Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 4/ 89 Décision rendue le 22 février 1989

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 77, c. 33 version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: JOSEPH PEDERSON Plaignant - et LES FORCES ARMÉES CANADIENNES Mise en cause - et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE Commission

TRIBUNAL: Wendy Robson, Présidente Harish C. Jain, Membre Hugh Fraser, Membre

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU: BRIAN SAUNDERS Avocat du mise en cause

CHERYL CRANE ET PAT LINDSEY PECK Avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

DATES ET LIEU DE L’AUDIENCE: les 13 et 14 septembre 1988 Kingston (Ontario)

> - 2 INTRODUCTION

Le plaignant, Joseph Pederson, de Yarker (Ontario), allègue que les mises en cause, les Forces armées canadiennes, ont perpétré un acte discriminatoire pour motif de religion dans une affaire liée à l’emploi, en contravention des alinéas 7b) et du paragraphe 10 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (ci- après appelée la Loi).

M. Pederson est devenu membre des Cadets de l’Aviation royale du Canada à l’âge de 13 ans. Après quatre ans, il joignit le North Saskatchewan Regiment, une unité de la réserve d’infanterie, où il resta deux ans. En 1975, il entra dans les Forces armées canadiennes régulières et, après avoir reçu une formation, fut affecté à Calgary (Alberta) auprès du premier Bataillon PPCLI. Il y servit comme fantassin jusqu’en 1979. Au cours de cette période, il accomplit un service de six mois à Chypre.

Il s’engagea de nouveau dans les Forces armées en 1977, pour une période indéfinie. Toutefois, en 1980, il demanda à faire partie du corps de métier des électriciens des Forces armées. La permission lui en fut accordée, et il commença son apprentissage. Au moment où il quittera l’armée, il aura acquis une qualification professionnelle de niveau 4. Bien que, normalement, il aurait dû, à titre d’électricien, recevoir une rémunération inférieure et subir une rétrogradation, M. Pederson fut autorisé à conserver son ancienneté pour ce qui concerne aussi bien son rang que sa solde.

M. Pederson n’avait pas de convictions religieuses particulières au moment où il commença son apprentissage comme électricien, mais après son affectation à la BFC Kingston, il adhéra à la Worldwide Church of God.

C’est sa femme qui s’était rendue la première à certaines réunions de cette Église. A la fin d’octobre 1983, M. Pederson commença à les suivre lui aussi. Il allait finir par être baptisé et reçu au sein de la Worldwide Church of God le 13 mars 1987.

Parmi les grands principes de ce groupe religieux, il y a lieu de mentionner l’observation du sabbat, lequel dure du coucher du soleil le vendredi soir jusqu’au coucher du soleil le samedi soir. Aucun travail n’est alors autorisé. En outre, les fidèles de cette Église s’abstiennent de travailler lorsqu’ils célèbrent leurs jours saints, qui sont au nombre de quatorze.

En 1983, M. Pederson travaillait à l’atelier d’électrotechnique à la BFC Kingston, où il était généralement de service pendant les heures régulières, soit de 7 h 30 à 16 h, du lundi au vendredi. En juillet 1984, on l’informa qu’il serait affecté à la BFC Alert pour huit semaines. Il prévint ses supérieurs que ce travail entrerait en conflit avec la pratique de sa religion. Après quelque temps, on lui répondit qu’il s’était engagé par contrat à servir 24 heures par jour, sur demande, et qu’il était tenu de se rendre à Alert sous peine de mesures disciplinaires. Il obtempéra. Alors que les autres travaillaient du lundi au samedi, il travaillait du dimanche au vendredi. Pendant son séjour à Alert, il dut

> - 3 travailler pendant une de ses fêtes religieuses, malgré le fait qu’il avait demandé à être relevé de Ses fonctions.

