Tribunal canadien des droits de la personne

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Décision rendue le 15 mai 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, c. H-16 ( telle que modifiée )

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

KIMBERLEY FRANKE

la plaignante

- et-

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL


TRIBUNAL:

Donna M. Gillis, Présidente

Hervé H. Durocher, Membre

Jane S. Shackell, Membre

COMPARUTIONS :

J. Helen Beck et Patricia Lawrence avocates de la Commission canadienne des droits de la personne

Kimberley Franke, plaignante

Darlene Patrick et Jean-Marie Dugas avocats des Forces armées canadiennes

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE :

du 28 au 31octobre, le 1er et les 18 au 22 novembre, du 9 au 12 décembre 1996, du 10 au 14 février, les 29 et 30, avril et le 1er mai 1997

Courtenay, C.-B.

DÉCISION MAJORITAIRE : Hervé H. Durocher and Jane S. Shackell

DÉCISION MINORITAIRE : Donna M. Gillis

La plaignante

La plaignante, Kimberley Franke, à l'époque caporal dans les Forces armées canadiennes à la base de Comox, C.-B. (BFC de Comox), a logé auprès de la Commission des droits de la personne une plainte de discrimination sexuelle à l'endroit des Forces armées canadiennes, faisant mention d'une série d'événements remontant jusqu'en février 1991.

La plainte, qui est devant le Tribunal, a fait l'objet d'une enquête de la Commission des droits de la personne. Le Tribunal a appris qu'il y a eu tentative de conciliation et, celle-ci ayant échoué, la plainte a été transmise au Tribunal en vertu de l'article 49. de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La présente instance, après l'échange préliminaire de documents et l'établissement des dates, qui a été réglé par appel-conférence, a commencé par l'audition de la preuve le 28 octobre 1996. Cette audition s'est déroulée sur quatre semaines distinctes entre octobre 1996 et février 1997 et les arguments et représentations, pendant trois autres journées, soit du 29 avril au 1er mai 1997 inclusivement.

À la fin des audiences, le Tribunal apprenait que le caporal Franke avait logé deux plaintes simultanément en mars 1992. Une visait spécifiquement l'adjudant-maître (adjum) MacNair, surveillant immédiat de la plaignante à ce moment et dont le nom revient ici maintes fois. L'autre plainte, présentement devant le Tribunal, a été déposée en rapport avec le comportement de plusieurs personnes, notamment l'adjum MacNair; le lieutenant Vedova, le moins haut gradé des officiers commissionnés, et dont la plaignante relevait; le major Couture, supérieur immédiat de la plaignante; le lieutenant-colonel King, officier des services techniques de la base; le Dr. Jacques, médecin militaire de la base; le sergent Caron et l'adjudant Boudreau, membres du comité de la tenue et du comportement des femmes à la BFC de Comox, la seule intimée étant les Forces armées canadiennes.

Le Tribunal a appris que les deux plaintes ont été traitées par le même enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne et que la première n'a pas été transmise au Tribunal, contrairement à la seconde. L'existence de la plainte à l'endroit de l'adjum MacNair et son premier témoignage ont été portés à l'attention du Tribunal par l'avocate de l'intimée, mais il n'a pas été éclairci quelles conclusions l'intimée souhaitait du Tribunal et par conséquent sauf cette mention, il n'en n'est rien résulté.

La plainte du 11 mars 1992 sur laquelle doit trancher le Tribunal comporte plusieurs allégations directes de commentaires et de gestes de nature obscènes, sexuelles ou suggestives de la part de l'adjum MacNair. Nous traiterons ces aspects à la rubrique Allégations de harcèlement sexuel à l'encontre de l'adjum MacNair. Il y est également fait mention d'observations peu délicates et douteuses de nature sexuelle ou humiliante adressées par le major Couture à la plaignante. Nous en traiterons à la rubrique Allégations de harcèlement sexuel à l'encontre du major Couture.

Dans sa plainte, le caporal Franke mentionne les rôles joués dans les événements visés par le lieutenant Karen Vedova ainsi que par le sergent Caron et l'adjudant Boudreau. Nous en débatterons plus loin dans nos motifs.

Tôt au cours de l'instance, il est apparu évident que les plaintes de harcèlement sexuel déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne étaient perçues par les Forces armées canadiennes comme des plaintes formulées en représailles de mesures disciplinaires prises contre la plaignante. Le Tribunal a entendu les témoignages de dix-huit témoins qui ont tous eu des rapports avec la plaignante à la BFC de Comox pendant la période visée. Pour une bonne part, ces témoignages sont contradictoires et non décisifs, à la fois quant à la nature des actes ou des événements et à leurs effets sur la plaignante. De plus, le Tribunal a entendu le témoignage de deux psychiatres, le Dr Halliday, au nom de la plaignante, ainsi que le Dr Passey, au nom de l'intimée, ainsi que celui de Patricia Joan Wright, thérapeute qui a travaillé avec la plaignante.

Témoignage de la plaignante

La plaignante affirme qu'en février 1991, après avoir eu connaissance d'un poste temporaire au bureau des transports (BT-B) de la BFC de Comox, elle a obtenu une mutation de son poste de commis administratif de la Salle des rapports du 407e escadron de la BFC de Comox pour occuper un poste de commis administratif à la Section des transports (base) également à la BFC de Comox. De façon générale, cette mutation était le résultat du désir de la plaignante d'acquérir, dans un bureau occupé par un seul commis, une expérience plus vaste que celle qu'elle pourrait tirer dans son poste d'alors, compte tenu que ses tâches étaient moins variées dans un grand service comme la Salle des rapports.

La plaignante a témoigné du comportement contestable de son ancien surveillant à la Salle des rapports, l'officier marinier Dennis Pistun. D'après son témoignage, l'officier marinier Pistun avait fait l'objet de mesures disciplinaires dans les Forces armées canadiennes pour ne pas avoir traité de la même façon les hommes et les femmes faisant partie du personnel qu'il supervisait. Le caporal Franke a témoigné que pendant son séjour à la Salle des rapports, elle était le porte-parole du personnel féminin pour se plaindre aux officiers supérieurs du comportement douteux de l'officier marinier Pistun et que, par suite de sa plainte, ce comportement avait cessé. Dans son témoignage, le caporal Franke précisait que l'officier marinier Pistun détachait souvent son pantalon en présence des femmes officiers sous prétexte de rentrer sa queue de chemise. Elle a également affirmé que l'officier marinier Pistun avait à plusieurs reprises touché des membres féminins du personnel et que, même si aucun de ces attouchements ne semblaient de nature sexuelle, c'était, selon son témoignage, déplacé.

Le témoignage de la plaignante à l'égard de l'officier marinier Pistun n'a pas été entièrement corroboré par celui du lieutenant-colonel Rhéaume, officier commandant du 407e escadron, 19e escadre, BFC de Comox. Il a reconnu qu'à un certain moment, le caporal Franke s'était plainte de ce que l'officier marinier Pistun s'y prenait de façon inappropriée pour rentrer sa chemise dans son pantalon. Il n'avait pas souvenir de plainte d'attouchement inapproprié et a confirmé que l'officier marinier Pistun a fait l'objet de mesures disciplinaires par une mise en garde officielle pour le fait qu'il traitait différemment les hommes et les femmes. Il a témoigné que l'officier marinier Pistun et le caporal Franke avaient un conflit de personnalité.

Dans son témoignage, le caporal Patricia Nears a contredit la plaignante au sujet des allégations de comportements inappropriés de l'officier marinier Pistun. Elle a affirmé que l'officier marinier Pistun était un surveillant jovial, équitable et doux, qui offrait à tout son personnel l'occasion d'obtenir la meilleure formation possible. Elle a nié avoir nommé le caporal Franke porte-parole pour se plaindre aux autorités à propos de l'officier marinier Pistun et n'avait pas souvenir que quelque autre personne de l'unité l'ait fait.

Le caporal Nears a toutefois affirmé avoir assisté à une confrontation entre l'officier marinier Pistun, son supérieur, le lieutenant Power, et le caporal Franke, à propos du règlement sur la tenue vestimentaire à la base et concernant le fait que le caporal Franke portait des bagues. Elle a aussi confirmé que pendant son séjour à la Salle des rapports du 407e escadron, le caporal Franke avait reçu un avertissement verbal à propos d'une de ses coiffures et de la façon dont elle portait son pantalon dans ses bottes. D'après le caporal Nears, le caporal Franke est une personne antagoniste, particulièrement lorsque l'on conteste son comportement ou ce qu'elle porte, deux questions qu'elle considère comme personnelles (même si, dans les Forces armées, l'une et l'autre ne sont pas personnelles, mais plutôt des points d'intérêt pour l'employeur). Elle a décrit le caporal Franke comme une personne ouverte, positive, d'une forte volonté et dynamique. Dans son témoignage, le corporal Nears mentionnait que le caporal Franke et elle-même travaillaient ensemble au 407e escadron et qu'elles sortaient souvent marcher et se rappelait que le caporal Franke était assez directe et ouverte sur les questions sexuelles et se décrivait parfois elle -même à l'occasion comme en manque, dans ses entretiens avec le caporal Nears.

Les relations interpersonnelles du caporal Franke avec ses collègues et supérieurs à la Salle des rapports du 407e escadron n'avaient rien à voir avec sa décision de se porter candidate au poste temporaire qui s'ouvrait à la Section des transports (base) en raison du transfer du commis administratif à des tâches liées à la guerre du Golfe. Au départ, il s'agissait d'un poste de six mois et, d'après les renseignements obtenus par le Tribunal, si le titulaire du poste de commis administratif, le caporal Devries Stadelaar, était revenu du Golfe persique pour reprendre son poste de commis administratif à la Section des transports (base), le poste temporaire occupé par le caporal Franke aurait été aboli. Toutefois, il n'en n'a pas été ainsi et, à la fin des six mois, elle a eu le choix de rester ou de retourner à la Salle des rapports, optant pour la première éventualité.

Allégations de harcèlement sexuel à l'encontre de l'adjum MacNair

La plaignante affirmait dans son témoignage qu'à peine avait-elle commencé à la Section des transports (base) que son sous-officier supérieur, l'adjum MacNair, commençait à lui faire des remarques importunes sur ses habitudes de sorties et rendez-vous et que, à l'occasion, il lui a adressé des gestes obscènes ou suggestifs de nature sexuelle. Elle a également témoigné qu'à une occasion, son officier supérieur le lieutenant Karen Vedova, étant en voyage en Australie, a envoyé à l'adjum MacNair une carte postale d'une Aborigène aux seins nus que l'adjum MacNair a montré à la plaignante, lui faisant remarquer que les seins de la personne photographiée étaient certainement plus volumineux que ceux du lieutenant Vedova. Le caporal Franke ajoutait que, pendant ses six premiers mois à la Section des transports (base), le caporal Kelley Eadie, autre membre féminin des Forces armées canadiennes travaillant dans la même section que la plaignante, lui a dit que si elle voulait de l'avancement dans la Section, elle devait faire en sorte que l'adjum MacNair lui témoigne des sentiments favorables. La plaignante a témoigné que Kelley Eadie racontait obtenir des congés pour avoir ciré les bottes de l'adjum MacNair.

Les éléments de preuve apportés par la plaignante à l'égard des actions de l'adjum MacNair ont été largement réfutés par ce dernier. Là où ce dernier était d'accord avec certains éléments de preuve de la plaignante, il interprétait les incidents comme faisant partie de l'atmosphère habituelle de badineries innocentes auxquelles participaient les membres de son personnel à la Section des transports (base), que ces commentaires, gestes ou comportements n'étaient pas offensants et que personne ne les considérait comme tels. De la même façon, dans son témoignage, Kelley Eadie affirmait que la plaignante, dans ses propos, se donnait le beau rôle et que les incidents ou déclarations étaient pris hors contexte et interprétés pour justifier les actions et réactions de la plaignante. Le caporal Eadie affirmait que le caporal Franke avait d'énormes difficultés à s'entendre avec les autres, qu'on la réprimandait pour son travail ou ses agissements une fois par mois en moyenne, qu'elle participait de bon gré aux badineries de nature sexuelle ou raciale, à la cantine ou ailleurs, à la Section des transports (base). De plus, d'après le caporal Eadie, le caporal Franke avait tendance à réagir de façon colérique lorsqu'on la mettait devant ses lacunes. À l'instar de plusieurs témoins, les événements relatés par la plaignante dans son témoignage étaient racontés sous un éclairage très différent par le caporal Eadie. Mentionnons par exemple les observations attribuées au caporal Eadie voulant qu'elle obtienne du temps libre pour avoir fait briller les bottes de l'adjum MacNair. Le caporal Eadie a reconnu avoir dit cela, tout en déclarant catégoriquement que cela avait été dit sur le ton de la plaisanterie et ne devait nullement être pris au sérieux. Ce n'est qu'un exemple de faits dont on dit qu'ils ont été pris hors contexte par la plaignante.

Plaintes de harcèlement sexuel à l'encontre du major Couture

Au cours des mêmes six premiers mois de son affectation à la Section des transports (base), la plaignante affirme que l'officier commandant de la Section des transports (base), le major Couture, a formulé à son endroit plusieurs observations importunes et méprisantes assimilables à du harcèlement sexuel. Il affirme que lorsque le major Couture est arrivé à la section, il lui a demandé comment elle pouvait avoir les moyens de vivre dans la maison dont elle était propriétaire, avec un salaire de caporal. Le caporal Franke estime que c'est une remarque déplacée. À une occasion, à la fin du mois d'août 1991, la plaignante a acheté une moto Harley Davidson à Cold Lake, Alberta, et l'a ramenée à la BFC de Comox sur l'île de Vancouver. Apparemment, le major Couture était lui-même propriétaire d'une motocyclette, ce qui a donné lieu à certaines taquineries sur leurs expériences respectives de motards. À une occasion, sans raison apparente, le major Couture l'a qualifiée de biker mama et lui a demandé quand elle se ferait faire un tatouage. Dans son témoignage, le caporal Franke a répété avoir été très offensée par cette observation et s'en est plainte à son officier supérieur, le lieutenant Karen Vedova, s'attendant vraiment à ce que celle-ci s'entretienne avec le major Couture afin que ce dernier s'excuse. Le témoignage du lieutenant Vedova sera analysé plus loin dans nos considérations.

La plaignante a en outre affirmé qu'à une autre occasion, en entrant dans une salle de réunion précisément pour prendre le procès verbal du comité de la sécurité des transports de la base, elle a été qualifiée de sexétaire par le major Couture. Le lieutenant Vedova était présente et a entendu le commentaire. Après la réunion, la plaignante et le lieutenant Vedova se sont entretenues, discutant de la remarque que la plaignante estimait déplacée. À aucune occasion, le caporal Franke n'a demandé au major Couture de s'excuser. Elle a invoqué la chaîne de commandement pour justifier sa soumission à l'époque.

Dans son témoignage, le lieutenant Vedova a confirmé qu'elle et la plaignante étaient relativement bonnes amies lorsque cette dernière travaillait sous ses ordres. À maintes occasions, elles ont discuté de nombreux sujets. La plaignante ne répugnait pas à parler de questions sexuelles et elle ne semblait pas réticente, inquiète ou insécure à propos de son poste à la Section des transports (base). Le lieutenant Vedova a précisé que la plaignante ne lui avait pas demandé de discuter des incidents de harcèlement avec le major Couture et elle ne se sentait pas obligée à le faire simplement en vertu du poste qu'elle occupait. Le lieutenant Vedova a reconnu que les deux qualificatifs de biker mama et de sexétaire étaient humiliants et contestables, mais elle estimait qu'au moment de ces incidents, la plaignante n'y a pas vu de harcèlement et en a ri comme étant les propos d'une personne peu sensible, mais ne menaçant ni la plaignante ni son poste.

D'après les témoignages de la plaignante, de ses collègues, de ses officiers supérieurs et de son superviseur l'adjum MacNair, il apparaît aux membres du Tribunal que ses rapports avec les autres à la Section des transports (base) étaient satisfaisants jusqu'à une certaine époque en août 1991. En août 1991, la plaignante a témoigné avoir commencé à boire à la pause-déjeuner avec le caporal chef Alexander, autre collègue de la Section des transports (base), proche ami de l'adjum MacNair et relevant également de ce dernier. Selon le témoignage du caporal Franke, on buvait beaucoup à la Section des transports (base). Il vaut la peine de rappeler qu'aucun autre témoin, intéressé ou non au résultat de l'instance, n'avait le même point de vue que la plaignante à ce propos. Quoi qu'il en soit, la plaignante ajoutait dans son témoignage que, le jour en question, elle et le caporal-chef Alexander étaient allés de la cantine au bureau de l'adjum MacNair, où ils ont continué à boire, rejoints par d'autres personnes de la section. Selon son propre témoignage, la plaignante a bu un peu plus que de raison et, au cours de la fête, elle a déclaré à l'adjum MacNair qu'elle coucherait avec lui. Rien dans les témoignages ne permet d'affirmer que l'adjum MacNair ait demandé cela à la plaignante.

Nous avons l'impression que la plaignante croyait que les observations et les gestes de l'adjum MacNair décrits antérieurement étaient de nature insistante ou une forme de rituel de pariade. Nulle part dans le témoignage de la plaignante il n'est question que l'adjum MacNair ait signifié qu'il attendait de la plaignante des faveurs sexuelles.

À la suite de cet incident, la plaignante dit avoir décidé qu'elle n'accepterait plus ce type de badineries, courantes à la cantine ou à la section, qu'elle ne jouerait plus le jeu que jouait à ses dires le reste du personnel de la Section des transports (base). Elle s'est promis de ne plus boire au travail et estimait déplacé que les autres le fassent. Toutefois, rien dans son témoignage ne permet de penser que sa décision ou sa résolution ait été signifiée à quiconque et nous ne pouvons que spéculer sur les raisons pour lesquelles la plaignante trouvait cela important ou pertinent.

Peu de temps après cet incident, à la suite, semble-t-il, du dépôt tardif d'un rapport par le caporal-chef Alexander, le caporal Franke a pris l'initiative de discuter avec le caporal-chef Alexander de son supposé problème de consommation d'alcool. Pour justifier son intervention, elle estimait que, à titre de coordonnatrice de l'unité en matière de sensibilisation aux drogues, il lui incombait de conseiller le caporal-chef Alexander à propos de son comportement, ce qu'elle fit malgré qu'elle ait discuté de la pertinence de son intervention avec le sergent Greenly, officier supérieur qui avait occupé le même poste de coordonnateur et qui lui avait dit qu'à son avis, ce n'était pas son rôle que de conseiller le caporal-chef Alexander. Le sergent Greenly, en plus de ce conseil, lui a dit (à la plaignante) que, compte tenu de la forte amitié qui existait entre le caporal-chef Alexander et l'adjum MacNair, elle pouvait s'attendre à ce que ce dernier se mette en colère et la réprimande, si elle outrepassait ses pouvoirs de cette façon.

Nous ne sommes donc pas étonnés, et il faudrait ajouter que cela n'aurait pas dû surprendre la plaignante, si, le jour suivant sa tentative de parler du problème de consommation du caporal-chef Alexander, l'adjum MacNair l'ait réprimandée durement, en termes peu élogieux, lui conseillant crûment de s'occuper de ses affaires.

L'importance des événements entourant la tentative de la plaignante de conseiller le caporal-chef Alexander à propos de son problème de consommation ne saurait être minimisée car, selon le propre témoignage de la plaignante, ses rapports avec l'adjum MacNair ne furent plus les mêmes après l'incident en question.

Pour saisir pleinement l'importance de la tentative de la plaignante de conseiller le caporal-chef Alexander à propos de son problème de consommation, il faut savoir que la plaignante avait été désignée à cette époque coordonnatrice d'éducation sur les drogues de l'unité. Voici le mandat qu'elle devait remplir :

  1. Conseiller les commandants d'unité ou chefs de section sur toutes les questions concernant le programme de prévention de l'alcoolisme et des toxicomanies.
  2. Représenter son unité au sein du groupe et du comité d'information sur les drogues de la base.
  3. Effectuer un examen périodique du programme PEDA de l'escadre et proposer des améliorations.
  4. Offrir des services consultatifs aux commandants d'unité ou chefs de section.
  5. Coordonner le calendrier des cours du programme PEDA dans l'unité.

Nulle part dans ce mandat il n'est question que la plaignante ait le droit ou la responsabilité de conseiller ses pairs ou ses supérieurs, par exemple le caporal-chef Alexander, cela demeurant du domaine de l'adjum MacNair dans la chaîne de commandement.

La plaignante a reconnu sans ambiguïté que l'attitude de l'adjum MacNair à son égard a changé du tout au tout à la suite de son intervention auprès du caporal-chef Alexander. Il est devenu plus distant, plus formaliste dans ses rapports avec le caporal Franke, qui a senti un changement dans leurs relations à partir de ce jour.

Comme nous le ferons ressortir par le témoignage de la plaignante un peu plus loin, celle-ci est d'avis que ses véritables problèmes dans les Forces canadiennes ont commencé lorsqu'elle a été réprimandée pour insubordination et elle affirme que l'avertissement écrit qu'elle a reçu à l'époque a marqué la fin de sa carrière dans les Forces armées canadiennes. Elle estime en outre que ces réprimandes officielles sont des représailles de la part de l'adjum MacNair, parce qu'elle n'a pas répondu favorablement et continué à participer à ce qu'elle appelle des jeux déplacés, par exemple consommer des boissons alcoolisées et faire des badineries douteuses. À titre d'exemple, elle a fait une observation négative à l'adjum MacNair concernant la carte postale du lieutenant Vedova qu'il lui avait montrée. Nous allons maintenant examiner les événements qui ont abouti à l'avertissement écrit d'insubordination signifié à la plaignante.

En octobre 1991, il y avait à la BFC de Comox, un comité de la tenue vestimentaire et de la conduite du personnel féminin. C'est un comité créé par le chef de discipline de la base, l'adjudant chef Dougherty (chef Dougherty). L'objet de ce comité était de servir d'organe de liaison entre le chef de discipline de la base et les sous-officiers féminins sur les questions de tenue vestimentaire et de conduite touchant exclusivement les femmes militaires du rang. Dans ses responsabilités générales, le chef de discipline devait superviser toutes les questions de discipline, de tenue vestimentaire et de conduite de tous les sous-officiers de la base.

En octobre 1991, le comité était composé de deux membres, soit le sergent Caron et l'adjudant Boudreau. Le sergent Caron n'a pas témoigné devant le Tribunal, contrairement à l'adjudant Boudreau. La plaignante a reconnu qu'environ une semaine avant l'incident des chaussures, le sergent Caron lui avait signalé que les chaussures qu'elle portait n'étaient pas réglementaires. À l'époque, les deux membres du comité visitaient toutes les unités de la base pour s'acquitter de leurs tâches de liaison, afin de pouvoir en un même temps consulter les femmes militaires et les conseiller en ce qui a trait à leur tenue vestimentaire et à leur conduite. L'après-midi du 29 octobre 1991, les deux membres du comité sont arrivées à l'improviste au bureau du caporal Franke. Habituellement, les membres du comité essayaient de planifier leurs visites aux diverses unités de la base de concert avec le chef de discipline de l'unité, en l'occurrence l'adjum MacNair. Le hasard à voulu que l'adjum MacNair et le lieutenant Vedova, soit les deux surveillants, aient été absents à l'occasion de cette visite. Il ressort des témoignages de la plaignante et de l'adjudant Boudreau que, pendant cette visite, on a constaté que la plaignante portait encore des chaussures non réglementaire. La plaignante n'a pas tardé à demander pour quelle raison on lui reprochait ses chaussures non réglementaires, tandis que nombre de femmes de la base en faisaient autant et que son propre surveillant, le lieutenant Vedova, portait des chaussures sans talon. Lorsque les membres du comité ont fait remarquer au caporal Franke n'avoir pas compétence sur les officiers comme le lieutenant Vedova, l'antagonisme entre les membres du comité, particulièrement entre le sergent Caron et le caporal Franke, s'est intensifié et l'adjudant Boudreau, le plus haut gradé des personnes présentes, a pris l'initiative de mettre fin à la rencontre, laissant savoir au caporal Franke que le comité de la tenue vestimentaire communiquerait avec elle le jour suivant.

Même si le caporal Franke a témoigné souffrir d'un problème au genou à la suite d'un accident de ski qui s'est produit lorsqu'elle suivait ses cours de français à Saint-Jean, au Québec, fin 1988 ou début 1989, elle n'a pas suivi la procédure reconnue pour obtenir une dispense médicale afin de porter des chaussures non réglementaires avant l'incident en question. Le caporal Franke a mentionné dans son témoignage qu'au moment de l'incident des chaussures, elle avait pris rendez-vous avec le médecin militaire de la base afin d'obtenir cette autorisation, qui lui a été accordée le jour suivant la confrontation.

Après la confrontation entre la plaignante et les membres du comité de la tenue vestimentaire et du comportement du personnel féminin, il y a eu une série de réunions entre les membres et l'adjum MacNair, chef de discipline de la plaignante, et le chef Dougherty, chef de discipline de la base. À la suite de ces rencontres, malgré certaines difficultés rappelées par l'adjum MacNair à propos de l'absence de preuve indiscutable d'avertissement verbal avant l'avertissement écrit, on a décidé de servir au caporal Franke un avertissement écrit. Le chef Dougherty a mentionné dans son témoignage avoir vu un document de ce genre dans le dossier de la plaignante à propos de sa coiffure et de ses bagues. Voici la teneur de l'avertissement écrit:

[Traduction]

Le caporal Franke, KD, a été informée des lacunes suivantes, après avoir négligé d'obtempérer aux avertissements verbaux antérieurs : lorsque confrontée à propos de vos lacunes par vos supérieurs, vous avez agi de façon belliqueuse et contestataire, contrairement au bon ordre et à la discipline des FC. À défaut de vous corriger sur ces points, nous prendrons des mesures de mise en garde et de probation ou de congédiement.

L'avertissement écrit était du 26 novembre 1991, signé par l'adjum MacNair et contresigné par le caporal Franke.

L'avertissement écrit d'insubordination signifié au caporal Franke au cours de la visite des membres du comité susmentionné était, à notre avis, le catalyseur de toutes les difficultés subséquentes du caporal Franke dans les FAC, y compris sa plainte devant le Tribunal. Selon le caporal Franke, l'avertissement écrit constituait une grave tache dans son dossier militaire et elle n'était pas disposée à accepter cette forme de mesure disciplinaire et à continuer comme si de rien n'était.

Le 9 décembre 1991, la plaignante logeait un grief à propos de l'avertissement écrit et mettait en branle une enquête de la part des Forces canadiennes, enquête qui a franchi les divers échelons de la BFC de Comox pour se rendre au Commandement aérien de l'Ouest, à Winnipeg, pour aboutir au quartier général du Commandement aérien à Ottawa, et enfin au Chef d'état-major de la Défense du Canada, qui était à l'époque le général John DeChastelain.

Vers la même époque, le rapport d'appréciation du personnel du caporal Franke à la Section des transports (base) était presque terminé. Il a été approuvé par le lieutenant-colonel King, officier des services techniques de la base, le 13 janvier 1992, et contresigné par la plaignante et son surveillant, le lieutenant Vedova, le 20 janvier 1992, au retour du caporal Franke de son congé des Fêtes. Par la suite, la plaignante a déposé le 4 février 1992 un grief concernant son rapport d'appréciation du personnel (RAP), mettant en branle une autre procédure de recours qui a franchi les divers échelons et a fait en sorte que la note d'évaluation du caporal Franke est passée de 6,9 à 7, au dernier palier de recours, soit le bureau du chef d'état-major de la Défense, le 10 octobre 1994, après le départ de la plaignante des Forces armées canadiennes, à la suite d'une recommandation du chef d'état-major dont la note mentionnait notamment:

[Traduction]

Relever la note du RAP du caporal de 6,9 à 7 a un effet négligeable et ne modifiera en rien sa place sur la liste du mérite, ni ses possibilités d'avancement, surtout du fait qu'elle a déjà quitté les Forces canadiennes.

Le 16 décembre 1991, la plaignante logeait une plainte interne de harcèlement et d'abus de pouvoir, mettant en branle une procédure d'enquête au sein de la structure militaire, débutant par une enquête sommaire exécutée par le major Bottomley à la BFC de Comox. La plainte de harcèlement et d'abus de pouvoir du caporal Franke a été d'abord rejetée par le lieutenant-colonel King, le 17 février 1992, décision qui a été maintenue malgré les appels interjetés par le caporal Franke à tous les paliers possibles de la structure des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale du Canada.

Nous disposons de nombre de témoignages, notamment ceux de la plaignante, de son psychiatre, le Dr Halliday, de sa thérapeute, Mme Joan Wright, ainsi que du psychiatre des Forces armées canadiennes, le Dr Passey, à propos de la détérioration rapide de la santé de la plaignante, après l'avertissement écrit et les diverses tentatives de sa part d'obtenir réparation. Selon nous, il est évident que le caporal Franke est tombée gravement malade et que cette maladie, si elle n'est pas due aux multiples procédures qu'elle a dû affronter contre son gré ou par ses propres actions à la suite de ses diverses tentatives d'obtenir réparation et de sa plainte devant le Tribunal, a été certainement aggravée par son incapacité d'obtenir une justification ou une validation de l'un ou l'autre de ses griefs au sein de la structure militaire.

