Tribunal canadien des droits de la personne

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Décision rendue le 24 septembre 1986 D. T. 5/ 86

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977, c. 33, version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT : MARSHALL ROTHSTEIN, C. R.

ENTRE L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA la plaignante - et- LE CONSEIL SCOLAIRE INDIEN DE LA VALLÉE DE LA QU’APPELLE le mis en cause

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : ANDREW RAVEN Avocat de l’Alliance de la Fonction publique du Canada >

RUSSEL JURIANSZ Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

NEIL HALFORD Avocat du Conseil scolaire indien de la vallée de la Qu’Appelle

DATE DE L’AUDIENCE : le 11 ao t 1986 >

TABLE DES MATIERES

A. INTRODUCTION

B. FAITS

1. La plaignante

2. La Commission canadienne des droits de la personne

3. Le mis en caisse

4. L’école

C. OBJET

D. LOI APPLICABLE

E. DÉCISION

F. MOTION SUPPLÉMENTAIRE >

A. INTRODUCTION

La présente est une décision d’un tribunal des droits de la personne constitué en vertu du paragraphe 39( l. 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, c. 33, telle que modifiée ( Loi).

Le 21 avril 1986, le président du Comité du tribunal des droits de la personne m’a chargé de faire enquête sur la plainte présentée le 9 septembre 1981 contre le Conseil scolaire indien de la vallée de la Qu’Appelle par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (A. F. P. C.). Celle- ci soutient que le Conseil s’est livré à un acte de discrimination fondé sur le sexe au sens de l’article 11 de la Loi. Le mis en cause a contesté la compétence du présent tribunal avant la tenue de l’enquête sur le bien- fondé de la plainte.

Conformément au paragraphe 40( 1) de la Loi, il incombe au tribunal d’informer au préalable les parties de la tenue d’une enquête et d’une audience. Les avocats ont reçu un préavis prescrivant la menue d’une audience le 11 ao t 1986, à la Cour fédérale dia Canada, à Winnipeg, sur les questions préalables concernant la compétence du tribunal d’entendre la plainte présentée. L’audience s’est terminée le jour même.

> - 2 FAITS

Un exposé conjoint des faits, dans lequel sont exposés certains faits, a été présentée. De plus, au cours de l’audience, tous les avocats ont approuvé certains autres faits.

1. La plaignante

L’Alliance de la Fonction publique du Canada est l’agent négociateur qui représente tous les employés du Conseil scolaire indien de la vallée de la Qu’Appelle, à l’exclusion de l’administrateur de la résidence.

2. La Commission canadienne des droits de la personne

La Commission canadienne des droits de la personne ( Commission) est un organisme qui a été créé en vertu de l’article 21 de la Loi. La Commission, de même que la plaignante et le mis en cause, ont participé à l’audience.

>

- 3 3. Le mis en cause

Le Conseil scolaire indien de la vallée de la Qu’Appelle ( Conseil) est une société constituée le 23 ao t 1972 en vertu de la Societies Act de la Saskatchewan. Les statuts régissant le mis en cause à l’époque pertinente sont ceux adoptés le 22 novembre 1974 et entrés en vigueur le 18 novembre de la même année. Le Conseil fait affaire sous le nom d’École indienne de la vallée de la Qu’Appelle ( école) dans le district de Lebret (Saskatchewan).

4. L’école

L’école fournit des services d’enseignement primaire et secondaire et de pension aux enfants indiens des réserves situées dans le district Touchwood - File Hills - Qu’Appelle et le district Yorkton, comme le définit le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ces districts sont situés en Saskatchewan, sauf une petite partie qui s’étend au Manitoba.

A sa création, dans les années 1880, l’école était dirigée par les pères oblats et financée par le ministre fédéral responsable des Indiens. Vers 1968, le ministre, ou ses délégués, a assume la direction de l’école et a nommé

> - 4 des membres au Conseil scolaire. En 1973, le Conseil, composé de membres des bandes indiennes concernées qui étaient consultés par le Conseil scolaire, et qui conseillaient ce dernier, a été chargé de l’administration des services de résidence de l’école. En 1981, le Ministre a cédé l’administration de l’école au Conseil. A l’heure actuelle, le Conseil se compose des chefs des 24 bandes qui constituent le district Touchwood - File Hills - Qu’Appelle et le district Yorkton.

