Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 5/95 Décision rendue le 21 février 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.C.R. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: DALE PATRY

le plaignant

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Jacinthe Théberge - Présidente

ONT COMPARU: Odette Lalumière, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Rosemarie Millar, avocate de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: 25-26 novembre 1993 31 janvier 1994 1-2 février 1994 à Ottawa (Ontario)

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I. INTRODUCTION :

Le 28e jour d'avril 1993, en vertu du paragraphe 49 (1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un tribunal a été constitué, composé de Jacinthe Théberge, en vue d'examiner les deux plaintes déposées par Dale Patry en date du 18 juin 1987 contre la Gendarmerie Royale du Canada.

Le plaignant soutient que la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC) a exercé à son égard de la discrimination fondée sur la déficience en matière d'emploi. La Gendarmerie Royale du Canada aurait ainsi contrevenu aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la "loi"), en refusant de l'intégrer à la GRC en raison de sa déficience ayant trait à l'audition. De son côté, l'intimée allègue que ses normes médicales d'audition constituent des exigences professionnelles justifiées au sens de l'alinéa 15a) de la loi.

II. LA QUESTION :

La question sur laquelle le tribunal doit se pencher est de déterminer si les dispositions de la norme médicale applicable à l'engagement dans la GRC constituent des exigences professionnelles justifiées au sens de l'alinéa 15a) de la loi et d'évaluer si ladite norme d'audition est liée de façon objective à la tâche et si elle est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution des fonctions sans mettre en danger la sécurité du public.

III. LA PREUVE :

A. Le plaignant

1. Les faits

Le plaignant Dale Patry a déposé une demande d'application à la GRC en mai 1981 sollicitant un poste de constable spécial dans les aéroports, à Calgary, Alberta.

La GRC a avisé M. Patry le 26 juillet 1982 que l'engagement était restreint vu les coupures budgétaires et qu'on le plaçait sur une liste d'attente et il leur a mentionné son intention de maintenir sa candidature.

Entre temps, M. Patry se marie, quitte son emploi de chauffeur civil à la défense nationale à Calgary et déménage à Winnipeg où il demande de transférer son application. Il demeure sur la liste d'attente jusqu'en 1985.

A la fin d'août 1985, M. Patry déménage à Québec et son dossier de demande d'emploi est transféré à la GRC à Montréal et son nom demeure toujours sur une liste d'attente.

En 1986, M. Patry reçoit un appel téléphonique lui demandant de passer un examen médical puisqu'il y a des postes qui s'ouvraient.

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M. Patry a passé des tests d'audiométrie et le docteur Denis Rhéaume lui a mentionné qu'il répondait aux normes auditives de la GRC et qu'il faisait parvenir son rapport au sergent Belizle.

Le 17 juillet 1986, la GRC a avisé par écrit M. Patry, qu'il leur était impossible d'accéder à sa demande d'emploi parce qu'il ne rencontrait pas leurs exigences médicales en ce qui a trait à l'audition.

M. Patry a contesté la décision de la GRC et a repassé un deuxième test d'audition avec le docteur Caouette, un spécialiste de son choix qui a confirmé que M. Patry ne rencontrait pas les normes médicales de la GRC.

M. Patry a été extrêmement déçu de ne pas obtenir la possibilité d'entrer dans la GRC. Par la suite, il a conduit un camion pour la Société des postes et il n'a eu aucun problème à entendre le radio-émetteur dans le camion. Il considère donc qu'il aurait pu remplir les fonctions de constable spécial dans les aéroports. Cependant, en contre-interrogatoire il a admis que ce n'était pas une fonction s'apparentant à celle d'un agent de la paix.

2. Le caporal Claude Bélanger

Le caporal Claude Bélanger a été engagé par la GRC en février 1975 en tant que constable spécial à l'aéroport de North Bay malgré le fait qu'il avait un problème d'audition. Cependant les normes d'audition maintenant exigées par la GRC n'étaient pas encore en vigueur.

Le problème auditif du caporal Bélanger était de l'otosélérises et en 1984, le caporal Bélanger a dû porter un appareil dans l'oreille gauche et ensuite en 1986, un autre appareil dans l'oreille droite et ce pendant qu'il occupait un poste de constable spécial.

Sur la recommandation de son médecin, le caporal Bélanger a porté des appareils auditifs jusqu'en 1992, année où il a subi une opération chirurgicale pour retrouver un niveau d'audition normal.

Les tâches du caporal Bélanger de 1975 à 1992 ont consisté à assurer la sécurité publique pour des actes commis à l'encontre du code criminel dans les aéroports et sur la colline parlementaire ainsi que la protection des membres du corps diplomatique à Ottawa.

Le caporal Bélanger a affirmé ne pas avoir eu de problèmes à exécuter son travail avec le port d'appareils auditifs.

De plus le caporal Bélanger a reconnu avoir obtenu sa promotion en 1992 en tant que caporal à la section spéciale "O" pour les filatures suite à sa première opération dans l'oreille gauche lors de laquelle il aurait retrouvé un niveau d'audition H2.

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3. Le docteur Chantal Laroche

Le docteur Laroche a été reconnu par l'intimée comme expert en audiologie/orthophonie tel que mentionné dans son curriculum vitae déposé en preuve.

Afin d'établir son rapport d'expertise le docteur Laroche a étudié les audiogrammes effectués pour M. Patry ainsi que la liste des tâches de gendarme spécial et de gendarme régulier afin d'analyser si le critère d'exigence des normes d'audition H2 pour effectuer un tel travail était valable.

Elle reconnaît qu'un des premiers tests qui est fait en audiologie lorsqu'on veut déterminer le niveau d'audition d'une personne est l'audiogramme qui permet de tracer un graphique des plus petits sons qu'une personne est capable de percevoir.

Selon le rapport d'expertise du docteur Laroche, les capacités auditives de M. Patry sont les suivantes :

- audiogramme normal à l'oreille droite; - perte auditive de nature neuro-sensorielle de 2 à 8 Khz à l'oreille gauche; - intelligibilité de la parole dans le silence excellente à l'oreille droite et bonne à l'oreille gauche.

Cependant, le docteur Laroche considère que pour établir l'aptitude de M. Patry à occuper un poste de constable spécial à la GRC, il était important d'obtenir des informations supplémentaires sur l'intelligibilité de la parole dans le bruit et la capacité de localisation dans le silence et dans le bruit, tel que mentionné à la page 422 des notes sténographiques :

" Je dirais, et on a réalisé que l'audiogramme nous informe sur les capacités de détection de sons purs dans le silence, mais ne permet pas de prédire les capacités auditives d'un individu à d'autres tâches que de la détection dans le silence, c'est-à-dire qu'on peut avoir un individu avec une audition jugée dans les limites de la normale mais cette personne-là, si on ne fait pas de tests de perception des mêmes sons dans le bruit ou perception de la parole dans le bruit, ou capacité de localisation dans le silence ou dans le bruit, si on ne fait pas ces tests-là on ne peut pas prédire sur la seule base de l'audiogramme que cet individu-là va être apte ou pas apte à faire la tâche qu'on va lui demander."

Selon l'opinion du docteur Laroche, l'audiogramme n'est pas suffisant pour se prononcer sur l'aptitude d'un individu à faire des tâches auditives. Cependant, elle reconnaît que les dispositifs des tests actuels qui existent pour comparer les résultats d'un individu en particulier pour les comparer à d'autres individus qui occupent le poste ne sont pas encore disponibles aujourd'hui en clinique.

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De plus, selon le docteur Laroche, les tests effectués concernant M. Patry ne lui permettaient pas non plus de conclure si ce dernier avait besoin d'un appareil auditif ou pas pour effectuer ce travail.

B. L'intimée

La GRC a fait entendre sept témoins, dont trois comme témoins experts dans différents domaines de spécialité concernant l'audition et le processus d'établissement de leurs normes médicales. Leur témoignage respectif se résume ainsi :

1. Le sergent Roland Phaneuf

Le sergent Roland Phaneuf est entré dans la GRC en 1975. Actuellement il travaille comme agent de dotation et il s'occupe de tous les dossiers personnels des agents de la GRC dans la Division A dont M. Bélanger fait partie.

Dans son témoignage le sergent Phaneuf a établi que les promotions demandées par le caporal Bélanger ont toujours été évaluées en fonction de son problème d'audition qui était à un niveau H-4 et ce n'est qu'en 1992, après avoir subi une intervention chirurgicale qui lui a permis d'améliorer ses problèmes d'audition qu'il a été promu à la section des affaires spéciales "O". Le but de cette analyse a été de démontrer que la GRC a toujours appliqué les normes d'audition même pour les employés permanents en non pas seulement pour les nouvelles recrues.

2. Le docteur Jeremy Brown

Le docteur Jeremy Brown occupe depuis avril 1992 le poste de Directeur des services de santé à la GRC et est également assistant professeur de médecine à l'Université d'Ottawa.

Depuis l'obtention de son doctorat en médecine de l'Université McGill, le docteur Brown s'est toujours intéressé à la recherche médicale et a publié de nombreux articles concernant des politiques de santé en milieu de travail.

Il explique par la suite le fonctionnement du service de santé de la GRC qui est constitué de plusieurs individus responsables de l'application des politiques de santé tel: physiciens, psychologues, un surveillant de sécurité et santé au travail. C'est ce service qui établit les normes de santé pour toutes les régions de la GRC afin de répondre aux quatre objectifs suivants tels que spécifiés à la page 242 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Le premier objectif est la sécurité du public. Nous devons nous assurer que nos agents de police ne souffrent pas d'une déficience ou d'une maladie qui pourrait présenter des risques graves pour la sécurité du public.

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Le deuxième est la sécurité de la personne elle-même. Nous ne voulons pas que nos agents de police se retrouvent dans une situation où, en raison de leurs déficiences ou de leur état de santé, ils sont en danger dans leur milieu de travail.

