Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 13/ 89

Décision rendue le 23 ao t 1989

AFFAIRE INTÉRESSANT une plainte déposée en application de l’alinéa 7a) et de

l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, chap. 33, et ses modifications

ENTRE :

DAVID GALBRAITH Plaignant

- et

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES Intimée

DEVANT : John I. Laskin, président

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARUS : Pour la Commission canadienne des droits de la personne, RENÉ

DUVAL

Pour l’intimée, JOSEPH de PENCIER et MAJOR S. GOUIN

DATES DES AUDIENCES : Les 12, 14 et 15 septembre et 4 octobre 1988

TRADUCTION

AFFAIRE INTÉRESSANT une plainte déposée en application de l’alinéa 7a) et de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, chap. 33, et ses modifications

ENTRE DAVID GALBRAITH Plaignant - et LES FORCES ARMÉES CANADIENNES Intimée

DEVANT : John I. Laskin, président DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARUS : Pour la Commission canadienne des droits de la personne, RENÉ DUVAL

Pour l’intimée, JOSEPH de PENCIER et MAJOR S. GOUIN

DATES DES AUDIENCES : Les 12, 14 et 15 septembre et 4 octobre 1988

MOTIFS

La question en l’espèce consiste à déterminer si certaines dispositions des Normes médicales des Forces armées canadiennes constituent une exigence professionnelle justifiée applicable à l’emploi d’artilleur dans la Milice de l’Armée canadienne au sens de l’alinéa l4a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, chap. 33, et ses modifications (la Loi).

1. La Plainte

Le plaignant David Galbraith est âgé de 25 ans. Il étudie au collège Seneca et travaille à temps plein dans un établissement Mac’s Milk. En juin, 1982, M. Galbraith a tenté de joindre les rangs de la Milice à titre de membre du Régiment d’artillerie, 7e Régiment de Toronto RCA. M. Galbraith a répondu oui à la question suivante d’un caporal du service de santé : Avez- vous déjà subi une résection de l’intestin? Par la suite, M. Galbraith a rencontré un médecin des Forces armées qui l’a informé qu’en raison des règles d’admission dans les Forces armées et de sa réponse affirmative à la question susmentionnée, il pourrait être déclaré inapte. Le médecin a demandé à M. Galbraith de se procurer une note auprès de son médecin personnel, mais il lui a également dit qu’à son avis, M. Galbraith était apte au plan médical et qu’il ne voyait aucune raison pour laquelle M. Galbraith ne serait pas en mesure de joindre les rangs des Forces armées.

Le 24 juin 1982, M. Galbraith a produit la note demandée émanant de son médecin, le Dr Zane Cohen, qui déclarait qu’il n’y avait aucune restriction quant aux activités auxquelles M. Galbraith pouvait participer. M. Galbraith a reconnu qu’il était peu probable que le or Cohen ait eu en main, au moment où il lui a fourni cette note, la liste des fonctions d’un artilleur. Le Dr Cohen n’a apparemment pas demandé de renseignements à M. Galbraith quant au travail que peut s’attendre à accomplir un membre de la Milice dans les Forces armées. Après avoir fourni la note, M. Galbraith a été informé qu’il n’y avait alors aucun poste d’ouvert, mais on lui a suggéré de se présenter à nouveau à l’automne.

En septembre 1982, un chirurgien a passé en revue le dossier de M. Galbraith et l’a informé qu’aux termes du rapport médical il était inapte. Un médecin du Service de santé des Forces armées a avisé M. Galbraith qu’il était inapte en raison de son iléostomie. On a dit à M. Galbraith de communiquer avec Downsview (BFC) pour obtenir de plus amples renseignements.

Le médecin de Dowsnview (BFC) a confirmé ce qu’on lui avait dit auparavant, c’est- à- dire qu’il était inapte à servir dans l’artillerie parce qu’il avait subi une iléostomie.

Le 15 décembre 1982, M. Galbraith a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il reprochait au ministère de la Défense nationale d’avoir commis à son endroit un [TRADUCTION] acte discriminatoire fondé sur une déficience physique (résection de l’intestin - iléostomie continente) contrairement à l’alinéa 7a) et à l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Au début de l’audience, le nom de l’intimée a été modifié, du consentement des parties, pour celui de Forces armées canadiennes.

M. Galbraith a, au cours de son témoignage, indiqué que la résection de son intestin avait été rendue nécessaire par suite. d’une malformation congénitale connue sous le nom de maladie de Hirschsprung. Selon la preuve de nature médicale produite à l’audience, la maladie de Hirschsprung découle de l’absence de nerfs dans la région de la paroi intestinale. En conséquence, il peut y avoir absence de coordination ou blocage du mouvement des matières dans le colon. M. Galbraith a subi trois opérations, appelées colostomies, au cours desquelles on a tenté de faire l’ablation de la partie touchée de son gros intestin et de joindre l’intestin. En juillet 1981, le Dr Zane Cohen a effectué une iléostomie continente sur M. Galbraith. Cette opération consiste à faire l’ablation du gros intestin et à construire un réservoir à l’intérieur de l’intestin grêle. on insère un cathéter afin de vidanger le réservoir. L’iléostomie continente se distingue de l’iléostomie classique dans le cadre de laquelle on fait une ouverture dans la paroi abdominale, l’intestin lui- même est retiré du corps et le fluide se déverse dans une poche réceptrice. Les deux interventions sont identiques sur le plan physiologique.

L’iléostomie continente semble n’avoir eu que très peu de répercussions sur la vie de tous les jours de M. Galbraith. Ce dernier a indiqué que même si on lui avait fait des recommandations quant au régime alimentaire à suivre, il n’en avait jamais vraiment tenu compte. Il est apparemment un jeune homme très actif, il joue à la balle molle et au volley- ball, fait du camping, de la marche en montagne et de la natation, en plus d’être membre de l’Organisation de la Patrouille canadienne de ski. Au cours de l’été 1986, M. Galbraith a travaillé dans un hôpital au Kenya auprès d’enfants souffrant de malnutrition et a déclaré n’avoir éprouvé aucun problème physique durant son séjour à cet endroit. Il a dit n’avoir jamais souffert de déshydratation dans le cours de ses activités et on ne lui a jamais conseillé d’éviter quelque activité particulière.

La seule conséquence évidente de l’iléostomie continente qu’a subie M. Galbraith est la nécessité pour ce dernier de vidanger le réservoir environ deux fois par jour. De façon générale, il ne s’est jamais trouvé dans une situation où il lui était impossible de le faire. M. Galbraith garde un cathéter à portée de la main et, bien que le cathéter doive être rincé à l’eau, il n’est pas nécessaire de le stériliser. Dans son témoignage, il a indiqué que le seul problème qu’il ait eu est qu’une fois le cathéter s’est brisé.

2. La position de l’intimée

Le seul motif pour lequel on a refusé d’admettre le plaignant dans la Milice en tant qu’artilleur est le fait qu’il avait subi une iléostomie continente. Il n’est pas contesté qu’une résection de l’intestin ou une iléostomie continente constitue une déficience au sens de l’article 20 de la Loi qui est ainsi rédigé :

"20. Dans la présente loi, déficience désigne toute déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue."

La Loi comporte également les dispositions suivantes : 3.( 1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience. [non souligné dans le texte original]

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ... directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

"10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur, l’association d’employeurs ou l’association d’employés a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite ... pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus."

M. de Pencier a concédé, pour le compte de l’intimée, que le plaignant avait établi qu’il était, de prime abord, victime de discrimination au sens des alinéas 7a) et 10a) de Loi. La position de l’intimée consiste à dire que le refus d’employer le plaignant dans la milice était fondé sur une exigence professionnelle justifiée conformément à l’alinéa 14a) de la Loi qui porte :

"14. Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; ..."

Il incombe à l’employeur d’établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée et ce, conformément à la règle de la preuve en matière civile, c’est- à- dire suivant la prépondérance des probabilités (voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R. C. S. 202, à la page 208).

Je constate que ni la Commission ni le plaignant n’ont fait état dans leur dossier de quelque obligation qu’auraient les Forces armées canadiennes d’accommoder M. Galbraith, par exemple, en ne l’assignant pas à des postes stressants ou en lui confiant des tâches moins ardues. Le plaignant était volontiers disposé à être évalué de la même manière que les autres recrues potentielles des Forces armées et il n’a sollicité aucune dispense particulière en raison de sa déficience.

