Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

PATRICK J. EYERLEY

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SEASPAN INTERNATIONAL LIMITED

l'intimée

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente du Tribunal

Décision no 2
2000/08/02

[1] Dans sa plainte, M. Eyerley allègue que Seaspan International Limited a exercé une discrimination à son endroit en ne prenant pas de mesures d'accommodement tenant compte de sa déficience et en mettant fin à son emploi, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Au moment où sont survenus les incidents, M. Eyerley était membre de la International Longshoremen's and Warehousemen's Union. La cession d'emploi de M. Eyerley a entraîné le dépôt d'un grief, conformément à la convention collective en vigueur conclue entre le syndicat et Seaspan, et une audience d'arbitrage prévue pour le 3 novembre 1997. Le grief n'a pas eu de suite. Le 7 mai 1998, M. Eyerley a déposé sa plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. La plainte de M. Eyerley a ensuite été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne en vue d'une audience.

[2] Seaspan a soulevé des objections préliminaires en ce qui a trait à la compétence du Tribunal, faisant valoir :

  1. que la Commission et le Tribunal n'ont pas la compétence nécessaire pour entendre et régler cette plainte du fait qu'elle porte sur le congédiement de M. Eyerley en vertu des dispositions de la convention collective. Par conséquent, cette question relève exclusivement de la compétence d'un arbitre nommé conformément à la convention collective;
  2. que la Commission et le Tribunal n'ont pas la compétence nécessaire pour entendre et régler cette plainte, étant donné qu'elle porte sur une déficience de M. Eyerley, qui découle d'un accident de travail. L'incapacité professionnelle et les mesures d'accommodement qui s'y rattachent relèvent exclusivement de la commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique.

[3] Seaspan a également indiqué qu'elle entamera des procédures devant la Cour fédérale en vue de faire annuler les décisions de la Commission canadienne des droits de la personne de ne pas refuser d'entendre la plainte conformément à l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et de renvoyer la question au Tribunal. Seaspan ne semble pas demander au Tribunal quelque redressement que ce soit à cet égard.

[4] Il n'appartient pas à notre Tribunal de se pencher sur la compétence ou le comportement de la Commission canadienne des droits de la personne. Ces questions relèvent exclusivement de la Section de première instance de la Cour fédérale. Par conséquent, je n'ai point l'intention d'aborder la question de la contestation par Seaspan de la compétence de la Commission. Par contre, je me pencherai sur chacun des éléments contestés par Seaspan en ce qui concerne la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne.

i) Compétence exclusive d'un arbitre en vertu de la convention collective

[5] M. Eyerley a été employé par Seaspan à titre de matelot de pont-cuisinier durant environ sept ans, période au cours de laquelle il a subi diverses blessures. En 1991, M. Eyerley est tombé d'un wagon et s'est blessé au bras droit. À la suite de cette blessure, il a dû s'absenter de son travail à plusieurs reprises durant de longues périodes. Le 8 novembre 1996, Seaspan a mis fin à son emploi, soutenant que le contrat d'emploi de M. Eyerley avait été annulé par suite de son inaptitude à remplir ses obligations.

[6] Le 29 novembre 1996, le syndicat a déposé un grief au nom de M. Eyerley. Ce grief précise que le fait d'avoir mis fin à l'emploi de M. Eyerley Traduction … va à l'encontre des décisions judiciaires récentes et équivaut à une discrimination pour un motifs (sic) illicite — la déficience.

[7] Bien qu'une audience ait été prévue, le grief de M. Eyerley ne s'est jamais rendu en arbitrage. Il semble que le syndicat ait obtenu deux avis juridiques indiquant qu'il y avait peu de chances que M. Eyerley ait gain de cause. L'un des avis proposait que M. Eyerley dépose une plainte en matière de droits de la personne et indiquait que ses chances de succès seraient bien meilleures s'il empruntait cette voie. La plainte de M. Eyerley a été déposée peu après la communication de ce deuxième avis juridique.

