Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 11/ 89 Décision rendue le 28 juillet 1989

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifée ET DANS L’AFFAIRE d’une audience devant un tribunal des droits de la personne nommé en vertu de l’article 39( 1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

ENTRE: RUSSELL THIFFAULT Plaignant et QUEBECAIR- AIR QUEBEC Mise- en- cause

et LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE Commission

Tribunal Me Maurice Bernatchez

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU Me Anne Trotier Avocate de la Comission Me Luc Huppe Avocat de la mise- en- cause

Dates et lieu de l’audience Les 27 et 28 février 1989 Québec >

CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le 5 octobre 1988, le Président du Tribunal des droits de la personne constituait le présent Tribunal afin d’examiner la plainte déposée par Monsieur Russell Thiffault le 11 septembre 1986. L’acte de constitution du Tribunal fut déposé sous la cote T.- 1.

La plainte déposée porte sur l’allégation d’un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicites, causée par la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, un fournisseur de service le 20 juin 1986, ce qui aurait privé le plaignant, Russell Thiffault, du service fourni par la mise- en- cause, le tout contrairement aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S. C. 1976 - 77 chap. 33 et amendements) et

notamment les articles 3 et 5a) de la loi. Le texte de la plainte telle que déposée sous la cote C.- 1 allègue ce qui suit:

"Québec- Air a refusé de me laisser embarquer sur le vol Orly- Montréal numéro 459, en prétextant que j’étais ivre parce que j’étais soutenu par un guide, alors qu’en fait il m’aidait à cause de ma déficience (cécité) en contravention de l’article 5a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Lors de l’embarquement, on m’a fait sortir ’de l’avion sous prétexte que j’étais ivre. L’hôtesse nia pas voulu changer son point de vue même après qu’on lui eut expliquée son erreur. ceci m’a causé beaucoup de préjudices moraux et matériels."

L’audition de la plainte a eu lieu à Québec les 28 et 29 février 1989.

LES FAITS: Les faits ayant engendré le dépôt de la plainte de Monsieur Russell Thiffault sont en soi forts simples et très succincts.

En effet, le plaignant se plaint que la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, lui aurait refusé l’accès (prestation de service) à son vol de retour numéro 549 Orly- Montréal le 20 juin 1986. Ces faits ne sont nullement contestés de part et d’autre.

Cependant, ce sur quoi les parties ne s’entendent pas, et le Tribunal a eu à étudier une preuve contradictoire à ce sujet, ce sont les motifs véritables, qui ont porté la mise- en- cause à. agir ainsi, c’est- à- dire, de refuser l’accès à son vol de

... 2/ > /2 ... de retour Orly- Montréal au plaignant Russell Thiffault.

Le plaignant, pour sa part, prétend que la mise- en- cause lui a refusé l’accès à son vol de retour Orly- Montréal le 20 juin 1986, sous prétexte qu’il était ivre, puisque, lors de l’embarquement, ledit Russell Thiffault, était soutenu par un guide; alors que suivant sa prétention ce guide du nom de Monsieur Vaira lui était nécessaires en raison de sa déficience physique, savoir sa cécité. Ce qui, selon le plaignant constituait un acte discréminatoire visé par les articles 3 et 5a) de la loi.

Pour sa part, la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, prétend, que l’accès à son vol Orly- Montréal du 20 juin 1986 fut refusé au plaignant, non pas en raison d’un acte discréminatoire prohibé par la loi, mais plutôt en raison du comporte- ment grossier du plaignant lors de son embarquement. Selon la mise- en- cause, ce comportement du plaignant justifiait la préposée de la mise- en- cause de refuser à son bord le plaignant.

LA PREUVE Le Tribunal a entendu les différents témoins appelés a la barre.

La preuve a révélé que le plaignant, Russell Thiffault, est aveugle et détient à cet effet une carte de l’Institut National Canadien des Aveugles, (INCA), depuis 1950 ou 1952. Cette cécité serait totale depuis 1980, laquelle serait due en raison d’une maladie de la retine pigmentaire. Sa vision se serait détériorée progressivement, de telle sorte qu’à compter de 1980 il serait devenu complètement aveugle, état de cécité total qui persistait lors des événements du 20 juin 1986.

L’état de cécité de plaignant au moment de l’audition n’est pas contesté par la mise- en- cause, Québecair- Air Québec.

La preuve a révélé que le plaignant travaille ai son compte comme mécanicien- motoriste spécialisé et fait également de l’enseignement mécanique. Il est également appelé par différents organismes tel la Régie de l’assurance- automobile à donner des plans de formation à des personnes handicapées, ou encore à des jeunes qui n’ont pas de métier.

Le plaignant est une personne qui a voyagé beaucoup tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur du pays. En effet, il déclare avoir effectué quarante- cinq (45) vols outre- mer, aller - retour, donc quatre- vingt- dix (90) embarquements; lorsqu’il voyage a l’extérieur du pays, il se fait toujours accompagner d’un guide.

... 3/ > /3...

Relativement aux incidents qui sont survenus le 20 juin 1986, son témoignage révèle qu’il serait arrivé à l’aéroport entre 9: 30 et 10: 00 heures de l’avant- midi puisque le vol qu’il devait prendre était prévu pour vers 11: 30 heures (a. m.). Il se serait alors présenté au comptoir des billets de la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, en compagnie de son frère Clarence Thiffault ainsi que de son guide, un dénommé Vaira. C’est à ce moment- là, selon la version du plaignant qu’il aurait avisé le préposé aux billets, qu’il souffrait d’un handicap visuel, moment également où son frère Clarence Thiffault présentait les billets et les passe- ports pour obtenir les cartes d’embarquement.

Le préposé aux billets aurait alors offert au plaignant Thiffault de l’aide, que ce dernier a refusé en raison de la présence de son guide le dénommé Vaira.

Par la suite, toujours suivant la version du plaignant, celui- ci accompagné de son guide le dénommé Vaira, s’est approché de la porte d’embarquement pour accéder à l’avion.

Chemin faisant pour prendre place dans l’appareil, toujours accompagné et soutenu par son guide qui faisait, pour reprendre l’expression du plaignant des jokes sur l’état de l’appareil, le plaignant se serait alors barré le bout du pieds dans la marche de l’avion, sur le bord de l’avion, puis j’ai eu tendance à trébucher (témoignage du plaignant, page 13 des notes sténographiques)

Il a cependant continué avec son guide, alors que son frère présentait les cartes d’embarquement à l’agent de bord et tous trois (3) prirent siège aux endroits qu’ils leur furent assignés.

Quelques instants plus tard, un préposé de la mise- en- cause, aurait

indiqué au plaignant qu’il devait quitter l’appareil. Le plaignant aurait demandé pourquoi, et comme seul réponse on lui a dit que les explications lui seraient fournies à l’extérieur.

Le plaignant et son guide sont alors sorti de l’appareil. Une fois à l’extérieur, le préposé de la mise- en- cause aurait informé le plaignant qu’il ne pouvait faire parti du voyage en raison de son état d’ébriété.

Le guide du plaignant aurait alors déclaré audit préposé de la mise- en- cause que le plaignant n’était pas ivre mais simplement aveugle.

Après une légère discussion qui s’ensuivit, le préposé retourna à l’appareil pour revenir quelques instants plus

... 4/ > /4... tard, informant le plaignant et son guide qu’ils pouvaient remonter à bord de l’appareil.

Le plaignant accompagné de son guide, se présenta de nouveau pour prendre place dans l’appareil et une fois dépassé la porte d’entrée, le plaignant a alors entendu son guide s’adresser et gueuler contre l’agent de bord. Le plaignant se serait alors retourné pour s’adresser à son guide et lui dire viens t’en, ferme ta gueule, on arrangera ça rendu à Montréal (page 15 des notes sténographiques).

Le plaignant ainsi que son guide reprirent finalement place aux mêmes sièges qui leur avaient été assignés lors de leur première entrée.

Quelques instants plus tard, le même préposé qui avait demandé au plaignant de quitter l’appareil pour une première fois, est revenu l’invitant à nouveau a quitter l’appareil. Le plaignant s’exécuta, et on lui fit part à l’extérieur qu’il ne ferait pas parti du voyage.

Puis, son guide, le dénommé Vaira vint le rejoindre et la mise- en- cause leur remirent, après discussion, un bon d’hébergement, et le plaignant demanda à communiquer avec l’ambassade du Canada.

