Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 18/ 89 LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

(L. R. C. 1985, ch. H- 6 version modifiée) DANS L’AFFAIRE d’une audience tenue devant un tribunal d’appel des droits de la personne constitué en vertu du paragraphe 42.1( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE BONNIE ROBICHAUD

appelante (plaignante) et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission et DENNIS BRENNAN ET SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE CONSEIL DU TRÉSOR intimés DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL DEVANT: Lois Dyer- Mann, présidente

Paul Mullins Wendy Robson

ONT COMPARU: Marguerite Russel, avocate de l’appelante Donald J. Rennie et Alain Préfontaine, pour les intimés

James Hendry, Cheryl Crane et Patricia Lindsey Peck, avocats de la Commission

Andrew Raven, avocat pour l’Alliance de la fonction publique du Canada

Appel entendu à Ottawa (Ontario), du 28 au 30 novembre 1988, du 30 janvier au 1er février 1989, les 6 et 7 février 1989, du 13 au 15 juin 1989 et les 17 et 18 juillet 1989.

Cette décision est un supplément à la décision du Tribunal d’appel numéro D. T. 4/ 83 rendue le 21 février 1983.

> - 2 - INTRODUCTION

L’historique de cette affaire est exceptionnellement long en raison du grand nombre d’audiences et d’appels devant les tribunaux et les cours de justice. Puisque M. le juge La Forest a brièvement, dans sa décision, examiné les faits qui ont mené l’affaire devant la Cour suprême du Canada, nous n’exposerons que ceux qui sont survenus par la suite. (Voir Bonnie Robichaud et la Commission canadienne des droits de la personne c. Sa Majesté la Reine, représentée par le Conseil du Trésor, (1987) 2 R. C. S. 84, p. 87 et 88.)

Après les audiences tenues devant le tribunal, Mme Robichaud a continué de travailler à la BFC de North Bay, et M. Brennan, le superviseur et l’auteur du harcèlement, a continué d’exercer ses fonctions d’autorité. Selon Mme Robichaud, les conditions d’emploi sont demeurées difficiles en raison de la présence et de l’influence de M. Brennan. En février 1984, elle a accepté un détachement à l’arsenal de Troy sans conserver cependant ses anciennes fonctions de supervision. Par suite de son affectation à l’arsenal, elle a déposé trois griefs dont la totalité a été rejetée. Toutefois, par la suite, la Commission de la fonction publique a fait enquête et lui a donné gain de cause. Finalement, elle a demandé de retourner à la base, ce qui lui fut accordé au début de mars 1985.

A son retour à la base, elle a été convoquée pour rencontrer le major Growen et Ken Wilkinson, qui devait être son superviseur immédiat. Pendant cette rencontre, on l’a accueillie puis on lui a conseillé de ne pas discuter des questions faisant l’objet de la procédure dont le tribunal était saisi. A la fin d’avril 1985, divers incidents se sont produits qu’elle a considérés comme de l’insubordination de la part de son personnel, mais pour lesquels elle a plutôt elle- même été réprimandée. Elle a pris un congé de maladie de vingt- cinq jours. Pendant cette période, elle a obtenu l’autorisation d’en appeler devant la Cour suprême du Canada. Encouragée par cette nouvelle, elle est retournée au travail le 28 mai 1985.

Plusieurs incidents, qui étaient surtout des altercations avec ses collègues, se sont produits les deux premiers jours suivant son retour et ont entraîné sa suspension sans traitement. Ce n’est que pendant sa suspension relative à ces altercations qu’on lui a annoncé la suspension de Brennan deux jours auparavant. Ses collègues n’avaient pas été informés de ce qui arrivait, de sorte qu’ils puissent se préparer au retour de Mme Robichaud sur les lieux de travail. Par la suite, M. Brennan a été renvoyé le 29 juin 1985, mais cette nouvelle n’a été communiquée à Mme Robichaud qu’à l’automne 1988, après que le tribunal eut repris ses séances.