Les enseignants sont assujettis à la même échelle salariale que leurs collègues employés par le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan. Aucun contrat officiel ne lie les enseignants et le Conseil. Le programme de l’école est identique à celui établi par le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, exception faite des cours additionnels de langue crie et de culture indienne. Toutefois, l’école n’est nullement réglementée par le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan.

Elle est par ailleurs entièrement financée par Sa Majesté du chef du Canada, conformément à des ententes annuelles appliquées par le ministre fédéral responsable des Indiens.

> - 5 - C. OBJET

La Loi confère au tribunal le pouvoir de tenir fine enquête. La portée de la Loi ne se limite qu’aux activités de compétence législative fédérale. L’article 2 de la Loi porte ce qui suit :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du

Canada ... (c’est moi qui souligne). La question à trancher dans la présente affaire est donc d’ordre constitutionnel. Nul ne conteste la validité constitutionnelle des dispositions de la Loi. Il s’agit plutôt de savoir si les dispositions invoquées par la plaignante régissent la conduire du mis en caisse.

> - 6 D. LOI APPLICABLE

Le paragraphe 11( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte ce qui suit :

11( 1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

L’application constitutionnelle de l’article 11 dépend des principes qui s’appliquent à la compétence législative concernant les relations employeur- employés. Dans C. C. D. P. c. Haynes (1983), 46 N. R. 381 à 383, le juge Le Dain déclare ce qui suit :

L’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte sur la discrimination dans l’emploi. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent dans le même établissement, des fonctions équivalentes (...) Comme l’avocat des appelantes, je pense que l’article 11 porte sur les relations employeur- employés et que son application constitutionnelle dépend des principes concernant la détermination des compétences législatives concernant en ce domaine. (C’est moi qui souligne).

Dans l’affaire d’un renvoi relatif à la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail (l’arrêt

> - 7 - Stevedoring), [1955] S. C. R., 529 à 624, le juge Estey décrit les pouvoirs du Parlement en matière de relations de travail comme suit :

(TRADUCTION)

"Les autorités établissent que le Parlement du Canada a la compétence de légiférer en matière de travail et de relations de travail, même si ces relations s’inscrivent sous la rubrique Propriété et droits civils dans la province aux termes du paragraphe 92( 13) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et si elles relèvent par conséquent des provinces. En fait, le Parlement a la compétence de légiférer dans les situations où le travail et les relations de travail a) font partie intégrante ou sont des accessoires indissociables des rubriques énumérées à l’article 91; b) concernent des fonctionnaires fédéraux; c) visent tout ouvrage et entreprise visé par les paragraphe s 91( 29) et 92( 10); d) concernent tout ouvrage, entreprise ou affaire situé au Canada mais non dans une province."

L’avocat de la plaignante et celui de la Commission ont soutenu que les activités en question sont de compétence fédérale en vertu du paragraphe 91( 24). L’avocat du mis en cause a prétendu pont sa part que ces mêmes activités relèvent des provinces en vertu de l’article 93. Les articles pertinents portent ce qui suit :

91. (...) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci- dessous énumérés, savoir

24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens. > - 8 92. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement faire des

lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci- dessous énumérés, savoir

13. La propriété et les droits civils dans la province. 93. Dans chaque province, la législature pourra exclusivement décréter des lois relatives à l’éducation ...

A mon avis, il est inutile de prétendre que les relations de travail dans le cas qui nous occupe sont de compétence provinciale en vertu de l’article 93. Il est précisé dans l’arrêt Stevedoring que les relations de travail relèvent, a première vue, des provinces en vertu du paragraphe 92( 13). Le Parlement du Canada ne détient des pouvoirs sur les relations de travail que dans les quatre cas cités par le juge Estey, et à moins que l’avocat de la plaignante ne puisse prouver que l’affaire s’inscrit sous l’une de ces quatre exceptions, les relations de travail dans le cas qui nous occupe relèvent exclusivement des provinces. J’estime donc que la question est de savoir si le travail ou les relations de travail dans la présente affaire font partie intégrante, ou sont nécessairement indissociables, de la compétence fédérale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens.