Troisièmement, nous devons nous préoccuper de la sécurité des compagnons de travail. Nous ne voulons pas qu'un agent de police puisse se retrouver dans une situation où, en raison de la maladie ou de la déficience dont il souffre, il puisse mettre en danger, sans le vouloir évidemment, la sécurité d'un autre agent de police.

Le quatrième et dernier objectif est la sécurité de la personne, des compagnons de travail, du public en général, dans l'exercice de l'emploi. C'est ainsi que des normes pour la santé sont établies pour des maladies spécifiques tel la vision, l'ouïe, le diabète,... et les directives permettent aux services de la santé de la GRC de déterminer si un individu peut faire la sorte de travail pour lequel il postule l'emploi ou s'il est déjà à l'emploi, s'il ne devrait pas être transféré.

Des examens médicaux pour les employés de la GRC sont exigés à tous les deux ans depuis 1992 et auparavant à tous les quatre ans. Cependant, à cause du grand bruit dans les aéroports, l'examen médical est exigé à chaque année pour les agents de police dans les aéroports.

Lorsqu'un problème de santé est rencontré chez un employé permanent, on essaie de l'accommoder parce que ce sont des agents entraînés et avec de l'expérience. Les normes sont les mêmes pour les employés permanents et pour les candidats qui postulent un emploi.

Le docteur Brown a expliqué que des nouvelles normes de santé pour les constables de la GRC ont été établies en 1992 et il a confirmé que les normes actuelles sont moins élevées que celles en vigueur en 1987 lors de la présentation de la demande de M. Patry et malgré ce fait, ce dernier ne se qualifiait pas pour autant.

Le service de santé de la GRC a été créé en 1977 et c'est à partir de ce moment-là que des normes de santé ont été adoptées spécifiquement pour les membres de la GRC (p.267 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. Une direction a adopté des normes précises en 1982. R. Les normes ont été publiées en 1979, mais il n'y avait pas de médecins jusqu'en 1982. Q. Pourriez-vous nous dire quelles étaient les normes à l'époque? R. Il n'était pas nécessaire à cette époque d'avoir une ouïe parfaite; toutefois, la perte auditive ne devait pas être supérieure à 30 décibels pour les deux oreilles, entre 500 et 3 000 cycles.

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Même si les normes d'audition sont devenues plus basses en 1987, M. Patry ne qualifiait pas puisque sa perte d'audition dans l'oreille gauche ne rencontrait pas le critère établi H2 qui exigeait de ne pas avoir de perte d'audition plus de 50 décibels dans les fréquences de 500 à 3,000 cycles dans les deux oreilles. Selon l'analyse des divers audiogrammes, il ressort que M. Patry avait une perte de 55 décibels dans son oreille gauche dans les fréquences variant de 500 à 3,000 cycles (à la page 333 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

R. Ces petits carrés représentent la perte auditive à différentes fréquences. A 2 000 cycles, nous constatons une perte auditive de 50 dB alors qu'elle est supérieure à 50 dB à 3 000 cycles. La perte auditive ne doit pas dépasser 30 dB à 2 000 cycles et 50 dB à 3 000 cycles. Il ne satisfait donc pas à la norme à deux égards.

La position pour laquelle M. Patry avait appliquée était: constable spécial dans les aéroports soit GS-LES-SE-3 et le profil médical pour remplir cette position était: V2, CV2, H2, G2, O2. Les résultats de M. Patry ont été les suivants (p.285 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

R. [...] Au milieu, nous avons le requérant. Sa vision est de 2. Elle est acceptable. Sa vision des couleurs est de 1. C'est plus que satisfaisant. Son audition est de niveau 3 ce qui est inférieur à la norme H2. La perte est moyenne plutôt que légère. G1, il n'a pas besoin de spécialistes. O2 signifie que, sauf pour son problème d'audition, il peut faire toutes les activités physiques exigées d'un agent de police. Q. Si je comprends bien, ce profil médical a été versé dans son dossier et on lui a refusé le poste de gendarme spécial dans un aéroport. R. Oui, parce que son acuité auditive n'était pas suffisante pour ce poste particulier. Q. Et si je comprends bien, ce document a été signé le 15 juillet 1986. R. C'est ce qu'il indique, oui.

En ce qui a trait au cas du caporal Bélanger, le docteur Brown conclut selon l'étude de son dossier médical que ce dernier rencontrait les critères lors de son embauche en 1974 et la GRC a accepté de l'accommoder au cours des années allant de 1977 à 1992, en lui permettant d'effectuer un autre travail (de la supervision dans ce cas) à l'aide d'appareils auditifs parce qu'il était un employé exemplaire avec beaucoup d'expérience.

Selon l'opinion du docteur Brown, l'établissement de la norme d'audition H2 telle que discutée auparavant est nécessaire pour assurer l'exécution sécuritaire du travail de constable régulier à la

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3. Le sergent Ian McDavid Cooper

Le sergent Cooper est à l'emploi de la GRC depuis le 9 juillet 1956 et est présentement en charge de la classification des postes à la GRC. Cette section a pour objectif principal d'évaluer les positions dans la GRC et de les classifier selon les normes exigées.

Le sergent Cooper est venu établir devant le tribunal que le poste convoité par M. Patry en 1986, soit celui de constable spécial dans les aéroports LES-SE-O3 a été aboli le 1er juillet 1988 et ce sont depuis cette date des constables réguliers qui s'occupent de la surveillance et de la sécurité dans les aéroports.

4. M. Douglas Simpson

M. Simpson travaille à la GRC depuis plus de 35 ans et est présentement officier en charge du Centre d'Information de la Police Canadienne (CIPC). Il occupe un emploi administratif parce qu'il a un problème auditif et qu'il doit porter un appareil dans son oreille gauche.

M. Simpson a témoigné à l'effet qu'il avait des problèmes à entendre les conversations dans un groupe. Il a même manqué une alarme de feu pendant son sommeil dans un hôtel. Il ne peut non plus distinguer l'origine de la provenance d'un bruit.

M. Simpson affirme ne pas éprouver de difficultés majeures avec son appareil auditif malgré le fait qu'il soit sorti de son oreille une fois accidentellement. Cependant il dit ne pas le porter pendant des activités physiques à cause de l'effet de transpiration ou encore pendant l'hiver lors de grands froids. Il confirme le fait qu'il ne travaillerait pas avec son appareil auditif si on lui demandait de devenir opérationnel.

5. Le docteur James McGinnis

Le docteur McGinnis est diplômé en psychologie de l'Université de Waterloo et il a joint la GRC en juillet 1978 où il a fait de la recherche en ressources humaines et a participé à l'élaboration de programmes à la GRC.

Depuis janvier 1991, le docteur McGinnis est devenu officier en charge du département de recherches de la GRC tant pour les membres civils que pour les membres réguliers. Son équipe se compose de quatre docteurs spécialisés en psychologie du travail industriel. Les parties ont convenu de la qualité d'expert du témoin dans le domaine de la psychologie de l'organisation du travail.

Principalement, le docteur McGinnis s'est penché sur l'analyse fonctionnelle des tâches et il a expliqué en détails la façon de

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procéder pour arriver à établir les normes requises par rapport à chaque emploi (voir tableau 3 cahier des expertises de l'intimée) et plus spécifiquement en ce qui a trait aux tâches exécutées par les gendarmes aux services généraux (aux pages 509,510 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

L'analyse des tâches est considérée comme un élément constitutif fondamental de tout programme de gestion des ressources humaines. Il vous faut savoir ce que font les gens ainsi que les connaissances théoriques et pratiques et les capacités dont ils ont besoin pour décider quelles sortes de personnes il faut recruter, quelles doivent être leur habilité intellectuelle ou leurs aptitudes physiques et émotives. Pour planifier les carrières, vous devez savoir quelles sont les tâches de personnes occupant divers emplois. Il devait donc s'agir d'un document d'usage général que la GRC pourrait utiliser à diverses fins.

Nous savions que les questions de la vision et de l'acuité auditive étaient en cause et qu'il s'agissait de questions importantes au sujet desquelles nous voulions nous assurer d'avoir recueilli les renseignements appropriés lorsque nous avons entrepris cette analyse des tâches.

Par la suite le docteur McGinnis a fait l'analyse de la description des tâches que devait exécuter un constable spécial dans les aéroports selon les tâches énumérées au cahier des pièces de l'intimée, à l'onglet 9, plus spécifiquement aux pages 16, 17 et 18 en parallèle avec son document sur l'analyse fonctionnelle des tâches effectuées par un constable régulier (document déposé à l'onglet 3 du cahier d'expertise de l'intimée). Le docteur McGinnis a comparé environ vingt tâches pouvant justifier l'exigence de normes auditives (p.571 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Nous pourrions passer deux ou trois jours à dresser une liste d'environ 1 000 sons que les agents de police doivent être capables d'entendre.

Une des phrases relatives à l'une de ces tâches porte «Agir avec prudence dans les situations louches, être prêt à réagir à une attaque», et il y a de nombreux signes possibles d'une telle situation. Il pourrait s'agir d'un bruit de pas, ce pourrait être une feuille, une branche, un revolver, un couteau. Il y a des milliers d'autres sons différents qu'un agent de police pourrait éventuellement percevoir dans un bon nombre de ces situations; et je pense que nous avons fait un bon travail en dressant la liste de ces sons et des réalités qu'ils recouvrent; je suis sûr qu'il y en a beaucoup d'autres qui n'ont pas été inclus, mais je pense que c'est le travail de l'audiologiste de déterminer quel est le niveau d'acuité auditive raisonnablement nécessaire pour être capable de percevoir ces sortes de sons.

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6. L'ingénieur Neil Standen

M. Neil Standen est un ingénieur à l'emploi de la firme Morrison Hershfield à titre de spécialiste en sons. M. Standen a obtenu un baccalauréat en sciences de l'Université de Colombie Britannique en 1962 et une maîtrise en ingénierie de l'Université McGill en 1964.