[8] Seaspan soutient que le grief de M. Eyerley et sa plainte relative aux droits de la personne portent sur la même question. Après avoir convenu dans la convention collective que tous les différends de travail doivent être réglés par voie d'arbitrage, le syndicat tente maintenant de sonder les tribunaux.

[9] Seaspan soutient que seul un arbitre nommé en vertu de la convention collective peut se prononcer sur les questions soulevées par le grief déposé par suite de la cessation d'emploi de M. Eyerley. À cet égard, Seaspan se fonde sur les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans Weber c. Ontario Hydro et Regina Police Association Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners.

[10] Dans Weber, la Cour suprême du Canada a statué que dans les cas où un différend porte essentiellement sur une convention collective, le réclamant doit recourir à la procédure d'arbitrage. Les cours n'ont pas le pouvoir d'entendre une action civile à l'égard d'un tel différend. La Cour suprême a tiré cette conclusion en s'appuyant sur le libellé de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, qui prévoit que chaque convention contient une disposition sur le règlement définitif de tous les différends entre un employeur et l'association d'employés que soulèvent l'interprétation, l'application ou l'administration de la convention, ou une contravention prétendue à la convention. Le Code canadien du travail renferme une disposition similaire.

[11] Dans Weber, le différend portait sur la question à savoir si un employé peut instituer une action en responsabilité civile délictuelle pour atteinte à ses droits aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. L'avocat de Seaspan soutient que même si la Loi canadienne sur les droits de la personne revêt un statut quasi constitutionnel, celui-ci ne peut avoir préséance sur la procédure d'arbitrage arrêtée d'un commun accord par le syndicat et l'employeur, pas plus que le statut constitutionnel de la Charte ne pouvait avoir préséance sur la procédure d'arbitrage dans Weber. L'existence d'un régime visant à régler les différends conformément au Code canadien du travail est suffisante pour priver le Tribunal de sa compétence dans le cas où la plainte en matière de droits de la personne découle essentiellement de la convention collective.

[12] Fait à noter, la Charte, contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne, n'institue pas de régime législatif distinct pour le règlement des plaintes qui en découlent. En revanche, la Charte prévoit que toute personne victime de violation des droits peut s'adresser à une cour compétente pour obtenir la réparation que la cour estime convenable eu égard aux circonstances. En conséquence, une bonne partie de l'analyse faite dans Weber a été reprise en se demandant si un conseil d'arbitrage constituait une cour compétente aux fins de l'attribution d'une réparation en vertu de la Charte.

[13] Dans Weber, la cour n'aborde pas la question de la compétence concurrente de deux tribunaux établis par une loi qui sont chacun régis par un régime législatif distinct. En supposant, l'espace d'un moment, que la plainte de M. Eyerley découle essentiellement de la convention collective, je n'interprète pas l'arrêt Weber comme indiquant qu'il ne peut y avoir de compétence concurrente entre la procédure d'arbitrage des différends de travail et la procédure d'arbitrage prévue par la loi en matière de droits de la personne.

[14] Cette conclusion va dans le sens du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Société Radio-Canada c. Paul. Dans le jugement Paul, les faits ressemblent à ceux qui caractérisent le cas qui nous intéresse en ce sens que malgré le fait qu'elle était membre d'un syndicat et pouvait, par conséquent, avoir recours à la procédure d'arbitrage des griefs, Mme Paul a choisi de déposer une plainte en matière de droits de la personne. Madame la juge Tremblay-Lamer a fait remarquer que l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne accorde à la Commission le pouvoir discrétionnaire de refuser de s'occuper d'une question lorsqu'il lui semble que la présumée victime n'a pas épuisé les recours prévus par la procédure de règlement des griefs. De toute évidence, cet article donne à la Commission (et, de façon implicite, au Tribunal canadien des droits de la personne) le pouvoir de s'occuper de plaintes découlant d'une convention collective, à moins que la Commission conclue que les recours prévus par la procédure de règlement des griefs doivent être épuisés. Établissant une distinction dans Weber, elle a fait observer que l'article ne traite pas du cas où le Parlement a expressément accordé une compétence concurrente à un autre tribunal. La juge Tremblay-Lamer a fait remarquer, en outre, que l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adopté après l'article 57 du Code canadien du travail, et que l'article 57 du Code est par conséquent annulé de façon implicite dans la mesure où il confère une compétence exclusive à un arbitre.

