencé à vivre ensemble, partageant un appartement avec un autre couple. M. Schaap a par la suite été transféré ou posté à Chypre. Pendant ce temps, Mme LeMoine a continué d’occuper leur appartement. Vers le mois d’avril 1980, M. Schaap est revenu au Canada et a été transféré à la base de Gagetown.

Au mois de juillet ou d’ao t 1980, il a entamé des démarches pour solliciter une résidence de personnes mariées pour lui- même et Mme LeMoine. Il a cherché à obtenir la formule de demande nécessaire. Toutefois, son sergent de troupe et, plus tard, son officier de troupe, l’ont informé que ce n’était pas la peine d’essayer puisqu’il vivait en union de fait. Lorsqu’il a annoncé son intention de demander réparation, on lui a laissé entendre que sa carrière pourrait en souffrir. Il s’est alors adressé à la Commission canadienne des droits de la personne et, plus tard, a déposé la plainte actuellement instruite par le présent tribunal.

> - 8 M. Schaap a indiqué que, depuis le mois de mai 1979, il avait le même domicile que sa conjointe de droit commun, tous deux partageant les dépenses et les travaux de maison et se présentant en société comme un couple, plutôt que comme deux personnes distinctes. M. Schaap allait d’ailleurs épouser Mme Lemoine en mai 1984. Il a alors obtenu une résidence pour personne mariée au mois d’ao t de cette année. M. Schaap affirme que la cérémonie du mariage n’a rien changé à leur relation. Du fait qu’on lui avait refusé la résidence pour personne mariée, M. Schaap a d assumer une hausse de ses dépenses de

subsistance par rapport à ce qu’il lui en aurait co té si on lui avait offert le logement qu’il avait demandé au départ.

B.) PAUL LAGACÉ

M. Lagacé a commencé à cohabiter avec Mme Amy Sam vers le mois de janvier 1980. Mme Sam avait un fils, Kenneth, d’un premier mariage, qui partage le domicile de M. Lagacé depuis cette date. Au mois de mars 1982, M. Lagacé a été informé qu’il était transféré à North Bay (Ontario). A ce moment, il a expliqué à son supérieur qu’il aurait besoin d’une résidence pour personne mariée, et un message à cet effet a été envoyé à la base de North Bay, demandant que le nom de M. Lagacé soit porté sur la liste d’attente. On a par la suite annoncé à M. Lagacé qu’il ne pouvait figurer sur cette liste, puisqu’il n’était pas considéré comme marié. On lui a également déclaré que, à moins qu’il n’adopte légalement Kenneth, il ne pourrait figurer sur la liste d’attente des personnes avec famille. Il a été dit à M. Lagacé qu’on le traitait comme un célibataire et que les Forces armées canadiennes ne reconnaissaient pas les unions de fait.

Pour ce qui touche sa relation avec Mme Sam, M. Lagacé a indiqué qu’au mois de décembre 1979, il avait pris un engagement envers elle. Mme Sam ne voulait pas se marier légalement parce qu’à cette époque, cela aurait affecté son statut d’Indienne.

> - 9 Toutefois, à partir de ce moment, l’un et l’autre se sont présentés comme mari et femme. M. Lagacé déclare qu’il s’est considéré comme engagé envers Amy Sam et Kenneth à partir du mois de décembre 1979. Il a également démontré que, depuis 1983, aux fins de l’impôt, Kenneth figurait dans sa déclaration comme une personne à charge.

Cette impossibilité d’obtenir une résidence pour personne mariée a forcé M. Lagacé à se loger, avec Amy Sam et Kenneth, à l’extérieur de la base. Le logement en question co tait beaucoup plus cher que les résidences pour personne mariée que les Forces armées canadiennes auraient pu mettre à sa disposition.

POLITIQUE DU MIS EN CAUSE

Dans le cas des deux plaintes, il est nettement prouvé que les plaignants se sont fait refuser des résidences pour personne mariée, parce que l’union de fait ou mariage de droit commun par les deux plaignants n’était pas reconnu par le ministère de la Défense nationale et parce que ce ministère ne reconnaissait pas non plus la famille de M. Lagacé. Ces faits n’ont pas été niés parle procureur du mis en cause. Le procureur des plaignants a déposé en preuve une formule de demande pour obtenir une résidence de personne mariée. Parmi les conditions d’occupation expressément citées dans la formules on peut lire ceci :

(traduction)

"Les unions de fait ne sont pas reconnues".

Le procureur a également présenté des correspondances concernant les plaignants, où il est clairement fait allusion à une politique du mis en cause selon laquelle les résidences pour personne mariée ne sont pas accordées aux requérants qui vivent en union de fait lorsqu’il n’y a aucun enfant apparenté au requérant par le sang, le mariage ou l’adoption et pour lequel un dégrèvement d’impôt pour personne à charge est sollicité.

> - 10 Cette politique figure dans les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (O. R. F. C.) adoptés en application de la Loi sur la Défense nationale S. R., c. 184. L’article 1.075 stipule ce qui suit :

"Aux fins des volumes I et III des ORFC, un officier ou homme est considéré comme étant marié pourvu qu’un mariage ait été célébré..."

L’article 28.06 qui traite du droit d’occuper les logements des militaires mariés se lit comme suit :

(traduction)

"Sous réserve des dispositions du paragraphe (2) du présent article, un officier ou homme et sa famille ont droit d’occuper un logement de militaire marié lorsque :

a) le logement est disponible; b) l’officier ou homme est marié, ou est célibataire mais a un enfant

par le sang, le mariage ou l’adoption à sa charge déclaré comme personne à charge aux fins de l’impôt sur le revenu, à condition que l’épouse ou l’enfant à charge, selon le cas, demeure ordinairement avec l’officier ou homme;..."