En contre- interrogatoire le plaignant, réitéra essentiellement le témoignage rendu en interrogatoire en chef, notamment, le fait d’avoir dénoncé son handicap visuel au préposé aux billets au comptoir de la mise- en- cause, Quèbecair- Air Québec, ainsi qu’une deuxième fois à un préposé de la mise- en- cause un dénommé Jacques Ostyn après qu’il fut refusé pour une première fois dans l’appareil.

Egalement, lors de ce contre- interrogatoire, le plaignant déclare, n’avoir pas adressé la parole à la commissaire de bord de la mise- en- cause, si ce n’est que lorsque celle- ci lui aurait demandé des excuses pour les paroles qui lui auraient été dites par le plaignant. A cette occasion, le plaignant affirme que lesdites paroles avaient été spécifiquement adressées à son guide et non pas à la commissaire de bord et il en donne les raisons, savoir, son guide était de nationalité italienne, avait de la difficulté à comprendre et il fallait le remettre en place (page 27 des notes sténographiques).

Le deuxième témoin entendu fut le frère du plaignant, Monsieur

Clarence Thiffault, qui essentiellement corrobora les déclarations du plaignant.

... 5/ > /5 ...

En effet, ce témoin confirma que le plaignant avait déclaré son handicap visuel au préposé aux billets de la mise- en- cause, et que ce préposé lui aurait offert de l’assistance, la- quelle fut déclinée par le plaignant en raison de la présence de son guide.

Plus loin, au cours de son interrogatoire, le témoin Clarence Thiffault qui suivait de quelques pas le plaignant et son guide, confirme que près de l’entrée de l’appareil le guide du plaignant fit des commentaires quant à l’état général de l’appareil, et que le plaignant failli trébucher en pénétrant dans l’appareil.

Puis toujours, selon ce témoin, le plaignant, son guide et lui- même, auraient pris place dans l’avion. Quelques instants plus tard, une personne serait venue les informer que la plaignant devait sortir de l’appareil. Le plaignant avec l’aide de son guide se seraient exécutés, le témoin Clarence Thiffault les auraient rejoints à l’extérieur quelques minutes plus tard alors que le plaignant ainsi que le guide discutaient avec deux (2) préposés de la mise- en- cause; et le sujet de conversation étant l’état de boisson du plaignant (page 44 des notes sténo- graphiques) .

Après une courte conversation, un des préposés de la mise- en- cause, retourna à l’intérieur de l’avion et revint quelques instants plus tard et le plaignant ainsi que ses compagnons furent alors autorisés à remonter à bord de l’appareil.

Le témoin Clarence Thiffault corrobore son frère le plaignant, que ce dernier ainsi que son guide pénétrèrent pour une deuxième fois à bord de l’appareil et que tout en pénétrant le guide aurait adressé des reproches à l’agent de bord suite aux premiers événements. C’est a ce moment, que le plaignant aurait dit en s’adressant à son guide ferme ta gueule, on réglera ça à Montréal quand on sera arrivé.

Il est intéressant de noter du témoignage, de Clarence Thiffault sa conviction que ces paroles étaient adressées au guide pour les raisons qu’il énumère à la page 46 des notes sténographies et le Tribunal le cite:

"Maintenant, ça ne pouvait pas s’adresser à l’hôtesse parce qu’à ma connaissance, l’hôtesse ne nous a pas parlé. Alors il ne pouvait pas répondre à une personne qui n’a pas parlé. Il parlait à Eugène parce que Eugène était en discussion."

... 6/ > /6...

Toujours suivant ce témoin, ils (le plaignant, le guide et lui- même), prirent de nouveau place aux sièges qui leur avaient été initialement assignés.

Par la suite, un préposé de la mise- en- cause, celui- là même qui était venu pour la première fois, est revenu, demandant au plaignant# Russell Thiffault de quitter l’appareil.

Le témoin Clarence Thiffault, ajoute qu’il désirait quitter l’appareil, avec le plaignant mais à la demande de ce dernier, il demeura dans l’appareil.

Le témoin Clarence Thiffault termine son témoignage en déclarant, que ni le guide, le plaignant ainsi que lui- même n’avaient consommé de boissons alcooliques ce matin du 20 juin 1986.

Madame Sylvie Pare fut entendu comme dernier témoin du plaignant. Ce témoin est agent et commissaire de bord pour la compagnie Inter- Canadien. Lors des incidents du 20 juin 1986, elle travaillait à l’emploi de la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, et agissait à titre d’agent de bord sur le vol.

Après avoir brièvement souligné les fonctions de l’agent et du commissaire de bord, ce témoin relate ce dont elle a eu connaissance relativement aux incidents concernant le plaignant.

Tout d’abord, fait à noter, ce témoin se rappelle que le plaignant était aveugle pour en avoir été informé par le plaignant lui- même lors du vol Mirabel- Paris, qui aurait eu lieu le 10 juin 1986.

De son témoignage, il ressort que le 20 juin 1986 lors des événements en litige, le témoin a reconnu le plaignant et elle déclare à la page 59 des notes sténographiques ce qui suit:

Q.- Est- ce qu’à un moment donné vous vous êtes intéressée à ce qui se passait, est- ce qu’on vous a informée qu’il se passait quelque chose ai bord?

R.- Quant j’ai vu les allées et venues du monsieur, je l’ai reconnu.

Q.- Vous l’avez reconnu? R.- Là je savais exactement un peu qu’est- ce qui se passait.

... 7/ > /7...

Q.- Ca vous a été répété quoi, par d’autres agents de bord? R.- On m’avait dit dans la cabine qu’il y avait un passager qui était saoul et qu’il a été refusé à bord."

De sa propre initiative, le témoin Pare a été discutée avec la commissaire de bord Madame Denise Allard pour l’informer de l’état de cécité du plaignant.

Il semble cependant, que cette information fut transmise au commissaire de bord après que le plaignant eut insulté ladite commissaire de bord. Le témoin Pare ajoute ce qui suit a la page 60 des notes

sténographiques: Q.- Mais quelle a été votre impression? R.- Bien, c’est qu’elle m’a répondu qu’il l’avait insulté et puis qu’il était impoli et queue e sait qu’il était en état d’ébriété, alors que pour la sécurité des employés et des passagers elle préférait ne pas l’accepter à bord.

(Les soulignés sont du Tribunal) Suite à l’audition de ce dernier témoin, la Commission déclara sa preuve close.

En défense, la mise- en- cause fit entendre comme premier témoin Madame Rachel Fournier.

Essentiellement, il ressort du témoignage de cette dernière, qu’elle est instructeur chez Inter- Canadien, cette dernière compagnie est la même que la mise- en- cause, Québecair- Air Québec. A titre d’instructeur, elle a comme fonction de donner les cours de formation pour les candidats aux postes d’agent de bord ainsi que des cours de recyclage qui se déroulent chaque année pour tous les agents de bord et les commissaires. Ces cours de formation et/ ou de recyclage, sont constatés dans un manuel écrit pour l’agent de bord, lequel doit être en tout temps en la possession de chacun des agents de bord.

Il fut déposé sous la cote I.- 1 un extrait de ce manuel de bord, lequel extrait est intitulé Dispositions pour passagers particuliers.

Notamment, dans cet extrait, il est fait état des différentes procédures ai suivre lorsqu’il y a présence d’un handicapé

... 8/ > /8... visuel comme passager.

Il est à noter selon cet extrait, qu’il n’y a pas de limite de nombre quant à ces handicapés visuels, et aucune escorte n’est requise. -Le témoin Fournier a fait état de la procédure de pré- embarquement pour certains passagers et notamment les personnes handicapées et ayant besoin d’assistance.

En somme, le préposé aux billets dresse une liste de personnes nécessitant la procédure de prè- embarquement de façon telle à ce que ces personnes puissent pénétrer à l’intérieur de l’avion préalablement aux autres passagers afin de recevoir les instructions qui leur sont destinées. Cette procédure de pré- embarquement est évidemment justifiée pour des raisons sécuritaires.

Le témoin Fournier ajoute qu’en seize (16) ans d’expérience elle n’a Jamais constaté la présence d’un aveugle à bord de l’appareil sans que celui- ci n’ait été identifié préalablement au moyen de la procédure de pré- embarquement.

