Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D.T. 7/96 Décision rendue le 16 mai 1996

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, Chap. H-6 (version modifiée) TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : JOHN MILLS

le plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

VIA RAIL CANADA INC.

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Keith C. Norton, c.r., président Joanne Cowan-McGuigan, membre Kent Morris, membre

ONT COMPARU : Rosemary Morgan Avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Tom Barron, TCA-Canada Représentant le plaignant, John Mills

Brian Johnston Avocat de VIA Rail Canada Inc.

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Du 15 au 18 mai 1995 Du 5 au 7 et du 26 au 29 septembre 1995 Du 15 au 17 novembre 1995 HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

TRADUCTION

1. LA PLAINTE

Le 2 octobre 1992, le plaignant, M. John S. Mills, a déposé contre l'intimé, VIA Rail, une plainte alléguant ce qui suit :

[TRADUCTION]

"[...] je suis victime de discrimination dans l'emploi parce que l'intimé refuse de continuer de m'employer à cause de mon incapacité (blessure au dos), ce qui contrevient à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne."

2. LES FAITS

A) ANTÉCÉDENTS PROFESSIONNELS DE M. JOHN S. MILLS, 1970-1991

Le plaignant, M. John Mills, après avoir servi dans la Marine canadienne, est entré au service de la Compagnie des chemins de fer nationaux le 27 mai 1970 à l'âge de vingt-deux ans. Par la suite, en 1978, il a été muté à VIA Rail Canada Inc.

Initialement, il travaillait depuis la gare de Halifax, mais il a été muté à la gare de Moncton et il s'est réinstallé à Louisbourg (N.-É.); il faisait tous les jours la navette en train entre Sydney (N.-É.) et Moncton (N.-B.). En 1971, il a commencé une formation de chef et pendant dix à douze ans il a travaillé comme employé de réserve - parfois en tant que chef, mais aussi comme cuisinier, préposé aux services ou préposé principal aux services, selon le besoin.

Au début des années 1980, il avait acquis assez d'ancienneté pour occuper un emploi régulier de barman à bord d'un train, ce qu'il a fait pendant environ deux ans avant de commencer à travailler régulièrement comme chef depuis la gare de Moncton.

En janvier 1990, le poste de M. Mills a été aboli à la suite de la décision de VIA Rail de réduire les services fournis depuis Moncton; M. Mills comptait alors presque vingt ans de service avec la compagnie.

En prévision des réductions de 1990, M. Mills a été placé sur le régime de garantie d'emploi à son plein salaire en vertu de l'entente conclue entre l'agent négociateur et VIA Rail en 1989. Aux termes de cette entente, les employés visés continuaient de toucher leur salaire et leurs avantages sociaux, qu'un emploi ait été disponible ou non. L'entente disait également que l'employé devait être prêt à travailler si on le rappelait.

Bien qu'il y ait une certaine confusion dans la preuve quant aux dates, à un moment donné au début de 1990, M. Mills a reçu un appel concernant un poste de chef pour VIA Rail à Prince Rupert, dans l'Ouest canadien. Il a décidé d'accepter le poste et d'aller s'installer dans l'Ouest, seulement pour être avisé peu

- 2 -

de temps après que l'offre était retirée parce qu'il était trop grand pour travailler à bord du type de voiture utilisé.

Il y a lieu de signaler ici que, bien que le plaignant ait eu jusque-là des troubles dorsaux dans sa carrière, ceux-ci n'avaient jamais été identifiés comme graves ni jamais été mentionnés dans une évaluation de rendement, semble-t-il. Nous apporterons plus de précisions à ce sujet plus loin dans la décision.

Au début de 1990, le plaignant a été muté à la gare de Halifax pour y travailler comme employé de réserve au besoin. Il maintient que, contrairement aux dispositions de la convention collective, l'intimé l'obligeait à travailler souvent comme préposé aux services -- à faire des lits, soulever les bagages, aider au débarquement des passagers -- et le rappelait rarement pour travailler comme chef.

Il convient de noter que M. Mills était domicilié à Louisbourg, qui est situé à 350 km de la gare de Halifax où il travaillait, et qu'il devait se rendre à Halifax en automobile.

En mars 1991, M. Mills a demandé à être réinstallé dans la région de Halifax. Il croyait savoir que la convention collective lui donnait droit à une aide pour ce faire. Il espérait ainsi éliminer le trajet aller-retour de 10 heures qu'il devait faire pour travailler comme employé de réserve à Halifax. Sa réinstallation est devenue litigieuse -- y compris la vente de sa maison -- et l'affaire n'est toujours pas réglée.

Par conséquent, M. Mills a continué de se rendre travailler à Halifax en automobile, un trajet qui, dit-il, était stressant et l'a obligé à prendre des médicaments contre la douleur.

Le 19 mars 1990, pendant qu'il travaillait comme préposé aux services et non comme chef, il s'est blessé au dos et dût s'absenter du travail de façon intermittente jusqu'au 17 octobre 1990.

Après le 17 octobre 1990, il a continué de travailler comme employé de réserve jusqu'à ce qu'il se blesse de nouveau au dos le 21 août 1991.

B) TROUBLES DORSAUX - ANTÉCÉDENTS MÉDICAUX

Le plaignant éprouve des douleurs récurrentes au dos depuis au moins 1982. Il en a fait état dans son témoignage et une bonne partie des faits sont documentés dans les dossiers de la compagnie (pièce HR-1, onglet 50).