L’intimée n’a soumis le plaignant à aucun examen particulier afin de déterminer s’il était apte à s’acquitter des fonctions et exigences du postes d’artilleur. Les témoins de l’intimée ont reconnu que M. Galbraith s’était, sur une base quotidienne, extrêmement bien comporté malgré sa déficience. L’intimée a tenté de justifier sa position en invoquant l’application des Normes médicales des Forces canadiennes qui - figurent dans un manuel. Ces normes médicales s’appliquent tant à la Force régulière qu’à la Milice. Ces normes ont pour but de normaliser les examens médicaux et les catégories médicales, à l’intention des candidats aux Forces canadiennes et des militaires en service.

La catégorie médicale comprend l’année de naissance (YOB) et les six facteurs suivants :

V - Acuité visuelle CV - Vision des couleurs H - Ouïe - Acuité auditive G - Facteur géographique O - Facteur professionnel A - Normes applicables au personnel navigant Les deux facteurs pertinents en l’espèce sont le facteur G (facteur géographique) et le facteur O (facteur professionnel).

En ce qui a trait aux facteurs géographiques, le manuel prévoit les dispositions suivantes :

"6. Généralités - Dans un organisme militaire, il est essentiel de connaître l’endroit où un militaire est censé donner un bon rendement. Les trois principaux facteurs à considérer sont :

a. Climat - Tous les états de santé n’assurent pas un rendement efficace sous tous les climats. Certaines conditions dermatologiques s’accommodent mal des climats chauds et humides, tandis que d’autres peuvent être aggravées dans des climats froids et secs. Certains désordres de la circulation périphérique peuvent être aggravés par le froid.

b. Logement et conditions de vie - Le milieu ainsi que les installations de travail ou de logement varient à travers le monde.

On peut permettre au personnel dans certains métiers de servir dans des régions isolées du Canada ou à l’étranger, pourvu que les habitations soient saines et la cuisine suffisamment bonne. Par contre, dans certains métiers, même au Canada, la personne doit avoir une santé suffisante pour pouvoir braver les intempéries durant des périodes prolongées, et survivre avec un minimum de vivres. Il faut considérer tous ces facteurs en fonction de l’invalidité et éviter de placer du personnel dans des conditions qui peuvent aggraver une invalidité connue.

c. Disponibilité de soins médicaux - Les blessures accidentelles et les maladies ont toujours fait plus de victimes que les effets directs au combat. Cette situation persiste malgré une sélection minutieuse qui assure que seuls ceux qui sont physiquement aptes sont envoyés au combat. Le combat n’est pas une activité continue, mais la préparation au combat est un travail continu et le temps qu’on y consacre entraîne toujours des dangers de maladie ou de blessures. Il est évident que plus les forces combattantes adverses sont rapprochées, moins il y aura de probabilités que les soins médicaux puissent être assurés de façon parfaite. On peut prévoir avec une certaine précision combien d’hommes en bonne santé seront blesses, et il faut aussi admettre la nécessité d’évacuation vers des installations médicales. Cependant, la nécessité de soins médicaux complexes peut être écartée en excluant d’avance du service ceux qui présentent de grands risques lorsque les soins médicaux adéquats ne sont pas disponibles et que l’évacuation s’effectue difficilement. On a tenu compte de faits ci- haut mentionnés pour établir la catégorie médicale. du facteur G, catégorie qui s’étend de 1 à 6.

La catégorie médicale du facteur G comporte les six cotes suivantes : G1 - Minimum requis à l’enrôlement - Aucune restriction - La cote G1 est attribuée à la personne dont l’état de santé lui permet de travailler de façon convenable sous n’importe quel climat et dans n’importe quel milieu. La personne en question peut être affectée en service permanent dans n’importe quelle partie du monde et il n’y a presque aucun danger qu’elle devienne inefficace par suite du climat, des conditions de vie ou de l’indisponibilité des soins médicaux essentiels. Des affectations mentales ou physiques peu graves sont inacceptables puisqu’il y a risque qu’elles soient aggravées par les autres conditions d’existence auxquelles il faudra faire face.

G2 - Aucune restriction d’ordre climatique - Aucune restriction quant à l’environnement - on attribue la cote G2 à celui qui souffre de troubles légers qui n’ont pas besoin d’être soignés régulièrement et qui ne l’empêchent pas de travailler sous quelque climat ou dans quelque environnement que ce soit. Ce personnel est apte au plein emploi en ce qui concerne le facteur géographique, sauf pour les secteurs d’emploi spéciaux qui peuvent exiger de temps à autre la norme G1.

G3 - La cote G3 est attribuée à celui dont l’état de santé demande à être suivi par un médecin plus souvent. Une telle personne a besoin de soins médicaux tous les trois mois environ, mais elle n’a pas nécessairement besoin des services d’un médecin. Elle peut remplir un rôle en campagne et se nourrir de rations de campagne. Ce personnel peut servir en mer sans restriction et on le juge apte à une affectation dans un poste isolé.

G2/ G3 Conditionnel - on attribue la cote G2/ G3 à la personne qui est sujette à une seule restriction d’ordre climatique ou quant à l’environnement, désignée comme suit :

G2 ou G3E - inapte pour la zone équatoriale (tropiques) G2M ou G3M - inapte pour le service en mer

G4 - Restrictions quant au climat et aux postes isolés - Besoin d’une caserne ou de locaux équivalents et disponibilité des services d’un médecin - Cette cote est attribuée à ceux qui :

a. ont besoin d’un climat tempéré et qui sont jugés inaptes à une affectation dans un poste isolé sur le plan médical en raison d’une déficience établie médicalement; et

b. ont un état de santé pouvant mener à des complications graves sans avertissement ou qui souffrent d’une incapacité physique qui les incommode légèrement de façon continue. Ces personnes doivent demeurer dans une caserne ou dans un logement familial et avoir les services d’un médecin à leur portée. On les juge inaptes au service en mer, à des affectations dans des postes isolés sur le plan médical ainsi qu’au service dans la Force d’urgence des Nations Unies.

G5 - Service au Canada seulement - Besoin d’une caserne ou de locaux équivalents et disponibilité des services d’un médecin spécialiste - La cote G5 est attribuée à celui qui souffre d’une maladie connue qui exige effectivement, ou selon toute probabilité, des soins médicaux périodiques, quoique la personne en question puisse accomplir des tâches essentielles une grande partie du temps dans un milieu urbain moderne. Cette personne ne doit pas être affectée à l’étranger et elle ne doit pas, non plus, se trouver à plus d’une heure d’un centre médical capable d’assurer les soins d’un médecin spécialiste.

G6 - Inapte au service militaire pour raisons de santé - La cote G6 est attribuée à celui qui souffre d’une maladie ou d’une invalidité qui est manifestement incompatible, du point de vue climat ou environnement, avec les exigences et les contraintes du service militaire.;

En ce qui a trait aux facteurs professionnels, le manuel prévoit les dispositions suivantes :

"Généralités - Tout travail entraîne un effort et une fatigue physiques, de même qu’une activité intellectuelle et une tension nerveuse. Ces exigences varient selon l’emploi. Toute affection physique ou mentale peut atténuer les capacités d’une personne et lui nuire dans l’exercice de ses fonctions. On a tenu compte, sous la rubrique O, de ces restrictions d’ordre physique et mental relativement à l’exercice d’un emploi, et on a établi une catégorie allant de 1 à 6. Le facteur O est un résultat général basé sur l’analyse de tous les facteurs se rapportant aux critères de rendement."

La catégorie médicale du facteur O comporte également six cotes :

"01 - Aptitude supérieure - Cette cote est attribuée à celui qui ne souffre d’aucune affection mentale ou physique et qui peut être entraîné à supporter un travail ou une activité physique soutenu et ardu, à un rythme rapide et dans des conditions très pénibles. Cette personne peut se livrer à des combats en corps- à- corps, combattre sur la ligne de feu ou exécuter des fonctions exigeant une grande dépense d’énergie musculaire. On peut exposer ces personnes à des dangers physiques variés et à des tensions psychologiques, et elles doivent être capables d’encaisser, physiquement ou moralement, des coups très durs. Force et énergie sont des conditions indispensables. La cote 01 est attribuée uniquement à celui qui démontre ce haut niveau d’aptitude.

02 - Minimum à l’enrôlement - Aucune restriction - On attribue la cote 02 à celui qui est sans infirmité médicale, si ce n’est quelques points faibles qui ne l’empêchent pas d’accomplir un travail physique pénible et d’atteindre un niveau d’endurance acceptable lors d’un combat au front. Cette personne est apte au plein emploi, sauf certaines tâches qui exigent l’aptitude supérieure 01.

