Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Melissa Khalifa

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Pétrole et gaz des Indiens du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Athanasios D. Hadjis
Date : Le 3 septembre 2009
Référence : 2009 TCDP 27

[Motifs rendus oralement]

[1] La plaignante a informé le Tribunal qu’elle avait conclu la présentation de sa preuve. L’intimée a maintenant fait savoir qu’elle souhaitait demander le non‑lieu ou le rejet de la plainte, affirmant que la plaignante n’avait pas établi une preuve prima facie.

[2] L’intimée a également fait valoir qu’elle ne devrait pas être tenue de faire le choix de ne pas présenter de preuve afin de pouvoir présenter sa requête.

[3] La question de savoir si les intimés comparaissant devant le Tribunal devraient être tenus de faire un choix a été étudiée à maintes reprises, et tout récemment dans trois décisions rendues par le Tribunal, une de ces décisions ayant été confirmée par la Cour fédérale lors d’un contrôle judiciaire. Ces décisions sont, par ordre chronologique : Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] D.C.D.P. n° 5 (TCDP); Filgueira c. Garfield Container Transport inc., 2005 TCDP 30, confirmée par la Cour fédérale, 2006 CF 785; et Fahmy c. L’autorité aéroportuaire du Grand Toronto, 2008 TCDP 12.

[4] Dans la décision Chopra, j’ai conclu que la règle du choix découlant des règles de common law s’appliquait au Tribunal, mais que si les circonstances le justifiaient, le Tribunal pouvait soustraire l’intimé à l’application de cette règle. En parvenant à cette conclusion, j’ai souligné le fait que la commission d’enquête de l’Ontario, dans l’affaire Nimako c. C.N. Hotels (1985), 6 C.H.R.R. D/2894, avait énoncé des motifs convaincants en faveur du maintien de la pratique consistant à soumettre les intimés à un choix dans le cas des plaintes relatives aux droits de la personne. Dans la décision Nimako, la commission d’enquête avait souligné que ce n’était qu’après avoir terminé l’audition de toute la cause qu’un tribunal était en mesure d’évaluer la preuve et de rendre une décision, et qu’il se pouvait que les témoignages présentés en faveur de l’intimé fassent pencher la balance en sa défaveur. La Commission a souligné que les plaignants dans les causes relatives aux droits de la personne éprouvaient des difficultés particulières à obtenir tous les renseignements pertinents pour établir la discrimination, et qu’en pareil contexte, il ne semblait que juste qu’un intimé doive se prononcer quant à l’opportunité de clore l’affaire, empêchant ainsi le plaignant d’avoir accès à des éléments de preuve qui auraient peut‑être établi le bien‑fondé de ses arguments, ou alors, d’appeler des témoins au risque d’aider la cause du plaignant. Dans la décision Chopra, j’ai ajouté que dans le contexte d’une allégation de discrimination au travail, les plaignants doivent relever des défis particuliers quand ils tentent de prouver directement qu’ils ont été victimes d’un comportement discriminatoire, particulièrement quand il y a eu discrimination de la part de la direction, derrière des portes closes.

[5] Au paragraphe 3 de la décision Filgueira, qui a été rendue après la décision Chopra, le Tribunal a déclaré que bien qu’il puisse y avoir place à des opinions différentes de celles exprimées dans la décision Chopra, il convenait que la question devait être décidée en fonction des circonstances de chaque cause, ajoutant que le Tribunal jouissait d’une plus grande latitude qu’une cour de justice dans ce genre d’affaires. Après avoir étudié les circonstances de l’affaire dont il était saisi, le Tribunal était convaincu qu’il n’existait aucun motif de demander à l’intimée de faire un choix avant d’entendre la demande de non‑lieu. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Après avoir souligné, aux paragraphes 21et 22 de sa décision, que la pratique consistant à obliger une partie à faire un choix variait de province en province, la Cour fédérale a conclu que l’obligation de faire un choix était une question de procédure à l’égard de laquelle il y avait lieu d’accorder aux tribunaux une latitude suffisante. La Cour fédérale a finalement conclu qu’en rendant la décision Filgueira, le Tribunal avait apprécié les facteurs pertinents et rendu une décision d’ordre procédural qui ne devrait pas être infirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire, et ce, même si la Cour [était] d’avis qu’elle aurait rendu une décision différente.