Par la suite, il fut déposé sous la cote I.- 2 un document intitulé

"Loi sur l’aéronautique - Règlement de l’Air - Modification. Ce document déposé sous I.- 2 traite de personnes en état d’ébriété. Ce règlement fait un devoir et une obligation au transporteur aérien de refuser l’accès à un passager lorsque ce transporteur a des motifs raisonnables de croire que ce passager est en état d’ivresse.

Il est à souligner immédiatement que nul part dans ce règlement ou dans les instructions contenues dans le manuel de l’agent de bord, il y a une définition de ce que l’on entend par motifs raisonnables".

Selon l’ensemble du témoignage de l’instructeur Fournier, il n’y a aucun critère objectif contenu tant dans le manuel de l’agent de bord que dans les cours de formation pour déceler les personnes qui donneraient des motifs raisonnables de croire qu’ils sont en état d’ébriété. Bien au contraire, suivant son témoignage, ce sont des critères essentiellement subjectifs.

Enfin, Dame Denise Allard fut appelé comme deuxième et dernier témoin de la mise- en- cause, Québecair- Air Québec. De son témoignage, il ressort qu’elle agissait à titre de commissaire de bord sur le vol de la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, le 20 juin 1986. Ce témoin jouit d’une vaste expérience comme agent de bord et commissaire de bord, ayant débuté pour la mise- en- cause, Québecair- Air Québec en 1967.

... 9/ > /9...

Elle se souvient du plaignant, Russell Thiffault, puisque d’une part, alors qu’elle agissait comme commissaire de bord sur le vol allé Mirabel- Orly, elle avait d avertir le plaignant à la demande d’un agent de bord, puisqu’il était bruyant.

D’autre part, elle se souvient également des événements du 20 juin 1986 soit sur le vol retour Orly- Montréal alors qu’encore une fois elle agissait comme commissaire de bord.

Suivant son témoignage, et avant l’embarquement des passagers, elle aurait reçu, a titre de commissaire de bord, une information d’un préposé au sol de la mise- en- cause, un dénommé Jacques Ostyn, à l’effet qu’un certain passager se trouvant dans la salle d’attente était bruyant de sorte qu’il y avait lieu lors de l’embarquement de vérifier l’état de ce passager.

Selon le témoignage de Madame Allard, cette information lui a été acheminée alors que les deux tiers (2/ 3) des passagers avaient déjà pris place au sein de l’appareil.

Quelques minutes plus tard, elle a vu une personne dans le couloir s’approchant de l’appareil et qui, selon son expression chambranlait de sorte que lorsqu’il fut arrivé près de la porte d’entrée de l’appareil, elle demanda à cet individu d’attendre et de retourner dans la salle d’attente afin qu’elle puisse terminer la procédure d’embarquement.

Toujours selon le témoin Allard, cet individu, identifié comme le plaignant, s’est présenté à nouveau pour l’embarquement, et c’est alors, qu’en lui demandant le numéro de son siège, le plaignant lui aurait alors répondu ferme ton .... h gueule.

Madame Allard déclare dans son témoignage qu’à ce moment, elle ignorait l’état de cécité du plaignant.

Dame Allard termina donc la procédure d’embarquement, et par la suite elle s’est dirigée à la cabine afin de regarder où se trouvait le plaignant. Subséquemment, elle a consulté le commandant du vol, Monsieur Yvon Lecavalier, et lui relatant les incidents en question, et elle a décidé que dans de telles circonstances, en tant que responsable de la sécurité et du confort des passagers, elle se devait de refuser la présence du plaignant Thiffault.

Selon le témoignage de Madame Allard, le commandant Lecavalier a appuyé à 100% sa décision, de sorte que Madame Allard communiqua avec le préposé au sol, Monsieur Jacques Ostyn, afin que soit expulsé de l’avion le plaignant.

... 10/ > /10...

Puis, toujours suivant le témoignage de Madame Allard, elle aurait informé Monsieur Thiffault que pour des raisons de sécurité, elle n’entrevoyait pas un vol de 7½ heures dans une situation qu’elle venait de vivre avec le plaignant.

A cet effet, le Tribunal réfère au témoignage de Madame Allard aux pages 118 et 119 des notes sténographiques.

Appelé par le procureur de la mise- en- cause à expliquer la véritable raison de sa décision concernant l’expulsion du plaignant, Madame Allard déclare à la page 120 des notes sténographiques:

"R.- Parce que monsieur a été très impoli à mon égard. C’est la seule et unique raison pour laquelle je l’ai refusé à bord."

Notons que le témoin Allard ne se souvient pas d’avoir reçu de la part de l’agent de bord, Madame Sylvie Pare, l’information à l’effet que le plaignant Thiffault était aveugle.

Fut produit également au cours du témoignage de Madame Allard sous la cote I.- 4, le rapport de vol du 20 juin. Ce rapport indique ce qui suit:

"J’ai refusé un pax car il m’a dit de fermer ma gueule. Je lui ai dit que je regrettais mais je ne pouvais le garder à bord et il est descendu avec un ami. il s’agit de Monsieur Russell Thiffault, il m’a dit qu’il était aveugle, j’en doute fort mais je ne peux l’affirmer et aussi je pense qu’il avait pris un peu trop de boisson."

Appelé à expliquer pourquoi elle doutait de la ceci- té du plaignant, Dame Allard explique à la page 126 des notes sténographiques:

"... On nous avait montré comment ils se présentent a bord de l’appareil et la marche ai suivre. Alors vu que monsieur n’avait pas de canne blanche, moi personnellement, je n’ai pas pensé que monsieur était aveugle."

Le témoin Allard affirme n’avoir reçu aucune information de la part

des préposés au sol de la mise- en- cause, soit par la procédure de pré- embarquement, ou autrement, identifiant le plaignant comme handicapé visuel.

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En résumé, il ressort du témoignage de la commissaire de bord, Madame Allard, que le plaignant, Russell Thiffault, s’est vu refuser l’accès au vol du 20 juin 1986 de la mise- en- cause puisque celui- ci avait été impoli à son égard et l’aurait insulté. C’est là la seule et unique raison, pour laquelle le plaignant a été refusé. Il ressort également de ce témoignage que le plaignant, n’a qu’à une seule occasion, lors des incidents du 20 juin 1986, pris siège dans l’appareil contrairement à la version du plaignant ainsi que de son frère, Clarence Thiffault.

Le témoin Denise Allard fut la dernière personne entendue par le Tribunal.

ARGUMENTATION DES PARTIES: Dans son argumentation, le procureur de la Commission, conclut que suivant la preuve versée, la mise- en- cause a, par ses préposés, commis un acte discriminatoire à l’égard du plaignant Russell Thiffault, en lui refusant l’accès de son vol du 20 juin 1986 pour un motif de distinction illicite, savoir la cécité du plaignant.

Le procureur de la Commission soumet que le présent litige soulève trois (3) questions de droit: (pages 177 et 178 des notes sténographiques:

  1. Quelle est l’obligation pour un fournisseur de services par rapport aux personnes handicapées qu’il sert; et inversement quels sont les droits de ces handicapés lors de la prestation d’un service?
  2. Quelle est l’obligation de la personne handicapée de s’identifier comme telle pour être certain de se faire traiter équitablement?
  3. En quoi est- ce que le comportement de la victime justifie- t- elle la commission d’un acte discriminatoire?

Pour sa part, la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, prétend qu’elle et/ ou ses préposés, n’ont commis aucune discrimination, puisque le refus de service dont a été l’objet le plaignant l’a été pour cause, soit l’insubordination et sa grossièreté, sans égard aucunement à son état de cécité.

Subsidiairement à ce premier moyen de défense, le procureur de la mise- en- cause, soulève la défense prévue par l’article l5g) de la loi qui se lit comme suit:

... 12/ > /12 ...

Article 15

Ne constituent pas des actes discriminatoires ... ... g) Le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, S’il a un motif justifiable de le faire.

Il s’agit là de la défense que l’on peut faire valoir contre un acte qui normalement serait un acte discriminatoire, défense basée sur le motif justifiable ou encore l’excuse raisonnable de causer un tel acte, qui autrement serait de nature discriminatoire.

Un autre argument soulevé par le procureur de la mise- en- cause, la défense basée sur l’article 53( 2) b) qui se lit comme suit:

"Article 53( 2) A l’issu de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 54, ordonner selon les circonstances, a la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire:

b) d’accorder à la victime dès que les circonstances le permettent les droits, chances ou avantages dont de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;"

En d’autres termes, par cette défense, la mise- en- cause prétend que le plaignant, Russell Thiffault, ayant pu reprendre son vol dès le lendemain des incidents du 20 juin 1986, la mise- en- cause, lui aurait alors fourni le service et réparé en quelque sorte, s’il y a eu discrimination, la discrimination dont aurait été victime le plaignant.