Il a travaillé au Ministère de Transport Canada à titre de directeur du service d'ingénierie pour l'évaluation du bruit causé par les avions et de leurs effets sur les gens. Par la suite, il est devenu ingénieur en pratique privée et s'est spécialisé dans l'acoustique et l'architecture des édifices par rapport à l'audition des sons à l'intérieur comme à l'extérieur. Les parties ont donc reconnu la qualité d'expert du témoin dans le domaine du son.

Les services de M. Standen ont été retenu par la GRC en 1991 dans le but d'établir si le critère d'audition H2 était relié et nécessaire aux tâches requises pour l'emploi de constable régulier telles que décrites dans le document produit par le docteur McGinnis à l'onglet 3 du cahier d'expertise de l'intimée.

L'ingénieur Standen est venu expliquer au tribunal la méthodologie employée pour vérifier les normes de l'audition dans le bruit en se basant sur trois scénarios représentatifs des tâches effectuées par les gendarmes réguliers de la GRC, soit :

a) une communication par radio dans une auto patrouille lorsque la sirène fonctionne; b) la présence de bruit de foule et la possibilité d'entendre un radio portatif; c) le bruit de traffic et de la population.

Ces expériences ont pu donner une indication de la perception des sons dans le bruit et ont permis d'établir que l'exigence de la norme d'audition H2 était justifiée (p.616 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. Telles sont donc vos conclusions au sujet des trois scénarios. Vous dites que la méthode d'évaluation et la norme H2 ne sont pas inappropriées pour la tâche que vous avez analysée. R. Les résultats de nos études indiquaient que l'on pouvait appliquer la norme H2 à une description quantitative des tâches et montrer que cette norme était liée à l'exécution de ces tâches. Ils ont également révélé que la norme H2 n'excluait pas un pourcentage important des personnes présentant une demande d'emploi à la GRC; en fait, elle excluait moins de 10 p. 100 de ces personnes. C'est pourquoi nous considérerions qu'il ne s'agit pas d'une norme très rigide ou très sévère. Q. Donc, la norme H2 n'est pas trop restrictive suivant votre étude.

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7. Le docteur David Ronald Schramm

Le docteur Schramm est otolaryngologiste et a gradué à l'Université de Toronto en 1983. Il a poursuivi ses études à Illinois et a obtenu une spécialisation en otologie et neurologie pour les malfonctions de l'oreille. Il a fait beaucoup de recherches et siège sur le Conseil d'administration de l'aviation médicale. Sa principale occupation est d'évaluer les pilotes d'aviation et de déterminer s'ils ont des problèmes d'audition les empêchant de voler.

Les services du docteur Schramm ont été retenus par la GRC en 1993 afin d'obtenir son opinion dans le dossier de M. Patry, rapport qui se trouve à l'onglet 7 du cahier d'expertise de l'intimée. L'opinion du docteur Schramm a été basée sur ce qui suit (p.655 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Mon opinion reposait sur la norme d'acuité auditive H2 de la GRC, les audiogrammes de M. Patry, la banque de tâches intégrées des gendarmes aux services généraux de la GRC, l'analyse des tâches d'un gendarme spécial dans un aéroport à laquelle le Dr McGinnis s'est reporté, le rapport Morrison Hershfield, les opinions médicales qui étaient jointes aux audiogrammes de M. Patry et mon observation personnelle des tâches effectuées lors d'une patrouille, c'est-à-dire les tâches d'un gendarme lors d'une patrouille routière et d'une patrouille à l'aéroport.

Le docteur Schramm a fait l'expérience d'effectuer une patrouille avec un gendarme spécial dans un aéroport afin d'évaluer le critère H2 d'audition requis et lui donner une meilleure idée concernant l'analyse des audiogrammes de M. Patry. Selon le docteur Schramm, il conclut de son évaluation des quatre différents audiogrammes que M. Patry a une audition normale de son oreille droite mais il ne rencontre pas les normes H2 d'audition concernant son oreille gauche dans aucun des audiogrammes (p.671 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. Que pouvez-vous dire au sujet de la perte auditive unilatérale de M. Patry? R. Comme nous l'avons déjà dit, il souffre d'une surdité unilatérale de perception neurosensorielle à haute fréquence. Cela veut dire qu'il souffre d'une surdité rétrocochléaire ou surdité nerveuse en ce qui concerne les sons aigus seulement et uniquement dans une oreille. Cela pourrait l'empêcher d'entendre ce qui est dit à voix basse du côté de sa perte auditive, c'est-à-dire du côté gauche.

Il pourrait également avoir de la difficulté à entendre une conversation provenant de ce côté en présence de bruits de fond. Il pourrait aussi avoir de la difficulté à

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localiser les sons aigus. Il devrait être capable de localiser les sons graves pour lesquels son audition est normale, car il entend normalement des deux oreilles à cette fréquence. Quant aux sons aigus -- c'est-à-dire supérieurs à 1 500 hertz -- pour lesquels il souffre d'une perte auditive, il pourrait avoir de la difficulté à les localiser dans une telle situation.

Par la suite, le témoignage du docteur Schramm a consisté à analyser le critère d'audition H2 en relation avec l'analyse des tâches faites par le docteur McGinnis et a évaluer la capacité de M. Patry d'exécuter de façon sécuritaire le travail de gendarme spécial, emploi postulé par ce dernier (p.706 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. Vous pouvez peut-être nous dire combien de ces tâches exigent selon vos calculs cette norme H2. Avez-vous fait ce calcul?

R. Oui, je l'ai fait. Q. Il y a 21 tâches, je pense. R. Il y a 21 tâches en tout. Je crois que pour 14 des 21 tâches, la norme H2 est raisonnablement nécessaire pour que la tâche soit effectuée efficacement. Q. Dr Schramm, en réponse à ma question,

vous avez dit que l'acuité auditive qui était nécessaire pour la plupart des tâches qui exigeaient la norme H2 était la capacité de percevoir les sons faibles, de comprendre la parole en présence de bruits de fond et de localiser les sons.

Après avoir passé en revue les exigences des normes d'audition en rapport avec les tâches à effectuer par un gendarme régulier à la GRC, le docteur Schramm a expliqué en détails et justifié que le port d'appareils auditifs pour effectuer ce genre d'emploi n'était pas sécuritaire et ne pouvait être recommandé.

Puis le docteur Schramm a expliqué la différence de cas entre la perte d'audition du caporal Bélanger qui pouvait être remédié par une opération et celui de M. Patry où le nerf d'audition était mort et le port d'un appareil auditif dans la différence de ces deux dossiers n'avait pas la même conséquence (p.715 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. Y a-t-il une différence en ce qui concerne la prothèse auditive, lorsqu'une personne souffrant d'un problème de conduction porte une prothèse auditive par rapport à une personne souffrant du même problème que M. Patry et portant une telle prothèse? R. Généralement, la personne souffrant de surdité de conduction qui porte une prothèse auditive obtient de meilleurs résultats. En règle générale, la personne qui souffre de surdité de conduction obtient de meilleurs résultats en portant une prothèse auditive que la personne souffrant de surdité rétrocochléaire ou de surdité de perception neurosensorielle. Encore une fois, c'est le cas

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en règle générale.

Le docteur Schramm a confirmé l'opinion du docteur Laroche à l'effet que des tests d'audition supplémentaires pouvait être faits mais malheureusement même de nos jours, les tests spécifiques pour déterminer la compréhension du language dans le bruit et la provenance du bruit n'ont pas été uniformisés pour nous permettre de faire de telles évaluations (p.721 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. Diriez-vous que, d'après vous, la seule utilisation d'un audiogramme pour mesurer l'acuité auditive d'une personne qui postule un emploi dans la GRC est une méthode adéquate pour mesurer ce qui doit être mesuré? R. Je pense que l'audiogramme nous fournit un grand nombre de données essentielles. En utilisant l'audiogramme, nous pouvons, comme je l'ai dit, tirer certaines conclusions sur l'acuité auditive nécessaire pour l'emploi. Il semblerait que l'audiogramme constitue un outil acceptable pour déterminer si l'acuité auditive d'une personne est suffisante pour lui permettre d'exécuter les tâches en cause.

Suite à son analyse du critère H2 exigé comme normes d'audition pour effectuer au moins 14 des 21 tâches du travail de gendarme régulier de la GRC, le docteur Schramm conclut qu'il serait dangereux pour la sécurité du public et de l'individu d'engager une personne qui ne répondrait pas à ce critère d'emploi.

En contre-interrogatoire, à la question du procureur de la Commission des droits de la personne à savoir s'il ne serait pas moins discriminatoire de faire passer d'autres tests pour déterminer la capacité d'audition, le docteur Schramm a affirmé que cela aurait comme conséquence d'éliminer davantage d'autres candidats (contre-interrogatoire aux pages 746-747) :

Q. Pensez-vous que seul l'audiogramme peut prédire si un individu est capable de faire les 21 tâches de façon sécuritaire? Est-ce qu'on peut se baser juste sur un audiogramme pour savoir ça?

[TRADUCTION]

R. Je crois actuellement que l'audiogramme est une méthode adéquate que l'on peut utiliser pour déterminer l'acuité auditive permettant d'exécuter les tâches auditives. Je ne sais pas s'il existe d'autres méthodes uniformisées ayant des normes en anglais et en français qui peuvent aussi être utilisées pour mesurer l'acuité auditive pour l'exécution de ces tâches. Q. Vous dites que quand [sic] à vous c'est le plus approprié. Est-ce que vous dites aussi que c'est le seul quant à vous qui peut être utilisé?

