Tribunal canadien des droits de la personne

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DECISION FOURNIE LE 24 JUIN 1980 D. T. 3/ 80

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: SEVERIEN PARENT plaignant - et LE MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ONT COMPARU: Russell Juriansz pour la Commission canadienne des droits de la personne

David T. Sgayias pour le ministère de la Défense nationale et le Procureur général du Canada

DEVANT: André Lacroix, tribunal constitué dans la présente affaire en vertu du paragraphe 39 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

> DÉCISION

La plainte déposée par Severien Parent et logée au tribunal est libellée comme suit:

"L’employeur n’a pas renouvelé mon contrat de travail en raison de mon état de santé (épilepsie) et refuse de me reprendre à son service parce que je suis épileptique."

Les faits relatés par les témoins n’ont jamais été contestés sérieusement par aucune des parties; aussi pour plus de facilité essaierai- je de résumer les témoignages.

Ayant souffert de poliomyélite lorsqu’il était enfant, le plaignant, Severien Parent, est resté paralysé, sujet à des crises d’épilepsie et, à ses propres dires, presque totalement impotent. Grâce aux traitements qu’il a suivis et à ses efforts pour guérir il a, dit- il, vers l’âge de 17 ou 18 ans, retrouvé en grande partie ses capacités physiques; M. Parent est maintenant épileptique, doit prendre tous les jours des médicaments pour contrôler les crises et est partiellement paralysé du côté gauche. Il est également reconnu qu’il n’a pas eu de crise depuis 1970. Étant donné sa condition et le fait qu’il a été hospitalisé presque continuellement, M. Parent ne possède aucune formation scolaire.

M. Parent a travaillé pour quatre employeurs environ, surtout comme chauffeur de camion de livraison; il a également chargé et déchargé de la marchandise. La province de l’Ontario lui a délivré un permis de conduire de catégorie D et F.

Par l’intermédiaire de son député et du centre de main- d’oeuvre du Canada, M. Parent a sollicité un emploi de chauffeur à la base des forces armées canadiennes de Petawawa, en 1975, et a été embauché à titre d’employé occasionnel en décembre 1976. Il ressort clairement des témoignages que M. Parent a été engagé à la base pour une durée déterminée dans le cadre des programmes spéciaux d’emploi du gouvernement fédéral; il a été continuellement tenu au courant par écrit des conditions de son emploi et en a accusé réception par écrit. Son emploi a pris fin en septembre 1978, conformément aux clauses de son dernier contrat, et il a été adressé au Centre de main- d’oeuvre du Canada. Depuis, M. Parent n’a pas réussi à trouver un nouvel emploi de chauffeur, seul travail qu’il se juge capable d’effectuer.

> - 2 Il ressort également des témoignages qu’au moment de sa première demande d’emploi à la base de Petawawa, M. Parent a rempli un questionnaire médical dans lequel il a fait état de son état de santé et, notamment, de son épilepsie. Après étude de son cas et diverses autres représentations, il s’est vu conférer la classification de conducteur de véhicules légers. C’est cette classification qui a figuré dans son dossier tout le temps qu’il a travaillé à la base.

Pendant la durée de son emploi à la base, M. Parent a conduit divers types de véhicules, surtout des véhicules de chargement pour la livraison de marchandises. Il n’a cependant pas lui- même chargé ou déchargé de marchandises, travail qu’il ne se croit plus capable de faire. Assujetti à des restrictions ne figurant pas dans sa classification quant au type et à la dimension des véhicules, M. Parent a effectué son travail de façon satisfaisante, et ses supérieurs n’ont jamais formulé la moindre critique à son égard. En fait, tout semble indiquer que M. Parent était un bon travailleur, toujours prêt à accepter les tâches qui se présentaient.

Lorsque son emploi a pris fin, M. Parent a été adressé au Centre de main- d’oeuvre du Canada où il a indiqué qu’il désirait travailler comme conducteur ou chauffeur. Au moment de l’audition, il n’avait encore été présenté à aucun employeur. Il est d’avis, et son avocat soutient, que le Centre de main- d’oeuvre n’a pas signalé son nom à la base en vue d’un emploi de chauffeur en raison de son handicap physique.