Le Dr Halliday, psychiatre de la plaignante, a posé à son endroit un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Ce n'est pas un diagnostic appuyé par le DSM IV, soit l'ouvrage de référence reconnu pour les diagnostics psychiatriques. Le caporal Franke a été aiguillée vers le Dr Whittaker, psychiatre de Victoria, C.-B. La demande de consultation a été faite par son officier commandant à la BFC de Comox, le colonel McGee, lorsqu'il est devenu de plus en plus évident que le caporal Franke souffrait d'une forme de problème affectif ou psychiatrique aux environs de juin 1992. Le Dr Whittaker a posé un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur dépressive - en régression (DSM III R 309.00).

Le Dr Passey, psychiatre des Forces armées canadiennes, a examiné en totalité les rapports médicaux concernant le caporal Franke et a assisté au témoignage de celle-ci, ainsi qu'à ceux de Sherry-Lynn Campbell, du Dr Halliday, de Joan Wright, du major Couture et du caporal Nears. Il est évident que le Dr Passey a eu amplement l'occasion d'observer le caporal Franke, parce qu'il était présent aux audiences du Tribunal. L'opinion du Dr Passey concernant le diagnostic de l'état du caporal Franke était au départ trouble d'adaptation avec humeur dépressive et tendance à l'anxiété, mais il affirmait que son état s'était transformé en une grave dépression avec tendance psychotique et paranoïde, à mesure que ses divers griefs ont été déboutés dans la filière militaire.

Le diagnostic réel de l'état du caporal Franke, que ce soit en 1992 ou maintenant, est de peu d'importance pour le Tribunal. D'une façon ou d'une autre, il est apparent que le caporal Franke souffre d'une forme de maladie psychiatrique. Il est possible que telle ou telle maladie soit plus facile à traiter qu'une autre, mais il se peut également qu'à défaut d'avoir porté un diagnostic approprié ou traité adéquatement le problème du caporal Franke il y a quelques années, cela puisse avoir contribué à son état actuel.

L'important, à notre avis, est de veiller à préciser si la grave détérioration de l'état de santé du caporal Franke et sa pathologie actuelle sont dues à quelque forme de harcèlement sexuel ou de discrimination, y compris un traitement différentiel et, le cas échéant, de savoir s'il existe des mesures de réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans les affaires de harcèlement sexuel, le fardeau de la preuve incombe toujours à la partie plaignante. La preuve découle généralement de l'exposé d'éléments de preuve claires et incontestables. Dans l'affaire présente, les témoignages de la plaignante et celui présenté en son nom n'étaient ni clairs, ni incontestables. Dans son témoignage, la plaignante tendait à exagérer et à se donner le beau rôle. Le Dr Halliday a témoigné que les problèmes médicaux de la plaignante ont commencé en raison des incidents de harcèlement sexuel survenus au printemps et à l'été de 1991 et que son état actuel découle principalement d'une blessure secondaire résultant de son impuissance à faire reconnaître ses plaintes et griefs. S'il n'avait pas entrepris quelque traitement psychiatrique, c'est que la procédure de demande de validation n'aboutirait qu'à la fin de l'audience du Tribunal canadien des droits de la personne et, probablement, des appels qui en découleraient.

Les témoignages du Dr Halliday n'étaient pas convaincants, pour ce qui est de la première question qui nous est posée, à savoir le rapport entre l'état de santé du caporal Franke et d'éventuels incidents de harcèlement sexuel ou de discrimination. Il avait simplement accepté la version des événements donnée par le caporal Franke, quant aux raisons pour lesquelles elle se sentait victime de discrimination, et n'avait pas cherché plus loin, au point même de négliger de dresser un dossier médical détaillé du caporal Franke au cours de ses rencontres avec celle-ci. Il n'a pas demandé au caporal Franke de renseignements sur quelque autre aspect de ses rapports avec ses collègues ou ses supérieurs. Les témoignages du Dr Halliday nous laissent l'impression d'avoir été formulés de façon à augmenter les chances de succès du caporal Franke, dans sa demande d'obtenir une meilleure allocation de retraite en vertu des lois applicables, ou les chances de réussite de ses griefs et de sa plainte à la Commission des droits de la personne, qui a donné lieu à la présente instance. Le Dr Halliday, en affirmant avec insistance que le caporal Franke souffre de trouble de stress post-traumatique, malgré la définition de cette pathologie au DSM IV, nous pousse à nous interroger sur la valeur de l'ensemble de son témoignage.

Porter un diagnostic de trouble de stress post-traumatique suppose qu'on a été victime ou témoin d'événements particulièrement traumatisants. Les types d'événements décrits par le caporal Franke dans son témoignage ne correspondent tout simplement pas à ceux qui pourraient donner lieu à un traumatisme affectif ou psychologique, comme cela se produirait peut-être dans des situations de combat, de viol, de décès ou de blessure grave d'une personne chère, autant de conditions préalables au diagnostic. Toutefois, ce diagnostic permet de valider l'existence de nombreux symptômes manifestés par le caporal Franke, sans que ceux-ci soient nécessairement des troubles de personnalité sous-jacents.

Le Dr Passey, psychiatre appelé à témoigner par l'intimée, soit les Forces armées canadiennes, décrivait ainsi les critères préalables à un diagnostic de trouble de stress post-traumatique :

"le trouble de stress post-traumatique (TSPT) est une pathologie psychiatrique dans laquelle la personne développe des symptômes caractéristiques à la suite d'une exposition à un stress traumatique extrême supposant une expérience personnelle d'un événement réel ou une menace de mort ou de blessure grave, une menace à son intégrité physique, ou parce qu'elle a été témoin d'un événement où il y a décès, blessure ou menace à l'intégrité physique d'autrui ou encore, qu'un membre de la famille ou une autre personne proche (critère A1) est décédée subitement ou de mort violente, est blessée gravement ou risque mourir ou d'être blessée. La réaction de la personne à l'événement suppose, avec intensité, la crainte, l'impuissance ou l'horreur (critère A2). De plus, il faut satisfaire aux critères B, C, D, E et F, selon la notice du DSM IV. Il peut arriver qu'une personne manifeste un trouble de stress post-traumatique à retardement si les symptômes ne sont pas apparents dans les six mois suivant l'événement à l'origine du stress.

Plus loin dans son rapport, à la page 5, le Dr Passey donne des exemples de situations ou le harcèlement sexuel satisfaisait aux critères permettant de porter un diagnostic de trouble de stress post- traumatique :

[Traduction]

Notamment, une femme policier ne bénéficiant pas d'une couverture de ses collègues pendant des arrestations dangereuses, une travailleuse de l'industrie chimique menacée verbalement et exposée ultérieurement (sciemment) par un collègue à un produit chimique toxique, une travailleuse de bureau agressée verbalement et plus tard physiquement et sexuellement par son surveillant, etc. Si le harcèlement n'est pas un événement traumatisant extrême comme dans ces exemples, il ne satisfait pas au critère A1 du trouble de stress post-traumatique et le diagnostic approprié serait celui de trouble d'adaptation.

Enfin, le Dr Passey y est allé de ce qui, à son avis, est le diagnostic qui s'impose pour le cas du caporal Franke, à savoir trouble bipolaire I ou II avec tendance à la paranoïa et mégalomanie, ajoutant qu'elle souffrait probablement aussi de trouble de panique avec agoraphobie.

Le témoignage du Dr Passey semble à retenir de préférence à celui du Dr Halliday. Il a été livré de façon plus mesurée, semblait correspondre aux autorités médicales et psychiatriques qui nous avaient été mentionnées et, de façon générale, était plus conforme à l'image que nous avions de la plaignante pendant son propre témoignage. Il tenait également compte du dossier de relations de travail du caporal Franke.

Après examen de l'ensemble des preuves déposées, il appert que le caporal Franke n'a pu prouver qu'elle a été victime de harcèlement sexuel ou de quelque pratique discriminatoire fondée sur le sexe. Il existe toutefois des preuves d'observations faites par le major Couture et de commentaires et de gestes de l'adjum MacNair assimilés par le caporal Franke à du harcèlement sexuel. Sur le fondement de la preuve, on ne saurait dire si ces observations ou gestes ont été perçus par la plaignante comme une forme de harcèlement, au moment de leur occurrence. Ceci, évidemment, n'oblige pas à conclure nécessairement qu'il ne s'agissait pas de harcèlement sexuel. Toutefois, nous sommes d'avis que la plainte déposée devant le Tribunal l'a été en représailles contre les mesures disciplinaires pour insubordination, qui ne découlaient pas de quelque refus antérieur de Mme Franke de jouer le jeu ainsi qu'elle le mentionne, mais plutôt de son comportement irrespectueux devant le comité de la tenue vestimentaire. Ce comité n'avait pas le moindrement dans ses priorités de harceler Mme Franke, contrairement à ce qu'elle affirme. Enfin, nous sommes d'avis que les incidents évoqués ne sont pas de nature à constituer un cas de harcèlement sexuel.

Le caporal Franke et la Commission des droits de la personne soutiennent que l'avertissement écrit servi au caporal Franke était des représailles à la suite de ses plaintes de harcèlement sexuel ou de sa décision de cesser les badinages à connotation sexuelle qui, selon elle, faisaient partie de la routine quotidienne ou presque quotidienne à son bureau. Rien ne prouve que les plaintes du caporal Franke à propos des agissements du major Couture ou de l'adjum MacNair aient été prises au sérieux et, par conséquent, il serait un peu naïf de penser que des représailles de leur part supposeraient la complicité d'au moins quatre membres du comité de discipline, soit l'adjum MacNair, l'adjudant Boudreau, le sergent Caron et le chef Dougherty. Cette certitude inébranlable de la plaignante est peut-être tout simplement la manifestation de la paranoïa et de la mégalomanie décrites par le Dr Passey.

Le deuxième point dont doit se soucier le Tribunal est de savoir si la plaignante a fait l'objet de discrimination en cours de son affectation, à cause de son sexe ou de ses plaintes de harcèlement.

Il ne fait pas de doute que la plaignante a déployé de grands efforts pour obtenir réparation au sujet d'agissements qu'elle percevait comme un traitement différentiel, c'est-à-dire l'avertissement écrit, sa note RAP, qu'elle jugeait trop faible, et les incidents qui, selon elle, étaient du harcèlement.

Pour savoir si le caporal Franke a été victime d'un traitement différentiel, il faut obtenir l'éclairage de la correspondance échangée entre la plaignante et nombre de ses supérieurs au moment des événements. Le volume HR-1 des documents déposés en preuve renferme des copies de cette correspondance et les numéros de documents qui suivent ont trait à cette partie des preuves documentaires.

Pour rendre l'atmosphère de la correspondance du caporal Franke, il faut citer amplement ses nombreuses notes de service. Voici une analyse de certains éléments de la correspondance échangée entre le caporal Franke et plusieurs de ses supérieurs relativement aux incidents qui ont trait à l'avertissement écrit, au grief concernant sa note RAP et à sa plainte de harcèlement sexuel; nous donnons en référence le numéro des documents au volume des pièces HR-1.

8.3 Ce document est le premier grief du caporal Franke concernant l'avertissement écrit. On y lit en partie :

[Traduction]

l'incident... consistait à donner des réponses honnêtes aux questions du sergent Caron et de l'adjudant Boudreau sur mes chaussures. Lorsque je répondais à une question, c'était assimilé à de l'insubordination et, si je ne disais rien, elles tiraient la même conclusion. Manifestement, ces deux sous-officiers se sont rendus à mon bureau avec l'objectif pré-établi de créer un cas de discipline. ...La rencontre avec le sergent Caron et l'adjudant Boudreau est survenue le jour précédant mon rendez-vous chez le médecin, ce qui laisse supposer une intention antagoniste à ce propos.

Le caporal Franke accuse le comité de la tenue vestimentaire de motifs malhonnêtes, mais sans donner de raison. Ce compte rendu de l'essentiel de sa rencontre avec le comité ne permet pas de faire ressortir la pertinence des observations qu'elle leur a faites.

La réponse à la note de service est la pièce documentaire 9.2, dans laquelle le lieutenant-colonel King précise que l'avertissement écrit a été émis en raison de l'attitude du caporal Franke; il estime que son comportement à l'égard du comité de la tenue vestimentaire est défensif, antagoniste et d'un irrespect manifeste, et en plus insubordonné, évaluation qui semble équitable d'après les témoignages que nous avons entendus du caporal Franke et de l'adjudant Boudreau. D'après sa note de service, le caporal Franke disait également en partie: [traduction] en l'absence d'avertissement verbal antérieur concernant les lacunes perçues, il me semble hors de propos qu'on m'ait servi un avertissement écrit. Dans sa réponse, le lieutenant-colonel King aborde ce point en faisant mention d'un incident antérieur avec l'adjum Bélanger (qui nous a été mentionné dans le témoignage en tant que réprimande à l'endroit du caporal Franke pour avoir appelé un officier supérieur par son prénom), et il poursuit en ajoutant que le caporal Franke devrait s'être adressée directement à ses supérieurs, plutôt que d'opter pour la procédure officielle de recours écrit.

10.3 Le document en question est la première note de service écrite par le caporal Franke à propos de son grief pour sa note RAP et elle y précise (en partie) :

[Traduction]

J'ai essayé à diverses reprises, en empruntant la chaîne de commandement, d'obtenir une entrevue avec vous afin de discuter de cette question, mais vous êtes constamment trop occupé pour entendre mes doléances...

Le caporal Franke accuse ceux qui lui ont attribué sa note RAP de partialité en raison de son grief antérieur sur l'avertissement écrit et de sa plainte de harcèlement (qui était à l'époque sous enquêtes). Elle mentionne le fait que certains éléments de sa correspondance confidentielle ne l'ont pas été tenus strictement (ce dont elle s'est plainte ultérieurement, déclenchant l'intervention du colonel McGee), dont elle conclu qu'elle ne pouvait percevoir la moindre objectivité dans la préparation de son RAP. Les propos de ce genre laissent percer l'animosité du caporal Franke envers ses supérieurs, plutôt qu'une évaluation rationnelle de son propre rendement.

Dans sa note, elle continue par divers racontars et diverses remarques peu flatteuses sur le lieutenant Vedova, de même qu'à propos d'une secrétaire non identifiée travaillant au bureau du caporal Franke. Ce sont des observations qui ne sont ni pertinentes, ni nécessaires aux fins de sa note de service, qu'elle termine ainsi : [traduction] j'estime que ce RAP est injuste et rédigé strictement sur une opinion personnelle faussée...

Dans sa réponse (document 10.4), le lieutenant-colonel King mentionne qu'il ne savait pas que le caporal Franke voulait lui parler à propos de son RAP (elle répond ultérieurement (document 13.1) en termes très sentis, laissant entendre soit une malhonnêteté ou du moins de la mauvaise foi de la part du lieutenant-colonel King).

Le lieutenant-colonel King, dans sa réponse, récapitule les procédures utilisées pour établir la note RAP du caporal Franke et lui laisse entendre qu'il est peu professionnel d'utiliser contre son employeur la note provisoire de son RAP, qui n'a pas été répercutée dans la note finale. Il semble que les notes provisoires demeurent confidentielles jusqu'à l'attribution de la note finale. Le lieutenant-colonel King semble avoir supposé que le caporal Franke connaissait sa note provisoire RAP parce qu'elle aurait dactylographié le brouillon; le caporal Franke dit ne pas l'avoir fait et le traite plus tard (par écrit) d'ignorant pour avoir fait cette supposition (voir document 13.1).

La réponse du lieutenant-colonel King au caporal Franke met également en lumière les observations déplacées de celle-ci dans sa note de grief à propos des autres personnes du bureau. Le lieutenant-colonel ajoute qu'à son avis, la note RAP de la plaignante était généreuse et que si son grief entraînait la révision et la refonte de cette note, celle-ci serait plus faible. Il ajoute qu'une décision de la plaignante d'aller plus loin [traduction] serait très probablement à son détriment. Dans son témoignage, le caporal Franke dit y avoir perçu une menace; toutefois, d'après la formulation du document, il semble clair que le détriment personnel dont parle le lieutenant-colonel King se rapporte au risque d'obtenir une note RAP plus faible.

8.5 Le document ainsi numéroté est la première note de service du caporal Franke concernant sa plainte de harcèlement. Dans cette note de service, la plaignante décrit certaines actions de l'adjum MacNair qui, à ses dires, constituaient une offense ou une nuisance. Elle répète également les racontars entendus du caporal Eadie.

Dans sa note de service, la plaignante déforme l'incident dans lequel le major Couture lui a demandé comment elle pouvait avoir les moyens de s'offrir sa résidence, laissant entendre que le lieutenant Vedova lui avait dit que Couture ne pouvait comprendre la situation; cela ne concorde pas avec le témoignage que la plaignante a donné devant le Tribunal. Elle continue et raconte l'incident de la sexétaire, de même que celui dans lequel Couture lui a demandé, en la qualifiant de biker mama, quand elle se ferait faire un tatouage. Elle lui aurait répondu qu'elle avait acheté sa motocyclette comme un investissement et ne se ferait jamais tatouer. Elle estime que cette attaque à sa vie personnelle était totalement injustifiée. Il est difficile de comprendre comment elle pouvait voir dans la question de Couture une attaque à son mode de vie.

Le caporal Franke raconte également l'incident de la carte postale, qui se serait produit en septembre (même si la note de service a été rédigée en décembre). Cet incident, selon elle, est le plus dérangeant. L'adjum MacNair lui aurait montré la carte postale qu'il avait reçue de Vedova, disant que c'était une carte postale non censurée d'une femme à moitié nue. Les preuves recueillies par ailleurs ont permis de constater que sur la carte postale en question était photographiée une Maori nue. L'information dont nous disposons ne permet pas de savoir si la photographie proprement dite illustrait de façon scabreuse les seins d'une femme ou si c'était simplement l'illustration d'une culture dans laquelle la nudité n'est pas considérée comme honteuse. Quoi qu'il en soit, le caporal Franke dit que l'adjum MacNair a comparé les seins de la Maori à ceux du lieutenant Vedova et qu'il a manifesté son déplaisir lorsqu'elle lui a précisé qu'elle et lui n'avaient pas les mêmes principes moraux.

Dans sa note de service, le caporal Franke raconte que les insinuations de nature sexuelle ont pris fin après son altercation avec l'adjum MacNair sur l'incident relatif à la mise en garde en matière d'alcoolisme, mais que les pressions exercées sur elle se sont intensifiées sur d'autres plans. Elle raconte ensuite l'incident de l'avertissement écrit, où elle voit une preuve de ces pressions. À ses dires, l'avertissement écrit était injuste et elle s'inquiétait de ce que cela puisse être simplement le début de mesures prises par l'adjum MacNair pour la faire renvoyer des Forces. Elle ne précise pas le lien entre les deux incidents, non plus que les raisons pour lesquelles elle croit que l'adjum MacNair voulait la voir partir. Plus loin, elle ajoute que même si on a envoyé une note de service à toutes les sections concernant le professionnalisme au travail, cet aspect demeure un voeu pieux. Elle précise qu'elle a toujours eu le respect de la hiérarchie et ne manque jamais d'appeler les personnes par leur grade. À son avis, il semblerait que le personnel mentionné dans la note de service s'attende à du respect peu importe leurs actions. D'après ces observations, on peut conclure à un manque de respect ou à une certaine suffisance à l'égard de ses collègues, et donc à une exagération de la mesure dans laquelle le caporal Franke se conforme à la réglementation militaire.

On trouve la réponse à cette note de service au document 9.3 : le lieutenant-colonel King informe le caporal Franke que l'officier chargé de l'enquête est arrivé à la conclusion que la plainte est une réaction du caporal Franke à l'avertissement écrit.

12.1 Le caporal Franke a par la suite jugé bon de lever un grief pour la réponse du lieutenant-colonel King à sa plainte, ce qu'elle fait dans le document 12.1. Voici ce dont elle se plaint: de la note qui lui a été adressée parce qu'elle a communiqué avec la Commission des droits de la personne; de ce que le lieutenant Vedova lui avait dit [traduction] mais vous n'avez pas chômé, à propos de ses interventions à l'égard de sa plainte; de ce que le major Bottomley s'est comportée de façon sèche avec elle. Elle accuse le major Bottomley de [traduction] réviser sa déclaration pour l'adapter à ses sentiments personnels concernant cette affaire. Elle raconte qu'elle a rencontré le major Bottomley au moins quatre fois. Elle laisse entendre que l'adjum MacNair est à l'origine de certains appels anonymes qu'elle a reçus à sa résidence, mais sans en apporter la preuve. Elle ajoute que Couture a eu tort de ne pas lui permettre de quitter le bureau à n'importe quel moment qu'elle jugeait opportun pour signaler ces appels téléphoniques à la GRC. Elle raconte divers commérages qu'elle a demandé à Bottomley d'insérer dans son rapport, des déclarations négatives sur l'adjum MacNair. Elle laisse entendre qu'on la harcèle encore en ne lui permettant pas de rendre visite au caporal Legault à son travail. Elle ajoute que sa correspondance confidentielle aurait été délibérément photocopiée et diffusée.

Dans cette note de service, le caporal Franke répète que quelqu'un est à l'origine des tactiques de harcèlement et essaie de la faire renvoyer. Selon elle, ses plaintes [traduction] ne semblent pas avoir d'importance et elle dit croire que l'enquête à cet égard était une farce et simplement une autre forme d'intimidation. Elle poursuit ainsi :

[traduction]

... votre sentiment personnel de profonde déception ne m'intéresse pas et je préfère à l'avenir ne pas avoir à connaître vos opinions personnelles. C'est une façon extrêmement irrespectueuse de communiquer avec un supérieur. Elle continue par diverses remarques négatives sur le niveau d'expérience du major Bottomley sur le plan de la psychologie, disant que celle-ci [traduction] ne devrait pas avoir été saisie d'un cas de harcèlement, puisqu'elle ne comprenait pas tous les enjeux. Si elle avait eu quelque connaissance de ces questions, elle saurait.... Elle poursuit en demandant que l'on communique avec certaines personnes pour qu'elles donnent leurs opinions personnelles à son égard et non simplement des officiers mariniers ayant eux-mêmes fait l'objet d'avertissements écrits - probablement une allusion à l'officier marinier Pistun. C'est là une distorsion de la nature de l'enquête, dans laquelle Bottomley s'est entretenue avec beaucoup de personnes. Le manque d'expérience du major Bottomley dans ce type d'enquête ne permet pas de conclure qu'elle a faussé ou manipulé les résultats.

La réponse à la note de service du caporal Franke porte le numéro 12.3: le lieutenant-colonel King répond à chacune des préoccupations de la plaignante en termes posés, qui semblent cohérents avec les autres témoignages.

13.1 Ce document, mentionné à la rubrique précédente, est une autre étape du grief du caporal Franke concernant sa note RAP. Elle y mentionne n'avoir pas reçu de réponse qu'elle pourrait qualifier d'honnête. Comme nous l'avons vu, elle laisse entendre que le lieutenant-colonel King n'est pas honnête lorsqu'il dit n'avoir pas su qu'elle souhaitait le rencontrer. Elle le qualifie d'ignorant; tout comme elle attache à son conseil l'épithète d'injustifié.

La réponse du colonel McGee porte le numéro 13.2 des pièces documentaires. Il estime que la note RAP de la plaignante était une bonne note. Il se dit perplexe du ton de la correspondance, dans laquelle la plaignante éclabousse d'autres personnes. Il est perplexe devant l'attitude de celle-ci et lui précise qu'il ne tolérera pas d'autres missives irrespectueuses de ses supérieurs, tout en ajoutant qu'il [traduction] accueillera toujours de sa part [la plaignante] par les canaux officiels toute correspondance portant sur des faits et pertinente. En terminant, il rappelle que la note était supérieure à ce qui était justifié et lui conseille de tirer leçon de cette expérience et de continuer son travail.

15.1 Le document ainsi numéroté est une autre étape du grief du caporal Franke concernant l'avertissement écrit. Elle critique à nouveau le traitement que d'autres ont fait de sa correspondance, problème qui, au moment où elle a rédigé le document, a fait l'objet d'une enquête et d'un rapport qui lui a été adressé au sujet des mesures prises.

La réponse est le document numéroté 15.2, dans lequel le colonel McGee lui rappelait qu'elle ne pouvait justifier ses propres actions d'après son interprétation de ce que les autres personnes semblaient faire. Il attire son attention sur le fait que l'avertissement écrit découlait de son refus d'accepter la critique, tout en rappelant que les réponses de la plaignante indiquaient manifestement que la situation n'avait pas changé.

Le caporal Franke répond à cela dans le document 15.3, déclarant : je crois que ma demande de recours a été traitée de façon préjudiciable, et elle rappelle qu'elle n'a pas reçu d'avertissement verbal.

17.1 Le document portant ce numéro est une autre étape du recours en grief du caporal Franke à propos de sa plainte de harcèlement. Elle y rappelle la menace de mesure disciplinaire si elle transmettait sa plainte à la Commission des droits de la personne. Cela lui a été expliqué plusieurs jours auparavant en termes on ne peut plus clairs. Le ton du document est pour le moins plaignard : elle y précise :

[traduction]

... ainsi que me l'ont répété à maintes reprises mes surveillants directs, je suis simplement caporal et je n'ai aucune opinion, de sorte que je suis portée à croire l'information et les déclarations transmises par mes sous-officiers supérieurs et les officiers supérieurs et subalternes . C'est probablement une allusion à l'adjum MacNair qui, selon elle, lui a dit qu'elle n'avait aucune opinion, en réponse à sa plainte selon laquelle, à titre de sous-officier, elle ne devait pas être tenue de se conformer au code de tenue vestimentaire de la base à moins que ses officiers supérieurs aient le même traitement. Dans sa remarque, l'adjum MacNair mentionne clairement que les opinions de la plaignante à propos des mesures qui s'imposent à l'endroit de ses officiers supérieurs ne sont ni pertinentes ni bienvenues.

La réponse à cette note (document 17.2) rappelle au caporal Franke que les observations qui lui ont été faites à propos de sa plainte à la Commission des droits de la personne lui avaient déjà été expliquées, à la fois personnellement et dans une note de service précédente.

17.3 Dans cette note de service, le caporal Franke mentionne à nouveau l'animosité manifestée par le major Bottomley et son manque d'expérience dans le domaine de la psychologie. Le ton de la note indique manifestement que le caporal Franke n'a pas de respect pour ses collègues de la base et ne croit pas qu'ils soient honnêtes.

17.5 Dans cette note de service, le caporal Franke se plaint à propos d'une réunion prévue pour 15 h 30, heure à laquelle elle quitte normalement son travail. Elle se plaint aussi d'avoir été informée par le capitaine Doyle qu'elle devait y assister également, plutôt que par le lieutenant-colonel Van Boeschoten, qui avait demandé cette rencontre. Il n'est pas précisé pourquoi elle s'inquiète de ces facteurs. Elle se plaint du retard entre le 6 et le 31mars 1992, moment où son grief sur l'avertissement écrit a été présenté au Commandement aérien, et de ce que la date initiale de sa note de service était le 3 mars 1992. Nous n'avons pu établir les raisons pour lesquelles cela l'inquiète. Elle se plaint en outre de se sentir encore traumatisée par la menace que lui a faite le lieutenant-colonel King (à propos de sa prise de contact avec la Commission des droits de la personne), bien qu'elle reconnaisse qu'il s'est excusé auprès d'elle le même jour. Elle relate d'autres incidents qui ont eu lieu et qui lui ont semblé inopportuns, mais dont il ne ressort rien d'important.

17.6 Le document portant ce numéro est la note de service du caporal Franke au commandant de la base, dans laquelle elle dit :

[traduction]

je ne crois pas avoir reçu de la base une réponse complète ou satisfaisante. Elle reprend ces allégations au document 17.7.

17.10 Il s'agit du document dans lequel le caporal Franke demande au colonel McGee une enquête impartiale . Elle affirme que jusqu'à maintemant, ses demandes semble avoir été bloquées par toutes les tactiques possibles de la part du colonel et de son personnel. Voilà encore une autre déclaration incroyablement irrespectueuse. Le caporal Franke précise ne pas être d'accord avec la conclusion voulant que le comportement du major Couture, bien qu'offensant, n'était pas du harcèlement. Elle se plaint aussi de la déclaration que lui a faite le lieutenant-colonel King, ce qui lui avait été depuis longtemps expliqué. Elle se reporte aux détails de sa déclaration à propos de ce qu'elle jugeait des actions offensantes de l'adjum MacNair et d'autres personnes.

17.11 Dans cette pièce documentaire, le colonel McGee répond au grief de harcèlement de la plaignante. Il récapitule les circonstances de sa rencontre avec le caporal Franke, l'incident du magasin d'habillement, les trois allégations contre le major Couture, l'absence de réponse du lieutenant Vedova et les observations du caporal Franke selon lesquelles les propos blasphématoires au travail étaient offensants. Pour conclure, il précise qu'aucun de ces incidents ne constitue du harcèlement, même s'il estime déplacées et peu sensibles les observations du major Couture. Il rappelle que les rapports du caporal Franke avec le major Couture auraient pu raisonnablement permettre à la plaignante de dire elle-même à ce dernier qu'elle jugeait ses observations offensantes. Il termine ainsi :

[traduction]

quoiqu'il en soit, le lieutenant Vedova devait informer le major Couture que ses observations vous offensaient, vous, l'une de ses subalternes.