Le 4 juin, on lui a demandé de se présenter pour une évaluation psychiatrique à Santé nationale et Bien- être social. Son syndicat,

> - 3 -

l’Alliance de la fonction publique du Canada, a déposé des plaintes en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Au cours d’une enquête qui s’est terminée en juillet, la Commission de la fonction publique a confirmé un grand nombre de ses griefs ou plaintes, ainsi que le fait qu’elle devait rentrer au travail le 9 septembre 1985; la Commission lui a accordé son salaire rétroactif.

Cette décision a mené aux négociations survenues entre ao t et octobre 1985, auxquelles participaient l’employeur, Mme Robichaud, son syndicat (AFPC) ainsi que la Commission de la fonction publique. Cette dernière avait recommandé ces négociations dans son rapport (pièce C1).

Le 19 ao t 1985, l’Alliance, les représentants syndicaux et Mme Robichaud ont signé une entente provisoire manuscrite. Un projet plus officiel a été présenté le 17 octobre 1985, que Mme Robichaud et son avocate ont examiné mais rejeté parce qu’il ne protégeait pas son droit de demander à la Cour suprême de statuer sur la question de la responsabilité de l’employeur relativement à la violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Un autre projet d’entente a été signé le 31 octobre

1985. Pendant toute la période en cause, Mme Robichaud recevait l’aide et l’appui de son syndicat et elle était conseillée par son avocate. Son objectif principal était de faire en sorte que les autres femmes ne puissent être harcelées dans leur milieu de travail. Elle était libre de continuer son combat devant la Cour suprême du Canada pour ce qui est de la responsabilité de l’employeur (son objectif d’intérêt public) tout en jouissant des avantages d’un règlement personnel.

Voici le libellé de l’entente privée qui a été conclue: [TRADUCTION]

ENTENTE ENTRE BONNIE ROBICHAUD ET LE MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE

Les parties conviennent de ce qui suit: I. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministère de la

Défense nationale, accordera à Mme Bonnie Robichaud un congé payé de trois ans qui commencera à la date de signature de la présente entente. Si, au cours de cette période, Mme Bonnie Robichaud s’inscrit à un cours donné en bonne et due forme à un établissement d’enseignement reconnu au Canada, elle sera remboursée de ses frais réels de scolarité et du prix réel des livres dont elle a besoin pour

> - 4

le cours. II. En contrepartie de ce qui précède, à la fin de son congé, Mme Robichaud

convient d’accepter une mutation effectuée par l’entremise de la Commission de la fonction publique, de son poste actuel à un poste de même niveau salarial, qui ne relèvera pas du ministère de la Défense nationale.

Si Mme Robichaud doit quitter la région de North Bay en raison de la mutation susmentionnée, tous les frais engagés en raison du déménagement seront à la charge de l’employeur.

Mme Bonnie Robichaud convient également de ce qui suit: III. Retirer:

1. a) sa plainte présentée en vertu de l’article 45 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

b) sa plainte présentée en vertu de l’article 20 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

c) avec l’assentiment de l’Alliance de la fonction publique du Canada, la plainte présentée en vertu de l’article 98 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

et 2. Accepter que l’indemnisation prévue au paragraphe I de la présente entente constitue l’indemnisation intégrale et finale à laquelle elle a droit par suite de la plainte déposée contre M. Brennan et le ministère de la Défense nationale dans laquelle elle avait allégué le harcèlement sexuel.

IV. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministère de la Défense nationale, Mme Bonnie Robichaud et l’Alliance de la fonction publique du Canada conviennent par les présentes que le texte suivant sera la seule communication publique faite relativement à la présente entente:

[Traduction]

"Le ’une date spécifiée’, Mme Bonnie Robichaud et le ministère de la Défense nationale en sont arrivés à une entente sur

toutes les plaintes déposées par Mme Robichaud par suite de sa plainte initiale de harcèlement sexuel contre son superviseur, M. Brennan, et le ministère de la Défense nationale."

> - 5 V. L’inobservation des modalités du paragraphe IV des présentes annulera la

présente entente. VI. La présente entente n’empêche pas la Commission canadienne des droits de la

personne ni toute autre partie aux présentes de poursuivre cette affaire dont est actuellement saisie la Cour suprême du Canada.