03 - Affection physique moyenne - La cote 03 est attribuée à celui qui souffre d’une légère affection médicale ou psychologique l’empêchant d’accomplir un travail ardu ou de travailler sous tensions sur de longues périodes. Il peut, toutefois, accomplir la plupart des tâches en travaillant avec modération.

04 - Légers Travaux. La cote 04 est attribuée à toute personne qui, en raison d’une incapacité, ne peut accomplir que de légers travaux. Elle peut supporter la tension nerveuse liée aux tâches normales mais ne peut s’adapter à des tâches plus pénibles pendant une période prolongée.

a. toute personne qui, en raison d’une incapacité physique, ne peut accomplir que de légers travaux;

b. toute personne qui, en raison d’une incapacité mentale, peut supporter la tension nerveuse liée aux tâches administratives courantes mais qui a démontré qu’elle ne peut pas s’adapter à des tâches plus pénibles pendant une période prolongée, lorsqu’elle est soumise à une pression quelconque.

05 - Travaux sédentaires - La cote 05 est attribuée à celui qui, en raison de son inaptitude ne peut accomplir que des tâches sédentaires dans une unité stationnaire. En dépit de graves difficultés, la personne en question peut accomplir un travail sédentaire utile pourvu qu’elle adopte son propre rythme. On peut l’affecter à un emploi continu pourvu qu’on lui trouve le poste et le lieu qui lui conviennent et qu’elle possède la compétence voulue.

06 - Inapte au service militaire pour raisons de santé - La cote 06 est attribuée à celui qui souffre d’une maladie qui le rend incapable de supporter les contraintes du service militaire et inapte à poursuivre régulièrement toute occupation payée. Le manuel prévoit également les dispositions suivantes : 1. Les recrues doivent répondre à une certaine norme pour être admissibles au plus vaste éventail de métiers. Le plus grand dénominateur commun serait trop restrictif, tandis que le plus petit dénominateur commun entraînerait l’enrôlement de trop de recrues dont les possibilités d’emploi sont limitées. Étant donné qu’on veut maintenir les normes médicales dans les Forces canadiennes à un niveau supérieur et qu’il est inévitable que la catégorie de beaucoup de militaires en service doit être réduite au cours de leur carrière, il importe que la norme médicale exigée des recrues soit élevée. C’est pourquoi la catégorie médicale généralement exigée à l’enrôlement dans les Forces canadiennes est la suivante : [non souligné dans le texte original]

V CV H G O A 4 3 2 2 2 5

Il s’agit de la norme d’enrôlement. Les recrues doivent atteindre au moins cette norme. Si le métier dont elles veulent faire partie exige une norme plus élevée, elles doivent également y répondre.

En ce qui a trait aux catégories des facteurs G et O, le manuel fixe la norme d’enrôlement G2 O2. Les nouvelles recrues doivent atteindre ail moins cette norme. Si le métier dans lequel elles désirent être enrôlées exige une norme plus élevée, les recrues doivent également y répondre. La norme d’enrôlement minimale applicable aux artilleurs pour les catégories des facteurs G et O est la norme d’enrôlement, c’est- à- dire G2 O2.

Le manuel prescrit également des états de santé et des anomalies physiques causant l’attribution d’une catégorie inférieure aux normes d’enrôlement. On peut lire ce qui suit à la rubrique L’abdomen et l’appareil gastro- intestinal :

"19. Les affections causant l’attribution d’une catégorie restrictive à un candidat sont :

... p. une résection partielle de l’estomac ou de l’intestin ou une gastroentérostomie; toutefois, une résection intestinale non importante, comme pour une invagination lorsque le sujet était enfant, est acceptable si le candidat ne présente aucun symptôme (G4- 5 03- 4);"

De fait, le plaignant s’est vu attribuer la cote G6 06. Le Dr Roy, médecin militaire des services médicaux des Forces canadiennes a dit que l’attribution de cette cote revenait pour l’Armée à dire M. Galbraith qu’il lui serait futile d’essayer d’améliorer son état de santé en vue de s’enrôler.

Il est évident que même si le plaignant s’était vu attribuer une cote conforme à sa déficience (G4 03), sa candidature aurait été rejetée étant donné qu’il était classé dans une catégorie bien inférieure à la norme d’enrôlement minimale. La question qui se pose consiste donc à déterminer si la norme d’enrôlement minimale et le fait qu’une résection de l’intestin donne lieu au classement dans une catégorie inférieure à cette norme constitue une exigence professionnelle justifiée pour le métier d’artilleur dans la Milice. Je formule la question de cette façon parce que l’alinéa 19p) du manuel qui fait état de la résection de l’intestin ne constitue pas en lui- même une exigence professionnelle mais plutôt un classement constituant un obstacle à l’enrôlement. Cette disposition est donc, comme M. de Pencier l’a indiqué, au coeur même du problème que pose l’exigence professionnelle fondée sur la cote G2 O2 en l’espèce. Je m’empresse d’ajouter que le présent litige a une portée restreinte et que ma décision ne devrait pas être considérée comme statuant sur d’autres parties des normes médicales ou même sur l’application de la présente partie à d’autres métiers.

3. Exigence professionnelle justifiée

Le critère afin d’établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée a été énoncé par le juge McIntyre dans l’arrêt Etobicoke, à la page 208 :

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question d’une manière raisonnablement diligente, s re et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l’exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l’employé, ses compagnons de travail et le public en générale."

Même si l’arrêt Etobicoke portait sur une plainte portée en application de l’ancien code des droits de la personne de l’Ontario où l’expression applicable dans le texte anglais était bona fide occupational qualification and requirement (dans le texte français exigence professionnelle réelle) plutôt qu’uniquement bona fide occupational requirement, les arrêts subséquents ont considéré que le critère établi dans l’arrêt Etobicoke s’appliquait à l’alinéa 14a) de la loi fédérale.

La première partie du critère établi dans l’arrêt Etobicoke est subjective; c’est- à- dire que l’employeur doit faire la preuve, suivant la prépondérance des probabilités, que la restriction a été imposée honnêtement, de bonne foi et non en vue de contrer l’objet de la Loi qui est énoncé de la manière suivante à l’article 2 :

"La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience."

M. Duval, plaidant pour le compte de la Commission et du plaignant, a concédé que les Forces armées canadiennes avaient satisfait à la partie subjective du critère établi dans l’arrêt Etobicoke. J’avoue avoir été quelque peu troublé par le fait que peu d’éléments de preuve ont été produits en ce qui a trait à l’origine des dispositions litigieuses des normes médicales et qu’aucune preuve n’a été apportée quant au fondement initial du classement prévu à l’alinéa 19p). Dans son témoignage, le Dr Roy a dit que les normes médicales tiraient leur origine du système Pulhheem, le système de classification de l’armée britannique. Le système Pulhheem a été utilisé en tant que norme par les Forces canadiennes jusqu’en 1967- 1968. Apparemment, le système britannique a été adapté pour tenir compte des conditions (le vie et du climat du Canada ainsi que des expériences vécues par les Canadiens en regard de diverses maladies. Outre cette preuve, rien n’indique que les Forces armées canadiennes aient tenté de quelque façon de justifier, sur le plan médical ou scientifique, leurs normes médicales. Néanmoins, je suis disposé à conclure, à la lumière de la preuve qui m’a été soumise, que l’intimée a satisfait à la partie subjective du critère établi dans l’arrêt Etobicoke. Je constate que le tribunal, dans l’affaire Seguin c. G. R. C. (1989, inédite), a conclu que le fait d’interpréter le critère établi dans l’arrêt Etobicoke de manière à affirmer qu’il est impossible de justifier adéquatement des normes après coup par voie scientifique aurait pour effet d’entraîner le rejet de normes qui auraient été établies sans examen préalable approprie et ce, même si on apportait une preuve de nature scientifique établissant qu’elles sont, dans les faits, raisonnables.

Dans le cas qui nous intéresse, comme dans la plupart des autres cas, la question principale consiste à déterminer si l’employeur satisfait à la partie objective du critère établi dans l’arrêt Etobicoke. La réponse à cette question dépend de l’examen de la preuve et de la nature de l’emploi concerné (Etobicoke, à la page 209). Lorsque la préoccupation de l’employeur est surtout d’ordre économique, il peut être difficile, voire impossible à l’employeur de satisfaire à la partie objective du critère. Par ailleurs,

Dans un métier où, comme en l’espèce, l’employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l’existence d’une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l’âge de la retraite obligatoire présentent un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l’intérêt de l’employé, de ses compagnons de travail et du public en général. (Le juge McIntyre dans l’arrêt Etobicoke, à la page 210, non souligné dans le texte original.)

