Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

JIM ST. JOHN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

l'intimée

DÉCISION

2007 TCDP 19
2007/05/15

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

A. Le faible volume de courrier au CTCE

B. La ligne de conduite de la SCP quant à la réaffectation des employés handicapés à d'autres tâches lorsque le volume du courrier est faible

C. La règle interdisant les mises à pied

D. La ligne de conduite relative à l'application des dispositions sur les congés figurant dans la convention collective

III. ANALYSE

A. En quoi consistait la ligne de conduite qui aurait contrevenu à l'alinéa 10a) de la Loi?

B. Les allégations

(i) La chance de travailler et de recevoir le salaire régulier

(ii) La non-application de la règle interdisant les mises à pied

(iii) Le choix du type de congé

IV. LE REDRESSEMENT

I. INTRODUCTION

[1] Le 20 juin 2003, M. Jim St. John a déposé une plainte contre la Société canadienne des postes (Postes Canada ou la SCP) alléguant que celle-ci avait commis un acte discriminatoire en le défavorisant en cours d'emploi en raison de sa déficience, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). En particulier, M. St. John s'est plaint que Postes Canada l'avait envoyé chez lui le 27 mai 2003 parce qu'elle ne pouvait plus lui offrir un travail qui cadrait avec ses limites. Postes Canada a ensuite utilisé les crédits de congés de maladie de M. St. John afin de l'indemniser pour la perte de salaire subie.

[2] M. St. John soutient de plus que, en mai 2003, Postes Canada a appliqué des lignes de conduite discrimitatoires, aux termes de l'article 10 de la Loi, quand, le 27 mai 2003, elle a envoyé chez eux M. St. John ainsi que trois autres employés handicapés du centre de traitement du courrier d'Edmonton (CTCE) plus tôt que d'habitude et les a payés en utilisant leurs crédits de congés de maladie. Ce jour-là, Postes Canada avait un faible volume de courrier à traiter. M. St. John s'est plaint que c'était la seconde fois qu'il était envoyé chez lui en raison du faible volume de courrier. La première fois s'était produite en 2001.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne a pleinement participé à l'audition de la présente affaire. La Commission a cité un certain nombre de témoins à comparaître, dont le plaignant, M. St. John, et plusieurs représentants du syndicat. L'intimée, Postes Canada, a cité un témoin à comparaître : Mme Darlene Swabb, la gestionnaire de la section du CTCE, où M. St. John travaillait en mai 2003.

[4] Lors de l'audition de la présente affaire, les parties en sont venues à un règlement à l'amiable sur la partie de la plainte concernant l'article 7. Cependant, les parties ont fait savoir qu'elles désiraient que le Tribunal entende et tranche la plainte relative à l'article 10. La question en litige dans la présente décision est donc assez simple : en mai 2003, Postes Canada a-t-elle appliqué des lignes de conduite fondées sur un motif de distinction illicite susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de M. St. John et d'autres employés handicapés?

II. LES FAITS

[5] M. St. John est un commis des postes (PO-3) travaillant à temps plein au centre de traitement du courrier d'Edmonton (CTCE) de Postes Canada. Il est de quart le jour au CTCE. Bien qu'il y ait une certaine confusion au sujet des heures exactes de son quart de travail, il semble que, en 2003, le quart de jour au CTCE commençait à 7 h et se terminait à 15 h. M. St. John est membre d'une unité de négociation représentée par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).

[6] M. St. John est handicapé : il souffre de trouble bipolaire ainsi que de problèmes de douleur au bas du dos et aux genoux. La SCP a classé M. St. John dans la catégorie des employés ayant une incapacité partielle permanente (I.P.P.).

[7] Du fait de son statut d'employé ayant une I.P.P., à partir de 1995, M. St. John a été affecté à la section des lettres d'acheminement du flot de valeur des communications (Communication Value Stream) du CTCE. La section des lettres d'acheminement est l'endroit où les enveloppes de grand format et de format normal sont triées et préparées afin d'être expédiées au Canada et ailleurs dans le monde. Le flot de valeur des communications (les communications) est une section de Postes Canada.

[8] Dans le but d'accommoder M. St. John, Postes Canada n'a pas obligé ce dernier à travailler dans des sections autres que la sienne, elle lui a permis de ne travailler que durant les quarts de jour et elle n'a pas exigé qu'il accomplisse des tâches où il devait se pencher, se contortionner ou se tourner en soulevant un poids. Ces modifications à sa tâche de travail ont par la suite été changées pour permettre à M. St. John de travailler dans d'autres sections du CTCE, à condition que ses autres limites soient respectées.

[9] Le 27 mai 2003, le CTCE n'avait qu'un faible volume de courrier à traiter. En conséquence, il n'y avait pas de travail pour M. St. John et les autres employés de sa section. Il y avait toutefois du travail à faire ailleurs dans le centre. On a tenté de trouver du travail au CTCE qu'aurait pu effectuer M. St. John dans le cadre de ses limites. On n'a rien trouvé.

[10] Par conséquent, vers 13 h 15, M. St. John et quatre autres personnes, toutes handicapées, ont été envoyés chez eux. Postes Canada a informé les employés qu'ils étaient envoyés chez eux parce que, bien qu'il y ait eu du travail à faire au centre, il n'y avait aucun travail qu'ils pouvaient accomplir dans le cadre de leurs limites. Afin de protéger les employés d'une perte de salaire du fait de leur renvoi à la maison, Postes Canada a utilisé leurs crédits de congés de maladie.

[11] Le 13 juin 2003, le syndicat a déposé un grief relativement à cette question. Le grief a été réglé par la suite. Les crédits de congés de maladie des employés ont été remboursés.

[12] M. St. John a déposé la présente plainte en matière de droits de la personne le 20 juin 2003, parce que, selon lui, la procédure de grief n'avait pas résolu toutes les questions. Précisément, il croyait que Postes Canada n'avait pas changé sa ligne de conduite en vertu de laquelle on envoie chez eux les employés handicapés quand il n'y a aucun travail que ceux-ci peuvent effectuer dans le cadre de leurs limites en période de faible volume de courrier au CTCE. M. St. John est d'avis que cette ligne de conduite est discriminatoire et il demande au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à Postes Canada de changer cette ligne de conduite.