Dans son témoignage, le directeur du personnel de la base a décrit les pratiques d’emploi qui s’appliquent généralement aux civils. Tout le processus est amplement étayé de documents et des divers formulaires habituels. M. Muldowney s’est conformé aux pratiques d’emploi établies et aux règlements applicables, comme le montrent les pièces produites. Son témoignage et les preuves littérales produites prouvent hors de tout doute que M. Parent a été embauché à titre d’employé occasionnel, pour les durées prévues dans le cadre des programmes de création d’emplois, et que l’emploi de ce dernier a pris fin conformément aux termes de son contrat.

M. Muldowney a également fait état du contenu du rapport médical et de l’examen de l’état de santé de M. Parent, et a souligné que ce dernier ne devait conduire que des véhicules légers.

Il ressort qu’en raison d’interventions de la Direction de l’anti- discrimination de la Fonction publique, d’une demande personnelle de M. Parent et de demandes d’examen transmises par M. Muldowney, l’état de santé du

> - 3 plaignant a en fait été entièrement évalué; la correspondance et la classification ont été confirmées par le Dr Parliament du ministère de la Santé nationale et exposées dans les termes suivants à l’agent du personnel de la base dans une lettre en date du 31 août 1978 (pièce C- 11):

" J’accuse réception de votre lettre du 21 août 1978 concernant la lutte engagée par M. Parent en vue d’obtenir un emploi de chauffeur au ministère de la Défense nationale. Les renseignements que vous nous avez fournis figuraient dans notre dossier au moment où nous avons communiqué avec vous (19- 07- 78) et nous nous en sommes servis pour évaluer sa capacité à conduire. A la lumière de ce que nous savons aujourd’hui et des normes en vigueur, il est absolument impossible de modifier une restriction permanente. Tout bien considéré, M. Parent peut conduire uniquement des véhicules commerciaux légers (fourgonnettes). Il ne peut conduire de véhicules lourds, de véhicules de secours ni de véhicules servant au transport de passagers. Ce sont d’ailleurs là les normes fixées par le ministère des Transports. Je ne crois pas que le ministère de la Défense nationale serait disposé à assumer la responsabilité juridique qui lui incomberait s’il ignorait cette restriction."

(traduction)

Le Dr Parliament a indiqué comment il avait procédé pour évaluer l’épilepsie de M. Parent et a cité l’article 7,2,3 d’un guide à l’intention des médecins pour déterminer la capacité de conduire un véhicule automobile, préparé par l’Association médicale canadienne, et qui se lit comme suit:

" Un candidat qui a déjà souffert de crises d’épilepsie ou qui prend des médicaments pour prévenir les crises ne peut en toute sécurité conduire un véhicule servant au transport de passagers ou un véhicule commercial lourd (permis de catégorie 1, 2, 3 ou 4) étant donné qu’il lui serait difficile d’éviter les situations épuisantes susceptibles de déclencher des convulsions."

(traduction)

L’article en question décrit exactement la condition de M. Parent.

L’applicabilité du guide a été mise en doute, du fait surtout que la province de l’Ontario a jugé bon, en décembre 1977, d’accorder à M. Parent un permis de conduire de catégorie D & F (pièce R- 13), négligeant ainsi d’appliquer des normes similaires.

> - 4 Le capitaine John Francis de la base a décrit de façon plus détaillée l’exposé de fonctions qui nous intéresse dans cette affaire, exposé de fonctions sur lequel se fonde l’agent du personnel pour embaucher des employés.

L’exposé des fonctions du groupe MDO 4 est très détaillé et précise par écrit l’usage et le type des véhicules conduits par cette catégorie d’employés.

D’après le capitaine Francis, le groupe MDO 4 se divise en gros en deux sections: la section des véhicules polyvalents et la section des véhicules de transport, génie- construction, servant aux travaux de construction et d’entretien de la base.

De façon générale, le personnel appartenant au groupe MDO 4 n’est pas affecté à une tâche particulière, mais regroupé dans un central où chacun se voit assigner de temps à autre un travail précis.

Les employés du groupe utilisent les véhicules suivants: -voitures d’état- major; -commerciales; -fourgonnettes; -carrioles; -ambulances; -camions (capacité de 1, 2, 3 et 5 tonnes); -tracteurs agricoles; -camions à bascule.

La ventilation de l’usage du personnel et des véhicules serait la suivante, aux dires du capitaine Francis:

  1. dans la section des véhicules de transport, génie- construction, 75% environ des véhicules servent au transport de passagers et sont utilisés à cette fin les trois- quarts du temps, alors que 25% des véhicules servent le quart du temps au transport de marchandises. (Page 133)
  2. dans la section des véhicules polyvalents, le transport de passagers occupe de 75 à 80% du personnel du groupe MDO et le transport de marchandises, les 25% qui restent. (Page 138 de la transcription).