Dans l’article 209.80 des ORFC et dans l’article 28- 3 des OAFC, le terme famille est défini aux fins de l’octroi des logements : il s’entend des personnes à charge de l’occupant, lesquelles sont son épouse légale ou une personne apparentée par le sang, la mariage ou l’adoption qui réside ordinairement avec lui et pour laquelle il est admissible à un dégrèvement personnel aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, ainsi que certaines autres personnes qui n’intéressent pas la présente affaire.

> - 11 COMPÉTENCE

Comme nous l’avons dit plus haut, le mis en cause a fait valoir une première objection quant à la compétence du présent tribunal, affirmant que les allégations contenues dans les plaintes n’entraient pas dans le cadre des motifs illicites de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Or, la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bell c. la Commission ontarienne des droits de la personne, citée plus haut, a fait une déclaration claire sur le pouvoir d’un tribunal. Citons ce passage de la page 19 de la décision :

(traduction)

"Les pouvoirs dévolus à une commission d’enquête visent à l’habiliter à déterminer si, oui ou non, il y a eu discrimination dans des domaines qui entrent dans le champ d’application de la Loi. Elle n’a pas le pouvoir d’examiner les prétendus cas de discrimination dans les domaines qui ne sont pas du ressort de la Loi ni de faire des recommandations à cet égard".

La question fondamentale qui se pose à ce tribunal est donc de savoir si les plaintes examinées tombent sous le coup des discriminations illicites, ainsi que l’affirment les plaignants.

Dans le cas présent, la question de base sur laquelle je dois trancher avant tout, a été résumée de façon concise dans le plaidoyer du procureur du mis en cause, comme suit :

(traduction)

"L’expression état matrimonial recouvre- t- elle les unions de fait? Dans la négative, l’expression situation de famille les recouvre- t- elle?"

> - 12 Malheureusement, ni l’un ni l’autre de ces termes n’est défini dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Étant donné l’importance de chacun d’eux pour l’application de la Loi et pour la compétence des tribunaux, et étant donné l’absence de toute déclaration définitive sur leur signification, cette lacune m’apparaît comme un défaut sérieux de la Loi.

A.) PRINCIPES D’INTERPRÉTATION DES LOIS

M. le juge McIntyre, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malley c. Simpsons- Sears Limitée et al. [1985] 2 R. C. S. 536 (C. S. C.), déclare ce qui suit à propos de la nature de l’objectif de la législation concernant les droits de la personne en général et du préambule du Code des droits de l’homme de l’Ontario plus particulièrement :

(traduction)

"Nous trouvons là un énoncé des Principes fondamentaux du Code, et ce sont ces principes qui être mis en vigueur. Il n’est pas juste, à mon sens, d’affirmer que les règles courantes de l’interprétation ne pas de donner au Code un sens plus large que celui qui découle de l’interprétation la plus étroite des termes employés. Les règles courantes de l’interprétation sont assez souples pour permettre à la Cour de reconnaître, dans l’interprétation d’un code des droits de la personne, la nature et l’objectif particuliers de son application (juge Lamer, dans l’affaire Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink [1982] 2 R. C. S. 145, p. 157 et 158) et l’interpréter de manière à favoriser ses objectifs généraux. Il s’agit là de lois d’une nature particulière. Sans être tout à fait constitutionnelles, elles prévalent certainement sur les lois ordinaires. C’est aux tribunaux qu’il revient de

> - 13 cerner leurs objectifs et de les réaliser. Le Code vise la suppression de la discrimination. C’est là une évidence." (p. 546 et 547)

L’affaire Simpsons- Sears concernait le Code des droits de l’homme de l’Ontario. Toutefois, le même tribunal s’est prévalu du même raisonnement par la suite, à savoir dans l’affaire K. S Bhinder et la Commission canadienne

des droits de la personne c. les Chemins de fer nationaux du Canada [1985] 2 R. C. S. 561, affaire où il était question de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La Cour suprême du Canada a clairement annoncé que la législation des droits de la personne était d’une nature particulière et que les cours et les tribunaux devaient cerner ses objectifs et les réaliser. C’est là un des principes fondamentale de l’interprétation des lois.

Afin de déterminer quel est l’objectif de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de définir le méfait qu’elle vise à empêcher, il nous faut consulter le préambule de la Loi qui se lit comme suit :

"OBJET La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience."

> - 14 Cette citation est tirée de la version modifiée de la Loi, qui est légèrement différente de l’ancien texte. Cependant, l’objectif des deux lois est le même. D’après la Loi d’interprétation, S. R. C., 1970, chaque texte législatif est censé réparateur et doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus proche à assurer la réalisation de ses objets.

Le procureur du mis en cause a souligné, à raison, dans ses prestations que la Cour suprême du Canada, dans l’affaire O’Malley c. Simpsons- Sears avait déclaré que les règles de la bonne interprétation étaient suffisamment souples pour permettre à un tribunal de reconnaître la nature et l’objet particuliers d’un code des droits de la personne. Mais la Cour suprême du Canada n’a pas laissé entendre que les règles habituelles de l’interprétation des lois ne s’appliquaient pas à ce type de législation.

Dans l’affaire Commission canadienne des droits de la personne c. Lignes aériennes du Canadien Pacific, un tribunal, dans une décision prise en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (1983) 4 C. H. R. R. D/ 1392, para. 12016, a arrêté ce qui suit à propos de l’interprétation des lois :

(traduction)

"Dans l’interprétation des passages procéduriers de la Loi, tout tribunal devrait utiliser le bon sens pour appliquer l’intention du Parlement, en réfléchissant soigneusement aux mots employés, au contexte dans lequel ils sont employés dans les différents articles, à la juxtaposition des autres articles et à l’ensemble de la loi. Il me semble que cela peut se faire sans, d’une part, rejeter une plainte autrement valide pour des raisons de mauvaise application des procédures, ni, d’autre part, étendre le sens des termes et des expressions de la loi comme un immense bandage, de manière à couvrir tous les actes qui pourraient être perçus subjectivement comme discriminatoires."