Le tribunal est donc contraint de déterminer si la preuve produite par l’employeur justifie la conclusion selon laquelle il existe un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier l’exigence professionnelle appliquée. La question de savoir exactement ce que signifie ces mots a été abondamment discutée dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Air Canada c. Carson et autres, [1985] 1 C. F. 209 (C. A. F.), était en litige la politique d’Air Canada de ne pas embaucher de pilotes ayant plus de 27 ans. Les juges Mahoney et Stone ainsi que le juge MacGuigan, ce dernier dans un jugement concourant distinct, ont conclu que cette politique n’était pas fondée sur une exigence professionnelle justifiée. Seul le juge MacGuigan a examiné la question du degré de risque qui doit être établi :

"Il existe toute une différence entre une augmentation minime des risques et un risque minime acceptable, cette dernière expression laissant entendre contrairement à la première qu’il est possible de mesure l’acceptabilité d’un risque. Le juge Matheson avait raison d’insister pour dire dans l’affaire Moose Jaw v. Sask. Human Rights Comm., [1984] 4 W. W. R. 468 (B. R. Sask.) qu’on ne peut assimiler le critère du risque suffisant dégagé dans l’arrêt Etobicoke au risque inacceptable, mais il est erroné de croire que les tribunaux américains souscrivent à la théorie du risque inacceptable.

Il ressort donc clairement des décisions citées par le juge McIntyre qu’il n’avait pas l’intention en les invoquant d’approuver une manière particulière de mesurer le risque. Néanmoins, le fait qu’il ait lui- même, présenté le litige en affirmant qu’il s’agissait de déterminer s’il existait un risque d’erreur humaine suffisant, indique la reconnaissance d’un certain degré de risque qui correspond davantage à la notion de risque acceptable qu’à celle de risque minime."

Dans l’arrêt Canadien Pacifique Limité c. Commission canadienne dés droits de la personne, Cumming and Mahon, [1988] 1 C. F. 209 (C. A. F.), ’ les juges Pratte et Hugessen ont expressément rejeté l’argument selon lequel l’expression risque suffisant doit être assimilée à l’expression risque substantiel. A la page 221 de la décision, le juge Pratte a déclaré :

"La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Etobicoke appuie la proposition selon laquelle une exigence imposée par l’employeur dans l’intérêt de la sécurité doit, pour être reconnue comme une exigence professionnelle normale, être raisonnablement nécessaire afin d’éliminer un risque suffisant de blessures. Dans l’arrêt Bhinder, d’autre part, la Cour suprême a reconnu comme étant une exigence professionnelle normale celle qui, si elle n’était pas respectée, exposerait l’employé à un risque plus grand de subir des blessures- quoique seulement légèrement plus grand (à la page 584). Il ressort donc de ces décisions, à mon sens, qu’à plus forte raison, l’exigence reliée au travail qui, selon la preuve, est raisonnablement nécessaire pour éliminer le danger réel de préjudice grave au grand public doit être considérée comme une exigence professionnelle normale."

Dans un jugement concourant distinct, le juge Marceau a conclu que l’expression un risque d’erreur humaine suffisant - emportait que la preuve devait démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures; à son avis, l’adjectif suffisant utilisé par le juge McIntyre se rapportait au caractère réel du risque et non à son degré. Le juge Marceau s’est appuyé sur la décision du juge McIntyre dans l’affaire Shinder et autres c. Compagnie des chemins nationaux du Canada, [1985] 2 R. C. S. 561, pour appuyer cette interprétation.

Dans l’arrêt Bhinder, la question consistait à déterminer si un employé pratiquant la religion sikh pouvait être exempté de l’application de la règle concernant le casque de sécurité appliquée par le CN si cette règle constituait de fait une exigence professionnelle justifiée. Bhinder refusait de se conformer à la règle concernant le casque de sécurité parce que sa religion lui interdisait de porter sur la tête autre chose qu’un turban. Le tribunal canadien des droits de la personne a conclu que le CN avait commis un acte discriminatoire et a ordonné la réintégration de l’employé. La Cour d’appel fédérale a annulé cette décision au motif que la condition de travail ne constituait pas un acte discriminatoire. Le pourvoi à l’encontre de cette décision a été rejeté par la Cour suprême du Canada. Appliquant le critère établi dans l’arrêt Etobicoke aux conclusions du tribunal, le juge McIntyre, a déclaré, à partir de la page 587 :

"L’appelant a prouvé de façon suffisante jusqu’à preuve contraire l’existence de discrimination. Le fardeau de la preuve passe donc à l’intimée qui doit démontrer que la règle du casque de sécurité constitue une exigence professionnelle normale. A la lecture des motifs de la décision du tribunal, il semble qu’on a satisfait au critère. Plus particulièrement, le tribunal a conclu que la règle du casque de sécurité n’était pas une exigence professionnelle normale dans la mesure où elle visait Bhinder et, en conséquence, les autres Sikhs.

Ce faisant, il acceptait la façon de procéder en fonction de chaque cas particulier proposée par l’appelant. Toutefois, il ressort clairement de ses motifs et des références que fait le tribunal à la preuve administrée qu’il était d’avis que la règle était une exigence professionnelle normale dans la mesure où elle s’appliquait à d’autres personnes que des Sikhs. Il a été reconnu que le CN avait adopté la règle pour des raisons d’affaires véritables, sans intention de porter atteinte aux principes de la Loi. Le tribunal a jugé que la règle était utile, qu’elle était raisonnable en ce qu’elle permettait d’accroître la sécurité en réduisant le risque de blessures et, plus particulièrement, que le risque que courait Bhinder en portant un turban plutôt qu’un casque de sécurité était accru, quoique très légèrement. La seule conclusion que l’on peut tirer des motifs de la décision, est que, sauf en ce qui concerne son application particulière à Bhinder, la règle du casque de sécurité est une exigence professionnelle normale. D’ailleurs il serait difficile, étant donné les faits, d’arriver à une autre conclusion. [non souligné dans le texte original]

J’observe que le tribunal canadien des droits de la personne suggère, dans l’affaire Rodger c. La compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 6 C. H. R. R. D/ 2899, qu’il suffit que la sécurité publique soit très légèrement menacée pour justifier une restriction fondée sur la déficience.

Ce que je retiens de ces décisions, c’est que les mots risque suffisant utilisés dans l’arrêt Etobicoke indiquent qu’il doit exister un risque réel, qui ne repose pas uniquement sur des conjectures. Si le risque est réel, la question de savoir s’il constitue un risque suffisant devrait être déterminée en évaluant la nature du risque en fonction du préjudice susceptible d’être causé à l’employé potentiel et aux autres personnes y compris le grand public. Lorsque la sécurité du public est en jeu, même un accroissement modeste du risque peu permettre à l’employeur de plaider avec succès le moyen de défense fondé sur l’exigence professionnelle justifiée. Bref, le caractère suffisant du risque dépend dans une très large mesure de l’activité visée et ne peut évidemment être mesuré qu’à la lumière de la preuve qui en est apportée.

Bien qu’aucune règle précise ne puisse être prescrite en ce qui a trait à la nature de la preuve requise pour établir une exigence professionnelle justifiée, il est impératif d’apporter des éléments de preuve quant aux tâches qui doivent être exécutées et au lien entre la restriction appliquée et l’exécution s re et efficace de ces tâches. La preuve soumise devrait porter sur les tâches spécifiques qui doivent être exécutées par l’employé, les conditions existantes au lieu de travail et les répercussions de ces conditions sur les employés, particulièrement sur ceux dont on cherche l’exclusion en raison de la déficience. (Le juge McIntyre, dans l’arrêt Etobicoke, à la page 212)

Le juge McIntyre a déclaré, dans l’arrêt Etobicoke : Je ne suis pas du tout certain de ce qu’on peut qualifier de preuve scientifique. Je ne dis absolument pas qu’une preuve scientifique sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que, dans des cas comme celui en l’espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s’appuie sur l’observation et l’étude de la question du vieillissement, même si elle n’est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante que le témoignage de personnes même très expérimentées dans la lutte contre les incendies, portant que le travail de pompier est une affaire de jeune homme. (à la page 212)

Dans l’affaire Rodger, on a déclaré à la page ...: Les employeurs doivent donc appuyer l’imposition d’exigences professionnelles sur des données médicales et statistiques à jour, faisant autorité, et adaptées à chaque cas.

