Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Entre :

Benjamin Schecter

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

l'intimée

Décision

Membre : Michel Doucet
Date : Le 22 septembre 2005
Référence : 2005 TCDP 35

Table des matières

I Introduction

II Les questions préalables

III Le témoin du plaignant, Marshall Schecter

IV Les Faits

V La décision

VI Conclusion

I. Introduction

[1] Le 31 août 2002, Benjamin Schecter (le plaignant) a déposé une plainte contre la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (l’intimée). Il prétend que l’intimée, par son omission d’avoir offert aux membres de sa famille et à lui‑même une accommodation quant à ses installations, s’est livrée à un acte discriminatoire fondé sur le motif de la déficience en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi).

[2] Ce qui aurait dû être une affaire très simple s’est malheureusement transformé en une audience conflictuelle et parfois agressive. L’hostilité et la méfiance enracinée des parties l’une envers l’autre étaient très manifestes et rendaient difficile, voire impossible, toute démarche logique visant à trouver une solution. Par contre, durant toute l’audience, le plaignant, Benjamin Schecter, au cours de la portion de l’audience à laquelle il a participé, et l’avocat de l’intimée, M. William G. McMurray, ont agi de manière respectueuse à l’égard du Tribunal et des autres personnes présentes à l’audience.

[3] Les interruptions et les perturbations au cours de la présente instance étaient principalement dues au fils du plaignant, le témoin, M. Marshall Schecter. À de nombreuses reprises, il a manifesté un manque de respect à l’égard du Tribunal et il a contesté ses directives. Il n’a pas pris à la légère les arguments ou opinions qui différaient de ce qu’il estimait être les faits ou le droit. Je vais, dans la présente décision, exposer en détail et commenter les circonstances qui ont en fin de compte amené le plaignant à quitter l’audience à la demande insistante de son fils. L’attitude de Marshall Schecter n’a certainement pas aidé la cause du plaignant et l’a empêché d’expliquer et de présenter d’une manière logique et raisonnable les événements qui l’ont amené devant le Tribunal.

[4] Le plaignant, Benjamin Schecter, est un conseil de la Reine et un membre du Barreau du Québec. Il est également un juge à la retraite de la chambre criminelle de la Cour du Québec. De plus, il a été membre instructeur du Tribunal canadien des droits de la personne pendant dix ans et il a pris sa retraite quelques mois avant la présente audience. Je n’avais jamais rencontré le plaignant avant la présente audience et je n’ai pas non plus appris avant d’être nommé pour entendre l’affaire qu’il était un ancien membre instructeur du Tribunal.

[5] La participation de la Commission canadienne des droits de la personne à la présente audience a été très limitée. Au début de l’audience, M. Patrick O’Rourke, avocat de la Commission, a informé le Tribunal que la Commission avait conclu une entente avec l’intimée qui réglerait, à la satisfaction de la Commission, les questions d’intérêt public soulevées dans la présente affaire. La Commission ne voyait pas la nécessité de continuer à participer à l’audience et elle a informé le Tribunal de son intention de se retirer de l’instance.

II. Les questions préalables

[6] Dès le départ, l’intimée a soulevé certaines questions préliminaires. J’ai traité de ces questions de vive voix au cours de l’audience. Le plaignant a en outre soulevé une question se rapportant à la délivrance d’assignations à comparaître aux témoins. Je vais maintenant traiter officiellement de ces questions.

[7] Dans une requête préliminaire, l’intimée demandait une ordonnance prévoyant que la plainte soit rejetée de façon sommaire. Les motifs de cette demande comportaient trois volets, à savoir : le plaignant n’avait pas adhéré au processus de divulgation du Tribunal, la question de l’intérêt public qui avait été renvoyée au Tribunal par la Commission avait été réglée et les faits exposés dans la plainte ne révélaient aucune question devant être tranchée par le Tribunal.

[8] Il serait approprié, afin de trancher la présente requête préliminaire, d’examiner certains échanges de correspondance entre les parties, la Commission et le Tribunal.

[9] La présidente de la Commission canadienne des droits de la personne a demandé, suivant l’alinéa 44(3)a) de la Loi, le 6 janvier 2004, que le président intérimaire, selon son titre d’alors, du Tribunal canadien des droits de la personne, instruise la plainte étant donné qu’elle était convaincue, compte tenu de toutes les circonstances, qu’il était justifié qu’une instruction ait lieu.

[10] Le 27 janvier 2004, la Commission a informé le Tribunal que les documents divulgués dans la présente affaire avaient été envoyés au plaignant et à l’intimée. Le Tribunal a informé les parties, le 18 mars 2004, que l’affaire serait instruite et qu’elles avaient le droit de présenter devant le Tribunal des éléments de preuve et des observations de droit au soutien de leurs prétentions. Les parties ont également reçu des photocopies de la Loi canadienne sur les droits de la personne, des Règles de procédure du Tribunal régissant sa pratique, une publication du Tribunal intitulé Comment s’y retrouver? Guide de la procédure du Tribunal et un questionnaire visant à aider le Tribunal à planifier l’instruction. On a demandé aux parties de répondre par écrit au questionnaire et d’envoyer un exemplaire du questionnaire rempli aux autres parties et au Tribunal au plus tard le 8 avril 2004.

[11] Le 19 avril 2004, le Tribunal a reçu par télécopieur le questionnaire rempli par le plaignant. Dans la section intitulée [Traduction] Réparations demandées, le plaignant a écrit [Traduction] Obliger principalement à fournir aux personnes handicapées une aire de stationnement appropriée dans ses gares, notamment à la Gare centrale de Montréal. Plus bas à la section 5 du questionnaire, il a été ajouté à la main [Traduction] Dommages à prendre en compte. Le questionnaire rempli par l’intimée a été déposé le 26 avril 2004.

[12] Le Tribunal, compte tenu des réponses au questionnaire, a donné le 2 juin 2004 des directives se rapportant à l’établissement du calendrier pour l’instruction et la divulgation. Il a ordonné à la Commission de fournir aux parties un exemplaire de son dossier au plus tard le 22 juin 2004. Suivant le paragraphe 6(1) des Règles de procédure du Tribunal, le Tribunal a ordonné au plaignant et à la Commission de faire une divulgation complète au plus tard le 16 juillet 2004 et à l’intimée de faire sa divulgation au plus tard le 10 août 2004. De plus, les parties ont été mises au courant du paragraphe 9(3) des Règles qui explique que, à défaut d’obtenir l’autorisation du [membre instructeur qui préside l’audience] […] et sous réserve du droit d’une partie de présenter des éléments de preuve en réplique, une question qui n’a précédemment pas été soulevée ou un élément de preuve qui n’a pas été divulgué ne doivent pas être présentés lors de l’audience.

[13] Les parties ont de plus été informées que la divulgation inclut leurs échanges à l’égard de la preuve documentaire et les listes de témoins comprenant pour chacun d’eux l’énoncé de ce qu’il va dire. Il a de plus été mentionné que la divulgation consiste non seulement en des documents qu’une partie a l’intention de présenter en preuve lors de l’audience, mais également en des documents dont la pertinence peut être alléguée à l’instance, qu’une partie ait l’intention ou non de les déposer en preuve.

[14] Le Tribunal a de plus donné aux parties la directive de fournir par écrit de brèves précisions pour exposer les questions en litige et la preuve qu’elles lui présenteraient. Ces précisions devaient être déposées auprès du Tribunal et des photocopies devaient être remises à toutes les parties au plus tard aux dates fixées.

[15] Le 13 août 2004, le plaignant a transmis au Tribunal une lettre dans laquelle il nommait cinq témoins éventuels, mais il n’a pas fourni à l’égard de chacun des témoins l’énoncé de ce qu’il va dire. Cette liste de témoins n’incluait pas le plaignant, son épouse ou son fils, Marshall Schecter. À la page 2 de la lettre, le plaignant énumérait les réparations et les dommages‑intérêts compensatoires qu’il solliciterait lors de l’audience.

[16] L’intimée a écrit au Tribunal le 17 août 2004. Elle renvoyait à la lettre du plaignant datée du 13 août 2004 et déclarait que cette lettre ne [Traduction] constituait pas une divulgation appropriée, puis elle énumérait une série de questions qu’elle voulait voir traiter. Le 19 août 2004, l’intimée a signifié aux autres parties sa liste de témoins éventuels et de documents.

[17] Le 23 août 2004, M. Marshall Schecter, le fils du plaignant, a envoyé au Tribunal une lettre par laquelle il s’opposait à la production de certains documents contenus dans la liste de l’intimée. Il a en outre fourni des détails à l’égard des réparations compensatoires que le plaignant solliciterait lors de l’audience et la liste de ses témoins. Il a également mentionné que le plaignant appellerait son épouse et son fils à titre de témoins lors de l’audience.

[18] Je vais maintenant traiter séparément de chacune des questions soulevées par l’intimée dans sa requête préliminaire. Je vais d’abord traiter des questions se rapportant aux témoins et à la divulgation de documents. Selon l’alinéa 6(1)f) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, une partie doit non seulement indiquer les noms des divers témoins qu’elle a l’intention de citer, mais elle doit également fournir dans sa divulgation un résumé du témoignage de chacun d’eux. Le plaignant n’a jamais fourni un tel résumé quant aux témoins qu’il a indiqués dans sa lettre du 13 août 2004. Dans sa lettre du 23 août 2004, le plaignant a avancé qu’il avait l’intention de citer son épouse et son fils comme témoins, mais il n’a pas fourni des résumés de leurs témoignages.

[19] L’intimée ne devait pas être surprise que ces deux témoins soient cités par le plaignant compte tenu de leurs liens étroits avec les questions soulevées dans la plainte. Même si un résumé n’était pas fourni, l’intimée, selon l’information qu’elle possédait, était définitivement en mesure de s’attendre au contenu de leur témoignage. Le but d’un énoncé de ce que le témoin va dire est d’empêcher l’autre partie d’être prise au dépourvu lorsque l’audience débute. Je crois que ce n’était pas la situation à l’égard de ces deux témoins et, étant donné qu’aucun préjudice n’a été causé à l’intimée du fait de l’absence de résumés, j’ai décidé que l’objection à cet égard n’était pas fondée.

