Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

PATRICK J. EYERLEY

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SEASPAN INTERNATIONAL LIMITED

l'intimée

DÉCISION SUR LA DEMANDE DE PRIVILÈGE

Décision no 1

2000/07/21

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente du Tribunal

[1] Au moment où sont survenus les incidents qui ont donné lieu à la plainte en matière de droits de la personne, M. Eyerley était membre de la International Longshoremen's and Warehousemen's Union. La Commission canadienne des droits de la personne a en main un avis juridique fourni au syndicat par le cabinet Laughton & Co. La présente requête a trait à l'opportunité de divulguer cet avis à l'intimée.

[2] Dans sa plainte, M. Eyerley allègue que Seaspan International Limited a fait montre de discrimination à son endroit en ne prenant pas de mesures d'accommodement pour tenir compte de sa déficience et en mettant fin à son emploi, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Un grief a été présenté en ce qui concerne la cessation d'emploi de M. Eyerley; une audience d'arbitrage était prévue le 3 novembre 1997. La veille du jour où la séance d'arbitrage devait avoir lieu, le syndicat a informé Seaspan qu'il ne donnerait pas suite au grief. Le 7 mai 1998, M. Eyerley a déposé sa plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne.

[3] Le syndicat a transmis à M. Eyerley copie du dossier de son grief, lequel contenait une copie de l'avis de Laughton. L'avis en question, qui porte la date du 20 octobre 1997, est décrit par la Commission comme ayant trait au Traduction grief relatif à la cessation d'emploi du plaignant. Me Engler a indiqué au nom du syndicat que l'avis de Laughton a été laissé dans le dossier par erreur et aurait dû en être retiré avant que le dossier soit transmis à M. Eyerley.

[4] À son tour, M. Eyerley a fourni une copie du dossier de son grief, y compris l'avis de Laughton, à la Commission canadienne des droits de la personne dans le cadre de son enquête. Bien que l'existence de l'avis n'ait pas été divulguée à Seaspan, la Commission l'avait en main au moment où elle a pris diverses décisions en ce qui concerne la plainte de M. Eyerley, dont celle de renvoyer celle-ci au Tribunal canadien des droits de la personne en vue d'une audience.

[5] Juste avant que M. Eyerley ne dépose sa plainte devant la Commission, le syndicat a fait parvenir à cette dernière une copie d'un deuxième avis juridique concernant la situation de M. Eyerley. L'avis en question, qui porte la date du 27 avril 1998, émane du cabinet McGrady, Baugh and Whyte. Cet avis recommande à M. Eyerley de présenter une plainte en matière de droits de la personne plutôt qu'un grief, étant donné qu'il est peu probable qu'il ait gain de cause en arbitrage. De l'avis du cabinet McGrady, M. Eyerley aurait de bien meilleures chances de succès en présentant une plainte en matière de droits de la personne.

[6] La Commission canadienne des droits de la personne a divulgué l'avis de McGrady à l'avocat de Seaspan, mais elle a refusé de produire l'avis de Laughton.

[7] Le syndicat s'oppose à la divulgation de l'avis de Laughton à l'intimée. Me Engler allègue qu'étant donné que l'avis de Laughton a été divulgué à M. Eyerley par inadvertance, le syndicat n'a pas renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat. Il soutient que le privilège devrait être maintenu, nonobstant la divulgation subséquente par M. Eyerley de l'avis de Laughton à la Commission.

[8] La Commission appuie la position du syndicat, mais ce pour des raisons qui sont toutefois tout à fait différentes. Selon Me Lalumière, la transmission de l'avis de Laughton à la Commission par M. Eyerley dans le cadre de l'enquête équivaut à un échange de renseignements confidentiels entre parties ayant un intérêt commun à l'égard d'un litige anticipé (1). Par conséquent, l'avis de Laughton faisait l'objet d'un privilège d'intérêt commun, qui Traduction implique la dynamique de la création par les parties d'un front commun contre un ennemi commun (2).

[9] M. Eyerley affirme que ce n'est qu'après avoir transmis le dossier du grief à la Commission qu'il a pris conscience du fait que l'avis de Laughton n'aurait pas dû être inclus dans ce dossier et qu'il n'avait pas le droit de le transmettre à la Commission.

[10] Me Hunter soutient au nom de Seaspan que la Commission devrait être forcée de produire l'avis de Laughton, tout privilège s'y rattachant ayant été annulé par suite de la divulgation par le syndicat de l'avis à M. Eyerley. Me Hunter estime, en outre, que le syndicat, du fait qu'il a produit l'avis de McGrady relativement au bien-fondé du grief de M. Eyerley, ne peut maintenant continuer de revendiquer un privilège à l'égard d'un avis antérieur portant sur le même sujet.

[11] En ce qui concerne d'abord les prétentions de la Commission, j'estime que la position prise par Me Lalumière constitue essentiellement une mauvaise interprétation du rôle de la Commission canadienne des droits de la personne au stade de l'enquête. Le rôle de la Commission dans le cadre d'une enquête est d'agir comme agent d'enquête impartial. En fait, l'intégrité du processus d'enquête dépend de la neutralité de la Commission dans l'exercice de ce rôle. La Commission n'a pas, ou ne devrait pas, avoir d'intérêt commun ni avec le plaignant ni avec l'intimé lorsqu'une question fait l'objet d'une enquête. La Commission ne devrait certes pas faire front commun contre un ennemi commun avec le plaignant; elle devrait plutôt recueillir des renseignements pour aider les commissaires à prendre des décisions en vertu de l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La prétention de Me Lalumière selon laquelle la Commission et M. Eyerley avaient déjà un intérêt commun les opposant à Seaspan au moment où l'avis de Laughton a été transmis à la Commission est remarquable; je m'inscris en faux contre cette prétention.

