Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 17/95 Décision rendue le 18 décembre 1995

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

GORDON NELSON

le plaignant

- et -

MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : J. GORDON PETRIE, c.r., président ONT COMPARU : Gordon Nelson, en son nom propre Margaret Rose Jamieson, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne Michael F. Donovan et le major Randall Smith, avocats de l'intimé

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : 31 mai 1993 au 4 juin 1993 10, 11 et 12 janvier 1994 et 28 novembre 1994 à Fredericton (Nouveau-Brunswick)

TRADUCTION

Gordon Nelson a joint les Forces armées canadiennes le 5 février 1980.

En juin 1983, le soldat Nelson a été frappé par une motocyclette alors qu'il traversait une autoroute à la BFC Chatam.

Cet accident a nécessité dans un premier temps l'amputation de sa jambe droite en-dessous du genou.

Par la suite, il est toutefois apparu nécessaire de procéder à une amputation au-dessus du genou, opération chirurgicale qui fut effectuée en août 1985.

Par suite de l'accident et des opérations chirurgicales subséquentes, le soldat Nelson a été affecté à des catégories médicales parmi celles qui sont créées et utilisées par les Forces.

Le soldat Nelson a commencé à utiliser une jambe artificielle et, en dépit de beaucoup de douleur, il a continué à s'acquitter des fonctions auxquelles il était affecté au sein des Forces.

Le 7 septembre 1983, après un examen à la base de Chatam, le soldat Nelson a été affecté temporairement à la catégorie médicale G404, prescrivant [TRADUCTION] aucune affectation hors siège, aucune affectation ou D.C., aucun service en mer, inapte à suivre le P.T. obligatoire. (Voir la pièce R-8, onglet 32).

Le 7 mars 1984, le soldat Nelson a subi un nouvel examen médical et a été affecté à une catégorie médicale permanente de G304, qui prévoit les restrictions suivantes :

[TRADUCTION]

«inapte au travail physique lourd, à la levée de poids, travaux légers seulement, nécessite une décision du Conseil médical de révision des carrières» (Voir la pièce R-8, onglet 43).

Le 8 novembre 1984, la catégorie du plaignant a été révisée de nouveau, cette fois vers le G304 avec les restrictions suivantes :

[TRADUCTION]

«inapte au service en mer, inapte aux affectations en poste isolé, capable de conduire uniquement des véhicules à transmission automatique, nécessite une décision du Conseil médical de révision des carrières».

En mars 1985, le chef, service de Santé, a finalement révisé comme suit la catégorie du plaignant :

[TRADUCTION]

«G4, inapte aux affectations hors siège, en mer, au sein des FUNU ou dans des postes isolés du point de vue médical, nécessite la présence de services médicaux à proximité; 03, capable de conduire des véhicules à transmission automatique uniquement, incapable de courir, formation P.T. à son propre rythme». (Voir la pièce R- 8, onglets 57 et 58).

La qualification médicale du soldat Nelson a été révisée par le groupe du Directeur, Carrières militaires (PNO) (DCMP), qui a conclu que le plaignant était physiquement capable de remplir 25 % des postes de son rang et de sa spécialité actuels (conducteur de matériel mobile de soutien [conducteur MMS]) et 27 % des postes de l'échelon suivant. (Voir la pièce R-3, la pièce 9, onglet 61).

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Enfin, le Conseil médical de révision des carrières (CMRC) a rendu la décision suivante, en mai 1985, au sujet du soldat Nelson :

[TRADUCTION]

Le Conseil a conclu qu'il n'avait d'autre choix que de libérer le soldat Nelson en vertu des dispositions des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, article 15.01, alinéa 3b), pour des raisons de santé, ce dernier étant invalide et inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi, et ne pouvant pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présentes politiques des Forces armées. Il doit prendre son congé permanent le 19 août 1985, ou avant s'il le désire. (Voir la pièce R-9, onglet 62)

Le soldat Nelson est demeuré au sein des Forces et, comme cela a été mentionné, il a subi d'autres opérations chirurgicales.

Au cours de ce mois, il a aussi présenté un grief selon la procédure de règlement des griefs au sein des Forces (pièce HR-16). Dans son grief, le plaignant a reconnu ne pas pouvoir être employé intégralement dans la spécialité de conducteur MMS, mais il a demandé aux Forces d'intervenir pour l'affecter à une autre spécialité.

Le plaignant a en outre prétendu que sa libération était discriminatoire et fait référence à un autre membre des Forces frappé par une déficience semblable qui était demeuré au sein des Forces.