D’ores et déjà, le Tribunal écarte immédiatement cette défense, puisque s’il y a eu discrimination, le fait que le plaignant ait repris son voyage dès le lendemain ne justifie et Prépare aucunement et d’aucune façon, l’acte discriminatoire s’il en est, causé le 20 juin 1986.

... 13/ > /13...

Enfin, comme dernier motif à la défense de la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, son procureur, a fait état de l’article 65 paragraphe 2 de la loi, savoir:

"Article 65( 2) La personne, l’organisme ou l’association visé au paragraphe (1) peut se soustraire ai son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et, que, par la suite, il a tenté d’en atténuer et d’en annuler les effets."

LE DROIT

Tout d’abord, avant d’étudier les différents arguments de droit de chacune des parties, il y a lieu de disposer de l’objection du procureur de la Commission, quant à la production de la pièce I.- 5 intitulée Télex de Jacques Ostyn en date du 20 juin.

Comme je l’ai déjà souligné lors de l’audition, la production de ce document, en preuve, est inadmissible, puisque ce document rapporte la version d’un dénommé Jacques Ostyn, lequel ne peut être contre- interrogé par la partie adverse. C’est en faits, une preuve illégale constituant du ouïe- dire.

Cependant, en raison de la disposition de l’article 50 paragraphe (2) c) de la loi qui se lit comme suit:

"50( 2) Pour la tenue de ses audiences, le Tribunal a le pouvoir: c) De recevoir des éléments de preuve ou de renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiquer, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire."

la production de ce document I.- 5 fut autorisée sous réserve. Cependant, à la lecture de cet article, j’en arrive à la conclusion que la pièce I.- 5 n’est pas ce document visé par l’article 50 (2) c) puisque il ne respecte pas d’une part les conditions mentionnées, savoir déclaration écrite sous serment.

Bien plus, j’estime que l’article 50 (2) c) de la loi vise la production de certains documents tels la copie d’un document authentique et sur laquelle copie il ne serait pas indiqué la mention copie conforme; ou encore de formule type et prescrite par des organismes, telles les déclarations fiscales ou encore telles les formules type de bail proposées la Régie du Logement.

... 14/ > /14 ...

Mais il y a plus. En effet, à une lecture rapide de ce document, il est évident qu’il s’agit de ouïe- dire. Pour toutes ces raisons, la production de la pièce I.- 5 est jugée inadmissible en preuve de sorte que le Tribunal n’en tiendra aucunement compte dans la présente décision.

LA PREUVE De l’ensemble de la preuve, il ressort, que celle- ci est, en quelques points contradictoires. En effet, suivant la version du plaignant, corroborée par son frère, le témoin Clarence Thiffault, il aurait pénétré dans l’appareil le 20 juin 1986 à deux (2) reprises. Pour sa parti le seul témoin de la mise- en- cause entendu, Dame Denise Allard, affirme que le plaignant n’aurait pénétré dans l’appareil qu’une seule fois, soit après qu’on lui ait refusé pour la première fois l’accès audit appareil.

Pour aider le Tribunal à choisir laquelle des deux (2) versions est la plus crédible et la plus plausible, il faut, dans l’esprit du Tribunal partir d’un fait non contesté d’es parties, savoir que le plaignant s’est présenté à deux (2) reprises pour prendre place dans le vol numéro 549 de la

mise- en- cause le 20 juin 1986. Or, pourquoi le plaignant s’est- il vu refuser l’accès à ce vol lors de sa première tentative?

Sur ce, la réponse est la même de la part des deux (2) parties, c’est- à- dire, l’apparence d’ébriété du plaignant.

En effet, selon le témoin Allard, le plaignant chambranlait à l’approche de l’appareil. A cet effet, on peut lire le témoignage de Dame Allard à la page 114 des notes sténographiques:

"Q.- Pourriez- vous me dire qu’est- ce qui s’est passé par la suite? R.- Par la suite- j’ai continué l’embarquement et quand j’ai vu monsieur Thiffault s’en venir dans le couloir, parce qu’à Paris c’est un couloir qui nous amène directement à la porte de l’avion ...

Q.- Si je comprends bien, il n’y a pas de marches, a monter là? R.- Absolument pas, monsieur. A Paris il n’y a pas de marches à monter. Alors j’ai vu monsieur qui, dans mon langage à moi chambranlait, ou je ne sais pas comment on peut l’expliquer. J’ai dit à monsieur voulez- vous attendre un instant s’il vous plaît, et là j’ai dit à monsieur Jacques Ostyn est- ce que tu voudrais voir ce passagers, j’aimerais ça finir l’embarquement."

Et plus loin, à la page 130 des notes sténographiques: ... 15/ > /15 ...

"Q.- Pouvez- vous nous dire pour quelle raison vous l’avez fait arrêter à ce moment- là?

R.- Parce que je lui ai dit que monsieur ne marchait pas droit et là j’ai jugé que j’avais besoin de m’assurer que monsieur était en état de voyager."

Et plus loin également aux pages 133 et 134 des notes sténographiques, il ressort ce qui suit:

"Q.- Maintenant dans les discussions que vous avez eues avec monsieur Ostyn, est- ce que vous lui avez mentionné à quelque moment que ce soit que vous aviez des doutes sur l’état d’ivresse de monsieur Thiffault?

R.- Oui, je lui ai dit parce que la façon que monsieur marchait je pouvais présumer que monsieur avoir pris de l’alcool."

Pour sa part, le plaignant relate aux pages 13 et suivantes des notes sténographiques, qu’en tentant de pénétrer dans l’appareil pour la première fois, son guide qui l’accompagnait faisait des jokes sur l’état de l’appareil et c’est alors qu’il a trébuché ou s’est barré les pieds dans la porte de l’appareil. Après qu’il ait pris place à bord de l’appareil, un préposé de la mise- en- cause l’aurait prié de sortir de l’appareil, sous

prétexte, donné une fois à l’extérieur de l’appareil, qu’il était en état d’ébriété.

S’il est vrai que l’état apparent d’ébriété du plaignant était la véritable raison de refuser le plaignant à bord de l’appareil, lors clé cette première tentative, pourquoi n’y a- t- il pas eu quelques vérifications d’usage de la part de Dame Allard?

Vérification minimale, c’est- à- dire, s’enquérir immédiatement de cet état apparent d’ébriété du plaignant. Le procureur de la mise- en- cause justifie cette décision, puisque l’on était à procéder à l’embarquement des autres passagers, ce qui aurait retardé le bon déroulement de cette manoeuvre.

Cependant, il ressort de la preuve et notamment à la page 113 des notes sténographiques que la procédure d’embarquement était complétée à peu près au deux tiers (2/ 3) suivant le témoignage même de Dame Allard, préposée de la mise- en- cause et par surcroît commissaire de bord.

En effet, la preuve relève ce qui suit: ... 16/ > /16...

"Q. Où est- ce que vous étiez à ce moment R.- J’étais à l’embarquement dans la porte où les passagers montaient, je les accueillais.

Q.- Est- ce qu’il y avait déjà des passagers qui 0 avaient commence à monter?

R.- Oui, on était rendu je dirais au deux tiers de l’embarquement de fait."

Mais il y a plus, lorsque le plaignant s’est présenté pour la deuxième fois, le témoin Allard déclare qu’elle ne se souvient pas (page 152 des notes sténographiques) s’il était accompagne de Monsieur Jacques Ostyn, préposé de la mise- en- cause, qui, selon la preuve des deux (2) parties avait eu la charge de s’occuper du plaignant lorsqu’il fut refuse pour la première fois (page 145 des notes sténographiques).

Or, pourquoi alors le dénommé Jacques Ostyn n’était- il pas là? La réponse la plus probable c’est que Jacques Ostyn, après vérification, était satisfait que le plaignant n’était pas ivre. Ce qui confirmerait la version du plaignant à la page 14 des notes sténographiques:

"R.- J’ai débarqué puis là mon guide m’a suivi. on a descendu dans le hall. L’agent de bord, je lui ai demandé pourquoi on ne pouvait pas voyager puis il a dit que vous ne pouvez pas voyager parce que vous êtes en état d’ivresse puis vous ne pouvez pas voyager à bord de l’avion.