M. de Pencier m’a mentionné l’affaire Little v. Saint John Shipbuilding, [1980] 1 C. H. R. R. D/ 1 au soutien de l’argument selon lequel il n’est pas nécessaire qu’il y ait risque d’erreur humaine pour recueillir des données statistiques à l’égard d’emplois mettant en danger la sécurité du public et que, en conséquence, il n’est pas toujours nécessaire de fournir des données statistiques pour établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée. Je retiens cet argument.

Selon M. Duval, la Cour d’appel fédérale a, dans l’arrêt Carson, rejeté l’approche adoptée dans l’affaire Little. Dans le cours de son examen du motif invoque par Air Canada pour tenter de justifier la politique en matière d’âge maximum d’embauchage qu’elle appliquait compte tenu de l’absence de preuve médicale tendant à indiquer toute augmentation notable de la détérioration de l’état de santé avant 40 ans, le juge MacGuigan a déclaré :

"On admet généralement que la compensation par l’expérience est un avantage découlant du vieillissement, mais la preuve au dossier voulant que les différences dans les méthodes des diverses compagnies aériennes sont telles que le pilote doit avoir acquis son expérience dans la même compagnie aérienne est très faible. De plus, il est sans doute vrai que les dossiers médicaux tenus à long terme sont précieux pour attirer l’attention du personnel médical sur les signes de vieillissement; cependant, il n’y a pas de preuve montrant qu’ils sont requis pour les personnes qui n’ont pas atteint l’âge de 40 ans ou, le cas échéant, qu’ils ne pourraient être obtenus d’un autre employeur. Enfin, alors que la pratique généralement suivie dans l’industrie aérienne favorise sans aucun doute l’embauchage à un âge maximum peu élevé, même le statu quo ne peut, en l’absence d’une autre preuve, justifier l’existence d’une exigence professionnelle normale. En somme, la preuve invoquée par la requérante est tout au plus impressionniste et à mon avis, pratiquement inexistante. (à la page 238)

A mon avis, rien dans les propos du juge MacGuigan ne suggère de rejeter l’approche retenue dans l’affaire Little. Le juge MacGuigan a simplement dit qu’il faut plus qu’une preuve impressionniste; il n’a pas suggéré que l’employeur doive [TRADUCTION] produire de quelque façon que ce soit une preuve de nature statistique. L’employeur, par exemple, pourrait satisfaire à la partie objective du critère établi dans l’arrêt Etobicoke par le biais de l’opinion d’un expert médical concernant les répercussions probables de la déficience sur les exigences de l’emploi.

L’examen de la nature de la preuve produite par l’employeur pour justifier l’exigence professionnelle soulève en l’espèce une autre considération. En effet, il s’agit d’une exclusion à caractère général ne tenant pas compte de la capacité d’un individu souffrant de la déficience en question de répondre aux exigences de l’emploi. M. de Pencier a convenu que les normes médicales relatives aux résections de l’intestin constituaient une politique à caractère général appliquée sans que des évaluations individuelles soient prévues.

Il est possible pour un employeur de justifier et d’appliquer une politique à caractère général au lieu d’une politique d’examen individuel, mais seulement dans les cas où il est établi qu’il est impossible de retenir cette dernière solution. (Voir par exemple DeJager c. ministère de la Défense nationale (1986) 7 C. H. R. R. D/ 3508 à la page D/ 3517 et Rodger à la page...) Dans l’affaire Rodger, le tribunal a conclu que l’employeur qui veut justifier l’absence d’évaluations individuelles doit faire valoir que de telles évaluations sont inapplicables et que, d’une manière générale, les risques de défaillances sont suffisamment connus pour justifier l’imposition de la restriction globale. Aux pages ... :

"S’il est vrai que le CN n’a pas évalué individuellement M. Rodger, on peut estimer qu’il lui était virtuellement impossible de le faire en raison de l’absence d’information médicale sérieuse permettant d’évaluer la probabilité de récurrence. D’après le critère objectif énoncé dans la décision Etobicoke, il suffit que la restriction soit raisonnablement nécessaire à l’accomplissement du travail, toute la question portant sur l’importance du risque couru.

4. Preuve touchant la nature de l’emploi

La description du poste d’artilleur (Milice) figure à la pièce R- 3 que nous avons reproduite en partie aux présentes :

ARTILLEUR SECTION 1 - CHAMP D’APPLICATION INTRODUCTION

  1. Cette monographie décrit le métier d’artilleur R021 de la Première réserve, qui est le seul métier dans le domaine de l’artillerie.
  2. Les qualifications de spécialiste (QSM) relatives air métier d’artilleur se trouvent dans l’A- PD- 123- 001/ AG- 001 et les monographies de spécialités (MSM) connexes figurent dans l’A- PD- 123- 007/ PQ- 000.
  3. Les fonctions du métier sont classées sous les rubriques sui- vantes : Fonctions principales, Entretien, Administration/ Travail de bureau, Instruction, Défense nucléaire, biologique et chimique et Exigences d’ordre militaire.

Fonctions principales 4. Remplir toutes les fonctions liées au déploiement et à la mise à feu des systèmes d’armes de l’artillerie et faire fonctionner le matériel de communication par radio et téléphone.

Entretien 5. Effectuer l’entretien préventif du matériel d’artillerie, du matériel de communication par radio et téléphone, des armes individuelles et auxiliaires, du matériel auxiliaire et des véhicules.

Administration/ Travail de bureau 6. Fonctions décrites dans la monographie cadre - non- officiers (Milice).

Instruction 7. Donner l’instruction aux subalternes et aider à la conduite de l’entraînement.

Défense nucléaire, biologique et chimique (Défense NBC) 8. Fonctions décrites dans la monographie cadre - non- officiers (Milice).

Exigences d’ordre militaire 9. Fonction décrite dans la monograhie cadre - non- officiers (Milice).

AVANCEMENT DANS LA CARRIERE/ LE MÉTIER

10. a. Avancement dans la carrière. Le métier d’artilleur R021 est le seul métier du domaine de l’artillerie 020.

b. Avancement dans le métier. Pour avancer dans le métier, le candidat doit acquérir le niveau de connaissances et d’aptitudes indiqué dans cette monographie (le métier et dans la monographie cadre - non- officiers (Milice), et servir pendant la période prévue pour chaque grade. L’OAFC 49- 5 énumère les critères qui régissent cet avancement, qui ne suit pas automatiquement la réussite de la formation professionnelle et la fin des périodes de service requises.

c. Fonctions de combat. En plus de devoir satisfaire aux exigences décrites dans cette monographie, le candidat doit aussi réussir les examens de qualification aux fonctions de combat suivantes :

(a) Technicien d’artillerie, niveau élémentaire, ou (b) Artillerie motorisée, conducteur, ou (c) Spécialiste des communications, artillerie.

(2) Pour devenir adjudant, il doit aussi se qualifier dans une deuxième fonction de combat dans la Réserve. L’une des deux fonctions acquises doit être celle de technicien d’artillerie, niveau élémentaire. On peut choisir la deuxième fonction de combat parmi les suivantes :

(a) Spécialiste des communications, artillerie, ou (b) Artillerie motorisée, conducteur, ou (c) Technicien d’artillerie, niveau avancé.

EXIGENCES PARTICULIERES

11. a. Cote de sécurité. Selon la nature de l’emploi.

b. Normes médicales. Les normes médicales établies pour les Forces canadiennes sont régies par l’A- MD- 154- OOO/ FP- 000. Les normes Minimales applicables à une première affectation au métier d’artilleur sont indiquées ci- dessous à titre de renseignement seulement.

V CV H G O A 3 2 3 2 2 5

Nota : Il faut souligner que les normes médicales indiquées ci- dessus s’appliquent à une première affectation au métier. La possibilité de maintenir les spécialistes déclasses dans leur métier, en raison de leur mérite, sera soumise à un comité de révision médicale des carrières, conformément à l’OAFC 34- 26.