[20] Quant aux autres témoins indiqués par le plaignant, aucun résumé n’a été fourni pour eux. Le plaignant a demandé des assignations à comparaître pour ces témoins. Suivant l’alinéa 50(3)a) de la Loi, seuls les témoins dont les témoignages sont jugés indispensables à l’examen complet de la plainte recevront une assignation à comparaître et seront contraints de comparaître lors de l’audience de la plainte. Étant donné qu’il n’y avait aucun énoncé de ce qu’on va dire pour ces témoins ni aucune explication raisonnable pour l’omission d’avoir respecté les Règles du Tribunal, je n’étais pas en mesure d’évaluer la pertinence de la preuve proposée.

[21] Il est également important de comprendre que la délivrance d’une assignation à comparaître par le Tribunal n’est pas un acte administratif. Le Tribunal a un pouvoir discrétionnaire à l’égard de la délivrance d’une assignation à comparaître. L’alinéa 50(3)a) de la Loi énonce que le membre a le pouvoir d’assigner un témoin à comparaître s’il juge que cela est indispensable à l’examen complet de la plainte (ACET c. Bell Canada, T503/2098, décision no 2). Par conséquent, étant donné que je ne suis pas en mesure de juger si cela était indispensable, j’ai refusé de délivrer les assignations à comparaître. Je dois ajouter qu’une audience devant le Tribunal n’est pas un interrogatoire à l’aveuglette et que, à moins qu’il existe un lien pertinent entre la preuve que l’on tente d’obtenir des témoins pour lesquels des assignations à comparaître sont requises et l’affaire soumise au Tribunal, les assignations à comparaître ne seront pas délivrées.

[22] Je vais maintenant traiter de la question se rapportant à la divulgation de documents. Les principales obligations du Tribunal en ce qui touche la divulgation reposent sur la nécessité de protéger l’équité et l’intégrité du processus. Cela exige généralement une divulgation pleine et entière par les parties. Toute exception devrait être vue comme une réserve tirée de la règle générale.

[23] Suivant le paragraphe 6(1) des Règles de procédure, un plaignant qui a l’intention de présenter une preuve ou qui souhaite adopter une position qui diffère de celle de la Commission canadienne des droits de la personne doit fournir par écrit :

  1. Les faits pertinents qu’il cherche à établir à l’appui de sa cause.
  2. Les questions de droit soulevées dans la cause, y compris la nature de la discrimination alléguée.
  3. Le redressement qu’il recherche.
  4. Les documents qu’il a en sa possession qui sont pertinents à toute question en litige dans l’affaire et pour lesquels aucun privilège n’est invoqué.
  5. Les documents qu’il a en sa possession qui sont pertinents à toute question en litige et pour lesquels un privilège est invoqué, y compris les motifs de la demande.
  6. Les noms de témoins qu’il a l’intention de citer, y compris les témoins experts ainsi identifiés, et un résumé de leurs témoignages.

[24] Les Règles prévoient effectivement une réparation lorsqu’une partie tente de s’appuyer sur un document qui n’a pas fait l’objet d’une divulgation. Le paragraphe 9(3) des Règles prévoit que lorsqu’une partie ne dépose pas un document qui est pertinent, elle ne peut présenter ce document en preuve lors de l’audience sauf si elle obtient l’autorisation du Tribunal. À moins que l’intimée puisse établir que l’omission du plaignant de divulguer les documents compromettra la présentation de sa preuve, je ne vois aucun motif justifiant que je rejette l’affaire sur ce fondement. La réparation fournie par le paragraphe 9(3) des Règles est suffisante, à mon avis, pour remédier au défaut de divulgation. Si un document qui n’a pas été divulgué par le plaignant était jugé essentiel à la cause de l’intimée, le Tribunal ordonnerait sa production.

[25] Je ne vois pas comment les allégations selon lesquelles il y a eu une divulgation incorrecte soulevées par l’intimée pourraient justifier une ordonnance de rejet de la plainte. Ces exigences en matière de procédure existent pour protéger l’équité et l’intégrité du processus. Le plaignant est un représentant de la loi et un ancien membre instructeur du Tribunal et il est bien au courant des procédures du Tribunal et ne sera pas surpris s’il subit un désavantage s’il ne respecte pas ces procédures.

[26] À l’égard de la question des dommages, l’article 53 de la Loi prévoit les réparations offertes à une personne victime d’un acte discriminatoire dans l’éventualité où sa plainte est fondée. Dans la présente affaire, cette personne est le plaignant, Benjamin Schecter. Dans sa divulgation datée du 13 août 2004, le plaignant a mentionné les réparations qu’il tentait d’obtenir. La question de savoir s’il pouvait obtenir ces réparations dépend de sa capacité à présenter des éléments de preuve pertinents quant aux dommages causés au plaignant par l’intimée du fait de l’acte discriminatoire allégué. Dans son questionnaire et sa divulgation, il a en outre mentionné des réparations quant à la politique qui s’expliquent par elles‑mêmes et des dommages‑intérêts compensatoires qui semblent renvoyer à l’alinéa 53(2)e) de la Loi. Je souligne que ces dommages‑intérêts compensatoires, le cas échéant, seraient ceux de la victime, dans la présente affaire le plaignant.

[27] En ce qui concerne la deuxième question soulevée par l’intimée selon laquelle la seule question soumise au Tribunal était la question de la politique identifiée par la Commission canadienne des droits de la personne, il serait important de clarifier une certaine confusion qui existe à l’égard des rôles respectifs de la Commission et du Tribunal.

[28] La Commission n’est pas un organisme ayant un pouvoir décisionnel; ce pouvoir appartient au Tribunal. La Commission, lorsqu’elle rend une décision à l’égard de la question de savoir si une plainte devrait être instruite par le Tribunal, effectue une analyse préliminaire. Ce n’est pas le rôle de la Commission de décider si la plainte est fondée. Son devoir consiste plutôt à décider si, suivant les dispositions de la Loi, une instruction est justifiée compte tenu de tous les faits. L’élément central du rôle de la Commission alors est celui d’évaluer si les éléments de preuve dont elle dispose sont suffisants.

[29] La principale fonction du Tribunal est de rendre des décisions. Il tient des audiences formelles à l’égard des plaintes que la Commission lui a renvoyées. Il détient de nombreux pouvoirs qu’une cour de justice détient. Il a le pouvoir de tirer des conclusions quant aux faits, d’interpréter et d’appliquer le droit aux faits qui lui sont présentés et d’adjuger des réparations appropriées. En outre, ses audiences ont presque la même structure qu’un procès formel devant une cour de justice. Les parties devant le Tribunal présentent de la preuve, appellent des témoins et procèdent à leurs contre‑interrogatoires et présentent des observations à l’égard de la façon selon laquelle le droit devrait s’appliquer aux faits. Le Tribunal ne participe pas à l’élaboration de politiques et ne procède pas à ses propres enquêtes indépendantes à l’égard des plaintes, les fonctions d’enquête et d’élaboration de politiques ayant délibérément été accordées par l’autorité législative à un organisme différent, la Commission.

[30] La Commission renvoie les plaintes au Tribunal. C’est exactement ce qu’elle a fait dans sa lettre du 6 janvier 2004. Il est clair à la lecture de la lettre de la Commission adressée au président intérimaire d’alors que tous les aspects de la plainte ont été renvoyés au Tribunal. Comme mon collègue, M. Hadjis, l’a si clairement souligné dans la décision Côté c. Procureur général du Canada, 2003 TCDP 32, il ne faut pas perdre de vue le fait que, même si la Commission est habilitée à décider si une plainte doit être renvoyée au Tribunal (par. 44(3) et art. 49 de la Loi), la plainte demeure celle de la plaignante et non celle de la Commission.

[31] Après qu’il a reçu une plainte, le Tribunal, conformément au paragraphe 50(2) de la Loi, tranche les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi en vertu de la présente partie. Dans la présente affaire, peu importe l’intention qu’avait la Commission à l’égard de la plainte ou des réparations, une fois qu’elle a renvoyé la plainte au Tribunal, la Commission devient seulement une des parties dans le processus.

[32] Ce point m’amène à la troisième question se rapportant à certaines incohérences contenues dans la plainte qui, selon l’intimée, illustrent qu’il n’y a aucune question à trancher par le Tribunal. Je suis d’avis qu’il y a une question qui doit être entendue par le Tribunal et cette question est celle de savoir si le plaignant a réussi à établir qu’il a fait l’objet de discrimination en raison de l’omission de l’intimée d’avoir fourni des installations pouvant accommoder sa déficience.

[33] La demande de l’intimée visant à ce que la présente affaire soit rejetée de façon sommaire est par conséquent rejetée.

III. Le témoin du plaignant, Marshall Schecter

[34] Il m’apparaît important, avant de traiter des questions en litige, que je fasse des commentaires à l’égard du comportement du témoin et fils du plaignant, Marshall Schecter. Lors de l’audience, le plaignant a choisi d’appeler seulement deux témoins en plus de lui‑même. Ces témoins étaient son épouse, Mme Irma Schecter, et son fils, M. Marshall Schecter. Ce dernier était le témoin important du plaignant étant donné qu’il était, selon ce qu’il a dit, [Traduction] peut-être la seule personne pouvant relater les faits […] survenus le soir en question. Malheureusement pour le plaignant, M. Marshall Schecter n’a pas répondu à cette attente. Par son comportement, son caractère coléreux, son hostilité non seulement envers l’avocat de la partie adverse, mais également envers le président, ses interventions déplacées et ses nombreuses perturbations au cours de l’audience, il est devenu un témoin très peu fiable.