J’ai dis c’est du nouveau pour moi et c’est là que mon guide a dit monsieur Thiffault n’est pas ivre, vous faites une erreur, il est simplement aveugle. Alors l’agent de bord lui a compris

immédiatement, il a posé quelques questions, je ne me souviens pas à, puis il a dit je vais aller voir l’hôtesse puis je vais lui expliquer que c’est une erreur..."

Son frère, le témoin Clarence Thiffault, à page 44 des notes sténographiques, déclare:

"Q.- Continuez. R.- Moi j’ai continué à placer un peu mes papiers puis la Russell est sorti lui, je ne sais pas qu’est- ce que je faisais, moi j’ai retardé ma sor

... 17/ > /17...

tie, mais quand j’ai sorti là, quelques minutes plus tard peut- être, je ne sais pas, deux, trois, il y avait une conversation qui avait lieu à l’extérieur de l’avion.

Q.- Pouvez- vous nous dire entre qui avait lieu cette conversation- là?

R.- Là il y avait l’homme, le français, j’ai cru croire que c’était un français, et une hôtesse, une personne ... une hôtesse de l’air qui était là aussi, je ne sais pas laquelle, puis il y avait le guide puis Russell mon frère et le sujet en question était qu’il était en état de boisson, que l’hôtesse ne l’acceptait pas.

Là les deux bras nous sont tombés ... en état de boisson. Personne des trois était en état de boisson. Alors c’est là, on a dit écoute, ça n’a pas de bon sens, c’est des folies, c’est quoi cette histoire- là en état de boisson.

Là je sais qu’un est parti ... encore là est- ce que c’est l’hôtesse qui a été discuter avec l’autre hôtesse ou si c’est le gars, possiblement c’est le gars je pense qui est allé parler à l’autre hôtesse qui était restée à l’intérieur.

Alors ils sont revenus puis là ils nous ont demandé d’attendre que les autres passagers soient entrés puis qu’ils viendraient nous voir. Alors on a attendu puis à un moment donné quelqu’un est venu nous voir, je pense l’hôtesse et le type qui nous ont de- mandé de rentrer, ils nous ont dit qu’on pouvait rentrer.

Si, par contre, le préposé Jacques Ostyn était effectivement présent lors de cette deuxième tentative, pourquoi ledit préposé Jacques Ostyn et/ ou Dame Allard ne se sont- ils pas parlés pour éclaircir le non- fondé du motif du premier refus, savoir l’état d’ivresse du plaignant?

De l’ensemble des témoignages rendus en faveur du plaignant, il ressort que celui- ci, était une personne aveugle, qui lors des incidents du 20 juin 1986, n’avait consommé aucune boisson alcoolique. Le plaignant et son frère Russell Thiffault ont déclaré qu’ils ont pénétré à deux (2) reprises dans l’avion. Ces deux (2) témoins déclarent également qu’ils sont sorti de l’appareil suite à la première expulsion. (le témoin Clarence Thiffault étant sorti quelques minutes après son frère, page 144 des notes

sténographiques). .../ 18 > /18 ...

Essentiellement la version du plaignant est corroborée par celle de son frère Russell Thiffault.

D’autre part, il ressort du témoignage de Madame Allard quelques imprécisions et quelques interrogations. En effet, selon ce témoignage, elle se souvient du plaignant non seulement, en raison des incidents du 20 juin 1986, mais également, puisqu’elle avait d avertir ce dernier de baisser le ton lors du vol d’aller Mirabel - Orly le 10 juin 1986.

Par contre, elle ne se souvient pas que Sylvie Pare, un agent de bord de la mise- en- cause lors du vol du 20 juin 1986, l’aurait informée qu’elle connaissait le plaignant et que ce dernier souffrait de cécité.

De plus, le témoin Allard, déclare à la page 113 ce qui suit:

R.- Oui. Lors de l’embarquement Jacques Ostyn qui est, qui est aujourd’hui et qui était à ce moment- là notre agent au sol est venu me voir et m’a dit Denise, dans la salle d’attente il y a un passager bruyant, j’aimerais ça que lors de l’embarquement tu le vérifies ou ... textuellement je ne peux pas dire les phrases, mais ça ressemblait à ça.

Q.- où est- ce que vous étiez a% ce moment- là? R.- J’était à l’embarquement dans la porte où les passagers montaient, je les accueillais.

Or, si Dame Allard se trouvait à la porte de l’appareil, et que la personne bruyante se trouvait à l’intérieur de la salle d’attente, comment le témoin Allard pouvait- elle identifier le plaignant comme étant cette personne bruyante à être vérifiée, et qui s’est présentée à l’embarquement quelques minutes plus tard.

Pourquoi le préposé Jacques Ostyn n’a- t- il pas vérifié, lui- même ce passager?

Pourquoi, Dame Allard aurait- elle reporté cette vérification, alors que le préposé Jacques Ostyn lui avait demandé de faire cette vérification?

Encore une fois, il est important de rappeler qu’à cette première occasion, la procédure d’embarquement était complétée au deux tiers (2/ 3).

Ce sont tous des interrogations qui ne trouvent pas de réponses dans l’ensemble du témoignage de Dame Allard.

... 19/ > /19...

C’est pourquoi le Tribunal conclut que le plaignant Russell Thiffault, en raison des agissements des préposés de la mise- en- cause, Quèbecair- Air Québec, a été, dès la première tentative d’embarquement, à prime abord, victime de discrimination contrairement aux dispositions des articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Comme le plaignant a établi prima facie avoir été victime de discrimination, il y a lieu d’appliquer le principe établi dans la décision de la Cour Suprême dans l’affaire La Commission ontarienne des droits de la personne & Als -vs- Là Muncipalité d’Etobicoke (1982) 1 R. C. S. page 202 et plus particulièrement à la page 208 où l’Honorable Juge McIntyre écrit ce qui suit:

"Lorsque’un plaignant établit devant une commission d’enquête qu’il est, de prime abord, victime de discrimination, en l’espèce que la retraite obligatoire a soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l’absence de justification de la part de l’employeur. La seule justification que peut invoquer l’employeur en l’espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l’emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civière, c’est à- dire, suivant la prépondérance des probabilités."

(les soulignés sont du Tribunal) Je conclus donc, que le plaignant, suivant la preuves a été dès sa première tentative d’accès au vol numéro 549 de la mise- en- cause du 20 juin 1986, victime de discrimination, de la part de la mise- en- cause, Quèbecair- Air Québec. Cette conclusion écarte immédiatement la première défense soulevée par le procureur de la mise- en- cause, à l’effet que le refus de la mise- en- cause de permettre au plaignant Russell Thiffault de prendre place dans le vol numéro 549 du 20 juin 1986, était d à l’altercation, ou les paroles blessantes adressées par le plaignant qui, selon la version du témoin Allard, à tort ou à raison, lui auraient été destinées.

Puisque que les préposés de la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, ont été incapables d’imaginer, de comprendre que la démarche chambranlante du plaignant pouvait s’expliquer autrement que par un état d’ivresse, je fais mien les commentaires du Tribunal dans l’affaire Isabel Alexander -vs- Her Majesty in the right of the Province of Brithish Columbia as represented by

... 20/ > /20... the Ministry of Labour and Consumer services, liquor distributions branch du 26 janvier 1989 et plus spécialement à la page 7 de cette décision:

"The Respondent’s Manager thought that the Complainant was intoxicated, refused to allow her to purchase liquor, asked her to leave the store and when she refused, he summoned the police. Haldeman was unable to accept that there could be an alternative explanation in the case of the Complainant until he spoke to the Complainant’s lawyer. I find that if the Complainant had not been a person with a disability, she would not have been treated in this way.

(les soulignés sont du soussigné). Dans la présente affaire, Madame Allard n’a trouvé aucune autre justification à la démarche chambranlante du plaignant que de conclure qu’il était ivre et, de ce fait, lui refusa l’accès à l’appareil lorsqu’il s’est présenté pour la première fois.

Elle n’a d’aucune façon rechercher à se renseigner ou s’enquérir auprès de d’autres personnes, pour trouver une explication a cette démarche. En effet, elle ne s’est pas approchée du plaignant, soit pour sentir son haleine (page 134 des notes sténographiques); elle n’a rien fait pour s’assurer que le plaignant n’était pas ivre, soit en discutant avec lui ou avec son guide. Elle n’a pas identifié le plaignant comme étant la personne bruyante dont lui avait fait part le préposé Jacques Ostyn lors de l’embarquement et qui se trouvait, semble- t- il, dans la salle d’attente.