[TRADUCTION]

R. Je crois qu'en ce moment l'audiogramme est la norme ou le critère le plus approprié qui est utilisé pour cette

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sorte de travail ou pour toute autre tâche auditive. C'est ce qu'on utilise pour la plupart des autres emplois exigeant une certaine acuité auditive afin de déterminer si celle-ci est suffisante pour permettre à la personne d'exécuter les tâches en cause. Certes, c'est ce que l'on fait dans d'autres services de police et dans d'autres emplois qui n'ont rien à voir avec la police ou l'exécution de la loi pour déterminer si quelqu'un est capable d'exécuter les diverses tâches.

Il existe d'autres tests dont il a été question dans le témoignage du Dr Laroche mais, comme nous l'avons entendu, il n'existe aucune norme en anglais et en français.

IV. LA LOI :

Les dispositions législatives pertinentes se retrouvent à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à ses modifications, en particulier aux articles suivants :

" Article 2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Paragraphe 3.(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de la distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Article 7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; b) de le défavoriser en cours d'emploi.

Article 10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

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a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite; b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

Article 15. Ne constituent pas des actes discriminatoires : a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées".

V. LA JURISPRUDENCE :

Il incombe au plaignant et à la Commission des droits de la personne de présenter une preuve prima facie de la discrimination. Cependant, l'article 15a) de la LCDP permet à l'intimée, soit la GRC dans le présent cas, d'invoquer un moyen de défense selon lequel les normes médicales minimales d'audition H2 sans correction qu'elle applique à l'enrôlement des gendarmes réguliers ne constituent pas de la discrimination fondée sur le motif de distinction illicite de la déficience mais constituent une exigence professionnelle justifiée (EPJ) et que par conséquent, elles ne sont pas un acte discriminatoire.

C'est donc l'intimée qui a la charge d'établir cette défense selon la norme de preuve ordinaire en matière civile, soit par la prépondérance des probabilités.

Il faut procéder à l'analyse de la jurisprudence pour comprendre les divers éléments constitutifs d'une défense basée sur l'exigence professionnelle justifiée (EPJ).

L'arrêt fondamental dans ce domaine, Commission des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. p.202, a décrété qu'en cette matière, il fallait établir deux critères, soit un critère subjectif et un critère objectif pour faire une preuve satisfaisante.

On retrouve une définition du critère subjectif à la page 208 :

" Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code."

La définition du critère objectif est établie par la suite à la page 208 également :

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" Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général."

Diverses causes de jurisprudence sont venues par la suite préciser la définition du critère objectif tel que spécifié par le juge McIntyre en examinant l'application dans le cas d'une occupation donnée à la page 210 :

" Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général."

La Cour d'appel fédérale a analysé cette déclaration et s'est demandée si la preuve fournie justifie la conclusion dans l'affaire Canadien Pacifique Limitée Canada, [1988] I C.F.20 où le juge Marceau émet le commentaire suivant à la page 224 :

" Toutefois, lorsque j'interprète cette phrase compte tenu du contexte, elle me semble viser la preuve qui doit démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures. En d'autres termes, l'adjectif <<suffisant>> en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré."

Pour que la règle ou l'exigence soit considérée comme justifiée, il faut donc prouver qu'elle vise un risque réel et, relativement à ce critère, le juge Sopinka a précisé cet élément dans l'affaire Saskatchewan (H.R.C.) c. Saskatoon, [1989] 2 R.C.S. 1297 à la page 1309 :

" Ce critère oblige l'employeur à démontrer que l'exigence, même si elle ne se justifie pas nécessairement dans le cas de chaque individu, est raisonnablement justifiée dans son application générale. [...] Dans les cas limités d'applicabilité de ce moyen de défense, ce ne sont pas les caractéristiques individuelles qui sont déterminantes, mais les caractéristiques générales appliquées de façon raisonnable."

La Cour suprême du Canada a analysé les décisions rendues concernant l'interprétation et l'application de la LCDP en matière de discrimination dans l'affaire Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool, [1990] 2 R.C.S. 489 et le juge Wilson à la page 514 vient clarifier et donner une orientation à l'application de la LCDP :

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" Lorsque, à sa première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur application générale qu'elles doivent l'être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l'employeur ne réussit pas à démontrer qu'il s'agit d'une EPR (exigence professionnelle réelle)."

La jurisprudence actuelle a clairement établi que lorsqu'une règle ou norme a un effet discriminatoire direct sur un groupe, il n'existe aucune obligation d'accommodement individuel à l'égard des membres du groupe. Le juge Robertson dans l'affaire Procureur Général du Canada c. James Robinson et CCDP, [1994] CAF p.13 s'exprime dans ces termes :

" Dans l'état actuel du droit, il est reconnu qu'il n'existe pas d'obligation d'accommodement en cas de discrimination directe: voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Limitée, [1985] 2 R.C.S. 536; et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489. C'est uniquement dans les cas de discrimination indirecte ou de discrimination par suite d'un effet préjudiciable qu'entre en jeu l'obligation d'accommodement et, même alors, cette obligation ne vaut que dans la mesure où il n'en résulte pas une contrainte excessive pour l'employeur. Les règles qui créent une discrimination directe doivent, dans la mesure où elles peuvent être maintenues, s'appliquer à tous les membres du groupe visé. Aucune partie n'a mis en doute la conclusion du tribunal portant que la politique des <<militaires exempts de crises>> crée une discrimination directe. Par conséquent, il ne peut exister en soi aucune obligation d'accommodement. Le plaignant n'aurait pu obtenir un autre poste au sein des Forces qu'au moyen du régime d'exemptions de catégorie médicale qu'elles ont elles-mêmes établi."

Par contre, l'analyse d'une EPJ doit s'effectuer en fonction de l'occupation et non de la personne. C'est ce qui a été affirmé dans l'arrêt Bhinder c. CN, [1985] 2 R.C.S. 561 aux pages 588-589 par le juge McIntyre :

" La Loi parle d'<<exigence professionnelle>>. Cela doit s'entendre d'une exigence de la profession, non d'une exigence limitée à un individu. Elle doit s'appliquer à

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tous les membres du groupe d'employés concerné, car c'est une exigence d'application générale concernant la sécurité des employés. Les employés doivent se conformer à cette exigence pour occuper leur poste. De par sa nature même, elle n'est pas susceptible d'application individuelle. Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c'est la dépouiller de sa nature d'exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l'al. [15a)]."

Le fait que des tests sont administrés à chaque personne peut toutefois constituer un élément à considérer pour se prononcer sur l'existence d'une EPJ. Ce sont donc aux employeurs qui ont des exigences professionnelles de produire une preuve nécessaire pour contester une demande d'évaluation individuelle tel qu'il a été établi dans l'affaire Robinson [1994] CAF à la page 18 par le juge Robertson :

" A mon avis, la jurisprudence établit clairement que moins le groupe exclu par une exigence professionnelle est homogène, plus il sera difficile pour l'employeur d'établir qu'il s'agit d'une EPJ. C'est à l'employeur qu'il revient de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, pourquoi une politique générale d'exclusion est raisonnablement nécessaire lorsque toutes les personnes qui composent le groupe exclu ne présentent pas le même risque d'erreur humaine imprévisible. Autrement dit, l'employeur doit établir que l'examen individuel n'est pas une solution de rechange pratique ou raisonnable dans les circonstances. Lorsque le groupe exclu est relativement homogène (soit toutes les personnes à l'égard desquelles un diagnostic d'épilepsie complexe partielle a été posé), le débat ne porte vraisemblablement pas sur la question de savoir si l'examen individuel est une solution de rechange raisonnable à la règle contestée, mais plutôt sur celle de savoir si les personnes comprises dans ce groupe présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier leur exclusion au moyen d'une EPJ. Par conséquent, seuls les employeurs qui formulent les exigences professionnelles en termes larges sont à juste titre appelés à produire la preuve nécessaire pour contester une demande d'<<évaluation individuelle>>."

En résumé, les critères suivants se dégagent du droit applicable en la matière suite à l'analyse des nombreuses causes de jurisprudence portant sur ce sujet :

- Pour être une exigence professionnelle justifiée, une règle doit satisfaire aux critères objectif et subjectif énoncés dans Etobicoke.

- Le critère objectif impose que la preuve démontre que l'employé qui ne satisfait pas à la norme représente un risque d'erreur

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humaine suffisant pour justifier cette norme dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.

- Le risque suffisant d'erreur humaine s'entend d'un risque réel qui ne repose pas sur de simples conjectures. La <<suffisance>> se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré.

- L'accommodement ne constitue pas un élément de l'exigence professionnelle justifiée. Une fois que celle-ci est établie, l'employeur n'assume aucune obligation d'accommodement.

Les employeurs qui formulent des exigences professionnelles sont appelés à produire la preuve nécessaire pour contester une demande d'<<évaluation individuelle>>. En effet s'il existe une solution pratique autre que l'adoption d'une règle discriminatoire, il serait possible de conclure que l'employeur a agi d'une manière déraisonnable.

VI. L'APPLICATION A L'ESPECE :

L'intimée a reconnu que la politique en cause constitue à première vue une pratique discriminatoire allant à l'encontre des dispositions de la LCDP, et qu'elle constitue ainsi de la discrimination directe à l'endroit du groupe des personnes atteintes d'une déficience auditive. Par conséquent, c'est à la GRC qu'il revient d'établir, suivant la prépondérance des probabilités, l'existence d'une exigence professionnelle réelle, au sens de l'article 15a) LCDP.

D'après la preuve, les normes médicales d'audition sans correction de la GRC sont en vigueur depuis de nombreuses années et ont même été revisées à la baisse en 1987. L'avocate de la Commission des droits de la personne a reconnu que la GRC a établi des normes médicales d'audition pour l'embauche de nouvelles recrues dans le but réel d'assurer la sécurité et la protection du public. Par conséquent, l'intimée a répondu au critère subjectif soit celui de la bonne foi.