Selon la preuve, de 1982 à 1990, lorsque son poste de chef à Moncton a été aboli, M. Mills a dû voir un médecin à sept ou huit

- 3 -

reprises pour des maux de dos, épisodes qui sont documentés dans la pièce HR-1, onglet 50. En général, il a dû alors s'absenter pendant moins de deux semaines pour se reposer ou recevoir des traitements.

Le plaignant a par ailleurs expliqué qu'à deux reprises il s'était blessé à la suite de ce qui était clairement un accident -- sans qu'il y ait nécessairement de lien avec un état chronique quelconque -- et qu'il avait dû s'absenter pendant un certain temps pour récupérer. La première fois il est tombé entre deux voitures mal raccordées dans la gare de triage de Halifax en 1986, et la seconde fois il est tombé d'une chaise qui s'est écroulée sous son poids dans la voiture-cantine.

D'après la preuve, le plus grave de ces épisodes aurait eu lieu en avril 1987 lorsque le plaignant s'est blessé au dos en aidant un passager à débarquer. M. Mills a dû alors s'absenter pendant plusieurs semaines pour recevoir de la physiothérapie. Il convient de signaler que le plaignant n'a pas subi cette blessure durant l'exercice de ses fonctions de chef.

Bien qu'il n'y ait pas de preuve documentaire à l'appui, M. Mills a témoigné que déjà, en 1982, son médecin traitant, le Dr Boudreau, avait dit qu'il ne devait pas soulever de charges lourdes ni faire des mouvements d'extension. L'employeur, a-t-il ajouté, en avait été avisé à l'époque.

Il n'y a dans la preuve rien qui indique que M. Mills, en dépit du fait qu'il avait des maux de dos récurrents, ne pouvait pas accomplir son travail de chef durant cette période. En effet, un examen de la preuve et des rapports médicaux révèle que les épisodes de douleurs au dos n'étaient pas en général associés à l'exercice de tâches particulières de chef.

Après sa mutation à Halifax à titre d'employé de réserve, au début de 1990, M. Mills n'a plus travaillé exclusivement ni principalement comme chef. Son travail consistait souvent à faire office de préposé aux services -- aider les passagers à monter et à descendre du train, transporter les bagages, faire les lits, descendre les lits -- ainsi que de barman. On lui demandait rarement de travailler comme chef.

C'est en travaillant à titre de préposé aux services, le 19 mars 1990, pendant qu'il aidait au débarquement des passagers et à la manutention des bagages -- peut-être à l'encontre des restrictions que lui avait imposées antérieurement le Dr Boudreau -- que M. Mills s'est blessé de nouveau. A cause de cette blessure, il a dû s'absenter de façon intermittente jusqu'en octobre 1990. Pendant cette période, il a reçu de nombreux traitements de physiothérapie.

- 4 -

M. Mills a été examiné par son médecin de famille, le Dr J. Wawrzyszyn, ainsi que par le Dr Ian Holmes, un chirurgien orthopédiste, à la demande du Dr E.G. Nurse, le médecin de VIA Rail; enfin, ce dernier a lui-même examiné le plaignant le 17 octobre 1990.

Le Dr Wawrzyszyn a de nouveau réitéré les restrictions concernant le soulèvement de charges lourdes ainsi que les mouvements d'extension et de traction (pièce HR-1, onglet 28).

Le Dr Holmes, après avoir examiné M. Mills, a déclaré ce qui suit dans une lettre en date du 20 août 1990 (pièce HR-1, onglet 27) :

[TRADUCTION]

«Son examen physique n'a pas révélé grand-chose, mais il a de la difficulté à s'étirer pour descendre les lits dans son emploi comme porteur à VIA.» (c'est nous qui soulignons)

Enfin, le Dr Nurse, après avoir noté les restrictions du Dr Wawrzyszyn concernant le soulèvement de charges lourdes et les mouvements d'extension et de traction, a affirmé ce qui suit dans sa lettre du 18 octobre 1990 :

[TRADUCTION]

«Je suis d'accord que tout malade qui se rétablit d'une blessure au dos doit faire attention et éviter de soulever des charges lourdes, de s'étirer et de tirer lorsqu'il retourne au travail. Il faut comprendre, toutefois, que c'est là une situation temporaire et qu'il devrait pouvoir accomplir toutes ses activités normales après avoir été à son poste pendant quelques semaines.

L'examen physique du 17 octobre a révélé un homme de 43 ans ne souffrant d'aucun mal aigu. Il n'y avait vraiment pas grand-chose à signaler à l'examen physique. M. Mills a une démarche normale. L'amplitude de ses mouvements est tout à fait dans la norme. Il n'y a aucune perte de force ni handicap d'ordre sensoriel.» (pièce HR-1, onglet 29)

Lorsque le plaignant a eu le feu vert pour retourner au travail en octobre 1990, il n'a pu garder son poste à titre d'employé de réserve à cause de son manque d'ancienneté, et il est donc de nouveau devenu bénéficiaire du régime de garantie d'emploi, et ce, jusqu'en mars 1991. A ce moment-là, il est redevenu suppléant à Halifax, où il a exécuté les mêmes tâches variées qu'auparavant, à savoir celles de porteur, de serveur et, parfois, de chef. Cela, en dépit des restrictions dont l'intimé était incontestablement au courant à ce moment-là.