[15] La juge Tremblay-Lamer a également évoqué la jurisprudence de la Cour suprême du Canada établissant qu'en cas de différend entre les lois sur les droits de la personne et d'autres lois, les premières ont préséance, et que les parties ne peuvent se soustraire à la législation relative aux droits de la personne en raison du caractère public de ces derniers.

[16] La juge Tremblay-Lamer a conclu qu'en interprétant l'article 57 du Code canadien du travail comme conférant une compétence exclusive à un arbitre de différends, on suspendrait en fait l'application de l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, résultat non envisagé dans Weber. Elle a donc conclu que la compétence de la Commission canadienne des droits de la personne s'étend aux pratiques discriminatoires ayant cours dans des lieux de travail syndiqués.

[17] Seaspan se fonde également sur l'arrêt rendu récemment par la Cour suprême du Canada dans Regina Police Association Inc. C. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, pour soutenir que le critère énoncé dans Weber s'applique également lorsqu'il s'agit de déterminer, dans les cas où il existe deux régimes concurrents prévus par une loi, celui qui devrait régir un différend.

[18] L'arrêt Regina Police a trait au refus d'un chef de police d'accepter le retrait par un agent de sa démission. L'agent avait démissionné afin d'éviter d'être accusé de mauvaise conduite en vertu des Municipal Police Discipline Regulations, 1991 et d'être éventuellement congédié conformément à la Police Act, 1990. Suite au refus du chef de police d'accepter que l'agent retire sa démission, le syndicat a déposé un grief. L'arbitre a fait remarquer que la convention collective prévoyait que la procédure de règlement des griefs ne pouvait s'appliquer dans les cas où les dispositions de la Police Act et de ses règlements d'application s'appliquent. La Police Act et ses règlements d'application prévoient une procédure de règlement des plaintes à l'égard de mesures disciplinaires et d'un congédiement pour manquement à la discipline. L'arbitre a conclu que l'intention de l'Assemblée législative était que les mesures disciplinaires (y compris le congédiement) prises pour un motif valable à l'endroit d'un agent étaient régies par les procédures décrites dans la Police Act et ses règlements d'application, et que les dispositions de la convention collective relatives aux griefs ne s'appliquaient pas.

[19] Dans Regina Police, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que le raisonnement qui sous-tend l'adoption du modèle de compétence exclusive dans Weber visait à s'assurer que le régime législatif en cause n'était pas annulé par l'octroi à un organisme d'arbitrage, à l'égard d'un différend, d'une compétence que l'Assemblée législative n'avait pas l'intention de lui donner. Ayant conclu que le différend entre l'agent et son employeur était essentiellement à caractère disciplinaire, la cour a conclu que l'intention de l'Assemblée législative était de faire en sorte que les mesures disciplinaires ( y compris le congédiement) prises contre un agent de police pour un motif valable soient soumises aux procédures énoncées dans la Police Act et ses règlements d'application. En conséquence, l'arbitre n'avait pas le pouvoir d'entendre et de régler la question.

[20] À mon avis, il est facile de distinguer la situation dans Regina Police de la situation actuelle. Les régimes législatifs concurrents dont il s'agissait dans Regina Police portaient, semble-t-il, sur des questions arbitrables ou susceptibles d'être soumises à la procédure disciplinaire prévue par la loi. Il semble que l'intention du législateur était de faire en sorte que les deux procédures soient mutuellement exclusives : en fait, la convention collective litigieuse excluait expressément les questions de discipline de son champ d'application. En l'occurrence, l'examen de la Loi canadienne sur les droits de la personne révèle clairement que le Parlement avait l'intention d'habiliter la Commission et le Tribunal à régler les plaintes de discrimination dans un lieu de travail, nonobstant l'existence d'une convention collective. Tout comme l'article 41 de la Loi auquel la juge Tremblay-Lamer fait référence dans Paul et dont il est fait état ci-haut, l'alinéa 44 (2) a) de la Loi reflète l'intention du législateur de faire en sorte que la procédure de règlement des plaintes en matière de droits de la personne coexiste avec la procédure de règlement des griefs.