> - 15 Dans l’affaire Blatt c. Catholic Children Aid Society (1980) 1 C. H. R. R. D/ 72, le tribunal a pris soin de ne pas légiférer dans un domaine que le législateur avait laissé imprécis. Dans l’affaire Bosi c. municipalité de Michipicoten et K. P. Zurby, (1983) 4 C. H. R. R. D/ 250, le tribunal se trouvait devant le problème de savoir si l’expression état matrimonial devait s’entendre de l’embauchage de personne apparentée. Au paragraphe 10916, le tribunal déclare ce qui suit :

(traduction)

"Si c’est le cas, la présente commission devrait- elle étendre la signification de l’expression état matrimonial au- delà de ses limites claires et naturelles ? Je ne le crois pas. Pour paraphraser Lord Reid dans l’affaire Shaw c. D. P. P. [1962] A. C. 220, la présente commission ne devrait pas se précipiter là où le législateur craint de s’avancer."

Pour l’interprétation des expressions situation de famille et état matrimonial, j’accepte les principes de l’interprétation des lois selon lesquels on doit reconnaître la nature et l’objet particuliers des lois relatives aux droits de la personne, pour en cerner l’objet et y donner effet. Je ne crois toutefois pas que cela m’autorise à étendre le sens des mots et à outrepasser leur signification ordinaire et naturelle. Il n’est pas de mon ressort de légiférer dans les domaines que le Parlement a laissés imprécis. La loi relative aux droits de la personne que je dois appliquer interdit certaines discriminations, mais non pas toutes. Le Parlement a cru bon de préciser divers motifs de discrimination dans les articles 2 et 3. Il n’a toutefois pas donné de définition de ces motifs.

B.) ÉTAT MATRIMONIAL

Le terme état matrimonial n’est pas défini dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, on le retrouve dans certaines lois provinciales sur les droits de la

> - 16 personne et dans quelques lois fédérales. Il n’a pas toujours la même signification. Manifestement, il n’existe aucune définition définitive émanant soit du Parlement soit des assemblées législatives provinciales.

Le recours aux termes état matrimonial et situation de famille, en tant que motifs interdits de discrimination, dans les lois relatives aux droits de la personne fait l’objet d’une réflexion du Pr Walter Tarnopolsky, au chapitre 9 de son manuel intitulé Discrimination in Law (1985). Voici ce qu’il en dit à la page 9- I :

(traduction)

"En 1971, l’Alberta a été la première zone de compétence canadienne à ajouter l’ état matrimonial comme motif prohibé de discrimination dans sa loi sur les droits de la personne (S. A. 1971, c. 48). Entre 1971 et 1975, toutes les autres zones de compétence, sauf le Québec, le Manitoba, le Canada et la Saskatchewan, ont fait de même. C’est en 1975 que le Québec a adopté sa Charte (S- Q. 1975, c. 6), où l’un des motifs

interdits de discrimination l’ était civil. L’année suivante, (dans S. M. 1976, c. 48), le Manitoba a ajouté parmi ses motifs interdits l’ état matrimonial et la situation de famille. Lorsque la Loi canadienne sur les droits de la personne fut adoptée en juillet 1977, les termes état matrimonial en français et marital status en anglais y figuraient (S. C. 1976- 77, c. 33). En 1983, des modifications ont été apportées à la loi fédérale pour préciser ce passage. L’expression française situation de famille a été remplacée par état matrimonial et l’expression anglaise family status ( situation de famille dans la version française) a été ajoutée à la liste des motifs interdits de discrimination (S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 143, art. 2). En 1979, la Saskatchewan a été la dernière zone de compétence à ajouter

> - 17 l’expression marital status à son code (S. S. 1979, C. S- 24.1). Ces garanties ont été maintenues lors des révisions récentes de ces lois. Le Code ontarien, proclamé en 1982, contient à la fois les expressions marital status et family status, tandis que la loi de la Colombie- Britannique, adoptée en 1984, comprend marital status."

Les seules zones de compétence du Canada qui définissent l’état matrimonial sont la Saskatchewan et l’Ontario. Au paragraphe 9( g) du Code des droits de l’homme de l’Ontario, se trouve la définition suivante :

" État matrimonial : le fait d’âtre marié, célibataire, veuf, divorcé ou séparé. La présente définition inclut le fait de vivre avec une personne du sexe opposé dans une union conjugale hors des liens du mariage."

Dans la législation de la Saskatchewan, c’est au paragraphe 1( a) du Règlement découlant de la loi que se trouve la définition équivalente :

(traduction)

"L’expression état matrimonial s’entend du fait d’être fiancé, marié, célibataire, séparé, divorcé, veuf ou conjoint de fait, mais une discrimination ayant pour motif la relation d’une personne avec une autre personne ne constitue pas une discrimination fondée sur l’état matrimonial."

Aucune autre zone de compétence ne définit l’état matrimonial dans sa législation relative aux droits de la personne.

> - 18 L’une des rares affaires qui traitent de la question de savoir si une union de fait entre dans la signification de l’expression état matrimonial est l’affaire Bailey et al. c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada (1980), 1 C. H. R. R. D/ 193. Les plaignants dans cette affaire n’étaient pas mariés légalement, mais vivaient ensemble depuis cinq ans. Ils ont porté plainte contre le ministre du Revenu national, alléguant qu’on avait exercé une discrimination contre eux fondée sur leur état matrimonial. La plaignante Bailey avait fait vivre l’autre plaignant, Carson, et avait réclamé un dégrèvement fiscal relatif à l’ état matrimonial dans sa déclaration d’impôt pour l’année 1977, en application de la Loi de l’impôt sur le revenu (alinéa

109 (1) a)). Cette affaire a été instruite par un tribunal d’un membre nommé en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans le passage allant du paragraphe 1735 à 1739 de sa décision, le président du tribunal, M. Cumming s’est penché sur la signification de l’expression état matrimonial au sens de l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Soulignons qu’à cette époque la situation de famille ne constituait pas un motif interdit en vertu de la Loi. Le président Cumming a fait valoir qu’une disparité de traitement fondée sur le fait qu’une personne vit en concubinage soulevait des questions relatives à la discrimination fondée sur l’état matrimonial.