- 5 -

Le 21 août 1991, M. Mills s'est blessé au dos en travaillant, cette fois dans l'exercice de ses fonctions de chef. L'accident s'est produit pendant qu'il se penchait pour allumer un four au gaz, ce qu'il avait fait sans problème à maintes reprises jusque-là. En octobre 1991, après deux mois de physiothérapie, le Dr Wawrzyszyn a dit à M. Mills qu'il pouvait retourner au travail avec les mêmes restrictions qu'auparavant concernant le soulèvement de charges lourdes et les mouvements d'extension.

Le médecin de VIA Rail, le Dr Nurse, a refusé la note du Dr Wawrzyszyn que M. Mills lui a présentée et autorisant ce dernier à reprendre son travail, et il a renvoyé de nouveau M. Mills voir le Dr Ian Holmes. L'intimé a refusé que le plaignant retourne au travail après avoir reçu l'opinion du Dr Holmes. Sa position est exposée dans la lettre datée du 5 novembre 1991 que le Dr Nurse a envoyée à M. J. Dionne, directeur des réclamations à VIA Rail. Le Dr Nurse y dit notamment ce qui suit à propos de M. Mills :

[TRADUCTION]

«[...] A la page 2, point 3, il [le Dr Holmes] affirme clairement que sa capacité de retourner à son emploi actuel est forcément très limitée. Je pense que nous devrions accepter sa recommandation et déclarer M. Mills inapte à occuper son poste actuel. On peut donc lui offrir une pension d'invalidité ou un autre genre d'emploi. Présentement il ne travaille pas puisque j'ai refusé d'autoriser son retour au travail d'ici à ce que nous ayons réglé cette question.» (pièce HR-1, onglet 37)

Le Dr Holmes, dans la même lettre, affirme ce qui suit dans le dernier paragraphe :

[TRADUCTION]

"Veuillez noter que [...] le niveau de déficience physique n'est pas synonyme de niveau d'invalidité. S'il est incapable de retourner à son emploi actuel, son niveau d'invalidité est de 100 %, mais sa déficience physique peut ne pas être aussi élevée."

Le 26 novembre 1991, VIA Rail a offert une pension d'invalidité au plaignant, qui a décliné l'offre en affirmant qu'il souhaitait ardemment continuer de travailler. La pension aurait été d'environ 800 $ par mois.

En mai et juin 1992, VIA a donné à M. Mills cinq semaines de formation à Moncton, ce qui lui a permis de se qualifier à titre d'agent de ventes par téléphone (AVT). Tous les frais de déplacement et de logement, ainsi que tous les coûts associés à la formation proprement dite ont été pris en charge par VIA Rail Canada Inc. A l'issue de la formation, VIA a offert à M. Mills,

- 6 -

conformément à la convention collective, des postes vacants au bureau des ventes par téléphone à Moncton (Nouveau-Brunswick). Parce qu'il aurait dû lui-même assumer toutes les dépenses associées à son logement et à ses déplacements entre son domicile et le lieu de travail, M. Mills a jugé que l'offre n'était pas financièrement viable et il a décliné trois offres séparées où on lui demandait de travailler une journée. Il convient de mentionner que M. Mills ne pouvait plus prendre le train pour se rendre à Moncton, comme il l'avait fait auparavant, puisque ce trajet avait été aboli.

VIA a offert d'assujettir M. Mills à la convention no 2 plutôt qu'à la convention no 1, ce qui aurait eu pour effet de permettre à celui-ci de travailler au bureau des ventes par téléphone à Moncton.

Une offre d'emploi a été faite à M. Mills. Elle est contenue dans une lettre datée du 1er décembre 1992 que M. Preston Beaumont de VIA a envoyée à M. Gary Murray, vice-président régional du syndicat. Voici la teneur de cette offre :

[TRADUCTION]

1. Offrir à M. Mills un emploi au bureau des ventes par téléphone à Moncton. M. Mills commencerait dès maintenant et occuperait le poste aussi longtemps que le Groupe de travail serait actif, ou d'ici à ce qu'une proposition acceptable aux deux parties ait été présentée, selon la première de ces deux éventualités.

2. Le salaire de M. Mills serait bloqué dans un poste 12.6 en vertu de la clause 15.1(B) de la convention collective no 1, sans droit de déplacement.

3. M. Mills n'accumulerait pas d'ancienneté aux termes de la convention no 1, à moins que le Groupe de travail établisse un processus acceptable permettant à celui-ci d'obtenir un poste assujetti à la convention no 1. Dans une telle éventualité, la date d'ancienneté de M. Mills à l'égard de la convention no 1 serait réputée être le premier jour de travail au bureau des ventes par téléphone. (pièce R-2)

Comme l'offre n'était pas sans restrictions et parce qu'il n'y a pas eu d'entente sur des questions telles que les frais de réinstallation et le transfert d'ancienneté, celle-ci n'a pas été

- 7 -

acceptée. Des doutes ont par ailleurs été soulevés à savoir si l'offre était acceptable au syndicat à l'époque.

