Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 8/ 89

Décision rendue le 23 niai 1989

TRIBUNAL D’APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE ENTRE La Société d’aviation Pacific

Western Appelant (Mise en cause) et Jan Corrigan Mise en cause (Plaignante)

TRIBUNAL D’APPEL : Richard Hornung, président, Ian Seph, membre, Andy Semotiuk, membre

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL ONT COMPARU : René Duval, avocat de la Commission

canadienne des droits de la personne

Ross Ellison, avocat du plaignant

LIEU ET DATE : Edmonton (Alberta), le 3 novembre 1988

I. Il s’agit ici d’un appel de la décision rendue à l’égard de Donald Lee le 5 avril et dans laquelle il a été déclaré

"que, dans la présente affaire, la plainte est fondée puisque la mise en cause, quoique non pas de propos délibéré, a commis un acte discriminatoire en contravention de la Loi canadienne sur les droite de la personne, en omettant ou en négligeant de prendre en considération la candidature de la plaignante à tout poste d’agent du service- clientèle ou d’agent de piste, ce qui constitue une infraction à l’article 7 de la loi".

Le 19 mai 1988, la mise en cause en a appelé de la décision du tribunal en s’appuyant sur divers motifs. L’affaire a été entendue à Edmonton, en Alberta, le 3 novembre 1988.

II. Le tribunal est d’avis que, pour trancher la cause en appel, il faut, d’abord et avant tout, déterminer s’il a été ou non établi, devant le tribunal de première instance, que l’employeur savait que le plaignant convoitait le poste en question.

M. Ellison a soutenu, et à juste titre, que, avant que le tribunal de première instance ne puisse conclure à la discrimination, il lui fallait avoir une preuve s re que la personne chargée du recrutement (en l’occurrence, M. Reid) savait que le plaignant voulait postuler le poste en question. Nous sommes d’accord là- dessus. En termes simples, il n’y a pas discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne si l’employeur ne sait pas que le plaignant veut qu’on prenne sa candidature en considération.

M. Ellison a soutenu que, en fait, le tribunal de première instance n’en est pas arrivé à la conclusion fondamentale que l’employeur était conscient que le plaignant aimerait occuper le poste en question. Selon lui, l’examen du jugement nous indique tout au plus que le tribunal en a conclu à la simple négligence de l’employeur pour n’avoir pas su que le plaignant désirait le poste. il y a ici, selon M. Ellison, une distinction à faire entre négligence et connaissance; il ne peut donc y avoir discrimination de la part de l’employeur si le tribunal de première instance n’a pas constaté dans les faits que l’employeur savait que Mme Corrigan avait rempli une demande d’emploi à l’égard de ces postes.

III. On ne sait pas trop si le tribunal de première instance a déterminé que l’employeur était au courant de la demande d’emploi de Mme Corrigan, et cette confusion émane des termes utilisés.

Dans sa décision, le tribunal concluait ainsi, à la page 9 : A mon avis, la plaignante a bel et bien informé par écrit la mise en cause de son désir de devenir agent du service- clientèle ou agent de piste, non pas une fois mais deux, soit en juin 1982 et en octobre 1984 (pièces C- 3 et C- 4). Que le travail d’agent de piste ait été son premier ou son second choix et que cela ait été un choix logique reste secondaire. En effet, ce qui compte avant tout c’est qu’elle ait bien mentionné le poste d’agent de piste dans ses notes de service. Elle n’avait aucune obligation de s’expliquer de façon claire et évidente, ni de rappeler son désir à la direction de façon régulière (C’est moi qui souligne.)

Après en être arrivé à ce qui semble être une conclusion ferme, à savoir que Mme Corrigan a informé son employeur de son désir d’occuper le poste, le tribunal poursuit ainsi :

"Les deux notes du 28 juin 1982 et du 3 octobre 1984 existent vraiment et doivent normalement avoir été portées à l’attention de la direction. Bien entendu, on ne s’attend pas à ce que chacun se souvienne pratiquement de toutes les lettres ou notes de service qui sont reçues au bureau, mais un service de direction compétent doit posséder un système assurant que les demandes de mutation interne ou de promotion des employés fassent l’objet d’un suivi. (C’est moi qui souligne.)

Cette dernière citation indique, selon M. Ellison, que le tribunal de première instance n’a pas conclu que l’employeur connaissait l’existence de la demande d’emploi de Mme Corrigan, mais qu’il aurait d le savoir s’il avait eu un bon système.