Dans sa décision, le savant président s’est appuyé sur les affaires Blatt c. The Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto (1980), 1 C. H. R. R. D/ 72, et Kerry c. Zellers Ltée, décision d’une commission d’enquête ontarienne. Au paragraphe 1739, le président Cumming déclare ce qui suit :

> - 19 (traduction)

"Pour reprendre l’expression du Pr Dunlop (président dans l’affaire Blatt c. The Catholic Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto), l’on peut dire que Mme Bailey et M. Carson vivent comme s’ils étaient mariés sans être mariés, et que cela décrit leur état matrimonial. C’est pourquoi ils sollicitent le dégrèvement accordé en vertu de l’alinéa 109( 1) a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dégrèvement qui a pour objectif d’exempter une part supplémentaire du revenu du contribuable marié en raison de son état matrimonial, c’est- à- dire parce qu’il a d faire vivre son conjoint au cours de l’année. Mme Bailey demande la déduction parce qu’elle est dans la situation voulue et qu’elle répond à tous les critères, sauf que M. Carson n’est pas son conjoint par mariage. En dépit de la similitude de la situation de fait (exception faite du mariage), à titre de contribuable marié avec conjoint à charge, l’état matrimonial différent de Mme Bailey est fatal. Ainsi, c’est à raison que les plaintes de Mme Bailey et de M. Carson font référence au motif illicite de l’ état matrimonial."

Une autre affaire où il a été question de l’ état matrimonial est celle d’Air Canada c. Bain. (1982) 3 D/ 632 dans laquelle la Cour fédérale d’appel a cassé la décision d’un tribunal des droits de la personne et arrêté que le tarif famille d’Air Canada ne constituait pas une discrimination fondée sur l’état matrimonial. A l’époque de cette affaire, la situation de famille (family status) ne figurait pas parmi les motifs illicites de discrimination. Mme Bain était célibataire et souhaitait voyager à bord d’Air Canada avec un ami. Elle a alors appris qu’elle ne pouvait se prévaloir du tarif famille, parce qu’elle n’était pas apparentée à son compagnon de voyage. M. le Juge Pratte, se prononçant au nom de la Cour d’appel fédérale, a renvoyé le dossier au tribunal, jugeant que les dispositions régissant le tarif famille d’Air Canada ne comportaient aucune discrimination fondée sur l’état matrimonial.

> - 20 M. le Juge Pratte a conclu que le tarif en question était destiné aux familles ou aux couples voyageant ensemble et que, par conséquent, l’état

matrimonial qu’il devait servir à en déterminer le caractère discriminatoire était celui du couple voyageant ensemble et non celui de chacune des deux personnes qui composaient le couple. Même si le caractère discriminatoire du tarif famille devait être évalué de cette façon, il serait impossible d’affirmer qu’il y avait là discrimination fondée sur l’état matrimonial, puisque le tarif était offert non seulement aux personnes mariées voyageant ensemble, mais aussi à celles qui, sans être mariées, vivaient ensemble de façon plus ou moins permanente et qui, pour cette raison, constituaient une famille de fait.

La question de l’état matrimonial a aussi fait l’objet d’un examen dans l’affaire de la Commission canadienne des droits de la personne c. Lignes aériennes du Canadien Pacifique (1933), 4 C. H.. R. R. D/ 1392. Le plaignant soutenait que la politique des Lignes aériennes du Canadien Pacifique voulant que les enfants des employés reçoivent la préférence pour les emplois d’été violait l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le tribunal a arrêté que la discrimination fondée sur l’état matrimonial était interdite mais que cette interdiction ne pouvait s’étendre de manière à protéger tous les membres de la famille. Il est important de se rappeler qu’à cette époque c’était la version de 1977 de la Loi qui était en vigueur, c’est- à- dire celle où le terme situation de famille figurait dans la version française, tandis que la version anglaise rie contenait pas l’expression family status.

Dans sa décision, le tribunal a tenu compte de l’écart entre l’anglais et le français, pour conclure, au paragraphe 12026, que l’expression marital status, selon toutes les définitions des dictionnaires, concernait la relation entre un mari et sa femme dans les liens du mariage et ne pouvait aucunement être étalée de

> - 21 manière à inclure la pratique voulant qu’on accorde la préférence aux enfants à l’embauchage. Le tribunal était d’avis qu’en interprétant littéralement l’expression française, c’est- à- dire la situation de famille il faudrait comprendre les enfants et que s’il y avait discrimination fondée sur leur situation dans la famille, cela équivaudrait à un acte discriminatoire. Pour résoudre cette difficulté, le tribunal a conclu que, comme les expressions marital status et situation de famille devaient signifier la même chose dans la Loi il fallait interpréter de façon restrictive la version française, laquelle ne pouvait donc comprendre les enfants.

Plus récemment, la portée de l’expression marital status telle qu’elle figure au paragraphe 3( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne a fait l’objet d’un examen du tribunal dans l’affaire Rosann Cashin c. Canadian Broadcasting Corporation. Cette décision non rapportée date du 29 Janvier 1987. La plaignante dans cette affaire avait été empêchée de conserver son poste de rédactrice commentatrice à la CBC, à Terre- Neuve, parce que son mari était connu du public. A la page 5 de sa décision, le tribunal d’appel passe en revue une série d’affaires où, estime- il, l’interprétation étroite de l’état matrimonial avait été adoptée, soit Blatt c. Catholic Children’s Aid Society, citée plus haut, Bosi c. municipalité de Michipicoten, citée plus haut; et St. Paul’s Roman Catholic Separate School District No. 20 c. le Syndicat des employés de la Fonction publique (1982), 3 C. H. R. R. D/ 915.