CONDITIONS DE TRAVAIL

12. a. Aspect physique. L’artilleur travail [sic] à l’extérieur de jour et de nuit, dans toutes les conditions atmosphériques. Il est appelé à se tenir debout et à travailler pendant de longues heures à découvert. Il doit fournir un effort physique considérable lorsqu’il est de service aux positions de tir et il doit faire preuve de beaucoup de dextérité et de coordination. Les opérations et l’entraînement se font à un rythme qui met parfois l’artilleur dans des situations extrêmement inconfortables pendant de longues périodes, sans intervalles réguliers de repos.

b. Facteurs particuliers. De, nombreux artilleurs sont choisis pour devenir des spécialistes qui doivent faire preuve d’une grande dextérité et de beaucoup de coordination pour utiliser les instruments techniques et qui doivent faire des calculs mathématiques avec rapidité et précision.

c. Tension. Le degré élevé de précision requis crée une grande tension intellectuelle. Les tensions physiques et intellectuelles sont aussi très grandes pendant les opérations, et au- dessus de la normale pendant les exercices de tir réel.

d. Conséquence des erreurs. Les erreurs de jugement, celles commises pendant le tir des pièces ou pendant le calcul des données de tir, peuvent causer des blessures graves ou mortelles aux troupes amies. Les pertes causées par le feu ennemi peuvent empêcher la fourniture de l’appui- feu.

e. Risques professionnels. L’artilleur est exposé aux dangers suivants :

mort ou invalidité permanente attribuable aux blessures reçues au combat,

blessures, altérations permanentes de la santé attribuables aux blessures reçues au cours des opérations et de l’entraînement, et maladies résultant de l’exposition à certains milieux d’opération,

perte de Poule attribuable au bruit ambiant lié au fonctionnement du matériel d’artillerie et au tir des pièces au cours de l’entraînement et des opérations,

diminution de l’acuité visuelle causée par la pénétration de corps étrangers, par l’effet de souffle ou par l’emploi d’instruments optiques pendant l’entraînement et les opérations,

troubles ou lésions respiratoires attribuables aux gaz, à la poussière, à la contamination ou aux conditions pénibles dans lesquelles se déroulent l’entraînement et les opérations, et

infections cutanées causées par la manutention normale des carburants et lubrifiants, des réfrigérants et d’autres substances toxiques.

EMPLOIS CIVILS CORRESPONDANTS

13. Aucun. Le lieutenant colonel John Tattersall, l’adjudant chef Douglas Guttin et le major Jamie Gates ont. témoigné, pour le compte de l’intimée, relativement aux fonctions de la Milice de façon générale et des artilleurs en particulier, ainsi que sur les conditions dans lesquelles s’exercent ces fonctions.

Le lieutenant colonel Tattersall fait partie des Forces armées depuis 1958, il a occupé des postes de commandement actifs sur le terrain dans l’artillerie et il est présentement détaché auprès du Directeur - Structure des Forces, une sous- direction du Quartier général de la Défense. Dans son témoignage, il a indiqué qu’au sein des armes de combat, l’artillerie assure un appui- feu indirect. Le lieutenant colonel Tattersall a- décrit la Milice comme étant l’épine dorsale des Forces armées en ce qu’elle [TRADUCTION] fournit tous les renforts nécessaires à la Force régulière afin de lui permettre de s’acquitter des rôles qui lui sont confiés par le gouvernement. Même les exercices tenus en temps de paix sont toujours axés sur la préparation au combat. Toutefois, la Réserve ne peut- être dépêchée à quelque endroit que ce soit tant qu’elle n’a pas été placée en service actif par le gouverneur en conseil, c’est- à- dire s’il existe un état de guerre. Le lieutenant colonel Tattersall a également insisté sur l’importance du travail d’équipe au combat et sur la nécessité d’avoir pleine confiance en ses compagnons d’arme.

Le mouvement en vue d’une intégration plus complète et fonctionnelle de la Réserve et de la Force régulière a débuté en 1971 par le dépôt du livre blanc sur la défense. Le gouvernement envisageait de se servir de la Milice pour grossir la Force régulière. Une démarche supplémentaire a été prise en ce sens en 1982 par l’élaboration d’une nouvelle politique aux termes de laquelle les unités de la Milice se voyaient expressément confier la tâche de fournir des sous- unités au unités de la Force régulière. Dans son témoignage, le lieutenant- colonel Tattersall a indiqué qu’en raison de cette décision, les membres de la Milice doivent posséder les mêmes aptitudes que les membres des Forces régulières. En contre- interrogatoire, il a déclaré

[TRADUCTION] Ainsi, [le changement dans la politique en 1982] a eu pour effet de leur confier un mandat plus rigoureux en ce que les sous- unités doivent être entraînées et prêtes en tout temps à être dépêchées au combat.

Le lieutenant- colonel Tattersall a parlé des principales raisons pour lesquelles un individu peut avoir besoin d’assistance médicale. Il ressort de son témoignage que les principaux facteurs sont la maladie et les blessures découlant de la fatigue.

Selon l’adjudant- chef Guttin, artilleur de carrière, si une équipe de pièce perd les services d’un de ses membres par suite d’une blessure, d’une maladie ou de quelque autre incapacité l’empêchant de s’acquitter de ses fonctions, les autres membres succombent plus facilement à la fatigue parce qu’ils doivent continuer d’effectuer la même charge de travail, ce qui a pour effet d’accroître les risques de blessures. Lorsqu’un soldat est blessé, ce fait est signalé sans délai au poste de commandement. Un adjoint médical est toujours présent sur l’emplacement de pièce pour prodiguer les premiers soins.

L’adjudant- chef Guttin a fait part de certaines des expériences dont il a été témoin au cours d’exercices sur le terrain. Au cours de la plupart des exercices, il y a suffisamment de rations et d’eau. Toutefois, il semble que l’empoisonnement alimentaire soit un phénomène répandu. Même s’il a déclaré qu’il y a des occasions où un individu est appelé à se priver de nourriture ou d’eau, l’adjudant- chef Guttin a reconnu que ces occasions surviennent rarement.

La major Gates est commandant de batterie de la Batterie de commandement et services de la Second Canadian Royal Horse Artillery en plus d’avoir occupé divers commandements opérationnels dans l’artillerie. Il a participé à l’élaboration de la description des fonctions des artilleurs, tant pour la Milice que pour la Force régulière.

La majeure partie du témoignage du major Gates a porté sur la guerre nucléaire, biologique et chimique et ses dangers. Il a déclaré qu’en zone contaminée, il est physiquement impossible de consommer la quantité de liquide nécessaire en raison de la transpiration accrue causée par le port de l’ensemble de protection. Le fait de détacher l’ensemble en zone contaminée, ne serait- ce que pour une très brève période, expose le soldat à des risques de blessures graves. En conséquence, il faut évacuer les blessés de la zone en question afin de pouvoir les soigner.

Un autre problème susceptible de découler du port de l’ensemble de protection est le déséquilibre électrolytique découlant du stress thermique. Au cours de son témoignage, le major Gates a déclaré que même sans le port de l’ensemble de protection, les soldats en poste dans des endroits tels que l’Iran et l’Iraq ne peuvent travailler pendant plus de 15 minutes à la fois en raison du problème que pose le stress thermique. Le major Gates a affirmé que des problèmes analogues pourraient survenir au Canada au cours des mois d’été. Outre le stress thermique, un problème important découlant du déploiement des troupes sous les tropiques est la présence de parasites. Il y a également de graves risques de blessures aux organes mous de l’estomac.

Le major Gates a fait certains commentaires quant à l’importance du contrôle des approvisionnements en eau en campagne. Si ceux- ci sont contaminés ou détruits, pour prendre un cas extrême, il est alors possible que les soldats n’aient droit qu’à une cantine d’eau par jour. On leur enseigne la gestion des approvisionnements en eau : on ordonne aux soldats de ne toucher leur cantine que sur instruction à cet effet et le commandant de section observe et contrôle la quantité absorbée. Le fait de contrevenir à un tel ordre constitue une infraction donnant lieu à des poursuites.

5. Preuve médicale

La preuve médicale soumise se répartissait en deux catégories : (i) la preuve touchant les personnes ayant subi des iléostomies de façon générale et le cas de M. Galbraith en particulier; et (ii) la preuve touchant les exigences médicales des Forces armées.

Le Dr Brian O’Brien a déposé quant au rôle du système gastrointestinal, aux effets physiologiques d’une iléostomie, aux répercussions des diverses tensions auxquelles est soumises une personne ayant subi une telle opération, à l’incidence des maladies intestinales en situation de guerre et, dans une certaine mesure, quant aux normes médicales des Forces armées canadiennes. Le Dr O’Brien enseigne actuellement la médecine interne et la gastroentérologie à la faculté de médecine de l’université de Dalhousie. Il a suivi le cours des Forces armées canadiennes sur la médecine tropicale. Il a par la suite enseigné ce cours en ce qui a trait aux aspects touchant la gastroentérologie et il a participé, en tant que représentant des Forces armées canadiennes, à un programme de coopération portant sur le traitement en campagne des blessés en cas de guerre chimique. J’accepte son témoignage en ce qui a trait aux questions médicales en litige dans la présente affaire.