[12] Le privilège qui se rattache à l'avis de Laughton appartient au syndicat. C'est donc le comportement du syndicat qu'il faut examiner soigneusement pour déterminer si ce privilège a été annulé du fait de la divulgation à M. Eyerley de l'avis par inadvertance, ou du fait de la divulgation de l'avis de McGrady à la Commission.

[13] En common law, on a traditionnellement considéré que la divulgation par inadvertance d'un document privilégié à une tierce partie annule le privilège du secret professionnel (3). Cependant, dans la jurisprudence canadienne plus récente, les tribunaux semblent avoir assoupli quelque peu leur position à ce sujet. On a indiqué que dans le cas de la divulgation par inadvertance d'un document considéré autrement comme privilégié, on devrait avoir une certaine latitude pour déterminer si, dans les circonstances, le privilège a été annulé (4).

[14] Lorsqu'on détermine s'il y a lieu d'exercer le pouvoir discrétionnaire en question, on devrait, selon Sopinka, tenir compte d'un certain nombre d'éléments. On devrait déterminer si l'erreur est excusable, si on s'est efforcé sans tarder de récupérer l'information, et si on commettrait une injustice envers l'intimée en maintenant le privilège dans les circonstances (5).

[15] Compte tenu de l'information dont je dispose, je reconnais que le syndicat a dévoilé l'avis de Laughton à M. Eyerley par erreur. Des erreurs peuvent se produire. Je suis convaincue qu'il s'agissait en l'occurrence d'une erreur excusable.

[16] Bien que les allégations de M. Eyerley incitent certainement à croire qu'il était au courant depuis un certain temps qu'il n'était pas censé avoir en main l'avis de Laughton, le syndicat n'a fourni aucun élément de preuve quant au moment où il est devenu au courant de l'erreur. Comme le syndicat est le seul à connaître cette information, il me semble qu'il lui incombe de prouver qu'il a pris rapidement des mesures pour tenter de récupérer les renseignements privilégiés après avoir pris conscience de l'erreur. En l'absence d'une telle preuve, je ne puis conclure que le syndicat a agi promptement. Par conséquent, je refuse d'exercer mon pouvoir discrétionnaire. À mon avis, le syndicat, de par son comportement, a renoncé au privilège du secret professionnel dont l'avis de Laughton était assorti. J'ordonne donc à la Commission de fournir à Seaspan une copie de l'avis.

[17] Ce faisant, je reconnais que le privilège du secret professionnel est un droit fondamental en droit civil et en common law et que celui-ci ne devrait pas être annulé à la légère (6). Toutefois, vu les circonstances entourant cette affaire, je suis persuadée que le principe d'équité exige de divulguer à l'intimée l'avis de Laughton (qui a déjà été communiqué, bien que par inadvertance, à M. Eyerley et la Commission).

[18] Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner les conséquences de la divulgation de l'avis de McGrady à la Commission par le syndicat.

[19] Ayant ordonné de produire l'avis de Laughton, il me reste à déterminer la valeur probante que cet avis est susceptible de revêtir, le cas échéant, par rapport aux questions soulevées dans cette instance. À cet égard, Me Hunter a indiqué que, sous réserve de connaître la teneur de l'avis de Laughton, il pourrait présenter d'autres arguments en ce qui concerne la contestation par Seaspan de la compétence du Tribunal. Afin de ne pas retarder indûment la résolution de cette question, la Commission doit télécopier une copie de l'avis de Laughton à Me Hunter avant la fermeture des bureaux le mardi 25 juillet. Me Hunter aura jusqu'à la fermeture des bureaux le jeudi 27 juillet pour présenter des arguments supplémentaires en ce qui a trait à la contestation de la compétence du Tribunal par Seaspan. M. Eyerley et la Commission pourront déposer leur réplique avant la fermeture des bureaux le lundi 31 juillet, et toute réplique de Me Hunter devra être reçue avant le jeudi 3 août.


Anne Mactavish, présidente du Tribunal

OTTAWA (Ontario)

21 juillet 2000

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T565/2300

INTITULÉ DE LA CAUSE : Patrick J. Eyerley c. Seaspan International Limited

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : 21 juillet 2000

ONT COMPARU :

Patrick Eyerley En son propre nom

Odette Lalumière Au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Michael Hunter Au nom de Seaspan International Limited

Terry Engler Au nom de la International Longshoremen's and Warehousemen's Union (section locale 400)

1. Buttes Gas and Oil co. v. Hammer (No.3), [1980] 3 All E.R. 475 (C.A.).

2. Supercon of California Ltd. v. Sovereign General Insurance Co., (1998), 37 O.R. (3d) 597 (Div. gén.).

3. Calcraft v. Guest, [1898] 1 Q.B. 759 (C.A.).

4. Sopinka, Lederman and Bryant, The Law of Evidence in Canada, (2e éd.), p. 767.

5. Ibid.

6. Solosky c. Canada, [1980] 1 R.C.S. 495, 16 C.R.(3d) 294.

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