A. Le faible volume de courrier au CTCE

[13] Mme Darlene Swabb, la gestionnaire des Communications au moment où les incidents à l'origine de la présente plainte se sont produits, a affirmé qu'il arrive parfois, principalement en été, que le volume de courrier diminue considérablement dans certaines sections du CTCE.

[14] Mme Swabb a déclaré que, lorsque le volume de courrier est faible au CTCE, Postes Canada offre des mesures incitatives à tous les employés afin de réduire l'effectif lors de ces journées. Postes Canada offre des vacances pour cause d'employés en surnombre ou des congés sans solde. Quand le nombre d'employés souhaitant prendre congé et le nombre d'employés souhaitant rester est établi, Postes Canada évalue la situation et détermine comment répartir le personnel dans le centre pour que tous les employés qui restent soient occupés à des tâches productives.

[15] C'est à ce moment que Postes Canada peut décider de prêter ou de réaffecter des employés d'une section du centre où il n'y a pas de travail à une autre section du centre et même aux dépôts de courrier de la région d'Edmonton s'il y a là plus de travail à faire à cet endroit.

[16] L'article 14.19 de la convention collective conclue entre le STTP et Postes Canada permet à cette dernière de réaffecter des travailleurs à des tâches dans d'autres sections du centre quand il n'y a pas suffisamment de travail dans leur section. Selon Mme Swabb, réaffecter ou prêter des employés à d'autres sections constitue un moyen de voir à ce que les employés de Postes Canada travaillent à des tâches productives même lorsque le volume de courrier est faible.

[17] Mme Swabb a affirmé que si le volume de courrier devient faible à la moitié du quart de travail, Postes Canada transférera parfois les employés vers d'autres installations. Mais s'il ne reste qu'une heure ou deux au quart des employés, il ne vaut généralement pas la peine de les envoyer ailleurs, compte tenu du coût de transport et du temps nécessaire pour expliquer les mesures de sécurité et les tâches à faire. Selon Mme Swabb, il est laissé à la discrétion des dirigeants de décider s'il vaut la peine d'envoyer des travailleurs vers d'autres installations.

[18] La possibilité qu'a Postes Canada de transférer des employés d'une partie du centre à une autre est assujettie à l'interdiction générale visant le recours au [traduction] remplacement. Il y a remplacement quand un employé est affecté à des tâches autres que ses tâches habituelles et qu'il est remplacé par un autre employé. Par exemple, si l'employé A, qui est affecté au tri du courrier, est transféré dans une autre section pour faire fonctionner la machine de codage et que l'emloyé B est affecté aux fonctions de tri de l'employé A, il y a alors remplacement. Le prêt ou la réaffectation d'employés en vertu de l'article 14.19 diffère du remplacement, car aucun employé n'est appelé à faire le travail de l'employé réaffecté. En effet, il n'y a pas de raison de le remplacer parce que l'employé ne peut être prêté à d'autres sections que s'il n'y a plus de travail à faire dans sa propre section, c'est-à-dire lorsqu'il a été satisfait aux exigences opérationnelles de sa section.

[19] Mme Swabb a affirmé dans son témoignage que la SCP ne peut recourir au remplacement, car cette façon de procéder contrevient aux dispositions sur l'ancienneté figurant dans la convention collective. Les employés se servent de leur droits d'anciennenté pour demander d'être affectés à une certaine section ou de travailler selon un certain horaire. Selon Mme Swabb, les décisions arbitrales antérieures ont établi que Postes Canada ne peut modifier unilatéralement la demande d'un employé pour affecter un autre employé à son poste.

B. La ligne de conduite de la SCP quant à la réaffectation des employés handicapés à d'autres tâches lorsque le volume du courrier est faible

[20] Lorsqu'elle réaffecte les employés à d'autres tâches quand le volume de courrier est faible, Postes Canada doit respecter les limites qui ont été établies relativement aux employés handicapés. Elle ne peut pas demander aux employés handicapés d'accomplir une tâche qui ne cadre pas avec leurs limites. Par conséquent, Postes Canada a adopté une ligne de conduite concernant les mesures d'accommodement à prendre quant aux employés handicapés lorsque le volume de courrier est faible.

[21] Mme Swabb a témoigné au sujet de la ligne de conduite suivie en mai 2003 au CTCE. Elle a affirmé que, bien que la pratique ne fût mentionnée nulle part par écrit, elle a eu l'occasion de donner des renseignements sur celle-ci par écrit dans un courrier électronique qu'elle a envoyé à M. John Cherry, un agent de ressources humaines chez Postes Canada. Dans ce courrier électronique daté du 29 juin 2005, Mme Swabb a fait savoir que le processus qui a été suivi en mai 2003 était une combinaison des obligations contractuelles en vigueur, des exigences
opérationnelles et de son interprétation de l'obligation de prendre des mesures d'accommodement. Dans ce courrier électronique, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction] Le cas de tous les employés qui sont visés par l'obligation de prendre des mesures d'accommodement fait l'objet d'une discussion avec le syndicat local. Le but de cette démarche est de faire en sorte que les employés s'affairent à des tâches productives tout au long de la journée. Voici les étapes que nous suivons lorsque le volume de courrier est faible :

a) La section A a un faible volume de courrier à traiter ou n'a pas de courrier à traiter.

b) Le superviseur examine l'état de la situation dans les autres sections pour voir s'il est nécessaire de faire appel à des employés supplémentaires pour effectuer le travail dans ces sections.

c) Les employés sont prêtés à d'autres sections dans la mesure où il y a du travail supplémentaire à effectuer et que les exigences de la tâche cadrent avec les limites physiques des employés.

