Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

SANDY CULIC

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE

2007 TCDP 30
2007/07/19

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[1] Le 18 mars 2003, Sandy Lipp (née Culic) a déposé une plainte contre la Société canadienne des postes, dans laquelle elle allègue que Postes Canada a commis à son endroit un acte discriminatoire fondé sur sa déficience. Dans sa décision datée du 24 janvier 2007, le Tribunal s'est penché sur cinq allégations. Il a conclu que, de ces cinq allégations, trois étaient fondées. Pour ce qui est de l'une des deux allégations qui n'ont pas été prouvées, le Tribunal a jugé que Mme Lipp avait démontré qu'il y avait eu discrimination prima facie. Cependant, l'intimée avait établi qu'il s'agissait d'exigences professionnelles justifiées.

[2] Le Tribunal a conclu qu'il avait compétence pour adjuger les dépens et il a ordonné que Postes Canada paye à Mme Lipp à titre de dépens les frais raisonnables qu'elle a engagés pour retenir les services d'une avocate, avant et pendant l'audience, en rapport avec les pratiques discriminatoires alléguées qui ont été jugées fondées dans la plainte. Le Tribunal a enjoint aux parties de tenter de s'entendre quant au montant. Cependant, il s'est réservé compétence sur la question au cas où les parties ne parviendraient pas à une entente.

[3] Les parties ont avisé le Tribunal qu'elles n'ont pas réussi à en venir à une entente. Une audience sur la question a été tenue par vidéoconférence le 16 juillet 2007.

[4] L'avocate de Mme Lipp a soutenu que l'alinéa 53(2)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne autorisait le Tribunal à indemniser Mme Lipp de la totalité des frais qu'elles avait engagés. L'alinéa 53(2)c) prévoit que, si la plainte est fondée, le Tribunal peut ordonner à la personne déclarée coupable d'un acte discriminatoire d'indemniser la victime des dépenses entraînées par l'acte.

[5] L'avocate de Mme Lipp a invoqué la décision Nkwazi c. Service correctionnel du Canada, [2001] D.C.D.P. no 29, à l'appui de son argument. Dans cette décision, le Tribunal avait statué que, lorsqu'une plainte est jugée fondée, le Tribunal doit tenter, dans la mesure du possible, de remettre la victime dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit, sous réserve des principes de la prévisibilité des dommages et de l'atténuation des pertes. Le Tribunal a affirmé qu'il est difficile de prétendre qu'une victime d'un acte discriminatoire est remise dans sa position antérieure si elle est incapable de demander le remboursement des frais qu'elle a engagés pour faire entendre sa plainte.

[6] L'avocate de Mme Lipp a soutenu que, par conséquent, le Tribunal doit indemniser Mme Lipp de la totalité des frais engagés quant à la préparation de l'audience, quant à la représentation de Mme Lipp au cours de l'audience et quant à la rédaction de la plaidoirie écrite. Tout cela a demandé 165 heures de travail et le montant de la facture s'est élevé à 52 197,75 $. À titre subsidiaire, l'avocate de Mme Lipp a prétendu que le Tribunal devait taxer les dépens en fonction du degré de réussite de la plaignante et en fonction du temps consacré à chacune des allégations fondées. Elle a avancé que, si on présume que le temps consacré à l'analyse de chaque question en litige dans la décision correspond à peu près au temps qu'il a fallu pour préparer et présenter cette question à l'audience, alors environ 84 p. 100 du temps consacré et des frais engagés ont porté sur les allégations qui ont été jugées fondées. Par conséquent, les dépens raisonnables s'élèveraient à 84 p. 100 du total des frais engagés.

[7] L'avocat de Postes Canada a soutenu que, selon la Loi et le libellé de l'ordonnance en l'espèce, les frais pour lesquels une indemnité doit être versée ne peuvent se rapporter qu'aux allégations d'acte discriminatoire qui ont été jugées fondées. Puisque toutes les allégations en l'espèce n'ont pas été jugées fondées, il ne peut être accordé une indemnité à l'égard de la totalité des frais engagés.