Bien que le plaignant se soit présenté pour la première fois pour l’embarquement, et alors que la procédure d’embarquement était complétée au deux tiers (2/ 3), elle n’a pas discuté de quelque façon que ce soit avec le plaignant pour confirmer sa première suspicion, savoir son état d’ivresse.

Il m’apparaît que le diagnostic d’ivresse accolé à une personne, du simple fait qu’elle est chambranlante est arbitraire, aléatoire, injustifiée et déraisonnable.

J’en arrive donc à la conclusion gué le plaignant, s’il n’avait pas été atteint de cécité, ce qui peut expliquer sa démarche chambranlante aurait été traité de façon différente.

Certes une personne aveugle peut être également ivre. D’où, il m’apparaît d’autant plus indispensable de s’assurer et de vérifier un peu plus cette impression d’état d’ébriété et sans pour cela interrompre systématiquement la procédure d’embarquement en cours.

... 21/ > /21 ... DISCRIMINATION PAR SUITE DE L’EFFET PREJUDICIABLE

Il est évident de la preuve entendue, que la mise- en- cause, tant par ses préposés Dame Denise Allard et/ ou Jacques Ostyn n’a pas, sciemment et volontairement discriminé le plaignant.

La jurisprudence a, à plusieurs reprises, et notamment par l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O’Malley -vsSimpsons- Sears Limited (1985) 2 S. C. R., 536, établit le principe qu’en matière des droits de la personne, il n’y a pas lieu de rechercher l’intention. A cet effet, l’Honorable Juge McIntyre écrit ce qui suit à la page 549- 550:

"La preuve de l’intention, une exigence nécessaire dans notre façon d’aborder une loi criminelle et punitive, ne devrait pas être un facteur déterminant dans l’interprétation d’une loi sur les droits de la personne qui vise à éliminer la discrimination. Je suis d’avis que les tribunaux d’instance inférieure ont eu tort de conclure que l’intention d’établir une distinction constitue un élément de preuve nécessaire."

Dans la présente affaire, le plaignant a été victime de discrimination de la part de la mise- en- cause pour deux (2) raisons:

  1. Victime de discrimination par manque de discernement, de circonspection, de prudence et par absence clé critères pour conclure et juger qu’une démarche chambranlante constituait un état d’ébriété;
  2. Le plaignant a été victime de discrimination en l’absence chez- lui, de stéréotype, de clichés accolés aux aveugles, telle l’absence chez le plaignant d’une canne blanche ou encore d’un chien guide.

Les préposés de la mise- en- cause, Jacques Ostyn et Denise Allard n’ont pas recherché et ne se sont pas expliqués la démarche du plaignant autrement que par un état d’ivresse.

Tout comme le témoin Haldeman dans l’affaire Alexander précitée, les préposés de la mise- en- cause ont été incapables de donner au comportement du plaignant, une autre raison (alternative explanation) que l’état d’ivresse du plaignant au moment du premier refus.

C’est donc dire que, l’absence de signes apparents de cécité canne blanche, chien guide chez le plaignant Thiffault

... 22/ > /22... joint à une démarche chambranlante de sa part a eu comme résultat qu’on l’a catalogué de personne ivre.

A cet effet, il est intéressant de lire le passage suivant du témoignage de Madame Allard contenu à la page 116 des notes sténographiques:

"R.- Personnellement, non, parce qu’il ... il avait de la difficulté à marcher, il ne marchait pas droit. Il n’avait pas de canne blanche. Pour moi rien ne me disait que monsieur était aveugle. Je n’y voyais rien vraiment d’apparent qui m’aurait dit c’est un aveugle."

Certes comme je l’ai déjà mentionné, dans la présente affaire il n’y a pas de discrimination directe, mais plutôt discrimination par suite de l’effet préjudiciable.

La démarche chambranlante joint à l’absence de signes apparents de cécité aurait pu être un indice de l’état d’ébriété du plaignant. Mais la mise- en- cause s’est bornée à cette première constatation. Or, en l’occurence cette démarche chambranlante ainsi que l’absence de signes apparents de cécité, pouvait s’expliquer par l’état de cécité du plaignant, lequel était soutenu par son guide le dénommé Vera.

Dans de telles circonstances, il y a lieu d’appliquer la théorie de la discrimination par suite de l’effet préjudiciable tel qu’il a été statué par la Cour Suprême à quelques occasions et notamment dans l’affaire O’Malley précitée et plus particulièrement à la page 551 où l’Honorable Juge McIntyre écrivait ce qui suit:

"Une condition d’emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons

économiques ou d’affaires, également applicable à tous ceux qu’elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d’une manière différente par rapport à d’autres personnes auxquelles elle peut s’appliquer."

Dans la présente affaire, si Dame Allard avait pris la peine de vérifier sommairement la démarche chambranlante du plaignant, vérification en cours d’embarquement, alors que les deux tiers de la procédure d’embarquement était effectuée, elle aurait vite constaté, ou a tout le moins on lui aurait vite expliqué que ce premier signe d’ivresse (l’état chambranlant du plaignant) était d en raison de sa cécité.

Le Tribunal a également pris connaissance avec intérêt, de l’affaire Kellerman -vs- Al’s Restaurant and Tavern Limited -et Georges Zarafonitis rapportée à C. H. R. volume 8, décision

... 23/ > /23... 623 de mai 1987, où le propriétaire du restaurant un certain Zarafonitis a déclaré ce qui suit, au paragraphe 31092:

"... I just look over, you know the way he look, I thought he was drunk..."

Or, Madame Allard en voyant le plaignant Thiffault s’approcher de l’appareil en chambranlant a justement conclu, que le plaignant n’était pas en condition de voyager et qu’il était ivre. Elle n’a, a ce moment, rien fait d’autre pour vérifier ses suspicions. J’estime donc une telle conduite négligente et a eu pour conséquence que le plaignant a été victime dès sa première tentative d’accès à l’appareil de discrimination.

LE PLAIGNANT SE DEVAIT- IL DE DENONCER SON HANDICAP

Avant de conclure définitivement que le plaignant a été victime de discrimination, il y a lieu de se demander, s’il se devait de dénoncer son handicap.

Sur ce, le plaignant et son frère sont catégoriques a l’effet qu’au comptoir des billets de la mise- en- cause, Quèbecair- Air Québec, le plaignant s’est identifié le 20 juin 1986 comme une personne aveugle. Cette preuve n’est aucunement contre- dite par la mise- en- cause. De cette prémisse il en résulte trois (3) alternatives possibles:

  1. Que le préposé aux billets de la mise- en- cause ne l’a pas noté, soit par oubli ou encore puisque le plaignant a décliné l’aide qui lui a été offert par ce préposé en raison de la présence de son guide;
  2. Ou encore, l’agent de bord le junior n’a pas pris la liste de pré- embarquement, ce qui selon le témoignage de Madame Fournier et également de Madame Allard est improbable, puisque le ou la commissaire de bord reçoit toujours avant le départ cette liste de pré- embarquement;
  3. Ou encore, que Madame Allard, commissaire de bord, ait reçu cette liste de pré- embarquement, et qu’elle n’a pas remarqué que le plaignant était inscrit comme aveugle, ou encore, tout simplement que le nom du plaignant n’y était pas inscrit du tout, par suite de l’omission du préposé aux billets.

Mais quelle que soit l’hypothèse retenue, il ressort du témoignage non- contredit du plaignant et par surcroît corroboré par son frère, que cette dénonciation a été faite. De telle sorte que j’en conclus, qu’il ne peut être reproché au plaignant ces erreurs ou omissions des préposés de la mise- en- cause.

... 24/ > /24...

Mais il y a plus, en effet, le Tribunal a pris connaissance de l’affaire Parisian -vs- Hermes Restaurant Ltd rapporté à C. H. R., volume 9, décision 741 de juin 1988. Dans cette décision, la Cour d’Appel du Manitoba a, sous l’autorité de la Loi manitobaine des droits de la personne, conclu qu’une personne handicapée n’avait pas à prouver préalablement son handicap pour se prévaloir des protections de la loi.