A l'été de 1992, M. Mills avait postulé l'emploi de préposé aux bagages à VIA Rail Canada Inc. Il a été renvoyé au Dr Brown, un chirurgien orthopédiste engagé par VIA, qui a exprimé l'opinion que M. Mills ne serait pas un bon choix pour ce poste. Le Dr Brown, dans une lettre en date du 20 juillet 1992 adressée à Gillis Langley, affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

«[M. Mills] risque fort d'avoir de graves maux de dos récurrents au travail du fait qu'il pourrait perdre son équilibre à manipuler tant bien que mal des bagages dans un train se déplaçant rapidement; si l'employeur ne peut le reprendre dans ces circonstances, alors pour ce poste M. Mills doit être considéré comme 100 % invalide.» (pièce HR-1, onglet 43)

Le Dr Brown a par ailleurs dit ce qui suit dans une lettre à MEDISYS datée du 7 juillet 1992 :

[TRADUCTION]

«La question, en réalité, est de retourner au travail, et je pense qu'on devrait lui donner la chance de retourner au travail dans la voiture-restaurant, s'il le souhaite. En fait, je pense que cet homme est mieux à travailler même si cela signifie qu'il doit s'absenter de temps à autre à cause d'épisodes aigus [...]» (pièce HR-1, onglet 41)

VIA a demandé au Dr Marcel Pigeon, directeur médical de MEDISYS, de donner son avis au sujet de la capacité de travailler de M. Mills. En se fondant sur un examen des dossiers médicaux, plutôt que sur un examen physique ou des tests, le Dr Pigeon a conclu :

[TRADUCTION]

«Compte tenu de la situation, je considère que M. Mills est inapte à remplir le poste de chef à bord du train, ainsi que le poste de préposé aux bagages. On peut aussi le considérer comme inapte à occuper le poste de téléphoniste [...]» (pièce HR-1, onglet 45)

Parmi les médecins qui ont témoigné, le Dr Pigeon était le seul à soutenir que M. Mills était inapte à travailler comme chef. En réagissant à cette position, le Dr Wawrzyszyn a déclaré :

[TRADUCTION]

«Je ne suis pas d'accord... Il était capable, à mon avis, de travailler à bord du train comme chef.» (Notes sténographiques, vol. 5, à la p. 760)

- 8 -

Le Dr Orrell, que le Tribunal a reconnu à titre de chirurgien orthopédiste expert, a témoigné que M. Mills avait à son avis une déficience physique, mais qu'il était fonctionnel et capable de travailler. Il a dit :

"Q. Vous dites que c'est votre opinion qu'en octobre 1991 il était capable, sans se blesser lui-même ni sans blesser les autres, de retourner au travail comme chef. R. Oui. (Notes sténographiques, vol. 3, à la p. 558)

[TRADUCTION] Je ne pense pas qu'il ait besoin qu'on apporte une modification particulière à son milieu de travail, si ce n'est qu'il ne devrait pas soulever des charges lourdes afin d'éviter d'aggraver son spasme [...] (Notes sténographiques, vol. 3, à la p. 559)

De plus, en réponse à la question Confirmez-vous que M. Mills était entièrement invalide en octobre 1991?, le Dr Orrell a affirmé :

[TRADUCTION]

«Je pense exactement le contraire, je crois qu'il n'était pas invalide et qu'il était apte à retourner travailler.» (Notes sténographiques, vol. 3, à la p. 646)

Le 12 août 1992, le syndicat a déposé au nom de M. Mills un grief alléguant que VIA Rail lui refusait un emploi aux termes de la convention no 2.

Le 2 octobre 1992, le plaignant a déposé la plainte, fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui a amorcé la présente procédure.

C) FAITS POSTÉRIEURS A 1992

Le grief a été entendu à Montréal le 11 mai 1993 et l'arbitre Michel Picher a rendu la décision que voici le 16 juillet 1993 :

[TRADUCTION]

«L'arbitre ordonne que M. Mills soit réintégré dans son emploi, sans dédommagement et sans perte d'ancienneté, et que ses fonctions se limitent à celles de chef. Sa réintégration est assortie de la condition qu'il devra remplir à titre d'essai, pendant une période d'au moins deux ans, les fonctions et responsabilités de chef pour les Services dans les trains. Si, au cours d'un trimestre quelconque durant ces deux ans, M. Mills ne réussit pas à maintenir une fiche d'assiduité comparable à celle de la moyenne des employés de sa classification au sein de VIA Atlantique, la compagnie aura le droit de mettre un

- 9 -

terme à la période d'essai en question. Dans un tel cas, les parties pourront exercer les droits et devront s'acquitter des obligations qui s'appliqueront alors à M. Mills en vertu de la convention collective. L'arbitre demeure saisie de l'affaire.» (pièce HR-2, onglet 61)

M. Mills est retourné travailler comme chef en juillet 1993. Il s'est absenté du travail à plusieurs occasions au cours des quinze mois qui ont suivi. Ces absences ont résulté d'une coupure à un doigt, d'une brûlure à la main, d'une coupure à la jambe et, ce qui est plus important, d'une maladie reliée au stress qu'il a attribuée à ses rapports difficiles avec l'employeur. M. Mills a été congédié le 7 octobre 1994 parce qu'il n'avait pas respecté les conditions d'assiduité fixées dans la décision d'arbitrage.

Il convient de signaler que, durant la période de juillet 1993 à octobre 1994 au cours de laquelle il a travaillé uniquement comme chef, M. Mills a pu s'acquitter de sa tâche dans devoir s'absenter à cause de son dos, ce qui soulève des questions intéressantes concernant les opinions exprimées plus tôt selon lesquelles il était invalide à 100 %.