[35] Le premier jour de l’audience, le plaignant a mentionné que, étant donné qu’il était avocat, il agirait pour son propre compte. Cela n’a pas empêché M. Marshall Schecter d’intervenir dans l’instance et de se comporter comme s’il s’agissait de sa plainte. Le Tribunal aurait pu limiter sa participation, mais il a décidé, croyant erronément que cela faciliterait le déroulement de l’audience, de lui permettre de faire des représentations au nom de son père. Le Tribunal, sachant ce qu’il sait maintenant, pourrait aujourd’hui rendre une décision différente.

[36] Au début de l’audience, Marshall Schecter est intervenu pour mentionner qu’il n’avait pas reçu la documentation fournie aux parties par le Tribunal. Les dossiers du Tribunal indiquent que la lettre en question, datée du 18 mars 2004, a été envoyée avec les documents à l’adresse du plaignant.

[37] Une fois de plus, le premier jour, durant la présentation des observations de l’intimée à l’égard de ses requêtes, M. Marshall Schecter a interrompu l’avocat et a dit : [Traduction] Je m’excuse. Allons‑nous écouter cela ou êtes-vous censé rendre une décision à l’égard de ces requêtes. Parce qu’en ce moment, il présente sa preuve. À un autre moment, il a accusé l’avocat de la partie adverse de [Traduction] ne pas dire la vérité et il l’a traité de [Traduction] menteur. Il a en outre qualifié un témoin éventuel de l’intimée de [Traduction] fanatique.

[38] Le 31 août 2004, le deuxième jour de l’audience, la question de la divulgation de documents a été soulevée. L’intimée a demandé des photocopies de divers documents qui étaient mentionnés dans la divulgation du plaignant. Un document particulier qu’il tentait d’obtenir était une lettre signée par M. Marshall Schecter adressée à M. Charles Unterberg de la Commission canadienne des droits de la personne. La lettre renvoyait à [Traduction] des renseignements pertinents se rapportant […] à la plainte à la Gare centrale de Montréal le 7 juin. Elle énumérait ensuite quatre lettres et mentionnait le nombre de pages jointes à ces lettres. Une de ces lettres était écrite sur le papier à en‑tête de l’étude Berkovitz et Strauber, et elle était signée par le plaignant. Elle mentionnait que des documents y étaient joints. L’intimée demandait que des photocopies de ces documents joints soient fournies.

[39] Marshall Schecter a d’abord mentionné qu’il était en train de déménager et qu’un grand nombre de ces documents étaient entreposés et qu’il ne serait peut‑être pas capable de les trouver. Le Tribunal a indiqué que ces documents devraient être fournis au plus tard le 2 septembre 2004 ou qu’une explication devrait être donnée quant aux raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas être fournis. Après un court ajournement, Marshall Schecter est revenu et a mentionné que ces documents ne pourraient pas être fournis le 2 septembre 2004 parce que son imprimeur lui avait dit qu’il ne pourrait pas faire des photocopies pour cette date.

[40] Le Tribunal a ensuite ordonné que les documents et photocopies nécessaires soient déposés le 2 septembre 2004. L’échange suivant a ensuite eu lieu :

[Traduction]

M. M. Schecter : Je m’excuse. Je suis désolé d’intervenir. Je ne peux pas respecter cela. Je…

Le Président : Bien, alors à ce moment…

M. M. Schecter : Je m’excuse. Est-ce que je peux finir s’il vous plaît? J’ai appelé l’imprimeur, ils…

Le Président : Il y a…

M. M. Schecter : J’ai appelé Banner Blueprint que j’utilise pour mon architecture, je connais les gens dans cette entreprise. Cela fait 20 ans que je fais des affaires avec eux. Cela prendra au moins trois jours pour les obtenir si je les apporte ce soir. Je ne peux pas les faire préparer plus rapidement et je le dis pour que cela soit consigné au dossier.

Le Président : Je suis aussi un avocat et on m’a déjà demandé de faire des choses avec un très court avis, ce que j’ai fait. Il y a plus d’un imprimeur dans la Ville de Montréal, j’en suis certain. […] J’ordonne que ces documents soient échangés jeudi matin. Sinon, j’ajournerai l’audience à ce moment.

M. M. Schecter : Alors, je demande un ajournement...

Le Président : C’est mon ordonnance.

M. M. Schecter : Alors, je demande de… si nous pouvons remettre cela à la semaine prochaine, s’il vous plaît.

Le Président : Cela ne sera pas remis jusqu’à la semaine prochaine. Cela sera remis jusqu’à ce que les parties aient procédé à une divulgation complète et ensuite nous verrons quelles dates seront fixées.

M. M. Schecter : Alors je suggère que nous fassions cela maintenant s’il vous plaît.

Le Président : Alors, cela sera ajourné sine die.

M. B. Schecter : Est-ce que je peux… si je peux dire un mot, […] M. le président. Je suis au courant des difficultés mentionnées par mon fils au Tribunal et je veux vous dire une chose, il agit dans la plupart des cas aussi rapidement que toute personne peut le faire et je sais que ce sera physiquement impossible de faire préparer pour jeudi tout ce dont nous avons discuté. Il a vérifié par téléphone et… il ne s’agit pas d’une tentative de cacher ou retarder quoi que ce soit.

Le Président : Je sais cela M. Schecter. Mais nous parlons maintenant d’une photocopie de ces documents qui doivent être déposés.

M. M. Schecter : Une ou six, c’est la même chose.

Le Président : Bien, six exemplaires seront nécessaires pour le dépôt devant le Tribunal. Nous n’en sommes pas là. Nous parlons d’un exemplaire devant être fourni à l’autre partie. Je serai de retour ici jeudi matin et si à ce moment les parties ne sont pas prêtes à fournir ces documents, j’ajournerai la présente affaire et j’attendrai jusqu’à ce que toute la documentation appropriée… je n’accepterai pas… le présent Tribunal est un important tribunal, et vous le savez M. Schecter.

M. B. Schecter : Oh, oui. Effectivement.

Le Président : Vous comprenez que la présente affaire ne sera pas transformée en ce qu’elle n’est pas. C’est une instance judicaire et je vais respecter les Règles du Tribunal. Maintenant, je suggère que ces documents soient échangés jeudi matin. Cela donne 48 heures. Si cela ne peut pas être fait, alors l’instance sera ajournée.

[…]

M. M. Schecter : Pour tous les documents, cela ne peut pas être fait.

Le Président : Votre fils a la liste des documents auxquels nous renvoyons. Alors, je serai de retour ici jeudi matin, et nous verrons où en sont les parties. Alors, cela conclut l’affaire pour aujourd’hui, à moins qu’il y ait d’autres questions en litige.

[…]

M. M. Schecter : […] Je veux juste mentionner pour que cela soit consigné au dossier que je ne pourrai pas fournir toute la documentation.

Le Président : Bien, vous expliquerez au Tribunal à ce moment, le 2, les raisons pour lesquelles vous ne pouvez pas fournir ces documents. Mais, nous nous réunirons de nouveau le 2 et nous verrons où nous en sommes.

[41] Les documents ont été déposés et fournis à l’intimée le jeudi 2 septembre 2004 comme le Tribunal l’avait ordonné.

[42] Le 3 septembre 2004, une requête a été déposée par l’intimée relativement à la production d’autres documents qui avaient été déposés auprès du Bureau d’éthique professionnelle du service de police de la Ville de Longueuil, à l’égard des agents Greffard et Sauvé et des événements survenus le 7 juin 2001 à la Gare centrale du CN. M. Marshall Schecter s’est opposé à la production de ces documents en alléguant que les renseignements y contenus faisaient l’objet d’un privilège suivant la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C., ch. Y‑1 [abrogée, 2002, ch. 1, art. 199.]. Les événements à cet égard avaient été soulevés dans la plainte et dans une lettre adressée au Tribunal le 13 août 2004 par M. Marshall Schecter.

[43] Dans la plainte les événements étaient mentionnés comme suit :

[Traduction]

À ce moment, mon épouse et mon petit‑fils étaient aux prises avec des policiers de la Communauté urbaine de Montréal (CUM). Un des policiers a saisi mon petit‑fils, l’a menacé, l’a violemment poussé dans le dos avec son genou et l’a frappé au visage à plusieurs reprises […].

Mon fils [Marshall Schecter] a tenté d’intervenir, mais un autre policier l’a poussé brutalement.

Mon épouse était en état de choc et en pleurs et elle a essayé d’obtenir des explications de la part des policiers qui sont devenus très agressifs; l’un d’eux lui a donné un coup de poing à la poitrine et un autre lui a pincé le bras gauche.

[44] Une fois de plus, dans une lettre datée du 13 août 2004, signée par M. Marshall Schecter en tant que [Traduction] [représentant] des intérêts de [sa] famille, nous lisons ce qui suit sous le titre [Traduction] Dommages‑intérêts compensatoires :

[Traduction]

Pour les coups cruels et brutaux et l’arrestation de mon fils et pour l’accusation d’agression portée contre lui, un mineur, entreprise par le C.N. et un employé du C.N dans le but de créer un moyen de négociation afin que nous abandonnions notre cause. L’accusation d’agression portée contre mon fils mineur a par la suite été abandonnée par la Couronne.

Pour l’agression physique et vicieuse contre ma mère et moi, et parce que 4 gardiens de sécurité du C.N. qui portaient des gants noirs et 4 policiers ont inutilement poussé mon père (qui est handicapé) dans un fourgon cellulaire. La pression psychologique subie par toute ma famille, l’arrogance du C.N., le dénigrement et le manque de respect à l’égard de ma famille et en particulier à l’endroit de mon père qui a une excellente réputation de juriste depuis 65 ans. En outre, le harcèlement constant du C.N. jusqu’à maintenant.