d) Nous ne pouvons pas envoyer un employé de la section B vers la section C et le remplacer par un autre employé dans la section B, car ce processus contrevient aux obligations contractuelles.

e) S'il y a du travail à faire dans les autres sections et que ce travail cadre avec les limites physiques de l'employé, mais qu'il n'est pas nécessaire de faire appel à des employés supplémentaires pour terminer le travail avant la fin du quart, alors des vacances pour cause d'employés en surnombre et des congés sans solde sont offerts aux employés de l'ensemble du centre, y compris les employés de la section A, et ce, afin de fournir du travail aux employés de la section A.

f) Quand des employés acceptent de prendre les vacances ou les congés sans solde supplémentaires, ils sont alors prêtés aux sections où il y a du travail, dans la mesure où ce travail cadre avec les limites des employés.

g) Je ne me suis jamais trouvée dans la situation où aucun travail n'a pu être trouvé à des employés n'ayant aucune limite physique. Le travail effectué au centre est varié quant au degré d'effort physique à faire, c'est-à-dire qu'il y a du travail qui demande beaucoup d'effort physique, du travail qui demande un effort physique moyen et du travail qui demande un effort physique léger.

h) Si le travail disponible ne cadre pas avec les limites physiques d'un employé bénéficiant du régime des tâches modifiées ou ayant une I.P.P., alors il n'est plus possible de satisfaire à l'obligation de prendre des mesures d'accommodement. L'employé est alors envoyé chez lui et doit utiliser ses crédits de congés de maladie. Cette situation ne diffère pas de celle où un employé se blesse pour la première fois : s'il n'y a pas de travail à ce moment-là, il doit rester chez lui et utiliser ses congés de maladie ou son assurance-invalidité jusqu'à ce que la SCP lui offre du travail qu'il est capable d'effectuer.

[22] Il était aussi mentionné dans le courrier électronique que le syndicat est informé avant qu'un employé bénéficiant du régime des tâches modifiées ou ayant une I.P.P. soit envoyé chez lui, faute de travail cadrant avec ses limites. Parfois, le syndicat examinera l'état de la situation dans le centre et proposera des solutions de rechange, s'il y a lieu.

[23] Mme Swabb a également affirmé que Medisys, l'expert-conseil en santé et sécurité au travail de Postes Canada, prépare un rapport décrivant les limites de chaque employé dont les tâches ont été modifiées ou qui a une I.P.P. Le dossier personnel de l'employé, que tous les superviseurs peuvent consulter, comprend une copie de ce rapport.

[24] À l'audience, Mme Swabb a confirmé que la ligne de conduite décrite ci-dessus est celle qui a été suivie en mai 2003. Cependant, Mme Swabb a souligné que la politique officielle de Postes Canada quant aux mesures d'accommodement à prendre pour les employés ayant une incapacité partielle permanente, laquelle politique figure dans le Guide de la société, l'emporte sur le point d figurant dans le courrier électronique susmentionné. Elle a affirmé que, selon cette politique, la SCP peut au besoin passer outre les dispositions de la convention collective afin de trouver du travail qui peut être effectué par un employé handicapé. Cela signifie que le remplacement est permis dans les cas où il s'avère nécessaire si l'on veut trouver du travail à un employé handicapé lorsque le volume de courrier est faible.

[25] Par conséquent, Mme Swabb a clairement fait savoir que la ligne de conduite appliquée en mai 2003 n'était pas conforme à la politique officielle quant aux mesures d'accommodement. Mme Swabb a déclaré que, pour remédier à la situation, la ligne de conduite actuelle appliquée par Postes Canada consiste à procéder au besoin à du remplacement afin de pouvoir trouver du travail à un employé handicapé.

[26] Cependant, en mai 2003, M. Ken Sagan, le superviseur de M. St. John à cette époque, a suivi la ligne de conduite en vertu de laquelle le remplacement était interdit. En conséquence, M. Sagan n'a pas relevé certaines tâches que M. St. John aurait été en mesure d'effectuer le 27 mai 2003. Si M. Sagan avait su qu'il pouvait remplacer certains employés si cela s'avérait nécessaire afin qu'il puisse trouver du travail à M. St. John ainsi qu'à d'autres employés handicapés, il aurait pu affecter M. St. John à des tâches dans la section mécanisée des communications au CTCE. Dans la section mécanisée, il y avait du travail cadrant avec les limites de M. St. John et ce travail était effectué par des employés non handicapés. Ce travail aurait pu être attribué à M. St. John et les autres employés aurait pu être affectés à d'autres tâches dans le centre. M. St. John n'aurait alors pas été envoyé chez lui et ses crédits de congés de maladie n'auraient pas été utilisés.

C. La règle interdisant les mises à pied

[27] Mme Swabb a affirmé qu'il arrive assez souvent que le volume de courrier à traiter au CTCE soit faible. Par contre, il est rare qu'il n'y ait aucun travail pour les employés au CTCE. Quand ces derniers n'ont aucun travail à faire au CTCE ou dans les dépôts, ou s'il n'est pas rentable de les envoyer dans une installation où il y a du travail, la règle veut que Postes Canada n'ait pas le droit de mettre à pied des employés; elle doit les rémunérer même s'il n'y a pas de travail à faire.

[28] Les témoins en l'espèce ne s'entendaient pas quant à savoir si c'est l'article 53 ou l'article 14.02 de la convention collective, ou une combinaison de ces deux articles, qui interdit à Postes Canada de mettre à pied des employés quand elle n'a pas de travail à leur offrir au CTCE. Fait intéressant, il semble qu'aucune disposition de la convention collective ne prévoit expressément que Postes Canada s'engage à ne mettre à pied aucun employé quand il n'y a pas de travail à faire.

[29] L'article 53.01 de la convention collective conclue entre le STTP et Postes Canada prévoit que les employés permanents ne peuvent être mis à pied si ceux-ci acceptent d'occuper un autre poste conformément à la procédure établie par l'article 53. Plusieurs témoins ont affirmé que cette disposition de la convention collective ne s'applique pas dans les cas où le manque de travail est temporaire. Elle s'applique plutôt lorsque le manque de travail est permanent et qu'un ou plusieurs postes doivent être supprimés.