3. ANALYSE

A) DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

Dans la plainte officielle qu'il a déposée auprès du Tribunal, M. Mills affirme :

[TRADUCTION]

«[J]e suis victime de discrimination dans l'emploi parce que l'intimé refuse de continuer de m'employer à cause de mon incapacité (blessure au dos), ce qui contrevient à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.»

L'intimé est VIA Rail.

L'article 7 de la Loi canadienne des droits de la personne (LCDP) est ainsi libellé :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi. 1976-77, ch. 33, art. 7; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 3.

L'objet de la LCDP est énoncé dans les termes suivants à l'article 2 :

- 10 -

"2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience. 1976-77, ch. 33, art. 2; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 1 et 28."

L'alinéa 15a) de la LCDP est formulé comme suit :

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

B) PREUVE PRIMA FACIE

Dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke [1982] 1 R.C.S. 202, le juge McIntyre, à la p. 208, a fait les observations suivantes au nom de la Cour :

"Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités."

Dans Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 558, le juge McIntyre s'est de nouveau prononcé sur la question d'une preuve prima facie, cette fois dans les termes suivants :

"Pour commencer, l'expérience a montré qu'en matière de règlement judiciaire des différends, l'attribution du fardeau de la preuve à l'une ou l'autre partie est un élément essentiel. Ce fardeau n'est pas toujours

- 11 -

nécessairement lourd -- il varie en fonction de chaque cas -- et il se peut qu'il n'incombe pas à une partie pour tous les points de l'affaire; il peut passer d'une partie à l'autre. Mais, faute de mieux en pratique, on a jugé nécessaire, pour assurer une solution claire dans toute instance judiciaire, d'attribuer le fardeau de la preuve à l'une ou l'autre partie, pour les départager. Par conséquent, je suis d'accord avec la commission d'enquête pour dire que chaque cas se ramène à une question de preuve et donc que, dans ces affaires comme dans toute instance civile, il doit y avoir reconnaissance et attribution claires et nettes du fardeau de la preuve. A qui doit-il incomber? Suivant la règle bien établie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Donc, selon la règle énoncée dans l'arrêt Etobicoke quant au fardeau de la preuve, savoir faire une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de l'existence d'un cas de discrimination, je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne devrait pas s'appliquer dans les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

En l'espèce, il est clair que lorsque l'intimé a refusé de retourner M. Mills au travail en octobre 1991, il a pris cette décision parce qu'il considérait ce dernier comme inapte à remplir ses fonctions à la suite d'une invalidité, à savoir un mal de dos. Il a agi ainsi en dépit de preuves médicales contradictoires.

Selon la preuve, telle qu'elle est exposée plus haut, le médecin de famille de M. Mills, le Dr Wawrzyszyn, avait jugé celui-ci prêt à retourner au travail, tandis que le médecin de la compagnie, le Dr Nurse, avait refusé d'autoriser son retour au travail. Son refus était fondé sur un rapport du Dr Holmes à qui il avait adressé M. Mills. Cette décision a été prise sans tentative aucune de concilier les opinions contradictoires au moyen de tests réels effectués sur le lieu de travail, voire par tout autre moyen.

Ces deux mêmes médecins avaient examiné M. Mills en 1990 et ni l'un ni l'autre n'avaient trouvé quoi que ce soit de grave par rapport à son état de santé. Puis sans explication aucune, ils

- 12 -

ont tiré ces conclusions radicales une année plus tard. Ces vues, qui sont contredites par d'autres opinions médicales, ont sans doute influencé la position subséquente du Dr Pigeon lorsqu'il a examiné le dossier.

L'année suivante, en juillet 1992, un autre médecin auquel la compagnie avait adressé M. Mills, le Dr Brown, a jugé que ce dernier était inapte à occuper le poste de préposé aux bagages mais a recommandé qu'il soit retourné à la voiture-restaurant, vraisemblablement dans le poste de chef pour lequel il avait été formé.

Subséquemment, le Dr Pigeon, en se fondant non pas sur un examen de M. Mills mais sur une étude de son dossier médical, a conclu qu'il était inapte à remplir les fonctions de chef, de préposé aux bagages ou de téléphoniste. L'intimé a donc continué de refuser que M. Mills retourne au travail.

Le Tribunal conclut que le plaignant a clairement établi prima facie qu'il faisait l'objet de discrimination fondée sur la perception qu'il était invalide.

C) CONCLUSIONS

Le Tribunal estime unanimement qu'il peut trancher la présente affaire en se fondant sur les faits, par opposition à une interprétation complexe de la loi.

Le Tribunal, après avoir examiné et soupesé tous les éléments de la preuve, conclut que la décision selon laquelle M. Mills était invalide au point de ne pouvoir remplir ses fonctions de chef, voire celles de tout autre poste à bord d'un train, n'a pas été prise après un examen approprié de son rendement au travail. L'intimé s'est fortement appuyé sur l'avis du Dr Pigeon, qui a effectué un examen sur dossier et qui à aucun moment n'a examiné M. Mills. Ce n'était certes pas la meilleure preuve que l'intimé pouvait utiliser pour faire le genre d'évaluation qui allait déterminer l'avenir professionnel de M. Mills.