Le 11 octobre 1984, il retourna à la BFC Kingston et reprit son

travail dans l’atelier d’électrotechnique. Outre l’horaire normal dont il est question plus haut, les électriciens militaires doivent, à tour de rôle assurer une permanence en dehors des heures régulières de travail et pendant les week- ends.

A la base, le sous- officier de permanence doit se tenir dans le mess et être disponible au quartier général pour recevoir les appels téléphoniques et accueillir les membres du personnel qui arrivent. La plupart du temps, M. Pederson a pu échanger son tour de service avec d’autres, afin de remplir ses devoirs religieux.

L’autre fonction qu’il devait remplir en dehors des heures normales de travail était celle de technicien de service. Il devait pour cela rester en disponibilité pendant sept jours pour parer aux situations d’urgence. Il accepta effectivement de remplir ces fonctions, mais s’arrangea toujours pour demander à quelqu’un d’autre de prendre la pagette et de répondre aux appels d’urgence le samedi.

De plus, quelquefois, lorsqu’il y avait conflit, il utilisait ses congés afin de pouvoir observer ses pratiques.

Jusqu’au mois de mai 1985, ces arrangements semblent avoir fonctionné de façon raisonnablement satisfaisante. Un mercredi, M. Pederson fut prévenu qu’il devrait travailler le samedi suivant, soit le 25 mai, qui était la Journée des Forces canadiennes. Il expliqua alors à l’adjudant Gallant qu’il ne pourrait pas travailler ce jour- là. Il se demandait si quelqu’un d’autre ne le remplacerait pas. Apparemment, aucun autre électricien militaire n’était disponible.

Il était donc forcé d’accepter. Le jeudi, il s’adressa au lieutenant McQuillan, lequel lui déclara qu’il réfléchirait à la chose et lui en reparlerait. Le vendredi, le lieutenant informa M. Pederson qu’il serait obligé de travailler le lendemain, mais qu’il pourrait déposer une réclamation au sujet de cet ordre un peu plus tard. M. Pederson déclara qu’il ne se présenterait pas au travail, et le lieutenant lui remit un ordre écrit de prendre son service.

M. Pederson désobéit à cet ordre et passa le samedi à l’église où il célébra une fête religieuse. Il fut accusé et comparut devant son commandant le 11 juin 1985. Il fut condamné à une amende de 400$, qui fut retenue sur sa solde.

A la suite de cette comparution et à la suggestion du Commandant de la base, M. Pederson eut une rencontre avec le Major Saunders, aumônier de la

> - 4 - base, le major Playford et M. Kurnik, ministre de la Worldwide Church of God. Cette réunion visait à amener M. Pederson à demander une libération volontaire du service militaire. M. Pederson reconnut qu’il s’agissait là d’une bonne idée. Il espérait toutefois rester dans les Forces assez longtemps pour acquérir sa qualification professionnelle de niveau 5, qui lui serait d’un précieux secours dans la vie civile. Dans l’intervalle, il souhaitait néanmoins éviter de travailler le jour du sabbat et les jours saints. Il fut informé qu’on ne pouvait lui garantir qu’il n’aurait pas à travailler. Voyant cela, il décida de solliciter immédiatement sa libération, ce qu’il fit, en demandant en même temps à être dispense du délai

de préavis de six mois. Cette exception lui fut refusée, et il fut enfin libéré le 24 décembre 1985.

Comme l’a expliqué le major Alexander dans son témoignage, cette exigence relative au préavis de six mois avant toute libération vise à ce que le nombre de gens de métiers soit toujours suffisant pour répondre aux besoins courants. La libération immédiate de M. Pederson lui fut refusée parce qu’il manquait deux personnes dans le groupe des électriciens à cette époque. D’après la preuve, les électriciens militaires n’étaient alors que 131, dont dix servaient l’étranger, en Europe, à Chypre, et à Damas.