[30] L'article 14.02 de la convention collective prévoit que la semaine normale de travail des employés à temps plein compte quarante heures, soit huit heures par jour, cinq jours par semaine. Cependant, cet article ne garantit pas que l'employé travaillera quarante heures par semaine ou qu'il sera payé pour quarante heures de travail par semaine, cinquante-deux semaines par année. M. Darren Steinhoff, un représentant syndical du STTP pour la région des Prairies, a affirmé que si, par exemple, un employé prenait un congé sans solde, il n'aurait pas le droit d'exiger, en vertu de l'article 14.02, que Postes Canada lui verse son salaire régulier.

[31] Bien que les parties ne se soient pas entendues sur la source dans la convention collective de la règle interdisant les mises à pied, tous les témoins, tant ceux de la Commission que ceux de l'intimée, ont déclaré que, lorsqu'il n'y a absolument aucun travail à faire au CTCE ou dans les dépôts de la région d'Edmonton, la règle prévoit clairement que Postes Canada n'a pas le droit de mettre à pied des employés. Ceux-ci doivent recevoir leur salaire régulier jusqu'à ce que le volume de courrier augmente, jusqu'à ce qu'on leur trouve du travail ou jusqu'à ce que leur quart de travail prenne fin.

[32] Selon la preuve soumise, il était également claire que, lorsqu'il n'y a pas de travail, les employés, qu'ils soient handicapés ou non, ne sont pas obligés de prendre un congé de maladie, des vacances ou un congé sans solde. Ils reçoivent tous leur salaire régulier.

[33] M. Gord Fisher, l'agent des griefs régional du STTP pour les Prairies, a également affirmé, en tant que témoin de la Commission, que, en échange de l'engagement de Postes Canada de rémunérer les employés même lorsqu'il n'y a pas de travail pour eux, ceux-ci doivent demeurer sur les lieux si Postes Canada l'exige. M. Fisher a affirmé que, lorsque des employés lui demandent pourquoi ils ne peuvent pas rentrer chez eux quand il n'y a pas de travail à faire, il leur répond qu'ils sont rémunérés pour travailler huit heures par jour. Par conséquent, ils doivent rester sur les lieux de travail et être prêts à travailler au cas où il y aurait du travail à faire.

D. La ligne de conduite relative à l'application des dispositions sur les congés figurant dans la convention collective

[34] Mme Swabb a affirmé dans son témoignage que, sauf dans les cas où le volume de courrier est faible, comme ce fut le cas le 27 mai 2003, les employés qui sont malades ou incapables de travailler pour une autre raison ont toujours le choix d'utiliser un congé sans solde, des crédits de congés de maladie, des vacances ou tout autre congé applicable prévu par la convention collective.

[35] Le paragraphe h) de la ligne de conduite dont il a été question ci-dessus ne prévoit pas un tel choix pour les employés qui sont envoyés chez eux lorsque le volume de courrier est faible. Il mentionne tout simplement que les employés qui sont envoyés chez eux doivent utiliser leurs crédits de congés de maladie ou demander des prestations d'assurance-invalidité.

[36] Mme Swabb a affirmé ne pas savoir si M. St. John s'était vu offrir un choix quant au congé à prendre avant d'être envoyé chez lui, mais que, selon elle, il n'avait probablement pas eu ce choix. Toutefois, elle a déclaré que si M. St. John avait demandé la permission d'utiliser ses vacances ou un congé sans solde, elle le lui aurait permis, comme elle le fait pour d'autres employés qui sont incapables de travailler.

III. ANALYSE

[37] L'alinéa 10a) de la Loi énonce que le fait de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite constitue un acte discriminatoire s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.

[38] L'alinéa 10b) diffère de l'alinéa 10a) en ce qu'il prévoit que le fait de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel constitue un acte discriminatoire s'il est fondé sur un motif de distinction illicite ou s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.

[39] Rien ne prouve que Postes Canada a conclu une entente avec le syndicat ou toute autre personne relativement à la ligne de conduite en vertu de laquelle on envoie chez eux les employés ayant une I.P.P. quand il n'y a aucun travail qu'ils peuvent effectuer dans le cadre de leur limites. Par conséquent, la disposition applicable en l'espèce est l'alinéa 10a).

[40] Dans les affaires en matière de droits de la personne soumises au Tribunal, il incombe au plaignant d'établir prima facie qu'il y a eu discrimination. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28 (l'arrêt O'Malley), énonce les lignes directrices permettant de juger s'il existe une preuve prima facie. La Cour suprême a affirmé que la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant en l'absence de réplique de l'employeur intimé (Dhanjal c. Air Canada (1997), 139 F.T.R. 37, au paragraphe 6).

[41] Le fardeau est donc déplacé vers l'intimé, qui doit fournir une explication raisonnable démontrant soit que l'acte discriminatoire en question ne s'est pas produit tel qu'allégué ou que l'acte, d'une façon ou d'une autre, n'était pas discriminatoire (Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 2005 CAF 154, au paragraphe 26). Si l'intimé fournit une explication raisonnable, il revient au plaignant de démontrer que l'explication n'est qu'un simple prétexte à la discrimination (Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, au paragraphe 38 (T.C.D.P.)).