[21] Compte tenu de ces motifs, je suis d'avis que même si la plainte de M. Eyerley découle essentiellement de la convention collective, le Tribunal canadien des droits de la personne est habilité à trancher la question.

Caractère essentiel du différend

[22] Cependant, je ne suis pas convaincue que la plainte de M. Eyerley découle, essentiellement, de la convention collective. Il est évident que, pour déterminer le caractère essentiel d'un différend, nous devons examiner les faits qui l'entourent et non leur qualification juridique. En conséquence, je ne crois pas que les dispositions privatives de la Workers' Compensation Act de la Colombie-Britannique aient pour effet d'empêcher le Tribunal d'exercer la compétence que lui confère la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[23] Il convient de noter que, dans le cadre de l'examen des faits entourant la plainte de M. Eyerley, on ne m'a fourni aucune information en ce qui touche les dispositions de la convention collective, si ce n'est qu'il existe une disposition portant sur l'arbitrage. Je ne sais pas, par exemple, si la convention renferme une disposition antidiscrimination.

[24] Je souscris à l'opinion de la cour d'appel de la Saskatchewan, à savoir que même si la convention collective litigieuse interdit expressément la discrimination au travail, le seul fait d'inclure une disposition interdisant la discrimination ne transforme pas pour autant une présumée atteinte aux droits de la personne en une violation de la convention collective (14).

[25] Le droit qui aurait été violé en l'espace, c'est-à-dire celui de ne pas faire l'objet d'une différence de traitement défavorable dans l'emploi en raison d'une déficience, est un droit fondamental auquel les parties ne peuvent renoncer par contrat. L'examen de l'ensemble du régime législatif et plus particulièrement la représentation de l'intérêt public devant le Tribunal grâce à la participation de la Commission canadienne des droits de la personne font clairement ressortir le caractère public de ce droit (15).

[26] Je suis persuadée que la plainte de M. Eyerley est fondée essentiellement sur une présumée violation du droit de ne pas faire l'objet d'une discrimination en raison d'une déficience. Même si l'arbitrage constituait une mesure à laquelle M. Eyerley aurait fort bien pu recourir pour régler le différend qui l'opposait à son employeur, cela n'altère pas à mon avis sur le caractère essentiel de la plainte.

ii) Compétence exclusive de la Commission des accidents du travail

[27] Seaspan soutient, en outre, que le Tribunal n'a pas le pouvoir d'entendre et de régler cette plainte parce qu'elle porte sur la déficience de M. Eyerley, laquelle est attribuable à des accidents du travail. La Commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique jouit d'une compétence exclusive en ce qui concerne l'invalidité au travail et les mesures d'accommodement. Selon Seaspan, la commission des accidents du travail s'est déjà penchée sur le cas de M. Eyerley, a examiné la question de l'accommodement et a déterminé que M. Eyerley devrait faire l'objet de mesures d'accommodement (c.-à-d., attribution d'une indemnité pour incapacité partielle permanente et vaste programme de recyclage) aux frais de Seaspan entièrement.

[28] Seaspan invoque à l'appui de son argumentation un certain nombre de dispositions de la Workers' Compensation Act (16) de la Colombie-Britannique. Deux articles sont particulièrement intéressants. Figure ci-après un extrait de l'article 10.

Les dispositions que renferme cette partie sont substituées à tout droit ou droit d'action, prévu par la loi ou autre, fondé sur un manquement à l'obligation de diligence ou une autre cause d'action, que cette obligation soit imposée par une loi une convention, expresse ou implicite, ou en découle, dont le travailleur...peut se prévaloir contre son employeur...à l'égard d'une lésion corporelle, d'une déficience ou d'un décès survenu en cours d'emploi ou par suite d'un accident du travail, et aucune ne peut être intentée.