Les dommages‑intérêts compensatoires demandés sont le montant maximal prévu par la loi suivant le pouvoir de la Commission multiplié par quatre, soit pour mon fils, ma mère, mon père et moi.

[45] Puisque ces événements ont été soulevés par le plaignant pour justifier sa demande de dommages‑intérêts compensatoires, les documents s’y rapportant sont devenus des documents dont la pertinence peut être alléguée et devaient être divulgués, à moins qu’ils fassent l’objet d’un privilège. Après avoir entendu les arguments des parties sur cette question, le Tribunal a ordonné que le document déposé auprès du Bureau d’éthique professionnelle du service de police de la Ville de Longueuil, à l’égard des agents Greffard et Sauvé et des événements du 7 juin 2001 à la Gare centrale du CN , soit divulgué et, afin de traiter des préoccupations du plaignant quant à son petit‑fils, j’ai ordonné que tous les renseignements se rapportant à un mineur qui pourraient être inclus dans ce document soient retirés. J’ai en outre ordonné que l’intimée consulte le document aux fins de la présente audience seulement et qu’elle ne divulgue pas son contenu à quiconque autre que son avocat.

[46] À ce moment, M. Marshall Schecter est devenu très agressif et il a vivement exprimé son intention de ne pas respecter l’ordonnance à cet égard à un point où son père a dû intervenir et lui dire ce qui suit : [Traduction] C’est assez. Plus tard durant la même journée, toute la question de dommages‑intérêts compensatoires pour le plaignant et sa famille a été réglée lorsque le plaignant a reconnu que la seule personne qui pouvait demander des dommages‑intérêts compensatoires était lui‑même, si le bien-fondé de sa demande était démontré. La demande de dommages‑intérêts compensatoires mentionnés dans la lettre de M. Marshall Schecter datée du 13 août 2004, pour sa mère, son fils et lui‑même a été abandonnée par le plaignant.

[47] Plus tard le même jour, M. Marshall Schecter s’est opposé à la présence dans la salle d’un homme du service de police en disant qu’il ne voulait pas de lui à l’audience. L’échange ci‑après mentionné a suivi :

[Traduction]

Le Président : Demandez-vous une exclusion de témoins?

M. M. Schecter : Je demande son exclusion parce que nous ne l’avons pas encore accepté comme témoin… parce qu’il s’agit d’une situation se rapportant encore à [élément supprimé] et [élément supprimé] y est visé et cela c’est contre la Loi sur les jeunes contrevenants.

Le Président : M. Schecter, il s’agit d’une audience publique. À moins que vous demandiez une exclusion de témoins, c’est une audience publique…

M. M. Schecter : Bien, c’est M… êtes‑vous M. Desève? Bien s’il s’agit de M. Desève, c’est l’un des témoins.

Le Président : Demandez‑vous une exclusion de témoins?

M. M. Schecter : Je demande son exclusion de la salle d’audience.

Le Président : Je ne vais pas exclure un témoin. Demandez‑vous une exclusion de témoins?

M. M. Schecter : Bien, pourquoi devrait‑il pouvoir participer à ce témoignage étant donné qu’il n’était pas là; il n’a rien à voir avec la situation mais il présente un document, encore, contre [élément supprimé]. Alors ce que je suggérerais que nous fassions maintenant, si cela ne vous dérange pas que je le dise, et je ne suis pas avocat, mais je veux proposer que nous parlions de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je ne veux pas discuter, mais je vous dis que cela a un lien parce qu’il le présente en preuve et j’ai vu ce document de la Couronne. Alors, nous y revenons encore et je ne l’ai jamais donné au CN.

Le Président : S’il y a des documents se rapportant à [élément supprimé] qu’ils essaieront de présenter en preuve, vous pourrez soulever ces objections à ce moment. Ce matin lorsque je parle de la divulgation de documents, cela ne veut pas dire qu’ils sont admis en preuve.

M. M. Schecter : Je ne vais pas rester assis ici jour après jour et parler de [élément supprimé], d’accord […]. Bien, nous sommes venus ici pour témoigner. Ou bien nous témoignons ou bien nous partons. Veuillez nous dire ce qui se passe et continuons la cause.

[48] On a alors demandé au plaignant d’appeler son premier témoin. M. Marshall Schecter est une fois de plus intervenu comme suit :

[Traduction]

M. M. Schecter : Bien alors, allez‑y. Ils voulaient appeler mon père.

Le Président : Non, c’est votre… c’est votre cause, M. Schecter.

[…]

M. B. Schecter : Bien, ça dépend de moi alors parce que je suis l’avocat ici et la question de savoir si je porterai ou non deux chapeaux par la suite est une autre question, mais je suis l’avocat et nous sommes prêts à… nous sommes prêts à commencer.

M. M. Schecter : Une des raisons pour lesquelles nous ne pouvons appeler aucun témoin est que nous avons été empêchés par le CN et le service de police de citer des témoins.

M. B. Schecter : Bien, cela sera présenté en preuve…

M. M. Schecter : Exactement. Alors maintenant nous n’avons aucun témoin à appeler.

[49] Malgré les commentaires de son fils, le plaignant a alors commencé à présenter sa preuve.

[50] Le 10 septembre 2004, M. Marshall Schecter a fait une autre intervention vive à l’égard d’une série de questions, posées par l’avocat de l’intimée, qu’il estimait irrespectueuses à l’endroit de son père. Son père lui a alors dit que si des objections devaient être soulevées, il le ferait lui‑même. Il a de plus déclaré que parfois son fils [Traduction] devient un peu trop zélé quant à la protection qu’il [lui] offre.

[51] Le 23 septembre 2004, au cours du témoignage de sa mère, M. Marshall Schecter a interrompu une fois de plus l’audience et a commencé à expliquer le témoignage que rendait sa mère à l’égard de la disposition physique de l’immeuble résidentiel dans lequel elle et le plaignant avaient vécu. Selon M. Marshall Schecter, il avait [Traduction] le droit de soulever une objection étant donné que l’avocat de l’intimée [Traduction] donnait des renseignements erronés. Le président a dû expliquer à M. Marshall Schecter que son père agissait pour son propre compte et que, s’il souhaitait le faire, il pourrait en réplique demander au témoin de corriger les renseignements s’ils sont erronés.

[52] L’audience a été ajournée le 23 septembre 2004 et n’a repris que le 9 mai 2005. Marshall Schecter était le témoin du plaignant ce jour‑là. Il était un témoin très récalcitrant et à certains moments il était agressif et antagoniste.

[53] En fait, ce qui rendait furieux le témoin était mes questions quant à savoir où son véhicule était stationné le 7 juin 2001. Le témoin ne semblait pas se rendre compte que le processus décisionnel judiciaire dans notre système accusatoire s’appuie sur le témoignage de vive voix fourni par des témoins examinés par le juge des faits, dans la présente affaire, le membre instructeur du Tribunal. De façon générale, c’est le rôle des parties, non celui du Tribunal, d’appeler et d’examiner des témoins. Bien que la présentation de la preuve soit laissée aux parties et aux avocats, le juge des faits a le droit d’interroger les témoins. En fait, j’ajouterais que c’est son devoir de le faire s’il est d’avis que l’interrogatoire est nécessaire afin d’évaluer correctement la preuve du témoin. Dans ses questions, le juge des faits n’est pas limité à des demandes visant à clarifier des points douteux et il peut étendre les questions à des points qui n’ont pas été traités lors de l’interrogatoire des témoins par les avocats. (Voir le traité de Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e édition, à la section 16.9.) C’était la raison des questions que j’ai posées au témoin. J’avais le sentiment que l’interrogatoire principal était incomplet et qu’il n’y avait toujours pas de réponses à de nombreux points qui auraient dû être traités.

[54] Lorsqu’on lui a d’abord demandé où il avait stationné son véhicule, le témoin a dit qu’il ne pouvait pas [Traduction] exactement indiquer l’endroit précis. Afin de l’aider, je lui ai demandé de regarder un croquis du complexe de la Gare centrale qui avait été présenté en preuve. Je lui ai alors demandé une fois de plus s’il pouvait me montrer où il avait stationné son véhicule et il a répondu ce qui suit : [Traduction] Dans ce coin‑là. Je ne peux pas le dire exactement […]. Pour que ce soit plus facile pour moi, lorsque j’examinerais la preuve, je lui ai demandé de mettre ses initiales à côté de l’endroit qu’il avait indiqué et c’est à ce moment que les choses ont échappé à tout contrôle. Il a dit qu’il préférait ne pas faire ce que je lui demandais parce qu’il ne [Traduction] voulait pas être lié par cela. Il a en outre ajouté ce qui suit : [Traduction] Si je vais sur place et que je prends des mesures, alors c’est avec plaisir que je le ferai. L’échange suivant a ensuite eu lieu :

[Traduction]

Le Président : Pouvez‑vous seulement mettre vos initiales là, vos initiales -- Marshall Schecter -- seulement pour indiquer à peu près où vous étiez…

M. M. Schecter : Je préférerais ne pas le faire.

Le Président : Bien, je vous demanderais de le faire pour indiquer…

M. M. Schecter : Je ne veux pas être lié par cela. Je ne veux pas être lié par cela parce que je sais que j’étais à peu près ici…

[55] Le témoin oubliait qu’il était sous serment, et qu’il serait lié par le témoignage qu’il rendait, et que si ce témoignage n’était pas clair il serait alors difficile pour moi de rendre sur cette question une décision favorable au plaignant.

[56] Le témoin a ensuite commencé à argumenter, il a élevé la voix et a une fois de plus contesté mon pouvoir. L’échange a continué comme suit :

[Traduction]

Le Président : Alors, vous ne pouvez pas indiquer précisément où vous étiez?

M. M. Schecter : Si je me rends sur place et que je prends des mesures, alors c’est avec plaisir que je le ferai.

Le Président : D’accord, je n’ai pas de preuve quant à l’endroit exact où vous aviez stationné votre véhicule à ce moment. D’accord.