Le Tribunal trouve beaucoup plus convaincant le témoignage du Dr Orrell, un chirurgien orthopédiste engagé par la Commission pour présenter une évaluation de M. Mills. Le Dr Orrell a souligné que dans sa pratique il voyait énormément de malades ayant des maux de dos et que plusieurs d'entre eux travaillaient dans l'industrie lourde. Dans son témoignage cité plus haut dans la décision, il a formellement déclaré que, en octobre 1991, M. Mills était capable de retourner au travail comme chef.

S'il est vrai que l'évaluation du Dr Orrell ne reposait pas sur un examen mené en 1991, son opinion est par contre corroborée par le Dr Wawrzyszyn, qui traitait M. Mills en 1991 et qui

- 13 -

connaissait très bien son état pour l'avoir suivi pendant plusieurs années.

Dans Procureur général du Canada c. Thwaites et autres (Cour fédérale du Canada, Division de première instance), le 25 mars 1991, décision non publiée, le juge Gibson, à la p. 15, cite de la décision que le Tribunal avait rendue dans cette affaire :

[TRADUCTION]

"Lorsqu'un employeur s'appuie sur des considérations relatives à la santé et à la sécurité pour justifier son exclusion de l'employé, il doit montrer que le risque est fondé sur les données les plus autorisées et à jour d'ordre médical, scientifique et statistique, et non sur des hypothèses improvisées, des appréhensions théoriques ou des généralisations sans fondement (Heincke et al v. Emrick Plastics et al (1992) 550 O.A.C. 33, aux p. 37-38 (Cour divisionnaire); Etobicoke, supra, à la p. 212; Rodger c. C.N., (1985) 5 CHRR D/2899, à la p. 2907)."

Le Tribunal juge que VIA Rail n'a pas obtenu les preuves médicales les plus autorisées et à jour ni de preuves scientifiques concernant M. Mills et qu'il s'est tout au mieux fié à des preuves médicales contradictoires.

Le Tribunal conclut, d'après la prépondérance de la preuve, que M. Mills était capable de retourner au travail comme chef en octobre 1991, conclusion qui est renforcée par la preuve qui montre que, lorsqu'il est effectivement retourné travailler à titre de chef en juillet 1993 à la suite de la décision de l'arbitre, il a travaillé pendant plus d'un an sans s'absenter à cause de son dos.

Tel qu'il a été expliqué au début de la décision, vers le milieu de 1992 VIA Rail a formé M. Mills, à Moncton, en tant qu'agent des ventes par téléphone. VIA soutient qu'il a agi ainsi pour accommoder le mal de dos de M. Mills et que ce dernier a refusé son offre.

La preuve concernant la difficulté pour M. Mills de se rendre à Moncton, l'absence de toute offre d'aide à la réinstallation, la courte durée du travail offert et l'incertitude entourant la question de savoir si VIA et le syndicat en étaient venus à une entente au sujet de cette occasion d'emploi, diminue sans aucun doute l'importance de l'offre en question. Le Tribunal estime qu'on ne saurait considérer cette offre de l'intimé comme un effort sérieux pour composer avec la situation de M. Mills.

Par conséquent, le Tribunal conclut, d'une part, que VIA Rail a fait preuve de discrimination à l'endroit de M. Mills à cause de ses maux de dos, qui n'étaient pas de nature à

- 14 -

l'empêcher d'exercer ses fonctions de chef, et, d'autre part, qu'il n'a pas présenté de défense adéquate.

D) PROCÉDURE D'ARBITRAGE

VIA Rail soutient que toute cette affaire a été réglée et que la prétention de M. Mills a dans les faits été abandonnée par suite de la procédure d'arbitrage qui a eu lieu le 16 juillet 1993 devant l'arbitre Picher. VIA Rail maintient que l'arbitre a essentiellement agi à titre de médiateur entre VIA Rail, M. Mills et le syndicat, ce qui a donné lieu au règlement de toute l'affaire de la même manière qu'on règle parfois ce genre de litige par l'entremise de la Commission canadienne des droits de la personne. VIA Rail fait valoir que le Tribunal devrait s'en tenir à ce règlement et à la décision qui en a découlé. VIA soutient en outre que puisque M. Mills n'a pas respecté la condition rattachée au règlement son refus de continuer à l'employer est justifié. Le Tribunal n'accepte pas les arguments de VIA Rail à cet égard.

Dans Erickson c. Canadien Pacifique Express et Transport Limitée (1986) 8 C.H.R.R. D/3942 (T.C.D.P.), le Tribunal des droits de la personne avait à se prononcer sur une objection préliminaire soulevée par l'avocat [de l'intimé], qui soutenait que l'affaire devant le Tribunal était res judicata puisque le plaignant avait déjà présenté la même question et demandé les mêmes redressements à un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, qui avait rejeté sa prétention. La décision de l'arbitre, en vertu du Code canadien du travail, avait la même valeur qu'un jugement de la Cour fédérale du Canada une fois enregistrée auprès de la Cour. Or la décision de l'arbitre a effectivement été enregistrée auprès de la Cour fédérale du Canada. La question pour le Tribunal était de savoir si la décision de l'arbitre portait sur les mêmes questions de fait et de droit que l'affaire dont il était saisi, ce qui l'aurait empêché d'instruire l'affaire en raison de l'application du principe de la chose jugée (res judicata). Le Tribunal, après avoir examiné la question (aux p. D/3943 à D/3947), a conclu que le principe res judicata ne s'appliquait pas puisque que l'affaire que l'arbitre avait eu à trancher n'était pas de savoir si le plaignant avait fait l'objet de discrimination à cause de son invalidité, mais plutôt si son licenciement avait été conforme aux dispositions de la convention collective.