Le paragraphe 96 (1) de la Loi se lit comme suit :

La commission [des accidents du travail] jouit d'une compétence exclusive pour examiner, entendre et juger toutes les questions ainsi que les questions de fait ou de droit découlant de la présente partie, et les mesures ou décisions qu'elle prend sont définitives et ne peuvent être contestées ni révisées par quelque cour que ce soit... et... la commission jouit d'une compétence exclusive pour examiner, entendre et juger les questions relatives...

b) à l'existence d'une déficience causée par une blessure et au degré d'incapacité qui résulte de celle-ci;

c) au caractère permanent de la déficience causée par une blessure...

[29] Comme je l'ai fait remarquer plus haut, les lois sur les droits de la personne revêtent un caractère particulier. Ce sont des lois fondamentales qui énoncent la politique officielle et qui comportent un statut quasi constitutionnel. En cas de conflit avec d'autres lois, la Loi canadienne sur les droits de la personne prime (17). En conséquence, je ne crois pas que les dispositions privatives de la Workers' Compensation Act de la Colombie-Britannique aient pour effet d'empêcher le Tribunal d'exercer la compétence que lui confère la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[30] Fait à noter, le principe de la primauté des lois sur les droits de la personne a généralement été appliqué aux cas où les lois conflictuelles émanent d'une même assemblée législative. En l'espèce, on me demande de me pencher sur l'interaction de la loi fédérale sur les droits de la personne avec la loi provinciale sur les accidents du travail. À mon avis, l'argument de Seaspan pose une difficulté additionnelle en raison de cette double compétence législative.

[31] Si je faisais mien l'argument de Seaspan selon lequel les dispositions privatives de la Workers' Compensation Act de la Colombie-Britannique privent le Tribunal canadien des droits de la personne de sa compétence, cela voudrait dire que la province de la Colombie-Britannique a le pouvoir de légiférer au sujet des conditions de travail des sociétés sous réglementation fédérale. Une telle conclusion aurait des répercussions évidentes sur le plan constitutionnel. Toutefois, il est important de ne pas oublier le but et la raison d'être des lois sur les accidents du travail. Ces lois ne portent pas sur les conditions de travail; elles instituent un régime législatif d'assurance responsabilité sans faute (18). S'il en était autrement, un tel régime serait incompatible avec la répartition constitutionnelle des pouvoirs.

[32] Seaspan s'appuie également sur l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Louisette Béliveau-St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc. (19) pour appuyer sa prétention que le Tribunal canadien des droits de la personne ne peut être saisi d'une plainte du fait que les accidents de travail de M. Eyerley ont été traités en entier par les autorités provinciales en matière d'accidents du travail.

[33] Béliveau-St-Jacques est un cas d'interaction entre la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles du Québec et la Charte des droits et liberté de la personne du Québec. Exprimant l'opinion majoritaire, le juge Gonthier, après avoir examiné les dispositions de la Charte du Québec, a conclu que la violation d'un droit accordé par la Charte équivalait à une faute civile. Dans son analyse, le juge Gonthier a expressément rejeté toute analogie entre la Charte québécoise et la Loi canadienne sur les droits de la personne, faisant remarquer que … la relation entre les instruments de protection des droits fondamentaux et le droit commun, dans les provinces de common law, n'est pas tout à fait la même qu'au Québec.

[34] Le libellé de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Charte du Québec fait ressortir clairement cette différence. L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne précise que la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne, tandis que l'article 51 de la Charte du Québec précise que celle-ci ne vise pas à compléter ou à modifier quelque disposition que ce soit.

[35] À mon avis, l'arrêt Béliveau-St-Jacques n'aide pas Seaspan. Cet arrêt s'appuie largement sur les principes de droit civil et est fondé sur une législation relative aux droits de la personne dont la nature et la portée sont fondamentalement différentes par rapport à la législation fédérale.