Le colonel McGee mentionne qu'on lui a signalé que le caporal Franke [traduction] s'habillait souvent de façon provocatrice et agissait de façon suggestive et licencieuse pendant cette même période. Ce sont là des observations déplacées. Le colonel McGee poursuit en disant que ces renseignements ne peuvent être utilisés pour entériner les agissements des autres, mais il rappelle que cela remet en question l'intégrité et la crédibilité de la plaignante (supposément parce qu'elle lui avait dit antérieurement que d'autres avaient une conduite suggestive, offensante). En terminant, il ajoute que les propos, la tenue vestimentaire et le comportement professionnel du caporal Franke seraient à améliorer. Il tire également des conclusions sur Couture, Vedova et le niveau de fraternisation au travail. Il ne semble pas que ses opinions sur la tenue vestimentaire de la plaignante aient eu une influence sur ses conclusions à propos de l'objet de la plainte. Cette conclusion est renforcée par le comportement du colonel McGee dans son témoignage devant le Tribunal.

Dans une note distincte (document 18.1) le colonel McGee formule des observations sur les allégations du caporal Franke selon lesquelles l'examen de ses plaintes, d'une certaine façon, retardait toute l'affaire. Il ajoute qu'il s'agit d'allégations fausses et témoignant d'une insubordination, ce qui l'incite à opter pour la mise en garde et probation. À ses dires, puisque la plaignante a déclaré souffrir d'un trouble émotif, il l'envoie en observation médicale et évaluation psychiatrique.

L'habitude du caporal Franke de présenter des notes de service irrespectueuses ne se dément pas dans le document 22.1, lettre dont elle demande l'ajout à ses plaintes antérieures où elle relate les divers incidents, dont la plupart sont d'une importance moins qu'évidente, et le document 22.6, où elle reprend nombre de ses plaintes antérieures, ajoute de nouveaux renseignements sur la vie personnelle du lieutenant Vedova, ainsi que la déclaration suivante:

[Traduction]

Après avoir analysé objectivement ces faits, j'en arrive à la conclusion que je ne pourrais témoigner le moindre respect aux personnes sus-mentionnées dans cette situation. J'ai grandement souffert en essayant de survivre à une situation horrible. Je me demande par quel hasard ces personnes sont des meneurs dans les Forces armées canadiennes, compte tenu d'attitudes comme celles qu'elles ont manifestées à l'égard de divers collègues et de moi-même. Pourtant, on me dit que je dois changer, devenir plus respectueuse.

Elle se plaint que lorsqu'elle a parlé à l'adjum MacNair des personnes avec lesquelles elle sortait, et de leur âge, il lui a fait la remarque qu'ils étaient soit trop vieux, soit trop jeunes. Nous ne savons pas pourquoi elle trouvait cette remarque offensante?

Dans le document 23.4, elle donne divers détails sur ses propres opinions, elle raconte une rumeur concernant les opinions d'autres personnes, à propos de l'officier marinier Pistun, dans le but de le discréditer en tant que source d'un avertissement précédent qui lui a été servi concernant sa conduite personnelle.

Dans le document 23.5, le commandant, le lieutenant général Huddleston, lui mentionne que les points qu'elle a soulevés n'ont pas de lien avec sa demande.

Pour la plupart, les éléments relevés dans la correspondance du caporal Franke témoignent d'au moins une des caractéristiques suivantes:

  1. observations irrespectueuses et malicieuses, adressées parfois au destinataire de la note de service, mais concernant parfois d'autres collègues ou ses supérieurs;
  2. allusions laissant supposer que ses supérieurs sont malhonnêtes;
  3. détails de nombreux incidents dont la pertinence n'est pas évidente;
  4. répétition de plaintes longtemps après qu'elles aient été expliquées ou par ailleurs traitées, lorsqu'il n'est que nécessaire de demander un renvoi au niveau suivant;
  5. allégations voulant qu'elle ne soit pas traitée comme les autres, quand elle dit qu'ils s'en tirent malgré les mêmes comportements;
  6. rumeur peu flatteuse à propos de ses collègues et supérieurs;
  7. observations tendant à présenter la plaignante comme manifestant des normes élevées d'éthique personnelle, par contraste avec la plupart des personnes avec lesquelles elle est en contact.

De l'ensemble de la correspondance du caporal Franke se dégage une attitude de mépris à l'égard de ceux avec lesquels elle travaille. Malgré ce ton, les personnes auxquelles s'adressent ses plaintes, aux nombreux échelons de la hiérarchie nécessaire dans le système militaire pour lui répondre, communiquent avec elle presque unanimement en termes mesurés. Souvent, ils lui rappellent son devoir de répondre de la même façon et lui laissent entendre que la non-observation de ces bonnes manières est à la fois non professionnelle et représentive des circonstances qui ont abouti à l'avertissement écrit. Il vaut la peine d'examiner plusieurs fois certaines observations du caporal Franke à l'endroit de ses supérieurs:

  1. le conseil du lieutenant-colonel King selon lequel, si elle portait sa plainte à d'autres paliers à propos de sa note RAP, ce serait à son détriment personnel ; le caporal Franke dit y avoir vu une menace à sa personne. Ce n'est pas crédible. Il nous semble, comme nous l'avons mentionné, que le lieutenant-colonel King lui proposait simplement de mettre un terme à son flot de correspondance sans fondement, car elle risquait une réévaluation et une note RAP plus faible.
  2. ii. Les observations du colonel McGee à propos de sa tenue vestimentaire et de son comportement lascif. Il s'agit d'une observation qui n'est ni pertinente, ni opportune, à moins qu'elle ne vise des mesures disciplinaires à l'endroit du caporal Franke pour quelque question touchant sa tenue vestimentaire. À notre sens, les opinions du colonel McGee à propos de la tenue du caporal Franke n'on pas influencé la façon dont il a traité l'essentiel de la plainte et encore une fois, nous attirons l'attention sur ses propos dans son témoignage verbal.

  3. et avoir reçu sa note de service à propos de cette réunion (document 17.10).

Après avoir constaté que la plaignante, Kimberley Franke, n'a pas subi de harcèlement sexuel au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que la dite plaignante n'a pas fait l'objet d'un traitement différentiel à cause de son sexe ou de sa plainte de harcèlement, il n'est plus nécessaire de trancher l'une ou l'autre des questions qui restent et qui ont été soulevées, soit:

  1. le dédommagement approprié à accorder à la plaignante par suite des présumées infractions à la Loi canadienne sur les droits de la personne ;
  2. la question de savoir si le recouvrement des dommages en la présente instance est interdit en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif ou par la Loi sur les pensions du Canada.

Pour ces motifs, la plainte est rejetée.

Fait ce jour d'avril 1998.


H. Durocher, membre

Jane S. Shackell, membre

D.T. 4/98

Décision rendue le 15 mai 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, c. H-16 (telle que modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

KIMBERLEY FRANKE

la plaignante

- et-

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée


DÉCISION MINORITAIRE


TRIBUNAL:

Donna M. Gillis Présidente

Hervé H. Durocher Membre

Jane S. Shackell Membre

Patricia Lawrence avocates de la Commission canadienne des droits de la personne

Kimberley Franke, plaignante

Darlene Patrick et Jean-Marie Dugas avocats des Forces armées canadiennes

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE :

du 28 au 31octobre, le 1er et les 18 au 22 novembre, du 9 au 12 décembre 1996, du 10 au 14 février, les 29 et 30, avril et le 1er mai 1997

Courtenay, C.-B.

DÉCISION

MAJORITAIRE : Hervé H. Durocher and Jane S. Shackell

DÉCISION

MINORITAIRE : Donna M. Gillis

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. QUESTIONS EN LITIGE

III. LES FAITS

A. LES AFFECTATIONS DE LA PLAIGNANTE

(i) Affectation au 407e escadron

(ii) Affectation au Bureau des transports de la base (BT-B)

B. LES INCIDENTS MACNAIR

(i) Observations sur les rendez-vous avec des officiers

(ii) Gestes concernant la poitrine et les bras

(iii) L'incident de la carte postale

C. LES INCIDENTS COUTURE

(i) Observations sur les moyens d'avoir une résidence

(iii) La remarque de Biker Mama

D. L'INCIDENT BÉLANGER

E. L'INCIDENT DU CAPORAL-CHEF ALEXANDER

F. L'INCIDENT DES CHAUSSURES

G. ÉVÈNEMENTS SUBSÉQUENTS À L'AVERTISSEMENT ÉCRIT

(i) Grief de réparation pour l'avertissement écrit

(ii) Enquête sommaire et demande de règlement de grief pour la plainte de harcèlement/d'abus de pouvoir

(iii) Le travail à la Salle des rapports de la base, au quartier général de la base

(iv) Règlement de grief sur le rapport d'appréciation du personnel (RAP)

(v) Congé de maladie

(vii) Départ des FAC

(viii) Après la cessation d'emploi

IV. PREUVES MÉDICALES

V. ANALYSE ET DÉCISION

A. QUESTION 1

B. QUESTION 2

C. QUESTION 3

(i) L'effet de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif (LRCECA), L.R.C. 1985, c. C-50 et l'article 111 de la Loi sur les pensions (LP), L.R.C. 1985 c. > P-6 sur la présente demande déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne

(ii) Dommages

a) Pertes salariales antérieures

(i) Période d'indemnisation

b) Pertes salariales futures

c) Prestations de pension

d) Préjudice moral

e) Prestations médicales

f) Intérêts

D. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

1. Le 11 mars 1992, Kimberley Franke (la plaignante) déposait devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte selon laquelle, l'intimée, les Forces armées canadiennes (FAC), s'adonnait ou s'était adonné à des pratiques discriminatoires fondées sur le sexe depuis février 1991.

2. Dans le détail de la plainte, elle décrit les incidents de harcèlement de la part de ses surveillants de l'époque, l'adjudant-maître (adjum) Donald Macnair, le lieutenant Karen Vedova et le major Michel Couture. Ces incidents, de l'avis de la plaignante, constituent du harcèlement sexuel et un traitement différentiel contraire aux articles 14. (1) et 7.de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. La plaignante s'est enrôlée dans les FAC le 10 décembre 1981 à l'âge de 20 ans. Elle a quitté volontairement les Forces le 10 janvier 1993. À son départ, elle avait atteint le grade de caporal, soit un grade de sous-officier dans les Forces armées canadiennes. À l'examen de ses antécédents professionnels avant février 1991, époque où ont commencé les présumés incidents de discrimination, on constate un dossier militaire sans la moindre bavure jusqu'en 1989. Ces aspects de ses antécédents de travail, non contestés, nous les mettons en lumière à titre d'introduction.

4. Après son enrôlement dans les FAC, elle a commencé son entraînement de base à la Base des Forces canadiennes (BFC) de Cornwallis, le 1er janvier 1982. Le 19 mars de la même année, après avoir terminé l'entraînement de base, elle est allée à la BFC de Borden pour suivre la formation de technicienne en approvisionnement. Elle a reçu sa première affectation le 21 juin 1982, à la BFC de Moosejaw, où elle est demeurée cinq ans. Pendant cette période, elle était technicienne en approvisionnement.

5. Sa première promotion lui a été accordée le 1er janvier 1986, au grade de caporal par intérim. Entre le 17 novembre 1986 et le 27 janvier 1987, la plaignante a terminé les cours nécessaires pour la promotion au grade de caporal. Voici quelques exemples d'observations favorables tirées des formulaires d'achèvement de cours :

[Traduction]

Le caporal par intérim Franke est une étudiante aux bonnes manières, qui possède une bonne connaissance pratique du secteur des approvisionnements. .

Le caporal par intérim Franke n'a pas hésité à poser des questions sur les points non couverts à sa satisfaction. Elle a pleinement pris part aux discussions en classe et souvent, on l'a vu aidant les autres qui éprouvaient des difficultés.

Le caporal par intérim Franke a une personnalité attachante et agréable, qui lui a permis de bien s'intégrer à l'équipe. Elle a été nommée stagiaire-chef adjointe pendant deux semaines et s'est acquittée de sa tâche de façon satisfaisante.

Sa tenue vestimentaire respectait constamment les normes de l'école. C'est un plaisir que de voir le caporal par intérim Franke dans ce cours. ... RC Gallant, cplc

Le caporal par intérim Franke a réussi son QL5 haut la main. C'est un actif pour le cours et elle possède un potentiel évident. Bravo! ... RG Medley, major

(Pièce HR-1, onglet 3, document 3.2)

6. On évalue annuellement le rendement des membres des FAC dans un document appelé Rapport d'appréciation du personnel (RAP), qui porte sur l'année civile précédente. Le militaire est noté sur une échelle de rendement de 10. La note 10 est le maximum qu'un miliaire peut obtenir. Le 29 janvier 1987, au cours de son affectation à la BFC de Moosejaw, la plaignante a reçu son RAP pour 1986. Elle avait obtenu une note de 6.5. Globalement, les observations écrites au rapport étaient favorables, comme le prouvent les observations suivantes :

[Traduction]

Le caporal Franke est certainement parmi les caporaux les plus joviaux et les plus dynamiques; elle perçoit toujours son travail sous le meilleur éclairage. Son attitude et ses bonnes dispositions favorisent des rapports professionnels très harmonieux avec ses pairs et les sections qu'elle dessert quotidiennement. Une attention supplémentaire à certains détails, voilà tout ce qu'il faut pour améliorer un rendement qui est bon dans l'ensemble. S. Jeffrey, major, O Appro B

Le caporal Franke est une travailleuse fiable et enthousiaste qui s'attache à exécuter des tâches qui lui sont attribuées au meilleur de sa capacité mais qui, à l'occasion, oublie de vérifier l'exactitude de son travail. Elle a de bon gré accepté des tâches et des responsabilités supplémentaires et est sensible aux moyens éventuels d'augmenter l'efficacité de la section.

Le caporal Franke est capable d'établir des rapports avec ses collègues et ne tarde jamais à les aider dans leurs tâches au besoin. Elle s'entend exceptionnellement bien avec ses surveillants et ses pairs, favorisant constamment un meilleur moral dans la section.

Le caporal Franke manifeste un comportement militaire global au-dessus de tout reproche et constitue un bel exemple pour les autres. Elle est loyale, dévouée et constitue un atout pour la section des approvisionnements et les FC. JJR Lavoie, sergent

(Pièce HR-1, onglet 3, document 3.3)

7. L'avancement de la plaignante au grade de caporal en titre s'est produit le 6 février 1987. Cinq mois plus tard, le 14 juillet 1987, elle était affectée à la BFC de Comox, où elle a travaillé jusqu'à son départ volontaire.

8. Après sa mutation à la BFC de Comox, la plaignante a subi une évaluation de compétence pour une mutation professionnelle au poste de commis administratif. Chaque année, à l'automne, les FAC lancent un programme annuel de reclassement volontaire. C'est à cette époque que se déroule l'évaluation des militaires pour les candidatures aux mutations professionnelles. Dans un rapport d'appréciation du personnel du 1er septembre 1987, on décrit la plaignante comme une militaire exubérante, mûre et franche, qui possède d'excellentes aptitudes. En raison de sa note, de son soutien à l'unité et de ses antécédents professionnels, elle a été évaluée et notée comme une candidate moyenne pour un transfert professionnel à un poste de commis administratif.

9. Sa première place de commis administratif a été à la section de la réception et de la répartition du quartier général de la BFC de Comox, où elle s'occupait du personnel arrivant ou sortant. Son premier surveillant était le sergent Nicole Barber, remplacée ultérieurement par le sergent Lesage.

10. Dans une lettre d'appréciation du 23 août 1988 rédigée par le capitaine R.J. Tassé, il est question de la plaignante et d'un caporal-chef (cplc) Main auquel elle a apporté son aide dans sa mutation à une autre base. Voici un extrait de cette lettre :

[Traduction]

Il m'est rarement arrivé qu'on prenne si bien soin de moi et avec une attitude si positive. Il ne fait pas de doute que le caporal-chef Main s'acquitte de ses tâches quotidiennes, parfois dans une atmosphère de crise, avec tant d'excellence que cela se reflète sur votre organisation. Le caporal Franke, bien que nouvelle venue aux arrivées et départs, a toujours su faire en sorte que les clients sentent que leur problème est important et sera traité au mieux.

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.1)

11. Le premier RAP de la plaignante au poste de commis administrative était noté 7.0 par le sergent Lesage, dont nous trouvons les observations dans son rapport du 27 octobre 1988 :

[Traduction]

Franke s'est vivement intéressée à son nouveau métier; même avec les connaissances minimales qu'elle possédait, elle a rapidement assumé des responsabilités, s'est acquittée des tâches qui lui avaient été attribuées, tout en faisant volontairement des heures supplémentaires pour s'assurer que son travail soit achevé à temps et efficacement.

Son aspect militaire était bon et elle a obéi à l'intégralité des ordres et des règlements. Elle ne restait jamais à ne rien faire et, souvent, réunissait divers types de formulaires et de demandes afin que tout soit prêt au besoin pendant la PAA écoulée et ultérieurement. Elle a relevé le défi d'apprendre son nouveau métier avec la plus complète collaboration, affrontant les situations avec confiance et jugement et réussissant bien malgré le stress.

Elle a appris ses nouvelles fonctions de façon satisfaisante, acceptant les critiques constructives et se perfectionnant par l'expérience. Le caporal Franke avait un grand sens de la collaboration et était toujours disposée à aider les autres à n'importe quel moment. Ses manières décontractées et son humour lui ont permis de bien fonctionner avec les autres membres de la section. Elle a entretenu des rapports avec des personnes de tous les grades et s'est toujours montrée agréable, loyale et dévouée.

Pendant son séjour aux A et D, on lui a confié la responsabilité des entrevues d'affectation, même avec ses connaissances limitées, et ses réponses aux questions ont été bien comprises et bien perçues. Pendant cette période, elle a reçu une lettre d'appréciation à l'égard d'un travail bien exécuté. Le caporal Franke est en bonne condition physique et a réussi son examen physique annuel.

R. Lesage, sergent, surveillant A et D

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.2 )

12. Voici les observations supplémentaires du capitaine Bresnard :

[Traduction]

Je suis d'accord avec cette évaluation. Le caporal Franke a une personnalité pétillante et très agréable. Elle veut apprendre et fait montre de détermination, d'intérêt et de confiance. Elle sera un atout certain dans le secteur administratif.

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.2)

13. Du 12 septembre 1988 au 10 mars 1989, la plaignante a suivi un cours de français élémentaire à St-Jean, au Québec. Le rapport établi après la fin du cours, le 20 mars 1989, est le premier où il est fait allusion au comportement militaire de la plaignante. La preuve a permis d'établir qu'il faut entendre par comportement militaire la tenue vestimentaire et les réactions du militaire envers ses surveillants. L'un des éléments qui sous-tendent la plainte est le comportement militaire de la plaignante, que nous analyserons plus loin. Voici les observations relevées dans ce rapport :

[Traduction]

Elle met beaucoup d'application à son travail, mais ses progrès ne sont pas toujours proportionnels à ses efforts.

Le caporal Franke a manifesté beaucoup d'intérêt et un bon comportement militaire.

Le caporal Franke devra continuer à déployer de grands efforts pour apprendre le français.

(Je souligne.)

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.3)

14. Pendant la période où elle suivait des cours de français, la plaignante s'est blessée au genou dans un accident de ski. Cette blessure l'a empêchée d'accomplir certaines activités physiques à la base, notamment les défilés, et elle avait de la difficulté à porter les chaussures militaires réglementaires pendant l'exécution de ses fonctions. À l'époque des présumés incidents de harcèlement sexuel, la plaignante portait des chaussures non réglementaires, ce qui a abouti à un incident entre elle et des hauts gradés de l'intimée. Nous décrivons cet incident plus loin.

15. Dans le cadre de son perfectionnement professionnel, la plaignante a été affectée à la BFC de Borden du 4 avril au 9 juin 1989 pour suivre le cours de commis administratif QL3. Elle a réussi le cours et en a reçu des observations écrites favorables :

[Traduction]

Le caporal Franke a atteint tous les objectifs de rendement sans difficulté.

D'emblée, le caporal Franke a fait montre d'une attitude positive et d'une bonne motivation dans son cours. Elle n'a pas éprouvé de difficulté à saisir les principes de la matière couverte, mais l'application de ses connaissances dans des situations pratiques, dans le cadre de ses affectations, a permis de déceler un manque de souci du détail, parce qu'elle était pressée d'exécuter le travail. Après quelques conseils, ses tâches quotidiennes se sont améliorées, prouvant qu'elle comprenait pleinement les principes fondamentaux.

Arrivée dans ce métier à la suite d'une réaffection, le caporal Franke n'a pu participer pleinement à certaines activités en raison de son dossier médical. Toutefois, en classe, elle n'a jamais hésité à prendre part aux discussions. Elle posait des questions réfléchies et pertinentes touchant la théorie enseignée.

Le caporal Franke était une étudiante attentive, ayant le sens de la coopération, qui fonctionnait bien avec ses pairs. Elle devait travailler dur pour maintenir le niveau de tenue exigé pour ce cours. Son comportement militaire satisfaisait constamment aux normes. V. Genaille, sergent

Le caporal Franke est une militaire capable et qui a le sens de la coopération et déploie de bons efforts pour réussir le cours. Dans un contexte normal de supervision et d'orientation, le caporal Franke devrait devenir un commis administratif compétent. W.J. McKee, major

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.4)

16. Le 9 juin 1989, la plaignante commençait à travailler au 407e escadron, à la Salle des rapports de la base (SRB). C'est à ce moment qu'elle a connu ses premières difficultés professionnelles, nommément avec son surveillant masculin, l'officier marinier Pistun. Même si la plainte déposée au Tribunal se rapporte aux présumés incidents qui se sont produits après sa mutation du 407e escadron, certains aspects des difficultés sont ressortis ultérieurement dans l'enquête interne menée par l'intimée au sujet de la plainte de harcèlement de la plaignante. Pour cette raison, les détails du problème entre la plaignante et l'officier marinier Pistun seront analysés à la rubrique Les faits de la présente décision.

17. Le premier RAP de la plaignante au 407e escadron a été établi par l'officier marinier Pistun le 15 janvier 1990. La note attribuée était de 6.8; voici les observations relevées :

[Traduction]

Le caporal Franke, mutée récemment au métier de commis administratif, progresse constamment vers son QL4. Sa personnalité agréable s'est avérée un atout, dans le travail au comptoir. Elle converse facilement avec les personnes qui se rendent à la salle des rapports et sait réjouir ceux qui l'entourent. Au départ, le caporal Franke comptait trop sur son expérience militaire, plutôt que sur les bonnes pratiques administratives, mais au cours des quelques derniers mois, elle a accompli beaucoup pour prouver ses capacités. Nous analysons aux présentes des périodes de difficultés affectives pour le caporal Franke, notamment des problèmes personnels et médicaux dont une chirurgie au genou. Elle surmonte ces difficultés et commence à prendre sa place comme l'un des membres les plus expérimentés de la salle des rapports. Nous recommandons que le caporal Franke soit inscrite à un cours QL5A.

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.5)

18. Le 23 avril 1990, le lieutenant-colonel A.R. Nelson envoyait au 407e escadron une lettre d'appréciation en reconnaissance des services reçus par son équipage à la salle des rapports, tandis qu'ils étaient immobilisés à Comox. Cette lettre mentionne expressément la plaignante et en voici un extrait :

[Traduction]

Je vous expédie cette lettre d'appréciation pour souligner l'excellence du service fourni par le personnel de votre salle des rapports, notamment le caporal Franke qui n'a pas dérogé au professionnalisme, à la sollicitude et à la gentillesse, dans un contexte qui devait malgré tout être extrêmement frustrant.

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.6)

19. Un mois plus tard, soit le 26 septembre 1990, le major R.J. Butt du QGDN rédigeait une autre lettre d'appréciation adressée à l'officier commandant du 407e escadron, afin de reconnaître le travail de la plaignante à l'exposition des Forces armées, à la PNE de Vancouver. Voici un extrait de cette lettre :

[Traduction]

2. Dans son rôle de commis administratif, le caporal Franke a reçu la tâche d'assurer le soutien administratif pour tous les aspects touchant l'exposition et notamment à l'égard de plus de 25 personnels militaires dotant l'exposition. Elle a également apporté son aide en conduisant le personnel important en voiture, lorsque cela était nécessaire. Elle était toujours prête à affronter n'importe quelle situation avec compétence et professionnalisme.

3. Le caporal Franke représente bien les Forces armées canadiennes et son unité. Je vous prie de transmettre à l'intéressée nos remerciements pour un travail exigeant et bien fait.

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.7)

20. Il faut signaler dans cette lettre une note manuscrite de l'officier marinier Pistun, se lisant ainsi.

[Traduction]

Kim, vous devriez envisager un poste au recrutement. Avec le public, vous excellez. Beau travail!

21. Le 6 novembre 1990, la plaignante a terminé ses cours de commis administratif QL5, méritant des observations favorables dans le rapport de fin de cours, qui comporte également certaines références à sa tenue et à son comportement militaires. Voici ces observations :

[Traduction]

Le caporal Franke a atteint sans difficulté tous les objectifs de rendement, manifestant ses points forts dans le module PO 402, préparation de documents administratifs, et le PO 404, utilisation d'une machine à écrire.

Le caporal Franke est arrivée au cours bien préparée et désireuse d'apprendre. Elle a travaillé dur et déployé constamment de bons efforts. Ses travaux personnels étaient toujours bien faits. Le caporal Franke était une étudiante très coopérative, qui s'entendait très bien avec ses collègues de classe. Elle n'a jamais hésité à poser des questions et n'a jamais raté l'occasion de prendre part aux discussions en classe. De nature joviale et dotée d'un bon sens de l'humour, elle générait souvent des délibérations très intéressantes, stimulant ainsi le bon moral du groupe. Le rendement global du caporal Franke est très bon.

La tenue et le comportement militaire du caporal Franke correspondaient aux normes pendant toute la durée du cours. D.A. Melanson, sergent

Le caporal Franke a réussi son cours. C'est une étudiante bien motivée, dotée d'un bon sens de l'humour. Le caporal Franke a consenti un maximum d'efforts pendant tout le cours. Elle a la capacité de devenir un commis administratif très efficace.

(Je souligne.)

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.8)

22. Le dernier RAP de la plaignante avant son départ du 407e escadron est du 17 janvier 1991. Son évaluation globale de rendement pour l'année précédente, soit 1990, était de 7.4; le rapport contient des observations encourageantes de même que défavorables sur son travail antérieur et ses tâches futures avec l'intimée. Voici ces observations :

[Traduction]

Le caporal Franke est une personne enthousiaste et énergique qui, pendant la période visée, a terminé avec des notes élevées le TQ4 et le TQ5A, a rédigé deux PDP, en réussissant un et elle est en attente des résultats de l'autre. De plus, le caporal Franke a été affectée au DED à l'occasion de la PNE où son travail acharné et son dévouement ont été soulignés par une lettre d'appréciation.

Le caporal Franke a connu une année très occupée où elle a constamment progressé et perfectionné ses capacités de commis administratif. Elle a beaucoup appris et a le désir et la capacité d'assumer toutes les tâches qu'on lui confie.

Le caporal Franke a prouvé qu'elle est prête à prendre davantage de responsabilités. Nous recommandons de l'affecter à un poste de commis en chef dans une petite salle des rapports.

Le caporal Franke a reçu une dispense médicale de l'examen de conditionnement physique pour la période visée. D.G. Pistun, OM2

Le caporal Franke a fait montre de bons progrès pendant toute la période visée. Elle veut et peut réussir. Déterminée et curieuse, elle possède donc un bon potentiel pour assumer des responsabilités plus lourdes. G.F. Reaume, major

(Pièce HR-1, onglet 4, document 4.9)

23. La plaignante évoque dans sa plainte un certain nombre d'incidents qui auraient supposément surgi pendant sa mutation du 407e escadron au Bureau des transports (Base) (BT-B). La plaignante a parlé dans son témoignage de ces incidents et des événements qui les entourent. Avant d'analyser chacun de ces incidents, qu'il suffise de noter qu'après neuf mois au BT-B, le 26 novembre 1991, la plaignante se voyait servir un avertissement écrit. En termes simples, l'avertissement écrit est l'un des divers moyens administratifs conçus par les Forces armées canadiennes pour faire en sorte que la conduite ou le rendement d'un militaire satisfassent à une norme acceptable et permet également de corriger les comportements inacceptables. Par la suite, le 9 décembre 1991, elle demandait réparation pour l'avertissement écrit.

24. Ensuite, le 16 décembre 1991, la plaignante déposait une note interne portant le titre Harcèlement/abus de pouvoir auprès de l'officier des services techniques de la base (OSTB), le lieutenant-colonel King, dans laquelle elle précisait ses préoccupations et mentionnait que, en raison des répercussions sur sa carrière, elle transmettait des copies de toute sa correspondance et de l'avertissement écrit à la Commission canadienne des droits de la personne. L'intimée a traité cette note de service en plainte pour harcèlement sexuel. Ensuite, le commandant de la BFC de Comox, le colonel McGee, a lancé une procédure interne connue sous le nom d'enquête sommaire.

25. Le colonel McGee a nommé le major Nora Bottomley responsable de l'enquête sommaire. Le major Bottomley a fait partie des FAC de 1970 jusqu'à octobre 1996. Elle a quitté les Forces armées pour raisons médicales. Au moment de l'enquête sommaire, elle était adjointe administrative du commandant de la base, ainsi qu'officier des affaires publiques (base), se rapportant au colonel McGee.