Afin de procéder maintenant à l'évaluation du critère objectif il faut se demander si la norme médicale d'audition H2 sans correction est liée de façon objective à l'exécution des fonctions du gendarme spécial et si cette norme est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution des fonctions sans mettre en danger la sécurité de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.

Pour ce faire, il faut analyser les faits propres à chaque affaire et plus particulièrement : la nature de l'occupation; les normes en vigueur; la modalité d'établissement desdites normes; l'analyse des tâches à effectuer; les appareils correcteurs et les tests individuels à appliquer.

1. La nature de l'occupation

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En l'espèce, M. Patry en 1981 a postulé un emploi de gendarme spécial dans les aéroports soit LES-SE-03. Il est donc important de connaître les fonctions à remplir pour déterminer si les normes médicales exigées sont raisonnablement nécessaires pour l'exécution des fonctions.

M. Cooper, sergent responsable du personnel à la GRC est venu décrire les fonctions d'un gendarme spécial dans les aéroports soit un LES-SE-03 comme étant les suivantes (p.351 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Q. J'aimerais que vous lisiez la description. R. Je lis le poste-repère 6, niveau 3, gardien de sécurité Soutien de l'application de la loi, Sécurité et Travail policier :

«Sommaire : Sous l'étroite surveillance d'un superviseur de détachement de l'aéroport international, accomplir des fonctions de sécurité, effectuer des enquêtes moins complexes; assister les enquêteurs principaux dans leurs enquêtes portant sur des délits majeurs, faire enquête sur les accidents d'automobile et sur les accidents causant des blessures; s'occuper du contrôle de la circulation et de la maîtrise des foules, et effectuer des fonctions connexes.

Fonctions : 40 % du temps : Accomplir des fonctions de sécurité dans les immeubles et propriétés du ministère des Transports situés dans un aéroport international pour empêcher les entrées non autorisées, les sabotages, les vols, les crimes d'incendie et les dommages intentionnels :

- effectuer des patrouilles à pied ou à bord d'une voiture de police pour découvrir les infractions à la sécurité; contrôler les personnes et les véhicules suspects, noter les noms des personnes, les numéros des plaques d'immatriculation, etc., et interroger ou en détenir des personnes, selon le cas; - s'assurer que les personnes et les véhicules qui se trouvent dans des zones «réservées» sont autorisés à y être; - inspecter l'intérieur et l'extérieur des immeubles du ministère des Transports pour découvrir les infractions à la sécurité, les incendies, les dommages à la propriété; - effectuer des patrouilles régulières et préventives dans les zones où se trouvent des aides à la navigation très perfectionnées, par exemple, des radars, des systèmes de communication, des aides à l'atterrissage, etc., pour empêcher qu'ils soient endommagés ou fassent l'objet de sabotage.

Fonction (2), 15 % : Effectuer des enquêtes moins complexes sur les infractions au Code criminel et à diverses lois

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provinciales et fédérales :

- faire enquête sur des infractions alléguées et factuelles au Code criminel telles des voies de fait simples, des troubles de la paix, des vols mineurs, etc., et des infractions à des lois fédérales et provinciales, comme les lois sur les douanes, sur l'immigration, sur l'aéronautique, sur les boissons enivrantes, sur les véhicules à moteur, sur le code de la route, et leurs règlements d'application; - inspecter les lieux où un délit a été commis; saisir les pièces de preuve; interroger les plaignants, les témoins et les suspects; prendre les déclarations; évaluer la preuve disponible et déposer des accusations lorsque c'est nécessaire; effectuer des arrestations; signifier des sommations, des subpoenas et exécuter des mandats; fouiller les personnes, les véhicules, et les locaux; et s'occuper de la surveillance de personnes, de véhicules et d'immeubles suspects; - préparer les documents et la preuve pertinente pour leur dépôt devant le tribunal; témoigner devant les cours du magistrat, les cours du comté et les cours suprêmes.

Fonction (3), 5 % : Assister les enquêteurs principaux dans leurs enquêtes et dans l'application de la loi, par exemple dans les cas des détournements d'avion, d'alertes à la bombe, de vols majeurs, d'écrasements d'avion, etc., et dans l'exécution des fonctions générales relevant d'un agent de police.

Fonction (4), 10 % : Faire enquête sur les accidents causant des blessures ainsi que sur les accidents d'automobile :

- interroger les conducteurs et les témoins; effectuer des mesures et prendre les déclarations; évaluer la preuve disponible et déterminer les causes des accidents; découvrir les infractions et déposer des accusations, selon le cas; - enquêter sur les blessures corporelles et sur les dommages à la propriété qui ne découlent pas d'un accident d'automobile dans la propriété du ministère des Transports; donner les premiers soins; noter l'état physique ainsi que les noms des personnes et des témoins; prendre les déclarations; prendre des photographies, et préparer et déposer les rapports nécessaires.

Fonction (5), 15 % : Contrôler la circulation et maîtriser les foules pour assurer la libre circulation des piétons et des véhicules :

- diriger la circulation des piétons et les véhicules dans les zones publiques, à l'aide de signes gestuels et de torches électriques; - contrôler la foule dans les limites de l'aéroport lors de la visite de personnages de marque, et des départs et des arrivées de vols transatlantiques;

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- escorter et protéger les personnages de marque dans la propriété du ministère des Transports.

Fonction (6), 5 % : Appliquer les règlements relatifs au contrôle des véhicules de l'aéroport et le Règlement sur l'exploitation des concessions aux aéroports du gouvernement:

- effectuer des patrouilles à pied ou à bord de voitures de police pour empêcher ou découvrir des infractions aux règlements sur le contrôle des véhicules des aéroports, et émettre des contraventions, par exemple, des contraventions pour stationnement illégal et pour infractions aux règlements de la circulation; - contrôler les vendeurs et les autres personnes exploitant un commerce dans les locaux du ministère des Transports pour s'assurer qu'ils satisfont au Règlement sur l'exploitation des concessions aux aéroports du gouvernement.

Fonction (7), 10 % : Effectuer des fonctions connexes :

- répondre aux demandes du public et aux diverses plaintes; - effectuer du travail administratif comme remplir des constats, traiter les contraventions, répondre au téléphone, etc.; - effectuer d'autres tâches relevant d'un agent de la paix, par exemple, escorter les prisonniers et les patients souffrant de maladies mentales dans la propriété du ministère des Transports; régler les différends familiaux; effectuer des recherches pour trouver les personnes manquantes ou disparues; escorter les biens de valeur qui sont en possession de membres du personnel du ministère des Transports dans la propriété du ministère; s'assurer qu'il n'y a aucun animal sur les voies de circulation au sol des avions et sur les pistes; utiliser des radars pour contrôler la vitesse des véhicules; prendre les empreintes digitales des employés du ministère des Transports à des fins internes; participer aux barrages routiers, etc.»

Ces fonctions totalisent cent pour cent du temps, ce qui représente l'ensemble des tâches.

Depuis 1988, la catégorie de <<gendarme spécial>> à la GRC a été intégrée à la catégorie de <<gendarme régulier>>. Les fonctions à être assumées par les gendarmes réguliers sont de la même nature d'après la description des diverses fonctions énumérées ci-haut. Je pense que le fait d'établir des normes d'audition n'est pas fondé sur des suppositions ou des conjectures mais bien pour éviter un risque réel pour le public puisque les gendarmes spéciaux et réguliers aujourd'hui sont, si on peut parler ainsi, non seulement les <<yeux>> mais tout autant <<les oreilles de la GRC>>.

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2. Les normes en vigueur

La norme médicale d'audition sans correction pour l'entrée dans la GRC est H2. Elle est décrite au <<tableau des normes auditives>> dans le document déposé par la GRC (pièce I-1, onglet 1). D'après ces normes établies en 1986, la perte auditive d'une recrue ne doit pas être plus de 30 décibels pour les deux oreilles, entre 500 et 3000 cycles par seconde.

Il est à noter qu'en 1987, ladite norme auditive H2 a été modifiée et qu'elle est décrite à la pièce I-1, onglet 2 comme étant un déficit n'excédant pas 50 décibels dans une oreille à 3000 Khz.

Le docteur Brown a décrit de la façon suivante les différentes exigences médicales concernant un gendarme régulier et plus particulièrement en ce qui concerne l'audition aux pages 254-255 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

R. Le profil médical pour un gendarme aux services généraux comporte les éléments suivants : V pour vision; CV pour vision des couleurs; H pour audition; G pour déplacement géographique, ce qui comprend la possibilité pour le membre de recevoir des soins de santé, et O pour le facteur occupationnel. Enfin, le facteur F pour la condition physique -- condition physique, condition requise pour le travail.

Les diverses catégories se décomposent suivant les capacités requises. Si nous prenons l'audition, ce dont il est question en l'espèce, la catégorie H1 vise les personnes dont l'audition est normale, parfaite. La catégorie H2 vise les personnes qui souffrent d'une déficience auditive légère. La catégorie H3 vise les personnes qui souffrent d'une déficience auditive moyenne et la catégorie H4, celles qui souffrent d'une déficience auditive profonde.

Et c'est la même chose pour la vision. Nous avons les catégories V1 à V5, suivant l'importance de la déficience, V1 indiquant une vision parfaite.

Le facteur géographique indique les soins de santé nécessaires. Par exemple, si une personne souffre de problèmes cardiaques, nous pourrions exiger quant au facteur géographique que le membre soit affecté dans un endroit où il y a des cardiologues. Si une personne souffrait d'un autre problème, nous pourrions l'affecter dans un endroit où il y a un médecin ou un spécialiste approprié.

O indique le facteur occupationnel. Il est très souvent déterminé par les risques d'invalidité soudaine. Par exemple, nous affecterions les personnes qui souffrent d'épilepsie qui n'est pas vraiment bien contrôlée à des postes à caractère plutôt administratif et nous ne leur ferions pas conduire une voiture de police, par exemple.