Le capitaine Francis a clairement indiqué les raisons pour lesquelles la section MDO 4 et, plus particulièrement le service ambulancier, fonctionnent de cette façon et les objectifs visés en adoptant ce mode de fonctionnement.

Les deux procureurs à l’audience ont plaidé comme suit: >-

- 5 a) Le procureur de la Commission des droits de la personne a cherché à interpréter la loi de façon à obliger l’employeur à prendre des mesures en vue d’améliorer ses pratiques d’emploi; tout refus de prendre pareilles mesures pourrait de ce fait être interprété correctement comme un acte discriminatoire aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne (voir page 185, transcription). Le procureur a admis que l’article 14 n’était pas en cause et n’a pas demandé au répondant d’établir que les restrictions imposées à l’emploi du plaignant ne constituaient pas une exigence professionnelle normale.

b) Le procureur du répondant a déclare que le plaignant faisait deux affirmations:

  1. que l’employeur n’avait pas renouvelé son emploi en raison de son état de santé;
  2. que l’employeur avait refusé d’étudier sa candidature à un autre emploi parce qu’il est épileptique. (Voir page 211 de la transcription).

Le procureur du répondant a concédé que si un employeur cherchait à établir une exigence professionnelle normale pour justifier une pratique quelconque d’embauchage, la responsabilité lui en incombait, mais il a soutenu qu’il appartenait au plaignant de prouver que selon toute vraisemblance, on lui a refusé un emploi parce qu’il est épileptique.

En ce qui concerne tout d’abord les circonstances dans lesquelles l’emploi du plaignant a pris fin, j’en conclus que M. Parent ayant été pendant toute la période visée un employé occasionnel ou temporaire, ce n’est pas son état de santé, mais bien plutôt le manque de travail qui a justifié la cessation de son emploi. Les conditions et la durée de l’emploi ont été clairement précisées dans les témoignages et rien ne permet de croire qu’il y a été mis fin en raison de l’état de santé de M. Parent.

Le plaignant allègue en second lieu que l’employeur a refusé de le reprendre à son service en raison de sa maladie. A cet égard, les faits montrent et je constate que l’employeur n’aurait pas accordé à M. Parent un poste permanent de chauffeur parce qu’il ne satisfait pas aux exigences médicales pour le poste en question, savoir pour la catégorie d’emplois MDO 4. C’est un fait que l’employeur garde à son emploi des personnes souffrant de certains handicaps, mais il n’a pas pour pratique courante d’engager un nouvel employé si celui- ci n’a pas subi avec succès l’examen médical.

L’article 7 de la Loi prévoit que:

> - 6 "Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

Il n’existe aucune preuve que le Centre de main- d’oeuvre du Canada a adressé M. Parent à la base après la cessation de son emploi, en septembre 1978, et rien ne prouve non plus que cet employeur lui a refusé un emploi.

On soutient que M. Parent n’a pas été adressé à la base de Forces armées canadiennes de Petawawa par le Centre de main- d’oeuvre du Canada parce que l’employeur avait fait savoir à ce dernier que le plaignant n’avait pas les compétences requises pour occuper un poste de chauffeur et que par conséquent, les présentations étaient inutiles puisqu’il s’agissait du seul genre d’emploi que M. Parent recherchait.

Les témoignages à cet égard ne sont pas concluants et tiennent dans une certaine mesure de la spéculation puisqu’il semblerait que le centre de main- d’oeuvre du Canada n’a présenté M. Parent à aucun employeur après septembre 1978. (Transcription, page 56).

D’après les témoignages concernant l’embauchage d’employés pour une durée indéterminée depuis septembre 1978, quatre ou cinq travailleurs ont été engagés suivant les procédures normales, c’est- à- dire qu’on a eu recours à des concours restreints à l’intérieur de la fonction publique et qu’il n’a pas été nécessaire de faire appel au centre de main- d’oeuvre du Canada. (Pages 122 et 123 de la transcription).

Peut- on, par conséquent, considérer qu’il a été suffisamment prouvé que le plaignant s’est vu refuser un emploi en raison de son handicap physique, comme l’indique le libellé de la plainte?