Dans cette affaire, toutefois, la question n’éteins pas de savoir si les unions de fait sont recouvertes par la définition, mais visait plutôt le

rapport entre l’identité du conjoint et l’état matrimonial. L’affaire Bailey c. le Ministre du Revenu national, citée plus haut, a été évoquée, mais sans que le raisonnement ayant présidé à la décision ne soit analysé, car il s’agissait là d’un problème différent.

> - 22 Dans l’affaire Blatt c. Catholic Children’s Aid Society, M. Blatt avait été licencié de son poste parce qu’il vivait avec sa fiancée dans une situation qui avait été décrite comme une relation de droit commun. La commission d’enquête qui a instruit cette plainte a jugé qu’il s’agissait là d’une question de style de vie ou de moralité sexuelle, et non pas d’état matrimonial.

D’ailleurs, l’affaire St. Paul’s Roman Catholic Separate School District No. 20 c. le Syndicat des employés de la fonction publique, citée ci- dessus, était analogue. En effet, la Cour du banc de la Reine de Saskatchewan avait examiné la question de savoir si l’expression marital status englobait les relations de droit commun aux fins d’une convention collective. En Saskatchewan, le Human Rights Code contenait une définition de l’état matrimonial qui englobait l’union de fait. La Cour a décidé que ce code ne s’appliquait pas à l’interprétation de la convention collective. Après avoir pris en considération le sens que donnent les dictionnaires aux termes marital et status, elle a déclaré ce qui suit, au paragraphe 8125 :

(traduction)

"Compte tenu à la fois de la définition de l’expression marital status, de la Marriage Act et de l’union de fait en vertu du droit commun, il me semble que le mis en cause ne possède aucun état matrimonial en droit, car l’on ne peut considérer qu’il en existe un chez l’homme et la femme qui vivent ensemble dans une relation de droit commun sans s’être mariés lors d’une cérémonie reconnue par la loi."

Dans l’affaire Vogel c. le Gouvernement du Manitoba (1983), 4 C. H. R. R. D/ 320, le Conseil d’arbitrage instruisait une plainte dans laquelle M. Vogel soutenait, en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba, qu’on avait exercé contre lui une discrimination fondée sur le sexe et l’état matrimonial en

> - 23 lui refusant, pour son partenaire homosexuel, la protection du régime dentaire à laquelle les autres employés ont droit pour leur partenaire hétérosexuel. L’état matrimonial n’est pas défini dans la loi manitobaine. Dans ce cas, le régime dentaire englobait expressément les conjoints de fait. Le Conseil d’arbitrage s’est reporté à l’ouvrage Dicrimination and the Law où, à la page 295, M. Tarnopolsky en arrive à la conclusion que l’ état matrimonial ne concerne que la relation maritale et le fait de savoir si une personne est mariée ou non. Le Conseil d’arbitrage a également pris en compte les définitions que les dictionnaires nous donnent du terme conjoint (spouse) et a conclu que le sens ordinaire de ce mot ne désignait qu’une relation entre un homme et une femme et que (traduction) le simple fait d’affirmer que deux hommes sont conjoints ou qu’ils ont un état matrimonial ne donne aucune réalité à la chose.

Dans plusieurs cas on s’est reporté au dictionnaire pour trouver, les définitions des termes. L’Oxford Dictionary of Current English (Oxford University Press, 1984) donne la définition suivante du terme marital :

"Of marriage, of or between husband and wife; (Traduction : du mariage; du mari et de la femme ou de leur relation.) Le terme marriage est défini comme suit :

"Condition of man and woman legally united for purpose of living together and usu. procreating lawful offspring; act or ceremony, etc. establishing this condition; particular matrimonial union (by a previous marriage);"

(Traduction : état d’un homme et d’une femme unis légalement dans le but de vivre ensemble et généralement de procréer des enfants légitimes; document ou cérémonie, etc. établissant cet état; union matrimoniale particulière (par un mariage antérieur).)

> - 24 Le Black’s Law Dictionary (édition de 1979) définit comme suit le terme marital :

"Relating to, or connected with, the status of marriage; pertaining to a husband; incident to a husband."

(Traduction : lié ou rattaché à l’état du mariage; concernant un mari; relatif à un mari.)

Il convient également de considérer status. Le Black’s Law Dictionary définit le terme status comme suit :

"Standing; state or condition; social position. The legal relation of individual to rest of the community. The rights, duties, capacities and incapacites which determine a person to a given class. A legal personal relationship, not temporary in its nature nor terminable at the mere will of the parties with which third persons and the state are concerned."

(Traduction : position; état ou condition; situation sociale. La relation légale entre l’individu et le reste de la collectivité. Les droits, devoirs, capacités et incapacités qui font qu’une personne appartient à une classe donnée. Une relation personnelle légale, non temporaire dans sa nature et non révocable du simple fait de la volonté des partis, et qui concerne des tierces personnes et l’État".

Les définitions de l’ état matrimonial figurant dans d’autres lois ne nous sont pas très utiles en raison de leurs divergences. Dans la législation relative aux droits de la personne de la Saskatchewan, l’état matrimonial n’englobe pas la relation de fait. Toutefois, cette relation de fait n’est pas définie dans la loi ni dans les règlements qui en découlent. En Ontario, par ailleurs, la loi définit l’état matrimonial comme incluant le fait de vivre avec une personne du sexe opposé dans une union conjugale hors des liens du mariage.