Le Tribunal, dans Erickson, s'est reporté (à la p. D/3946) à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink (1982) 2 R.C.S. 145 et (à la p. D/3947) à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Winnipeg School Division No. 1 c. Craton (1985) 6 C.H.R.R. D/3014, dans lesquels la Cour a établi que la législation en matière de droits de la personne ne devait pas être traitée comme une loi ordinaire d'application générale, mais comme une loi

- 15 -

fondamentale d'intérêt public d'application générale. La Cour suprême du Canada a affirmé que, exception faite des lois constitutionnelles, la législation en matière de droits de la personne devait avoir priorité sur toutes les autres lois en cas de conflit, à moins qu'une exception ait été créée. Par conséquent, la LCDP est quasi constitutionnelle.

L'affaire de M. Mills est semblable à cet égard à l'affaire Erickson. Le présent Tribunal n'est en rien lié par ce qui a pu se produire à l'audience d'arbitrage tenue devant l'arbitre Picher le 16 juillet 1993 ou qui a pu en découler alors ou par la suite.

Le Tribunal a également étudié la décision rendue dans l'affaire Ontario Human Rights Commission et al v. Gaines Pet Foods Corporation et al (1993) 16 O.R. (3d) 290 (Cour divisionnaire de l'Ontario). La décision rendue dans Gaines va à l'encontre des arguments avancés par VIA Rail relativement au processus d'arbitrage mettant en cause M. Mills.

Enfin, selon la preuve, à l'audience d'arbitrage qui a eu lieu le 16 juillet 1993, M. Mills n'a renoncé à aucun des droits que lui confère la LCDP. Aucune preuve n'a été présentée au Tribunal comme quoi l'une ou l'autre des parties croyaient que la procédure d'arbitrage qui avait eu lieu le 16 juillet 1993 avait eu pour effet d'annuler la plainte ou les droits de M. Mills fondés sur la LCDP ou d'y mettre un terme. Il est clair, du reste, qu'aucune preuve n'a été produite devant le Tribunal pour démontrer que M. Mills avait renoncé -- ou avait eu l'intention de renoncer -- à la plainte qu'il avait déposée en vertu de la LCDP ou à aucun des droits que celle-ci lui reconnaît.

Pour ces motifs, le Tribunal conclut que la plainte déposée par M. Mills est fondée. M. Mills ayant eu gain de cause, nous nous tournons maintenant vers la question du redressement.

4. RÉPARATION

A) RETOUR AU TRAVAIL

Le redressement demandé au nom de M. Mills par l'avocate de la Commission et par le représentant syndical de M. Mills est essentiellement le même. Selon l'avocate de la Commission, M. Mills devrait être réintégré dans le poste de chef seulement et il ne devrait pas avoir à soulever des charges lourdes. Le représentant syndical demande que M. Mills soit réintégré sans condition. Les deux soutiennent que la réintégration devrait avoir un effet rétroactif au mois d'octobre 1991.

L'avocat de VIA Rail maintient que M. Mills n'a pas été congédié avant octobre 1994 et que ce congédiement fait l'objet d'une seconde plainte à l'égard de laquelle le Tribunal n'a pas

- 16 -

compétence. Par conséquent, selon l'avocat de VIA Rail, la réintégration de M. Mills n'est pas une question qui est en litige en l'espèce.

Selon la preuve, il a clairement été établi que, dès octobre 1991, VIA Rail considérait M. Mills comme inapte et incapable de retourner au travail. Un examen des faits nous amène à conclure qu'à compter d'octobre 1991 VIA Rail n'avait plus l'intention de permettre à M. Mills de retourner au travail. Dans le cours normal des choses, M. Mills aurait travaillé, gagné un revenu et acquis d'autres avantages. En fait, M. Mills semble avoir été l'objet d'un licenciement implicite ou détourné dès octobre 1991. S'il n'y a pas eu de licenciement détourné en 1991, alors même s'il est demeuré un employé de VIA Rail, M. Mills a été privé de travail alors qu'il n'aurait pas dû en être privé. Le Tribunal n'a pas à décider entre ces deux évaluations des circonstances professionnelles de M. Mills puisque le résultat net est le même dans les deux cas.

Le Tribunal ordonne que M. Mills soit réintégré, avec effet au mois d'octobre 1991, dans son poste de chef à VIA Rail et qu'on lui permette de travailler uniquement comme chef.

Le Tribunal accepte la description des fonctions de chef produite en preuve, y compris la définition énoncée dans la convention collective, qui n'oblige pas le titulaire à soulever de lourdes charges. De plus, le Tribunal ordonne à VIA Rail de ne pas obliger M. Mills à soulever des charges lourdes ou à soulever des charges quelconques sur une base régulière.

B) DÉDOMMAGEMENT POUR TRAVAIL PERDU

L'avocate de la Commission soutient que M. Mills devrait avoir droit au revenu et aux avantages qu'il aurait reçus ou dû recevoir si on ne lui avait pas refusé de travail. Le Tribunal, à son avis, devrait accorder tous les dommages prévisibles, y compris l'indemnité de réinstallation et la valeur marchande de la maison de M. Mills en 1991. Le représentant syndical de M. Mills est d'accord.