Les principes régissant la compétence législative en matière de relations de travail ont été énoncés dans

> - 9 nombre d’arrêts (Toronto Electric Commissioners. c. Snider, [1925] A. C. 396 (P. C.); l’arrêt Stevedoring, ci- dessus; Commission du salaire minimum c. Bell Canada [1966] S. C. R. 767; C. C. R. T., A. F. P. C. c. Ville de Yellowknife, [1977] 2 S. C. R. 729; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 S. C. R. 754; Four B Manufacturing c. Travailleurs unis du vêtement, [1980] 1 S. C. R. 1031). Dans la dernière affaire, le juge Beetz, à partir de la page 1045, résume comme suit le critère qu’il y a lieu d’appliquer

A mon avis, les principes établis pertinents a cette question peuvent être résumés très brièvement. En ce qui a trait aux relations de travail, la compétence législative provinciale exclusive est la règle, la compétence fédérale exclusive est l’exception. L’exception comprend, principalement, les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être

qualifiés d’entreprises, de services ou d’affaires de compétence fédérale (...) (c’est moi qui souligne)

. . . Le critère fonctionnel est une méthode particulière d’application d’une règle plus générale, savoir, que la compétence fédérale exclusive en matière de relations de travail n’existe que si l’on peut établir queue fait partie intégrante de sa compétence principale sur une autre matière fédérale : l’arrêt Stevedoring.

Vu cette règle générale, et si l’on présume, pour les besoins de la cause, que le critère fonctionnel n’est pas décisif en l’espèce, la

> - 10 première question à laquelle il faut répondre pour se prononcer sur les prétentions de l’appelante est de savoir si le pouvoir de réglementer les relations de travail en question fait partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens. La seconde question est de savoir si le Parlement a occupé le champ par les dispositions du Code canadien du travail.

Dans l’arrêt Yellowknife, le juge Pigeon a signalé ce qui suit : En examinant cette question, on doit se rappeler qu’il est bien établi que la compétence en matière de travail relève du pouvoir législatif sur l’exploitation et non sur la personne de l’employeur.

Il est évident à partir des extraits ci- dessus que la compétence en matière de travail (et, par conséquent, l’applicabilité de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne) dépend dia pouvoir législatif sur l’exploitation et non sur la personne de l’employeur. L’attention se dirige donc sur la nature de l’exploitation et de ses activités normales.

Bien qu’ils n’aient cité aucune affaire se répercutant directement sur la question, les avocats s’en sont rapportés à un certain nombre de décisions qui permettent de cerner les approches et facteurs pris en compte par les tribunaux appelés à se prononcer sur la nature d’une exploitation.

> - 11 Dans Four B ci- dessus, il était question d’une entreprise ontarienne dont l’activité consistait à coudre des empeignes en vertu d’un contrat conclu avec une compagnie de fabrication de chaussures, l’entreprise étant installée sur une réserve où habitait une bande d’Indiens. Toutes les actions émises par l’entreprise appartenaient à quatre frères, tous membres de la bande. La compagnie n’était en aucune façon sous le contrôle du conseil de bande qui ne participait pas à ses bénéfices. La Cour suprême du Canada avait été saisie de la question de savoir si la Commission des relations de travail de l’Ontario avait compétence pour accréditer un agent négociateur relativement aux employés de l’entreprise de la compagnie située sur la réserve et de rendre une autre ordonnance enjoignant a la compagnie de réintégrer quatre de ses employés.

Dans son jugement, le juge Beetz a énoncé le critère principal cité plus

tôt et a ensuite poursuivi, page 1046 : Rien dans l’affaire ou l’exploitation de Four B ne pourrait permettre de la considérer comme une affaire de compétence fédérale : la couture d’empeignes sur des souliers de sport est une activité industrielle ordinaire qui relève nettement du pouvoir législatif provincial sur les relations de travail.