Conformément à cette entente, Mme Robichaud a fréquenté l’école pendant deux ans. Elle n’a pas terminé la troisième année parce qu’elle a subi plusieurs facteurs de stress. Elle se préoccupait également du fait qu’elle aurait à quitter North Bay afin de pouvoir continuer à travailler dans un autre service gouvernemental. Ses frais de déménagement n’ont pas été remboursés en raison d’un conflit sur la façon de les calculer. La période de trois ans pendant laquelle elle recevait son plein salaire s’est

terminée le 31 octobre 1988. Mme Robichaud avait reçu plusieurs offres

d’emploi, mais à la fin des présentes audiences, elle n’avait encore accepté, à notre connaissance, aucune offre permanente et satisfaisante.

En premier lieu, le présent tribunal doit décider s’il a le pouvoir d’examiner et d’annuler l’entente à la demande de l’une des parties. Dans l’affirmative, nous devons décider si les circonstances ou les modalités de l’entente nous obligent à le faire. Enfin, nous devons décider quels redressements il convient d’ordonner à ce moment- ci, après autant de temps.

A. COMPÉTENCE Nous nous fondons surtout sur la décision ferme et sans équivoque rendue par la Cour suprême du Canada dans cette affaire.

M. le juge Gerald La Forest a commencé son analyse par une étude de l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’article qui énonce l’objet de la Loi. Voici ce qu’il a dit à cet égard:

"Il vaut la peine de répéter que, de par son texte même, la Loi (à l’art. 2) vise à donner effet au principe de l’égalité des chances pour tous en supprimant les distinctions injustes. Son but premier n’est pas de punir ceux qui pratiquent la discrimination [...] Au contraire, la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables..."( p. 90)

Tout doute qui pourrait subsister à cet égard est complètement dissipé par la nature des redressements prévus pour donner effet aux principes et aux politiques énoncés dans la Loi. Cela est d’autant plus révélateur que la Loi, nous l’avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. (p. 92)

> - 6 Le juge La Forest a examiné les redressements prévus par la Loi, étudiant en particulier les paragraphes 41( 2) et (3). Il a dit ce qui suit, à la p. 93:

"Il me paraît évident que les objectifs réparateurs de la Loi perdraient toute leur valeur si les redressements énumérés ci- dessus ne pouvaient pas être obtenus contre l’employeur."

Le juge La Forest a adopté le raisonnement suivi par le juge MacGuigan (dissident): - Qui d’autre que l’employeur pouvait ordonner les programmes dans le milieu de travail? Qui d’autre que l’employeur pouvait ordonner l’indemnisation du salaire perdu et des frais engagés?

En fait, si la Loi s’intéresse aux effets de la discrimination plutôt qu’à ses causes (ou motifs qui la sous- tendent), force est de reconnaître que seul l’employeur peut remédier à des effets peu souhaitables; seul l’employeur est en mesure de fournir le redressement le plus important, celui d’un milieu de travail sain.[...] La conception d’un régime de responsabilité plus restreint aurait pour effet non seulement de faire perdre toute valeur aux objectifs réparateurs de la Loi, mais en même temps d’annuler les objets éducatifs qu’elle comporte. (p. 94)

Le présent tribunal est lié par le raisonnement qu’a formulé de façon si claire le juge La Forest, au nom de la Cour. Les objectifs généraux de la Loi visent à servir l’intérêt public du pays selon lequel les actes discriminatoires violent les intérêts tant publics que privés. Nous devons prendre en considération les intérêts plus étendus visés par la Loi et examiner les redressements qui s’offrent à nous afin d’assurer tant l’atteinte des objectifs éducatifs que le respect des interdictions posées.