Le facteur F est déterminé par la condition physique et

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la condition physique requise pour l'emploi en utilisant ce double test qui permet spécifiquement d'évaluer les tâches liées à l'emploi.

On retrouve au cahier des pièces de la GRC [I-1, onglet 4], le profil médical exigé pour un gendarme spécial LES-SE-03 qui doit répondre aux critères suivants : V2 pour vision; CV2 pour vision des couleurs; H2 pour audition; G3 pour déplacement géographique; O2 pour le facteur occupationnel; et F2 pour la condition physique.

En l'espèce, M. Patry a subi de nombreux tests auditifs et la GRC lui a permis de compléter d'autres tests avec un médecin de son choix suite à son refus d'accéder à la GRC et tous les audiogrammes déposés en preuve ont démontré que le plaignant ne rencontrait pas la norme d'audition H2, puisqu'il a une perte d'audition de plus de 55 décibels dans son oreille gauche à 3000 Khz, voir [I-1, onglets 5,6,7,8]. Par conséquent, le profil médical de M. Patry que l'on retrouve au cahier de pièces [I-1, onglet 4] se résume ainsi : V2, CV2, H3, G2, O2, F2 et il ne rencontrait pas les normes en vigueur.

3. L'analyse des tâches

Il est obligatoire de procéder à une <<analyse des tâches>> afin de savoir quelles sont les fonctions à remplir pour déterminer si les normes exigées sont raisonnablement nécessaires pour l'exécution des fonctions. Sans une telle analyse, il serait difficile sinon impossible d'établir le lien nécessaire entre la norme imposée et l'exécution des fonctions.

Le docteur McGinnis est venu expliquer comment il avait fait l'analyse des tâches à être effectuées par un <<gendarme spécial ou régulier>> aujourd'hui dans la GRC en évaluant premièrement ce pourquoi il est payé; deuxièmement quelles sont les connaissances requises pour réaliser ces objectifs; puis finalement quelles sont les habilités requises et les normes raisonnables exigées pour accomplir les tâches. Cette analyse des tâches est faite avec tous les groupes et il décrit plus spécifiquement à la page 516 des notes sténographiques la méthodologie utilisée pour fixer les exigences requises pour le travail de <<gendarme régulier>> dans la GRC.

[TRADUCTION]

Q. Mais vous avez dit ceci avant -- vous expliquiez les grandes lignes d'une analyse fonctionnelle des tâches. Pouvez-vous nous dire exactement ce que vous avez fait avec ce groupe de gendarmes aux services généraux, les recherches que vous avez effectuées et -- R. Je pensais avoir déjà abordé cette question. Je vais recommencer. J'ai rassemblé environ six groupes différents de gendarmes de la GRC. Parfois, il y avait deux ou trois caporaux récemment promus qui avaient auparavant effectué des fonctions générales. J'ai utilisé la méthode traditionnelle d'analyse fonctionnelle des tâches. Je leur ai fait dresser la liste des tâches dont ils étaient

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responsables. Je leur ai demandé d'indiquer les connaissances dont ils avaient besoin. Nous avons écrit toutes ces données sur des tableaux de papier que nous avons installés dans la pièce afin que chacun puisse voir ce qui était écrit. Rien n'est caché. Nous tentons d'obtenir un consensus sur ce qui entre dans cette analyse des tâches.

J'ai donc obtenu leurs tâches. J'ai obtenu une liste des connaissances dont ils avaient besoin, une liste des connaissances théoriques et pratiques qui leur étaient nécessaires. Dans chaque groupe, nous avons examiné les tâches qu'ils doivent exécuter et nous avons tenté de recueillir des informations au sujet des normes de rendement qu'ils s'efforçaient d'atteindre.

Q. Et vous avez fait cela pour chacun des groupes? R. Oui, avec le groupe de l'aéroport, avec la patrouille routière et les personnes qui agissent comme policiers pour les populations autochtones ainsi qu'avec le dernier groupe au quartier général. Nous avons passé une seule journée avec ces personnes.

Par la suite, le docteur McGinnis s'est penché plus spécifiquement sur l'analyse des normes d'audition sans correction par rapport aux tâches à être effectuées et il démontre que ces normes auditives sans appareil constituent une exigence professionnelle raisonnable et valide, voir pages 521-522 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Q. Par exemple, je lis «Acuité auditive». La première ligne à la page 17 sous «Acuité auditive» est la suivante : «(en patrouille, à pied ou en voiture) entendre des coups de feu, du vacarme, des cris, des signaux d'alarme, et en préciser l'origine» Aucun niveau d'audition n'est fixé. R. Eh bien, non. Tous ces bruits et l'acuité auditive font partie d'un continuum, et il est évident que plus l'acuité auditive d'un gendarme est bonne, plus sa présence constitue un atout. Il faut évidemment se demander où tirer la ligne en ce qui concerne la norme raisonnable d'acuité auditive, mais il s'agit d'exemples des sortes de choses que les gendarmes sont censés être capables d'entendre lorsque, dans ce cas, ils sont en patrouille, à pied ou à bord d'un véhicule.

En principe, lorsque l'un des aspects importants du travail d'un gendarme est d'entendre ce qui se passe dans son milieu et que ces sortes de bruits indiquent - il faut tracer la première ligne ici -- des problèmes ou des événements qui doivent être perçus et aller voir ce qui se passe et intervenir si nécessaire ou sinon, c'est correct aussi; mais il doit être capable d'entendre ces choses pour se rendre compte qu'il y a quelque chose de louche ou de dangereux qui peut exiger une intervention. Q. Mais je crois comprendre que votre travail consistait notamment à agir suivant un niveau de bruit ou un

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niveau d'audition. Votre travail consistait davantage à décrire l'acuité auditive qui était nécessaire qu'à définir un niveau d'acuité auditive, c'est bien cela? R. Je pense que c'est correct. Certains de ces bruits sont évidemment plus forts que d'autres. Il est question ici de chuchotements. Ce n'est évidemment pas aussi bruyant qu'un coup de feu et il y a beaucoup de choses de ce genre.

4. L'établissement des normes

Une fois qu'on a analysé tous les aspects du travail de façon à connaître la dimension auditive des tâches à accomplir, il faut donc faire diverses expériences pour définir les normes auditives minimales nécessaires pour exécuter les fonctions et vérifier par la suite l'application de ces normes.

L'analyse des tâches est importante afin que les normes soient suffisamment sévères pour ne pas entraîner de danger, sans être tellement rigides qu'elles engendrent de la discrimination. C'est aussi important d'expérimenter lesdites normes afin d'éviter des erreurs.

Dans le but de vérifier l'établissement des normes d'audition pour un gendarme régulier à la GRC, une firme d'ingénieurs en acoustique a été engagée pour vérifier les critères d'audition par rapport aux tâches à effectuer et deuxièmement le docteur Schramm otolaryngologiste a également vérifié l'application des normes en question.

L'ingénieur Standen est venu expliqué que trois scénarios ont été choisis pour vérifier la norme d'audition requise pour effectuer le travail soit 1) la capacité de comprendre un message radio dans une auto patrouille lorsque la sirène fonctionne et qu'on entend le bruit du moteur; 2) la capacité de comprendre un message radio dans une foule bruyante; 3) la capacité de comprendre une conversation chuchotée à l'intérieur d'un édifice en la présence de bruits extérieurs.

La méthode utilisée pour vérifier ces trois scénarios est expliquée aux pages 582 et suivantes des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Q. Je crois comprendre que, pour chaque scénario, vous avez fait une description quantitative plutôt qu'une description qualitative. R. C'est exact. Q. Mais une fois que cela a été terminé, qu'avez-vous fait exactement? Qu'avez-vous analysé? Quelle comparaison avez-vous faite? R. Afin d'établir un rapport avec la capacité d'entendre la conversation dans les situations qui sont décrites dans ces trois scénarios, il nous fallait une méthode qui nous permettrait de connaître l'acuité auditive

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du requérant et qui était simplement un test audiologique. Nous avions donc à notre disposition environ 400 tests audiologiques de candidats de la GRC dont les résultats obtenus -- les audiogrammes -- nous servaient de données de base, de point de départ pour déterminer les capacités, l'acuité auditive des candidats à des postes de la GRC.

Nous devions ensuite, en utilisant des méthodes qui sont employées dans l'industrie acoustique, établir un rapport entre ces capacités et celle de comprendre les conversations dans un milieu bruyant. La principale fonction ou la principale partie de cette analyse était la comparaison entre celles-ci ou l'extrapolation faite à partir des audiogrammes relativement à la capacité de comprendre des conversations dans un milieu bruyant.

Les bruits ambiants étaient ceux dont il était question dans les trois scénarios. Le signal que nous avons tenté de reproduire dans chaque cas était, tout d'abord, des messages radio ou les messages radio des deux premiers cas et, dans le troisième cas, une conversation provenant de l'intérieur d'une pièce. Ainsi, le signal que le gendarme tentait d'entendre était essentiellement le son d'une voix humaine provenant soit de la radio ou d'une pièce, et les bruits qui brouillaient le signal étaient ceux prévus dans le scénario ou le bruit de fond prévu dans chacun des trois scénarios.

Pour évaluer la capacité de la personne d'entendre le signal en présence de ces bruits, nous devions nous reporter à son audiogramme ou aux audiogrammes individuels.

La description de la méthodologie employée dans le scénario nous permet de faire la relation avec la norme d'audition sans correction H2 tel que décrit à la page 608 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Q. Je ne suis pas certain de comprendre les rapports avec la norme H2. R. Il s'agissait encore une fois du même processus. Nous permettions tout simplement au gendarme -- encore une fois nous disions : «Lorsque la radio est à un volume normal, qu'il n'y a pas de bruit ambiant, combien de gendarmes ou de candidats pourraient encore entendre le message radio en présence du bruit de la foule?» Nous avons ensuite augmenté le volume et nous avons dit «Maintenant que la tonalité du signal a été intensifiée, combien de candidats pourraient comprendre le message à 90 p. 100 suivant leurs audiogrammes». Nous avons encore une fois augmenté la tonalité et demandé combien d'autres personnes pourraient encore entendre le message parce que nous incluions maintenant davantage de personnes dont les seuils d'audition étaient plus élevés suivant leurs audiogrammes.

