Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

(SECTION LOCALE70396)

la plaignante

- ET-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- ET-

SOCIÉTÉ DU MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS

l'intimée


DÉCISION SUR UNE REQUÊTE RELATIVE

À LA DIVULGATION DE DOCUMENTS

2004 TCDP 38
2004/12/14

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

[TRADUCTION]

I. LES FAITS 1

II. ANALYSE 3

III. ORDONNANCE 5

I. LES FAITS

[1] La plaignante, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (section locale 70396) a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) une plainte datée du 6 mars 2000 par laquelle elle allègue que l'intimée, la Société du Musée canadien des civilisations (le Musée), a contrevenu aux articles 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) lorsqu'elle a appliqué un plan d'évaluation des emplois sexiste à ses employés de l'unité de négociation de la plaignante.

[2] Dans sa demande de divulgation, la plaignante a demandé au Musée quelles pondérations des facteurs numériques et quelle échelle de pondération des sous-facteurs étaient utilisées dans le plan d'évaluation des emplois pour calculer les points attribués à un poste en particulier et pour déterminer la classification du poste. Les points et la classification sont par la suite utilisés pour établir le niveau de rémunération du poste.

[3] La plaignante a en outre demandé que le programme informatique produisant les points et les niveaux de classification à partir des données entrées par les employés des Ressources humaines du Musée soit déposé. Selon ce que je comprends de la demande de la plaignante, le programme informatique est nécessaire pour la validation ou la vérification des points attribués aux postes et des classifications des postes. Le Musée utilise le programme informatique afin d'éviter les erreurs humaines qui pourraient résulter du calcul à la main des points et des classifications d'emplois.

[4] Le Musée reconnaît que les notations des facteurs numériques et l'échelle de pondération des sous-facteurs sont pertinentes à l'égard de la plainte et qu'elles sont nécessaires à la plaignante pour qu'elle puisse étayer sa thèse. Mais, le Musée est sérieusement préoccupé par le fait que s'il divulgue les pondérations des facteurs numériques et l'échelle de pondération des sous-facteurs, la plaignante pourrait utiliser ces renseignements à des fins autres que la plainte, au préjudice du Musée.

[5] Le Musée a déposé auprès du Tribunal un avis de requête, daté du 18 août 2004, en vue d'obtenir une ordonnance restreignant le nombre de personnes qui peuvent recevoir ces renseignements et la façon selon laquelle ces renseignements peuvent être utilisés et exigeant que des engagements personnels soient pris à l'égard de la divulgation. Le Musée s'oppose en outre au dépôt du programme informatique parce qu'il existe un contrat de licence entre lui et la société Watson Wyatt & Company, propriétaire du programme informatique. Le contrat interdit au Musée de copier le programme ou de le donner à un tiers et le fait de le déposer pourrait porter atteinte aux obligations contractuelles du Musée. De plus, selon le Musée, les calculs effectués par le programme informatique peuvent être effectués par d'autres logiciels qui peuvent être facilement obtenus ou être effectués à la main.

[6] Les préoccupations du Musée sont énoncées dans l'affidavit de Rhéal Bouvier, gestionnaire, dotation, programmes et politiques en ressources humaines, au Musée, lequel affidavit a été déposé lors de l'audition de la requête. Selon M. Bouvier, après que la plainte eut été déposée auprès de la Commission, les parties ont formé un comité d'examen du système d'évaluation des emplois pour tenter de créer un nouveau plan d'évaluation des emplois.

[7] À ce comité siégeaient M. Bouvier, Maggie Arbour-Doucet et Denise Corbett, toutes deux membres de l'unité de négociation de la plaignante, Robert Lamoureux, un agent de classification et parité salariale de l'AFPC, quatre représentants de l'IPFPC et trois membres non syndiqués du Musée.

[8] À ce moment, les fonctions de M. Lamoureux incluaient les questions d'évaluation des emplois, de classification et de parité salariale à la section locale 70396 de la plaignante. Il a continué à travailler dans cette section jusqu'en mai 2004, moment auquel Bonnie Carroll, également une agente de classification et parité salariale qui travaillait chez la plaignante et qui avait exercé ces fonctions de 1988 à 1997, a été chargée de ces fonctions.

[9] Le comité a tenu une réunion le 1er novembre 2004. Lors de la réunion, M. Lamoureux a demandé à M. Bouvier si le Musée fournirait aux membres du comité les pondérations des facteurs numériques. M. Bouvier a répondu en demandant que M. Lamoureux lui garantisse que s'ils étaient divulgués, ces renseignements demeureraient confidentiels. M. Lamoureux ne lui a pas donné cette garantie et il a en outre dit que de tels renseignements seraient probablement divulgués. Selon M. Bouvier, Mme Arbour-Doucet et Mme Corbett ont manifesté leur assentiment à l'égard de cette position.