[42] On peut conclure qu'une ligne de conduite ne constitue pas un acte discriminatoire s'il est établi qu'elle découle d'exigences professionnelles justifiées aux termes de l'alinéa 15(1)a) de la Loi. Selon le paragraphe 15(2) de la Loi, il doit être démontré, pour que la ligne de conduite soit considérée comme étant une exigence professionnelle justifiée, que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne constituent une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

A. En quoi consistait la ligne de conduite qui aurait contrevenu à l'alinéa 10a) de la Loi?

[43] La preuve a révélé que, lorsque le volume de courrier était faible au CTCE, en mai 2003, Postes Canada a suivi la ligne de conduite décrite par Mme Swabb dans le courrier électronique qu'elle a envoyé à M. John Cherry. S'il n'y avait pas de travail pour les employés dans une section particulière du centre, une enquête était entreprise pour déterminer si d'autres sections du centre avaient besoin d'employés pour terminer le travail. Dans le cadre de cette enquête, il fallait également examiner s'il y avait du travail que les employés handicapés pouvaient effectuer dans le cadre de leurs limites. Si d'autres sections avaient besoin d'employés supplémentaires, les employés étaient alors prêtés à ces sections. Si les tâches à accomplir cadraient avec les limites des employés handicapés, ces derniers étaient également prêtés à d'autres sections. Si les autres sections avaient du travail qui cadrait avec les limites des employés handicapés, mais n'avaient pas besoin d'employés supplémentaires, alors des vacances pour cause d'employés en surnombre ou des congés sans solde étaient offerts à tous les employés du centre afin de libérer du travail.

[44] Toutefois, Postes Canada ne remplacerait pas un employé pour trouver du travail à un employé handicapé au CTCE. En d'autres termes, Postes Canada n'affecterait pas un employé à d'autres tâches dans une section du centre où il y a du travail dans le but de premettre que son poste soit occupé par un employé handicapé.

[45] Si, après une enquête par ailleurs complète de toutes les possibilités de réaffectation d'employés handicapés, il a été établi qu'il n'y avait aucun travail productif cadrant avec les limites des employés handicapés, ces derniers étaient envoyés chez eux en congé de maladie.

B. Les allégations

[46] La Commission et le plaignant prétendent que la ligne de conduite énoncée ci-dessus est susceptible d'annihiler les chances d'emploi suivantes de M. St. John et d'autres employés handicapés :

  1. la chance d'accomplir des tâches cadrant avec leurs limites et la chance de recevoir leur salaire régulier pour ce travail;
  2. l'occasion de bénéficier de la règle interdisant les mises à pied qui prévoit que, même quand il n'y a pas de travail à faire, les employés reçoivent leur salaire régulier;
  3. le choix du type de congé qu'ils souhaitent utiliser quand ils sont envoyés chez eux.

[47] Avant de me pencher sur chacune des allégations susmentionnées, je souligne que les parties n'ont pas débattu la question de la signification de l'expression chances d'emploi. Dans l'arrêt Mossop c. Canada (Procureur général), [1991] 1 C.F. 18, conf. pour d'autres motifs par [1993] 1 R.C.S. 554, le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale a déclaré, en obiter dictum, que le Tribunal ne devait pas négliger d'analyser si un avantage d'emploi particulier qui aurait été annihilé constitue une chance d'emploi aux termes de l'alinéa 10a) de la Loi. Ni l'une ni l'autre des parties n'a abordé la question de savoir si les allégations exposées ci-dessus constituaient des chances d'emploi selon l'alinéa 10a).

[48] À mon sens, la portée de cet élément de l'article 10 peut faire l'objet d'une question légitime (voir Mossop, précité; Hay c. Cameco, [1991] D.C.D.P. no 5, no D.T. 5/91; Cramm c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1998), D.T. 5/98, aux paragraphes 30 à 35, conf. pour d'autres motifs par (2000), 192 F.T.R. 83 (1re inst.); Stevenson c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1984] 2 C.F. 691, aux pages 721 et 722). Cependant, étant donné que les parties n'ont pas abordé cette question, il ne serait pas indiqué que j'examine les questions de savoir si les allégations exposées ci-dessus constituaient des chances d'emploi au sens de l'alinéa 10a). Le Tribunal ne peut pas se pencher sur des questions qui ne lui ont jamais été soumises et que les parties n'ont pas abordées (voir les décisions Bergeron c. Télébec Ltée., 2005 CF 879, au paragraphe 63, et Beauregard c. Postes Canada, 2005 CF 1384, aux paragraphes 26 et 27). Par conséquent, pour les besoins de la présente décision, je présumerai que les chances que le plaignant prétend s'être vu refuser constituaient des chances d'emploi selon l'alinéa 10a).

(i) La chance de travailler et de recevoir le salaire régulier

[49] La preuve a établi que, le 27 mai 2003, du travail productif qu'aurait pu faire M. St. John a été attribué à des employés non handicapés. M. St. John n'a pas pu faire ce travail en raison de l'interdiction générale à laquelle était soumise Postes Canada quant au remplacement. La règle interdisant le remplacement a empêché Postes Canada de relever le travail qui pouvait être fait et de l'attribuer à M. St. John. En conséquence, M. St. John s'est vu refuser la chance de terminer son quart de travail et de recevoir son salaire régulier normal. L'intimée n'a pas accordé cette chance à M. St. John pour le motif qu'il était handicapé.

[50] Je conclus donc que la Commission et le plaignant ont établi une preuve prima facie que, lorsque Postes Canada a envoyé M. St. John et quatre autres employés handicapés chez eux avant la fin de leur quart de travail le 27 mai 2003, en application de la ligne de conduite interdisant le remplacement, Postes Canada a commis un acte qui annihilait les chances d'emploi d'employés handicapés.

L'explication de l'intimée

[51] Postes Canada n'a fourni aucune explication raisonnable justifiant sa ligne de conduite discriminatoire à première vue. En outre, Postes Canada n'a pas tenté de soutenir que sa ligne de conduite découlait d'une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 15(1)a). Au contraire, l'avocat de Postes Canada a reconnu que, dans la mesure où la ligne de conduite suivie en mai 2003 comportait une interdiction générale de procéder à du remplacement, elle a omis de répondre aux besoins de ses employés handicapés dans la mesure où cela ne lui causait aucune contrainte excessive. Puisque la ligne de conduite suivie par Postes Canada en mai 2003 éliminait toute possibilité de procéder à du remplacement quand les circonstances le permettaient, Postes Canada a bel et bien éliminé un moyen pratique de répondre aux besoins de M. St. John. L'avocat de Postes Canada a affirmé dans sa plaidoirie que, dans cette mesure, la ligne de conduite applicable à l'époque était discriminatoire.