> - 12 Ni la propriété de l’entreprise par des actionnaires indiens, ni l’embauchage par cette entreprise d’une majorité d’employés indiens, ni l’exploitation de cette entreprise sur une réserve indienne en vertu d’un permis fédéral, ni le prêt et les subventions du fédéral, pris séparément ou ensemble, ne peuvent avoir d’effet sur la nature de l’exploitation de cette entreprise. Donc, compte tenu du critère fonctionnel et traditionnel, une Labour Relations Act s’applique aux faits de l’espèce et la Commission a compétence.

. . . Je crois que dire que la question à régler en l’espèce est celle des droits civils des Indiens est une simplification excessive. La question est plus vaste et plus complexe : elle met en cause les droits des Indiens et des non- Indiens de s’associer entre eux à des fins de relations de travail, fins qui sont sans rapport avec la quiddité indienne; elle mer en cause leurs relations avec les Travailleurs unis du vêtement d’Amérique ou quelque autre syndicat qui n’ont rien de proprement indien; elle mer en cause finalement leur convention collective avec un employeur qui se trouve à être une compagnie ontarienne, appartenant à titre privé à des Indiens, mais qui n’a rien non plus de spécifiquement indien; la bande a expressément refusé d’en assumer l’exploitation et a décidé de lui retirer son nom.

Mais même si l’on examine la situation du seul point de vue des employés indiens et comme si l’employeur était un Indien, cela ne met en jeu ni le statut d’Indien ni des droits si intimement liés au statut d’Indien qu’ils devraient en être considérés comme des accessoires indissociables comme, par exemple, la possibilité d’erre enregistré, la qualité de membre d’une bande, le droit de participer à l’élection des chefs et des conseils de bande, les privilèges relatifs à la réserve, etc. Pour cette raison, je conclus que le pouvoir de réglementer les relations de travail en question ne fait pas partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées aux Indiens. La question de savoir si le Parlement pourrait les réglementer

> - 13 dans l’exercice de ses pouvoirs accessoires est une question que nous n’avons pas à résoudre, sauf dans la mesure où sa solution est utile pour déterminer en théorie la portée ultime d’une suprématie fédérale potentielle.

Dans l’affaire Francis c. Conseil canadien des relations de travail, [1981] 1 P. C. 225 (C. A.), dont le jugement a été annulé pour d’autres motifs, [1982] S. C. R. 72, les requérants ont fait une demande d’examen judiciaire

pour faire annuler une ordonnance d’accréditation du C. C. R. T. Le juge Heald s’est prononcé en son nom propre, mais sa position sur la compétence était partagée par deux autres juges. Après avoir cité les vues exprimées par le Juge Beetz dans Four B, ci- dessus, il a écrit, page 237, ce qui suit :

Il est donc nécessaire, d’après moi, aux fins de l’application du critère fonctionnel adopté par le juge Beetz, de déterminer la nature du travail exécuté par l’unité d’employés en question. (...) les employés s’occupent d’administration en matière d’éducation, de l’administration de terres et de patrimoines d’Indiens, de l’administration du bien- être, de l’administration en matière d’habitation, d’administration scolaire, de travaux publics, de l’administration d’un foyer pour personnes âgées, de l’entretien des routes, de l’entretien d’écoles, de l’entretien du système d’approvisionnement en eau et du système sanitaire, de l’enlèvement des ordures ménagères, etc. Ainsi, les chauffeurs d’autobus, les éboueurs, les enseignants, les menuisiers, les sténographes, les préposés à l’habitation, les concierges et les équipes d’entretien des routes composent, entre autres, l’unité des employés en cause. J’estime qu’on peut définir les fonctions de cette unités en termes généraux, comme se

> - 14 rapportant presque exclusivement à l’administration de la bande d’Indiens de Saint- Regis et dire que toutes ces fonctions sont de nature gouvernementale et relèvent de la Loi sur les Indiens.