>-

- 25 Dans la législation des régimes de retraite, les définitions de conjoint et de veuf laissent nettement supposer que le législateur entend traiter les personnes mariées d’une façon différente de celles qui sont engagées dans une union de fait. Dans le Règlement sur l’application de la Loi canadienne des droits de la personne aux régimes de prestations (DORS/ 80- 68 version modifiée), la définition du terme conjoint inclut le conjoint de fait s’il y a eu cohabitation continue pendant une période donnée. En revanche, aucune règle ne stipule quelle doit être la durée d’un mariage légal.

Par ailleurs, la Loi sur la pension de la Fonction publique, R. S. C. 1970, c. P- 36 et le Régime de pensions du Canada, R. S. C. 1970, c. C- 5 disposent qu’une personne peut être réputée conjoint survivant" ou veuf (veuve) si elle établit, à la satisfaction du Ministre qu’elle a pendant un certain nombre d’années précédant le décès du cotisant avec qui elle résidait, été entretenue par ce cotisant et publiquement représente par lui comme étant son conjoint; ce sont là des facteurs qui s’appliquent au requérant légalement marié.

Dans la Loi portant réforme du droit de la famille de l’Ontario, S. O. 1986 c. 4, le terme conjoint est défini comme désignant un homme et une femme qui ne sont pas mariés, mais qui ont cohabité de façon continue pendant une période d’au moins trois ans, ou dans une relation de type permanente s’ils sont les parents naturels ou adoptifs d’un enfant. Ce texte de loi prévoit également des ententes de cohabitation pour les personnes qui habitent ensemble sans être mariées, ainsi que des contrats de mariage pour l’homme et la femme qui sont mariés ou qui ont l’intention de se marier. Il est très net dans cette loi que l’union de fait n’est pas considérée comme identique à celle où les parties se sont unies dans une cérémonie de mariages .

Aux termes de la Loi sur les services à l’enfant et à la famille et sur les relations familiales, L. N. B. 1980, c. 2.1, la définition du conjoint ne comprend pas les personnes vivant en

> - 26 union de fait, mais, lorsqu’un homme et une femme non mariés ont cohabité pendant un certain temps, il en découle des obligations.

Dans l’affaire Blatt c. Catholic Children’s Aid Society, citée plus haut, le Pr Dunlop, dans sa décision, se bute au sens des termes marital status et common law marriage (état matrimonial et mariage de droit commun). Il analyse la question comme suit, au paragraphe 569 :

(traduction)

"L’expression marital status n’est pas mieux définie dans le code, ni dans une autre loi, pas plus que dans la common law. Le dictionnaire ne nous aide guère, puisque le terme marital

y est défini comme du mariage ou concernant le mariage (Oxford English Dictionary) et que le terme status signifie entre autres choses, situation ou position juridique et situation par rapport au mariage ou au célibat (ibid.). L’on peut toutefois dire que, jusqu’à ces dernières années du moins, le droit en vigueur n’a reconnu que deux situations en ce qui concerne le mariage. Une personne est mariée ou non mariée, encore qu’il soit parfois difficile de savoir dans quelle catégorie entrent les gens. On peut se croire marié et ne pas l’être, et vice versa. Quant à

l’expression common law marriage (mariage de droit commun), dans la présente zone de compétence du moins, il s’agissait d’un euphémisme pour vivant ensemble comme s’ils étaient mariés, sans être mariés, situation désignée péjorativement par vivant dans le péché. Il y a peu de temps, la Loi portant réforme du droit de la famille 1978 (Ont. c. 2), sans utiliser le terme mariage a accordé des droits entre elles aux parties à ces relations, droits qu’elles n’avaient pas auparavant. La Loi reconnaît que la cohabitation en dehors du mariage peut, dans certaines circonstances, amener le droit au soutien, parce que dans

> - 27 les faits elle entraîne une dépendance. Cette Loi crée- t- elle ainsi une nouvelle forme de mariage ? Ou encore crie- t- elle un troisième état se situant entre le mariage et le célibat et que l’on peut qualifier d’état matrimonial ? La Commission estime que les termes choisis dans la Loi évitent soigneusement l’une et l’autre de ses possibilités."

Le recours à la définition du mariage et de la relation de droit commun dans la législation du droit de la famille est peu utile et engendre de la confusion. D’ailleurs, l’utilisation de ces termes dans les lois relatives au droit de la famille concerne des objectifs sociaux et législatifs complètement différents. Ainsi, à l’intérieur même de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario, le terme conjoint change de définition. A preuve, par exemple, la définition du conjoint dans la Partie I, article 1 et dans la Partie III, article 29. La première est nettement limitée aux personnes mariées ou aux personnes qui ont contracté un mariage nul ou annulable; en revanche, la dernière est élargie de manière à englober les personnes non mariées, mais qui ont cohabité de façon continue pendant une période d’au moins trois ans, ou encore qui entretiennent une relation avait une certaine permanence alors qu’elles sont les parents naturels ou adoptifs d’un enfant. La raisons pour laquelle la définition de la Partie III est plus large est que ce passage concerne les obligations de soutien des époux l’un envers l’autre et envers leurs enfants. Quand à la Partie I, elle concerne les biens de la famille. Il semble que la différence entre les définitions correspond à une différence dans les objectifs sociaux.

C.) SITUATION DE FAMILLE

Les affaires qui traitent de l’expression situation de famille, laquelle s’applique à la plainte de Paul Lagacé, sont encore moins nombreuses. Seules les lois de l’Ontario et du Manitoba concernant les droits de la personne contiennent des définitions de cette expression, et celles- ci sont sensiblement différentes l’une de l’autre.

> - 28 Dans la Human Rights Act du Manitoba S. M. 1974, Ch- 175, article 1( d. 1), l’expression family status est définie comme suit :

(traduction)

"Aux fins de la présente loi, la situation de famille comprend l’état d’une personne ou d’un parent non marié, d’une veuve ou d’un veuf ou celui d’une personne qui est divorcée ou séparée, ou l’état des enfants, personnes à charge ou membres de la famille d’une personne."

