Tribunal canadien des droits de la personne

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Dossier no T470/1097
Décision no 4

Affaire intéressant
LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE
L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

la plaignante

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

MINISTRE DU PERSONNEL DU
GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST,
À TITRE D'EMPLOYEUR

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE
SUR LA REQUÊTE POUR DÉTAILS

Membres instructeurs : Paul Groarke, président
Jacinthe Théberge, membre
Athanasios Hadjis, membre

Ont comparu : Judith Allen
Au nom de la plaignante

Rosemary Morgan
Au nom de la Commission

Guy Dufort
Thomas Brady
Au nom de l'intimé

Dates et lieu de l'audience : 16 et 17 nov. et du 22 au 25 nov.
Ottawa

INTRODUCTION

La Commission canadienne des droits de la personne a déposé devant le Tribunal un avis de motion demandant :

  1. des détails complets quant à l'allégation de mauvaise foi de la part de l'AFPC;
  2. la liste des documents particuliers qu'elle citera;
  3. la liste des témoins;
  4. un bref résumé de la preuve prévue en ce qui concerne l'allégation de mauvaise foi.

La plaignante a déposé, pour instructions, un avis de motion distinct comportant une requête similaire. Nous entendons nous en tenir pour l'instant à la requête pour détails.

Une fois que nous aurons réglé la question des détails, il faudra peut-être se pencher sur certaines des autres questions soulevées dans l'avis de motion de la Commission. Au paragraphe 5, par exemple, la Commission s'interroge sur la pertinence du contre-interrogatoire de M. Jones à propos de la préparation et le dépôt de la plainte. Il est préférable d'examiner cette question, une fois que le contre-interrogatoire aura repris.

En outre, un certain nombre de questions de droit, dont certaines ont trait à la compétence du Tribunal, ont été soulevées au cours de l'argumentation. Nous sommes d'avis qu'il est préférable d'examiner ces questions, si cela s'avère nécessaire, une fois que nous nous serons prononcés sur la requête pour détails.

La mauvaise foi a été alléguée pour la première fois dans le contexte des motions préliminaires de l'intimé. L'intimé a fait valoir, à l'égard de ces motions, que le syndicat devrait être désigné cointimé. Une des motions invoque la défense de fin de non-recevoir, qui a été qualifiée de préclusion fondée sur la conduite par l'avocat de la Commission. D'après les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier c. Bell [1999] 1 C.F. 113, il semble qu'on ne puisse invoquer la défense de fin de non-recevoir sans alléguer la mauvaise foi.

L'avocat de la plaignante a cité le Black's Law Dictionary (6d, 1990), qui précise :

[Traduction] … suppose un tort causé consciemment pour des raisons malhonnêtes ou par improbité morale; cette notion se distingue de la négligence en ce sens qu'elle sous-entend un dessein furtif ou de la mauvaise volonté.

Dans son mémoire, l'intimé allègue que le Syndicat des travailleurs du Nord (STN) a délibérément négocié des conventions collectives viciées aux termes de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans le cadre de son plaidoyer, l'avocat a également allégué que le syndicat a participé à l'étude conjointe sur la parité salariale, sachant qu'elle était fondamentalement viciée, dans le dessein de tromper l'employeur.

La requête pour détails découle d'un ensemble d'objections au contre-interrogatoire de M. Jones par l'intimé au sujet du dépôt de la plainte. Cette requête a suscité une certaine controverse, la Commission et la plaignante estimant que les questions entourant le dépôt de la plainte débordent le cadre de la présente audience. Dans le volume 27 de la transcription (p. 3465), l'avocat de la plaignante s'oppose à la tentative de Me Dufort de prouver que le syndicat a adopté la même position dans le cadre des négociations collectives qu'à l'occasion du dépôt de la plainte. L'avocat de la Commission a indiqué par la suite que le problème réside, en réalité, dans le fait que l'intimé n'a pas fourni les détails de sa défense.