[10] M. Bouvier a en outre déclaré que M. Lamoureux, lors de conversations subséquentes, lui a dit qu'il ne pouvait pas garantir la confidentialité des renseignements s'ils étaient divulgués et qu'il donnerait ces renseignements à tous les membres de l'unité de négociation qui les demanderaient.

[11] Mme Carroll, dans son affidavit déposé au nom de la plaignante, a confirmé la position de M. Lamoureux et elle a déclaré qu'elle était d'avis que ces renseignements devraient être partagés avec les employés dont les postes sont évalués selon le plan afin qu'ils puissent comprendre de quelle façon les points ont été établis. De plus, Mme Carroll a déclaré que ces renseignements devraient être utilisés par la plaignante, en tant qu'agente de négociation certifiée, à des fins de négociation collective.

II. ANALYSE

[12] Les parties conviennent que la règle de l'engagement implicite s'applique à tous les documents ou renseignements divulgués par le Musée. La justification de cette règle est qu'une partie à un litige devrait avoir le plein droit à une divulgation et à un examen des renseignements pertinents, y compris de ceux qui sont confidentiels, comme cela est nécessaire pour trancher équitablement l'affaire. Cependant, une partie ne peut pas utiliser ce droit à la divulgation pour une fin autre que le litige. S'il existe un véritable risque d'une telle utilisation en dépit de l'engagement, des restrictions additionnelles peuvent être imposées quant à la façon selon laquelle les renseignements divulgués peuvent être utilisés. (Voir Zellers Inc. c. Venta Investments Ltd. [1998] O.J. no 2118, (C.J.O.); Reichmann c. Toronto Life Publishing Co. [1990], 44 C.P.C. (2d) 206, aux pages 207 à 210 (H.C.J.); Alberta (Treasury Branches) c. Leahy [2000] A.J. no 993, aux pages 54 et 55 (B.R.).

[13] Le Musée prétend que la règle de l'engagement implicite n'est pas suffisante pour protéger la confidentialité des renseignements divulgués, renseignements qui selon ce qu'il affirme ont toujours été confidentiels et n'ont jamais été divulgués à la plaignante. Le risque d'utilisation de renseignements à une autre fin, selon ce que prétend le Musée, se retrouve dans les déclarations de M. Lamoureux et de Mme Carroll et dans l'assentiment apparent de Mme Corbett et de Mme Arbour-Doucet.

[14] Toutefois, ces personnes n'ont pas exprimé une intention de manquer à un engagement. Plutôt, elles ont exprimé une absence de volonté de prendre un engagement à ce moment. Cela ne constitue pas une preuve donnant à penser qu'elles ne respecteraient pas un engagement si elles en prenaient un.

[15] Quant à la plaignante, sa position est que la règle de l'engagement implicite est suffisante pour protéger la confidentialité. Je ne suis pas d'accord avec la plaignante. Une divulgation illimitée dans l'unité de négociation de la plaignante est incompatible avec la confidentialité malgré la règle de l'engagement implicite.

[16] Pour que la plaignante ait l'entière possibilité de présenter sa cause, la divulgation n'a qu'à être partagée avec les avocats, le ou les donneurs d'ordre de l'unité de négociation de la plaignante et tous les consultants engagés par la plaignante pour obtenir des avis ou des opinions d'experts. La divulgation devrait être limitée à ces personnes seulement. À l'exception des avocats, qui sont soumis à des obligations et à des règles de conduite professionnelles, ces personnes devraient être tenues de prendre des engagements écrits à l'égard de la non-divulgation des documents. À mon avis, ces mesures devraient répondre tant aux préoccupations du Musée qu'aux besoins de la plaignante.

[17] La Commission est satisfaite des conditions de l'ordonnance sollicitée par le Musée, sauf à l'égard des conditions se rapportant au programme informatique.

[18] La plaignante demande que le programme informatique soit déposé. La Commission partage l'opinion selon laquelle le programme devrait être déposé. Cette opinion pose quelque peu un problème. Bien que le Tribunal puisse ordonner la divulgation par le Musée à titre d'intervention visant à garantir une audience juste suivant la Loi, une telle ordonnance pourrait nuire au droit de propriété de la société Watson Wyatt & Company. L'équité exige que la société Watson Wyatt & Company soit informée de la demande et qu'elle ait la possibilité de présenter au Tribunal des observations à l'égard des conditions suivant lesquelles, le cas échéant, le programme informatique devrait être déposé.