Le grief mentionne en outre expressément que le soldat Nelson était capable de conduire des véhicules avec transmission automatique, dont des autobus de 40 passagers.

Après avoir reçu la première réponse à son grief, le soldat Nelson a présenté une nouvelle soumission le 13 décembre 1985 (HR-17). Il a soulevé dans cette soumission un point qui est demeuré une véritable préoccupation pour lui durant toute cette longue affaire, à savoir que ceux qui le classent dans une catégorie médicale soient des personnes qui aient une connaissance pratique de ses capacités.

Je dois dire en passant que la position du plaignant présente un intérêt certain. Comme il est couramment reconnu que des personnes diverses peuvent surmonter des déficiences semblables de différentes manières, le classement dans des catégories médicales devrait être fondé, en partie, sur la connaissance des capacités de chaque personne à surmonter le problème.

Dans cette soumission, le soldat Nelson a aussi soulevé la possibilité qu'avec la nouvelle jambe artificielle qu'il devait recevoir, il serait

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prématuré de le retirer des Forces tant qu'il n'aurait pas eu l'occasion d'être examiné avec cette nouvelle prothèse.

Son grief a finalement été entendu par le Général P. D. Manson, pour le Chef d'état-major de la défense (pièce HR-18), le 20 mars 1987.

Je cite un extrait de cette réponse, aux paragraphes 2 à 6 :

[TRADUCTION]

2. Dans votre demande originale, vous avez exprimé votre conviction de ne pas être aussi limité dans votre emploi que ce qu'indiquait votre catégorie médicale. En outre, vous avez affirmé que la décision de procéder à votre libération était discriminatoire puisque vous connaissez un adjudant à la BFC Greenwood qui a perdu une jambe au-dessus du genou lorsqu'il était Cpl mais à qui on a néanmoins permis de demeurer au sein des Forces canadiennes et qui vient même d'être promu au rang d'adjudant. Vous avez demandé pourquoi on ne pouvait vous donner la même chance que lui. Après avoir reçu la réponse du Cmdt C Air à votre grief, vous avez déclaré être prêt à vous recycler dans une autre spécialité, et vous avez souligné que votre capacité physique avec votre nouvelle jambe n'avait pas encore été déterminée.

3. Comme vous l'a souligné le Cmdt C Air, la décision prise à l'égard de l'adjudant que vous avez mentionné dans votre requête a été prise il y a plus de vingt ans et, depuis, d'importants changements ont vu le jour à la fois en ce qui a trait aux exigences du Service et aux critères sur lesquels est jugée la condition physique relativement aux décisions de garder, de recycler ou de libérer un membre. Les situations changent en effet et, au cours des dernières années, il est devenu de plus en plus évident que les spécialités de soutien ont été surchargées avec du personnel handicapé du point de vue médical. Le fait de retenir les membres qui ne peuvent détenir des postes de plein emploi donne lieu à une proportion inéquitable d'affectations de membres totalement employables à des postes isolés et à des unités hors siège opérationnelles tandis que les membres handicapés doivent être affectés à des unités et à des bases statiques. En pareil cas, les commandants des postes et bases statiques se sont vu limités dans leur possibilité d'affecter des troupes à des tâches exigeantes sur le plan physique et essentielles liées à la défense des bases, au contrôle des foules, au soutien au pouvoir civil et à d'autres urgences réelles ou simulées. Par conséquent, la politique actuelle du Service, qui reflète les besoins des Forces canadiennes, est que la possibilité de retenir un membre handicapé du point de vue médical à son code de groupe professionnel militaire (CGPM), ou de le recycler vers un autre CGPM, peut être examinée si les limites et les restrictions découlant de sa condition physique sont de nature à ne pas limiter de façon importante la capacité du

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membre de s'acquitter des tâche militaires fondamentales auxquelles tout membre, et plus particulièrement un membre subalterne, peut être affecté.

4. A la suite du réexamen de votre condition physique améliorée au début de 1986, il est vrai que votre catégorie médicale a été rehaussée, et qu'à cette période vous avez obtenu un profil médical moins restreint de G2M 03, avec les limites suivantes:

G2M - inapte aux missions en mer 03 - capable de conduire uniquement des véhicules avec transmission automatique - incapable de courir - PT à son propre rythme.