Le témoignage du Dr O’Brien a d’abord porté sur le rôle du système gastrointestinal et, de façon plus particulière, sur le rôle du gros intestin et de l’intestin grêle. Les intestins permettent de contrôler la quantité d’électrolytes qui se trouvent dans le corps d’un individu. Par exemple, une carence en potassium entraînera un état de faiblesse et des crampes musculaires. Une carence en sodium entraîne la déshydratation du corps. Comme le colon a pour rôle principal d’éliminer l’eau, si on en fait l’ablation, il en découle nécessairement une perte plus grande d’eau entraînant un besoin plus grand d’absorption de fluides quotidiennement.

Le Dr O’Brien a décrit de la manière suivante le problème auquel fait face une personne ayant subi une iléostomie continente :

[TRADUCTION]

... que cette personne est plus vulnérable ou l’un des points importants est que cette personne est plus vulnérable aux tensions exercées sur ses fluides et au déséquilibre de l’homéostase électrolytique. Parmi les événements susceptibles de créer des tensions chez chacun de nous, mentionnons les maladies infectieuses de l’intestin dont un excellent exemple est le choléra.

Le Dr O’Brien a poursuivi en traitant des effets du choléra, du stress thermique, de l’empoisonnement alimentaire et de l’eau contaminée sur une personne ayant subi une iléostomie, ainsi que de la moins grande capacité d’une telle personne à effectuer les compensations nécessaires. Dans son témoignage, il a déclaré qu’il existe une possibilité théorique de traumatisme lorsque le réservoir est plein et qu’il y a rupture de celui- ci parce qu’il n’a pas été vidangé, situation analogue à une rupture de l’appendice.

Le Dr O’Brien a déclaré qu’au début on peut traiter, au moyen d’ingestion orale de fluides, les déséquilibres hydriques et électrolytiques en milieu non contaminé par des produits chimiques. Cependant, toute situation demandant des traitements plus complexes exigerait le recours à l’intravenothérapie ainsi que la disponibilité non seulement d’un médecin mais également d’un laboratoire afin de pouvoir mesurer les taux d’électrolytes.

De l’avis du Dr O’Brien, une résection de l’estomac ou de l’intestin constitue une cause d’exclusion appropriée à l’enrôlement dans les Forces armées canadiennes puisque l’individu qui a subi une résection de l’intestin importante risque d’être moins en mesure de faire face aux situations de tension auxquelles est assujettie une personne servant dans l’artillerie. Parmi ces situations, mentionnons le stress thermique, la privation d’eau, le fait d’effectuer des exercices dans des climats non cléments et l’impossibilité fréquente de vidanger le réservoir intestinal. Même s’il reconnaît que l’opération de M. Galbraith a donné de très bons résultats et que celui- ci s’est comporté beaucoup mieux que beaucoup d’autres individus ayant subi la même intervention chirurgicale, le Dr O’Brien a déclaré que le métabolisme de M. Galbraith est constamment soumis à des stress et que c’est uniquement parce qu’il a accès sans réserve ni limite à des aliments et à des liquides, et qu’il n’a subi aucune tension découlant de maladies infectieuses qu’il s’est si bien comporté comme il l’a fait jusque maintenant. Comme l’a dit le Dr O’Brien :

[TRADUCTION]

D’un point de vue médical, il s’est très bien comporté, mais il n’a pas été exposé aux types de tensions qui existent dans les Forces canadiennes.

Le Dr O’Brien a affirmé qu’à son avis, il n’y a aucune différence dans la capacité d’adaptation corporelle d’une personne ayant subi une iléostomie continente par opposition à une iléostomie classique. Il lui a été impossible de trouver quelque étude scientifique comparant la capacité de fonctionner sans eau des personnes ayant subi une iléostomie et celle des individus normaux.

Le Dr O’Brien a également examiné des statistiques médicales américaines concernant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre du Vietnam. Il est ressorti de ces statistiques que durant la Deuxième Guerre mondiale, la maladie était, selon le nombre de personnes admises à l’hôpital, un facteur plus important que les blessures subies ailleurs qu’au combat. De ces maladies, un peu moins de 10 % seulement étaient des maladies touchant le système digestif. Le Dr O’Brien a indiqué qu’il n’existe aucune donnée canadienne comparable.

Le témoignage du Dr Joseph H. Roy a porté principalement sur les normes médicales des Forces canadiennes. Il a pris un temps considérable à expliquer le système de classement prévu par les normes médicales. Ces normes s’appliquent à la fois à la Milice et à la Force régulière. Comme je l’ai indiqué précédemment, la norme d’enrôlement minimale pour les artilleurs est G2 O2. Pour reprendre les paroles du Dr Roy, cela veut dire que l’individu :

[TRADUCTION]

... doit être en mesure de faire à peu près n’importe quoi ou n’importe quel type de travail prévu par la classification appliquée dans les Forces ... parce que, comme on l’a expliqué plus tôt, le travail militaire est également un travail d’équipe et on attend d’un individu qu’il soit en mesure de faire sa part en effectuant son travail et, s’il n’est pas en mesure de le faire, il met alors en danger la survie de l’équipe.

Au cours de son témoignage, le Dr Roy a déclaré qu’on applique cette norme minimale afin de donner aux hommes et aux femmes des Forces armées canadiennes la chance d’avoir une carrière normale et afin d’assurer une certaine souplesse dans l’affectation des postes. Bien qu’il soit possible de passer outre à certaines normes d’enrôlement ordinaires, le Dr Roy a indiqué que cela se produit très peu fréquemment. Les Forces armées canadiennes recrutent de 8 000 à 12 000 individus chaque année dans la Force régulière.

Le Dr Roy a témoigné à l’égard de trois individus faisant partie des Forces armées canadiennes qui ont également subi une iléostomie continente. Il a indiqué que dans chacun des cas, la raison de l’iléostomie, en l’occurrence la maladie de Crohn, avait été diagnostiquée après l’enrôlement.

Interrogé sur la raison d’être de normes très strictes concernant les recrues et d’un processus tenant compte des changements de l’état de santé des membres du services, le Dr Roy a déclare qu’étant donné le temps et les sommes considérables consacrés par les Forces à l’égard d’un membre, celles- ci préfèrent garder cet individu dans leurs rangs si c’est possible. Par ailleurs, il est fort possible que l’expérience du membre compense pour sa déficience.

En réplique, le Dr Ted Ross a été assigné afin de témoigner, sur le plan médical, pour le compte de M. Galbraith. Le Dr Ross est un chirurgien généraliste qui possède une expertise et un intérêt particuliers pour la chirurgie du colon et du rectum.

Le Dr Ross a fait état d’une étude menée par le Dr Nilsson qui a indiqué que les réserves hydriques totales du corps des patients ayant subi une iléostomie classique étaient inférieures à celles des individus normaux, alors que les patients ayant subi une iléostomie continente avaient des réserves identiques à celles des individus normaux. Cette merle étude aurait apparemment indiqué que les déperditions de potassium des patients qui ont subi une iléostomie continente ne différaient pas des déperditions des individus normaux. Malheureusement, cette étude n’a pas été déposée auprès du tribunal et on ne peut donc y accorder que peu ou pas d’importance.

Bien qu’il ait reconnu n’avoir aucune expérience en ce qui a trait aux Forces armées, le Dr Ross a dit être d’avis, après avoir lu la description des fonctions d’un artilleur, qu’une personne ayant subi une iléostomie serait en mesure d’assumer les fonctions et les tâches y mentionnées.

6. Conclusion

Il ne fait aucun doute qu’en l’espèce la préoccupation primordiale des Forces armées est la sécurité : la sécurité de l’individu lui- même, la sécurité des autres membres des Forces armées et celle du grand public. En conséquence, la question qui se pose consiste à déterminer si l’intimée a établi l’existence d’un risque d’erreur humaine suffisant pour justifier la restriction à l’enrôlement sur laquelle elle s’appuie.

Je suis convaincu, après avoir examiné l’ensemble de la preuve produite, que les Forces armées canadiennes ont établi l’existence d’un risque d’erreur humaine suffisant et que l’exclusion à carctère général découlant de l’attribution d’une cote inférieure à G2 O2 aux individus qui ont subi une résection de l’estomac ou de l’intestin est justifiée.

Il ressort de la preuve que les fonctions d’un artilleur sont pénibles et exigentes sur le plan physique. On attend de l’artilleur qu’il soit compétent non seulement dans son métier mais également en tant que soldat. Comme l’a déclaré l’adjudant- chef Guttin :

[TRADUCTION]

vous êtes soldat d’abord et ensuite homme de métier. Même si je suis disposé à reconnaître qu’en temps de paix il peut fort bien y avoir une différence de nature entre les fonctions exécutées par un artilleur faisant partie de la Milice et celles d’un artilleur appartenant à la Force régulière, je suis également convaincu qu’en temps de guerre, il n’existe, à toutes fins pratiques, aucune distinction.