[36] Un dernier argument soulevé par Seaspan mérite d'être commenté. Seaspan soutient que le Tribunal devrait refuser d'entendre cette plainte ou se déclarer incompétent pour le faire, étant donné qu'il n'a pas l'expertise nécessaire pour déterminer si M. Eyerley est atteint d'une déficience et, le cas échéant, son degré d'incapacité, et s'il aurait pu faire l'objet de mesures d'accommodement au travail. Selon l'avocat de Seaspan, seules les parties, la commission des accidents du travail et les conseils d'arbitrage nommés en vertu des conventions collectives ont cette expertise. Je m'excuse, mais je ne suis pas d'accord. La déficience est un motif illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La notion d'accommodement raisonnable est un principe fondamental dans la jurisprudence relative aux droits de la personne. Le Tribunal canadien des droits de la personne est un tribunal spécialisé (20), dont l'expertise en ce qui touche l'établissement des faits et l'arbitrage dans le contexte des droits de la personne a été reconnue par la Cour suprême du Canada (21). En conséquence, j'estime que les questions soulevées par la plainte de M. Eyerley relèvent carrément de l'expertise du Tribunal, et je ne vois aucune raison pour laquelle ce dernier se déclarerait incompétent.

[37] Compte tenu des raisons énoncées ci-dessus, la motion de Seaspan est rejetée.


Anne Mactavish, présidente du Tribunal

OTTAWA (Ontario)
Le 2 août 2000

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T565/2300

INTITULÉ DE LA CAUSE : Patrick J. Eyerley c. Seaspan International Limited

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 2 août 2000

ONT COMPARU :

Patrick Eyerley En son propre nom

Odette Lalumière Au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Michael Hunter Au nom de Seaspan International Limited

Terry Engler Au nom de la International Longshoremen's and Warehousemen's Union, section locale 400

1. Vermette c. Société Radio-Canada, (1994), 94 C.L.L.C. par. 17034, confirmé par [1996] A.C.F. no 1274, (1996) 120 F.T.R. 81.

2. [1995] 2 R.C.S. 929.

3. [2000] 1 R.C.S. 360.

4. Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1990, chap. L.2, par. 45(1).

5. L'article 57 du Code canadien du travail se lit comme suit : Est obligatoire dans la convention collective la présence d'une clause prévoyant le mode — par arbitrage ou toute autre voie — de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu'elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation..

6. British Columbia v. Tozer (1998), 33 C.H.R.R. D/327, par. 74.

7. [1999] 2 C.F. 3, [1998] A.C.F. no 1823.

8. À cet égard, voir aussi Société canadienne des postes c. Barrette et Nolan (1998), 34 C.H.R.R. D/353, par. 80, (infirmé pour d'autres motifs par [2000] A.C.F. no 539).

9. Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink et autres, [1982] 2 R.C.S. 145, et Winnipeg School District No. 1 c. Craton et autres, [1985] 2 R.C.S. 150.

10. Ibid.

11. R.R.S., chap. P-15.01, Reg. 4.

12. S.S. 1990-91, chap. P-15.01.

13. Regina Police, supra. Voir aussi Cadillac Fairview Corp. v. Saskatchewan (Human Rights Commission) [1999] S.J. No. 217, par. 24.

14. Cadillac Fairview Corp. v. Saskatchewan (Human Rights Commission), par. 17.

15. Article 51, Loi canadienne sur les droits de la personne.

16. R.S.B.C. 1996, chap. 492.

17. Heerspink et Craton, supra, renvoi 8. Voir aussi Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.F.) et Canada (Procureur général) c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569 (1re inst.).

18. Alltrans Express Ltd. c. Colombie-Britannique (commission des accidents du travail), [1988] 1 R.C.S. 897.

19. [1996] 2 R.C.S. 345.

20. Alinéa 48.1 (2), Loi canadienne sur les droits de la personne.

21. Canada (Procureur général) c. Mossop (1993), 17 C.H.R.R. D/349, par. 43.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.