. . . D’après les pouvoirs que confère à la bande et à son conseil la Loi sur les Indiens, tel que nous venons de le voir, et d’après la preuve qui a été faite de l’exercice de ces pouvoirs par la bande il, et son conseil, je suis convaincu que l’unité d’employés en question participe directement à des activités étroitement reliées au statut d’Indien. A la page 1048 de ses motifs dans l’arrêt Four B précité, le juge Beetz donne des exemples des catégories de droits qui devraient être considérés comme des accessoires indissociables du statut d’Indien. (...) A mon avis, ces exemples se rapportent directement à l’administration de la bande, compte tenu des pouvoirs conférés à la bande et au conseil en vertu de la Loi et, d’après moi, relèvent de la même catégorie que les pouvoirs exercés par la présente bande et son conseil comme nous l’avons vu plus haut. Toutefois, sur le plan des faits, l’arrêt Four B (précité) est tout à fait différent de la présente affaire. Dans l’arrêt Four B, quatre Indiens de la réserve exploitaient une entreprise commerciale dans une réserve indienne. Le statut et les droits de l’unité d’employés en tant qu’Indiens et en tant que membres de la bande n’étaient aucunement touchés. En l’espèce, il est impossible de dissocier les employés de l’unité en cause du droit d’élire les conseils et les chefs, du droit de posséder des terres dans les réserves, du droit pour les Indiens de la réserve à ce que leurs enfants soient instruits dans des écoles se trouvant dans la réserve, du droit au bien- être lorsque les circonstances le justifient, du droit d’habiter dans un foyer pour personnes âgées, pourvu de remplir les conditions requises, etc. Dans son ensemble, l’administration de la bande se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Je suis donc fermement convaincu que les relations de travail en l’espèce font partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens ou les terres réservées

aux Indiens, établissant > - 15 ainsi la compétence législative fédérale en vertu de dispositions du

paragraphe 91( 24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, (...) Dans les affaires du C. C. R. T., soir. Syndicat des travailleurs de l’enseignement de Louis- Hémon c. Conseil des montagnais du Lac Saint- Jean, [1985] 1 C. N. L. R. 179, et Association des enseignants du Manitoba c. Réserve Fort Alexander (23 ao t 1984), confirmé [1984] 1 F. C. 1111, on fait valoir que les dispositions de la Loi sur les Indiens sont valides et tranchent les questions de compétence en litige. Toutefois, bien que les faits de ces deux arrêts soient semblables à ceux de l’affaire en l’espèce, les conseils étaient saisis d’une question de compétence entre le gouvernement fédéral et le conseil des bandes, et non entre le gouvernement fédéral et les provinces. Ces deux affaires ne me sont donc pas d’un très grand secours ici.

> - 16 E. DÉCISION

La jurisprudence établit clairement qu’à ce genre de question, il faut appliquer le critère fonctionnel qui exige que le tribunal détermine la nature de l’exploitation de l’employeur.

Une description de la nature de l’exploitation, dans la présente affaire, se trouve dans la liste des objets incluse dans la demande de constitution en société du mis en cause. Le document se lit en partie comme suit :

1. [TRADUCTION] Les objets pour lesquels la société est constituée sont les suivants :

. . . c) Recevoir, administrer et contrôler, sur le plan financier et

autre, toutes les questions relatives à l’exploitation de l’école indienne de la vallée de la Qu’Appelle.

d) Construire, tenir, recevoir, exploiter et diriger l’école indienne de la vallée de la Qu’Appelle.

. . . f) Favoriser et promouvoir la littérature, l’histoire et les arts

indiens, ainsi que des traditions et des éléments culturels de première qualité, notamment la langue, la religion, la musique folklorique, la danse, l’artisanat et toutes les traditions indiennes en général, et faire les recommandations nécessaires au

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gouvernement du Canada pour faire en sorte que lesdits éléments culturels soient incorporés dans le programme de l’école indienne de la vallée de la Qu’Appelle.

g) Gérer et contrôler toutes les questions, financières et autres, relatives à l’éducation.

. . . Ces points sont réitérés à l’article 2 de la constitution du Conseil. Celui- ci voit donc à tous les aspects de l’exploitation de l’école qui est en fait un pensionnat pour les enfants indiens. Le programme de l’école est purement indien en ce sens qu’il comprend des cours de langue crie et de culture indienne.