M. M. Schecter : J’aimerais dire que je veux que ce soit mesuré et alors je reviendrai et je vous le dirai, est-ce que ça convient? […] Bien… bien, écoutez, vous me demandez de mettre mon…je ne connais pas l’échelle du plan… [...] et si nous devons entrer dans des détails techniques, j’ai le droit et je veux qu’il soit inscrit au dossier que je veux connaître l’échelle et que je vais prendre des mesures et qu’alors je vais le signer. Mais…

Le Président : Les échelles ne sont pas importantes. La seule chose…

M. M. Schecter : Oui, elles le sont pour moi, Monsieur. Si nous parlons de détails techniques, elles le sont.

Le Président : D’accord, Monsieur, si vous… la preuve que j’ai est déposée aujourd’hui; c’est ce que j’obtiens et je n’ai pas… [interrompu en milieu de phrase].

M. M. Schecter : [D’une voix forte, presque en criant.] Bien, non alors, je m’excuse, nous… je ne veux pas continuer sans avoir la possibilité de prendre…

Le Président : Monsieur, c’est moi qui décide si nous continuons ou non.

M. M. Schecter : [En criant.] Non, je décide.

Le Président : Non, vous êtes le témoin! [Il y a un point d’acclamation dans la transcription – SJ.)

[57] J’ai alors essayé de rétablir l’ordre, mais il n’y avait rien à faire. Afin d’éviter une dispute avec le témoin, j’ai décidé d’ajourner l’audience pendant cinq minutes dans l’espoir que la pause lui permettrait de se calmer.

[58] Lorsque l’audience a repris, le plaignant a présenté ses excuses pour ce qui venait juste de se passer, mais son épouse est intervenue et elle a dit : [Traduction] Aucune excuse n’est nécessaire. Le plaignant a essayé d’expliquer le comportement de son fils, mais le témoin ne l’a pas laissé finir son explication et a continué à agir de la même façon selon laquelle il agissait avant la pause. À un moment, le plaignant est de nouveau intervenu en disant à son fils d’une voix sévère : [Traduction] Cela suffit maintenant…, mais cela n’a rien changé. Le témoin m’a alors menacé en disant qu’il ferait un compte rendu complet des événements [Traduction] au Tribunal, au Barreau et à tout le reste parce que c’est contraire à l’éthique et immoral. Et c’est tout, aucune autre discussion. Une fois de plus, son père est intervenu en lui disant : [Traduction] Juste un moment, il va y avoir un contre‑interrogatoire, maintenant écoute simplement M. McMurray.

[59] À ce moment, M. McMurray a demandé une pause pour préparer son contre-interrogatoire. Étant donné qu’il était 11 h 28, j’ai décidé de faire une pause pour le repas du midi. J’espérais que cette pause permettrait au témoin de se calmer et de réfléchir, suivant les conseils de son père, sur son comportement au cours de l’audience. Une fois de plus, le témoin a contesté ma décision en disant sur un ton fort : [Traduction] Je m’excuse, j’ai une réunion à 15 heures et nous avons […]. J’ai ordonné le silence, mais une fois de plus le témoin est intervenu agressivement en disant ce qui suit : [Traduction] Partons, c’est fini! Je ne reviendrai pas, ne perdez pas votre temps! [Les points d’exclamation ont été inscrits par le sténographe judiciaire.]

[60] Malheureusement, le plaignant et son témoin ne sont pas revenus à l’audience en après‑midi et l’intimée a été privée de son droit de procéder au contre‑interrogatoire du témoin. J’ai alors ajourné l’audience jusqu’au lendemain matin.

[61] Le même après‑midi du 9 mai 2005, selon mes directives, le plaignant a personnellement reçu signification d’une lettre signée par Gregory M. Smith, le registraire du Tribunal. Un affidavit de signification assermenté par Michel Fiset, un huissier de la province de Québec, a été déposé au Tribunal. Dans cet affidavit, M. Fiset a déclaré qu’il avait personnellement signifié au plaignant à son domicile le 9 mai 2005, à 19 h 26, un exemplaire de la lettre. La lettre en question informait le plaignant que le Tribunal avait ajourné l’audience jusqu’à 9 h 30 le mardi 10 mai 2005 et que, dans l’éventualité où le plaignant ne serait pas présent à ce moment, le Tribunal continuerait l’audition de la plainte en son absence. La lettre informait de plus le plaignant que le Tribunal ne tolérerait aucun autre éclat de la part du témoin du plaignant, M. Marshall Schecter. Je suis convaincu, compte tenu de cet élément de preuve, que le plaignant a effectivement reçu un avis approprié l’informant que l’instance reprendrait le 10 mai 2005 et qu’il a choisi de ne pas s’y présenter.

[62] Le 10 mai 2005 et les autres jours d’audience, l’agent du greffe commençait l’audience en demandant si Benjamin Schecter, le plaignant, ou quelqu’un le représentant, était présent dans la salle d’audience. Le dossier de l’audience reflète que les demandes à cet égard n’ont reçu aucune réponse.

[63] Le plaignant a eu la possibilité pleine et entière de comparaître à l’audience, de présenter de la preuve et de faire des représentations. Sans donner aucun motif quant à sa décision ou sans déposer devant le Tribunal une requête pour retirer sa plainte, il a décidé de ne pas tenir compte des instructions contenues dans la lettre du Tribunal datée du 9 mai 2005 et il a choisi de ne plus participer à l’audience. En agissant ainsi, le plaignant a renoncé à son droit de comparaître, de présenter de la preuve, de procéder à un contre‑interrogatoire des témoins de l’intimée et de présenter des observations finales.

[64] Quant à elle, l’intimée a choisi de participer pleinement à l’instance et elle ne devrait pas subir un préjudice du fait que le plaignant a décidé de ne pas en faire autant.

[65] Conformément aux pouvoirs que m’accorde la Loi pour trancher toute question de procédure ou de droit soulevée au cours de l’audience, j’ai décidé de poursuivre l’audience en l’absence du plaignant. J’étais d’avis qu’il était important, pour toutes les parties en cause, qu’une conclusion définitive soit tirée quant à la question en litige. Beaucoup de temps, de préparation et de ressources financières ont été consacrés à la préparation de l’audience et à l’audience elle‑même et j’étais d’avis que ce n’est pas parce qu’un témoin a décidé de ne plus participer à l’audience que ce temps, cette préparation et ces ressources devaient être gaspillés. (Pour des décisions du Tribunal dans lesquelles les audiences se sont poursuivies en l’absence de l’une des parties voir Fox c. Musqueam Indian Band & Hargitt, 2004 TCDP 17 (CanLII); Sanusi c. Brown, 2004 TCDP 33 (CanLII); Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail de la Province de Québec Inc. et DesRosiers c. Barbe, 2003 TCDP 24 (CanLII); Woiden, Flak, Yeary et Curle c. Lynn, 2002 IIJCan 8171 (TCDP); Warman c. Kybur, 2003 TCDP 18 (IIJCan); Chiliwack Anti-Racism Project Society c. Scott and Churst of Christ in Isreal, 1996 IICan 1793 (TCDP); Khaki et Elterman c. Canadian Liberty Net, 1993 IIJCan2806 (TCDP)).

[66] Il est regrettable que le plaignant, un ancien juge et un ancien membre instructeur du Tribunal, ait décidé de se retirer de l’audience. Mais pour être juste envers lui, après avoir vu et entendu ce qui s’est passé le jour en question et les jours précédents, je ne suis toujours pas convaincu qu’il a pris cette décision de son propre gré. Quoi qu’il en soit, le plaignant comprend totalement, j’en suis certain, les conséquences de sa décision.

[67] Quant au témoignage rendu par Marshall Schecter, étant donné que l’intimée n’a jamais eu la possibilité de procéder à son contre-interrogatoire, sa pertinence et son importance seront très limitées.

IV. Les Faits

[68] Le plaignant souffre d’une maladie dégénérative chronique de la colonne lombaire. Bien qu’aucune preuve médicale n’ait été présentée, l’état de santé du plaignant n’a pas été contesté par l’intimée et le Tribunal conclut qu’il souffre effectivement d’une déficience.

[69] En 1999, la Société de l’assurance automobile du Québec lui a envoyé un Certificat d’attestation et une vignette de stationnement pour personne handicapée à accrocher au rétroviseur intérieur de son véhicule.

[70] Le plaignant a reconnu que ce qu’il savait quant aux événements qui constituent le fondement de sa demande est limité étant donné qu’il n’était pas présent durant la majeure partie de ces événements et qu’un grand nombre des renseignements qu’il détient à l’égard de ces événements provient de son fils. À de nombreuses reprises, le plaignant a insisté sur le fait que c’est son fils qui s’est occupé de la plus grande partie de la correspondance, des appels et des communications se rapportant à la présente affaire.

[71] L’épouse du plaignant n’a pas été très utile comme témoin. Elle a admis qu’elle n’avait également qu’une connaissance limitée des événements et qu’elle s’appuyait sur les renseignements que lui avait donnés son fils. En outre, son comportement en tant que témoin n’a pas aidé le Tribunal à découvrir les faits. Elle argumentait beaucoup et à un certain moment elle a manifesté de l’impatience à l’égard de l’avocat et du Tribunal.

[72] Au cours de son mandat en tant que membre instructeur du Tribunal canadien des droits de la personne, le plaignant devait se rendre à Ottawa pour entendre des causes. À ces occasions, son épouse et lui partaient de la Gare centrale du CN à Montréal (Gare centrale). Le plaignant et son épouse ont témoigné qu’ils avaient voyagé en train entre Montréal et Ottawa [Traduction] au moins à une centaine de reprises. Le plaignant a reconnu qu’à l’exception du 7 juin 2001, ils avaient toujours été satisfaits des services fournis à la Gare centrale.