5. Le Chef, service de Santé, a réexaminé votre dossier du point de vue médical et m'a assuré que votre catégorie médicale et les limites en résultant qui sont énumérées plus haut correspondent à votre condition physique. Je ne puis voir aucune raison de ne pas être d'accord. Toutefois, en dépit de la majoration de votre catégorie médicale, le fait est que vous ne pouvez toujours être employé qu'à moins de 60 % dans le CGPM de conducteur MMS en raison de vos limites. Même si le facteur médical géographique (G) prévoit seulement que vous êtes inapte aux missions en mer, en raison de vos limites relatives au facteur médical occupationnel (O), votre emploi dans un bataillon de service ou dans toute autre unité hors siège serait très restrictif, et vous éprouveriez beaucoup de difficulté à compléter ou le cours TQ5 du conducteur MMS ou le cours de chef subalterne.

6. A mon avis, le fait de vous fournir un emploi limité et de faveur pour accommoder les limites résultant de votre condition physique n'est pas juste pour les membres des FC qui peuvent être employés intégralement et entraîne un effet négatif sur l'efficacité opérationnelle des Forces. En outre, je crois que les facteurs G et O et les limites qui vous ont été attribuées correspondent adéquatement à votre condition physique. Par conséquent, je considère que la décision de procéder à votre libération des Forces canadiennes ne constitue ni de l'abus d'autorité, ni de l'injustice, ni quelque autre forme de mauvais traitement. Par conséquent, et avec regret, je dois vous refuser la réparation que vous demandez.

Il est intéressant de noter aussi que le CMRC a réexaminé les capacités du soldat Nelson le 11 juin 1986, et conclu qu'il était capable

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de s'acquitter de 47 % des postes de son rang et de sa spécialité actuels, et 64 % des postes de l'échelon suivant. (Voir la pièce R-9, onglet 109).

Le 11 juin 1986, une deuxième conclusion du CMRC a été communiquée, laquelle était fondée sur de nouvelles évaluations et de nouveaux examens du soldat Nelson. La conclusion figurant à la pièce R-9, onglet 110 portait :

[TRADUCTION]

Le cas du soldat Nelson a été réexaminé à la lumière de la référence A. Toutefois, ses limites occupationnelles ne se sont pas suffisamment améliorées pour permettre qu'il soit maintenu au sein des Forces.

Il est considéré comme inapte à la spécialité de conducteur MMS, et comme son incapacité l'empêche d'accomplir nombre des tâche militaires habituelles (DGPNO), exigées pour tout le personnel subalterne sans égard à la spécialité, il ne peut malheureusement pas être recyclé dans une autre spécialité au sein des Forces.

La date du congé de fin de service avait été reportée durant la période de 1985 et 1986. La date du départ a finalement été fixée au 7 juillet 1986, ou plus tôt si la personne visée le souhaitait.

Le plaignant a choisi le 25 juin 1986 comme date de fin de service et, comme le soulignent les avocats de l'intimé, il a ainsi pu obtenir le paiement d'une partie de son salaire pendant deux ans. J'ajouterais que je ne crois pas que ce fait ait quelque incidence; en effet, ce fait montre simplement que le soldat Nelson connaissait les avantages de l'appartenance aux Forces canadiennes lorsqu'il a dû faire face à sa libération en raison d'une invalidité.

L'intimé a produit un grand nombre d'éléments de preuve, dont des vidéos décrivant les fonctions et les exigences physiques des membres des Forces canadiennes en général et de la spécialité de conducteur MMS en particulier.

En outre, on a soumis au Tribunal un grand nombre d'éléments de preuve de nature médicale décrivant les incapacités découlant d'une amputation au- dessus du genou et des types d'activités physiques qui ne peuvent être accomplies par les personnes souffrant de ce type d'incapacité.

Il est une conclusion qui ressort clairement de tous ces éléments de preuve : Gordon Nelson était un membre des Forces canadiennes qui prenait ses fonctions au sérieux et qui faisait complètement preuve d'attachement et d'amour à l'endroit de la vie dans les Forces.

Bien franchement, il me semble évident, à partir de la preuve, que son retrait forcé des Forces canadiennes était une question qui a blessé profondément le soldat Nelson en raison de son attachement à cette institution.