26. On précise le mandat relatif à l'enquête sommaire dans une note de service du 17 décembre 1991 signée par le lieutenant-colonel King, au STB. Le major Bottomley doit mener une enquête sur une plainte de harcèlement sexuel déposée par la plaignante et obtenir les déclarations de tous les témoins pertinents. Le major devait également formuler ses constatations sur les points suivants :

  1. y a-t-il eu harcèlement personnel;
  2. le cas échéant, de quel type de harcèlement s'agissait-il;
  3. qui a été victime de harcèlement, s'il y a lieu;
  4. qui est à l'origine du présumé harcèlement;
  5. autres constatations jugées appropriées par l'officier enquêteur.

27. Enfin, le major Bottomley devait formuler des recommandations si cela s'imposait.

28. Des seize personnes interviewées par le major Bottomley, certaines ont également témoigné devant le Tribunal, notamment l'adjum Macnair, le major Couture, le lieutenant Vedova, l'adjudant-chef de la base Terrence Doherty, l'adjudant Colleen Boudreau, Susan Powers, le caporal Patricia Mears, le sergent Nicole Barber, le caporal Kelley Eadie et le caporal-chef Paul Lagacé.

29. Dans le rapport de l'enquête sommaire, le major Bottomley tire la conclusion qu'il n'y a pas eu harcèlement, ni personnel ni sexuel. Elle a remis son rapport au lieutenant-colonel King le 27 janvier 1992. La plaignante n'a pas reçu d'exemplaire du rapport du major Bottomley pendant qu'elle était membre des FAC. Ce rapport, et les entrevues et autres annexes, figurent aux preuves documentaires déposées devant le Tribunal.

30. Dans une lettre adressée à la plaignante le 17 février 1992, le lieutenant-colonel King mentionnait accepter les constatations du major Bottomley, c'est-à-dire que plutôt que de conclure à du harcèlement, le major estimait que la plainte était une réaction à l'avertissement écrit. Après avoir reçu la réponse du lieutenant-colonel King, la plaignante déposait le 6 mars 1992 une demande de règlement de grief concernant sa plainte de harcèlement.

31. Le 13 janvier 1992, après avoir reçu son RAP pour 1991, la plaignante déposait une autre demande de règlement : elle avait obtenu une note de 6.9.

32. Les trois demandes et les autres procédures parallèles issues de ces griefs ont généré une correspondance volumineuse touchant de nombreux paliers des FAC, jusqu'au chef de l'état-major de la Défense. Les griefs étaient encore en cours de traitement après le départ de la plaignante des Forces armées, la dernière lettre de celle-ci au chef de l'état-major de la Défense portant la date du 10 octobre 1994.

33. Un mécanisme parallèle, soit la constitution d'une commission d'enquête des FAC à la BFC de Comox, en juillet 1992, a débordé sur les preuves entendues au cours de l'audience. Cette commission a fait enquête sur un certain nombre d'incidents qui se sont produits à la base, dont l'un était la plainte de harcèlement déposée par la plaignante. Certains aspects de cette enquête, en ce qu'ils touchent l'objet de la présente, ont été abordés dans les témoignages.

34. Après l'avertissement écrit, on a constaté une détérioration de la santé de la plaignante. Il y a controverse entre la plaignante et la Commission d'une part, et l'intimée d'autre part, à propos de la mesure dans laquelle les problèmes de santé de la plaignante seraient dus à des événements liés au travail. Au moment de l'audience, la plaignante était sous les soins de son psychiatre, le Dr William Halliday. De l'avis du Dr Halliday, la plaignante souffre d'une incapacité, trouble de stress post-traumatique directement lié à du harcèlement sexuel au travail. L'intimée conteste le diagnostic du Dr Halliday, se fondant sur l'opinion du Dr Donald Passey, psychiatre militaire, qui estime que la plaignante souffre d'un trouble d'adaptation qui a dégénéré en trouble bipolaire avec caractéristiques paranoïdes.

35. L'intimée conteste toute responsabilité concernant les dédommagements économiques demandés par la plaignante à la suite du présumé harcèlement.

36. Le 20 octobre 1993, la plaignante a demandé une pension pour motifs médicaux à Affaires des anciens combattants Canada. On l'informait le 24 novembre 1994 que sa demande avait été approuvée et, le 2 août 1994, elle commençait à recevoir une pension pour troubles d'adaptation avec humeur dépressive. Le 3 mai 1995, on l'informait que son incapacité pour sa pathologie nerveuse avait été évaluée à 10 %, avec rétroactivité au 20 octobre 1993. Sa pension mensuelle était de 163 $.

37. Le 17 mai 1995, la plaignante présentait une demande de pension supplémentaire et, un mois plus tard, demandait une modification du diagnostic à celui de trouble de stress post-traumatique. La demande de modification du diagnostic a été approuvée le 28 juillet 1995.

38. Le 3 août de la même année, la plaignante déposait une nouvelle demande de pension supplémentaire, approuvée le 2 novembre suivant. Son incapacité due à un trouble de stress post-traumatique a été évaluée à 20 %, de sorte que les mensualités versées à la plaignante passaient à 449,87 $.

39. La plaignante a participé aux premières étapes de l'audience, soit la présentation de la preuve par la Commission canadienne des droits de la personne. Le Tribunal apprenait ensuite par l'avocate de la Commission que la plaignante ne souhaitait pas continuer à assister aux audiences du Tribunal et consentait à ce que les procédures continuent en son absence. En réponse à une demande du Tribunal, la plaignante précisait ses intentions dans deux lettres, les 12 et 13 février 1997. Dans celle du 13 février 1997, le Dr Halliday écrivait ceci :

[Traduction]

J'ai examiné Mme Franke les 10, 11 et 12 février. Je crois qu'elle comprend ce qui précède et qu'elle est compétente à accorder son consentement à la poursuite des procédures du Tribunal en son absence.

(Pièce T-2 du Tribunal)

40. Les audiences se sont déroulées et se sont terminées en l'absence de la plaignante.

II. QUESTIONS EN LITIGE

1. L'intimée a-t-elle fait de la discrimination contre la plaignante parce que la conduite visée par la plainte constituait du harcèlement sexuel, à l'encontre de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

2. Qu'il y ait eu ou non infraction à l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'intimée a-t-elle traité la plaignante différemment, pour des motifs illicites de discrimination, à l'encontre de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans le cours de son emploi, après qu'elle se soit plainte à l'intimée en décembre 1991?

3. S'il y a eu infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne, quant à la question des dommages, quels sont les recours dont dispose la plaignante et à quoi a-t-elle droit?

III. LES FAITS

41. Précisons d'abord que la tâche du Tribunal était d'autant plus difficile en raison de la prépondérance de témoignages incompatibles et de versions contradictoires des événements qui se sont déroulés entre la plaignante et l'intimée. Il faut rappeler que l'un des témoins de l'intimée, l'adjum Macnair, se souvenait à peine ou pas du tout de certains des incidents évoqués. Dans son témoignage, il a mentionné que si les incidents se sont produits, ils pouvaient être expliqués sans qu'il soit question de harcèlement. L'adjum Macnair semblait généralement ne pas se souvenir de nombres des allégations de la plaignante et croyait très fermement qu'il s'agissait de tentatives de le discréditer et de faire annuler l'avertissement écrit.

42. Une question technique a surgi à l'audience du Tribunal, à l'égard d'une plainte distincte de la plaignante devant la Commission canadienne des droits de la personne à l'encontre de l'adjum Macnair. Le Tribunal a appris par l'avocate de l'intimée que la plainte n'avait pas été déposée devant un tribunal. L'adjum Macnair a témoigné avoir reçu une lettre de la Commission à cet égard.

43. À l'époque, le Tribunal a précisé que sa compétence découlait de la plainte qui lui avait été présentée et ne pouvait apprécier que la valeur de l'affaire qui lui avait été dûment présentée. Ultérieurement, le Tribunal a entendu les interventions de l'avocate de l'intimée, qui insistait pour que les faits relatifs à la plainte distincte soient communiqués au Tribunal. Le Tribunal n'a trouvé aucun fondement à cette requête, estimant que la valeur de l'aspect technique devait être soumise à une autre tribune compétente en la matière.

44. Indépendamment de l'adjum Macnair et de ses trous de mémoire, un autre témoin de l'intimée, le lieutenant Vedova, semblait aussi éprouver des difficultés à se souvenir. Dans nombre de cas, elle avait de la difficulté à exprimer ses idées.

45. Pour ces raisons, la crédibilité est devenue un facteur dans le processus de validation des faits. À ce propos, la présidente a évalué la crédibilité en observant la conduite de chaque témoin, notamment sa franchise, son honnêteté et son attitude. Nous avons également vérifié la cohérence des témoignages des témoins par rapport à leurs déclarations au major Bottomley et à la commission d'enquête. En dernière analyse, nous avons accordé la pondération voulue aux preuves corroborées et analysé les faits et témoignages présentés au Tribunal sur le plan de leur cohérence avec la prépondérance des possibilités conformément aux principes posés dans l'arrêt Foryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 à 356 (B.C.C.A.):

[Traduction]

Ce qu'une personne pratique et informée tiendrait immédiatement pour raisonnable en ces lieux et conditions.

46. Ainsi que nous l'avons mentionné à l'introduction, nous aborderons d'abord ce qui touche l'affectation de la plaignante au 407e escadron.

A. LES AFFECTATIONS DE LA PLAIGNANTE

(i) Affectation au 407e escadron

47. Nous l'avons mentionné précédemment, c'est à l'époque où la plaignante était affectée au 407e escadron qu'elle a connu ses premières difficultés avec un surveillant de sexe masculin. Les difficultés ont surgi après juin 1989, la plaignante ayant alors neuf années d'ancienneté dans les FAC. La salle des rapports du 407e escadron comptait cinq commis administratifs, trois femmes et deux hommes, supervisés par l'officier marinier Pistun. La plaignante croyait que ce dernier accordait un traitement préférentiel à ses collègues masculins. Elle a rencontré l'officier commandant de l'officier marinier Pistun, le major Réaume, au nom de certaines de ses collègues commis administratifs, pour discuter de ce point et du comportement défavorable de l'officier marinier Pistun. De la fin de 1989 à novembre 1991, le major Réaume, désormais lieutenant-colonel, était l'officier commandant en second du 407e escadron.

48. La plaignante a témoigné que l'officier marinier Pistun se plaçait les mains sur les épaules des commis de sexe féminin et les massait ou se tenait devant elles, mettant un pied sur une chaise et se grattant les parties génitales. D'autres comportements ont été attribués à ce dernier, notamment qu'il défaisait son pantalon pour rentrer sa chemise, exposant ainsi ses parties. Elle a également manifesté son inquiétude parce que l'officier marinier Pistun s'adressait en criant aux commis de sexe féminin lorsqu'elles servaient le public.

49. À la suite de la discussion de la plaignante avec le major Réaume, l'officier marinier Pistun s'est vu demander de cesser sa manie de farfouiller dans son pantalon et d'être plus sensible à l'environnement du bureau. Outre cette discussion, les preuves documentaires contiennent un avertissement écrit délivré à l'officier marinier Pistun en juin 1990 pour son incapacité à superviser adéquatement et à former ses subalternes.

50. Le Tribunal a entendu le témoignage du caporal Patricia Mears à propos des interactions de l'officier marinier Pistun avec les commis administratifs du 407e escadron. Le caporal Mears a été affectée au 407e escadron en janvier 1989 à titre de commis administratif et a travaillé avec la plaignante jusqu'à son départ. Le superviseur immédiat du caporal Mears était également l'officier marinier Pistun, qu'elle décrivait comme un gros homme, un Elmer Fudd en uniforme, au visage rougeaud et jovial, très équitable et offrant à son personnel l'occasion de bénéficier de la meilleure formation possible. Elle a témoigné que, selon elle, l'officier marinier Pistun avait à un certain moment traité de façon différente les hommes et les femmes de son service. Toutefois, après réflexion, elle a témoigné qu'elle venait de réaliser que les deux hommes qui travaillaient dans le bureau n'allaient pas changer leur façon de travailler en raison des efforts de l'officier marinier Pistun.

51. La déclaration du caporal Mears au major Bottomley pendant l'enquête sommaire concorde avec les affirmations de la plaignante concernant certaines difficultés qu'elle a éprouvées pendant que l'officier marinier Pistun était son surveillant, particulièrement le problème du traitement différentiel. Il est inscrit dans sa déclaration au major Bottomley du 10 janvier 1992 qu'elle avait évoqué plusieurs problèmes concernant l'officier marinier Pistun au 407e escadron, notamment un exemple de double norme entre les hommes et les femmes et certains problèmes courants. Elle n'a pas précisé davantage dans sa déclaration.

52. Le caporal Mears ne pouvait se souvenir devant le Tribunal de quelque comportement trop amical de l'officier marinier Pistun, non plus que de savoir si elle avait demandé à la plaignante de parler en son nom à propos des actions ou du comportement de l'officier marinier Pistun. De plus, devant le Tribunal, le caporal Mears ne pouvait se souvenir des détails de l'interview avec le major Bottomley pendant l'enquête sommaire.

(ii) Affectation au Bureau des transports de la base (BT-B)

53. Le 4 février 1991, la plaignante quittait le 407e escadron pour être affectée temporairement (six mois) au Bureau des transports de la base (BT-B). La plaignante remplaçait le caporal Charles de Vries Stadelaar, en affectation temporaire au Moyen-Orient. La plaignante a pris le poste, après en avoir discuté avec le major Réaume. Elle a témoigné que cela lui semblait une très bonne occasion de faire progresser sa carrière. Selon la plaignante, ce départ était également une façon de s'éloigner de l'officier marinier Pistun.

54. La Section des transports (base) a la tâche de louer et d'entretenir la totalité des véhicules de la base. À l'époque de l'affectation de la plaignante à ce bureau, son superviseur administratif était le lieutenant Vedova, qui supervisait le travail des conducteurs et celui de la plaignante.

55. Le lieutenant Vedova est entrée dans les FAC en 1986. Sa première affectation était à la base de Comox. Son premier poste était officier de la circulation (base). Après un an, elle passait en 1990 au Bureau des transports de la base. Elle avait environ 24 ans lorsqu'elle est devenue surveillante de la plaignante, en 1991. Le lieutenant Vedova se rapportait à l'officier commandant du BT-B. Au moment du dépôt de la plainte, l'officier commandant était le major Couture, qui est arrivé en juin 1991, et qui se rapportait à l'officier des services techniques (base) (OSTB). L'OSTB relevait du commandant de la base, le colonel McGee. À l'époque où le colonel McGee était à la BFC de Comox, l'OSTB était le lieutenant-colonel King.

56. Parmi les chauffeurs du BT-B, il y en avait deux, le caporal-chef Alexander et le caporal Kelley Eadie. Il y avait également des civils qui travaillaient au BT-B, à des postes de secrétariat : Janet Jenkins, secrétaire de l'officier commandant, et Susan Powers, secrétaire de l'adjum Bélanger, responsable de la Section du génie électrique et mécanique. L'adjum Bélanger était membre du Commandement de l'armée, tandis que les autres membres, y compris la plaignante, à la Section des transports de la base, étaient membres du Commandement aérien. À ce titre, l'adjum Bélanger n'était pas de l'administration hiérarchique de la Section des transports de la base. Il partageait un bureau à la Section.

57. Le contrôleur des transports était l'adjum Macnair, qui relevait également du lieutenant Vedova. L'adjum Macnair était plus haut gradé que la plaignante. En tant que sous-officier senior (SOS), il assumait les tâches de chef de discipline d'unité au BT-B. À ce titre, il devait veiller au maintien de la bonne conduite, à la tenue vestimentaire et au comportement et s'assurer que tous les ordres du BT-B étaient transmis dans la chaîne de commandement. Il était de son devoir de veiller au bon moral de la Section. En sa qualité de SOS et de chef de discipline d'unité, l'adjum Macnair exerçait des responsabilités de surveillance sur la plaignante. En l'absence du lieutenant Vedova, la plaignante relevait de l'adjum Macnair.

58. À l'époque où la plaignante a rencontré l'adjum Macnair, il était dans les FAC depuis environ 18 ans. Il s'est enrôlé dans les FAC en 1973 et a été officiellement démobilisé en août 1993. L'adjum Macnair a travaillé à la BFC de Comox de juillet/août 1990 jusqu'à août 1992.

59. La plaignante travaillait comme commis administratif au BT-B. Ses principales responsabilités comportaient la tenue du budget. Elle recevait la correspondance, qu'elle inscrivait et distribuait, et veillait à la distribution du courrier de sortie. La plaignante devait tenir à jour les documents administratifs, par exemple les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) et les Ordres administratifs des Forces canadiennes(OAFC). Elle devait s'assurer que certains rapports partaient à temps et en bon état de la Section.

60. Nous allons maintenant analyser les présumés incidents et les événements connexes qui se sont déroulés après la mutation de la plaignante au BT-B, en février 1991.

B. LES INCIDENTS MACNAIR

(i) Observations sur les rendez-vous avec des officiers

61. La plainte déposée par la plaignante devant la Commission canadienne des droits de la personne se lisait ainsi :

[Traduction]

Peu de temps après avoir commencé mon travail, l'adjum Mcnair m'a dit : J'apprend que vous n'accordez des rendez-vous qu'aux officiers et plus tard, il m'a demandé si j'avais des personnes à charge. Lorsque je lui répondu que j'avais un fils, il a dit : que c'est dommage!.

(Pièce HR-1, onglet 1)

62. La plaignante affirme que très tôt dans son affectation au BT-B, l'adjum Macnair lui a fait des observations sur ses rendez-vous. La plaignante s'était séparée de son mari en septembre 1988. Pendant son service au BT-B, son mari et elle ont essayé de se réconcilier et y sont parvenus en novembre 1991. Ils avaient un fils qui, à l'époque, avait six ans et vivait avec la plaignante. La mère de celle-ci avait emménagé avec elle pour l'aider à élever son fils.

63. La plaignante, à son arrivée au BT-B, se souvient que l'adjum Macnair s'était présenté, et lui avait demandé si elle était célibataire et si elle avait des enfants. Après lui avoir répondu par l'affirmative, elle a dit au Tribunal que ce dernier lui avait répondu Que c'est dommage! La plaignante a affirmé que l'adjum Macnair lui a fait d'autres observations sur ses rendez-vous, quelques jours plus tard, tandis qu'elle était dans le bureau du lieutenant Vedova pour s'informer à propos des budgets. Pendant ses discussions avec le lieutenant Vedova, elle se souvient que l'adjum Macnair lui a dit : Hé, Kim, j'apprend que vous n'accordez de rendez-vous qu'aux officiers. La plaignante, dans son témoignage, affirme que cette question lui a déplu et que, sur un ton importuné, elle lui a dit qu'elle n'accordait pas de rendez-vous aux officiers et qu'elle évitait de sortir avec des collègues.

64. Selon la plaignante, à l'occasion, elle disait à l'adjum Macnair avec qui elle avait des rendez-vous, afin d'éviter qu'il lui fasse d'autres observations. La plaignante a affirmé se souvenir d'avoir dit à l'adjum Macnair qu'elle voyait un homme plus jeune, ce à quoi ce dernier a répliqué qu'elle devrait choisir des hommes plus âgés. Prenant note de sa réponse, elle lui a dit plus tard qu'elle sortait avec un homme plus mûr. La plaignante se souvient qu'à d'autres occasions, l'adjum Macnair faisait des observations sur son salaire, sa voiture, et lui demandait ce qu'elle lui trouvait qui n'allait pas.

65. À l'interrogatoire en chef, l'adjum Macnair ne pouvait se souvenir de l'une ou l'autre des supposées conversations sur les rendez-vous entre lui et la plaignante. Au contre-interrogatoire, l'adjum Macnair a dit se souvenir que lui et la plaignante avaient tenu de nombreuses conversations détendues où il était question des sorties de la plaignante et des siennes. L'adjum Macnair s'est souvenu avoir entendu la plaignante en conversation avec un groupe de personnes dans la cantine. Selon son souvenir, il s'agissait d'une conversation déplacée, de nature sexuelle. Cela lui semblait suffisamment grave pour qu'il fasse plus tard venir la plaignante à part pour lui expliquer combien cette conversation lui déplaisait. L'essentiel de cette dernière conversation a été également évoqué par l'adjum Macnair devant le major Bottomley.

66. L'adjum Macnair a été interrogé par le major Bottomley pendant l'enquête sommaire, le 19 décembre 1991. Devant le major Bottomley, l'adjum Macnair n'a pu se souvenir ou a réfuté toute conversation concernant les rendez-vous, à une seule exception. Il a admis qu'il pouvait avoir dit à la plaignante qu'il avait une belle voiture, car il avait acheté une T-Bird toute neuve à l'époque où la plaignante travaillait à la Section. Il a dit au major Bottomley que la plaignante passait du temps à la cantine à parler des hommes et du manque d'hommes libres à qui voulait l'entendre, y compris au personnel civil, qu'elle était libidineuse dans ses conversations, tenant des propos comme ceux-ci : J'en veux un.

67. Devant la commission d'enquête, le 9 juillet 1992, l'adjum Macnair s'est fait demander s'il avait formulé des observations sur les habitudes de sortie de la plaignante. Il a répondu ne pas pouvoir se souvenir de l'avoir fait. Il s'est souvenu d'un incident particulier où la plaignante a parlé d'un jeune homme qu'elle avait rencontré et s'est plainte qu'il était jeune, ce à quoi Macnair a répondu : Vous devriez sortir avec des hommes d'âge plus mûr.

68. La plaignante, dans son témoignage, affirmait ne pas avoir fait part de ses préoccupations à propos des remarques faites au lieutenant Vedova au sujet de ses sorties. À son avis, le lieutenant Vedova était au courant qu'elle avait été importunée, au moment de la conversation initiale, et elle croyait que le lieutenant aurait dû régler la situation. La plaignante s'attendait vraiment à ce que le lieutenant Vedova, dont elle relevait de même que l'adjum Macnair, prenne des mesures en raison de la façon dont la plaignante avait parlé à l'adjum Macnair et du fait que l'objet de la discussion était déplacé.

69. Dans son témoignage, le lieutenant Vedova a précisé que, dans les deux premières semaines suivant l'arrivée de la plaignante à la Section, elle se souvient fort bien que celle-ci a déclaré qu'elle ne sortait pas avec ses collègues de travail. Elle ne savait pas pourquoi la plaignante avait dit cela. Dans ses termes, les paroles de la plaignante étaient plus fermes que la normale et assez insistantes. Selon le lieutenant Vedova, la plaignante a parlé ainsi à l'extérieur de son bureau. Le lieutenant Vedova a été interrogée ainsi :

[Traduction]

M. DUROCHER : Ainsi, elle parlait à quelqu'un, mais vous ne savez pas qui?

R. Je ne sais pas si elle parlait à quelqu'un, je crois qu'elle me signifiait quelque chose. Encore une fois, je ne -- je me souviens -- je m'en souviens très bien. Peut-être essayait-elle de faire valoir son point de vue -- encore une fois, je ne sais pas ce qui se passait au 407e, mais je crois qu'elle essayait de se faire entendre. Encore une fois, d'après ce que je puis -- Je ne sais pas s'il y avait quelqu'un à l'extérieur du bureau, je crois que nous -- que nous étions entre nous.

M. DUROCHER : Il n'y avait personne d'autre dans son bureau?

R. Oui, peut-être y avait-il quelqu'un. Je ne sais pas -- je ne pouvais voir son bureau.

M. DUROCHER : Et vous n'aviez pas conversé avant cette déclaration?

R. Je ne me souviens pas s'il y avait ou non un lien.

(Je souligne.)

(Transcription, volume 14, page 2272, lignes 10 à 25)

70. Dans la déclaration du lieutenant Vedova au major Bottomley, le 20 décembre 1991, elle a mentionné que la plaignante lui avait dit que l'adjum Macnair avait tenu de ces propos (p. ex., Je suis bien de ma personne, Qu'est-ce que j'ai qui ne va pas?, Je gagne un bon salaire, Je gagne autant que les officiers, J'ai une belle voiture). Devant le Tribunal, le lieutenant Vedova a manifesté son hésitation, au contre-interrogatoire, pour ce qui est d'affirmer qu'elle avait ainsi répondu au major Bottomley. Elle disait Nous en avons peut-être parlé, mais ce n'est pas allé plus loin. Plus tard, le lieutenant Vedova a affirmé qu'elle et la plaignante en ont parlé, mais qu'elle ne pouvait se souvenir si la plaignante avait été offensée.

71. Le lieutenant Vedova a décrit au major Bottomley la plaignante comme une personne très extrovertie, qui parlait de sexe, et qui disait et faisait des choses déplacées. En réponse à la question du major Bottomley qui désirait savoir si elle avait conseillé la plaignante à propos de son comportement, le lieutenant Vedova a mentionné que conseiller n'était pas le terme approprié, mais qu'elle avait informé la plaignante de mettre la pédale douce. Elle a ajouté que l'adjum Macnair n'essayait pas de poursuivre la plaignante, mais que la plaignante avait répondu à ses observations.

72. La plaignante, dans son témoignage, a dit avoir été déçue des questions du major Bottomley à propos des observations sur ses sorties faites par l'adjum Macnair et particulièrement si ce dernier lui avait demandé de sortir avec elle. La plaignante croyait que le major Bottomley n'avait pas perçu ses préoccupations à propos de ces observations. Voici la discussion avec le major Bottomley :

[Traduction]

Q30 L'adjum Macnair vous a-t-il jamais demandé un rendez-vous?

R30 Non, jamais.

Q31 Pourquoi donc estimez-vous important de lui dire que vous ne preniez pas de rendez-vous?

R31 Je voulais lui signifier clairement que je ne sortais pas et que je ne sortais jamais avec des collègues de travail.

Le major Bottomley lui a également posé des questions à propos de son enfant, dans le cadre des observations sur ses sorties :

[Traduction]

Q32 Au paragraphe 3, vous avez écrit Il a fait une remarque sur le fait que j'avais une personne à charge... Quelle remarque?

R32 Il a dit J'apprends que vous avez un enfant! et il m'a demandé si j'étais divorcée.

Q33 Qu'y a-t-il de mal dans cette question?

R33 J'estimais que c'était déplacé.

Q34 Le lui avez-vous dit?

R34 Non.

(Pièce R-7, onglet C)

73. Le témoignage de la plaignante à propos des remarques sur les sorties a été corroboré par Sherie Campbell, amie personnelle à laquelle elle s'était confiée entre mai 1991 et l'automne de la même année. La plaignante a fait part à Mme Campbell des observations qu'elle avait formulées à son supérieur masculin qui l'interrogeait sur ses habitudes de sortie, tandis que sa surveillante était présente. Mme Campbell a témoigné de l'effet négatif de ces discussions sur la plaignante.

74. Le caporal Kelley Eadie, conductrice, avec laquelle la plaignante avait établi une amitié pendant son travail au BT-B, a témoigné avoir entendu la plaignante dire plus d'une fois qu'elle ne sortait pas avec ses collègues de travail. Le caporal Eadie a été affectée à la base de Comox de 1987 à août 1991. De là, elle est allée à Cold Lake (Alberta). Le caporal Eadie avait comme supérieur immédiat le caporal-chef Alexander, qui relevait de l'adjum Macnair. Le caporal Eadie a quitté les Forces en 1993.

75. Le caporal Eadie répondait de même le 16 janvier 1992 au major Bottomley, au cours de l'enquête sommaire. On constate également que le caporal Kelley Eadie a aussi mentionné au major Bottomley que la plaignante s'asseyait d'habitude à la cantine et parlait fort de son désir d'avoir une bonne baise, mais, selon elle, c'est ainsi qu'on parle entre filles et cela ne devrait pas être pris pour autre chose que des conversations innocentes.

76. Dans l'ensemble, la présidente constate que le témoignage de Sherie Campbell, du caporal Eadie et du lieutenant Vedova corroborent suffisamment la plainte de la plaignante selon laquelle l'adjum Macnair lui a fait des observations concernant ses habitudes de sortie. Je crois que le lieutenant Vedova a été informé des préoccupations de la plaignante lorsqu'elle a entendu celle-ci parler fort et avec insistance. Le ton de la plaignante a touché le lieutenant Vedova, lui signifiant que celle-ci essayait de lui faire comprendre quelque chose. La plaignante a expliqué qu'elle était ennuyée et voulait que le lieutenant Vedova fasse quelque chose à propos de ces observations, ce qui est conforme à ce que le lieutenant Vedova a entendu. Les réponses fournies par le lieutenant Vedova à l'enquête sommaire corroborent également les affirmations de la plaignante selon lesquelles l'adjum Macnair lui a fait des remarques pour faire valoir son salaire et sa voiture et que le lieutenant Vedova était au courant de cela.

77. En ce qui a trait au témoignage de l'adjum Macnair à propos de la conversation de la plaignante à la cantine, une distinction s'impose entre le bavardage de nature sexuelle dans une cafétéria et l'essence de la plainte déposée devant le Tribunal, dans laquelle un superviseur de sexe masculin interroge une subalterne sur ses habitudes de sortie. M. Churchill, chauffeur civil d'autobus, qui a travaillé au BT-B pendant 32 ans, s'est souvenu de nombreuses conversations à la cantine qui, dans ses termes, étaient peut-être un peu non orthodoxes, ainsi que d'observations de nature sexuelle ou raciale entendues au BT-B. Je crois qu'il est particulièrement important que ces observations, ainsi que celles de la plaignante, soient évaluées dans leur contexte, en l'occurrence entre collègues de grade analogue et dans une cantine.