Le Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne a fait valoir que d’appliquer une politique ou des lignes de conduite pour un motif de distinction illicite, de manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi d’un individu ou d’une catégorie d’individus constitue un acte discriminatoire, du fait que ces lignes de conduite, même si elles ne visent pas à être discriminatoires, et même si elles peuvent s’appliquer de façon équitable à un groupe d’employés, sont une infraction à la loi, et que l’employeur est tenu de modifier les lignes de conduite en question pour répondre aux besoins individuels et collectifs, à moins de pouvoir prouver que ces lignes de conduite ou exigences sont essentielles à la bonne marche de son entreprise.

> - 7 Le procureur a cité, à l’appui de ses assertions, plusieurs décisions américaines et provinciales, dont la plupart sont résumées et étudiées par Peter A. Cummings dans l’affaire Colfer c. Ottawa Police Board of Commissioners.

J’admets qu’il faut interpréter la loi de façon libérale; j’admets également que si une pratique en matière d’emploi tend à annihiler les chances d’emploi d’un groupe en particuliers celle- ci peut être jugée discriminatoire à moins que l’employeur ne puisse la justifier pour l’emploi en question. J’admets enfin qu’il ne s’agit nullement de prouver que l’employeur a eu l’intention d’exercer de la discrimination en adoptant cette pratique.

Le Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne a prétendu que dans ce cas, l’employeur pouvait et devait changer ses pratiques d’embauchage concernant les employés de la catégorie MDO 4 de façon à offrir au plaignant une chance d’être employé. Il ressort des témoignages que le transport de passagers représente environ 75% du travail prévu dans cette catégorie d’emplois. Il s’agit là d’un travail que M. Parent n’est pas apte à effectuer, d’après les normes du ministère de la Santé nationale et du Bien- être social; conduire une ambulance n’entre pas non plus dans les capacités du plaignant. Le reste du travail consiste en grande partie à tansporter des marchandises, ce que le plaignant pourrait faire s’il s’agissait uniquement de conduire un véhicule, mais la description du poste exige également que les employés chargent et déchargent la marchandise, ce que M. Parent est incapable de faire. Bref, ce que le procureur demande à l’employeur, c’est de modifier la description des tâches de cette catégorie d’employés de façon à ouvrir un poste de conducteur de véhicules légers de transport de marchandises que M. Parent aurait les compétences voulues pour occuper.

Le témoignage de l’employeur, en ce qui a trait à la structure de la section de MDO 4, à son fonctionnement et aux exigences professionnelles, au système de rotation des chauffeurs, est à mon sens justifiable dans l’ensemble et conforme aux besoins raisonnables de l’exploitation, compte tenu des objectifs de l’employeur. Je ne trouve rien de discriminatoire à ces pratiques.

L’employeur devrait- il continuer à offrir des possibilités d’emploi à des gens tels que M. Parent? Je dois dire que si la seule restriction à l’emploi de M. Parent était qu’il ne peut pas conduire d’ambulances, je serais d’avis qu’il faut passer outre cette restriction et l’engager. Cependant, il ne peut pas non plus conduire de véhicules pour le transport de passagers ou de véhicules

> - 8 lourds ni charger ou décharger de marchandises, fonctions qui entrent également dans la description des tâches du poste qu’il voudrait obtenir.

J’ai été vivement impressionné par le témoignage de M. Parent et plus particulièrement par son sincère désir de gagner sa vie pour assurer son indépendance. La vie l’a très durement éprouvé, mais il garde malgré tout la ferme ambition de devenir autonome et j’espère qu’il y parviendra.

Cependant, les faits déposés devant moi m’amènent à tirer les conclusions suivantes:

  1. L’employeur n’a pas mis fin à l’emploi de M. Parent en raison de son handicap physique.
  2. L’employeur n’a pas refusé d’emploi à M. Parent en raison de son handicap physique,
  3. En outre, je considère que les pratiques d’emploi appliquées à la base de Petawawa pour les chauffeurs de la catégorie MDO 4 ne sont pas, en l’occurence, discriminatoires et constituent une exigence professionnelle normale.
  4. En conséquence, comme il n’a pas été établi qu’il y a eu discrimination aux termes de la Loi, je rejette la plainte. Sudbury, le 10 juin 1980.

André Lacroix Le Président du Tribunal

> LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: SEVERIEN PARENT

Plaignant - et

LE MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

DÉCISION DU TRIBUNAL >

THE CANADIAN HUMAN RIGHTS ACT BETWEEN:

SEVERIEN PARENT Complainant

- and DEPARTMENT OF NATIONAL DEFENCE, AND THE ATTORNEY GENERAL OF CANADA

DECISION

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