[52] Étant donné que l'intimée n'a donné aucune explication raisonnable et n'a présenté aucune défense justifiant ses actions en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je conclus que la Commission et M. St. John ont établi que la ligne de conduite consistant à ne pas envisager la possibilité de procéder à du remplacement afin de fournir du travail convenant à des employés handicapés annihilait les chances d'emploi de M. St. John pour un motif de distinction illicite.

(ii) La non-application de la règle interdisant les mises à pied

[53] M. St. John et la Commission ont soutenu que la ligne de conduite en vertu de laquelle on envoie chez eux les employés handicapés lorsqu'il n'y aucun travail que ceux-ci peuvent effectuer dans le cadre de leurs limites constitue un acte discriminatoire non seulement parce qu'elle ne permettait pas aux travailleurs handicapés d'être affectés à des tâches cadrant avec leurs limites, mais également parce qu'il en résultait que les employés handicapés de Postes Canada ne pouvaient pas se prévaloir de la règle interdisant les mises à pied.

[54] Par conséquent, la Commission est d'avis que la simple abolition de l'interdiction générale de procéder à du remplacement ne mettrait pas fin à la ligne de conduite reprochée. Il faudrait plutôt que la ligne de conduite en vertu de laquelle on envoie les employés handicapés à la maison quand il n'y a aucun travail que ceux-ci peuvent effectuer dans le cadre de leurs limites cesse tout simplement d'être appliquée. Conformément à la règle interdisant les mises à pied, il doit être permis aux employés handicapés de demeurer au travail et de recevoir leur salaire régulier lorsqu'aucune mesure d'accommodement ne peut être prise.

[55] Tel que je l'ai souligné ci-dessus, la règle interdisant les mises à pied s'applique quand il n'y a aucun travail à faire dans le centre ou dans les dépôts de courrier, ou lorsqu'il y a du travail à faire dans les dépôts mais qu'il n'est pas rentable d'envoyer les travailleurs du centre dans une autre installation. Dans ces cas, Postes Canada verse aux employés leur salaire régulier, même s'ils n'effectuent aucun travail.

[56] Selon la Commission et M. St. John, les employés handicapés pour lesquels il n'y a pas de travail devraient pouvoir, tout comme les employés non handicapés pour lesquels il n'y a pas de travail dans le centre, bénéficier de la règle interdisant les mises à pied. Essentiellement, l'argument veut que les employés handicapés pour lesquels il n'y a pas de travail se trouvent dans une situation comparable à celle de tous les employés quand il n'y aucun travail à faire dans le centre. Pourtant, en raison de la ligne de conduite en vertu de laquelle on envoie chez eux les employés handicapés quand il n'y aucun travail qui cadre avec leurs limites, les employés handicapés comme M. St. John ne peuvent pas bénéficier de la règle interdisant les mises à pied. Cela constituerait une preuve prima facie de discrimination.

[57] Postes Canada a soutenu que les employés handicapés qui sont envoyés chez eux après que l'on ait en vain tenté de trouver d'autres tâches cadrant avec leurs limites ne sont pas mis à pied et, par conséquent, ne se voient pas refuser la possibilité de se prévaloir de la règle interdisant les mises à pied. Au contraire, dans des situations comme celle du 27 mai 2003, lorsque le volume de courrier est faible, il y a encore du travail à faire dans le centre. On tente alors de trouver du travail productif à tous les employés qui se trouvent toujours au centre. Si des employés handicapés sont envoyés chez eux, ce n'est pas parce qu'il n'y pas de travail pour eux, c'est parce qu'ils ne sont pas en mesure de faire le travail qu'il y a à faire. Puisque la ligne de conduite exige que l'on fasse tous les efforts raisonnables possibles pour tenter de trouver d'autre travail aux employés handicapés avant de les envoyer chez eux, selon Postes Canada, il n'y a pas de discrimination à première vue.

[58] Pour les motifs qui suivent, je suis d'accord avec l'intimée pour affirmer que le plaignant et la Commission n'ont pas établi prima facie qu'il y avait discrimination à cet égard.

[59] La preuve en l'espèce établissait clairement que la règle interdisant les mises à pied ne s'appliquait que lorsqu'il n'y avait absolument aucun travail à faire dans le centre ou qu'il n'était pas rentable de transférer les employés dans une autre installation pour qu'ils y effectuent le travail à faire. La preuve révèle que, lorsqu'il n'y a pas de travail à faire chez Postes Canada, tant les employés non handicapés que les employés handicapés reçoivent le salaire auquel ils ont droit pour le quart de travail en entier. Personne parmi ces groupes n'est obligé de prendre des vacances, un congé de maladie, un congé sans solde ou tout autre sorte de congé ou d'indemnité afin de protéger son revenu. Par conséquent, dans les situations où il n'y a pas de travail à faire, tous les employés, qu'ils soient handicapés ou non, sont traités de la même façon.

[60] Cependant, dans les cas où le volume de courrier est faible, des règles différentes s'appliquent. L'article 14.19 s'applique. Les employés sont prêtés à d'autres sections en fonction de leurs capacités. Le but visé par le prêt d'employés lorsque le volume de courrier est faible est de faire en sorte que tous les employés qui ont choisi de demeurer au travail effectuent du travail productif. Ce faisant, Postes Canada doit respecter les limites des employés handicapés. Elle ne peut pas demander à ces derniers d'accomplir des tâches qui ne cadre pas avec ces limites. C'est alors que la ligne de conduite décrite précédemment entre en jeu.