C'est précisément cette préoccupation qui a mené au dépôt de l'avis de motion dont il s'agit. À la page 3490 du même volume, Me Morgan déclare :

[Traduction] … À mon avis, ce qu'il faut faire à cette étape, c'est faire préciser, le plus tôt possible, la nature de cette défense, à savoir si on invoque la mauvaise foi ou la préclusion fondée sur la conduite. Par préciser, je veux dire dévoiler tous les aspects de la défense qui concernent la preuve, car nous voulons empêcher, si possible -- et je ne dis pas que cela peut être fait entièrement -- les objections constantes des avocats de la Commission et de la plaignante ou les questions du Tribunal concernant la nature de cette preuve ou les raisons pour lesquelles nous soulevons tel ou tel aspect. Les détails ou précisions devraient aider à réduire -- je ne dis pas empêcher, mais bien réduire -- ce genre d'objections.

L'avocate de la plaignante a exprimé à plusieurs reprises des préoccupations similaires; elle présente la position de la plaignante à la page 3506 du volume 26.

LE DROIT

Les questions de droit qu'implique la présente requête sont relativement simples. Il n'est pas nécessaire de les examiner en détail. Nous faisons nôtre l'opinion générale exprimée par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Fairbairn v. Sage (1925), 56 O.L.R. 462 (C.A. Ont.), selon laquelle l'obtention de détails vise :

  1. à définir les questions;
  2. à éviter les surprises;
  3. à permettre aux parties de se préparer au procès;
  4. à faciliter l'audience.

Cette opinion a été adoptée par la commission d'enquête de la Saskatchewan dans Andreen v. Dairy Producers Co-operative Ltd. (No. 1) (1993) 22 C.H.R.R. 58, par. 59. En l'espèce, la Commission et la plaignante demandent les détails sur lesquels l'intimé se fonde pour alléguer la mauvaise foi. Essentiellement, l'argument est que ces détails permettraient de définir les questions à examiner, d'éviter les surprises et de préciser les paramètres du processus de preuve. Ils permettraient également de faciliter l'audience et d'accélérer son déroulement, conformément au paragraphe 48.9(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

D'autre part, nous faisons nôtre la position de l'intimé selon laquelle la Commission et la plaignante ont le droit de connaître uniquement les faits essentiels sur lesquels l'intimé se fonde. Elles n'ont pas droit, en ce qui touche les détails, à un résumé des témoignages que ce dernier entend présenter. En outre, nous souscrivons à l'opinion exprimée par Master Funduk, dans Trizec Properties Ltd. v. Brett, Q.L. [1996] A.J. No 1173 (B.R.Alberta), à savoir que les plaidoyers et les raisonnements qui les sous-tendent ne sont pas des détails pouvant être divulgués.

L'avocat de l'intimé a cité la décision de la cour du banc de la Reine du Manitoba dans Dumont c. Canada (Procureur général), 1990 CarswellMan 395, 71 Man.R. (2d) 199, [1991] 3 C.N.L.R. 22. Depuis que nous avons entendu les exposés de l'avocat, nous avons appris que cette décision a été renversée en appel - Dumont c. Canada (Procureur général), Q.L. [1991] M.J. No 621, 6 75 Man. R. (2d) 273, 91 D.L.R. (4th) 654. Malgré cela, la cour d'appel du Manitoba a appliqué les mêmes principes pour décider s'il convenait de faire droit à une requête pour détails. À cet égard, il convient de préciser que l'un des buts d'une telle requête est de [Traduction] restreindre le caractère général d'une allégation d'une des parties. En outre, elle [Traduction] lie les mains d'une partie, en ce sens qu'elle l'empêche d'aborder d'autres questions dans le cadre de la présentation de la preuve. Cela semble être la principale considération en l'espèce. L'avocat de la plaignante et la Commission ont déjà exprimé de vives préoccupations relativement à l'évolution des paramètres de l'audience, dans le cadre du contre-interrogatoire.

Les préoccupations sont les mêmes dans les affaires qui nous ont été soumises. La règle de base est que les parties devraient dévoiler suffisamment de faits pour permettre aux autres parties de se préparer à l'audience. C'est un aspect fondamental de l'équité et de la justice naturelle, car une partie ne peut répondre de façon adéquate aux autres parties si elle ne connaît pas les faits essentiels sur lesquels ces parties se fondent. Il s'agit également d'une question d'efficacité et d'un élément qui aide les parties et le Tribunal à faciliter le processus d'audience.