[8] L'avocat de Postes Canada a soutenu que la règle générale dans un litige civil veut que la partie ayant obtenu gain de cause se voit adjuger des dépens partie-partie, lesquels sont taxés selon le tarif établi par l'autorité compétente. Le montant de ces dépens correspond généralement à un montant qui se situe entre 30 et 50 p. 100 des frais engagés. Il a prétendu que, si une victime d'agression sexuelle ne peut espérer se voir rembourser que de 30 à 50 p. 100 de ses frais devant un tribunal civil, rien ne justifie qu'une victime de discrimination s'attende à se voir rembourser le montant total de ses frais.

[9] L'avocat de Postes Canada a soutenu que le Tribunal doit prendre en compte le temps consacré aux allégations qui ont été jugées fondées et indemniser la plaignante pour une proportion de 30 à 50 p. 100 de ce temps. Il a affirmé que, à son avis, 50 p. 100 du temps consacré à la préparation de l'audience et à l'audience a porté sur les allégations fondées. Mme Lipp devrait donc se voir adjuger 50 p. 100 de ce montant, ce qui équivaut à 25 p. 100 du total des frais engagés.

[10] Il n'y a pas de règle absolue sur l'adjudication des dépens raisonnables dans le cadre d'une plainte relative aux droits de la personne.

[11] Dans Brooks c. Ministère des Pêches et des Océans, 2005 TCDP 26, le Tribunal a adopté la méthode de la Cour fédérale relativement à l'adjudication des dépens et a déclaré qu'il utilisait les Règles des Cours fédérales comme ligne directrice à cet égard. L'intimé dans cette affaire avait demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal quant à l'adjudication des dépens. Dans sa décision, la Cour fédérale n'a formulé aucune observation quant au recours par le Tribunal à la méthode utilisée par la Cour fédérale en matière d'adjudication des dépens, mais elle a conclu que le Tribunal avait commis une erreur en ne prenant pas adéquatement en compte les offres de règlement présentées dans le cadre de cette affaire (Canada (Procureur général) c. Brooks, 2006 CF 500, au paragraphe 25).

[12] Dans la décision Mowat c. Forces armées canadiennes, 2006 TCDP 49, le Tribunal a déclaré que rien dans la décision rendue par la Cour fédérale dans Brooks n'exigeait que le Tribunal applique ni même mentionne les Règles des Cours fédérales lorsqu'il procède à la taxation des dépens. Dans Mowat, le Tribunal a choisi de ne pas renvoyer aux Règles des Cours fédérales. Il a plutôt pris en considération trois sources : les services juridiques décrits dans les relevés de services d'avocats, le nombre de pièces et d'éléments de preuve soumis à l'audience en rapport avec les allégations de harcèlement sexuel fondées par rapport au nombre de pièces et d'éléments de preuve soumis en rapport avec les allégations rejetées, le mémoire des dépens soumis par chacune des parties, lesquels dépens ont été calculés selon la formule des dépens partie-partie.

[13] Dans la décision Nkwazi, le Tribunal a ordonné que la plaignante se voit rembourser, selon la formule des dépens avocat-client, les frais raisonnablement engagés, puisque la conduite de l'intimé à l'origine du litige, ainsi que sa conduite durant le litige, était à ce point répréhensible, scandaleuse et choquante qu'il était justifié de rendre une telle ordonnance.

[14] Dans la décision antérieure que j'ai rendue dans le cadre de la présente affaire, j'ai déclaré que, à mon avis, le Tribunal n'avait pas l'autorisation en vertu de la Loi d'adjuger des dépens avocat-client (Culic c. Société canadienne des Postes, 2007 TCDP 01, au paragraphe 318). En outre, j'ajouterais maintenant que, même si le Tribunal avait compétence pour adjuger des dépens avocat-client, la conduite de l'intimée en l'espèce est loin d'être aussi scandaleuse que celle de l'intimé dans l'affaire Nkwazi. Par conséquent, il ne serait pas approprié de rendre une telle ordonnance dans les circonstances.