L'avocat de VIA Rail se reporte à la décision de l'arbitre Picher et fait en outre valoir que M. Mills a touché des prestations pour accident du travail, une indemnité et un revenu à titre d'agent des ventes par téléphone.

Pour ce qui est de la maison de M. Mills, l'avocat de VIA Rail affirme qu'il s'agit là d'une réclamation fondée sur une interprétation erronée des dommages qui sont normalement attribués dans une affaire concernant les droits de la personne, et il soutient ce qui suit :

- 17 -

  1. VIA Rail ne saurait être responsable du fait que M. Mills n'a pas réussi à vendre sa maison;
  2. M. Mills savait pourquoi VIA Rail ne voulait pas lui permettre de retourner au travail;
  3. M. Mills n'a pas su procéder aux accommodements dictés par sa situation en ce sens que, s'il devait retourner au travail à titre de chef ou dans un autre poste quelconque, il lui fallait déménager et il n'aurait pas dû refuser l'offre de 36 000 $ qu'il avait reçue pour sa maison;
  4. la valeur de la maison est contestée;
  5. si M. Mills n'a pu vendre sa maison, c'est en réalité parce que l'acheteur éventuel s'est retiré;
  6. l'affaire fait l'objet d'un grief.

En réponse à ces arguments, le Tribunal fait remarquer que, selon la preuve, la question de la maison de M. Mills a toujours été liée à la question de son emploi, dont elle dépendait.

Le Tribunal ordonne à Via Rail de verser à M. Mills, pour la période comprise entre le mois d'octobre 1991 et la date de sa réintégration, tous les salaires et avantages qu'il aurait reçus -- au titre de la pension de retraite, de l'ancienneté, de l'indemnité de réinstallation ou des autres pertes associées à la vente de sa maison -- si on ne lui avait pas refusé de travail, moins tout revenu qu'il a reçu d'autres sources durant cette période.

C) FRAIS ET DÉPENSES

L'avocate de la Commission et le représentant de M. Mills ont demandé que celui-ci soit dédommagé des frais et dépenses, tels ses frais de déplacement, qu'il a dû engager pour faire avancer sa plainte et participer à l'audience. Le Tribunal juge leur demande raisonnable dans les circonstances et ordonne à VIA Rail de payer ces frais et dépenses.

D) PRÉJUDICE MORAL

M. Mills est marié et a une famille. La preuve a montré que cette affaire avait eu des répercussions importantes sur sa vie et sur toute la famille, sur les plans tant financier qu'émotif. Il ne fait aucun doute, à la lumière de la preuve, que le stress subi durant cette période a été énorme.

- 18 -

Le Tribunal ordonne que, conformément à l'alinéa 53(3)b) de la LCDP, VIA Rail verse à M. Mills la somme de 2 000 $ à titre d'indemnité pour le préjudice moral qu'il a souffert.

E) INTÉRETS

L'avocate de la Commission cite l'affaire Uzoaba c. le Service correctionnel du Canada, Décision du Tribunal 7/94, le 28 avril 1994 (non publiée) et la décision Procureur général du Canada c. Uzoaba et la Commission canadienne des droits de la personne, Cour fédérale du Canada, Division de première instance, le 21 avril 1995 (non publiée), et demande le paiement d'intérêts sur les sommes accordées aux présentes. Dans Uzoaba, le Tribunal a déclaré, à la p. 95 : Il est également bien reconnu dans la jurisprudence que des intérêts doivent être payés sur l'indemnité relative à la perte de revenu et sur l'indemnité attribuée à l'égard du préjudice moral. Dans Uzoaba, le Tribunal a ordonné le versement d'intérêts conformément aux dispositions de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario, vraisemblablement parce que l'audience avait lieu en Ontario et que les parties provenaient de cette province.

Le présent Tribunal adopte cette approche et ordonne à VIA Rail de verser des intérêts conformément à la loi semblable en vigueur en Nouvelle-Écosse ou, s'il n'existe pas de telle loi, au taux courant de la Banque du Canada.

Les intérêts seront calculés sur le salaire perdu à compter de la date à laquelle le salaire aurait été dû à M. Mills s'il avait continué de travailler pour VIA Rail durant cette période, jusqu'à la date du paiement.

Des intérêts seront payés sur les frais et dépenses engagés par M. Mills dans cette affaire, et ce, à partir de la date de l'ordonnance et au même taux que ci-dessus.

En ce qui concerne l'indemnité pour préjudice moral, des intérêts calculés au même taux que ci-dessus seront versés à compter de la date de la présente ordonnance.

CONCLUSION

Le Tribunal demeure saisi de la plainte et ordonne aux parties de commencer immédiatement à déterminer les sommes qui seront versées à titre de dédommagement en application des points 4A), B), C) et E) ci-dessus.

Si les parties ne réussissent pas à s'entendre sur ces sommes dans les 60 jours suivant la date de la décision, elles en aviseront le Greffe du Tribunal, qui fixera les dates auxquelles le Tribunal réentendra les parties, à Halifax (Nouvelle-Écosse), dans le but d'évaluer et de régler les questions en suspens.

- 19 -

Fait à Toronto le 10 mai 1996.


Keith C. Norton

Joanne Cowan-McGuigan

Kent Morris
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.