[61] Si, après une recherche minutieuse quant au travail à faire dans le centre et dans les dépôts, il est établi qu'il n'y a aucune tâche que les employés handicapés peuvent accomplir, ceux-ci sont envoyés chez eux. Il y a du travail à faire, mais celui-ci ne cadre pas avec les limites des employés handicapés. Ces derniers (y compris le plaignant) ne sont pas privés de l'avantage conféré par la règle interdisant les mises à pied; quand il n'y a pas de travail à faire au CTCE ou dans les dépôts, tout le monde (y compris le plaignant) jouit de l'application de la règle interdisant les mises à pied. Par conséquent, dans les cas où le volume de courrier est faible, les employés handicapés ne sont pas privés de l'application de la règle interdisant les mises à pieds en raison de leur déficience, mais plutôt en raison du fait que le CTCE se trouve dans une situation où il n'y a aucun travail.

[62] La Commission et le plaignant ont néanmoins soutenu que la règle interdisant les mises à pied devrait s'appliquer aux travailleurs handicapés lorsque le volume de courrier est faible puisque, dans les faits, leur déficience les a mis dans une situation où il n'y a pas de travail. C'est uniquement parce qu'ils sont handicapés que les employés sont incapables d'effectuer le travail à faire. Par conséquent, ce refus d'appliquer la règle interdisant les mises à pied aux employés handicapés lorsque le volume de courrier est faible constitue un acte discriminatoire puisqu'il les prive d'un moyen qui a été prévu dans la convention collective en vue de voir à ce que les employés soient rémunérés même lorsqu'il n'y a pas de travail.

[63] Cependant, lorsque cet argument est examiné de plus près, il devient clair que la plainte n'est pas réellement fondée sur le refus d'appliquer la règle interdisant les mises à pied. La véritable source de la plainte serait plutôt le fait que, lorsque le volume de courrier est faible, la capacité de gagner des revenus du plaignant est inégale par rapport à celle des autres employés. L'argument devient donc que l'inégalité entre les employés non handicapés et les employés handicapés quant à leur capacité de gagner des revenus lorsque le volume de courrier est faible est en soi discriminatoire.

[64] En toute déférence, cet argument n'est pas fondé sur une interprétation exacte des droits et obligations découlant de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'alinéa 10a), qui rend discriminatoire une ligne de conduite fondée sur un motif de discrimination illicite susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'une personne, doit être interprété à la lumière de l'objet général de la Loi. L'article 2 énonce que la loi a pour objet de donner effet au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins.

[65] Par conséquent, la loi ne vise pas à créer une égalité des résultats, ou une égalité économique, pas plus qu'elle n'accorde aux individus le droit de recevoir un salaire. Elle garantit plutôt que tous les individus se voient accorder une chance égale de participer au milieu de travail, sur un pied d'égalité avec les autres travailleurs.

[66] En conséquence, les employeurs n'ont aucune obligation générale d'indemniser les employés handicapés qui ne fournissent aucun service (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Tribunal des droits de la personne) (Dumont-Ferlatte) (1997), 33 C.H.R.R. D/100 (C.F. 1re inst.); Cramm c. Compagnie des chemins de fer nationaux (1998), D.T. 5/98, conf. par (2000), 192 F.T.R. 83 (C.F. 1re inst.), Orillia Nurses' Association c. Orillia Soldiers Memorial Hospital (1999), 42 O.R. (3d) 692 (C.A.), au paragraphe 27). Dans Cramm, le tribunal d'appel a fait remarquer que, si ce n'était pas le cas, les employés s'absentant du travail pour cause de maladie ou de blessure auraient le droit d'être pleinement indemnisés par leur employeur pendant toute leur absence, peu importe sa durée, afin de voir à ce qu'ils ne soient pas traités différemment des autres employés. Le tribunal d'appel a affirmé que ce résultat serait, de toute évidence, insoutenable.

[67] Par conséquent, si l'on présume que Postes Canada a agi avec diligence en cherchant du travail à faire, l'inégalité dans la capacité de gagner des revenus qui pourrait exister entre les employés handicapés et les employés non handicapés lorsque le volume de courrier est faible n'est pas discriminatoire. Les employés handicapés ont eu droit à l'égalité des chances dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein du milieu de travail. Si l'inégalité quant à la capacité de gagner des revenus lorsque le volume de courrier est faible n'est pas discriminatoire en soi, alors le refus par Postes Canada de compléter le salaire des employés handicapés au moyen de la règle interdisant les mises à pied afin d'éliminer cette inégalité ne peut pas être discriminatoire.

[68] Pour tous ces motifs, je conclus que M. St. John et la Commission n'ont pas établi prima facie que la ligne de conduite empêchant les employés handicapés de bénéficier de la règle interdisant les mises à pied après une recherche exhaustive révélant qu'il n'y a pas de travail pour eux est discrimatoire.

(iii) Le choix du type de congé

[69] La Commission et M. St. John prétendent que, en vertu de la ligne de conduite contestée, les employés handicapés ne bénéficient pas du même choix que celui dont bénéficient les autres employés incapables de travailler en raison d'une incapacité, c'est-à-dire que ceux-ci peuvent choisir le type de congé qui est prévu dans la convention collective.

[70] M. Darren Steinhoff a affirmé dans son témoignage pour la Commission que les employés qui sont incapables de travailler peuvent normalement choisir entre prendre un congé de maladie payé, un congé de maladie non payé, un congé sans solde ou des vacances. M. St. John a affirmé qu'on ne lui a pas offert ce choix quand on l'a envoyé chez lui le 27 mai 2003.

[71] La ligne de conduite, telle qu'elle a été décrite dans le courrier électronique que Mme Swabb a envoyé à M. Cherrey, prévoyait ce qui suit :

[traduction] Si le travail disponible ne cadre pas avec les limites physiques d'un employé bénéficiant du régime des tâches modifiées ou ayant une I.P.P., alors il n'est plus possible de satisfaire à l'obligation de prendre des mesures d'accommodement. L'employé est alors envoyé chez lui et doit utiliser ses crédits de congés de maladie. Cette situation ne diffère pas de celle où un employé se blesse pour la première fois : s'il n'y a pas de travail à ce moment-là, il doit rester chez lui et utiliser ses congés de maladie ou son assurance-invalidité jusqu'à ce que la SCP lui offre du travail qu'il est capable d'effectuer. [Non souligné dans l'original.]