[6] Je ne pense pas que les motifs de la Cour fédérale ont établi que les intimés comparaissant devant le Tribunal ne devraient jamais être appelés à faire un choix avant de déposer une requête en rejet. Au contraire, la Cour fédérale semble avoir souscrit au point de vue voulant que cette question doive être tranchée en fonction des circonstances de chaque cause.

[7] Le Tribunal a de nouveau eu à se pencher sur la question dans l’affaire Fahmy c. L’autorité aéroportuaire du Grand Toronto. Au paragraphe 13, le Tribunal a déclaré que bien qu’il existe des motifs convaincants, tant sur le plan du droit que de la politique générale, plaidant aussi bien en faveur que contre le fait d’imposer aux parties requérantes l’obligation de faire un choix, le Tribunal était [traduction] davantage convaincu par les arguments plaidant contre l’obligation de faire un choix. Je crois comprendre que le Tribunal n’a pas limité la portée de ses conclusions aux circonstances particulières de l’affaire dont il était saisi.

[8] Au paragraphe 13 de la décision Fahmy, le Tribunal a énuméré de nombreuses considérations fondant ses conclusions. Le Tribunal a souligné qu’un intimé devant faire face à une plainte frivole ou vexatoire n’a que [traduction] peu de chances d’obtenir une décision sommaire qui ne nécessite pas une audience en bonne et due forme devant le Tribunal, après que la Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé la plainte devant le Tribunal. Toutefois, je conclus qu’une telle considération ne tient pas compte du rôle et de la compétence de la Commission avant que la plainte ne soit renvoyée devant le Tribunal. L’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne des droits de la personne (la Loi) prévoit que la Commission statuera sur toute plainte dont elle sera saisie à moins qu’elle estime que cette plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Les intimés peuvent présenter des observations à la Commission en vue de faire rejeter, pour de pareils motifs, les plaintes déposées à leur encontre, et dans le cas où la Commission décide de quand même statuer sur la plainte et la renvoie finalement au Tribunal, les intimés ont encore la possibilité de demander un contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Ainsi, il ne me semble pas qu’il soit très exact de prétendre qu’un intimé faisant face à une plainte frivole ou vexatoire n’aura guère d’autres recours que d’être partie à une audience du Tribunal en bonne et due forme. Compte tenu des garde‑fous prévus par la Loi, il semble hautement improbable que des plaintes véritablement frivoles ou vexatoires parviennent jamais devant le Tribunal.

[9] Une autre considération ayant étayé la conclusion de la décision Fahmy était l’absence, dans le contexte de la Loi, de toute [traduction] procédure d’interrogatoire préalable offerte aux parties. En effet, en dehors de la divulgation de documents que le Tribunal exige dans le cadre de sa procédure de gestion des instances, les parties n’ont aucun moyen de découvrir l’existence d’éléments de preuve susceptibles de les aider qui seraient en la possession des témoins déposant en faveur de la partie adverse. C’est précisément le point qui a été souligné dans la décision Nimako. Les personnes déposant des plaintes contre leur employeur, ou même pis, contre leur ancien employeur, doivent affronter des difficultés particulières. Ces employeurs-intimés et leurs témoins peuvent être au fait d’informations qui peuvent s’avérer importantes relativement à l’emploi du plaignant et ultimement, en vue d’établir une preuve prima facie, mais le plaignant ne pourra pas avoir accès à ces informations. Empêcher un plaignant d’avoir accès à des informations aussi importantes donne naissance au scénario [traduction] inconvenant évoqué dans la décision Nimako [traduction] pile je gagne, face tu perds.