78. Dans son témoignage, l'adjum Macnair a parlé des pratiques de socialisation des militaires de la base. On encourage la socialisation dans les mêmes grades, mais on la décourage entre grades différents. L'intimée a des mess distincts pour les divers grades. L'adjum Macnair a confirmé que les officiers subalternes, lorsqu'ils socialisent entre eux, ont moins de tenue à cause de leur âge et de la différence de grade que les sous-officiers supérieurs. Ainsi, à notre sens, les propos de la plaignante n'ont pas à être pris trop au sérieux, car ils sont propres aux types de bavardage entre elle-même et ses pairs et ne sont pas pertinents à la question qui nous est posée.

79. Mon opinion est confirmée par une réponse donnée par l'adjum Macnair devant la commission d'enquête, qui l'a interrogé sur le comportement de la plaignante :

[Traduction]

R8 Je ne me suis jamais senti menacé par le caporal Franke. Je ne craignais pas qu'on me mène quelque part ou qu'on me compromette. C'était simplement... il n'est malheureusement pas rare pour les soldats, caporaux et caporaux-chefs d'amorcer des conversations de ce genre et, même si cela n'est pas toléré parfois, je suis probablement aussi coupable que quiconque, j'observe ces situations et les rejette. Cela ne m'étonnait probablement pas autant que si cela produisait maintenant. C'était simplement des conversations normales de soldats, bavardages, jurons, et probablement conversations de nature sexuelle, un peu crues, courantes à la cantine, habituellement entre hommes. C'est très rare que les femmes s'y joignent. Le caporal Franke serait la seule dont je pourrais dire avec certitude qu'elle en était souvent.

(Pièce R-14, page 3)

Par ailleurs, il nous semble que les questions et les observations de l'adjum Macnair sur les rendez-vous adressées à un subalterne de la Section étaient déplacées compte tenu de son grade, supérieur à celui de la plaignante, et que le problème devrait avoir été réglé par le lieutenant Vedova.

(ii) Gestes concernant la poitrine et les bras

80. Dans la plainte, on peut lire ceci :

[Traduction]

  1. Le 27 mars 1991, l'adjum Mcnair est entré dans mon bureau en disant qu'il avait mal à la poitrine; il s'est frotté la poitrine et a sorti la langue de façon obscène;
  2. En mai 1991, l'adjum Mcnair est entré dans mon bureau faisant sortir sa musculature et me faisant remarquer combien il était gros;

(Pièce HR-1, onglet 1)

81. Un autre incident entre la plaignante et l'adjum Macnair se serait produit le 27 mars 1991. Selon la plaignante, il s'est approché de son bureau et y a posé les mains de telle manière qu'elle s'est trouvée prise. Elle a témoigné que l'adjum Macnair a commencé à se frotter le côté gauche de la poitrine très lentement, tout en passant sa langue sur ses lèvres et lui disant : Kim, j'ai mal dans la poitrine. Ne sachant quoi faire, elle a pris le téléphone et lui a dit : Monsieur, voulez-vous que je téléphone à la SEM et que je vous prenne un rendez-vous avec un médecin? L'adjum Macnair lui a répondu Non, ça va bien et il sortit. Dès son départ, la plaignante a inscrit l'incident sur son calendrier, qui était introuvable en décembre 1991.

82. La plaignante a eu certaines difficultés à raconter cela et, pendant cette partie de son témoignage, le Tribunal a remarqué que son comportement a changé du tout au tout lorsqu'elle racontait l'événement. Elle était debout, est devenue très agitée, sa voix a changé, elle parlait de plus en plus fort et semblait en transe, comme si elle ne se rendait pas compte de ses actions ou de l'endroit où elle se trouvait. Le Dr Passey a donné une opinion sur ce comportement pendant son témoignage (voir la rubrique Preuves médicales).

83. Rappelons que le témoignage de la plaignante concorde avec des réponses analogues faites au major Bottomley et correspond à ses notes, prises vers novembre 1991. Elle n'a pas été contre-interrogée sur ces incidents.

84. La plaignante a affirmé que ses réactions normales, dans une situation de ce genre, auraient été plus vives, si l'adjum Macnair n'avait pas été son supérieur et son adjum. Elle a ajouté que l'adjum Macnair l'intimidait et lui faisait peur, de sorte qu'elle a opté pour la seule solution qui lui restait. La plaignante a dit ne pas vouloir pleurer devant lui, pour éviter de lui montrer sa faiblesse.

85. La plaignante a parlé d'un autre cas où l'adjum Macnair, à l'entrée de son bureau et en chemise à manches courtes, a plié son bras gauche, soulevé sa manche, frotté sa musculature en disant Regarde, Kim, combien je suis gros.

86. L'adjum Macnair a témoigné, à l'interrogatoire en chef, qu'il ne se souvenait pas de cet incident mais que, parce qu'il faisait de l'haltérophilie, il avait peut-être frotté ses pectoraux à cause de la douleur. Son témoignage est conforme aux réponses données au major Bottomley et à la commission d'enquête. Interrogé par le major Bottomley le 19 décembre 1991 à propos de ces incidents, l'adjum Macnair a dit ceci :

[Traduction]

Q19 Vers la fin de mars, vous êtes-vous rendu dans le bureau du caporal Franke où vous vous seriez frotté le côté gauche de la poitrine en disant J'ai mal à la poitrine?

R19 C'est très possible. À cette époque, j'ai commencé à faire des haltères et je me souviens que j'avais mal aux muscles, aux pectoraux.

Q20 Vous êtes-vous léché les lèvres à ce moment?

R20 Je n'en ai aucun souvenir.

Q21 Vous êtes-vous rendu au bureau du caporal Franke où vous auriez plié le bras et lui auriez dit Regarde, Kim, combien je suis gros?

R21 Je ne me souviens pas d'avoir fait cela, mais c'est possible, car je cherchais à m'améliorer en faisant des haltères.

(Pièce R-7, onglet D)

87. L'adjum Macnair, le 9 juillet 1992, donnait d'autres explications à la commission d'enquête :

[Traduction]

Q31 Le caporal Franke a formulé plusieurs allégations à votre endroit. Avez-vous eu la possibilité d'en prendre connaissance?

R31 Oui Monsieur.

Q32 Permettez-moi d'en récapituler quelques unes. Frotter sa poitrine, passer sa langue sur ses lèvres, m'a dit qu'il avait mal à la poitrine, tandis qu'il ne semblait pas du tout avoir mal.

R32 Ce que j'ai fait, et je m'en rappelle bien, c'est que je levais des poids au gymnase et à la maison, à cette époque, et je m'étais étiré un des pectoraux, comme ceci, et le simple fait de lever le panneau du photocopieur suffisait à me faire grincer et je mettais la main du côté gauche ou du côté droit de ma poitrine et je me mordais la langue. Quand j'ai mal, je me mords la langue.

(Pièce R-14, page 14)

88. Le major Bottomley a interrogé le lieutenant Vedova à propos du geste de l'adjum Macnair. Elle a répondu par l'affirmative :

[Traduction]

Q21 Avez-vous jamais vu l'adjum Macnair plier le bras et dire à quel point il était gros?

R21 Je l'ai vu plier le bras et dire Je suis très fort, vous savez. Il fait des haltères.

(Pièce R-7, onglet F)

89. La version donnée par la plaignante de ces allégations est confirmée par Sherie Campbell, qui se souvenait que la plaignante lui avait parlé d'un homme qui était son supérieur et qui se frottait la poitrine et se léchait les lèvres à son intention de façon obscène. Un autre témoin, Layla Mitchell, qui était à l'époque caporal dans les Forces, était assistante dentaire à la BFC de Comox. Elle s'était liée d'amitié avec la plaignante à la fin de 1990. Elle se souvenait que la plaignante était mécontente de l'un de ses supérieurs, et le caporal Mitchell croyait que c'était l'adjum Macnair, parce qu'il avait eu des manières suggestives et obscènes à l'égard de la plaignante.

90. Il est raisonnable de conclure du témoignage de l'adjum Macnair devant le Tribunal, le major Bottomley et la commission d'enquête, qu'il a fait des gestes certains à l'endroit de la plaignante et que ces gestes étaient vers son propre corps. Nous estimons que la version de la plaignante est plus crédible que l'adjum Macnair ne voudrait le faire croire au Tribunal, qui n'y voit que le point de vue de la plaignante lorsqu'il s'est frotté la poitrine et a plié son bras pour montrer qu'il faisait des haltères.

(iii) L'incident de la carte postale

91. Dans la plainte, on peut lire ceci :

[Traduction]

  1. En septembre 1991, il m'a montré une carte postale d'une femme à demi-vêtue et a comparé son buste à celle d'une femme officier;
  2. l'adjum Mcnair m'a dit qu'il aimait les femmes qui n'avait pas besoin d'un engagement, mais de simplement d'une relation physique;
  3. (Pièce HR-1, onglet 1)

    92. À la mi-septembre 1991, le lieutenant Vedova est partie en vacances en Australie. Elle a envoyé à l'adjum Macnair une carte postale d'une aborigène nue à partir de la taille et portant une longue jupe de paille, ce qu'elle considérait typique des cartes postales de ce pays. La plaignante elle-aussi, avait reçu une carte postale du lieutenant Vedova et a offert à l'adjum Macnair de la lui montrer. La plaignante a témoigné que l'adjum Macnair lui a demandé si elle aimerait voir la carte postale qu'il avait reçue du lieutenant Vedova. La plaignante a témoigné s'être rendue à son bureau et il lui a montré la carte postale en disant ses tétons ne sont pas aussi jolis que ceux de Karen. Pardon, je nai jamais vu ceux de Karen. Pour changer de propos, la plaignante a dit avoir demandé à l'adjum Macnair des renseignements sur un voyage à un rodéo où il était allé en août avec d'autres personnes de la base. D'après le témoignage de la plaignante, il a répondu que le voyage était impeccable mais que ce qu'il aimait vraiment, c'est de rencontrer une femme qui aime le sexe pour le sexe et qui n'a pas besoin d'engagement, qui veut simplement le plaisir physique. D'après le témoignage de la plaignante, la conversation s'est poursuivie jusqu'à ce qu'elle dise enfin Vous savez, Monsieur, ce sont peut-être vos principes, mais pas les miens et sur ce, elle est sortie en trombe de son bureau.

    93. Dans son témoignage, la plaignante a dit qu'à son arrivée à la Section des transports (base), l'adjum Macnair l'avait appelée par son prénom Kim et qu'après l'incident de la carte postale, il l'appelait caporal Franke. À son avis, il avait une attitude plus distante après l'incident, ce qui ressort d'une rencontre ultérieure où il ne pouvait trouver le procès-verbal dans lequel il disait aux personnes présentes : C'est dommage que votre propre commis ne puisse vous donner un exemplaire du procès-verbal. La plaignante dit avoir répondu : Mes excuses, Monsieur, je n'ai pas pris le procès-verbal de la réunion et je n'ai donc pas fait des copies. Elle a affirmé qu'il a alors dit devant tout le monde : Ne me mentez pas, jeune dame.

    94. Le seul autre élément de preuve de l'existence du procès-verbal manquant se trouve dans l'entrevue du major Bottomley avec l'adjum Macnair au cours de l'enquête sommaire. Le major Bottomley a interrogé l'adjum Macnair sur cette question. Même si l'adjum Macnair, au départ, n'a pas confirmé avoir réprimandé la plaignante devant les autres, il mentionne qu'il s'est excusé. Je me reporte aux questions et réponses qui suivent :

    [Traduction]

    Q28 Avez-vous réprimandé le caporal Franke en présence des autres parce qu'elle ne vous avait pas remis le procès-verbal d'une réunion précédente?

    R28 Pouvez-vous préciser?

    Q29 Au début de la réunion, le procès-verbal n'était pas disponible et on vous a entendu dire : C'est très embarrassant que ma propre section n'ait pas copie du procès-verbal. Lorsque le caporal Franke a déclaré qu'elle n'avait pas pris le procès-verbal de la réunion précédente, vous avez dit quelque chose comme : Ne me mentez pas, jeune dame. J'y étais et je me souviens que vous avez pris le procès-verbal.

    R29 C'est possible ... je n'avais pas l'intention de faire de la discipline. Je me suis excusé plus tard auprès d'elle.

    (Pièce R-7, onglet D)

    95. L'adjum Macnair n'a pas été interrogé au sujet de la carte postale dans son interrogatoire en chef, non plus qu'au sujet de la présumée réunion et du procès-verbal manquant. Toutefois, au contre-interrogatoire, il a dit croire que la carte postale était fixée au mur du bureau du lieutenant Vedova, bureau qu'il occupait pendant l'absence de celle-ci, et qu'il est très possible qu'il l'ait montrée à la plaignante. L'adjum Macnair a témoigné avoir été étonné de recevoir la carte postale, mais non pas parce qu'il y figureait une femme aux sein nus. Il n'y avait vu et n'y voit pas quoi que ce soit d'important. Le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair ont considéré cet incident comme secondaire.

    96. Les réponses de l'adjum Macnair au major Bottomley correspondent à son témoignage devant le Tribunal : la carte postale était fixée au mur du bureau du lieutenant Vedova, bureau qu'il occupait en l'absence de celle-ci. Au cours de l'entrevue avec le major Bottomley, l'adjum Macnair n'a pu se souvenir d'avoir montré la carte postale à la plaignante et a nié avoir fait des observations à propos de tétons. Il a nié devant le major Bottomley avoir fait quelque remarque laissant entendre qu'il rencontrait des femmes qui appréciaient les contacts physiques.

    97. Sa réponse à la commission d'enquête, en juillet 1992, n'était pas claire à propos de la carte postale qu'il aurait montrée à la plaignante. Voici sa réponse :

    [Traduction]

    Q33 Vous avez montré à la plaignante une carte postale d'une femme aux seins nus et lui avez dit : ses seins ne sont pas aussi jolis que ceux de Karen, mais je n'ai jamais vu les seins de Karen.

    R33 Non, Monsieur. Il est très possible que je lui aie montré la carte postale, mais je ne m'en souviens pas vraiment; par contre, il est certain que je n'ai jamais comparé le buste de cette femme à celui du lieutenant Vedova ou du capitaine Vedova. (Je souligne.)

    (Pièce R-14, Page 14)

    98. À la fin de septembre, au retour d'Australie du lieutenant Vedova, celle-ci a appris l'incident de la carte postale entre la plaignante et l'adjum Macnair. Dans son témoignage, elle a précisé qu'elle ne souhaitait pas que l'adjum Macnair montre la carte postale à d'autres personnes. À son sens, l'adjum Macnair et la plaignante avaient quelque chose à régler. Voici sa réponse au Tribunal :

    [Traduction]

    M. DUROCHER : Avez-vous discuté de l'incident avec Macnair?

    R. Après, ou?

    M. DUROCHER : Après.

    R. Je ne m'en rappelle pas précisément. Cela ne me vient pas à l'esprit; il faut dire que nous parlions beaucoup et que, la plupart du temps, cela touchait le travail. Cette conversation, je ne m'en souviens pas. À mon avis, il a simplement dit quelque chose concernant le fait qu'ils avaient quelque chose à régler et je ne sais pas ce que c'était.

    M. DUROCHER : Vous ne lui avez jamais rappelé qu'il était peut-être déplacé de montrer des photos de femmes nues à des personnes qui travaillent pour vous?

    R. Non. C'était quelque chose que je lui ai envoyé, qui ne devait jamais être montré aux autres. Je ne sais pas comment c'était, comment on l'a montré ou pourquoi on l'a fait et quoi encore. Évidemment, on l'a montré.

    (Transcription, volume 14, page 2273, ligne 16 à page 2274, ligne 10)

    99. Dans son témoignage, le lieutenant Vedova a dit ne pas savoir ce qu'il y avait entre la plaignante et l'adjum Macnair. Toutefois, dans la réponse du lieutenant Vedova au major Bottomley, au cours de l'enquête sommaire, elle semblait au courant d'une réaction de la plaignante à propos d'une observation faite par l'adjum Macnair à l'époque de l'incident de la carte postale :

    [Traduction]

    Q11 Êtes-vous au courant de l'existence de problèmes qui auraient pu découler de la carte postale que vous avez envoyée à l'adjum Macnair?

    R11 Je ne m'en souviens pas bien, mais l'adjum Macnair a fait des remarques à propos de quelque chose qu'il aurait dit au caporal Franke au sujet de la carte postale - une réaction du caporal Franke? Mais je ne me souviens pas ce que c'était. La carte postale a créé un - non pas un problème - mais...?

    (Je souligne.)

    (Pièce R-7, onglet F)

    100. L'avocate de l'intimée a précisé que la plaignante, dans ses tâches normales, devait distribuer le courrier et qu'elle aurait donc vu la carte postale. Par conséquent, les allégations de la plaignante à propos des observations et actions de l'adjum Macnair ne devraient pas être prises en compte. C'est une requête que je ne peux accepter, car ce n'est pas une preuve. À mon avis, la preuve prépondérante est que l'adjum Macnair a montré la carte postale à la plaignante.

    101. J'estime que le souvenir et la description de ces événements par la plaignante sont conformes, de décembre 1991 au moment où elle a d'abord pris note de l'incident de façon manuscrite, pour la reformuler ultérieurement dans une lettre du 11 décembre 1991 à la Commission canadienne des droits de la personne, ainsi que dans sa plainte subséquente aux FAC, le 16 décembre 1991. Son témoignage correspond en outre et est conforme à ses réponses du 18 décembre 1991 au major Bottomley.

    102. D'après les faits recueillis, dès septembre 1991, les interactions entre le lieutenant Vedova et la plaignante n'étaient plus simplement une relation administrative. Au printemps de 1991, le lieutenant Vedova a demandé à la plaignante si elle pouvait se joindre à elle pour marcher, à la pause-midi et cela a duré tout l'été. Selon le lieutenant Vedova, la plaignante se confiait à elle, au cours de ces promenades, et parfois, elle parlait de sexualité. Le lieutenant Vedova n'a jamais senti, dans ces conversations, le moindre sentiment d'urgence, d'intimidation ou de crainte de la part de la plaignante. Le lieutenant Vedova considérait qu'elle était la confidente de la plaignante dans ces discussions. À l'exception de ces promenades, le lieutenant Vedova a affirmé dans son témoignage que la plaignante et elle conservaient des rapports professionnels.

    103. La plaignante nous a dit que, dans ces promenades et au bureau, elle parlait au lieutenant Vedova de ses préoccupations concernant l'adjum Macnair et l'officier commandant de l'unité, le major Couture. La plaignante nous a parlé d'occasions où le lieutenant Vedova lui a demandé si elle couchait avec quelqu'un. La première fois, cela s'est produit avant l'arrivée du major Couture à la BFC de Comox. La plaignante faisait son rapport au lieutenant Vedova à propos d'une conversation téléphonique avec le major Couture. Dans le témoignage, la plaignante a affirmé que le lieutenant Vedova lui a demandé au cours de leur conversation si elle couchait avec lui. Dans sa réponse initiale, le lieutenant Vedova, à propos de cette remarque, a dit que selon elle, elle aurait tenu ces propos. Interrogée plus à fond, elle a nié l'avoir dit.

    104. Une autre occasion s'est produite lorsque la plaignante a rapporté au lieutenant Vedova une conversation à propos d'une communication téléphonique avec le capitaine Reid, qu'elle avait connu au 407e escadron au sujet d'une demande d'indemnisation des frais de location d'une voiture. Le lieutenant Vedova a alors demandé à la plaignante si elle couchait avec lui. Le lieutenant Vedova a nié avoir posé cette question à la plaignante.

    105. Le lieutenant Vedova avait de la plaignante une impression très positive. Selon elle, cette dernière était très amicale et d'une personnalité attachante. Elle l'a décrite comme très extrovertie, très énergique. Elle croyait que les choses se passeraient bien. En décembre 1991, son impression positive s'était évanouie, lors de l'entrevue du major Bottomley, au cours de l'enquête sommaire. Lorsque le major Bottomley l'a interrogée à propos de la stabilité de la plaignante, le lieutenant Vedova a dit qu'elle était instable, manipulatrice et bêcheuse. Voici la suite des questions et réponses :

    [Traduction]

    Q19 Croyez-vous que le caporal Franke est stable?

    R19 À la vérité, non. Elle est évidemment différente. Elle a une forte personnalité. Elle croit avoir un problème d'alcool. Elle pense que ses problèmes au travail l'incitent à boire. Elle est très manipulatrice. Je ne sais plus si elle est sincère ou non. Absences motivées, demandes de congés ponctuelles, elle se donne de multiples raisons pour suivre des cours. Il est possible que les cours soient une façon de ne pas aller travailler. Je devrais dire qu'elle est instable. Elle va voir le CDEB et s'est portée volontaire pour le CRAT. Le poste de CEDU ne lui convient pas pour le moment.

    Q23 D'autres observations?

    R23 C'est une personne très bêcheuse.

    (Pièce R-7, onglet F)

    106. Il y avait des occasions où le personnel socialisait. Cela a été à l'origine d'un dilemme pour la plaignante. Selon celle-ci, elle répugnait à socialiser dans la Section en raison de ses engagements familiaux. Étant mère monoparentale à l'époque, avec un jeune enfant à sa charge, elle était peu disponible. Elle a ajouté qu'elle hésitait parce que les questions de l'adjum Macnair à propos de ses rendez-vous la mettaient mal à l'aise. Quoi qu'il en soit, les superviseurs de la plaignante travaillaient dans un environnement de camaraderie et d'amitié.

    107. Deux événements valent la peine d'être mentionnés. À une occasion, le personnel a participé à un tournoi de curling dans une autre base. La plaignante n'y a pas assisté. Le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair y étaient et ont partagé une chambre avec deux autres hommes, le caporal-chef Streeter et le capitaine Jacklin. Le lieutenant Vedova a affirmé que son mari était au courant des arrangements d'hébergement. La seconde occasion s'est produite vers août 1991. Il y avait un rodéo, à peu près à la même époque que l'incident de la carte postale. Cela se passait soit à la BFC de Borden ou à la BFC de Trenton, où un contingent de dix militaires participait à l'événement, notamment les supérieurs de la plaignante, le lieutenant Vedova, l'adjum Macnair et le major Couture.

    108. La plaignante, dans son témoignage, a dit qu'après le tournoi de curling du mois d'août, l'adjum Macnair la critiquait constamment au travail et que, par conséquent, elle a consciemment décidé de socialiser avec ses supérieurs, pour sauver sa carrière. Elle a commencé à socialiser davantage, à assister aux parties de balles, à fréquenter la cantine et les parties. Il lui semblait que l'atmosphère du bureau s'était amélioré et que l'adjum Macnair ne critiquait plus son travail.

    109. Motivée à continuer ainsi, elle a, d'après son témoignage, commencé à boire au travail. À une occasion, elle se souvenait avoir consommé de l'alcool le midi, à la cantine de la Section, avec un autre sous-officier, le caporal-chef Alexander. Le caporal-chef Alexander relevait de l'adjum Macnair. Elle a précisé qu'ils se sont ensuite rendus au bureau de l'adjum Macnair, où ils ont été rejoints par ce dernier et le lieutenant Vedova. Elle s'est souvenue s'être soûlée et avoir dit à l'adjum Macnair : Ok, je coucherai avec vous. C'est bon, je coucherai avec vous. Si c'est cela que vous voulez, je coucherai avec vous. Elle a affirmé que le matin suivant, elle s'est rendue directement au bureau du lieutenant Vedova pour lui demander si elle avait vraiment prononcé ces paroles. Elle se souvient que le lieutenant Vedova lui a dit de ne pas s'inquiéter, lui affirmant que de toute façon, personne n'avait pris ses remarques au sérieux. Perturbée par l'incident, la plaignante a pris la résolution que cela ne se reproduirait plus. Le lieutenant Vedova ne pouvait se souvenir de l'incident, lorsqu'elle a été interrogée par le Tribunal.

    110. La plaignante a également mentionné que l'adjum Macnair lui a montré une bouteille de spiritueux qu'il gardait dans son tiroir du bas à gauche de son bureau. Selon la plaignante, l'adjum Macnair et le mari du caporal Eadie consommaient souvent de l'alcool. Le caporal Eadie, dans son témoignage, a dit qu'à l'occasion, son mari et l'adjum Macnair allaient prendre une bière après le travail. La plaignante a ajouté qu'il y avait de la bière à la cantine et que l'adjum Macnair et le caporal-chef Alexander allaient souvent boire à la cantine et se rendaient ensuite au bureau de l'adjum Macnair.

    111. Les affirmations de la plaignante concernant la quantité, la disponibilité et la consommation de bière dans les locaux ont été contestées par le lieutenant Vedova, le major Couture, Lyall Churchill et le caporal Eadie. Le caporal Eadie a affirmé qu'il y en avait dans les smokers suivant les journées sportives et les promotions, ainsi qu'au temps des Fêtes.

    112. Le lieutenant Vedova, dans son témoignage, a précisé que le personnel allait prendre environ une bière chacun après une journée sportive. D'après le major Couture, on ne consommait pas d'alcool pendant les heures de bureau; l'alcool était verrouillé dans la zone d'entreposage de la cantine pour les occasions spéciales, à consommer sur autorisation. M. Churchill a affirmé ne pas consommer d'alcool et se souvient peut-être d'une tournée de bière du vendredi, deux ou trois fois par an, où les gens prenaient habituellement un verre.

    113. L'adjum Macnair, qui témoignait devant le Tribunal, a affirmé que peut-être deux ou trois fois par an, dans ses deux années au BT-B, il aurait peut-être pris de l'alcool avec le sergent Eadie (le mari du caporal Eadie) ou un autre des sous-officiers, ou un caporal-chef, si c'était son anniversaire ou qu'il y avait une promotion dans la Section et, qu'en ces occasions, il les invitait à son bureau pour prendre un verre.

    114. Il faut préciser qu'en août 1991, il existait une certaine familiarité entre la plaignante et son supérieur immédiat, le lieutenant Vedova qui, notamment, a été stimulée par leurs marches du déjeuner. Parmi les sujets abordés entre elles, il y avait des questions personnelles de nature sexuelle. La camaraderie qui existait entre le lieutenant Vedova et la plaignante a finalement érodé le rôle administratif du lieutenant Vedova par rapport à la plaignante, laissant cette dernière sans recours devant son superviseur direct.

    115. Il existait également une certaine fraternisation entre le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair, comme le laissent entrevoir les modalités d'hébergement au tournoi de curling et la carte postale choisie ultérieurement par le lieutenant Vedova à l'intention de l'adjum Macnair. La manière dont l'adjum Macnair a interpellé la plaignante par son prénom, plutôt que par son grade militaire comme il était d'usage, était une forme de cette fraternisation. Mon opinion est que cet environnement a été à l'origine de l'approche adoptée par les superviseurs de la plaignante, l'adjum Macnair et le lieutenant Vedova, pour minimiser les préoccupations de la plaignante, ainsi que de leur mutuelle indifférence concernant l'incident de la carte postale.

    116. D'après l'ensemble des témoignages touchant cet incident, j'accepte la version de la plaignante de ce qui a transpiré entre l'adjum Macnair et elle-même. Le fait que le point ait été soulevé par l'adjum Macnair devant le lieutenant Vedova après le retour de vacances de celle-ci confirme la version de la plaignante, à savoir qu'elle a été perturbée par l'incident et que l'adjum Macnair et le lieutenant Vedova ont été mis au courant de sa réaction.

    C. LES INCIDENTS COUTURE

    (i) Observations sur les moyens d'avoir une résidence

    117. Même s'il n'y a pas eu de plainte directement sur cette question, elle transparaît en arrière-plan relativement aux présumées observations offensantes du major Couture.

    118. Le major Couture est entré dans les FAC en 1972 et a pris sa retraite définitive en août 1994. Il a été officier commandant de la Section des transports (Base) en mai 1991. Les premières communications pertinentes entre la plaignante et le major Couture, en ce qui a trait à la présente affaire, faisaient suite aux tentatives du major Couture d'acquérir une maison dans la région de Comox. Le major Couture a témoigné que lui et la plaignante ont parlé de logement. Il lui a demandé son opinion sur le prix d'une maison et a douté de sa capacité de se payer une résidence analogue avec un salaire de caporal. Il a témoigné que la plaignante n'a pas laissé paraître la moindre impression que cette question sur ses capacités d'achat était déplacée.

    119. Le major Couture a été interviewé à ce sujet par le major Bottomley le 19 décembre 1991. Il a reconnu qu'il avait demandé à la plaignante de quelle façon deux caporaux (la plaignante et son mari) avaient les moyens de s'offrir leur résidence avec leur salaire, mais a déclaré qu'il ne voulait pas être méprisant pour leur grade. Dans sa déclaration, il mentionnait aussi que la plaignante ne lui avait jamais dit qu'elle avait été offensée par ses observations.

    120. La plaignante a, dans son témoignage, précisé qu'elle avait été froissée par les observations du major Couture à propos de l'hébergement et a transmis son déplaisir au lieutenant Vedova, laquelle n'a pas été interrogée sur ce point devant le Tribunal.

    121. La plaignante a dit au major Bottomley qu'elle avait fait part de ses préoccupations au lieutenant Vedova. Cette dernière a fait savoir au major Bottomley à quel point elle trouvait ces remarques déplacées. Par contre, dans la réponse du lieutenant Vedova au major Bottomley, rien ne permet de conclure qu'elle ait fait part de ces préoccupations au major Couture :

    [Traduction]

    Q8 Le caporal Franke a déclaré que le major Couture a fait des observations à propos de son grade et de sa situation financière en ce qui a trait à une maison dont elle était propriétaire. Il a dit qu'ils n'étaient que des caporaux. Vous en souvenez-vous?