[73] À leurs retours à Montréal, leur fils, Marshall Schecter, venait les chercher à la Gare centrale. Selon M. Marshall Schecter, il s’est rendu à la Gare centrale [Traduction] au cours des dix (10) dernières années, approximativement vingt‑cinq à trente (25 à 30) fois par année, aller‑retour, ce qui ferait cinquante à soixante (50 à 60) fois par année. Faire descendre ses parents à la Gare centrale pouvait prendre entre cinq (5) et dix (10) minutes et venir les chercher entre quinze (15) et vingt (20) minutes. Il a en outre reconnu [Traduction] n’avoir jamais subi d’indicent à la Gare centrale.

[74] M. Michel Legault, qui au cours de la période pertinente à la présente audience était le directeur, Projets spéciaux, Canada et États-Unis, chez l’intimée, a rendu un témoignage quant à l’aménagement physique de la Gare centrale. La Gare centrale appartient à l’intimée. Son objet est principalement de fournir aux passagers de VIA Rail, d’Amtrak et de l’AMT un accès aux trains.

[75] Géographiquement, le complexe de la Gare centrale est situé dans un carré borné au nord par le boulevard René‑Lévesque, à l’ouest par la rue Mansfield, à l’est par la rue University et au sud par la rue de la Gauchetière. Il y a au sud du complexe une entrée en forme de fer à cheval qui permet l’entrée à la Gare centrale et la sortie par la rue de la Gauchetière. Le fer à cheval sert également de voie d’accès aux véhicules d’urgence. Il n’y a pas de stationnement public dans le fer à cheval bien que les taxis qui fournissent un service aux passagers qui passent par la Gare centrale aient le droit d’y stationner, de même que les véhicules appartenant à Budget Rent‑A‑Car. De plus, certaines places de stationnement sont réservées aux dirigeants de l’intimée et de VIA Rail.

[76] L’aire en fer à cheval est surveillée par des gardiens de sécurité qui, bien qu’ils soient des employés d’une tierce partie, sont supervisés par l’intimée. L’un des buts de la présence de ces gardiens de sécurité est de s’assurer qu’il y ait un mouvement continu de la circulation dans l’aire en fer à cheval. Selon M. Legault, il existe une politique de tolérance dans les cas où quelqu’un aide une personne à mobilité réduite ou une personne qui a de nombreux bagages. Dans ces circonstances, les gardiens de sécurité permettent que des véhicules restent sans surveillance pendant quelques minutes de façon à ce que le conducteur du véhicule aide le passager à entrer dans la Gare centrale ou à retirer certains bagages du véhicule.

[77] Il y a au milieu du fer à cheval, un stationnement public, exploité par une société privée, qui est accessible par la rue de la Gauchetière. Le nom que l’on donne également à ce stationnement public est le stationnement South Plaza. Il y a un autre stationnement, le Garage Belmont, qui est accessible par la rue Mansfield et la rue University.

[78] Le Garage Belmont est situé directement au‑dessus du stationnement South Plaza. Il comporte quatre (4) étages de stationnement et un stationnement sur le toit. On accède à la Gare centrale à partir de ce garage par des ascenseurs et un escalier. Les ascenseurs donnent accès à la portion est du fer à cheval, à côté de l’entrée principale de la Gare centrale.

[79] Il n’y a pas de places de stationnement désignées comme place de stationnement pour handicapé dans le stationnement South Plaza, mais dans le Garage Belmont il y a deux places de stationnement par étage, sauf sur le toit, qui sont ainsi désignées. Ces places de stationnement sont situées près des ascenseurs de façon à ce que lors de la descente d’un véhicule, l’ascenseur soit facilement accessible pour le conducteur et les passagers du véhicule. Une fois dans l’ascenseur, le conducteur et les passagers sont conduits au rez‑de‑chaussée du Garage Belmont où ils doivent prendre un autre ascenseur qui les conduira au niveau de la gare centrale.

[80] Pour faciliter la mobilité pour entrer dans la Gare centrale et en sortir, il n’y a aucune bordure à l’entrée principale. L’entrée comporte également des portes automatiques. Des bancs sont disponibles pour que les gens puissent s’asseoir pendant qu’ils attendent. Des employés de VIA, des porteurs appelés Red Caps, sont disponibles pour aider les passagers à transporter leurs bagages.

[81] À l’égard des caractéristiques physiques de la Gare centrale, le plaignant a témoigné que le 7 juin 2001 il n’y avait rien de différent par rapport à ce qu’il avait remarqué lors de ses visites précédentes.

[82] Le 7 juin 2001, le plaignant et son épouse revenaient à Montréal en train en provenance d’Ottawa. Le train devait arriver à la Gare centrale à 17 h 08. Selon la preuve, le train numéro 34 de VIA, en provenance d’Ottawa, est arrivé ce jour à 17 h 15, avec un retard de sept (7) minutes. Il y avait 93 passagers à bord du train. Approximativement à la même heure (17 h 06), le train numéro 60 en provenance de Toronto est arrivé à la Gare centrale avec 284 passagers à bord.

[83] Ce que Marshall Schecter se souvient quant aux événements qui se sont produits à la suite de son arrivée dans le fer à cheval le 7 juin 2001 diffère de ce que se souvient le gardien de sécurité, Éric Geoffroy, qui travaillait dans le stationnement South Plaza ce jour‑là. Compte tenu du fait que l’intimée n’a jamais eu la possibilité de procéder à un contre‑interrogatoire de Marshall Schecter et étant donné que le comportement de ce témoin a rendu son témoignage peu fiable, en cas de contradiction, c’est le témoignage de M. Geoffroy qui sera préféré.

[84] Marshall Schecter a témoigné qu’il était arrivé à la Gare centrale à 16 h 57 le 7 juin 2001. Ni le plaignant ni son épouse ne pouvaient confirmer son témoignage. Lors du contre‑interrogatoire, le plaignant a expliqué qu’il ne savait pas personnellement si le véhicule avait été stationné plus de 15 minutes. Il a ajouté ce qui suit : [Traduction] C’est mon fils qui m’a dit qu’il était arrivé à 16 h 57. Il a ajouté que ce dernier serait plus en mesure que lui de répondre à cette question. Malheureusement, étant donné qu’il a décidé de quitter l’audience, cela ne s’est jamais produit.

[85] Dans le [Traduction] Compte rendu d’incident qu’il a préparé le 7 juin 2001, M. Geoffroy a précisé que M. Schecter était arrivé à la Gare centrale à 16 h 40. Je ne vois aucune raison de mettre en doute la preuve présentée par M. Geoffroy sur ce point. Il se présentait comme un témoin calme et désintéressé et il consultait ses notes qui avaient été consignées au moment des événements mentionnés dans la plainte. Le plaignant a eu la possibilité de procéder au contre‑interrogatoire de M. Geoffroy, mais en décidant de se retirer de l’instance, il a renoncé à ce droit et la preuve de M. Geoffroy n’a pas été contestée. J’accepterai la preuve de M. Geoffroy selon laquelle Marshall Schecter est arrivé à la gare à environ 16 h 40 et non à 16 h 57.

[86] Marshall Schecter a témoigné qu’un gardien de sécurité de l’intimée s’est approché de lui [Traduction] dans les soixante secondes de son arrivée à la Gare centrale et lui a demandé ce qui suit : [Traduction] Pouvez‑vous déplacer votre véhicule s’il vous plaît?. Il a répondu : [Traduction] Non, je ne le déplacerai pas. Il a dit qu’il a alors demandé au gardien de sécurité pourquoi il devrait déplacer son véhicule et la réponse a été : [Traduction] Parce que vous bloquez. Il a répondu qu’il déplacerait le véhicule d’environ une ou deux longueurs de voiture, mais selon lui cela n’a pas satisfait le gardien de sécurité. À ce moment, il dit qu’il a accroché au rétroviseur intérieur la vignette pour personne handicapée et qu’il a déclaré : [Traduction] Je ne le déplacerai pas du tout. Il a ajouté que le gardien de sécurité a alors commencé à le [Traduction] harceler et qu’il [Traduction] est devenu en colère.

[87] Lorsqu’on lui a demandé où il avait stationné son véhicule ce jour‑là, Marshall Schecter n’a jamais donné une réponse précise. Lorsqu’on lui a demandé d’indiquer sur un croquis du complexe de la Gare centrale où il avait stationné son véhicule et de mettre ses initiales à côté de l’endroit indiqué, il a répondu : [Traduction] Je préférerais ne pas le faire. Il a été traité des événements qui ont suivi dans une autre portion de la présente décision et il n’est pas nécessaire de les reprendre sauf pour ajouter que le Tribunal n’a reçu à aucun moment de preuve provenant des témoins du plaignant à l’égard de l’endroit où le véhicule était stationné ce jour‑là et il ne peut que tirer une conclusion défavorable de cette absence de preuve.

[88] M. Geoffroy n’a pas nié s’être approché du véhicule de M. Schecter à son arrivée. Il a ajouté que le véhicule était stationné sur le côté nord du fer à cheval, très près de l’entrée principale de la Gare centrale.

[89] Il a dit qu’il s’était approché du véhicule et avait demandé au conducteur ce qu’il attendait étant donné qu’aucun train ne devait arriver à cette heure. Il a ajouté que Marshall Schecter a répondu qu’il venait chercher son père qui avait de la difficulté à marcher et qui arrivait d’Ottawa en train. M. Geoffroy lui a alors demandé de revenir à 17 heures étant donné que la période pendant laquelle il pouvait attendre dans le fer à cheval n’était pas plus de cinq (5) minutes. Marshall Schecter a répondu qu’il ne bougerait pas et il a alors sorti de la boîte à gants la vignette pour personne handicapée et il l’a accrochée au rétroviseur intérieur.

[90] M. Geoffroy a témoigné que pour calmer la situation, il a suggéré que M. Schecter déplace son véhicule de trente (30) ou trente‑cinq (35) pieds de façon à ce qu’il ne bloque pas la circulation. M. Schecter a une fois de plus refusé.