L’élément de négligence sur lequel s’appuie le tribunal de première instance semble corroboré par les termes utilisés à la page 10, où il est dit:

"La discrimination fondée sur le sexe n’est pas toujours exercée ouvertement. Dans la présente affaire, aucun élément de preuve ne démontre directement qu’une discrimination sexiste ait été exercée délibérément. Toutefois, la preuve circonstancielle que je viens d’évoquer tend effectivement à soutenir les arguments de la plaignante. (C’est moi qui souligne.)

Le dernier point de l’argumentation de M. Ellison s’appuie sur l’ordonnance même, qui se trouve à la page 12 de la décision et que nous avons déjà mentionne. Il y est dit que M. Lee déclare que

... la plainte est fondée puisque la mise en cause, quoique non pas de propos délibéré, a commis un acte discriminatoire... L’employeur a soutenu que, selon les termes utilisés, on ne peut conclure directement qu’il savait que Mme Corrigan voulait le poste en question et que le tribunal a tout au plus déterminé que la direction devrait mettre un peu d’ordre dans ses affaires et qu’elle aurait d avoir un système qui lui e t permis de savoir que Mme Corrigan voulait également postuler cet emploi. En mettant les choses au pis, selon M. Ellison, l’employeur a fait preuve de négligence et il y a une distinction, comme nous l’avons souligné plus haut, entre la négligence et la connaissance.

IV. Bien que les termes utilisés par le tribunal de première instance aient pu prêter à confusion, l’examen de la preuve nous révèle néanmoins qu’il avait des motifs suffisants pour en arriver à sa conclusion.

Je ne me propose pas d’expliquer la décision du tribunal de première instance, mais je dirai cependant que, selon les termes utilisés, bien que l’entreprise ait été informée du désir de Mme Corrigan d’obtenir ce poste, sa note de service a été présentée longtemps avant que les postes ne soient offerts. Le temps a passé et a bien pu faire oublier l’existence de ces notes de service et il se peut fort bien que M. Reid ne s’en soit pas souvenu lorsqu’il a recruté quelqu’un d’autre. Dans les circonstances, on comprend fort bien que le tribunal de première instance en ait conclu comme il l’a fait, à savoir que M. Reid n’a pas voulu de propos délibéré faire de discrimination à l’égard de Mme Corrigan. Cependant, dans les circonstances, sa décision a néanmoins eu, dans les faits, cet effet.

Bien que notre tribunal e t pu en arriver à une autre conclusion s’il avait exploré cette autre avenue, il est néanmoins d’avis que les conclusions de fait, relativement à la connaissance que l’employeur avait de la demande de Mme Corrigan, sont étayées, au sens large, par la preuve.

V. Le tribunal d’appel a l’obligation d’examiner les conclusions de fait du tribunal de première instance et de ne renverser ces conclusions que

(traduction) s’il juge que ces conclusions se s’appuient pas sur la preuve ou qu’elles sont à ce point fausses que la décision n’est pas raisonnable.

R. c. Andreas (1982) 2 W. W. R. 249. Cette position, qu’a adoptée la Cour d’appel de la Saskatchewan, se fonde sur toute une série de causes dont la plus célèbre est l’affaire Stein c. The Ship Kathy K (1976) 2 S. C. R. 802, où le juge Ritchie s’est exprimé en ces termes (à la page 808)

(traduction) Les autorités ne doivent pas considérer comme immuables les conclusions de fait d’un tribunal, mais plutôt qu’elles ne peuvent être renversées que S’il est établi que le juge a fait une erreur manifeste et flagrante qui a faussé son évaluation des faits. Bien que le tribunal d’appel ait le devoir de réexaminer les éléments de la preuve pour s’assurer que le premier juge n’a pas fait ce genre d’erreur, il n’est pas de son ressort, à mon avis, de substituer sa propre évaluation des éléments de la preuve où entre une certaine probabilité aux conclusions du juge qui a présidé le procès en première instance.

Nous ne sommes pas autorisé, en tant que tribunal d’appel, à écarter les conclusions du tribunal de première instance, parce que, à ce moment- là, nous considérerions la preuve dans une optique toute différente de celle de M. Lee. Or, notre rôle consiste à examiner, non pas à évaluer.

Dans le respect de ce principe et après avoir examiné la preuve, nous ne pouvons conclure que le tribunal de première instance a fait une erreur manifeste et flagrante qui aurait pu fausser son évaluation des faits. Les preuves sont suffisantes, à notre avis, pour appuyer ses conclusions et si, par notre intervention, nous y changions quelque chose, nous y substituerions, en fait, notre propre évaluation des faits, ce qui serait manifestement outrepasser notre rôle.

Subséquement l’appel est rejeté.

Fait en la ville de Regina, dans la province de la Saskatchewan, ce 27e jour de janvier 1989.

(signature) Richard I. Hornung, c. r.

Andy Semotiuk

Ian Seph

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