    R8 Oui. Il a douté que des caporaux puissent se permettre ce genre de maison. Il l'a répété et répété encore. Cela semblait un peu curieux, mais ce n'était pas du harcèlement, mais peut-être simplement inutile. Il n'a pas nécessairement dit que des caporaux, mais il a bel et bien dit ... seulement des caporaux, comment peuvent-ils se le permettre? Le major Couture en avait d'abord parlé dans mon bureau. Je n'étais pas là quand le major Couture a discuté avec le caporal Franke. Ma réflexion était que cette observation était déplacée. J'ai lutté pour Kim - J'étais d'accord avec elle sur beaucoup de points. Je ne croyais pas que les observations sur sa situation financière étaient opportunes. Plutôt condescendantes - Elle n'est que caporal".

    (Pièce R-7, onglet F)

    (ii) La <<sexétaire>>

    122. Voici un autre passage de la plainte :

    [Traduction]

    1. En août 1991, lorsque je me suis présentée pour prendre le procès-verbal d'une réunion, le major Couture m'a demandé si j'étais la sexétaire;

    (Pièce HR-1, onglet 1)

    123. Le premier incident qui a trait à la plainte de harcèlement sexuel adressée au major Couture par la plaignante a eu lieu au cours d'une réunion présidée par le major, en juin 1991. La plaignante se préparait à prendre le procès-verbal d'une réunion sur la sécurité pour les voitures privées. Tous les chefs de section des Transports de la base étaient présents, y compris l'adjum Macnair et le lieutenant Vedova, soit environ dix à douze personnes de divers grades. La plaignante a précisé dans son témoignage qu'elle était assise à un bureau avec un bloc-notes, attendant de prendre le procès-verbal, et que tous étaient assis sauf le major Couture, qui est arrivé quelques minutes en retard. À son arrivée, le major Couture l'a regardée et lui a dit : Ainsi, c'est vous la sexétaire. La plaignante a mentionné être restée bouche bée, incapable de répondre.

    124. Lyall Churchill, le chauffeur d'autobus, a affirmé avoir entendu cette remarque. Il était présent à la réunion et se souvient que le major Couture a dit quelque chose ressemblant à : Oh voici notre sexétaire.

    125. Après la réunion, tandis que la plaignante et le lieutenant Vedova retournaient à pied à la Section, la plaignante a demandé au lieutenant Vedova si elle avait remarqué qu'elle avait été choquée par la remarque du major Couture. Le lieutenant Vedova lui a répondu que Oui. La plaignante se souvient avoir en outre demandé au lieutenant Vedova, comment le major pouvait se permettre de lui parler sur ce ton, ajoutant : Ce n'est pas correct. Elle a continué à discuter avec le lieutenant Vedova dans le bureau de celle-ci pendant une heure, lui répétant qu'elle ne voulait pas que cela se reproduise, qu'elle souhaitait que cela s'arrête et que le lieutenant Vedova fasse en sorte que cela cesse.

    126. Dans son témoignage au Tribunal, le lieutenant Vedova a dit penser qu'elle était peut-être à la réunion, lorsque cette observations a été formulée. Elle s'est également souvenue des discussions qui ont eu lieu par la suite, mais la plaignante ne lui a pas signifié que c'était grave. Le lieutenant Vedova a ajouté qu'elle et la plaignante estimaient la remarque déplacée et étaient assez choquées que cela se soit produit en public. Elle a ajouté que, dans la discussion avec la plaignante après la réunion, celle-ci ne lui a jamais demandé de confronter le major ou quoi que ce soit d'autre. Contrairement au témoignage de la plaignante concernant la durée de la discussion, le lieutenant Vedova prétend que la rencontre dans son bureau n'a duré que de dix à quinze minutes. Le lieutenant Vedova a dit que, selon elle, confronter le major Couture sur son écart de comportement la placerait elle dans une position délicate.

    127. Le lieutenant Vedova, en témoignant, a précisé que le major Couture l'avait appelé une fois sexétaire. Cette remarque a été faite à la réunion sur la sécurité des voitures privées. Selon le lieutenant Vedova, la plaignante lui a répondu à ce moment qu'elle n'était pas la sexétaire et qu'elle n'était même pas la secrétaire. Selon son témoignage, elle ne pouvait se souvenir de ce qui c'était produit après cela.

    128. Dans la déclaration que le lieutenant Vedova a faite au major Bottomley, le 20 décembre 1991, elle se souvenait que le major Couture l'avait appelée sexétaire à au moins trois occasions. Sa réponse à la Commission d'enquête était que cela ne s'était produit qu'une fois. Devant le Tribunal, elle a mentionné qu'elle ne savait pas ce qui pourrait l'avoir incitée à avoir dit à trois occasions au major Bottomley.

    129. Le lieutenant Vedova a lu la transcription de sa déclaration devant la commission d'enquête en juillet 1992, concernant une rencontre avec l'officier des services techniques de la base, superviseur du major Couture, à propos de la remarque de sexétaire. Voici ce que la Commission lui a demandé :

    [Traduction]

    Q. Selon vous, l'utilisation du mot sexétaire était-il une forme de harcèlement sexuel?

    R. J'étais très offensée, mais j'ai décidé que cela n'irait pas plus loin. J'ai rencontré l'OSTB et je lui ai parlé de l'incident et lui ai dit que cela m'inquiétait un peu, mais que je ne voulais

    pas que cela aille plus loin. (Je souligne.)

    (Transcription, volume 14, page 2235, lignes 11 à 16)

    130. Pendant le contre-interrogatoire, après qu'on lui ait rappelé sa réponse à la commission d'enquête, le lieutenant Vedova a témoigné qu'elle considérait la remarque que lui avait faite le major Couture comme très déplacée, mais n'était pas offensée, simplement choquée que quelqu'un puisse dire quelque chose du genre.

    131. Pendant le contre-interrogatoire devant le Tribunal, le lieutenant Vedova a eu de la difficulté à préciser ce qu'elle avait à l'esprit et a tenté de modifier sa réponse à la commission d'enquête, dans la série de questions et réponses qui suit :

    [Traduction]

    Q. Ainsi, vous avez été offensée par le terme, oui ou non?

    R. Encore une fois, je... vous savez, qu'est-ce qu'une offense? Je ne sais pas.

    Q. Comment vous sentiez-vous, dites-moi simplement comment vous vous sentiez à ce moment.

    R. Sexétaire, est-ce que cela a rapport à quelque chose? Et même si... j'ai simplement pensé que c'était une remarque très étrange parce que, tout d'abord, je n'étais même pas la secrétaire. Si j'avais été la secrétaire, j'aurais pu voir la relation, peut-être, mais je ne pouvais pas m'imaginer pour quelle raison il voudrait même... pourquoi il voudrait dire quelque chose comme cela.

    Et je ne voulais pas aller plus loin parce que, à mon sens, ce que j'avais dit était terminé, parce que j'ai dit quelque chose et je ne pense pas qu'il se soit souvenu l'avoir entendu, mais j'ai dit simplement : je ne suis pas sexétaire, je suis l'OSGU. Je me suis contentée de cela.

    Q. Ainsi, une des raisons pour laquelle vous avez trouvé la chose étrange à l'époque était à cause de votre grade, n'est-ce pas?

    R. Non, simplement le fait que je n'étais même pas la secrétaire. Si je l'étais... c'est pourquoi je ne peux même... je ne comprend même pas le pourquoi de cette remarque. Encore une fois, si j'avais été là en qualité de secrétaire, j'aurais pu comprendre; pour une raison ou une autre quelqu'un aurait pu faire la relation. Mais je ne savais pas pourquoi il m'appelait ainsi.

    (Transcription, volume 14, page 2237, ligne 5 à page 2238, ligne 4)

    132. La répugnance générale du lieutenant Vedova à répondre franchement était également manifeste dans sa réponse, devant le Tribunal, aux questions concernant sa réaction en face du major Couture, au moment où la remarque de sexétaire lui a été faite :

    [Traduction]

    M. DUROCHER : Oui, pourquoi votre position était-elle délicate dans cette situation en particulier?

    R. Bien, j'ai dit ce que j'avais à dire en ce qui a trait, vous savez, j'ai répondu quelque chose au major Couture et selon moi, je sentais que c'était... mais si j'avais voulu atteindre quelque objectif, je contesterais cela, cela tenait davantage du comportement; ce n'était pas le fait que l'observation était offensante, mais simplement déplacée.

    (Je souligne)

    (Transcription, volume 14, page 2270, lignes 15 à 22)

    133. Même si le lieutenant Vedova, manifestement, avait de la difficulté à parler au major Couture de l'observation faite à l'endroit de la plaignante, elle était réticente, dans son témoignage, à reconnaître la difficulté de sa situation ou de celle de la plaignante, par sa façon défensive de répondre au Tribunal. Dans l'ensemble, le témoin manque selon moi de crédibilité.

    134. À l'examen de la déclaration du major Couture au major Bottomley, le 24 janvier 1992, je constate qu'il a dit au major Bottomley qu'il utilisait habituellement le terme sexytaire, plutôt que sexétaire, mais ne pouvait dire avec certitude s'il avait en fait choisi sexétaire ou sexytaire. Il a précisé que la plaignante n'a pas formulé la moindre objection à cette remarque.

    135. Devant le Tribunal, le major Couture a mentionné que le terme sexétaire n'a jamais visé une personne, mais qu'il l'utilisait comme une sorte de plaisanterie. Personne d'autre n'a mentionné devant le tribunal que cela était une plaisanterie, dans les circonstances qui prévalaient à l'époque où la remarque a été faite à la réunion sur la sécurité des véhicules privés. Après avoir suivi une formation sur le harcèlement au printemps de 1992, le major Couture a témoigné qu'il n'avait jamais utilisé ce terme. Il estime désormais que c'est un terme déplacé, d'après sa perception du harcèlement. Au contre-interrogatoire, il a convenu que le terme pouvait être assimilé à du harcèlement.

    136. Le major Couture a en outre mentionné qu'il n'avait pas cru et ne croit pas avoir offensé la plaignante. Il se serait immédiatement et volontairement excusé, si elle l'avait immédiatement abordé, s'il avait cru que ce qu'il avait dit pouvait la blesser. Par contre, puisque la plainte a été déposée après que la plaignante ait reçu son avertissement écrit, il y a vu un acte de vengeance de sa part ce qui, selon lui, enlevait à la plaignante sa crédibilité.

    137. Le major Couture a témoigné qu'il était étonné d'apprendre que le lieutenant Vedova avait été bouleversée lorsqu'il l'avait qualifiée de sexétaire. Selon lui, la remarque ne pouvait être dérogatoire ou blessante que dans un contexte bien particulier. Le major Couture a dit n'avoir pas eu l'intention d'être méprisant.

    138. J'ai la certitude, d'après les preuves, que le major Couture a qualifié la plaignante de sexétaire en juin 1991, dans une réunion à laquelle assistaient des membres des FAC. J'ai également la certitude qu'après cette réunion sur la sécurité des voitures privées, la plaignante a fait part de ses préoccupations au lieutenant Vedova au cours de leur rencontre et que le lieutenant Vedova, à ce moment, avait jugé l'observation déplacée.

    (iii) La remarque de Biker Mama

    139. Voici un autre passage de la plainte :

    [Traduction]

    1. À l'été de 1991, parlant de ma motocyclette, le major Couture m'a qualifiée de Biker Mama;

    (Pièce HR-1, onglet 1)

    140. Au début de juillet 1991, la plaignante s'est achetée une motocyclette Harley Davidson. Elle s'est souvenue que le major Couture lui a fait une remarque dans le bureau du lieutenant Vedova, à la fin de la journée. Elle a témoigné que le major Couture est entré dans le bureau et, après avoir discuté avec le lieutenant Vedova, a regardé la plaignante et a dit : Hey, biker mama, quand allez-vous vous faire tatouer? Elle se souvient lui avoir répondu ainsi : Si vous permettez, Monsieur, je dirais d'abord que j'ai acheté une Harley Davidson parce que j'avais l'argent; j'avais 30 000 $ dans mon compte bancaire, les Harley Davidson ne se déprécient pas; dans dix ans, je la vendrai et j'aurai plus d'argent que ce qu'elle m'a coûté. Et elle a poursuivi : J'appartiens en outre à un groupe de femmes qui font la promotion de la respectabilité chez les motocyclistes et dont le nom est Women in the Wind; et de plus, je ne me ferai jamais faire de tatouage, je n'en ai pas et je n'en aurai jamais. Elle ajouté qu'après le départ du major Couture, elle s'est tournée vers le lieutenant Vedova pour lui dire que cela suffisait, qu'elle en avait assez et qu'elle ne voulait plus de ce genre de remarque, plus jamais.

    141. Selon la plaignante, l'expression biker mama était méprisante et elle a cherché à savoir ce qu'elle signifiait auprès d'autres personnes se déplaçant à motocyclette. Elle a dit dans son témoignage que cela signifiait l'une de ces filles assises derrière le motocycliste pour simplement avoir l'air jolie, derrière un gars à motocyclette, et pour laquelle il suffit simplement d'être jolie, d'être là, de rester avec lui et d'être là pour les gars.

    142. Elle a précisé avoir parlé de ses préoccupations au lieutenant Vedova plutôt qu'au major Couture parce que, selon elle, puisque le major Couture était son patron, et qu'il était également major, elle ne pouvait lui en parler. Elle a préféré que son supérieur direct, le lieutenant Vedova, règle la situation. Voici son témoignage :

    [Traduction]

    Q. Pourquoi avez-vous réagi de cette façon avec le lieutenant Vedova? Pourquoi ne pas l'avoir dit directement au major Couture?

    R. Parce qu'il était mon patron, le major, et j'avais l'impression que je ne pouvais aller le voir à ce sujet. J'estimais que, puisqu'elle était mon supérieur direct, si je lui en parlais, elle réglerait le problème. Je pensais qu'elle pourrait le régler, que cela entrait dans ses tâches, elle était le gestionnaire et aurait dû régler ce genre de problème.

    À mon sens, ce n'était pas le rôle d'un caporal de régler... d'aller voir un major pour lui dire : Monsieur, je vous demande des excuses immédiates parce que cela est offensant et que je n'aime pas cela. Selon moi, elle aurait dû aller le voir, lui expliquer la situation et lui dire : Vous devez vous excuser auprès du caporal Franke et veiller à ne pas recommencer. Tout serait rentré dans l'ordre. Pourtant, elle n'a pas fait ce que j'attendais d'un gestionnaire.

    La même chose pour Macnair. Selon moi, elle aurait dû le réprimander afin que les choses ne se reproduisent plus.

    (Transcription, volume 1, page 100, lignes 21 à 25, page 101, lignes 1 à 16)

    143. Le major Couture n'a pas contesté avoir fait cette observation, mais il s'est souvenu que la conversation avait eu lieu à la cantine du BT-B. Il ne se souvient pas de la moindre réaction négative de la part de la plaignante. À ses dires, il existait de la familiarité entre lui-même et la plaignante, de par leur goût pour les motocyclettes et c'est pour cela qu'il a fait cette observation. Selon lui, c'était une observation amicale et non méprisante; c'était une remarque non pas naturelle, mais normale. Le major Couture et la plaignante étaient propriétaires de motocyclettes et le major avait, à un certain moment, prêté la sienne à la plaignante pour qu'elle s'exerce afin de réussir son examen. La plaignante avait, à un certain moment, laissé au major Couture l'occasion de monter sa motocyclette.

    144. Dans sa déclaration au major Bottomley, le major Couture a donné quelques précisions sur sa perception du terme biker mama :

    [Traduction]

    Q4 En août 1991, vous souvenez-vous avoir interpellé le caporal Franke et lui avoir dit : Hé, Biker Mama, quand vous faites-vous faire un tatouage?

    R4 Ce n'était aucunement une remarque personnelle. C'était lié à la motocyclette Harley qu'elle venait d'acheter. Je suis propriétaire d'une motocyclette et j'adore les Harley. Le terme Mama est souvent utilisé pour les femmes qui se déplacent en Harley. Ces femmes sont généralement des dures et se font tatouer. Pour moi, c'était une taquinerie. Le caporal Franke ne correspond pas à l'image d'une femme en Harley. C'était une plaisanterie. Nous parlions de motocyclette en général et je lui ai fait cette remarque en plaisantant. Elle ne m'a pas dit avoir été offensée et je n'en ai pas eu l'impression. (Je souligne.)

    (Pièce R-7, onglet E)

    145. L'interview du major Bottomley avec le major Couture a semblé être bref. On n'a pris note que de cinq questions et réponses pour cette entrevue. Après quatre questions directes à propos des plaintes, le major Bottomley a donné au major Couture l'occasion de formuler des observations supplémentaires. Ce dernier a commencé à décrire la plaignante comme suit : soucieuse d'elle-même et manipulatrice. Il a mentionné ses faiblesses en matière de procédures de dotation, à titre de commis administratif, et ses erreurs fréquentes, étonnantes d'un commis administratif qui a suivi une formation. À ses dires, elle était souvent absente sans raison valable et se servait trop du téléphone. Il a constaté son manque de respect pour ses supérieurs, donnant des exemples qui n'ont pas été consignés à sa déclaration. Il a terminé en disant : Mon impression était que les remarques que j'ai faites au caporal Franke étaient davantage conformes à sa capacité de comprendre mes véritables intentions.

    146. Au contre-interrogatoire, le major Bottomley a affirmé que le terme biker mama pouvait être offensant, selon la personne à laquelle il s'adressait :

    [Traduction]

    Q. Et ces remarques touchaient, vous l'avez mentionné, biker mama et sexétaire, vous en souvenez-vous?

    R. Je ne me souviens que de biker mama.

    Q. Pourquoi croyez-vous que biker mama pouvait être offensant?

    R. Je crois que c'est l'une des difficultés, en ce qui a trait aux questions de harcèlement, car n'importe quoi peut être offensant selon la personne à laquelle on parle. Il y a des mères de famille qui se déplacent à motocyclette et qui ne pourrait ne pas aimer se faire appeler biker mama.

    Q. En quoi croyez-vous que cela est différent, par exemple si l'on s'adressait à une autre personne; vous montez à moto, n'est-ce pas?

    R. C'est un titre.

    Q. Croyez-vous que ce titre est lié au sexe d'une personne?

    R. Oui, cela est possible.

    Q. Croyez-vous que c'est un compliment ou une expression méprisante ou neutre, dites-moi?

    R. Je n'y vois rien de cela. Cela pourrait être offensant ou non pour quelqu'un. Ce que je veux dire, c'est qu'il faudrait qu'on le conseille. Il est très possible que cela soit offensant. De nos jours, il faut être très prudent dans ses paroles.

    (Pièce R-12, onglet A, p. 21)

    147. La définition de la plaignante du terme biker mama et l'interprétation du jargon des motocyclistes offerte par le major Couture au major Bottomley permettent de conclure que cette remarque est perçue, dans la fraternité des motards, pour discréditer les femmes qui vont à motocyclette. Dans ce contexte, il est compréhensible que la plaignante se soit sentie offensée.

    148. Le lieutenant Vedova, au cours de l'interrogatoire en chef, a témoigné qu'elle ne pouvait se souvenir si elle était présente au moment de cette observation, mais elle se rappelait que la plaignante avait porté l'affaire à son attention. Le lieutenant Vedova a déclaré que si la plaignante avait été offensée par la remarque, elle le lui aurait dit et lui aurait clairement demandé de se charger du problème. Poursuivant, elle a dit ne pas savoir ce qu'elle aurait fait si la plaignante lui avait fait part de ses préoccupations.

    149. Dans sa déclaration précédente au major Bottomley en décembre 1991, le lieutenant Vedova se souvenait que le major Couture avait fait cette remarque au caporal Franke, mais elle estimait que cela n'était pas dégradant, même si on pouvait l'interpréter ainsi. Elle a mentionné au major Bottomley que la remarque n'était pas déplacée (Je souligne). Devant le Tribunal, le lieutenant Vedova a donné un point de vue différent. On l'a contre-interrogée sur sa réponse au major Bottomley, lui demandant si, à son avis, le terme biker mama était une remarque déplacée. Voici ce qu'elle a répondu :

    [Traduction]

    A. Je ne monte pas à moto et -- je ne sais pas, cela ne m'offense pas; j'ai entendu cette remarque auparavant mais, personnellement, je n'en serais pas offensée, si c'est ce que vous voulez savoir.

    (Transcription, volume 14, page 2232, lignes 3 à 6)

    150. Cette remarque témoigne de la répugnance du lieutenant Vedova à répondre de façon franche et honnête; cela illustre encore le manque de franchise du lieutenant Vedova devant le Tribunal.

    151. Dans son contre-interrogatoire, le major Couture a mentionné que l'une des raisons pour laquelle, à son sens, la plaignante ne serait pas offensée par le terme biker mama était qu'il l'avait vue dans le mail de Comox portant des shorts très courts. Voilà pourquoi il a supposé que la plaignante comprendrait sa remarque et ne s'en offusquerait pas. Il a parlé de short court au cours d'une entrevue avec l'intimée, le 5 juin 1992, entrevue faisant suite au grief de réparation de la plaignante concernant sa plainte de harcèlement, ce dont nous traiterons plus loin.

    152. Le major Couture a reconnu au contre-interrogatoire la répugnance d'un militaire moins gradé à s'adresser à un militaire plus haut gradé pour lui reprocher sa conduite. Toutefois, dans son témoignage, il a précisé que dans le cas de la plaignante, si elle avait été offensée dans la mesure où elle le prétend, il n'aurait vu aucune difficulté à ce qu'elle vienne lui en parler. Le major Couture croit que ses conversations avec la plaignante, qu'il qualifiait d'ouvertes et franches en tout temps, lui laissaient à son endroit cette impression. Le major Couture a soutenu fermement que si ses remarques avaient été blessantes, la plaignante lui en aurait parlé directement ou par l'intermédiaire du lieutenant Vedova.

    153. Contre-interrogé par la plaignante, le major Couture a reconnu qu'il valait mieux utiliser la chaîne de commandement pour régler les problèmes. Voici sa réponse :

    [Traduction]

    Mme FRANKE : J'ai également réglé mon problème concernant les qualificatifs de sexétaire et de Biker Mama en allant voir le Lieutenant Vedova et je croyais que cela aurait réglé le problème, je croyais qu'il l'avait été et que vous aviez été informé. N'est-ce pas comme cela qu'il faut procéder, utiliser la chaîne la commandement de l'appareil militaire, lorsqu'on ne peut pas -- lorsqu'on se sent mal à l'aise de faire face à la personne qui vous qualifie de Biker Mama ou de sexétaire, que d'aller voir quelqu'un avec qui vous vous entendez et lui laisser le soin de régler la question?

    LE TÉMOIN : Oui.

    (Transcription, volume 12, page 1799, ligne 17, page 1800, ligne 1)

    154. À mon sens, le témoignage de Sherie Campbell est utile pour évaluer les réactions de la plaignante aux observations du major Couture. Mme Campbell a confirmé que lorsque la plaignante a été qualifiée de sexétaire, elle a été très blessée, car elle avait travaillé très fort et estimait qu'elle faisait du très bon travail. Mme Campbell a conseillé à la plaignante d'en parler à quelqu'un, par exemple un superviseur. La plaignante a informé Mme Campbell que son superviseur, le lieutenant Vedova, était présente lorsque le major Couture a fait ces remarques. Interrogée par Mme Campbell sur la question de savoir pourquoi elle ne s'était pas adressée au supérieur de son superviseur, la plaignante, selon Mme Campbell, a déclaré qu'elle avait peur des répercussions et craignait perdre son emploi.

    155. Le témoignage de Mme Campbell est appuyé par celui du caporal Mitchell, qui se souvenait que la plaignante s'était plainte en long et en large à propos du major Couture. Le caporal Mitchell se souvenait d'une discussion avec la plaignante à propos du qualificatif de biker mama. Elle et la plaignante ont discuté de toute cette conversation, pour conclure qu'il s'agissait d'une remarque sexiste. Le caporal Mitchell a minimisé l'incident, pour que la plaignante se sente mieux, car elle semblait très offensée. De l'avis du caporal Mitchell, chaque fois que la plaignante essayait de parler de ces observations au travail, ses préoccupations étaient prises à la légère ou tournées en dérision, comme si le problème venait de la plaignante. Le caporal Mitchell a trouvé bizarre le comportement de la plaignante. Elle la décrivait comme ayant un très bon sens de l'humour. Cela n'apparaissait pas comme une plaisanterie au caporal Mitchell.

    156. Un autre témoin, le caporal Mona Legault, a fait connaissance de la plaignante lorsqu'elles étaient toutes deux à la BFC de Comox, en 1987. Elles y ont vécu jusqu'en juin 1992, lorsqu'elle a été affectée à la base de Valcartier, au Québec. Elle a fini son affectation à Comox au magasin de vêtements. Le caporal Legault a déménagé sur la rue où habitait la plaignante en 1989. Elles y ont vécu jusqu'en 1992. Au fil des ans, elles se sont vues à peu près tous les jours. Elles se parlaient peu en 1992, au moment où le caporal Legault a quitté Comox, en raison d'un incident au magasin de vêtements. Nous aborderons cet incident plus loin. Le caporal Legault a témoigné que la plaignante a très mal accueilli les qualificatifs de sexétaire et de biker mama, qu'elle a été bouleversée et blessée par ces expressions. Elle les qualifiait de méprisantes et d'insultantes.

    157. Deux des témoins de l'intimée voyaient d'un oeil différent les réactions de la plaignante. Susan Powers, secrétaire de l'adjum Bélanger, a témoigné que la plaignante était venue la voir, après avoir pris le procès-verbal d'une réunion, pour lui dire qu'on l'avait qualifiée de sexétaire. Mme Powers a ajouté que la plaignante avait trouvé la remarque amusante et ne semblait pas en être ennuyée.

    158. Mme Powers était présente lorsque le major Couture a fait la remarque de biker mama et se souvient que la plaignante en a ri aux éclats. Le caporal Eadie se souvient des qualificatifs de sexétaire et de biker mama, que la plaignante aurait, à ce moment, trouvés très amusants.

    159. Je suis d'avis que les remarques ont été faites par le major Couture à l'endroit de la plaignante. L'effet de ces remarques et les réactions de la plaignante feront l'objet d'une analyse dans nos délibérations à la rubrique : Question 1.

    D. L'INCIDENT BÉLANGER

    160. Cet incident n'a pas trait à la plainte de harcèlement sexuel déposée par la plaignante. L'incident a été mentionné dans le contexte de l'enquête menée subséquemment par l'intimée à propos du grief de réparation faisant suite à un avertissement écrit servi à la plaignante en 1991. Les faits de l'incident sont donnés en contexte des enquêtes subséquentes menées par l'intimée et que nous décrivons plus loin dans cet arrêt.

    161. L'adjum Bélanger était membre de la division de l'Armée, dont les bureaux étaient situés à la Section des transports (Base). Il n'avait aucune responsabilité de surveillance directe à l'endroit de la plaignante. Même s'il était adjudant, il n'était pas responsable de la discipline de l'unité à la Section des transports (Base), rôle qui avait été confié à l'adjum Macnair. L'adjum Bélanger n'a pas témoigné devant Tribunal.

    162. Dans ses activités quotidiennes au bureau, la plaignante avait peu à faire avec l'adjum Bélanger et a témoigné qu'elle n'aimait pas traiter avec lui, car il se tenait devant le bureau de sa secrétaire, baissait son pantalon, rentrait sa chemise de la même façon que l'officier marinier Pistun du 407e escadron. En plus de cela, la plaignante s'est souvenue que l'adjum Bélanger s'était présenté devant son bureau, éructant de façon disgracieuse.

    163. L'image brossée par la plaignante de l'adjum Bélanger n'était pas celle que se faisait sa secrétaire civile, Susan Powers, employée dans les FAC depuis 30 ans. Susan Powers a témoigné qu'elle n'avait eu aucune difficulté avec l'adjum Bélanger et ne l'avait jamais vu agir de la manière décrite par la plaignante.

    164. La plaignante a mentionné un incident concernant l'adjum Bélanger en août 1991. D'après le témoignage de la plaignante, elle avait, par inadvertance, appelé un sergent par son prénom plutôt que par son grade. À l'époque, la plaignante était au téléphone avec le sergent et parlait de plongée autonome. Selon la plaignante, après qu'elle ait appelé le sergent par son prénom, l'adjum Bélanger s'est mis à lui crier, de son bureau, qu'il n'était pas de mise d'utiliser le prénom d'un sergent et lui ordonnait de faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Selon le témoignage de la plaigante, l'adjum Bélanger l'a ensuite appelée dans son bureau pour lui dire que si jamais il l'entendait utiliser le prénom d'un militaire d'un grade plus élevé, il lui imposerait des tâches supplémentaires.

    165. Susan Powers était présente lors de l'incident et a témoigné que l'adjum Bélanger a réglé la question au moment où l'incident est survenu, qu'il a élevé la voix, mais n'a pas crié. Mme Power ne pouvait se souvenir de la réaction de la plaignante. Le caporal Eadie a également témoigné avoir observé l'incident et constaté que l'adjum Bélanger n'avait pas crié à la plaignante, mais lui avait plutôt parlé fermement. Selon le caporal Eadie, la plaignante était bouleversée et est allée voir l'adjum Macnair. Elle a cherché l'adjum Macnair pour lui demander son avis peu après l'incident. Les témoignages ne concordent pas sur certains aspects de la discussion.