En d’autres termes, cela revient à dire que l’absence de dénonciation de la déficience par l’handicapé ne peut constituer une défense valide pour l’auteur de la discrimination. Je souscris à un tel principe. En effet, comment la mise- en- cause peut- elle argumenter en défense que l’absence supposée d’identification préalable par le plaignant constitue une défense valable a l’acte discriminatoire qui lui est reproché?

Le but fondamental et essentiel de la Loi canadienne sur les droits de la personne vise à l’élimination systématique de toute discrimination volontaire ou non. C’est le droit ’quasi constitutionnel de ne pas être discriminé. Ce droit quasi constitutionnel n’a pas à être prouvé ni justifié, il existe un point c’est tout.

La Cour Suprême dans l’arrêt Robichaud -vs- Sa Majesté la Reine (1987) 2 R. C. S., 84, sous la plume de l’Honorable Juge Laforest, écrivait à la page 90 ce qui suit:

"Puisque la loi s’attache essentiellement à l’élimination de toute discrimination plutôt qu’à la punition d’une conduite antisociale, il s’ensuit que les motifs ou les intentions des auteurs d’actes discriminatoires ne constituent pas l’une des préoccupations majeures du législateur. Au contraire la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et cet sans égard aux raisons de leurs existence.

Et un peu plus loin, l’Honorable Laforest continue a la page 92: Tout doute qui pourrait subsister à cet égard est complètement dissipé par la nature des redressements prévus pour donner effet aux principes et politiques énonces dans la Loi. Cela est d’autant plus révélateur que la Loi, nous l’avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni ai punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature quasi constitution

... 25/ >-

/25... nelle des droits protégés. (les soulignés sont du Tribunal). Ce droit quasi constitutionnel de non- discrimination ne serait pas protégé si je concluais à l’obligation par le plaignant de s’identifier comme handicapé; alors que la mise- en- cause aurait conclu sur un simple signe état chambranlant du plaignant qu’il était ivre et sans pour autant s’enquérir que cette première suspicion d’ivresse était réelle ou non.

Obligé les handicapés à dénoncer leur handicap pour se prévaloir de ce droit quasi constitutionnel à la non- discrimination, signifierait à mon sens, la négation du principe d’égalité de traitement pour ces personnes handicapés, et ce serait foncièrement contraire au but recherché par la Loi canadienne des droits de la personne.

Pour toutes ces raisons, je suis d’opinion que le plaignant a été victime de discrimination en raison de son handicap de la part de la mise- en- cause, Quebecair- Air Québec, puisque cette dernière lui a refusé l’accès à son vol numéro 549 du 20 juin 1986.

Comme j’en suis arrivé à la conclusion que le plaignant a été victime de discrimination, il en résulte en vertu de l’arrêt Etobicoke (1982), 1 R. C. S., 202, un renversement de fardeau de preuve qui repose dorénavant sur la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, en tant que fournisseur de services.

Il appartient donc à la mise- en- cause de démontrer et se justifier d’une des exceptions contenues à la loi et qui sont considérées comme une défense à un acte qui autrement serait considéré discriminatoire.

A cet effet, le procureur de la mise- en- cause, Quèbecair- Air Québec, a soulevé la défense prévue par l’article 15 (g) de la loi.

LA DEPENSE DE L’EXCUSE RAISONNABLE (MOTIF) JUSTIFIABLE

La mise- en- cause a soulevé l’article 15 paragraphe g de la loi qui se lit comme suit:

"Article 15 Ne constitue pas des actes discriminatoires ... (g)

... 26/ > /26 ...

Le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installation ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou des locaux commerciaux ou de logement en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire."

Il s’agit essentiellement de la défense de l’excuse raisonnable. Le procureur de la mise- en- cause a prétendu que pour des motifs de sécurité, la décision de la mise- en- cause et spécialement la décision de Madame Allard était justifiée. En effet, selon cette prétention, le fait que le plaignant ait prononcé des paroles blessantes qui ont été considérées par le témoin Allard, à tort ou à raison, lui étant destinées, justifiait l’expulsion du plaignant.

Relativement à cette défense, j’entends considérer les trois (3) éléments suivants:

  1. Les pièces I.- 2 et I.- 3, soit deux (2) textes de loi sur l’aéronautique et qui visent plus particulièrement les personnes en état d’ébriété ou droguées;
  2. La pièce I.- 1 qui est un extrait du manuel de bord de l’agent et qui traite des dispositions pour passager particulier;
  3. La conduite du plaignant Thiffault. Tout d’abord quant au premier élément, savoir la pièce I.- 2, il y a lieu immédiatement de noter que ce règlement de l’air n’existait pas au moment des incidents survenus le 20 juin 1986, puisque ce document est entré en vigueur le 11 ao t 1988.

Quant à la pièce I.- 3, c’est le texte légal qui existait au moment des incidents du 20 juin 1986 et qui avait trait aux boissons enivrantes. Il est à remarquer que cette pièce I.- 3 et plus particulièrement l’article 823 ne traite que de la consommation de boissons enivrantes à bord d’un aéronef et ne traite aucunement de ce qui se passe à l’extérieur de l’aéronef. Quoi qu’il en soit, je suis disposé à accepter comme motif justifiable le refus d’un passager ivre pour les raisons de sécurité. Je partage l’opinion du procureur de la mise- en- cause, que c’est avant le départ qu’un transporteur comme la mise- en- cause se doit de prendre les dispositions nécessaires pour refuser un passager indésirable soit pour cause d’ébriété ou autre, puisqu’il est évident que ce n’est pas en cours de vol, qu’il y a lieu d’expulser quelqu’un.

Aussi louable et justifiable que puisse être la raison d’être de ces documents pièces I.- 2 et I.- 3, ces documents ne peuvent servir pour justifier la discrimination dont a été

... 27/ > /27 ... victime le plaignant.

En effet, comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant a été victime de discrimination dès son premier refus, celui- ci à étant fondé sur l’ivresse apparente du plaignant. Etat d’ivresse diagnostiqué sur un seul critère, avoir une démarche chambranlante une telle conclusion est non justifiée et non justifiable. Ce qui est reproché à la mise- en- cause n’est pas de vouloir respecter les règlements I.- 2 et I.- 3 mais c’est plutôt l’absence de d’autres critères, que la démarche chambranlante pour conclure à l’ivresse du plaignant. C’est l’absence d’investigation supplémentaire pour arriver à une telle conclusion. Même la pièce I.- 2 en vigueur depuis le 11 ao t 1988 est

silencieuse quant aux symptômes permettant de croire pour des motifs raisonnables que les facultés d’une personnes sont affaiblies par l’alcool ou la drogue. Quels sont en d’autres termes ces critères et symtômes. Dans la présente affaire le seul symptôme constaté a été la démarche chambranlante de l’appelant lors de son approche de l’appareil. Une telle décision basée sur ce seul fait, m’apparait arbitraire, aléatoire et injustifiable. En somme, la cause de la discrimination est l’absence minimum d’investigation de la part de la mise- en- cause lors de la première tentative d’embarquement du plaignant, joint à un seul symptôme d’une personne ivre, soit une démarche chambranlante, qui a causé la confusion sur l’état réel du plaignant. Une investigation dès plus sommaire et élémentaire, aurait révélé que le plaignant n’était pas ivre lors de sa première tentative, de sorte que les incidents subséquents ne seraient pas survenus.

L’ASPECT SECURITAIRE

La mise- en- cause a produit sous la cote I.- 1 un extrait du manuel de l’agent de bord, lequel extrait traite des dispositions pour passager particulier. La mise- en- cause a également fait entendre Madame Rachel Fournier qui est instructeur chez Inter- Canadien et qui a pour fonction de donner des cours de formation tant aux agents de bord non- initiés que des cours de recyclage aux agents de bord ainsi qu’aux commissaires de bord une (1) fois l’an. Le témoin Fournier a décrit et expliqué les différentes instructions contenues à la pièce I.- 1 relativement à un handicapé visuel se trouvant à bord. Le témoin Fournier a également décrit la procédure de pré- embarquement, laquelle vise essentiellement à faciliter et déceler les passagers particuliers, dont fait état la pièce I.- 1, de façon à ce que ces personnes puissent, avoir accès en premier à l’appareil afin d’obtenir les informations d’usage et de sécurité qui leur sont destinées.