Dans le Code des droits de l’homme de l’Ontario, 1981 S. O. 1981, c. 53, on trouve la définition suivante :

(traduction)

"La situation de famille désigne le fait de participer à une relation parents- enfants."

Par ailleurs, dans son ouvrage intitulé Dicrimination and the Law, cité plus haut, le Pr Tarnopolsky fait les commentaires suivants à propos du mot famille, à la page 9.3 :

(traduction)

"Pour ce qui est du mot famille, toutefois, on reconnaît en common law qu’elle a plusieurs significations, qu’elle sert à désigner des relations diverses, qu’elle peut avoir plusieurs sens selon le contexte, ou bien s r que sa signification peut dépendre de la loi dans laquelle il est employé. D’autre part, on peut affirmer que tous les experts s’entendent sur le point suivant : bien que l’on doive lui donner un sens plus restreint dans certains cas, le mot désigne toujours la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité ou de l’adoption légale, y

> - 29 compris bien entendu la relation ancestrale, lorsqu’elle est légitime, illégitime ou adoptive, de même que les relations entre époux, frères et soeurs, beaux- frères et belles- soeurs, oncles ou tantes et neveux et nièces, cousins, etc.

Manifestemement, et nous verrons que toute restreinte qu’elle soit la jurisprudence le confirme, l’expression marital status limitée à la relation entre époux et à la question de savoir si une personne est mariée ou non, a un sens beaucoup plus étroit que family status, laquelle englobe de nombreux types de relations autres que la relation matrimoniale et la fait d’être marié ou non. A cet égard, la définition ontarienne de l’expression family status est surprenante, car elle restreint considérablement le sens de ce terme."

Parmi les quelques affaires auxquelles on m’a renvoyé et qui traitent de la définition de la situation de famille, je m’arrêterai à Monk c. C. D. E. Holdings Ltd. et al. (1983), 4 C. H. R. R. D/ 1381. La plaignait avait été licenciée parce que son mari possédait des intérêts dans l’entreprise qui 1 employait et que son mari et d’autres partenaires étaient impliqués dans un différend avec le mis en cause. Le conseil d’arbitrage nommé en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba a jugé que la plaignante avait été renvoyée parce qu’elle était liée par mariage à l’actionnaire impliqué dans le différend. A propos du terme family status (situation de famille) le conseil donne la définition suivante, au paragraphe 11904 :

(traduction)

"Il est manifeste que la toi manitobaine interdit la discrimination dans l’emploi fondée sur le simple fait qu’une personne soit mariée, ait des enfants, une mère, un père, des tantes, des oncles, etc. Il semble par ailleurs

> - 30 que, d’après la définition de l’expression family status dans la loi et d’après les différentes autorités et les savants auteurs qui m’ont été cités, la discrimination fondée sur l’individualisation de ces différents états - par exemple que telle personne soit l’époux ou l’épouse, ou encore l’enfant de l’individu en question - est également interdite, sauf si cette individualisation devait tomber sous le coup des exceptions des paragraphes 6( 6) ou 6( 7)".

Les autres textes de jurisprudence qui abordent la définition de l’expression family status (situation de famille) sont Moxen et al. c. Samax et al. (1985), 6 C. H. R. R. D/ 9835 et Fast c. Hanvold Expediting B. C. Ltd. (1985) 6 C. H. R. R. D/ 2507. Dans l’affaire Moxen, un conseil d’arbitrage nommé en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba a étudié une plainte selon laquelle les personnes en question s’étaient fait refuser des appartements parce qu’elles avaient des enfants. Le conseil d’arbitrage semble faire siens les propos du Pr Laraopolsky, auxquels nous avons fait allusion plus haut, et déclare à la page D/ 2839 de sa décision ce qui suit :

(traduction)

"Il m’apparaît nettement que l’expression family status (situation de famille) au sens de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba doit englober le fait d’avoir des enfants. La définition prévoit que family status ... comprend le fait (1) ... parents, ... ou l’état des enfants, des personnes à charge ou des membres de la famille d’une personne. Donc, le fait d’être un parent constitue en soi une situation de famille. Chacun des plaignants a été victime d’une discrimination lorsqu’il ou elle a sollicité un logement, pour la simple raison que chacun d’entre eux était un parent vivant avec ses enfants."

> - 31 Quant à l’affaire Fast c. Hanvold Expediting B. C. Ltd., citée plus haut, elle concernait l’ordonnance des Territoires du Nord- Ouest sur les justes pratiques (Fair Practices Ordinance), laquelle stipule qu’aucun employeur ne peut refuser d’employer... une personne ou la défavoriser dans quelque disposition ou condition d’emploi... en raison ... la famille de cette personne... le terme family (famille) n’est pas définit dans l’ordonnance. Dans cette affaire., le plaignait avait été renvoyé de son poste parce que son père avait entamé des procédures en vue du paiement d’arriérés contre une société qui avait engagé le mis en cause comme entrepreneur. Après avoir pris en considération la définition du terme dans l’Oxford English Dictionary, l’enquête avait conclu que le licenciement du plaignant reposait sur un motif discrimination, à savoir la famille.

Dans l’Oxford Dictionary of Current English, cité plus haut, le mot family est défini comme suit :

"Set of parents and children or of relatives; person’s children; members of household; all descendants of one lineage, group of kindred peoples, related objects ..."

(Traduction : L’ensemble des parents et des enfants ou des personnes

apparentées; les enfants d’une personne; les membres d’un ménage; tous les descendants d’une même lignée, un groupe de personnes apparentées, un groupe d’objets ayant un lien commun....