[15] À mon avis, le pouvoir, conféré au Tribunal par l'alinéa 53(2)c), d'accorder une indemnité pour les frais entraînés par l'acte discriminatoire signifie que l'indemnité doit se limiter à la partie des frais pouvant être allouée à la préparation du litige et au litige même portant sur les allégations fondées.

[16] Bien que je souscrive, en général, à l'approche adoptée par le Tribunal dans la décision Mowat, je ne vois rien dans la loi qui oblige le Tribunal à taxer les dépens selon la formule des dépens partie-partie. Au contraire, compte tenu des faits en l'espèce, il est bien possible qu'il ne convienne pas de rendre une telle ordonnance. Comme l'a souligné le Tribunal dans la décision Nkwazi, précitée, ce ne sont pas toutes les plaintes en matière de droits de la personne qui comportent des questions pécuniaires. Les personnes se plaignant de s'être vu refuser l'accès à un service, par exemple, peuvent n'avoir subi aucune perte financière et, donc, peuvent n'avoir aucune possibilité de se voir accorder une réparation pécuniaire, sauf peut-être un montant peu important pour préjudice moral. La plupart des personnes qui déposent des plaintes en matière de droits de la personne disposent de moyens très modestes. En conséquence, il se peut fort bien qu'elles hésiteront à déposer des plaintes si elles s'exposent à des frais juridiques élevés pour lesquels elles ne recevront qu'une indemnisation peu élevée.

[17] Ce fait est d'autant plus vrai que, au cours des dernières années, la Commission canadienne des droits de la personne a choisi de ne pas participer à de nombreuses audiences devant le Tribunal. Les plaignants, dont la plupart n'ont absolument aucune formation juridique, doivent souvent se défendre contre les avocats très expérimentés de l'intimé. Il n'est pas étonnant que de nombreux plaignants choisissent de retenir les services d'un avocat.

[18] En l'espèce, Mme Lipp a choisi de retenir les services d'une avocate la veille de l'audience. Par conséquent, les frais engagés pour la préparation préliminaire, la représentation à l'audience et le travail sur les observations écrites soumises au Tribunal le 21 août 2006 sont peu élevés.

[19] Mme Lipp a réussi à prouver trois des cinq allégations soulevées dans sa plainte. Bien que je ne souscrive pas à l'argument selon lequel 84 p. 100 du temps consacré à l'audience et à la plaidoirie a été consacré aux allégations jugées fondées, je ne souscris pas non plus à l'observation de l'intimée selon laquelle ce pourcentage ne s'élève qu'à 50 p. 100. Les trois allégations fondées comportaient des circonstances factuelles complexes et nécessitaient une analyse et une présentation minutieuse. Cependant, je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée pour affirmer que la première allégation, qui portait sur une question de discrimination systématique dans le cadre de l'établissement des horaires de travail chez Postes Canada et qui n'a pas été jugée fondée, a fait l'objet d'un débat beaucoup plus long lors de l'audience et lors de la plaidoirie finale que n'en convient l'avocate de Mme Lipp.

[20] Après avoir examiné la preuve et les observations de la partie plaignante, j'estime que le temps et les ressources consacrés aux allégations fondées s'élèvent à 65 p. 100 du temps et des ressources consacrées dans l'ensemble. À mon avis, il s'agit du pourcentage des dépenses qui ont été entraînées par l'acte discriminatoire. Mme Lipp a donc droit à un montant s'élevant à 65 p. 100 des frais qu'elle a engagés. Ce montant s'élève à 33 928,54 $.

[21] En vertu de l'alinéa 53(1)c), j'ordonne à Postes Canada de payer à Mme Lipp la somme de 33 928,54 $ à titre d'indemnité pour les frais raisonnablement engagés du fait de l'acte discriminatoire.

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)
Le 19 juillet 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1083/6405

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Sandy Culic c. La Société canadienne des postes

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 16 juillet 2007

Regina (Saskatchewan)

OTTAWA (Ontario)
(par vidéoconférence)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 19 juillet 2007

ONT COMPARU :

Merrilee Rasmussen, c.r.

Pour la plaignante

Aucun représentant

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Daniel P. Kwochka

Pour l'intimée

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.