[91] M. Geoffroy a ajouté que M. Marshall Schecter et son fils sont alors devenus verbalement agressifs et il a décidé d’appeler un collègue pour l’appuyer. À ce moment, il était à peu près 17 heures. Son collègue a essayé de parler à M. Schecter, mais cela n’a rien changé. Ils ont alors décidé d’appeler les policiers de la Communauté urbaine de Montréal. Le premier véhicule de police est arrivé sur les lieux à 17 h10. M. Geoffroy a commencé à expliquer ce qui venait de se passer et alors les policiers ont pris la situation en mains. Il a ajouté que ses collègues et lui étaient restés sur place en tant qu’observateurs intéressés, mais qu’ils n’étaient pas intervenus quant aux événements qui ont suivi.

[92] La situation s’étant intensifiée, les policiers ont appelé des renforts et, peu après, deux autres véhicules de police sont arrivés sur les lieux. Le plaignant et son épouse n’étaient pas présents dans l’aire en fer à cheval au cours de ces événements.

[93] Le plaignant et son épouse ont témoigné qu’à leur arrivée à la Gare centrale en provenance d’Ottawa ils avaient l’habitude d’attendre que les autres passagers soient descendus du train avant de descendre. Le plaignant a reconnu qu’il ne pouvait pas marcher très vite en raison de sa déficience. De la plate-forme du train jusqu’au principal hall de la gare, il prenait l’ascenseur étant donné qu’il [Traduction] évitait toujours d’emprunter les escaliers lorsque c’était possible. Il a en outre ajouté qu’avant de quitter la Gare centrale il se rendait aux toilettes publiques et lorsqu’il en sortait son petit‑fils l’accompagnait à son véhicule.

[94] Mme Schecter a témoigné que la [Traduction] descente de train le 7 juin 2001 avait pris de 7 à 10 minutes. Donc, lorsqu’ils sont descendus du train, qui était arrivé à 17 h 15, et qu’ils ont monté l’escalier roulant, il devait être presque 17 h 25. Le plaignant s’est alors rendu aux toilettes publiques et s’est ensuite dirigé vers l’aire en fer à cheval.

[95] Selon la preuve du plaignant et celle de son épouse, le 7 juin 2001, ils ont rencontré leur petit‑fils en haut de l’escalier roulant. L’épouse du plaignant a déclaré qu’elle pouvait voir qu’il était nerveux bien qu’elle n’ait pas dit si elle lui avait à ce moment demandé la raison de sa nervosité. Le plaignant a déclaré qu’il s’était alors rendu aux toilettes publiques accompagné de son petit‑fils.

[96] La preuve de l’épouse du plaignant quant à ce qui s’est passé par la suite est intéressante. Elle a témoigné comme suit : [Traduction] Il [le petit-fils] a marché avec mon époux jusqu’aux toilettes publiques où nous avons laissé mon époux et [mon] petit‑fils m’a alors accompagnée à notre véhicule où mon fils nous attendait [non souligné dans l’original.] Pourquoi n’a‑t‑elle pas attendu son époux ou demandé à son petit‑fils de le faire compte tenu de l’état de son époux et du fait qu’à de nombreuses reprises au cours de son témoignage elle a déclaré que son époux dépendait d’elle pour ses déplacements? Elle n’avait certainement pas besoin d’être accompagnée au véhicule étant donné qu’il n’y a pas de preuve qu’elle ne peut pas marcher seule. Elle a par la suite ajouté qu’ils avaient [Traduction] complètement oublié le fait [qu’ils avaient] laissé mon époux aux toilettes publiques. Ce comportement est de façon certaine embarrassant compte tenu du témoignage rendu au cours de l’audience se rapportant à la difficulté qu’a le plaignant à se déplacer sans aide. On aurait pu s’attendre à ce que Mme Schecter ou son petit‑fils ait attendu que le plaignant sorte des toilettes publiques.

[97] Le plaignant a témoigné que lorsqu’il est sorti des toilettes publiques, il n’y avait là personne pour l’aider. Il a ajouté qu’un [Traduction] jeune inconnu l’avait aidé à marcher jusqu’au stationnement où il a remarqué que son petit‑fils était détenu dans un fourgon de police. Il a déclaré qu’il a fait appel aux policiers qui, à sa demande, ont relâché son petit‑fils.

[98] La preuve du plaignant et celle de son épouse ne correspondent pas à la preuve de M. Geoffroy. Selon son compte rendu, ni Marshall Schecter ni son fils n’ont été autorisés à entrer dans la Gare centrale le 7 juin 2001. Il a témoigné que le jeune Schecter avait, avant que les policiers arrivent, essayé d’entrer dans la Gare centrale, mais qu’on l’avait empêché de le faire. Il a de plus mentionné dans son compte rendu que le plaignant et son épouse étaient arrivés ensemble à l’entrée principale du stationnement South Plaza juste au moment où les deux autres véhicules de police arrivaient sur les lieux.

[99] Il a ajouté qu’il y avait beaucoup de cris et que son collègue et lui se tenaient à l’écart et laissaient les policiers s’occuper de la situation. À un moment, il a remarqué que le plaignant parlait à l’un des policiers relativement à la situation touchant son petit‑fils. Les policiers ont remis le petit-fils aux soins de son grand‑père à environ 17 h 30. M. Geoffroy a ajouté que Marshall Schecter s’est alors tourné vers lui et lui a dit : [Traduction] Vous allez payer pour cela.

[100] Le plaignant a en outre témoigné qu’à un certain moment on l’a fait monter dans une voiture ou un fourgon de la police de la Ville de Montréal. Il a en outre témoigné que son épouse était partie au volant de leur véhicule et qu’il était resté sur place avec son fils et son petit‑fils.

[101] L’épouse du plaignant a ajouté que son époux [Traduction] avait été écarté comme un objet inutile par le gardien de sécurité de l’intimée. Elle a ajouté qu’un gardien de sécurité du CN lui avait ordonné de déplacer son véhicule et de le stationner à l’extérieur de l’aire en fer à cheval. Encore une fois, il s’agit d’un commentaire intéressant compte tenu du fait qu’au cours du contre‑interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé si elle se rappelait où le véhicule était stationné le 7 juin 2001, elle a répondu : [Traduction] Comment puis‑je me rappeler? Lorsque je suis arrivée, je n’ai jamais vu un véhicule. J’ai seulement vu des policiers qui se disputaient et qui poussaient. Par la suite, elle a ajouté ce qui suit : [Traduction] Je sais que le véhicule était passé — je ne l’ai pas vu près du fer à cheval. Il était stationné beaucoup plus loin parce que l’altercation se passait près de l’entrée. […] Je n’ai pas vu le véhicule là, alors il devait être plus loin [non souligné dans l’original]. Si elle avait dû déplacer le véhicule comme elle a témoigné, elle devait savoir où il était stationné.

[102] Ce que le plaignant se souvient quant aux événements qui se sont produits par la suite c’est qu’un véhicule de police l’avait ensuite déposé à l’endroit où son épouse était allée stationner le véhicule. Il ne pouvait pas se souvenir où son épouse avait stationné le véhicule ou comment les policiers savaient où elle avait stationné le véhicule. L’épouse du plaignant a ajouté que son époux l’avait rejointe environ une demi-heure plus tard dans un véhicule de police, mais elle n’a pas mentionné où elle avait stationné le véhicule ou comment les policiers avaient su où la trouver. Elle a alors dit qu’ils étaient retournés à la Gare centrale pour aller chercher son fils et son petit‑fils.

[103] Cette preuve ne correspond pas à ce dont se souvient M. Geoffroy quant à cet incident. Selon son compte rendu, le véhicule de M. Schecter était stationné exactement au même endroit durant toute la confrontation et il n’a jamais été déplacé par qui que ce soit. Il a en outre ajouté que tous les membres de la famille sont partis ensemble dans le véhicule à 17 h 35.

[104] Le 12 juin 2001, l’épouse du plaignant a préparé une déclaration écrite quant à ce qui s’était passé le 7 juin 2001. Dans cette déclaration, elle ne mentionne nullement l’intimée ou l’un de ses employés ou le fait que le plaignant avait été placé dans un véhicule de police. Cela est très surprenant si on tient compte de son témoignage lors de l’audience selon lequel ils avaient [Traduction] été empoignés par des gardiens de sécurité et non par des policiers, selon lequel [Traduction] ils ont poussé mon époux […] dans un fourgon cellulaire et selon lequel les gardiens de sécurité [Traduction] [l]’avaient écarté comme un objet inutile. On se serait attendu, compte tenu de la gravité de ces accusations, à ce qu’elle les mentionne dans ses notes écrites. Cependant, il n’y a nulle part dans ces notes une mention de ces événements se rapportant à son époux et aux gardiens de sécurité de l’intimée.

[105] Il est en outre important de mentionner qu’il n’y a nulle part dans le formulaire de plainte une mention de ces événements se rapportant au plaignant. Au contraire, on a l’impression en lisant la plainte que l’arrivée du plaignant dans l’aire en fer à cheval avait eu un certain effet apaisant. Le plaignant déclare dans sa plainte ce qui suit : [Traduction] Dans l’intervalle, lorsque je suis sorti des toilettes publiques, il n’y avait là personne pour m’aider. Un jeune inconnu m’a aidé à marcher jusqu’au stationnement où j’ai vu mon petit‑fils qui était détenu dans un fourgon de police. J’ai alors fait appel à un policier de la CUM et, à ma demande, mon petit‑fils a été relâché. La plainte est ensuite rédigée comme suit : [Traduction] J’estime que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a exercé de la discrimination à mon endroit en omettant de fournir des places de stationnement désignées expressément pour des véhicules affichant une vignette de stationnement pour personne handicapée. En raison du manque d’accommodation, mon épouse, Irma Schecter, et mon fils, Marshall Schecter, ont été agressés et mon petit‑fils, Myles Schecter, a été agressé […]. Encore une fois, la plainte ne mentionne pas que le plaignant a été agressé par des employés de l’intimée.