[72] La ligne de conduite décrite ci-dessus ne prévoit pas que les employés ont le choix entre différents congés.

[73] M. St. John a affirmé dans son témoignage que, le 27 mai 2003, on lui a demandé de remplir un formulaire de demande de congé de maladie, mais qu'il a refusé. Malgré son refus, Postes Canada a accédé à sa banque de congés de maladie et en a déduit directement le nombre de crédits appropriés.

[74] M. St. John a de plus affirmé que, avant qu'on lui annonce qu'il allait être envoyé chez lui, tous les employés du centre se sont vu offrir le choix entre prendre un congé sans solde ou prendre des vacances, comme le prévoit la ligne de conduite applicable lorsque le volume de courrier est faible. M. St. John a déclaré que, lorsque ces possibilités lui ont été présentées, il les a refusés, car il est un père monoparental et qu'il a plus besoin d'argent que de congés. Il a également affirmé qu'il ne prendrait pas de vacances, car il utilise ce genre de congé pour gérer son niveau de stress afin d'éviter une poussée active de son trouble bipolaire.

[75] Toutefois, M. St. John a soutenu que, lorsque Postes Canada lui a annoncé qu'il allait être envoyé chez lui, elle aurait dû lui offrir une autre occasion de choisir quel type de congé il souhaitait utiliser, puisque, à ce moment, il savait qu'il ne lui était pas possible de recevoir son salaire régulier.

[76] M. St. John a affirmé dans son témoignage qu'il était particulièrement important pour lui de pouvoir gérer ses congés de maladie et décider quand il les utiliserait. La nature de son handicap a pour conséquence qu'il a parfois besoin d'être hospitalisé pour des séjours pouvant durer jusqu'à un mois. En conséquence, il doit épargner ses congés de maladie afin de pouvoir s'en servir lors de ces périodes d'hospitalisation. Il craint que, si Postes Canada utilise ses crédits pour les périodes où il n'y a pas de travail qu'il peut effectuer au CTCE, il ne lui en restera pas suffisamment pour couvrir ses séjours à l'hôpital.

[77] La ligne de conduite applicable en mai 2003, en vertu de laquelle on déduit automatiquement des congés de maladie quand un employé est envoyé chez lui, a privé M. St. John du choix de congé offert aux autres employés incapables de travailler pour quelque motif que ce soit. Cette ligne de conduite a eu un effet défavorable sur la capacité de M. St. John de traiter son handicap. Par conséquent, je conclus que M. St. John et la Commission ont établi prima facie que la ligne de conduite concernant le choix du type de congé était susceptible d'annihiler les chances d'emploi de M. St. John.

L'explication de l'intimée

[78] Encore une fois, et c'est tout à son honneur, l'avocat de Postes Canada a convenu qu'il n'y avait aucune explication raisonnable justifiant de ne pas offrir le choix du type de congé aux employés handicapés qui sont envoyés chez eux. Il a affirmé que ces travailleurs doivent probablement se voir offrir le même choix qui est offert à tous les employés qui, en raison d'une incapacité, sont incapables d'effectuer un travail productif.

[79] Mme Swabb a témoigné que la ligne de conduite suivie en mai 2003 était fondée sur le principe que, si l'employé était incapable de travailler, il devrait prendre un congé de maladie. Elle a affirmé que cette situation était due au fait qu'on estimait que l'utilisation de congés de maladie était la façon la plus rapide de protéger le revenu des employés comme M. St. John.

[80] Mme Swabb a affirmé que Postes Canada ne se demandait pas si l'utilisation des congés de maladie d'un employé en son nom pouvait avoir des répercussions défavorables sur la capacité de ce dernier à traiter un handicap, comme dans le cas de M. St. John.

[81] Étant donné que Postes Canada n'a fourni aucune explication, ni aucune justification raisonnable quant au refus d'offrir un choix quant au type de congé aux employés qui sont envoyés chez eux, je conclus que le plaignant et la Commission ont établi que la ligne de conduite, dans la mesure où elle ne permettait pas à l'employé de choisir le type de congé, annihilait les chances d'emploi de M. St. John en raison de sa déficience.

IV. LE REDRESSEMENT

[82] Étant donné la façon dont a été réglée la partie de la plainte concernant l'article 7, M. St. John a retiré sa demande d'indemnité individuelle présentée en vertu de l'alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3). Cependant, la Commission a demandé que le Tribunal rende une ordonnance en vertu de l'alinéa 53(2)a) enjoignant à Postes Canada de cesser d'appliquer la ligne de conduite, décrite par Mme Swabb à l'audience et dans le courrier électronique qu'elle a envoyé à M. Cherry, en vertu de laquelle on envoie les travailleurs handicapés chez eux.

[83] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus qu'il ne convient pas de rendre l'ordonnance demandée par la Commission. J'estime que la ligne de conduite n'était discriminatoire que dans la mesure où elle contenait une interdiction générale de procéder à du remplacement et n'offrait pas aux employés envoyés chez eux un choix quant au type de congé.

[84] Par conséquent, à mon avis, l'ordonnance suivante est celle qui convient le mieux dans les circonstances :

  1. Il est enjoint à Postes Canada de cesser d'appliquer l'interdiction générale de procéder à du remplacement qui formait une partie de la ligne de conduite suivie en mai 2003;
  2. Il est également enjoint à Postes Canada d'offrir le même choix aux employés pour qui aucun autre travail ne peut être trouvé que celui qui est offert aux autres employés qui sont envoyés chez eux en raison d'une incapacité.

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)
Le 15 mai 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1124/0606

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Jim St. John c. La Société canadienne des postes

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 29 au 31 janvier 2007

Les 1 et 2 février 2007

Edmonton (Alberta)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 15 mai 2007

ONT COMPARU :

Jim St. John

Pour lui-même

Ceilidh Snider

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Zygmunt Machelak

Pour l'intimée

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