RETARD

Il n'y a pas de raison de se lancer dans une comparaison entre des procédures intentées devant un tribunal des droits de la personne et des procédures instituées devant une cour. Toutefois, nous ne partageons pas l'opinion qu'il est trop tard pour que la Commission et la plaignante demandent des détails. Les affaires instruites par les tribunaux des droits de la personne sont empreintes de moins de formalisme que les instances judiciaires, et ces tribunaux jouissent d'une plus grande latitude à l'égard des questions de procédure. Cet aspect ressort clairement des Règles de procédure provisoires adoptées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui permettent au Tribunal d'adapter les règles de procédure aux exigences d'une situation particulière.

En l'espèce, le Tribunal a exigé que les parties déposent un aperçu de leur argumentation indiquant les faits importants sur lesquels elles entendent se fonder. Notre intention à cet égard a toujours été de faire en sorte que ces mémoires définissent les paramètres de l'audience. Par conséquent, nous voulons préciser qu'une partie qui souhaite soulever de nouvelles questions devrait présenter une requête pour modifier son mémoire. Le facteur décisif dans chaque cas est l'équité.

L'affaire dont nous sommes saisis diffère d'une instance civile, étant donné que l'audience débute sans qu'il y ait eu de communication et d'interrogatoire préalables. C'est là un facteur important dont on doit tenir compte lorsqu'on se penche sur des questions de procédure et qui explique dans une certaine mesure le moment de la présentation de la présente requête. Si l'audience a débuté à un stade relativement peu avancé du processus de divulgation, c'est principalement parce que la plaignante et la Commission s'inquiétaient de ce qu'il puisse y avoir de nouveaux retards. Bien qu'on ait fait référence à la question de l'irrecevabilité et à l'allégation de mauvaise foi aux stades préliminaires de l'audience, ces références ont été moins précises qu'elles auraient pu l'être.

Les difficultés qu'a entraînées pour les parties le fait qu'il n'y a pas eu de communication et d'interrogatoire préalables ont été aggravées par l'audition du témoignage en interrogation principal des deux premiers témoins de la plaignante avant que l'intimé ait terminé la divulgation de ses documents. On nous a informés que cela était nécessaire pour permettre de passer en revue quelque 40 000 documents en vue de dresser la liste de documents. Nous n'avons pas de raison de douter des efforts sincères de l'intimé à cet égard, mais les retards ont mis l'avocate de la plaignante dans la position peu enviable de citer des témoins avant de connaître pleinement l'argumentation qui serait présentée. Il semble évident que la plaignante était au courant des difficultés qui en résulteraient, mais qu'elle a choisi d'aller de l'avant afin d'accélérer le déroulement de l'audience.

DÉCISION

Nous admettons que l'intimé a l'obligation de fournir à la Commission et à la plaignante un exposé des faits essentiels sur lesquels il fonde sa défense. Au paragraphe 17 de son avis de motion, la Commission cite deux affirmations de l'intimé. Essentiellement, l'intimé affirme :

  1. que la plaignante a déposé la présente plainte après avoir accepté les salaires dans le cadre des négociations collectives;
  2. que la plaignante a cherché à se fonder sur une preuve qui était insuffisante ou qui manquait de rigueur, et ce tant au moment du dépôt de la preuve qu'après que la soi-disant étude conjointe sur la parité salariale ait pris fin et que les négociations aient repris.

On allègue la mauvaise foi au paragraphe 59 du mémoire de l'intimé, où figure apparemment la première affirmation. L'avocat de l'intimé est toutefois allé plus loin durant son plaidoyer en déclarant que le Syndicat des travailleurs du Nord a délibérément négocié un écart salarial et qu'il avait l'intention de remédier au manque à gagner en déposant une plainte.