    166. La plaignante a témoigné que lorsqu'elle a rencontré l'adjum Macnair, celui-ci lui a dit : Kim, oubliez ça, car Bélanger est un vieil encroûté, il n'occupe plus vraiment un poste et il en a marre lorsqu'il n'a pas de travail; ignorez-le donc. Dans son propre témoignage, l'adjum Macnair a nié avoir traité l'adjum Bélanger de vieil encroûté. Dans son témoignage en chef, il a précisé qu'il a calmé la plaignante et lui a ensuite fait expliquer les circonstances de sa discussion avec l'adjum Bélanger. Il se souvenait avoir précisé à la plaignante que l'adjum Bélanger avait fait ce qu'il fallait et qu'il était de son devoir d'adjudant-maître de lui imposer des corvées pour ne pas avoir suivi le protocole militaire. La déclaration de l'adjum Macnair à la commission d'enquête concorde avec le témoignage déposé devant le Tribunal.

    167. Le colonel McGee a précisé dans son témoignage sa perception de l'incident Bélanger, qui a été porté à son attention ultérieurement dans le cadre d'un grief de réparation déposé par la plaignante. Il se souvenait que l'adjum Bélanger n'a pas entériné l'affirmation de la plaignante voulant qu'il ait crié pour lui parler. Même si le colonel McGee considérait l'incident comme relativement peu important, il a ajouté que la réaction de la plaignante était forte et qu'il n'était pas logique que le caporal Franke s'adresse à l'adjudant-maître Bélanger de cette façon. Le colonel McGee ne pouvait expliquer de quelle façon la plaignante avait répondu à l'adjum Bélanger.

    168. Le lieutenant Vedova ne se souvenait pas des détails de l'incident. Elle se rappelait que cela était survenu en son absence. Elle a précisé que lorsqu'elle est revenue à son bureau, l'adjum Bélanger s'est immédiatement entretenu avec elle pour lui dire ce qui s'était produit et ce qu'il avait fait. Le lieutenant Vedova a témoigné avoir dit à l'adjum Bélanger qu'elle était d'accord avec ce qu'il avait fait. Elle ne pouvait se souvenir si elle avait discuté avec la plaignante des détails de l'incident.

    E. L'INCIDENT DU CAPORAL-CHEF ALEXANDER

    169. Cet incident n'est pas mentionné dans la plainte de harcèlement sexuel et est donné en contexte aux événements qui ont transpiré au BT-B après l'arrivée de la plaignante. La plaignante affirmait que ses rapports professionnels avec ses superviseurs ont changé à l'automne de 1991, avant qu'elle ait reçu son avertissement écrit. L'incident est relaté à cette fin.

    170. Le 2 octobre 1991, la plaignante dit avoir reçu un appel téléphonique au sujet d'un rapport en retard et qu'elle est allée au bureau du caporal-chef Alexander pour trouver l'information nécessaire. Tandis qu'elle trouvait ce qui lui fallait, le caporal-chef Alexander revenait en retard de la pause-déjeuner et sentait l'alcool. Selon la plaignante, ce n'était pas la première fois. Elle lui aurait dit : Je crois que vous avez un problème et, vous savez, si je puis faire quelque chose pour vous aider, je suis le CEDU. L'intimée avait mis en place un programme de soutien à l'intention des membres des FAC, pour lutter contre l'abus des drogues et de l'alcool. Ce programme avait permis la mise en place, à la base et dans les diverses sections, d'un coordonnateur de l'éducation et de la prévention en matière de drogue et d'alcool (CEDB) et de coordonnateurs d'éducation sur les drogues (CEDU). La plaignante était CEDU pour le BT-B et, à titre de coordonnatrice, elle était au courant des ressources en place pour aider les membres ayant des problèmes d'alcool et de drogue. Selon la politique de l'intimée, les coordonnateurs n'avaient aucun mandat pour conseiller les militaires en matière d'alcoolisme et de toxicomanie.

    171. Peu de temps après que la plaignante ait quitté le bureau du caporal-chef Alexander, l'adjum Macnair se serait rué dans son bureau, grimpant les escaliers, et lui aurait dit : Montrez-moi vos ** responsabilités de CEDU ** immédiatement. La plaignante lui a alors remis la liste. Elle a précisé que l'adjum Macnair était en colère, qu'il lui aurait dit qu'elle n'avait qualité pour conseiller les militaires sur quelque problème d'alcoolisme, à titre de coordonnatrice CEDU. La plaignante a précisé qu'elle avait prévu cette réaction, parce qu'elle avait antérieurement discuté avec le sergent Wade Greely, qui s'occupait du CEDU à la BFC de Petawawa. Selon la plaignante, le sergent Greely lui aurait assuré qu'elle avait le droit de parler au caporal-chef Alexander, mais il l'avait mis en garde contre les conséquences, car le caporal-chef Alexander était un des compagnons de bouteille de l'adjum Macnair.

    172. La plaignante a en outre précisé que l'incident s'était produit à l'époque où l'adjum Macnair avait commencé à l'appeler caporal au lieu de Kim et qu'elle avait constaté un changement d'attitude à son égard, tant chez l'adjum Macnair que chez le caporal-chef Alexander.

    173. D'après son témoignage, l'adjum Macnair s'est inquiété lorsque le caporal-chef Alexander lui a précisé les raisons pour lesquelles la plaignante l'avait approché. Il s'inquiétait de ce que la plaignante ait approché un militaire, parce que toute lacune avec des subalternes relevait de sa responsabilité et aurait dû être portée à son attention. L'adjum Macnair se souvient avoir pris la plaignante en aparté, pour la remercier de sa sollicitude, mais également pour lui faire savoir en termes non ambigus qu'elle avait outrepassé son rôle à lui, en tant que chef de discipline de l'unité et que superviseur du caporal-chef Alexander. Ce qui l'inquiétait, c'est que ses services n'avaient pas été sollicités par le caporal-chef Alexander et que la plaignante n'avait reçu aucune instruction d'intervention de la part de l'officier responsable de la lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie dans l'unité. L'adjum Macnair a ajouté dans son témoignage qu'il y avait eu par la suite une discussion animée entre lui-même et la plaignante parce que cette dernière estimait avoir eu raison de parler de cette question au caporal-chef Alexander. L'adjum Macnair était d'avis que la plaignante avait outrepassé son mandat.

    174. Le lieutenant Vedova, dans son témoignage, a mentionné qu'avant septembre 1991, la plaignante lui avait dit qu'elle voulait devenir CEDU. Elle se souvient que la plaignante lui avait dit penser que le caporal-chef Alexander avait un problème de consommation d'alcool. À l'époque, la plaignante avait laissé savoir au lieutenant Vedova qu'elle allait en discuter avec le caporal-chef Alexander. Le lieutenant Vedova lui a dit que ce n'était pas une bonne idée, que ce n'était pas le rôle de la plaignante. Selon le lieutenant Vedova , il lui incombait, à elle et à l'adjum Macnair, de régler le problème. Lorsque le lieutenant Vedova a eu connaissance que la plaignante avait rencontré le caporal-chef Alexander à propos de ce problème, elle s'est souvenue que l'adjum Macnair avait été très bouleversé par les agissements de la plaignante.

    175. L'adjum Macnair a été interrogé sur les termes qu'il a utilisés dans cette situation. Selon son témoignage, il lui arrivait d'utiliser au bureau des mots grossiers, mais il ne se souvenait pas s'il l'avait fait en l'occurrence. Dans sa déclaration au major Bottomley, au cours de l'enquête sommaire, l'adjum Macnair a dit avoir peut-être utilisé une fois un mot grossier, mais ne pouvait se souvenir en quel cas précis. Il a dit au major Bottomley qu'il se rappelait d'une vive discussion avec la plaignante à propos de l'incident avec le caporal-chef Alexander, parce qu'elle ne l'écoutait pas, ce qui n'était pas rare, et que, par la suite, ça avait été à qui gueulerait le plus fort, après quoi il a dit à la plaignante : Suffit, donnez-moi un exemplaire de votre mandat, et tout de suite!

    176. Dans sa déclaration au major Bottomley au sujet des termes utilisés par l'adjum Macnair, le lieutenant Vedova a dit qu'il outrepassait souvent les normes du bon parler, mais rarement avec les femmes, ajoutant que cela était pourtant possible. Devant la commission d'enquête, elle a dit que l'adjum Macnair jurait beaucoup. Devant le Tribunal, en contre-interrogatoire, elle a mentionné qu'elle ne connaissait pas la signification de beaucoup. Elle estimait que la question du major Bottomley à propos des écarts de langage était une insinuation et qu'elle devait répondre non pas au sujet des écarts de langage de l'adjum Macnair, mais plutôt de ses jurons. Ces réponses du lieutenant Vedova devant le Tribunal illustrent encore son indécision et son manque de franchise, ce qui confirme le peu de fiabilité de son témoignage.

    177. Le caporal-chef Alexander n'a pas témoigné devant le Tribunal. On lit dans sa déclaration au major Bottomley qu'il a répondu à trois questions, aucune ne se rapportant à cet incident.

    178. Même si le major Couture n'a pas, dans son témoignage, parlé de l'incident avec le caporal-chef Alexander, il a mentionné que c'était à peu près à cette époque qu'il avait commencé à se former une opinion différente de la plaignante. Auparavant, il voyait leur relation comme très amicale, un partage d'intérêts analogues pour les motocyclettes. Par la suite, il a peu à peu constaté que la plaignante ne consacrait pas tout son temps à son travail ou qu'elle était souvent trop longtemps au téléphone ou absente de son bureau.

    F. L'INCIDENT DES CHAUSSURES

    179. Voici un extrait de la plainte :

    [Traduction]

    - En octobre 1991, après avoir présenté une note à l'adjum Mcnair à propos des chaussures non réglementaires que je portais, j'ai pris rendez-vous avec le chirurgien de la base à propos de mon problème de genou, j'ai eu des difficultés avec le sergent Caron et l'adjudant Boudreau concernant mes chaussures non réglementaires. J'ai reçu un avertissement écrit de cet incident le 26 novembre 1991, et on y lisait notamment ceci :

    "... et mise devant vos lacunes par vos supérieurs, vous avez agi de façon contestataire et belliqueuse, contrairement au bon ordre et à la discipline des FAC.

    À défaut de corriger cette lacune, vous êtes passible de mise en garde et probation ou de renvoi."

    (Pièce HR-1, onglet 1)

    180. À la BFC de Comox, on disposait de mécanismes concernant la conduite et la tenue vestimentaire, notamment le comité de discipline (Base) dirigé par le sous-officier le plus gradé, l'adjuc Doherty. Ce comité, composé d'environ 35 sous-officiers haut gradés des diverses sections, se réunissait au six mois et servait de tribune pour diffuser les nouvelles provenant du QGDN.

    181. L'adjuc Doherty avait créé le comité de la tenue vestimentaire (Base) à titre d'émanation du comité de discipline. L'un des sous-comités, le comité consultatif des femmes, devait s'occuper de la réglementation sur la tenue vestimentaire du personnel féminin. Le comité de la tenue vestimentaire se réunissait périodiquement et diffusait des renseignements sur les défilés, les visites prochaines, le moral et d'autres thèmes, notamment la bonne atmosphère parmi les sous-officiers.

    182. L'adjudant Colleen Boudreau (devenue adjudant-maître) et le sergent Caron étaient les sous-officiers supérieurs de leurs unités et faisaient partie du comité de discipline (Base) et du comité de la tenue vestimentaire. Le sergent Caron travaillait aux magasins de vêtements et l'adjudant Boudreau était hygiéniste au Bureau des services dentaires. Leur grade et leur participation au comité de la tenue vestimentaire (Base) les rendaient responsables de la tenue vestimentaire et du comportement du personnel des deux sexes. Elles avaient été nommées au comité consultatif des femmes par l'adjuc Doherty pour l'appuyer dans sa tâche et le conseiller en ce qui a trait à la tenue vestimentaire des femmes.

    183. Lorsque l'adjuc Doherty a nommé l'adjudant Boudreau et le sergent Caron au comité consultatif des femmes, il leur a demandé de visiter toutes les unités de la base, de se présenter au superviseur masculin et d'informer le personnel féminin de l'existence du comité de la tenue vestimentaire. Ainsi que l'a expliqué l'adjudant Boudreau, elles devaient aider les femmes, être à l'écoute de leurs problèmes et transmettre dans la chaîne de commandement leurs propositions ou les changements. Les superviseurs masculins pouvaient s'adresser au comité consultatif des femmes pour obtenir des opinions et de l'information sur la tenue vestimentaire et la conduite du personnel féminin. Le sous-officier le plus haut gradé du comité de discipline de la base devait s'occuper de ses propres unités. Selon l'adjudant Boudreau, il n'était pas nécessaire qu'un adjudant masculin supérieur visite les autres unités.

    184. L'adjudant Boudreau a témoigné que la réglementation sur la tenue vestimentaire favorisait le maintien d'une bonne discipline et d'une bonne conduite et aidait les militaires à réagir rapidement en cas d'urgence, par exemple s'il y avait guerre.

    185. Une semaine environ après l'incident concernant le caporal-chef Alexander, la plaignante s'est rendue au quartier général de la base et a été interpellée par le sergent Caron à propos de ses chaussures. La plaignante portait des chaussures non réglementaires, à talons évasés d'environ 1/2 pouce de hauteur, et ne respectait pas la réglementation sur la tenue. Voici l'extrait du règlement portant sur les chaussures :

    [Traduction]

    10. Chaussures, noires ou blanches (et marines).

    a. Chaussure civile sans motif de cuir ou de cuir vernis, en peine ovale, talons et bouts fermés, sans motif décoratif et à talons standard (ni conique ni aiguille) d'environ 5 cm (2 pouces) de hauteur.

    (Je souligne.)

    (Pièce R-6)

    186. L'adjudant Boudreau dit avoir interprété ce règlement ainsi : les femmes sous-officiers pouvaient porter des chaussures à talons d'environ 2 pouces. Elle a expliqué que ce sont les militaires qui achètent leurs chaussures, cet article ne faisant pas partie du matériel réglementaire.

    187. La plaignante a confirmé avoir dit au sergent Caron qu'elle avait obtenu l'autorisation de son supérieur, le lieutenant Vedova, de porter des chaussures à talons plats. Cette dernière portait des chaussures analogues à celles de la plaignante. Le lieutenant Vedova a affirmé n'avoir jamais donné à la plaignante l'autorisation de porter des chaussures non réglementaires.

    188. Selon la plaignante, le sergent Caron lui a fait savoir que le comité de la tenue vestimentaire de la base visitait toutes les sections, pour informer le personnel féminin de la réglementation sur la tenue vestimentaire, et qu'il passerait dans sa section. La plaignante a mentionné lors de son témoignage qu'elle a plus tard informé le lieutenant Vedova de sa conversation avec le sergent Caron et avait conclu, d'après la réaction du lieutenant Vedova, que celle-ci parlerait au comité.

    189. Directement par la suite, la plaignante a pris rendez-vous avec le chirurgien de la base pour obtenir, pour raisons médicales, une dispense afin de porter des chaussures à talons plats en raison de son problème de genou. Le rendez-vous était pour le 30 octobre 1991.

    190. L'adjudant Boudreau a affirmé qu'avant de visiter un escadron ou une unité, l'un des membres du comité consultatif des femmes communiquait avec le plus haut gradé de l'escadron ou de l'unité pour organiser une visite à l'intention du personnel féminin. La visite, prévue par accord mutuel, supposait la présence de l'officier supérieur. Selon l'adjudant Boudreau, à une ou deux occasions, elles n'ont pas communiqué avec l'officier supérieur avant d'effectuer la visite.

    191. À ces occasions, les membres du comité consultatif des femmes se rendaient d'abord chez le militaire le plus haut gradé, à leur arrivée dans l'unité. L'adjudant Boudreau est d'avis que toutes les visites, prévues ou non, ne constituaient pas une surprise pour les militaires les plus hauts gradés parce que, membres du comité de discipline de la base, ils étaient au courant des directives données par le chef de la base au comité consultatif des femmes.

    192. L'adjudant Boudreau a affirmé que le 29 octobre 1991, le comité de la tenue vestimentaire de la base devait faire trois visites, l'une au 407e escadron, une autre à l'escadron d'organisation de la maintenance (RA) et une dernière, une rencontre collective au 422e escadron. L'escadron d'organisation de la maintenance (RA) de la base était dans le même immeuble que le 407e escadron.

    193. Vers 14 h, après la visite du 407e escadron, l'adjudant Boudreau a déclaré que le comité consultatif des femmes avait décidé de faire une visite imprévue au BT-B, avant la prochaine rencontre planifiée plus tard dans l'après-midi au 422e escadron. Elle a essayé de prendre d'abord rendez-vous avec l'adjum Macnair, mais n'a pu le joindre. À l'arrivée du comité au BT-B, elles sont parties à la recherche de l'adjum Macnair. Ne le trouvant pas dans son bureau, elles se sont rendues à la section pour le trouver et sont arrivées au bureau de la plaignante. Celle-ci était le seul sous-officier féminin présent à la section. Elle était au téléphone. Le lieutenant Vedova n'était pas dans le service à ce moment. Ce qui a alors transpiré entre la plaignante et les membres du comité consultatif des femmes diffère sous certains aspects dans les versions des événements données par la plaignante et par l'adjudant Boudreau.

    194. Habituellement, lorsque le comité consultatif des femmes faisait une visite, l'adjudant Boudreau prenait la parole, à titre d'officier le plus haut gradé du Comité. L'adjudant Boudreau a dit avoir attendu que la plaignante ait terminé son appel, qu'elle s'est présentée, et que le sergent Caron a informé la plaignante de l'objet de leur visite. Elle a ensuite demandé à la plaignante si elle éprouvait des problèmes concernant le règlement sur la tenue vestimentaire. L'adjudant Boudreau a mentionné qu'elles avaient remarqué que la plaignante portait des chaussures non réglementaires et le sergent Caron a rappelé à la plaignante leur rencontre précédente. L'adjudant Boudreau aurait remarqué les chaussures non réglementaires de plaignante dès l'entrée du bureau. Elle ne savait pas que le sergent Caron s'était auparavant entretenue avec la plaignante à propos de ses chaussures.

    195. La plaignante affirme que son bureau était muni à l'avant d'un panneau de courtoisie sur la pleine longueur, masquant cette partie du haut en bas, ce qui empêchait quiconque de voir ses chaussures. Elle a témoigné que le sergent Caron avait contourné son bureau, avait regardé par-dessus son épaule pour voir ses chaussures, avant de lui préciser qu'elle lui avait déjà fait part qu'elles n'étaient pas réglementaires et qu'elle n'était pas autorisée à les porter. La plaignante aurait répondu :

    [Traduction]

    Non, ce n'est pas ce que j'ai compris. À mon sens, vous visitiez toutes les sections pour en parler et vous devez venir ici précisément pour en discuter avec nous. D'après le témoignage de la plaignante, elle aurait dit au comité consultatif des femmes que le lieutenant Vedova l'aurait autorisée à porter ces chaussures et elle avait un rendez-vous le jour suivant avec le chirurgien de la base.

    196. Le Tribunal a effectué une visite du BT-B. À cette occasion, le lieutenant Vedova leur a décrit les divers bureaux et l'ameublement. Il a été question, au cours de la visite, des bureaux qu'elle-même et la plaignante occupaient. Les bureaux utilisés en 1991 par le personnel du BT-B ont été remplacés. Après l'inspection, le lieutenant Vedova a été priée par l'avocate de l'intimée d'en faire une description. Pendant son témoignage, le lieutenant Vedova a mentionné qu'elle ne pouvait se rappeler précisément du type de bureau de la plaignante en 1991. Le Tribunal lui a demandé de préciser sa réponse, ce qu'elle fit :

    [Traduction]

    M. DUROCHER : Mme Vedova, lorsque nous étions là-bas, il me semble vous avoir entendu dire qu'il était fermé [un panneau à l'avant du bureau de la plaignante].

    LA PRÉSIDENTE : Oui.

    LE TÉMOIN : Je ne puis le confirmer; j'ai vu mon bureau et mon nouveau bureau et, je ne peux retrouver dans mes souvenirs quel type de bureau c'était exactement.

    M. DUROCHER : Je sais qu'il a été question de savoir si c'était un bureau métallique à plateau de Formica ou un bureau de bois, mais il me semble que je vous ai entendu dire, ce sur quoi Mme Franke était d'accord, qu'il était muni à l'avant d'un panneau de courtoisie sur toute sa longueur. Ai-je mal compris?

    LE TÉMOIN : Je ne me souviens pas si c'est exactement ce que j'ai dit, c'est possible.

    (Transcription, volume 14, page 2203, lignes 1 à 14)

    197. Que le bureau de la plaignante ait possédé un panneau de courtoisie pleine longueur ou partiel, il me semble que ses pieds devaient être placés dans une position inhabituelle, pour que les talons de chaussures soient visibles à l'adjudant Boudreau et au sergent Caron, qui ont prétendu être sur le pas de la porte. Cela étant peu probable, j'accepte le témoignage de la plaignante, qui a dit que le sergent Caron a fait le tour de son bureau pour voir ses chaussures.

    198. Selon le témoignage de l'adjudant Boudreau, la plaignante s'est agitée, s'est obstinée et a pris une attitude défensive lorsque le sergent Caron lui a rappelé qu'elle portait des chaussures non réglementaires et qu'elle lui avait antérieurement dit de ne pas les porter. L'adjudant Boudreau se souvient que la plaignante lui a dit qu'elle avait un problème de dos et qu'elle n'avait pas d'autorisation médicale pour le port de chaussures non réglementaires. L'adjudant Boudreau a témoigné que le sergent Caron a conseillé à la plaignante de voir le médecin et de demander des chaussures orthopédiques.

    199. Selon le témoignage de l'adjudant Boudreau, la plaignante s'est informée des autres femmes militaires qui portaient des chaussures non réglementaires. L'adjudant Boudreau se souvient lui avoir expliqué que le comité consultatif des femmes relevait du chef de la base et n'avait pas à traiter avec les officiers. C'est à ce moment que le comité consultatif des femmes, selon l'adjudant Boudreau, aurait remarqué la bague de la plaignante et l'aurait trouvée de mauvais goût.

    200. La plaignante a témoigné avoir répondu au comité qu'à son avis, sa bague n'était pas de mauvais goût et a demandé si le comité pouvait obtenir l'avis du chef de la base. L'adjudant Boudreau a décidé de mettre un terme à toute autre discussion, avant que tout cela n'aille trop loin, et a mis fin à la rencontre.

    201. D'après l'adjudant Boudreau, normalement, lorsque le comité prend contact avec un sous-officier à propos de chaussures non réglementaires, celui-ci ne répondait pas, mais acquiesçait et changeait de chaussures. S'il avait une dispense médicale, cela mettait fin au problème. Avant le départ, l'adjudant Boudreau a informé la plaignante qu'elle prendrait contact avec l'adjum Macnair ce matin-là pour lui dire que la plaignante ne portait pas des chaussures réglementaires.

    202. La plaignante a vu sa rencontre avec le comité comme un piège, parce que, antérieurement, le sergent Greely lui avait parlé de représailles de l'adjum Macnair si elle s'adressait au caporal-chef Alexander pour l'entretenir de son problème d'alcool. Elle croyait également que l'absence du lieutenant Vedova, pendant la visite du Comité, faisait partie de ce piège. Le lieutenant Vedova est revenue au bureau après le départ du Comité. La plaignante a précisé que lorsqu'elle a parlé de cette visite au lieutenant Vedova, celle-ci lui aurait répondu qu'elle était au courant, qu'elle les avait vues sortir de l'immeuble et qu'elle s'était cachée. Le lieutenant Vedova a affirmé ne pas avoir eu cette conversation avec la plaignante.

    203. L'adjum Macnair a déclaré à la commission d'enquête, à propos de la visite du Comité, que l'adjudant Boudreau et le sergent Caron avaient fait une visite impromptue pour aller voir la plaignante, porter à son attention certaines lacunes relatives à sa tenue vestimentaire et donner suite à des plaintes précises logées contre elle. Devant le Tribunal, l'adjum Macnair n'a pu expliquer la conclusion qu'il avait tirée à la commission d'enquête. Toutefois, il a témoigné que son souvenir des événements était plus précis à la commission d'enquête, en juillet 1992, que devant le Tribunal en 1996.

    204. La plaignante a témoigné que le même jour que l'incident des chaussures, elle a écrit une note de service à l'adjudant-chef (Base) Doherty, par les voies normales, c'est-à-dire par l'adjum Macnair, à propos de la restriction concernant la hauteur des talons dans le règlement sur la tenue vestimentaire. Dans cette note, elle donnait des renseignements médicaux selon lesquels le port prolongé de chaussures à hauts talons entraînait des problèmes de dos et de pieds, tout en demandant si le règlement sur la tenue vestimentaire pouvait être modifié afin d'autoriser des chaussures à talons d'environ ¼ de pouce.

    205. À la suite de la rencontre du comité consultatif des femmes avec la plaignante, l'adjudant Boudreau a décidé de rencontrer le matin suivant l'adjum Macnair pour proposer soit un entraînement supplémentaire, soit d'autres corvées pour la plaignante, en raison de son attitude d'insubordination. Elle avait envisagé à l'époque une journée de corvée de caporal dans laquelle la plaignante devrait être en poste à la salle à manger du mess des officiers subalternes pour vérifier les cartes de repas au déjeuner et au dîner et rester disponible pendant 24 heures pour tout type de situation d'urgence. Selon l'adjudant Boudreau, cette corvée serait attribuée par le bureau du chef de la base, aucune inscription ne serait requise au dossier militaire, le superviseur évaluerait la corvée et cela ne se répercuterait pas sur les possibilités d'avancement ou d'affectation du membre. L'adjudant Boudreau a témoigné que cette corvée pouvait être prise en compte dans le RAP du membre.

    206. Selon l'adjudant Boudreau, tôt le matin, le 30 octobre 1991, elle a téléphoné à l'adjum Macnair à propos de l'incident des chaussures. Elle a demandé à le rencontrer. À 10 h, l'adjudant Boudreau et le sergent Caron rencontraient l'adjum Macnair au BT-B. L'adjudant Boudreau a précisé que lorsqu'elle a recommandé à l'adjum Macnair une corvée de caporal pour l'insubordination de la plaignante, l'adjum Macnair a répondu ne pas être étonné du comportement de celle-ci, qu'il avait lui aussi eu des difficultés avec elle et qu'il s'excusait auprès d'elles. L'adjum Macnair a témoigné qu'il n'avait pas remarqué les chaussures de la plaignante avant cette réunion avec le comité consultatif des femmes.

    207. Après la rencontre avec le comité consultatif des femmes, la plaignante a témoigné qu'elle a décidé de porter des chaussures à talons hauts pour travailler, le matin suivant, jusqu'à ce qu'elle ait obtenu l'autorisation médicale de porter des chaussures à talons plats. Elle a ajouté qu'elle avait enlevé la bague trop voyante et qu'elle portait ses alliances.

    208. La plaignante a mentionné dans son témoignage qu'après son arrivée au travail le matin du 30 octobre, chaussée de façon réglementaire, elle a été appelée au bureau de l'adjum Macnair, qui lui a dit qu'elle aurait dû écouter le sergent Caron. L'adjum Macnair a nié que la plaignante ait changé de chaussures. Voici un extrait du témoignage de l'adjum Macnair :

    [Traduction]

    ...À son entrée dans mon bureau, le caporal Franke portait encore les chaussures qu'on m'avait décrites, des chaussures non militaires, celles décrites par l'adjudant Boudreau.

    À ce moment, je l'ai renvoyé chez elle, en lui disant, en termes clairs, qu'elle se présente à moi dès son retour au bureau, vêtue de façon réglementaire.

    (Transcription, volume 18, page 3018, ligne 8)

    209. Lorsqu'elle a rencontré l'adjum Macnair, la plaignante l'a informé que les déclarations du sergent Caron étaient inexactes et qu'elle avait dit à celle-ci quel était selon elle l'objet de cette visite. Aux dires de la plaignante, l'adjum Macnair lui a dit que quelque chose allait arriver et qu'elle allait devoir s'excuser devant le comité au cours d'une rencontre officielle, probablement au bureau du chef de la base, et les informer qu'elle avait reçu son autorisation médicale. L'adjum Macnair n'a pas fixé de date pour cette réunion. Par la suite, lorsqu'il a demandé à la plaignante de le rencontrer, le 26 novembre 1991, elle s'attendait à devoir s'excuser devant l'adjudant Boudreau et le sergent Caron. Au lieu de cela, l'adjum Macnair lui a établi l'avertissement écrit suivant :

    [Traduction]

    Je vous informe des lacunes suivantes, que vous n'avez pas corrigées malgré les avertissements verbaux précédents : confrontée à des lacunes par vos supérieurs, vous avez agi de façon bellliqueuse et contestataire, à l'encontre du bon ordre et de la discipline des FC.

    À défaut de corriger ces lacunes, vous devrez aller en mise en garde et surveillance ou vous serez passible de renvoi.

    (Pièce HR-1, onglet 6, document 6.4)

    210. La plaignante a précisé qu'elle avait compris l'adjum Macnair lorsqu'il lui a remis son avertissement écrit que c'était parce que lui-même et le major Couture étaient d'avis qu'elle ne leur avait pas témoigné le respect qui leur était dû. L'adjum Macnair a affirmé que l'avertissement écrit découlait de l'insubordination de la plaignante à l'égard de l'adjudant Boudreau et du sergent Caron.