Je ne suis pas disposé à faire de distinction entre les artilleurs de la Milice et les artilleurs de la Force régulière afin de déterminer ce que constitue une exigence professionnelle justifiée. A mon avis, le souci des Forces armées canadienne à l’égard de la sécurité n’est pas réduit en n’en demeure pas moins réel du fait que les membres de la Milice s’entraînent beaucoup moins souvent que leurs homologues de la Force régulière et qu’ils ne peuvent être dépêchés à quelque part que s’ils sont placés en service actif. Les artilleurs de la Milice sont appelés à posséder une vaste gamme d’aptitudes ne différant pas de façon substantielle de celles qui sont nécessaires dans la Force régulière. Le fait est que, une fois qu’ils sont placés en service actif, les membres de la Milice doivent être en mesure d’assumer les tâches qui leur sont assignées. L’aptitude de l’individu à s’acquitter de ses fonctions aura des répercussions non seulement sur sa propre sécurité et, en raison du fait que le travail d’équipe et la confiance mutuelle sont des facteurs essentiels, sur la sécurité des membres de l’équipe, mais également sur la sécurité des Canadiens et la défense du Canada. A la lumière de ces considérations, il n’est pas déraisonnable pour les Forces armées canadiennes d’appliquer des normes d’enrrôlement strictes à l’égard des nouvelles recrues de la Milice. (Voir Seguin c. G. R. C. 1989 Tribunal canadien des droits de la personne; décision inédite, dans laquelle un raisonnement analogue a été appliqué.)

Une preuve considérable a été produite en ce lui a trait aux conditions dans lesquelles un artilleur peut s’attendre à exécuter ses fonctions. J’estime qu’il est juste de dire que les pénuries d’eau constituent un risque véritable tout comme la contamination des aliments. Le fait que ces situations soient souvent à l’origine de certaines maladies ressort des statistiques médicales américaines touchant, la Deuxième Guerre mondiale et la guerre du Vietnam. Il faut également garder à l’esprit les risques de la guerre nucléaire, biologique et chimique ainsi que les problèmes que pose le traitement des blessés en zone contaminée.

Les répercussions probables de ces situations sur un individu ayant subi une iléostomie continente ont été examinées par les Dr O’Brien, Roy et Ross. De l’avis du Dr O’Brien, les personnes ayant subi une iléostomie continente ont, au départ, en raison des tensions exercées sur leur système homéostatique, des réserves inférieures à celles d’un individu normal, ce qui a pour effet de les rendre plus vulnérables aux tensions extérieures. Même si les études sur lesquelles s’est appuyé le Dr O’Brien pour étayer son opinion visaient des personnes ayant subi des iléostomies classiques et non des iléostomies continentes, je retiens le témoignage du Dr O’Brien selon lequel, sur le plan physiologique, les deux interventions sont identiques. Je retiens le témoignage du Dr O’Brien de préférence à celui du Dr Ross en regard du fait que le Dr O’Brien possède une expérience considérable dans ce domaine. Tout en retenant le témoignage du Dr O’Brien, j’aimerais néanmoins faire part d’une mise en garde : si les connaissances médicales évoluaient au point de révéler d’une manière évidente que les personnes ayant subi une iléostomie continente n’ont pas, au départ, des réserves inférieures, il est possible que la présente question devrait être réexaminée. Aucune preuve de nature statistique proprement dite ne m’a été soumise quant au risque d’erreur humaine de la part des personnes ayant subi une iléostomie continente; le Dr O’Brien a déclaré qu’après deux ans, 80 % des iléostomies continentes pratiquées ont été décrites comme ayant réussi. J’hésite à conclure de ce fait que 15 % pourraient être décrites comme des échecs. Toutefois, j’ai toujours a l’esprit la décision rendue dans l’affaire Little, selon laquelle il n’est pas nécessaire que la sécurité du public soit en danger pour que l’employeur puisse produire des éléments de preuve de nature statistique établissant l’existence d’une exigence professionnelle justifiée.

Je suis par conséquent convaincu que les Forces armées canadiennes ont établi qu’il existe un risque réel et non purement hypothétique qu’un individu ayant subi une iléostomie continente coure un risque plus grand de blessures sur le terrain en raison de son état de santé et donc qu’il existe un risque suffisant d’erreur humaine qui mettrait en danger la sécurité de cet individu et d’autres personnes pour faire de la cote G2 O2 une exigence professionnelle justifiée. L’intervention qu’a subie M. Galbraith s’est révélée très fructueuse. Toutefois, je retiens l’opinion du Dr O’Brien selon laquelle il n’est ni approprié ni révélateur d’assimiler ce que M. Galbraith a pu accomplir dans la vie civile aux risques et tensions de la vie d’un artilleur.

Pour la même raison, c’est- à- dire le fait que les risques et les tensions de la vie militaire ne peuvent être reproduits, je suis convaincu que les Forces armées canadiennes ont justifié l’exclusion à caractère général appliquée aux individus qui se voient attribuer une cote médicale inférieure à G2 O2 du fait qu’ils ont subi une résection de l’estomac ou de l’intestin. Je suis quelque peu sceptique en ce qui a trait à l’argument selon lequel, compte tenu du nombre de recrues potentielles pris en considération chaque année, il serait impossible d’effectuer une évaluation individuelle. Je suis d’avis que de telles évaluations seraient inappropriées en raison de la difficulté, voire de l’impossibilité, de reproduire les conditions qui existent sur le terrain. Même s’il est vrai que ces conditions sont reproduites autant que faire se peut au cours des exercices tenus en temps de paix, même dans ce cas il existe, à mon avis, une différence considérable. La manière dont une personne réagira physiquement en temps de guerre ne pourra être constatée que dans une telle situation. La suggestion du Dr Ross concernant un moyen par lequel les aptitudes d’individus tel M. Galbraith pourraient être mises à l’essai ne serait à mon avis ni suffisante ni précise.

Au soutien de son argument selon lequel les personnes ayant subi une iléostomie sont en mesure de servir dans les Forces armées canadiennes et l’exigence concernant la cote G2 O2, qui exclut ces personnes, ne peut être justifiée, M. Duval a signalé le fait que plusieurs individus ayant subi des résections de l’intestion après leur enrôlement sont demeurés dans les rangs des Forces armées. A strictement parler, la différence de traitement entre un individu cherchant à s’enrôler dans les Forces armées et un membre en service n’est pas une question dont je suis saisi. Quoi qu’il en soit, je retiens l’explication du docteur Roy en ce qui concerne la justification de cette différence de traitement. Qui plus est, un seul de ces individus a vu son cas passer par l’ensemble des étapes du Conseil médical de révision des carrières. Même si à l’issue de ce processus les services de cet individu ont été retenus sans restriction sur le plan de la carrière, il est important de signaler que celui- ci est au service de l’Armée en tant que technicien de cellules et que, selon le docteur Roy, contrairement à un artilleur, il ne serait pas tenu d’aller sur le terrain.

Je conclus que les Forces armées canadiennes ont établi que constitue une exigence professionnelle justifie au sens de la Loi le fait d’exclure automatiquement de l’enrôlement les personnes ayant subi une résection de l’estomac ou de l’intestin, état donnant lieu à une cote médicale inférieure à G2 O2. Je suis quelque peu réticent à conclure de la sorte compte tenu de la vie civile active que mène présentement M. Galbraith. Toutefois, je suis convaincu qu’on ne peut assimiler les tensions de la vie civile à celles de la vie militaire. Toutefois, je tiens à faire, comme l’a fait le tribunal dans l’affaire Rodger, la mise en garde suivante, c’est- à- dire que même si le tribunal conclut en l’espèce à l’existence d’une exigence professionnelle justifiée, cela n’emporte pas qu’elle continuera d’être justifiée à l’avenir. L’iléostomie continente est une intervention chirurgicale relativement nouvelle et on commence seulement à disposer de données de nature médicale et statistique la concernant. Il est fort possible que dans un avenir rapproché, de nouvelles techniques médicales ou de nouvelles données scientifiques permettront de conclure que l’augmentation des risques que court une personne ayant subi une iléostomie est si faible qu’il est impossible d’établir l’existence d’un risque suffisant d’erreur humaine au sens du critère énoncé dans l’arrêt Etobicoke.

Le 26 juin 1989

(signé) John I. Laskin

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