Enfin, lorsque nous avons augmenté la tonalité jusqu'au niveau correspondant au dossier audiologique de la norme H2, nous avons constaté que plus de 90 p. 100 des candidats

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seraient alors capables d'entendre la radio en présence de bruits extérieurs.

Encore une fois, la norme H2 n'élimine donc que moins de 10 p. 100 des candidats. Plus de 90 p. 100 des candidats seraient capables d'effectuer la tâche, cette tâche particulière et celle où l'on entend une sirène, s'ils satisfont à la norme H2.

En résumé, à la question posée à la firme d'ingénieurs à savoir si la norme d'audition H2 requise pour l'embauche de recrue à la GRC à titre de gendarme spécial ou régulier était trop restrictive ou trop large, la réponse fut la suivante (p.287 des notes sténographiques) :

[TRADUCTION]

Les ingénieurs acousticiens ont répondu qu'ils considéraient que notre norme était un petit peu trop souple. En fait, elle est plus souple que celle de la plupart des autres forces policières. Ils estimaient que nous étions un peu trop souple, mais nous ne pensions pas qu'il était nécessaire de resserrer la norme. Ils croyaient tout particulièrement qu'il était très peu probable qu'un candidat qui était incapable de satisfaire à la norme H2 définie par l'audiogramme puisse effectuer les tâches dont il est question dans l'analyse des tâches d'une manière qui garantirait la protection du public, la protection de l'individu, la protection de ses compagnons de travail.

L'intimée a également demandé au docteur Schramm otolaryngologiste de vérifier l'application de la norme d'audition H2 en comparaison aux tâches accomplies par un gendarme régulier.

L'exercice du docteur Schramm a consisté à observer, vérifier et simuler une dizaine de tâches sur vingt-et-un qui contenaient une norme minimale d'audition H2.

Chacune des différentes tâches analysées a été reprise à l'audience et il a expliqué pourquoi il considérait le critère d'audition H2 raisonnablement nécessaire pour exécuter les fonctions de gendarme régulier de façon à protéger la sécurité publique. Sa façon de procéder se retrouve aux pages 678-679 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Q. Dr Schramm, si on tient compte de l'acuité auditive requise par la tâche par rapport à la norme H2 de la GRC, pouvez-vous nous dire si la norme minimale H2 est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace de la tâche 2.1 sans mettre en danger le gendarme, ses compagnons de travail et le public? R. Oui, je crois que la norme H2 est raisonnablement nécessaire pour la tâche 2.1. Q. Pourquoi, selon vous? Pouvez-vous expliquer sur

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quoi vous vous fondez? R. Après avoir observé cette tâche ou avoir lu l'exposé de cette tâche dans l'analyse des tâches, il semblerait que pour qu'une personne puisse exécuter efficacement cette tâche, patrouiller une zone donnée, elle doive pouvoir entendre des sons faibles, comprendre des conversations en présence de bruits de fond et, en outre, être capable de localiser des sons. Ces trois éléments seraient donc nécessaires pour exécuter efficacement cette tâche. Q. M. Patry serait-il capable malgré sa perte auditive d'exécuter efficacement tous les éléments de cette tâche? R. Je ne le crois pas pour les raisons que j'ai déjà mentionnées. La diminution de l'audition du côté gauche aurait -- il pourrait être difficile d'entendre des chuchotements, des conversations et des bruits du côté gauche et de localiser des sons aigus dont l'intensité va de faible à moyenne.

Je suis convaincue que l'intimée (la GRC) doit établir des normes minimales d'audition à l'égard des recrues car sans elles les risques seraient dangereusement accrus. Il a été mis en preuve qu'il existe une relation directe entre les normes en question et la capacité des <<gendarmes réguliers>> de s'acquitter de leurs fonctions en toute sécurité et sans risque pour les gens et les biens qu'ils ont à protéger. Ces normes particulières d'audition sans correction imposées par la GRC, même si elles comportent un certain degré d'arbitraire, sont raisonnables et compatibles avec le travail à effectuer.

J'en conclus donc que le critère objectif dont parle le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke a été prouvé. Je considère également raisonnable la norme d'audition H2 sans correction exigée par la GRC comme norme minimale d'enrôlement puisque j'estime qu'elle est nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail du gendarme spécial sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail ou le public en général.

5. Les appareils auditifs

Le plaignant a essayé de démontrer que l'audition peut être corrigé par le port d'<<appareils auditifs>> et que cela avait été autorisé dans les cas du caporal Bélanger et du sergent Phaneuf.

La question essentielle à trancher est celle de déterminer s'il existe un risque que le plaignant ou toute autre recrue perde son appareil auditif ou soit forcé de l'enlever pour faire ses activités et si ce risque est suffisant pour obliger la GRC à fixer la norme d'audition d'enrôlement en rapport avec l'audition sans appareil (audition non corrigée) plutôt qu'en rapport avec l'audition corrigée.

Le docteur Brown et le docteur Schramm ont tous deux témoigné sur les risques reliés à l'utilisation d'appareils auditifs et ont exprimé

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les opinions suivantes. Celle du docteur Brown se retrouve à la page 274 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

R. La question de la nécessité de corriger ou non un sens a été soulevée à de nombreuses reprises. Elle se pose tant dans le cas de l'audition que dans le cas de la vision. Je pense que le meilleur exemple de la position de la Force est la vision, la norme fixée étant celle d'une vision non corrigée. Cela veut dire que nous ne nous opposons pas à ce qu'un agent de police porte des lunettes dans la mesure où s'il perd celles-ci au cours d'une bataille, s'il les brise ou s'il les oublie, sa vision est suffisante pour lui permettre d'exécuter les tâches d'un gendarme aux services généraux. Nous vérifions donc la vision non corrigée. C'est pourquoi nous n'exigeons pas une vision parfaite. Nous exigeons simplement que la personne ait une vision suffisante lui permettant de continuer à effectuer son travail lorsqu'on lui a arraché ses lunettes.

C'est la même chose pour l'audition. Les normes pour l'audition non corrigée sont telles que si une personne, par exemple, porte une prothèse auditive et est mêlée à une bagarre dans un bar, ce qui arrive à nos agents de police, qu'elle reçoit un coup et que son appareil cesse de fonctionner, qu'elle le perd ou que la pile s'arrête, son audition est encore suffisante pour lui permettre d'effectuer son travail.

L'opinion du docteur Schramm se retrouve aux pages 708 à 712 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Q. Je crois aussi comprendre, Dr Schramm, qu'on vous a posé des questions au sujet des prothèses auditives. Je vous demanderai, après avoir examiné vos notes, si une prothèse auditive permettrait de corriger l'audition d'une personne de manière à lui permettre d'exécuter sans danger toutes les tâches qui, pour un gendarme dans un aéroport, dépendent de son acuité auditive? R. Non, je ne crois pas qu'une prothèse auditive pourrait corriger l'audition de manière à permettre à un individu d'effectuer sans danger toutes les tâches d'un agent de police. Q. Pourriez-vous expliquer pourquoi? R. Il y a diverses raisons. Tout d'abord, le travail d'un policier comporte des affrontements physiques au cours desquels il est possible que la prothèse auditive se déplace ou soit éjectée.

Deux choses peuvent se produire lorsque la prothèse est déplacée complètement ou en partie. Un choc peut être causé à la prothèse et entraîner son mauvais fonctionnement. Dans d'autres cas, il se peut, lorsque la prothèse auditive sort

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partiellement de l'oreille ou n'est qu'en partie dans l'oreille, qu'elle produise des parasites. Il s'agit d'un son aigu et fort qui pourrait distraire un gendarme à un moment crucial.

Certaines autres caractéristiques des prothèses auditives devraient être mentionnées. La prothèse auditive amplifie les sons que l'on entend, les paroles, mais aussi les bruits de fond. Par exemple, une personne peut porter une prothèse auditive pour mieux entendre les conversations, mais les bruits de fond, que ce soit la vaisselle qui s'entrechoque ou d'autres bruits -- d'après ce que j'ai entendu de patients, il s'agit d'une situation fréquente -- sont également amplifiés et cela devient très distrayant. C'est pourquoi le port d'une prothèse auditive n'améliorera pas nécessairement la compréhension de la parole en présence de bruits de fond. Q. Vous avez dit qu'une prothèse auditive pourrait être déplacée ou éjectée. Je ne me rappelle pas exactement le terme que vous avez utilisé. Pourrait-elle être éjectée au cours d'une agression physique? R. Oui, il est certainement possible que, au cours d'une agression physique ou d'un affrontement, une prothèse auditive soit éjectée pendant la lutte ou la bousculade qui s'ensuit. Il se peut que cela ne se produise pas chaque fois, mais cela pourrait certainement arriver. Q. Pourriez-vous nous dire quelles seraient les probabilités qu'une prothèse auditive se déplace lorsqu'il y a affrontement physique? R. Je serais incapable d'indiquer un pourcentage, mais je pourrais dire qu'il est certainement possible que cela se produise.