Dans le dernier paragraphe de la décision, M. le juge La Forest a indiqué que la Cour savait qu’un règlement était intervenu avec Mme Robichaud, mais qu’il se pouvait que cela ne résolve pas entièrement le problème décelé. La Cour, n’ayant pas en main les modalités du règlement, n’a pu examiner. Elle a bien précisé que, malgré l’existence d’un règlement privé, le tribunal d’appel avait peut- être encore à examiner l’affaire pour s’acquitter pleinement du mandat confié par la Loi. Elle a rétabli la décision du tribunal d’appel et nous a donc renvoyé l’affaire pour que nous rendions une décision finale au sujet des dommages- intérêts.

> - 7 L’avocate de Mme Robichaud nous a demandé d’annuler l’entente. Elle fonde son argument sur des allégations de contrainte et des questions d’intérêt public. Elle prétend que l’entente est contraire à l’intérêt public en raison de la disposition de non- divulgation et de l’absence d’excuses.

L’avocat du MDN a soutenu que l’entente représentait un accord obligatoire, valide et légalement exécutoire, réglant de façon définitive toutes les questions découlant de la plainte de harcèlement sexuel présentée par Mme Robichaud.

Dans une certaine mesure, nous sommes d’accord avec ces arguments. Il s’agit effectivement d’une entente valide, obligatoire et exécutoire. Nous estimons que les arguments avancés par Mme Robichaud, selon lesquels l’entente a été conclue sous la contrainte, par suite de l’exercice d’un abus d’autorité, en l’absence des services adéquats d’un avocat et par suite de l’exercice de pressions indues, ne sont pas convainquants. Mme Robichaud a elle- même déclaré clairement dans son témoignage qu’elle avait toujours été représentée par un avocat, qu’elle avait été conseillée et appuyée par l’AFPC et avait reçu de temps à autre les conseils amicaux de Mme Marguerite Ritchie. Selon ses propres termes, Mme Robichaud s’est déclarée satisfaite des modalités de l’entente, qui lui permettaient de saisir la Cour suprême du Canada de la question de la responsabilité de l’employeur, sujet qui lui tenait vraiment à coeur. M. Scott MacLean, l’avocat de Mme Robichaud à cette époque, avait jugé le règlement généreux, peut- être même meilleur que ce que lui- même aurait pu obtenir. Nous ne pouvons annuler l’entente pour les motifs invoqués.

B. REDRESSEMENTS PRÉVUS PAR LA LOI Par. 41.( 2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire

a) de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment

(i) d’adopter les programmes, plans ou arrangements spéciaux visés au paragraphe 15( 1), ou

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l’article 15.1;

ces mesures doivent être prises après consultation de la Commission sur leurs objectifs généraux;

b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a

> - 8 privée; c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; et

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou

b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire,

peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars.

Le présent tribunal a examiné les redressements sous deux aspects: ceux qui servent un objectif d’intérêt public étendu dans les mesures correctives qu’ils offrent et ceux qui sont destinés à réparer les préjudices moraux (de nature privée). Les alinéas 41( 2) a), b) et c) et 41( 3) a) et b) servent l’intérêt public par les facteurs dissuasifs qu’ils présentent pour les employeurs ou par les moyens éducatifs par lesquels les employés sont prévenus contre des questions comme un milieu de travail malsain ou les relations de pouvoir et de vulnérabilité existant entre le superviseur et le supervisé. Ces éléments réparateurs de la Loi visent à guider l’intérêt public comme l’intérêt privé: le grand public doit savoir que la Loi ne tolérera pas certains comportements et punira les employeurs, qui ont l’obligation de respecter la Loi, alors que le justiciable qui peut avoir été victime d’un milieu de travail malsain ou d’un autre acte discriminatoire peut demander un redressement personnel.

Afin que le tribunal puisse s’acquitter de ses fonctions prévues par la Loi, nous devons examiner les modalités de l’entente pour nous assurer que celle- ci résout entièrement (pour reprendre l’idée du juge La Forest) les questions d’intérêt public en cause dans la présente affaire. Nous estimons que le règlement met un terme de façon concluante à la question des redressements de nature privée. Nous croyons inutile d’annuler

l’entente privée afin d’assurer le respect de l’intérêt public visé à l’article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Par conséquent, nous n’examinerons pas les réclamations portant sur > - 9 les garanties d’emploi, les frais de déménagement, le temps personnel, l’intérêt et les frais. Pour ce qui est des questions des souffrances et des excuses, nous y voyons là un amalgamme des intérêts privé et public et nous nous prononçons sur celles- ci.