Il ressort de l’ensemble du témoignage de madame Fournier ainsi que celui de Madame Allard que la mise- en- cause se préoccupe beaucoup de l’aspect sécuritaire de ses passagers. La

... 28/ > /28 ... procédure de pré- embarquement, les instructions à être données avant le départ aux passagers particuliers ainsi que les dispositions légales dont fait état les pièces I.- 1 à I.- 3, le démontre clairement. Le Tribunal est évidemment conscient que ces mesures de sécurité sont indispensables et essentielles pour le confort et la sécurité des passagers. La mise- en- cause a fait grand état que les mesures de sécurité doivent, autant que faire ce peu, être exercées avant le départ de l’avion puisqu’une fois en vol, il est évident comme le souligne son procureur (à la pages 226 des notes sténographiques):

"Un avion ce n’est pas comme une salle de cinéma quand il y a des fauteurs de trouble ou des gens qui qui s’énervent dans une salle de cinéma, c’est très facile de les mettre à la porte et de faire en sorte que le trouble cesse.

Il faut bien que vous vous représentiez Monsieur le Président, un avion est un lieu qui est captif, qui est fermé, qui voyage très haut et lorsqu’il peut y avoir des incidents ou des accidents ça peut être dramatique pour tout le monde. Ces exigences de sécurité sont réelles."

Bien plus, ces exigences de sécurité sont de la responsabilité du commissaire de bord, dont madame Allard le 20 juin 1986.

Mais autant, que ces dispositions de sécurité sont indispensables et nécessaires, il ne doivent pas être un prétexte ou une excuse ou motif raisonnable à la commission d’un acte discriminatoire.

Même si l’on accepte la version du témoin Allard, à l’effet qu’elle n’a connu l’état de cécité du plaignant, que suite a son expulsion définitive, et après que le plaignant lui ait adressé des paroles blessantes, l’aspect sécuritaire ne peut être une excuse valable à la discrimination initiale dont le plaignant a été victime dès sa première tentative d’embarquement.

LA CONDUITE DU PLAIGNANT

Comme je l’ai mentionné largement, la discrimination dont a été victime le plaignant, l’a été commise dès sa première tentative. Lors de la deuxième tentative du plaignant de prendre place dans le vol, les paroles blessantes du plaignant qui, selon la version du témoin Allard, lui était à tort ou à raison destinées, ne change d’aucune façon l’acte discrimination commis antérieurement.

... 29/ > /29 ...

Par ailleurs, dans l’arrêt Alexander précité, la preuve avait révélé que le plaignant avait blasphémé et insulté le dénommé Haldeman, et le Tribunal a cependant conclu à un acte discriminatoire.

Conséquemment, j’en conclus que la conduite du plaignant n’est aucunement pertinente pour décider du présent litige, et que par surcroît, une telle conduite, ne justifiait pas pour motif raisonnable (la sécurité) l’expulsion du plaignant.

LA DEPENSE BASE SUR L’ARTICLE

65 (2) DE LA LOI En plaidoirie, le procureur de la mise- en- cause a soutenu que dans l’hypothèse où le Tribunal concluait ai un acte discriminatoire de la mise- en- cause, cette dernière pouvait se prévaloir de l’article 65 (2) de la loi qui se lit comme suit:

"La personne, l’organisme ou l’association visée au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s’il établit que l’acte ou l’omission a eu lieu sans son consentement, qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher et que, par la suite, il a tenté d’en atténuer ou d’en annuler les effets."

Ce dernier argument de la mise- en- cause ne peut en raison de l’arrêt Robichaud -vs- La Reine précité être retenu. En effet, dans l’arrêt Robichaud l’Honorable Juge Laforest écrivait à la page 95 ce qui suit:

"En conséquence, je suis d’avis de conclure que la Loi envisage de rendre les employeurs responsables de tous les actes accomplis par leurs employés dans le cadre de leurs emplois ( in the court of employment), en interprétant cette dernière expression en fonction

de l’objet de la Loi, c’est- à dire comme signifiant reliés de quelque manière à l’emploi. Il s’agit a d’un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui d’écoule purement et simplement de la loi."

(Les soulignés sont du Tribunal) Au surplus, il ressort de la preuve que le témoin Allard, préposé de la mise- en- cause, n’est pas la seule et unique responsable de l’acte discriminatoire commis à l’égard du plaignant. En effet, il y a eu soit omission de la part du préposé aux billets, d’informer la commissaire de bord de la présence du plaignant qui, rappelons le, a informé le préposé aux billets de son handicap visuel. Son frère Russell Thiffault a corroboré ce

... 30/ > /30... témoignage. Cette preuve n’a nullement été contredite par la mise- en- cause. Il y a plus. Le préposé de la mise- en- cause, Jacques Ostyn, a informé le témoin Allard durant la période d’embarquement, qu’il se trouvait dans la salle d’attente une personne bruyante et que Dame Allard devait le vérifier. Or, il n’y a aucune preuve, bien au contraire, que le préposé Jacques Ostyn ait identifé le plaignant comme étant cette personne bruyante.

Pour toutes ces raisons, je conclus que la mise- en- cause, Quebecair- Air Québec, ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 65( 2) de la loi, pour éviter sa responsabilité en tant qu’employeur.

CONCLUSION

Pour toutes les raisons contenues dans la présente décision, je conclue:

QUE la plainte du plaignant du 11 septembre 1986 et déposée sous la cote C.- 1 est bien fondée;

CONSEQUEMMENT, je déclare que la mise- en- cause, Québecair- Air Québec, ai en refusant le plaignant à bord de son vol 549 du 20 juin 1986, sous un premier motif d’ivresse, alors qu’effectivement le plaignant était un handicapé visuel, commis un acte discriminatoire, illicite et contraire aux articles 3 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

ORDONNE à la mise- en- cause de rembourser au plaignant la somme de $100.00 qu’il a d débourser pour la présence d’une journée supplémentaire de son guide;

QUANT aux dommages moraux qui peut être accordés par le Tribunal aux termes de l’article 53 (3) et considérant l’arrêt Butterhill -vs- Via Rail Canada Inc. (D. T. A. 1- 80) décision du 18 ao t 1980, considérant également que le plaignant a subi du fait de l’acte discriminatoire, des frustrations et des désillusions par suite du traitement qu’il a reçu, considérant également que les préposés de la mise- en- cause ont pour le moins, lors de la première tentative agit de façon arbitraire. Se fondant sur ce qui précède, le Tribunal arrive à la conclusion qu’une somme de $1,000.00 devra être versée au plaignant pour préjudice moral conformément à l’article 53 (3) de la loi et conséquemment, ORDONNE que la mise- en- cause verse au plaignant une somme de $1,000.00.

QUANT aux autres ordonnances sollicitées par le procureur de la Commission qui sont, sommes toutes, des ordonnances a caractère préventif ainsi qu’à caractère correctif, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’y faire droit. En effet, je suis d’opinion

... 31/ > /31.. que la présente affaire est un cas d’espèce, en ce sens que la mise- en- cause a des mesures, la procédure de pré- embarquement, ainsi que des instructions pour passager particulier, qui visent à éviter les problèmes qu’a connu le plaignant et visent a accorder l’égalité de traitement aux personnes susceptibles d’être victimes de discrimination visée par la Loi canadienne des droits de la personne. Il est vrai que le plaignant malgré l’existence de telles procédures a été victime de discrimination. Cependant, ces mesures m’apparaissent suffisantes, et si le plaignant en a été victime, cela est d à un concours de circonstances, et conséquemment, il s’agit d’un cas d’espèce. Bien plus de telles ordonnances à caractère préventives et correctives sollicitées par la Commission m’apparaissent trop vagues et générales, d’autant plus que selon le témoignage de Dame Allard ainsi gué de Madame Fournier (page 74 des notes sténographiques) qui jouissent tous deux (2) d’une expérience de vol importante, une telle situation n’est, à leur connaissance, jamais survenue.

Pour les mêmes raisons, il n’y a pas lieu également d’ordonner à Quebecair- Air Québec, d’adresser au plaignant une lettre d’excuse pour les incidents survenus le 20 juin 1986. D’ailleurs, une telle lettre d’excuse, pourrait être jugée inconstitutionnelle et contraire à la Charte canadienne des droits et libertés tel qu’il en ressort de la décision Banque Nationale du Canada -vs- Union International des employés de commerce (1984) 1 R. C. S. 269.

QUEBEC, ce 5 juin 1989 ME MAURICE BERNATCHEZ Président du Tribunal

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