Une autre remarque au sujet des prothèses auditives : j'ai dit que la localisation des sons découle principalement de l'écart temporel et de la différence d'intensité entre les deux oreilles, et qu'une prothèse auditive n'améliorerait pas nécessairement la capacité de localiser des sons. L'utilisation d'une prothèse auditive change en particulier l'intensité du son pénétrant dans l'oreille et c'est pourquoi elle ne garantirait pas une amélioration considérable de la capacité de localiser des sons. Q. Dr Schramm, dans le cas d'un choc direct sur la prothèse auditive comme cela peut se produire au cours d'un affrontement physique, continuerait-elle à fonctionner? R. Il se peut qu'elle ne fonctionne plus. Il s'agit d'un appareil électronique assez fragile. Je rencontre à mon bureau de nombreux patients, qui viennent me voir pour des pertes auditives, qui me disent qu'une prothèse auditive est tombée en panne sans qu'il n'y ait de choc. Mais il est certainement possible qu'un choc direct puisse causer la panne d'une prothèse auditive. Q. La prothèse auditive pourrait-elle empirer les blessures si la personne était frappée à l'oreille?

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R. Il se pourrait qu'un choc direct sur la prothèse auditive pousse celle-ci dans le canal auditif ou cause des dommages à l'oreille moyenne s'il s'agit d'une prothèse auditive péritympanique. Je serais incapable de dire quels sont les risques, mais il serait possible qu'un choc direct sur la prothèse cause des dommages à l'oreille. Q. La prothèse pourrait-elle produire des bruits lorsqu'elle subit un choc? R. Oui, c'est possible. Le principal exemple serait les bruits parasites qui se produisent. Q. Les parasites. R. Oui. Lorsque la prothèse auditive est partiellement éjectée, un circuit se produit et la prothèse produit un son fort.

Il est vrai que le port d'appareils auditifs peut compenser la faiblesse d'audition. Le fait est que chaque type d'appareil sert de façons différentes et que certains types sont inefficaces dans certaines circonstances et que les individus qui doivent avoir recours aux appareils auditifs vont fort probablement se trouver, à l'occasion, dans des situations où leur type d'appareils auditifs sera inadéquat.

On a pu constater que dans le cas du caporal Bélanger, témoin du plaignant, la GRC lui a permis d'effectuer du travail plus administratif parce qu'elle a comme politique d'essayer d'accommoder ses effectifs et qu'elle peut aussi compter sur leur plus grande expérience. Cependant, il a été mis en preuve que le caporal Bélanger a réussi à être promu agent spécial "O" uniquement suite à une opération chirurgicale lui ayant permis de retrouver un niveau d'audition H2 sans correction. La situation de M. Patry est nettement différente puisqu'il ne peut pas bénéficier dans son cas d'une intervention chirurgicale puisqu'il ne souffre pas de la même perte d'audition que le caporal Bélanger et il n'y a aucune obligation d'accommodation dans le cas de recrue.

Par conséquent, je suis d'avis que le genre d'activités auxquelles doivent s'adonner un <<gendarme spécial>> à la GRC comporte un risque suffisant de perte ou bris d'appareils auditifs ou d'autres problèmes reliés au port de ceux-ci, pour qu'il soit raisonnable et nécessaire d'établir une norme auditive d'enrôlement reliée à l'audition non corrigée.

6. L'examen individuel

La Commission a également soulevé la question de savoir si les tests d'audition basés uniquement sur l'audiogramme constituaient un moyen approprié de mesurer l'audition par rapport aux fonctions de <<gendarme spécial>>.

On a avancé que l'audiogramme ne permet de mesurer qu'une seule composante de l'audition soit celle sans bruit. Les autres, comme la

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perception et la capacité de localisation d'un son dans le silence et le bruit, l'intelligibilité de la parole dans le bruit, ainsi que l'intelligibilité de la parole binauralement (avec les deux oreilles), qui sont tout aussi importantes, ne sont pas visées par le test en question.

Malgré ce fait, tous les témoins experts ont admis que l'audition est un facteur important qu'il faut prendre en considération même si des épreuves plus perfectionnées étaient effectuées pour mesurer les diverses composantes de l'audition. Tous ont reconnu que la norme d'audition sans appareil constitue une exigence professionnelle normale. Il a été prouvé que les autres organismes utilisent le test d'audiogramme pour établir leurs normes auditives.

Il a été également démontré que la GRC vérifiait d'autres aspects de l'audition, en même temps qu'elle utilise l'audiogramme. On hésite à renoncer au test d'audiogramme parce que les autres méthodes sont difficiles d'application et n'ont pas encore été uniformisées. Faute de standardisation, les recrues pourraient subir des injustices, et le public courir des risques accrus.

Même si des progrès ont été enregistrés dans le domaine de l'analyse de l'audition, nous n'avons malheureusement pas encore atteint le stade où les épreuves traditionnellement utilisées par la GRC et d'autres organismes puissent être mises de côté.

Le docteur Laroche, témoin expert de la Commission, qui préconisait l'utilisation d'autres moyens plus avancés pour déterminer le niveau réel d'audition a reconnu que les tests n'étaient pas même aujourd'hui uniformisés, ce qui a été confirmé par le docteur Schramm, otolaryngologiste à la page 717 des notes sténographiques :

[TRADUCTION]

Q. De plus, elle (Dr Laroche) a dit dans son témoignage que pour déterminer si M. Patry ou un autre postulant pourrait occuper un poste dans la GRC, il était important d'obtenir les renseignements suivants qui n'avaient pas été fournis en l'espèce, c'est-à-dire l'intelligibilité de la parole avec les deux oreilles, l'intelligibilité de la parole dans le bruit et la capacité de localiser des sons dans le silence et dans le bruit. Je demandais si j'avais raison d'affirmer que dans les deux derniers cas -- l'intelligibilité de la parole dans le bruit et la capacité de localiser des sons dans le silence et dans le bruit -- il n'y avait aucun test d'évaluation uniformisé permettant d'obtenir cette information. R. C'est exact. Il existe des tests qui permettent de déterminer ou d'évaluer la discrimination de la parole dans un milieu bruyant. J'ignore s'il existe des tests spécifiques et uniformisés qui sont utilisés régulièrement en clinique pour le faire. Q. Pour les utiliser en clinique, il est nécessaire qu'ils soient normalisés, n'est-ce-pas?

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R. Il faudrait un test uniformisé pour la discrimination de la parole dans un milieu bruyant. Pour effectuer ce test, il faudrait qu'il existe des normes en anglais et en français.

Lorsque j'évalue d'une part la <<suffisance du risque>> et d'autre part, les solutions de rechange dont la GRC dispose pour traiter les candidats individuellement plutôt que collectivement à des fins de sélection je réalise que les normes de la GRC sont justifiées.

Le risque pour le public est réel et important et le rôle des gendarmes réguliers est capital. Il faut donc que cette fonction soit assumée d'une façon compétente et sans compromis parce que les conséquences d'un rendement inférieur à la norme en cas d'attaque pourraient être tragiques. Il n'est ni justifié ni acceptable que le public coure un tel risque. Ce risque est réel et il doit être mesuré en fonction des capacités qu'a la GRC de sélectionner individuellement les candidats quant à leur possibilité de rendement au travail.

35 VIII. CONCLUSION :

La preuve présentée par la GRC répond deux questions fondamentables posées par l'arrêt de principe Etobicoke à savoir premièrement si la norme médicale existante en rapport avec l'audition requise pour l'enrôlement dans la GRC à titre de gendarme spécial est raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution des fonctions sans mettre en danger la sécurité du public et si deuxièmement la norme est liée de façon objective à la tâche.

Je considère selon la preuve faite, que l'intimée a toujours agi honnêtement et de bonne foi, avec la conviction profonde que la restriction a été imposée dans le but d'assurer la bonne exécution du travail, d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique. Par conséquent, l'intimée a satisfait au critère subjectif exposé dans l'affaire Etobicoke.

Il reste maintenant à déterminer en l'espèce, si la norme médicale relative à l'audition applicable à l'enrôlement dans la GRC rencontre la description du <<critère objectif>> énoncé également dans Etobicoke. Suite à une analyse exhaustive des éléments de preuve des pièces de même que de la jurisprudence j'en suis venue aux conclusions suivantes :

  1. Il est nécessaire de prévoir une norme minimale d'audition d'enrôlement dans la GRC fondée sur l'audition non corrigée et spécifiquement dans ce cas-ci puisque la norme minimale H2 est une exigence professionnelle réelle de l'emploi compte tenu des tâches à effectuer par un constable spécial dans les aéroports puisqu'elle permet d'accomplir lesdites tâches.
  2. L'absence d'une telle norme augmenterait les risques courus par les membres individuellement et mettrait en danger la sécurité des policiers, des collègues et du public en général, il s'agit donc d'un risque réel.
  3. Il existe un risque réel et il est directement proportionné aux différentes tâches à être effectuées dans des circonstances particulières par un constable spécial. Par conséquent, il y a un lien évident entre la norme d'audition fondée sur l'audition non corrigée, appliquée par la GRC et la capacité de la recrue d'assurer sa sécurité dans l'accomplissement de ses fonctions sans se mettre indûment en danger ou sans mettre ses collègues ou le public en danger.
  4. La norme médicale minimale d'audition H2 fondée sur l'audition non corrigée, exigée pour l'enrôlement dans la GRC est raisonnable.
  5. Vu le fait que ladite norme d'audition est une exigence professionnelle justifiée, il n'existe aucune obligation d'accommodement de la part de la GRC.
  6. La GRC a également démontré en preuve qu'elle a appliqué des tests d'évaluation individuelle appropriés dans le présent dossier et qu'elle a agi de manière raisonnable dans l'application desdits tests.

En conséquence, je suis satisfaite de la preuve présentée par la GRC et décrète qu'elle répond aux éléments de définition du <<critère objectif>> énoncé dans l'arrêt Etobicoke.

Je conclus donc que l'intimée a établi que la norme minimale d'audition H2 même si elle constitue de la discrimination fondée sur la déficience, est une exigence professionnelle justifiée conformément à l'article 15a) de

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LCDP et ne constitue pas un acte discriminatoire à l'encontre de ladite loi.

Fait à Aylmer (Québec), le décembre 1994


Jacinthe Théberge Présidente
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