C. LES PROGRAMMES OU PLANS PRÉVUS A L’ALINÉA 41( 2) a) La preuve nous a persuadés que le MDN a, depuis le début des années quatre- vingt, réagi de diverses façons à la conclusion de discrimination. Il a établi des programmes et pris diverses mesures afin de sensibiliser davantage ses employés au sujet des formes de discrimination. Il a distribué des brochures, posé des affiches de renseignements et publié des articles dans des bulletins internes expliquant les diverses formes de discrimination, notamment le harcèlement sexuel. Il a décrit les types de comportements prohibés et spécifié clairement les dispositions de la Loi en cause. Il a établi et fait connaître la marche à suivre pour présenter des plaintes et indiqué la façon dont elles sont traitées.

Les membres du présent tribunal recommandent de soutenir les gains impressionnants réalisés dans le cadre des programmes et des plans relatifs aux formes de discrimination et incite le MDN à poursuivre les mesures louables prises jusqu’à ce jour. Nous lui conseillons vivement de poursuivre ses activités de sensibilisation et ses programmes afin que l’on puisse comprendre et appliquer de façon uniforme les règles pertinentes à l’avantage tant des employés que de l’employeur. Il nous est impossible d’évaluer l’efficacité de ces mesures à l’heure actuelle. Nous ne rendrons aucune ordonnance à cet égard.

Un milieu de travail plus sain, qui était l’objectif fondamental que s’était fixé Bonnie Robichaud dans cette affaire, ne sera pas perdu. Nous estimons que le but poursuivi par Mme Robichaud, c’est- à- dire la création d’un milieu de travail sain, est atteint. En raison de son acharnement et de ses sacrifices personnels dans la poursuite de cette affaire, alors qu’un individu moins déterminé aurait abandonné, tous les employés où qu’ils soient au Canada en ont profité.

Même si nous avons jugé que l’entente privée avait réglé les réclamations de nature financière, l’alinéa 41( 3) b), qui porte sur les souffrances, va au- delà d’un simple droit privé. Son objectif premier est de signaler la condamnation par la société des actes discriminatoires. Il ne vise pas à accorder une indemnisation intégrale par l’adjudication de dommages- intérêts pour les souffrances subies par la victime. Nous estimons que l’adjudication, en vertu de cet article, d’une somme d’argent n’est pas interdite du fait du règlement de nature privée intervenu entre les parties.

> - 10 Pour déterminer ce montant, le tribunal a considéré les facteurs

suivants, notamment: a) le fait d’avoir singularisé Mme Robichaud en déclassant les fonctions de son poste;

b) le fait de ne pas avoir surveillé le comportement de M. Brennan afin de l’empêcher de tenter d’influencer les témoins avant l’audience du tribunal de première instance;

c) le fait de ne pas avoir préparé Mme Robichaud et ses collègues à son retour au travail, deux jours après le renvoi de M. Brennan;

d) le fait de ne pas, même jusqu’à ce jour, avoir offert des excuses claires à Mme Robichaud.

Nous ne croyons pas que l’existence d’un plafond (5 000 $) doive s’interpréter comme un barème de cotation selon lequel il faut avoir connu le pire cas de discrimination pour se faire adjuger le maximum. Nous ne sommes pas convaincus non plus que les arguments fondés sur la Charte et avancés par l’avocate de Mme Robichaud sont fondés. L’existence d’un plafond de 5 000 $ n’est pas en soi un acte discriminatoire du Parlement.

Par conséquent, nous ordonnons le paiement de la somme de 5 000 $ en vertu de cet article de la Loi.