Dans le volume 31 (p. 3952), l'avocat de l'intimé a accepté de préciser à quels groupes d'employés et à quelle ronde de négociations l'intimé fait référence en invoquant une telle défense. Voyons maintenant ce qui en est de la deuxième affirmation faite au paragraphe 17 de l'avis de motion. Le mémoire de l'intimé fait état de lacunes dans l'étude conjointe sur la parité salariale ainsi que dans l'initiative conjointe syndicale-patronale, menée par la Commission, l'Alliance de la fonction publique du Canada et le gouvernement fédéral dans le contexte de l'affaire mettant en cause le Conseil du Trésor.

L'argument est apparemment que la plaignante était au courant de ces lacunes et est allée de l'avant avec la plainte dans un dessein trompeur ou fallacieux, s'appuyant sur l'étude conjointe sur la parité salariale.

Nous convenons que l'intimé a l'obligation de fournir à la Commission et à la plaignante les détails quant aux lacunes mentionnées au paragraphe 40 de son mémoire. À quelles lacunes l'intimé fait-il référence? À quels comités, à quels postes repères et à quelles méthodes statistiques? Ces faits importants devraient être suffisants pour permettre à la Commission et à la plaignante de préparer leur plaidoyer.

Ce sont là les positions dont la Commission a fait état. Le dossier comporte toutefois un certain nombre de déclarations générales, et nous irions un pas plus loin. À la page 3938 du volume 31, l'avocat de l'intimé tente de préciser sa position :

J'ai clairement indiqué au Tribunal les trois faits essentiels sur lesquels nous nous fondons. D'abord, le dépôt de la plainte proprement dite. Il y a eu mauvaise foi dans la façon dont elle a été traitée et déposée, puis dans le traitement qui en a été fait par la suite. Ensuite, il y a l'étude conjointe sur la parité salariale. Le comportement des représentants de l'AFPC ou du STN était empreint de mauvaise foi. Enfin, je parle de la négociation collective. Il y eu mauvaise foi dans la négociation collective. Les paragraphes 33, 34 et 35 traitent de façon générale de cette question et exposent les faits essentiels à cet égard. Enfin, il y a eu également mauvaise foi dans le règlement de la plainte. Essentiellement, ce sont là les faits essentiels sur lesquels nous nous fondons.

Toutefois, il s'agit là de déclarations générales qui expriment des conclusions de droit plutôt que des allégations de fait. Ces déclarations, sous leur forme actuelle, ne sont pas suffisantes pour établir la pertinence d'un contre-interrogatoire sur ces questions.

Il est peut-être utile de commenter chacune de ces déclarations. La première déclaration porte sur la plainte. Dans le cadre de son argumentation, l'avocat de l'intimé a fait valoir que la plainte était fondée sur de fausses déclarations et une information trompeuse. À quelles déclarations faisait-il référence? À quelle information? La deuxième déclaration a trait à l'étude conjointe sur la parité salariale et peut-être aux lacunes dont il est fait mention au paragraphe 40 du mémoire de l'intimé. La troisième déclaration concerne la convention collective. Bien que les paragraphes auxquels l'avocat fait référence renferment un certain nombre de détails importants, ils ne fournissent pas de détails quant à l'allégation de mauvaise foi. Il reste la quatrième déclaration, qui exige de plus amples explications.

Soyons clairs : le seul fait de déclarer que la plaignante a agi de mauvaise foi ne constitue pas la base factuelle nécessaire à une défense. Il faut décrire le comportement de la plaignante et préciser les faits qui ont amené l'intimé à tirer pareille conclusion. Par conséquent, nous ordonnons à l'intimé de préciser à la Commission et à la plaignante les faits essentiels sur lesquels il se fonde pour faire ces quatre déclarations. Il n'est pas obligé de fournir la preuve sur laquelle il s'appuie.

Nous prions l'intimé de fournir tous les détails nécessaires dans les meilleurs délais. S'il ne peut le faire avant la reprise de l'audience le 13 décembre, nous sommes prêts à entendre les arguments de son avocat à ce sujet. Comme nous l'avons indiqué, nous estimons qu'il ne conviendrait pas d'examiner les autres questions soulevées par l'avocat tant que l'intimé n'aura pas fourni les détails nécessaires.

Fait le 6e jour de décembre 1999.

Paul Groarke, président

Jacinthe Théberge, membre

Athanasios Hadjis, membre

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