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L'on peut, selon moi, retrouver une description juste du plaignant dans la pièce HR-22, lettre de recommandation aux employeurs éventuels rédigée par le major Stinson et portant :

[TRADUCTION]

A QUI DE DROIT

Gordon Warner Nelson a joint les Forces canadiennes (Force régulière) en février 1980, a suivi l'instruction des recrues à Cornwallis (N.É.), a reçu la formation de conducteur militaire à Borden (Ont.), a été affecté à la présente Section en août 1980 et y a fait son service jusqu'à sa libération honorable des Forces en juin 1986. En juin 1983, Gord a été grièvement blessé dans un accident de la route et sa jambe droite a dû être amputée au-dessus du genou. Au cours des trois dernières années, il s'est remis de cette blessure autant que le permettent les efforts difficiles et douloureux et la technologie de pointe en matière de prothèses. En dépit de plusieurs opérations chirurgicales et du degré considérable de frustration qu'entraîne la lenteur du processus de guérison et d'apprentissage de l'utilisation de sa jambe artificielle, il n'a jamais abandonné, il a toujours conservé son enthousiasme et il est demeuré un membre actif du personnel de notre section. Il a été entraîneur de l'équipe de hockey de la section, lanceur d'une équipe de balle molle et un membre actif et apprécié du comité d'activités sociales de la section.

Au cours des trois dernières années, Gord a conservé son permis de conduire provincial. Il a aussi été autorisé à reprendre la conduite de véhicules militaires dans les catégories de véhicules de transport léger et moyen et les véhicules de passagers allant de la berline à l'autobus de 40 passagers. Tous ces véhicules ont une transmission automatique. Il n'a pas encore développé suffisamment de dextérité avec sa jambe droite pour pouvoir conduire des camions avec transmission manuelle. En ma qualité de responsable des permis de conduire militaires, je me suis assuré que Gord soit examiné avec une attention particulière. Il n'a pas eu de difficulté et il a passé les tests haut la main. Lorsqu'il n'était pas occupé à conduire, il accomplissait de petites tâches dont il s'acquittait bien.

En termes clairs, Gord aime le Service et il ne voulait pas partir. Son degré d'invalidité est toutefois tel qu'il ne peut s'acquitter de toute la gamme des tâches exigées des membres des Forces canadiennes de son rang, peu importe la spécialité; il a donc dû être libéré.

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Je connais cet homme depuis cinq ans. Je l'ai vu lutter, persévérer et réussir à réduire, dans la mesure où cela lui était possible, l'incapacité imposée par sa jambe artificielle. Au cours du processus, il a aussi beaucoup mûri. J'admire son courage et je respecte ses efforts. Je le recommande à tout employeur à la recherche d'un homme qui peut apprendre, qui n'a pas peur de donner sa pleine mesure au travail et qui n'abandonne pas.

Le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne

Avant de trancher la présente plainte, il me faut aborder la question du rôle de la Commission.

Comme dans la plupart des plaintes qui se rendent jusqu'à l'étape de l'audience devant le tribunal, la Commission, par l'intermédiaire de Me Jamieson, s'est chargée de la poursuite de la présente procédure; elle a procédé à l'interrogatoire principal des témoins, rassemblé les éléments de preuve documentaire et contre-interrogé les témoins de l'intimé.

Le soldat Nelson, qui n'a pas de formation juridique, a joué un rôle subsidiaire et il s'est manifestement fié à l'avocate de la Commission.

Alors qu'il ne restait qu'un témoin à entendre à l'audience, Me Jamieson a avisé le tribunal qu'elle avait reçu ordre de se retirer en sa qualité d'avocate de la Commission canadienne des droits de la personne et de cesser toute participation supplémentaire à l'audience.

Cet ordre était apparemment fondé sur une décision arrêtée dans une affaire semblable, dans laquelle la Commission avait joué un rôle à titre de participante.

Toutefois, le retrait de l'avocate dans les circonstances de l'espèce a non seulement retardé la conclusion de la présente audience, mais aussi placé le soldat Nelson dans une position intenable. Il lui fallait soit retenir les services d'un avocat, avec tous les coûts que cela implique, soit parachever lui-même les procédures en dépit de ses connaissances limitées dans un domaine qui lui était étranger.

Puisqu'un tribunal doit être établi pour procéder à une audience sur demande de la Commission, je suis toujours d'avis que le retrait inopportun de l'avocate de la présente procédure était injuste, peu judicieux et extrêmement préjudiciable au plaignant.

Bien que ma compétence se limite manifestement à la réparation de la présente affaire, je recommanderais fortement à la Commission de ne procéder au retrait d'un avocat dans des circonstances semblables que lorsque des arrangements financiers ont pu être pris avec le plaignant pour lui permettre de terminer la procédure engagée.

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Franchement, je n'ai pas reçu d'explication raisonnable pour le retrait de l'avocate dans la présente procédure alors qu'il ne restait plus qu'un témoin à entendre. Dans les circonstances, les actions de la Commission était absurdes.