Lors du contre- interrogatoire, on demanda à M. Pederson quelles fonctions il avait à remplir en tant qu’électricien militaire. Il répondit qu’il ne voulait pas travailler dans d’autres domaines que la technique du bâtiment. Il n’était pas prêt à travailler pendant les week- ends, que ce soit à la BCF Kingston ou dans un hôpital de campagne, ajouta- t- il. Il aurait refusé d’aller à la guerre de même que de participer à une opération de maintien de la paix.

M. Pederson se plaint que les Forces armées canadiennes ont exercé contre lui une discrimination injuste, parce qu’elles n’ont fait aucun aménagement pour lui permettre de respecter ses observances religieuses et qu’elles ont refusé d’accélérer sa libération, et que ce traitement par les Forces armées avait eu des effets néfastes pour lui. Il soutient par ailleurs qu’il n’existait aucune exigence professionnelle normale et que l’employeur avait le devoir de faire des aménagements raisonnables pour lui permettre de respecter ses pratiques religieuses, devoir auquel les Forces armées ne sont pas conformées.

L’avocat des Forces armées canadiennes soutient que, s’il y a eu discrimination, celle- ci tombe sous l’exception de l’exigence professionnelle normale. Cette exigence veut que les membres des Forces armées soient prêts à servir 24 heures par jour, sept jours par semaine.

Le colonel Tattersall, du quartier- général de la Défense nationale, a > - 5 témoigné devant nous à propos des exigences du service dans les Forces armées canadiennes, en temps de paix comme en temps de guerre.

La question suivante lui fut posée (p. 108, vol. 1 de la transcription) : (traduction) ... quelles sont les heures où les membres des Forces canadiennes doivent être disponibles pour le service ?

Voici sa réponse : (traduction) le militaire est toujours de service. Ne pas être de service, cela n’existe pas. Même si vous êtes en congé, vous pouvez être rappelé. Si vous dormez, au milieu de la nuit vous pouvez être appelé à rentrer. Vous n’êtes jamais complètement libéré.

LE DROIT D’après les textes juridiques, il est net qu’une discrimination peut- être intentionnelle ou non intentionnelle.* Une fois qu’on a déterminé qu’il y a eu discrimination, la seule exception possible est celle de l’exigence professionnelle normale.

M. le Juge McIntyre explique le critère de l’exigence

professionnelle normale dans l’arrêté concernant l’affaire Etobicoke, à la page 208 :

"( elle)... doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question... et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d’aller à l’encontre de ceux du Code..."

* Bhinder c. Les Chemins de fer nationaux du Canada (1985) 2 R. C. S., p. 561

La Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons- Sears LTD (1985) 2 R. C. S., p. 536

La Commission ontarienne des droits de la personne c. La Municipalité d’Etobicoke (1982) 1 R. C. S., p. 202.

> - 6 CONCLUSION

La preuve a été faite qu’il existe bien, en apparence, un cas de discrimination non intentionnelle contre le plaignant, M. Pederson. En effet, les exigences de ses pratiques religieuses entraient en conflit avec celles de son emploi comme membre des Forces armées canadiennes.

Nous constatons par ailleurs qu’il existe une exigence professionnelle normale applicable à tous les membres des Forces armées canadiennes, lesquels doivent être disposes à travailler sept jours par semaine et 24 heures par jour, si on le leur demande, en temps de paix ou de guerre. L’armée peut exiger le sacrifice ultime pour le respect de ses devoirs aux termes de la Loi sur la défense nationale et des Ordonnances et règlements royaux. Consentir des aménagements à M. Pederson aurait pu imposer des risques supplémentaires à d’autres membres des Forces. M. Pederson, qui avait une longue expérience du service militaire et était conscient de ces exigences, a été naïf en se déclarant non disposé à servir à la guerre ou dans des opérations de maintien de la paix.

Ayant juge qu’il y avait exigence professionnelle normale, nous n’estimons pas nécessaire de traiter la question de l’obligation de faire des aménagements.

La plainte est rejetée. Wendy Robson Harish C. Jain Hugh Fraser

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