III. ORDONNANCE

[19] À moins qu'il en soit ordonné autrement, les pondérations des facteurs numériques et l'échelle de pondération des sous-facteurs, comme elles sont définies dans l'avis de requête (les documents) devront être divulguées à la Commission et à la plaignante sous format papier, selon les conditions suivantes seulement :

  1. La plaignante et la Commission ne devront pas utiliser les documents ou les renseignements y contenus pour une fin autre que la présente instance.
  2. La Commission ne devra pas divulguer ou communiquer de quelque façon que ce soit les documents ou les renseignements y contenus à qui que ce soit autre que ses conseillers juridiques, que le personnel de son service des affaires juridiques, que le président, que le secrétaire général ou que les consultants engagés afin de lui fournir des avis ou des témoignages d'experts et, à l'exception des conseillers juridiques seulement, sous réserve d'engagements écrits à ce qu'ils soient liés par les conditions de la présente ordonnance.
  3. La plaignante ne devra pas divulguer ou communiquer de quelque façon que ce soit les documents ou les renseignements y contenus à qui que ce soit autre que ses conseillers juridiques et leur personnel, que le ou les donneurs d'ordre de son unité de négociation et que les consultants engagés afin de lui fournir des avis ou des témoignages d'experts et, à l'exception des conseillers juridiques seulement, sous réserve d'engagements écrits à ce qu'ils soient liés par les conditions de la présente ordonnance.
  4. La plaignante et la Commission ne devront faire aucune photocopie additionnelle des documents et devront retourner à l'intimée l'exemplaire original fourni par elle dans la semaine suivant la fin de l'audition de la plainte.
  5. La plaignante, la Commission et toutes les autres personnes qui fournissent un engagement écrit à ce qu'elles soient liées par les conditions de la présente ordonnance ne devront pas numériser les documents ou de quelque autre façon que ce soit convertir les documents sous un format électronique.
  6. La plaignante, la Commission et les autres personnes qui fournissent un engagement écrit à ce qu'elles soient liées par les conditions de la présente ordonnance peuvent entrer les renseignements contenus dans les documents dans un programme informatique aux fins de la présente instance dans la mesure où :
  1. toutes les précautions raisonnables et nécessaires sont prises afin de s'assurer que le programme informatique et tous les fichiers de renseignements s'y rattachant qui contiennent des renseignements inclus dans les documents (les fichiers de renseignements) soient conservés d'une façon sécuritaire afin de garantir qu'aucune autre personne que celle qui a fourni un engagement écrit à ce qu'elle soit liée par les conditions de la présente ordonnance ait accès au programme informatique et aux fichiers de renseignements;
  2. tous les fichiers de renseignements sont supprimés de façon permanente de toutes les mises en mémoire dans l'ordinateur, y compris, mais sans s'y limiter, de tous les disques durs, disquettes, disques optiques compacts et appareils de mise en mémoire de grande capacité, dans la semaine suivant la fin de l'audition de la plainte;
  3. toutes les précautions raisonnables et nécessaires sont prises afin de s'assurer que tous les exemplaires imprimés des fichiers de renseignements, y compris toutes portions de ceux-ci, tous les exemplaires imprimés de tous les calculs effectués par le programme informatique utilisant des renseignements contenus dans les fichiers de renseignements et toutes les notes s'y rapportant qui ont été prises, sous forme électronique ou autre, soient conservés d'une façon sécuritaire afin de garantir qu'aucune autre personne que celle qui a fourni un engagement écrit à ce qu'elle soit liée par les conditions de la présente ordonnance y ait accès.

[20] La forme de l'engagement écrit sera convenue entre les avocats des parties dans les sept jours de la présente ordonnance et, à défaut d'entente, sera ordonnée par le Tribunal.

[21] La présente ordonnance ne s'applique qu'à la divulgation des documents aux fins de la préparation de l'audience. Elle ne porte sur aucune des questions de confidentialité des documents dans l'éventualité où les documents seraient déposés en preuve lors de l'audition de la plainte.

J. Grant Sinclair

OTTAWA (Ontario)

Le 14 décembre 2004

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T915/3504

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Alliance de la Fonction publique du Canada (section 70396) c. Société du Musée canadien des civilisations

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 8 novembre 2004 Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 14 décembre 2004

ONT COMPARU :

Andrew Raven Pour la plaignante
Patrick O'Rourke
Ceilidh Snider
Pour la Commission canadienne des droits de la personne
David Sherriff-Scott Pour l'intimée
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