Le Black’s Law Dictionary, édition de 1979, définit le terme family comme suit :

"The meaning of the word family necessarily depends on field or law in which word is used, purpose intended to be accomplished by its use, and facts and circumstances of each case... The word conveys the notion of some relationship. blood or otherwise."

> - 32 (Traduction : Le sens du mot famille dépend nécessairement du domaine du droit dans lequel il est utilisé, de l’objectif visé par cette utilisation et des faits et circonstances de chaque cas... Le terme suppose la notion d’une certaine relation, du sang ou autre.

D.) CONCLUSION

MM. Schaap et Lagacé se sont tous deux plaints qu’ils avaient été victimes d’une discrimination en raison de leur état matrimonial, parce qu’on avait refusé de leur accorder des logements pour personnes mariées en raison du fait qu’ils vivaient en union libre. M. Lagacé, pour sa part, invoque également le motif de la situation de famille. Le procureur du mis en cause a laissé entendre que, si je devais soutenir que les expressions état matrimonial et situation de famille englobent la relation de droit commun, je devrais alors définir ou expliquer ce que l’on entend par une relation de droit commun. J’estime toutefois que la question n’est pas ici de définir la relation de droit commun mais de donner une définition aux termes état matrimonial et situation de famille, pour ensuite déterminer si la relation dont il est question dans les plaintes entrent dans le cadre de cette définition. Certains législateurs provinciaux ont cru bon de donner des définitions expresses de ces termes. Toutefois, cela n’a pas été fait dans la loi qui nous occupe.

J’ai la conviction, sans toutefois vouloir ici soumettre une définition exhaustive de la relation de droit commun, que les deux plaignants étaient engagés dans ce type de relation. J’ai également la conviction que le mis en cause avait pour politique de ne pas accorder de logement pour personnes mariées aux requérants engagés dans une union de fait, à moins que ceux- ci aient un enfant vivant avec eux, qui leur soit apparenté par le sang, le mariage ou l’adoption, et qui fasse l’objet d’une réclamation pour personne à charge aux fins de l’impôt sur le

> - 33 revenu. Qui plus est, je suis convaincu que les deux plaignants n’ont pas obtenu les logements pour personnes mariées parce qu’ils n’ont pas été considérés comme mariés, et dans le cas de M. Lagacé parce qu’il n’a pas été considéré comme ayant une famille. A mon avis, les deux plaignants ont été l’objet d’une discrimination parce qu’ils vivaient une relation de droit commun au lieu d’être légalement mariés.

Or, la Loi canadienne sur les droits de la personne n’interdit pas la

discrimination ou le traitement défavorable en soi, mais plutôt la discrimination ou le traitement défavorable qui se fonde sur les motifs énumérés dans les articles 2 et 3 de la Loi. J’accepte les principes de l’interprétation des lois voulant que je tienne compte de l’objectif de la loi et que j’y donne effet, en donnant à la loi une interprétation libérale. Je considère l’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel qu’il est défini dans l’article 2, et je constate que ce but est non pas la suppression des actes discriminatoires, mais plutôt la suppression des actes discriminatoires fondés sur certains motifs illicites.

Les deux motifs qui nous intéressant ici ne sont pas définis dans la Loi en dépit de leur caractère vague. Il existe peu de jurisprudence propre à supprimer ce caractère vague. En outre, il n’existe pas de recours constant et largement accepté de ces termes qui englobent la relation de droit commun. Comme nous l’avons vu, les opinions à cet égard ne sont pas uniformes et les législateurs ont cru bon d’utiliser les termes de diverses façons. Plusieurs assemblées législatives ont jugé nécessaire, pour s’assurer que les relations de droit commun étaient couvertes par leurs lois, de définir expressément ce que le terme doit recouvrir, mais il n’existe aucune uniformité dans la façon dont ils l’ont fait.

> - 34 Le Parlement a décidé de ne pas définir l’état matrimonial ou la situation de famille de façon à y inclure les relations de droit commun, comme cela s’est fait en Ontario et en Saskatchewan. Il n’a pas jugé bon de prévoir des dispositions reconnaissant certaines situations de droit commun, comme il l’a fait dans d’autres lois, notamment dans le domaine des pensions de retraite.

En cherchant à cerner l’objectif de la loi, afin d’y donner effet, je ne dois pas légiférer dans un domaine que le législateur a jugé bon de laisser imprécis. Je ne peux étendre le sens des mots au delà de leur signification ordinaire et naturelle.

A mon sens, l’expression état matrimonial contenue dans La Loi canadienne sur les droits de la personne, est limitée aux relations supposant un mariage légal. La loi fédérale, contrairement à la loi ontarienne par exemple, ne dispose rien de plus. En fait, j’estime que les relations de M. Schaap et de M. Lagacé sont distinctes du mariage dans sa forme légale et qu’elles ne peuvent être considérées comme constituant un état qui soit matrimonial. La signification ordinaire et naturelle du terme état matrimonial concerne le mariage légal et ne peut être étendue de manière à englober la relation de droit commun. C’est pourquoi j’estime non fondées les deux plaintes de discrimination fondée sur le motif illicite de l’ état matrimonial.

Par ailleurs, la signification naturelle et ordinaire de l’expression situation de famille devrait je pense englober la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité, de l’adoption légale, y compris, pour reprendre les termes du Pr Tarnopolsky, les relations ancestrales, qu’elles soient légitimes, illégitimes ou d’adoption, ainsi que les relations entre époux, frères et soeurs, beaux- frères et belles- soeurs,

> - 35 oncles ou tantes et neveux ou nièces, cousins, etc. Je n’ai trouvé aucun texte faisant autorité qui permettrait d’élargir le sens du mot famille

au- delà du type de relations décrites ci- dessus. Je conclus donc que la plainte de Paul Lagacé alléguant le motif illicite de la situation de famille est également non fondé.

Je rejette donc les deux plaintes. FAIT ce 29e jour de février 1988.

TRIBUNAL

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