[106] Par conséquent, je suis d’avis que le témoignage de Mme Irma Schecter selon lequel des gardiens de sécurité de l’intimée ont bousculé et écarté son époux n’est aucunement fondé et n’est pas appuyé par la preuve.

V. La décision

[107] Dans sa plainte, le plaignant allègue que l’intimée, par son omission d’avoir offert aux membres de sa famille et à lui‑même une accommodation quant à ses installations, s’est livrée à un acte discriminatoire fondé sur le motif de la déficience en contravention de l’article 5 de la Loi).

[108] L’article 5 prévoit ce qui suit :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

  1. d’en priver un individu;
  2. de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[109] De nombreuses décisions ont mentionné que la Loi devrait être interprétée d’une façon large et libérale compatible avec son statut quasi constitutionnel et d’une manière qui assure la réalisation de ses objectifs. L’objet de la Loi est énoncé comme suit à l’article 2 :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée.

[110] Dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 547, la Cour suprême a traité de la question de l’objet de la loi en matière des droits de la personne de la façon suivante :

Les règles d’interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un code des droits de la personne, la nature et l’objet spéciaux de ce texte législatif […] et de lui donner une interprétation qui permettra de promouvoir ses fins générales. Une loi de ce genre est d’une nature spéciale. Elle n’est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d’une nature qui sort de l’ordinaire. Il appartient aux tribunaux d’en rechercher l’objet et de le mettre en application. Le Code vise la suppression de la discrimination. C’est là l’évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l’auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. [Non souligné dans l’original.]

[111] Dans l’arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, la Cour suprême a ajouté ce qui suit au paragraphe 8 :

Suivant son art. 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment de motifs de distinction illicites […]. [O]n doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous‑tendent.

[112] Par conséquent, la Loi devrait être utilisée pour favoriser son objet; elle ne devrait pas être utilisée comme un moyen de poursuivre une vengeance quant à des événements qui ne se rapportent pas à un acte discriminatoire.

[113] Dans la présente affaire, la seule question à trancher est celle de savoir si la conduite de l’intimée est une conduite qui constituait un acte discriminatoire fondé sur la déficience. Il existe très peu d’affaires qui sont utiles pour trancher cette question parce que la grande majorité des affaires en matière des droits de la personne résultent des situations d’emploi et parce que très peu d’affaires ont été tranchées à la suite d’une allégation de discrimination dans la fourniture de services, d’installations ou de moyens d’hébergement, comme c’est le cas en l’espèce.

[114] Dans l’affaire Re Saskatchewan Human Rights Commission et al. et Canadian Odeon Theatres Limited, (1985) 18 D.L.R. 4th 93, le plaignant a acheté un billet pour voir un film et est entré dans la salle de cinéma, mais on lui a demandé de s’asseoir dans son fauteuil roulant à l’avant de la salle. Il a déposé une plainte en vertu du code des droits de la personne de la Saskatchewan alléguant de la discrimination fondée sur un handicap physique à l’égard de services ou installations offerts au public. Un arbitre a rendu une décision favorable au plaignant. La décision a été annulée en appel, mais a été confirmée à la suite d’un autre appel interjeté auprès de la Cour d’appel de la Saskatchewan. Le jugement majoritaire a été rendu par le juge Vancise. Il a déclaré ce qui suit à la page 113 :

[Traduction]

La question à trancher dans la présente affaire est celle de savoir si les installations pour le visionnement d’un film offertes à tous les membres du public, mais qui ont pour effet ou conséquence pratique de faire de la discrimination à l’endroit d’un ou plusieurs membres du public fondée sur un motif illicite, c’est‑à‑dire la déficience physique, constitue de la discrimination.

[115] À la page 115, il a de plus déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Le traitement d’une personne de façon différente de celle selon laquelle les autres personnes sont traitées peut ou non équivaloir à de la discrimination tout comme le fait de traiter des gens de façon équitable n’est pas déterminant quant à la question en litige. Si l’effet du traitement a des conséquences défavorables qui sont incompatibles avec les objets de la loi, par la restriction ou l’exclusion du droit à une reconnaissance entière et égale et à l’exercice égal et entier de ces droits, le traitement sera discriminatoire : voir également Re Rocca Group Ltd. and Muise (1979), 102 D.L.R. (3d) 529, 22 Nfld. & P.E.I.R. 1; Post Office c. Union of Post Office Workers, [1974] 1 W.L.R. 89.

[116] La discrimination dans un contexte des droits de la personne est l’exclusion, la restriction ou la préférence dans le traitement, fondée sur l’une des nombreuses caractéristiques sélectionnées, dont le résultat est l’empêchement ou la dégradation de l’exercice par les individus des droits et libertés garantis par le code des droits de la personne. Pour décider si le plaignant a fait l’objet de discrimination dans la présente affaire, je dois nécessairement établir l’acte précis ou les actes précis qui, selon ce qu’il allègue, étaient discriminatoires ou qui ont entraîné de la discrimination. Un examen de la plainte déposée et de la preuve démontre manifestement que l’acte précis qui, selon ce qu’il allègue, constitue de la discrimination est le fait que le fils du plaignant n’avait pas pu stationner son véhicule dans l’aire en fer à cheval de la Gare centrale afin d’attendre son père qui devait arriver d’Ottawa en train. La question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si la conduite de l’intimée envers le plaignant, une personne handicapée, lui inflige un traitement restrictif, nuisible ou préjudiciable. Si oui, la conduite est discriminatoire et contraire à l’article 5 de la Loi.

[117] Une interprétation libérale doit être donnée à la Loi afin de s’assurer que son objet énoncé à l’article 2 est atteint. Par conséquent, il est nécessaire, afin de décider si le plaignant a fait l’objet de discrimination, d’établir si l’installation ou le service qui lui était offert était de façon importante différent de ce que l’intimée offrait au public en général. La réponse à cette question est négative. Le service offert au plaignant n’était pas de façon importante différent du service offert au public en général. La preuve montre que le plaignant a été autorisé à entrer dans l’espace en fer à cheval, d’y stationner pendant un certain temps afin de descendre ou de monter de son véhicule. La preuve montre qu’il l’avait fait à de nombreuses reprises et, selon le témoignage du plaignant lui‑même, il n’avait jamais eu d’expériences malheureuses à la Gare centrale à ces occasions. Ce qui était différent le 7 juin 2001, c’était la présence des policiers. La question alors est la suivante : Pourquoi ces policiers étaient‑ils présents dans le fer à cheval cette soirée‑là?

[118] La seule réponse à cette question est l’entêtement du fils du plaignant. Il n’y avait pas de raison pour le fils du plaignant de refuser de déplacer son véhicule lorsque le gardien se sécurité s’est d’abord approché de lui. Son père n’était pas dans le véhicule et il n’attendait pas non plus pour monter dans le véhicule. Le fils du plaignant aurait pu à ce moment déplacer le véhicule et envoyer son fils à l’intérieur de la Gare centrale pour qu’il y rencontre ses parents. Il aurait pu revenir plus tard à la Gare centrale pour venir chercher ses parents. La seule raison pour laquelle il a refusé de le faire était qu’il estimait que cela ne lui convenait pas et son refus n’avait pas de liens avec la déficience de son père. S’il croyait effectivement de façon raisonnable que les gardiens de sécurité agissaient de manière discriminatoire, il aurait dû se rendre compte que la confrontation n’était pas la solution. Il aurait dû déplacer son véhicule et déposer par la suite auprès des autorités appropriées une plainte au nom de son père.

[119] Sa décision de rester sur place et d’affronter les gardiens de sécurité était très peu judicieuse. Elle démontrait de plus un trait de son caractère qui a été révélé lors de l’audience et corroboré par d’autres éléments de preuve, à savoir qu’il était très coléreux. Cette caractéristique du comportement du témoin était mentionnée par M. Jacques Perron, avocat de l’intimée qui a témoigné lors de l’audience, de même que dans une Note au dossier écrite par M. Charles Unterburg de la Commission.

[120] Le plaignant a malheureusement fait face à ces événements, mais il ne peut d’aucune façon en attribuer les conséquences à l’intimée ou à ses employés. Le plaignant n’a présenté à l’audience aucune preuve au soutien d’une conclusion en ce sens. Ma conclusion aurait pu être différente si le plaignant avait présenté en entier sa cause et s’il avait procédé à un contre‑interrogatoire des témoins de l’intimée. Malheureusement pour lui, la preuve dont je dispose n’appuie pas sa demande.

[121] Compte tenu des présentes circonstances, je ne peux pas conclure, comme le Tribunal l’a fait dans la décision Association canadienne des paraplégiques c. Canada (Élections Canada), 1992 CanLII 284 (T.C.D.P.), que les actes posés par l’intimée sont discriminatoires. Je ne peux pas conclure qu’il y a eu en l’espèce une différence dans le traitement au sens de l’article 5 de la Loi. Je ne peux pas conclure que l’intimée était responsable de tout embarras, risque de blessure ou inconvénient pour le plaignant. Le plaignant a été la victime d’un ensemble de circonstances qui n’avaient rien à voir avec la discrimination, du moins selon la preuve dont je dispose.

VI. Conclusion

[122] Pour les motifs précédemment énoncés, la présente plainte est rejetée.

Signée par

Michel Doucet
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 22 septembre 2005

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T881/0104

Intitulé de la cause : Benjamin Schecter c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 22 septembre 2005

Date et lieu de l’audience : Les 30 et 31 août 2004
Les 2, 9, 10 et 23 septembre 2004
Les 9 au 11 mai 2005Le 16 mai 2005

Montréal (Québec)

Comparutions :

Benjamin Schecter, pour lui même

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

William G. McMurray, pour l'intimée

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