La décision

Le plaignant prétend que les actions par lesquelles l'intimé a mis fin à son emploi au sein des Forces canadiennes constituent une violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir la prétendue violation de l'article 10.

Les questions de droit à trancher dépendent par conséquent des articles 7 et 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui portent :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi. 1976-77, ch. 33, art. 7; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 3.

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

  1. les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

Il est reconnu par les parties que la déficience est un motif de distinction illicite. L'intimé admet que s'il ne peut établir l'existence d'exigences professionnelles justifiées en vertu de l'article 15, la plainte est valide.

Il prétend que ses actes sont conformes à l'article 15.01 du Chapitre 15 autorisé par la Loi sur la défense nationale. Le pouvoir particulier est énoncé à l'alinéa 3b), qui prévoit la libération pour des raisons de santé lorsqu'il est établi par des examens que la personne est invalide et inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi, et qu'elle ne peut pas être employée à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présentes politiques des Forces armées. (Voir la pièce R-2).

En bref, l'intimé prétend que la libération du soldat Nelson à cause d'une amputation de la jambe au-dessus du genou constitue une exigence professionnelle justifiée pour un membre des Forces canadiennes.

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Dans son argumentation, Me Donovan souligne que des décisions antérieures de même nature ont conclu que la libération médicale d'un membre des Forces en raison d'une déficience physique constitue une discrimination directe. Se reporter aux décisions Bouchard c. Canada (Forces armées) 15 CHRR D/362 et Michaud c. Forces armées canadiennes, sept. 1993.

La définition de discrimination directe figure dans l'arrêt Commission des droits de la personne de l'Alberta c. Central Alberta Dairy Pool [1990] 2 R.C.S. 489, (1990) 72 D.L.R. (4th) 417, à la p. 428, où sont cités les motifs du juge McIntyre :

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. A cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir. En l'espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. [...] Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.

Si la décision en litige constitue de la discrimination directe et qu'elle n'est pas autrement justifiable à titre d'exigence professionnelle justifiée, elle sera annulée.

Dans l'arrêt Central Alberta Dairy, précité, la Cour suprême du Canada a établi une différence entre la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en ce qui a trait à l'obligation d'accommodement.

Dans la deuxième situation, l'employeur doit satisfaire à une norme judiciaire d'accommodement, à défaut de quoi le tribunal peut conclure qu'il y a violation de la loi applicable.

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En revanche, si la règle de travail est jugée constituer de la discrimination directe et que l'employeur établit qu'il s'agit d'une exigence professionnelle justifiée, il n'est tenu à aucune obligation d'accommodement.

En l'espèce, il est manifeste que la catégorie à laquelle on attribuera la décision de l'intimé de libérer le soldat Nelson en raison de sa déficience deviendra un facteur déterminant pour les points en litige, si l'intimé a établi son moyen de défense fondé sur l'existence d'une exigence professionnelle justifiée.

Même si j'hésite quelque peu à qualifier la libération du soldat Nelson de discrimination directe, je suis persuadé que les précédents jurisprudentiels en cette matière pointent dans cette direction.

Mon hésitation s'explique par le fait qu'il n'existe aucune position de politique claire stipulant que tous les membres souffrant d'une déficience seront retirés des Forces. En fait, on a fait mention dans la preuve de certaines exceptions, même si elles semblent assez limitées.

Je suis toutefois convaincu, à partir de la preuve et des argumentations, que l'intimé a établi l'existence d'une exigence professionnelle justifiée.

La capacité des membres des Forces canadiennes de s'acquitter de toutes les tâches des membres réguliers exige, à mon avis, une capacité physique que le soldat Nelson est, malgré ses meilleurs efforts et son désir le plus sincère, incapable de d'avoir.

L'intimé a en outre attiré mon attention sur les décisions Canada c. Robinson (1994) 170 N.R. 283 (C.A.F.), Procureur général du Canada c. St. Thomas et autres (1993) 109 D.L.R. (4th) 471 (C.A.F.), et Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes (Husband) (1994) 114 D.L.R. (4th) 721 (C.A.F.).

A mon avis, ces décisions appuient la position adoptée par l'intimé en ce qui a trait à la fois aux tests et au rôle du soldat.

En dernière analyse, donc, je conclus que le soldat Nelson a fait l'objet de discrimination directe à l'égard de sa libération comme membre des Forces canadiennes. Toutefois, l'intimé a établi que cette libération était fondée sur une exigence professionnelle justifiée .

La plainte est par conséquent rejetée.

Fait le 8 novembre 1995.

J. GORDON PETRIE, c.r., président

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