Depuis sa création dans les années 1880, l’école fournit des services d’éducation et de pension aux enfants indiens et uniquement aux enfants indiens. Entre autres choses, le Conseil, conformément à son entente financière de 1981- 1982, a été obligé d’accepter des enfants indiens admissibles venant de réserves situées dans les deux districts précités qui s’étendent au Manitoba et en Saskatchewan. Le Conseil avait le pouvoir discrétionnaire d’accepter d’autres élèves, mais ceux- ci devaient être des enfants indiens, et leur admission ne pouvait porter préjudice à celle des enfants indiens venant des districts précités.

> - 18 En plus des services d’enseignement, le Conseil fournissait des services de pension. Encore une fois, conformément à l’entente financière de 1981- 1982, le Conseil était obligé de fournir des services de pension et de garderie, services répondant aux normes du gouvernement à l’égard des élèves indiens.

Compte tenu de ces caractéristiques, la présente affaire se distingue de Four B. Il ne s’agit pas ici d’une entreprise de fabrication ordinaire exploitée dans une réserve indienne. L’école en question s’emploie plutôt à mettre de l’avant un système d’éducation qui réponde aux besoins de ses bénéficiaires indiens.

Dans l’affaire Francis, le juge Heald a juge que, comme les employés en question étaient chargés de l’administration de la bande et que cette fonction était de nature gouvernementale, les relations de travail étaient de compétence fédérale. Il estimait que dans son ensemble, l’administration de la bande se rapporte continuellement au statut et aux droits et privilèges des Indiens de la bande. Un élément important de cette administration était l’éducation. Je suis même d’avis que l’éducation se rapporte encore plus au statut et aux droits et privilèges

> - 19 des Indiens que nombre des autres activités mentionnées par le juge Heald, comme le transport en commun et l’enlèvement des ordures.

Même si l’administration d’une école est l’unique fonction du Conseil et que celui- ci est une société charitable à charte provinciale et non une bande, il n’en reste pas moins que sa fonction se rapporte au statut, aux

droits et aux privilèges des Indiens. De fait, la constitution et les statuts du Conseil portent que [TRADUCTION] les membres doivent exercer lents droits par l’entremise du Conseil de la bande ... la qualité de membre doit être au nom de la bande ou au nom de la Regina Indian Society, et la personne nommée doit être la représentante de la bande ou de la Regina Indian Society. Cet énoncé révèle que le Conseil a été établi comme une forme de gouvernement indien autonome dans le secteur de l’éducation.

Les faits suivants, à savoir que l’école est conçue et exploitée pour répondre aux besoins des Indiens et n’est administrée que par des Indiens, que seuls les enfants indiens peuvent y être admis, que les objets énoncés sont de promouvoir la tradition Indienne et que le programme comprend des cours de langue et de culture indienne, révèlent la véritable quiddité indienne de l’exploitation

> - 20 et se rapportent au statut, aux droits et aux privilèges des Indiens.

En appliquant le critère formulé dans Four B ci- dessus, j’estime que la fonction du Conseil et de l’école tombe sous le coup du paragraphe 91( 24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le pouvoir de réglementer les relations de travail entre le Conseil et ses employés fait donc partie intégrante de la compétence fédérale principale sur les Indiens. Comme la portée constitutionnelle de l’article 11 de la Loi canadienne des droits de la personne est déterminée par la compétence sur les relations de travail en litige, selon le juge Le Dain dans l’affaire C. C. D. P. c. Haynes, ci- dessus, j’estime que le présent Tribunal a la compétence d’entendre la plainte présentée par l’A. F. P. C. et de trancher la question.

> - 21 F. MOTION SUPPLÉMENTAIRE

A la conclusion de son exposé, l’avocat de la Commission a proposé que le tribunal, advenant que celui- ci estime avoir la compétence d’entendre l’affaire en question, exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 40( 1) de la Loi d’aviser le ministre des Affaires indiennes de la présente procédure concernant le droit de comparaître et de présenter des plaidoiries sur le bien- fondé de l’affaire à titre de partie intéressée. L’avocat de la plaignante et celui du mis en cause ne se sont pas opposés à la motion. Dans la mesure où le ministre des Affaires indiennes finance l’école, j’estime que la présente procédure pourrait l’intéresser. En conséquence, la motion sera accordée.

FAIT le septembre 1986.

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