Contenu de la décision
CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION
FRIENDS OF SIMON WIESENTHAL CENTER FOR HOLOCAUST STUDIES
LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH
MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis
Tribunal canadien
des droits de la personne
[1] Marc Lemire a demandé que je délivre un subpoena enjoignant à Bell Canada de produire [traduction] tous les documents et renseignements concernant l'adresse IP 70.48.181.203
.
[2] Pendant l'interrogatoire d'un employé de la Commission canadienne des droits de la personne, Dean Stacey, le 10 mai 2007, un élément de preuve a été produit concernant des messages affichés sur le babillard électronique du site Stormfront.org par une personne utilisant le nom de Jadewarr
. M. Lemire prétend que cette personne est en fait un employé de la Commission. Il fonde sa conclusion sur le témoignage donné par Richard Warman dans le cadre d'une autre audience devant le Tribunal, ainsi que sur un certain nombre de documents ayant été produits en l'espèce. Selon M. Lemire, cette preuve démontre que la Commission a [traduction] participé activement
sur les babillards électroniques avec lui et d'autres personnes qui sont intimées dans d'autres affaires portant sur les droits de la personne. Selon lui, cela donne à penser que les activités de la Commission sont [traduction] beaucoup plus qu'une tentative d'enrayer la discrimination et ont des répercussions sur l'équité de ses procédures, sur les droits tant des plaignants que des intimés et sur les droits garantis par la Charte
. En outre, cet élément de preuve viendrait contredire le témoignage de M. Stacey selon lequel la Commission ne participe pas aux discussions sur les babillards électroniques.
[3] Apparemment, M. Lemire a en sa possession d'autres documents indiquant que l'adresse IP assignée à l'ordinateur à partir duquel Jadewarr a affiché ses messages était 70.48.181.203. Je déduis que le fournisseur d'accès Internet ayant attribué cette adresse à l'utilisateur final était Bell Canada. Par conséquent, M. Lemire désire que le Tribunal enjoigne à un représentant de Bell Canada d'apporter à l'audience tous les documents et les renseignements concernant l'adresse IP, afin de peut-être établir définitivement si un employé de la Commission a affiché des messages sur le babillard électronique sous le nom de Jadewarr.
[4] La Commission s'est opposée formellement
à la divulgation de ces renseignements en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (LPC). Dans une lettre de son avocat principal par intérim, Philippe Dufresne, la Commission [traduction] certifie au Tribunal que ces renseignements ne devraient pas être divulgués, dans l'intérêt du public, car leur divulgation porterait préjudice à la méthode d'enquête de la Commission.
[5] Les dispositions pertinentes de l'article 37 de la LPC sont ainsi libellées
[6] L'article 36.1 de la LPC énonce que le terme fonctionnaire
a le même sens qu'à l'article 118 du Code criminel, lequel précise que le terme fonctionnaire
désigne toute personne qui détient une charge ou un emploi ou est nommée pour remplir une fonction publique. Je suis convaincu que M. Dufresne, en sa qualité d'avocat principal par intérim de la Commission, est une personne nommée pour remplir une fonction publique au sens de l'article 118. De plus, j'ajouterais que ce n'est pas la première fois que les avocats de la Commission invoquent l'article 37 afin de prévenir la divulgation d'information en l'espèce. Les parties n'ont jamais soutenu que l'avocat de la Commission n'est pas un fonctionnaire au sens de l'article 37.
[7] Dès qu'un fonctionnaire fait part de son opposition en vertu du paragraphe 37(1) de la LPC, le tribunal, l'organisme ou la personne qui reçoit l'opposition veille à ce que les renseignements ne soient pas divulgués
sauf en conformité avec la LPC (paragraphe 37(1.1)). Dans le cas d'audiences devant le Tribunal canadien des droits de la personne, la question de l'opposition ne peut être décidée, sur demande, que par la Cour fédérale (alinéa 37(3)a)).
[8] L'une des parties au présent litige, la Canadian Association for Free Expression (CAFE), soutient que l'opposition de la Commission est prématurée. Elle soutient que le libellé de l'article 37 n'interdit pas [traduction] l'obtention de renseignements
, mais seulement leur production en preuve. Je ne souscris pas à cette opinion. Le paragraphe 37(1) prévoit qu'un fonctionnaire peut s'opposer à la divulgation de renseignements auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne. La restriction n'est pas limitée à la production en preuve
. En outre, le Tribunal tient son pouvoir de délivrer le subpoena que demande M. Lemire de l'alinéa 50(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel énonce que le Tribunal a le pouvoir d'assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu'il juge indispensables à l'examen complet de la plainte. Par conséquent, le subpoena que M. Lemire cherche à obtenir obligerait le représentant de Bell Canada à comparaître à l'audience et à produire les documents portant sur l'adresse IP susmentionnée, et ne ferait pas que permettre à M. Lemire d'obtenir des renseignements
.
[9] De son côté, M. Lemire prétend que, puisque le paragraphe 37(1) prévoit qu'un fonctionnaire peut s'opposer à la divulgation de renseignements auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, l'opposition ne peut être exprimée que lorsque le témoin de Bell Canada comparaîtra, en personne, devant le Tribunal à l'audience.
[10] Je ne souscris pas non plus à cette affirmation. Le paragraphe 37(1), à mon avis, est explicite à cet égard. L'expression auprès d'un tribunal, d'un organisme ou d'une personne
a trait à la divulgation de renseignements. C'est à la divulgation des renseignements auprès du tribunal, de l'organisme ou de la personne que le fonctionnaire peut s'opposer. En outre, selon le paragraphe 37(1), un fonctionnaire peut s'opposer verbalement ou par écrit. Si l'opposition prévue au paragraphe 37(1) ne pouvait être exprimée qu'à l'audience publique
, pourquoi le législateur aurait-il permis aux fonctionnaires de s'opposer par écrit? En toute logique, cette disposition doit prévoir la possibilité qu'un fonctionnaire puisse s'opposer avant le moment où les renseignements doivent être divulgués. L'opposition de M. Dufresne n'est donc pas prématurée.
[11] En outre, selon l'attestation écrite de l'opposition de M. Dufresne, les renseignements précis dont il est question dans la demande de subpoena ne devraient pas être divulgués, et ce, pour des raisons d'intérêt public précises. Dans ces circonstances, il serait absurde que le Tribunal cite un témoin à comparaître et le contraigne à produire des documents qui, comme nous le savons, font l'objet d'une opposition en vertu de l'article 37. Étant donné que le témoin, selon la demande de subpoena, n'aurait aucun autre élément de preuve à présenter, je ne crois pas que son témoignage ou ses documents soient indispensables à l'examen complet de la plainte
au sens de l'alinéa 50(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme l'ont souligné Alan W. Mewett et Peter J. Sankoff dans Witnesses, (f. mobiles, Toronto, Carswell, 2004) à la page 7-17, no 104, dans les cas où il est clair qu'un témoin ne peut apporter aucun élément de preuve admissible parce que, par exemple, cet élément de preuve est confidentielle, le subpoena peut être annulé.
[12] Par conséquent, la demande de subpoena de M. Lemire pour que Bell Canada produise [traduction] tous les documents et renseignements concernant l'adresse IP 70.48.181.203
est rejetée.
OTTAWA (Ontario)
Le 17 mai 2007
Pour les Friends of Simon Wiesenthal Center for Holocaust Studies |
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