[10] Je ne suis pas persuadé que les considérations évoquées dans la décision Fahmy me justifient de conclure qu’une partie ne doit jamais être tenue de faire un choix quand elle dépose une requête en rejet de la plainte qui a été déposée à son encontre. Je demeure convaincu qu’il existe des motifs valables (comme je l’ai dit dans la décision Chopra) d’appliquer les règles de common law dans les plaintes relatives aux droits de la personne, sauf quand les circonstances le justifient.

[11] En l’espèce, sommes-nous en présence de telles circonstances? Le temps et les coûts constituent un facteur évident. Si on prévoit que le témoignage de l’intimée prendra du temps et alourdira considérablement les frais des parties, cela peut constituer un argument convaincant en vue de dispenser l’intimée de faire un choix. Cela permettrait à l’intimée d’essayer sans risque de faire rejeter la plainte qui a été déposée à son encontre, et ce, avant même de présenter sa preuve et d’engager des frais. Cela éviterait également de prolonger inutilement l’audience. Dans la décision Chopra, j’ai conclu que même s’il semblait vraisemblablement que l’audience durerait encore plus longtemps que les cinq jours prévus à l’origine, cette durée prévue ne dispensait pas l’intimée de l’affaire Chopra de faire un choix, considérant le contexte général et l’historique de l’affaire. Dans Chopra, j’ai également conclu que les coûts anticipés de la conclusion de l’audience ne constituaient pas des circonstances spéciales justifiant de traiter l’évitement des coûts comme étant un facteur à considérer pour décider de dispenser l’intimée de faire un choix.

[12]  En l’espèce, les parties ont prévu qu’elles auraient fini de présenter la preuve en cinq jours, durée relativement courte à la lumière de celle de la plupart des affaires dont le Tribunal est saisi. L’affaire se déroule dans les délais prévus, et selon les propres estimations de l’intimée, elle n’aurait aucune difficulté à faire comparaître ses quatre témoins pendant les trois derniers jours de l’audience. Si j’ai bien compris, trois témoins de l’intimée résident à Calgary, où l’audience a lieu, et il s’agit d’employés de l’intimée. Le quatrième témoin demeure au Nouveau‑Brunswick; il était déjà arrivé à Calgary quand les avocats de l’intimée ont entrepris de déposer une requête en rejet de la plainte le deuxième jour de l’audience. Ce témoin résidant en dehors de la ville sera le premier à déposer en faveur de l’intimée. Par conséquent, il n’existe aucune preuve indiquant que l’intimée verrait ses frais significativement réduits si l’audience se terminait plus tôt, soit le troisième ou quatrième jour des cinq jours prévus pour l’audience. En l’occurrence, si sa requête en rejet de la plainte était accueillie, cela n’aurait pas non plus de répercussions sur la durée de l’audience.

[13] L’intimée ne m’a présenté aucune autre raison susceptible de me persuader qu’elle devrait être exemptée de choisir, avant de déposer sa requête en rejet de la plainte, de ne pas présenter de preuve.

[14] Par conséquent, l’intimée peut maintenant déposer sa requête en rejet, à condition qu’elle choisisse de ne pas présenter de preuve.

Je certifie par la présente déclaration que ce qui précède est une représentation conforme et exacte de la décision sur requête orale rendue aux parties à l’audience le 19 août 2009.

Signée par

Athanasios D. Hadjis
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 3 septembre 2009

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1334/6408

Intitulé de la cause : Melissa Khalifa c. Pétrole et gaz des Indiens du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 3 septembre 2009
(Décision sur requête orale rendue à l’audience le 19 août 2009)
Date et lieu de l’audience : Les 18 et 19 août 2009

Calgary (Alberta)

Comparutions :

Melissa Khalifa, pour la plaignante

Aucune comparution, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Raymond Lee et Frank Durnford, pour l'intimée

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