D. EXCUSES Les excuses vont beaucoup plus loin qu’une confirmation de la défense personnelle invoquée par la victime. Elles servent une large fonction éducative qui peut promouvoir les objets de la Loi: elles indiquent à tous les employés d’un océan à l’autre qu’une institution, un employeur occupant une place proéminente dans la société, préconise sans équivoque l’égalité dans le milieu de travail. Du fait même de les avoir formulées, l’employeur reconnaît être l’un des auteurs d’un préjudice grave commis à l’encontre de la dignité humaine. Les excuses sont un signe d’espoir et une promesse que les erreurs du passé ne se reproduiront pas dans l’avenir. Nous reconnaissons que les excuses présentées sous la contrainte n’ont pas tout à fait la même valeur, mais le geste et les mots sont l’indice d’une ferme promesse de changement.

Par conséquent, nous ordonnons que des excuses officielles soient faites à Bonnie Robichaud et qu’elles soient affichées dans toutes les installations du MDN.

Nous n’avons pas compétence pour faire exécuter les modalités de > - 11 l’entente privée, mais nous espérons néanmoins qu’elles seront honorées, notamment la disposition portant sur un poste permanent convenant à la demanderesse, dans la fonction publique, à un niveau qui reflète les nouvelles compétences et l’expérience qu’elle a acquises dans l’intervalle, et que ses frais de déménagement lui seront remboursés, conformément aux lignes directrices du gouvernement fédéral approuvées, qui étaient en vigueur au moment du déménagement.

Nous nous sentons obligés de commenter un aspect de cette procédure qui nous a troublés. Il semble que la Commission canadienne des droits de

la personne, après la décision du tribunal d’appel, n’a pas offert à la plaignante le degré d’appui et d’aide auquel nous nous serions normalement attendu. En fait, il était évident que, n’e t été de la détermination de Mme Robichaud, cette affaire ne serait pas montée jusqu’en Cour suprême du Canada, encore moins serait- elle revenue devant le présent tribunal. Nous ne croyons pas que l’intérêt public a été bien servi à cet égard.

ORDONNANCE Le tribunal d’appel a examiné quant au fond les arguments présentés et, conformément au pouvoir que lui confère le paragraphe 41( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il rend l’ordonnance suivante:

A. que le ministère de la Défense nationale verse à Mme Robichaud 5 000 $ en raison des souffrances;

B. que des excuses officielles soient données à Bonnie Robichaud et qu’elles soient affichées dans toutes les installations du MDN.

MEMBRES DU TRIBUNAL D’APPEL -------------------------------- PAUL MULLINS

-------------------------------- M. WENDY ROBSON

-------------------------------- M. LOIS DYER MANN (PRÉSIDENTE)

> - 12 Je souscris aux conclusions de fait et à la décision prise précédemment, mais j’aurais été plus loin pour ce qui est de la compétence du tribunal d’examiner l’entente de règlement conclu par Mme Robichaud et le MDN. Un point important à souligner est le fait que la Commission n’était pas partie à l’entente et que celle- ci n’a pas été soumise à l’examen du tribunal.

Le raisonnement adopté par la Cour suprême du Canada pour établir la responsabilité de l’employeur m’amène moi aussi à conclure que toute entente conclue par un plaignant est soumise à l’examen du tribunal et peut être annulée ou modifiée dans l’intérêt public, au besoin. Lorsqu’elle a examiné la question de la responsabilité de l’employeur dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a dit clairement que la Loi vise en premier lieu les questions d’intérêt public et ne veille pas à fournir un redressement de nature privée.

Si une entente de règlement n’est pas soumise à l’examen d’un tribunal, il y a risque que l’employeur achète le plaignant sans se

préoccuper de l’objet plus fondamental de la Loi. En l’espèce, dans l’ordonnance rendue, j’aurais inclus les questions qui constituent des recommandations dans la décisions du présent tribunal. La question de la non- divulgation a été dépassée par les événements, de sorte qu’il n’était plus utile que le tribunal se prononce sur ce point.

Il serait utile, pour les tribunaux qui auront à se prononcer dans l’avenir, que la Loi comporte une disposition expresse portant sur le pouvoir d’examiner les règlements conclus après le début d’une procédure devant un tribunal.

Paul Mullins

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