    211. Le témoignage de la plaignante à propos de sa rencontre avec l'adjum Macnair le 30 octobre 1991 est assez près de ses notes personnelles, rédigées entre le 26 novembre et le 9 décembre 1991 et dans lesquelles elle a consigné les détails de cette rencontre. D'après ses notes, l'adjum Macnair lui a rappelé que le sergent Caron et l'adjudant Boudreau étaient d'un grade supérieur et qu'il était inconvenant qu'elle contredise la déclaration du sergent Caron. La plaignante savait que le sergent Caron était d'un grade supérieur, mais la déclaration de celle-ci à propos de l'objet de leur visite était erronée, par rapport à ce qu'elle lui avait dit lorsqu'elles se sont rencontrées au quartier général de la base. D'après la note de service, l'adjum Macnair lui a alors dit qu'elle verrait ce que cet incident provoquerait. Voici un extrait de la note de service :

    [Traduction]

    ... Environ une semaine plus tard, on m'a dit que je devrais m'excuser auprès de ces femmes au bureau du chef de la base. J'ai dit que tout ce que j'avais fait était de faire connaître mon opinion mais que, si on l'exigeait, je m'excuserais. À l'époque, je ne croyais pas avoir fait quoi que ce soit de répréhensible, j'avais mon autorisation médicale pour mes chaussures et, à ma connaissance, mon opinion était simplement différente à propos de ce qu'on considérait comme de mauvais goût...

    (Pièce HR-1, onglet 8, document 8.1)

    212. L'adjum Macnair a déclaré ne pas être certain si l'incident des chaussures s'est produit le 28 ou le 29 octobre 1991, car il était en vacances. Il se souvient avoir pris la plainte de l'adjudant Boudreau au bureau du chef de la base dans l'après-midi suivant sa rencontre avec l'adjudant Boudreau. Selon le témoignage, l'incident des chaussures s'est produit le 28 octobre 1991 parce que, selon lui, il a rencontré la plaignante vers 8 h 30 le 29 octobre 1991, jour suivant l'incident. À cette rencontre, il voulait savoir de quelle façon la plaignante voyait l'incident et l'informer qu'un rapport à cet égard lui avait été communiqué et que cela entraînerait d'autres répercussions. L'adjum Macnair a déclaré que la plaignante est retournée chez elle et est revenue plus tard, le matin même, vêtue de façon réglementaire. L'adjum Macnair a ajouté que, plus tard dans l'après-midi, elle est venue le voir à son bureau avec la note de service portant la date du 29 octobre 1991 concernant les restrictions sur la hauteur des talons, l'informant qu'elle croyait avoir une raison médicale et que les chaussures militaires réglementaires lui causaient des douleurs aux pieds. Il se souvient qu'elle a demandé l'autorisation de consulter un médecin pour être exemptée du port des chaussures militaires.

    213. Après sa rencontre avec l'adjum Macnair, l'adjudant Boudreau s'attendait que la plaignante reçoive une corvée de caporal et que tout soit réglé. Elle a témoigné qu'elle-même et le sergent Caron estimaient que la plaignante devait recevoir une punition pour son comportement et pour sa non-observation des règlements. D'après son témoignage, elle croyait savoir que l'adjum Macnair voulait porter le problème à l'attention de l'adjudant-chef (Base) Doherty et qu'environ un mois plus tard, les quatre se réuniraient pour discuter du problème. D'après les souvenirs de l'adjudant Boudreau, l'adjudant-chef Doherty ne voulait pas infliger à la plaignante une punition sous forme de corvée supplémentaire. À l'interrogatoire en chef, elle a déclaré :

    [Traduction]

    ...On nous a convaincus et les quatre se sont en définitive mis d'accord pour que l'adjudant-maître Macnair lui serve un avertissement écrit, qui n'est pas une punition mais une procédure administrative visant à inciter un militaire à améliorer sa conduite et son rendement.

    Cela n'a aucune répercussion sur l'avancement et, même si cet avertissement demeure au dossier de l'unité, il n'a aucune incidence sur l'avancement, la formation, les affectations, etc; ce qui lui a été infligé était donc moins sévère que ce que nous avions d'abord préconisé. Toutefois, nous étions tous d'accord, et c'est ce qui a été fait.

    (Transcription, volume 13, page 2075, lignes 14 à 24)

    214. À l'interrogatoire en chef, l'adjudant-chef Doherty a précisé que les membres du comité consultatif des femmes avaient porté le problème à son attention et qu'il en a fait un cas de discipline. Aucune date n'est inscrite au formulaire. On y trouve le nom de la plaignante et son grade, ainsi que les trois infractions signalées par l'adjudant Boudreau et le sergent Caron à l'adjudant-chef Doherty, à savoir :

    [Traduction]

    1. Port de chaussures non réglementaires à talons plats et à semelles compensées, pendant qu'elle est en uniforme;

    2. Port d'une grosse bague demauvais goût pendant qu'elle est en uniforme;

    3. Insubordination à l'égard de l'adjudant-chef Boudreau et du sergent Caron, qui l'informaient de ses infractions à la tenue vestimentaire.

    (Pièce HR-1, onglet 6, document 6.3)

    215. D'après le témoignage de l'adjudant-chef Doherty, l'adjudant Boudreau, le sergent Caron et l'adjum Macnair sont venus le voir pour parler de l'infraction. Sur une échelle de un à dix, l'adjudant-chef Doherty attribue à l'insubordination un dix. Il se souvenait avoir recommandé un avertissement écrit. L'adjum Macnair a mentionné qu'à la réunion, nombre d'options ont été débattues.

    216. Compte tenu de la gravité de l'insubordination, d'après la perception de l'adjudant Boudreau et du sergent Caron, l'adjum Macnair a déclaré qu'ils voulaient choisir la mesure de redressement appropriée à la gravité des agissements de la plaignante.

    217. Selon le témoignage de l'adjudant-chef Doherty, la procédure régulière stipulait qu'avant de servir un avertissement écrit, il fallait donner un avertissement verbal. Il n'aurait pas recommandé l'avertissement écrit si la plaignante n'avait pas auparavant été avertie verbalement. Toutefois, l'adjudant-chef Doherty n'a pu se souvenir, au tribunal, du moindre élément préoccupant au dossier de la plaignante. Par ailleurs, à titre d'adjudant-chef de la base, il avait l'habitude de consulter tous les dossiers des militaires avant de formuler ses recommandations et croit que c'est ce qu'il a fait dans le cas de la plaignante.

    218. Selon l'adjudant-chef Doherty, dans la plupart des cas, l'insubordination devient automatiquement une accusation portée en vertu du Code de discipline militaire, et est donc traitée par un tribunal des FAC. D'après son opinion, partagée par l'adjum Macnair, l'adjudant Boudreau et le sergent Caron, il n'y avait pas un motif suffisant pour une accusation. Toutefois, ils ne pouvaient ignorer les agissements de la plaignante et voulaient que soit consigné par écrit que ces agissements étaient contraires au règlement.

    219. Interrogé par le tribunal à propos des avertissements verbaux servis antérieurement à la plaignante, l'adjudant-chef Doherty s'est souvenu d'une occasion où le sergent Barber et lui ont eu à discuter de coupe de cheveux avec la plaignante. L'adjudant-chef Doherty estimait que cet incident était en partie à l'origine de l'avertissement verbal. De plus, selon son témoignage, toute lacune portée à son attention pouvait être considérée comme un avertissement verbal. L'adjudant-chef Doherty et le sergent Barber ont témoigné à propos de l'incident de la coupe de cheveux. Cet incident touchait une coupe de cheveux que la plaignante avait au 407e escadron. Le sergent Barber était à l'époque membre du comité consultatif des femmes et le chef de la base lui avait fait savoir qu'il avait été saisi, par le superviseur de la plaignante, d'un problème concernant la coiffure de celle-ci. La plaignante allait arriver et il souhaitait que le sergent Barber soit présente et donne son avis de femme à propos de cette coupe de cheveux. Au cours de la rencontre, la plaignante a expliqué qu'elle ne voulait pas que ses cheveux soient coiffés de cette façon. Le sergent Barber a témoigné avoir dit à la plaignante de se faire couper les cheveux de façon réglementaire et cette dernière a acquiescé et l'a fait.

    220. L'adjum Macnair considérait l'avertissement écrit comme un réveillez-vous potentiellement grave selon l'infraction. L'adjum Macnair estimait que l'avertissement écrit était un outil administratif par lequel les superviseurs pouvaient corriger leurs subalternes de lacunes graves. L'adjum Macnair a témoigné qu'à titre de chef de discipline de l'unité, il avait des réserves concernant la signification d'un avertissement écrit à la plaignante, car il n'avait personnellement pas fait d'avertissement verbal. Il avait d'autant plus de réserve qu'il ne savait pas si on avait antérieurement servi à la plaignante un avertissement verbal.

    221. Cette préoccupation se retrouve également dans la déclaration de l'adjum Macnair devant la commission d'enquête, en juillet 1992. Il a dit à la Commission qu'il n'avait pas totalement confiance dans l'avertissement écrit, car il n'avait jamais émis d'avertissement verbal au caporal Franke, et était allé voir l'adjudant-chef Doherty qui, selon ce qu'a pu savoir l'adjum Macnair, avait obtenu l'aide d'un commis pour avoir une idée générale du travail de la plaignante à ses autres affectations, notamment au 407e escadron. Sa déclaration à la commission d'enquête prouve en outre que c'était en fait la décision de l'adjudant-chef Doherty d'opter pour l'avertissement écrit et que, puisque tous étaient d'accord, l'adjum Macnair a fait préparer l'avertissement écrit et l'a fait signer le jour suivant par la plaignante.

    222. L'adjum Macnair avait déjà servi des avertissements écrits, au cours de sa carrière, et dans la plupart des cas, il y avait eu avertissement verbal. Il a expliqué que l'avertissement écrit doit être lié à un avertissement verbal servi antérieurement. Toutefois, à son avis, la gravité du délit pouvait permettre de décider s'il y avait lieu d'émettre d'abord un avertissement verbal.

    223. Selon l'adjum Macnair, l'adjudant-chef Doherty lui a demandé de faire en sorte que le sergent Caron, l'adjudant Boudreau et lui-même le rencontrent pour décider de la conduite à tenir. À leur réunion, ils ont discuté de la mesure appropriée à l'attitude de la plaignante et à l'insubordination qu'elle avait manifestée. Selon l'adjum Macnair, l'adjudant-chef Doherty a animé la discussion à propos des diverses options possibles pour corriger cette lacune. Ils ont discuté d'une accusation ou d'un avertissement écrit. L'adjum Macnair se souvient avoir été réticent à l'avertissement écrit parce qu'il n'avait jamais émis d'avertissement verbal à la plaignante pour ce type de conduite et que l'adjudant-chef Doherty l'avait informé d'un incident concernant la plaignante au 407e escadron. L'adjum Macnair a compris, à la fin de la réunion, que l'adjudant-chef Doherty allait analyser les faits sous l'éclairage de cet incident antérieur. Après une semaine ou dix jours, l'adjum Macnair a rencontré l'adjudant-chef Doherty, qui l'a informé que la plaignante avait été mise en garde ou avait fait l'objet de mesures disciplinaires pour un incident survenu au 407e escadron et analogue à l'incident des chaussures. L'adjum Macnair a alors préparé l'avertissement écrit.

    224. Dans la réponse de l'adjum Macnair à la commission d'enquête, lorsqu'on lui a demandé s'il était au courant que la plaignante aurait eu par le passé le même comportement que devant le comité consultatif des femmes, il a mentionné la seule occasion dont il disait se souvenir, c'est-à-dire au moment où l'adjum Bélanger s'en est pris à la plaignante pour avoir interpellé un sous-officier supérieur par son prénom. L'incident Bélanger n'avait pas été abordé ou pris en compte par l'adjum Macnair ou par l'adjudant-chef Doherty, au moment où ils ont examiné les avertissements verbaux précédant l'avertissement écrit.

    225. Au premier contre-interrogatoire sur l'incident Bélanger, l'adjum Macnair a dit avoir des doutes sur l'existence d'un avertissement verbal adressé à la plaignante dans ces circonstances. Voici un extrait de sa réponse [Transcription, volume 19, page 3091, ligne 8] :

    [Traduction]

    R. Je ne savais pas s'il lui avait servi un avertissement verbal. Tout comme le doute que j'avais à propos de l'avertissement verbal, je n'en avais jamais servi au caporal Franke à propos de l'infraction dont nous parlons.

    Oui, je me souviens, je crois que j'ai considéré que la conversation de l'adjum Bélanger avec le caporal Franke était du même ordre, qu'elle avait manifesté la même lacune. Elle avait interpellé un sous-officier supérieur par son prénom, contrairement à la conduite que nous attendons normalement de nos soldats.

    (Je souligne.)

    226. Interrogé plus à fond, il a nié tout doute de sa part à propos de l'insuffisance de l'incident Bélanger. Voici un extrait de son témoignage :

    [Traduction]

    Q. À votre esprit, ce n'était pas suffisant et c'est pourquoi il a fallu quand même s'adresser au chef de la base, parce que --

    R. Non, j'aurais -- cela pourrait avoir été suffisant et l'était probablement. Je voulais étudier toutes les possibilités. Je crois que je me suis adressé au chef de la base après la rencontre initiale avec le sergent Caron et lui-même et son conseil de passer le voir ou peut-être quelques mots à cette fin -- et c'est pourquoi je suis certain qu'il a fait des recherches sur ce problème.

    Q. D'après ce que je sais de l'incident concernant l'adjum Bélanger, n'aviez-vous pas l'impression qu'un avertissement était insuffisant comme avertissement verbal avant l'avertissement écrit, est-ce exact?

    R. Non, c'est inexact. Il ne fait pas de doute qu'il lui a servi un avertissement verbal en tant qu'avertissement verbal. L'avertissement verbal peut être simplement de dire de cesser tel comportement ou de discuter pendant trois heures.

    (Je souligne.)

    (Transcription, volume 19, page 3091, ligne 19, à 3092, ligne 11)

    227. L'adjum Macnair a témoigné que selon lui, l'altercation entre l'adjum Bélanger et la plaignante, pour avoir interpellé un sous-officier supérieur par son prénom, manifeste le même type de lacune qu'ultérieurement avec les membres du comité consultatif des femmes et n'est pas une conduite à laquelle on s'attendrait normalement d'un soldat. Interrogé par le tribunal à propos de l'incident Bélanger, il a témoigné que l'incident aurait pu être et était probablement suffisant comme avertissement verbal, mais qu'il voulait tenir compte de toutes les possibilités.

    228. Il a affirmé avoir analysé le projet d'avertissement écrit avec l'adjudant-chef (Base) Doherty et le major Couture. La seule participation du lieutenant Vedova à l'avertissement écrit était, selon le témoignage de celle-ci, qu'elle a été évaluée après coup. Elle a expliqué que le problème n'était plus de son ressort et qu'elle n'avait rien à dire dans ce qui arriverait à la plaignante.

    229. Le rôle de l'adjudant-chef Doherty dans la délivrance de l'avertissement écrit n'était pas inhabituel. Selon le major Couture, tout type de mesure administrative, administrative grave ou disciplinaire touchant un militaire subalterne supposait la consultation du chef de la base. L'adjum Macnair n'a pu affirmé s'il communiquait toujours avec le chef de la base dans le traitement normal de ces questions. Habituellement, dans le cas d'un avertissement écrit, selon lui, il demanderait l'opinion du surveillant immédiat du militaire, mais dans son témoignage, il ne savait pas avec certitude s'il avait porté l'affaire à l'attention du lieutenant Vedova. Toutefois, il a eu recours au major Couture, qui a pris la décision finale d'établir un avertissement écrit.

    230. Même si l'avertissement écrit est une mesure administrative, plutôt que disciplinaire, l'adjum Macnair a affirmé que pendant son affectation à la BFC de Comox, à titre de chef de discipline de l'unité, il a toujours émis des avertissements écrits, plutôt que de recourir à la voie administrative dans la chaîne de commandement. Dans la même veine, la commission d'enquête a demandé à l'adjum Macnair pourquoi sa signature, et non celle du lieutenant Vedova, figurait sur l'avertissement écrit. Voici sa réponse, à la question 24 :

    [Traduction]

    Q24 Le lieutenant Vedova était-elle présente ou absente?

    R24 Je le répète, je l'ai fait de mon propre chef en tant que responsable de la discipline. Même si c'est une procédure administrative et non disciplinaire. Je m'occupais surtout de discipline. J'ai été mêlé à l'affaire dès le départ par l'adjudant de la base et il me semblait simplement logique de signer. En y réfléchissant, peut-être n'aurais-je pas dû le faire.

    (Pièce R-14, page 11)

    231. Contrairement à son témoignage devant le tribunal, il a déclaré devant la commission d'enquête qu'il a discuté de l'avertissement écrit avec le lieutenant Vedova et le major Couture et croyait en avoir débattu au stade du brouillon.

    232. Après avoir reçu l'avertissement écrit le 26 novembre 1991, la plaignante a témoigné avoir formulé un certain nombre de demandes de renseignements, car elle avait peur que l'objectif réel de l'adjum Macnair soit de la faire renvoyer. Elle a communiqué avec le Bureau de l'Ombudsman de la Colombie-Britannique, le WCB, le député local et le centre de ressources des femmes pour se renseigner sur les moyens qu'elle pourrait utiliser pour sauver sa carrière. Elle a également pris rendez-vous avec un travailleur social de la base, le capitaine Doyle, pour savoir ce qu'elle pourrait faire.

    G. ÉVÈNEMENTS SUBSÉQUENTS À L'AVERTISSEMENT ÉCRIT

    233. La Commission allègue qu' à partir de ce moment, et malgré qu'il y ait ou non une preuve prima facie de harcèlement sexuel établie, que les actions subséquentes de l'intimée sont discriminatoires. D'après la Commission, ces actions discriminatoires comprennent, sans que cela soit limitatif, les communications de l'intimée et sa correspondance avec la plaignante, à la suite du premier grief de redressement de celle-ci à l'égard de l'avertissement écrit, sa plainte à l'intimée en matière de harcèlement et son grief de réparation subséquent. La Commission allègue en outre que les actions sont discriminatoires et constituent un traitement adverse injustifiable pour la plaignante.

    234. L'intimée prétend, par ailleurs, que l'avertissement écrit lui a été signifié parce qu'elle est allée trop loin avec deux officiers supérieurs de sexe féminin et affirme en outre que les mesures qu'elle a prises après avoir reçu l'avertissement écrit, y compris sa plainte de harcèlement sexuel et tous les griefs de réparation étaient une réplique à une mesure disciplinaire raisonable équitable imposée pour son insubordination.

    (i) Grief de réparation pour l'avertissement écrit

    235. La plaignante se souvient qu'après avoir reçu l'avertissement écrit, elle a demandé au lieutenant Vedova de lui préciser s'il provenait de la base ou de la section. Puisque l'avertissement écrit portait la signature de l'adjum Macnair, elle a compris d'après la réponse du lieutenant Vedova qu'il émanait de la section. La plaignante se demandait pourquoi elle n'avait pas reçu auparavant d'avertissement verbal. Selon son témoignage, elle aurait dit au lieutenant Vedova qu'elle n'acceptait pas l'avertissement écrit et demanderait réparation et la réponse qu'elle a reçue de celle-ci était : C'est votre choix, allez-y. La plaignante a conclu que sa discussion avec le lieutenant Vedova constituait la première étape prescrite aux Ordres et règlements (article 19.26) pour lever un grief de réparation.

    236. Après avoir téléphoné à divers endroits pour se renseigner, la plaignante a communiqué avec plusieurs militaires de la base. Elle n'était pas satisfaite de la réponse du capitaine Doyle, le travailleur social, qui, selon son témoignage, lui a dit qu'elle aurait de la veine si l'avertissement écrit était rescindé et qu'elle ne devrait pas maintenir sa plainte de harcèlement sexuel. Elle a communiqué avec deux autres personnes qui ont témoigné devant le tribunal : le major Kimberley Cameron et le caporal-chef Paul Lagacé. La plaignante avait été adressée au major Cameron par le lieutenant Attelov.

    237. Nous ne disposons pas de date précise concernant la rencontre de la plaignante avec le major Cameron. Celle-ci a été affecté à la base de Comox de 1992 à 1994 et y était contrôleur au bureau des finances. La plaignante a affirmé qu'elle s'attendait que le major Cameron, une femme, comprenne les questions de harcèlement sexuel.

    238. La plaignante a dit avoir informé le major Cameron qu'elle souhaitait réparation de l'avertissement écrit parce qu'à son avis, c'était des représailles directes pour n'avoir pas accepté les actions de l'adjum Macnair, les insinuations de nature sexuelle et les connotations constantes associées à ces actions, de même que les observations que lui avait faites le major Couture.

    239. Les souvenirs du major Cameron à propos de ses discussions avec la plaignante étaient différents. Elle a précisé que la réunion avait duré environ 30 à 45 minutes et que durant l'entrevue, la plaignante avait raconté l'incident des chaussures, son inquiétude de ne pas obtenir le RAP qu'on lui avait promis et la réception d'un avertissement écrit sans avertissement verbal préalable. D'après les faits, la plaignante n'a reçu son RAP que le 20 janvier 1992. Par conséquent, si elle a soulevé la question devant le major Cameron, leur rencontre a eu lieu après cette date.

    240. Dans l'ensemble, le major Cameron a mentionné que son entrevue avec la plaignante était décousue et marquée par la confusion, parce qu'il y avait été question de trois points différents. Le major Cameron n'a pas saisi que la plainte était de nature sexuelle. Le major Cameron se souvenait que la plaignante avait demandé son aide pour rédiger un grief de réparation à l'égard de l'avertissement écrit. Le major Cameron a mentionné qu'elle ne croyait pas la plainte valide même si, au départ, elle était disposée à participer à la rédaction d'une demande de règlement de grief pour la plaignante.

    241. La plaignante a interrogé le major Cameron, lui disant qu'à son avis il existait deux normes, au comité consultatif des femmes, l'une pour les officiers féminins et l'autre pour les sous-officiers féminins. Selon le major Cameron, tel n'était pas le cas. Le comité consultatif des femmes s'occupait des militaires féminins non gradés et, comme l'expliquait le major, dans le cas d'un officier, la plainte était directement transmise au superviseur de l'officier.

    242. Le major Cameron avait compris que la plaignante ne pouvait obtenir d'autorisation médicale de porter des chaussures non réglementaires pour son problème de dos. Elle a mentionné avoir conseillé à la plaignante de porter des chaussures réglementaires ou de retourner aux souliers lacés. Enfin, le major Cameron se souvenait avoir dit à la plaignante que certaines circonstances justifiaient un avertissement écrit sans qu'il ait été nécessaire d'émettre un avertissement verbal préalable.

    243. À la fin de la rencontre, le major Cameron n'a pu confirmer si elle apporterait son aide à la plaignante mais elle l'a informée plus tard de son association avec le major Couture, ce qui donnait lieu à un conflit d'intérêt. À ce propos, le major Cameron estimait qu'elle ne pouvait aider la plaignante.

    244. Le major Cameron n'a pas eu d'autre contact direct avec la plaignante. Lorsque l'affaire de la plaignante a pris la voie hiérarchique à la base, le major Cameron a informé le commandant de la base, le colonel McGee, de sa rencontre initiale avec la plaignante. Le major Cameron a été par la suite interviewée par la commission d'enquête et a déclaré que, pour sa part, c'était une plainte très dérisoire. Interrogée à propos de sa déclaration, devant le tribunal, le major Cameron a témoigné que la plainte n'était pas sérieuse selon elle.

    245. La plaignante a ensuite rencontré le caporal-chef Paul Lagacé. M. Lagacé a été dans les FAC de 1974 à 1994.

    246. La plaignante savait que le caporal-chef Lagacé avait déposé devant la CCDP une plainte de discrimination à l'endroit de l'intimée. Le caporal-chef Lagacé a rencontré la plaignante trois fois, la première rencontre a un lieu à la de fin novembre 1991. À cette première rencontre, la plaignante, d'après le caporal-chef Lagacé, lui aurait mentionné son inconfort à propos de son milieu travail depuis un certain temps, et lui aurait parlé des observations qu'elle jugeait offensantes et de ses vaines tentatives pour se défendre. Elle lui a dit que ces faits lui posaient de graves problèmes dans sa vie personnelle et professionnelle et elle voulait savoir comment y faire face.

    247. Le caporal-chef Lagacé a proposé à la plaignante de préciser par écrit ses sentiments, de faire la distinction entre les émotions et les faits et de résumer les faits par ordre chronologique pour vérifier s'il y avait une constante. Il lui a également dit que la meilleure stratégie était de déposer une demande de règlement de grief et que si elle optait pour cette solution, il pouvait la conseiller. Il a également témoigné que d'après sa propre expérience, elle pouvait s'attendre à une certaine résistance des diverses autorités.

    248. Une semaine plus tard, la plaignante communiquait à nouveau avec le caporal-chef Lagacé. Ils se sont rencontrés chez lui. Après avoir examiné la chronologie rédigée par la plaignante et avoir entendu ses préoccupations, le caporal-chef Lagacé a défini les points, informant la plaignante qu'elle pouvait déposer une demande de règlement de grief en réparation pour l'avertissement écrit et faire entendre ses préoccupations en matière de harcèlement par la procédure des plaintes concernant les droits de la personne. À ce propos, il lui a conseillé de loger une plainte concernant le harcèlement et l'avertissement écrit en tant que représailles de l'intimée.

    249. Devant le tribunal, le caporal-chef Lagacé a affirmé que d'après lui, à l'époque, il n'y avait aucune politique militaire sur le harcèlement et, pour cette raison, il a proposé à la plaignante de s'adresser à la CCDP. D'après les preuves écrites, cette politique existait et, lorsque l'avocat de l'intimée en a montré un exemplaire au caporal-chef Lagacé, ce dernier a expliqué que, pour sa part, même si la procédure existait, elle ne fonctionnait pas. À son avis, la procédure de règlement des griefs et celle sur le harcèlement sont très analogues par les étapes, l'approche, les personnes auxquelles s'adresser, etc.

    250. Il se souvient avoir montré à la plaignante un exemplaire de la procédure de règlement des griefs et lui avoir expliqué les diverses étapes et la façon de présenter son grief. À la fin de leur deuxième rencontre, selon lui, la plaignante était très abattue et très déprimée.

    251. Son dernier contact avec la plaignante s'est produit quelques semaines plus tard, lorsqu'ils se sont vus par hasard au gymnase de la base. La plaignante lui a mentionné qu'elle avait décidé d'opter pour la procédure des plaintes et du règlement des griefs, à l'égard de l'avertissement écrit. L'intervention suivante du caporal-chef Lagacé a été son interview chez le major Bottomley, au cours de l'enquête sommaire.

    252. La plaignante a témoigné qu'elle avait d'abord jumelé sa plainte de harcèlement sexuel et l'avertissement écrit dans sa première version de la demande de règlement d'un grief, car elle estimait que l'avertissement écrit était des représailles à sa réaction au harcèlement sexuel, mais sur les conseils du caporal-chef Lagacé, elle a pris les deux questions séparément. Voilà pourquoi elle a écrit deux lettres, la première, pour le règlement d'un grief à l'égard de l'avertissement écrit et signifiée à l'intimée le 9 décembre 1991, et la deuxième, du 11 du même mois, adressée à la CCDP et donnant les grandes lignes de sa plainte pour harcèlement sexuel.

    253. Sa demande de règlement de grief à l'égard de l'avertissement écrit a été adressée au lieutenant-colonel King. Celui-ci n'a pas témoigné devant le tribunal. Le 16 janvier 1992, la plaignante a reçu du lieutenant-colonel King une réponse écrite, où il n'est question que de son comportement inacceptable devant les membres du comité de la tenue vestimentaire de la base, mais où il mentionnait un nouveau point : l'irrespect manifeste de la plaignante à l'égard de l'adjum Macnair, lorsqu'il lui a parlé avant de lui remettre l'avertissement écrit. D'après les termes employés par le lieutenant-colonel King, il n'est pas clair si sa mention de l'irrespect de la plaignante à l'égard de l'adjum Macnair visait spécifiquement l'incident des chaussures ou d'autres cas. Le lieutenant-colonel King précise en outre que l'avertissement écrit était de mise, puisque la plaignante n'avait pas obtempéré à l'avertissement verbal antérieur de l'adjum Bélanger. C'était la première fois que l'incident Bélanger était soulevé par l'intimée. Voici un extrait de sa réponse :

    [Traduction]

    C. ...L'avertissement écrit était certainement approprié aux circonstances, puisque vous n'avez pas obtempéré à l'avertissement verbal antérieur de l'adjum Bélanger, et compte tenu de la gravité de cette infraction. En fait, si on m'avait consulté, j'aurais ordonné qu'on porte également à votre endroit une accusation.

    3. Par conséquent, je suis pleinement d'accord avec la décision de vous servir un avertissement écrit et je vous informe que tout incident futur de nature analogue entraînera certainement des accusations officielles et une mise en garde et probation. Vous n'ignorez pas que l'avertissement écrit demeurera à votre dossier, laissant ainsi ultérieurement les mêmes options aux autres commandants. Il serait donc sage que, immédiatement et de façon permanente, vous modifiiez votre attitude et votre comportement dans vos rapports avec vos supérieurs.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 9, document 9.2)

    254. Personne n'a pu expliquer comment le lieutenant-colonel King a pu arriver à la conclusion de rejeter le grief. Les seules preuves dont dispose le Tribunal à propos des enquêtes du lieutenant-colonel King ont été déposées ultérieurement par le colonel McGee, qui se situe au palier suivant de la hiérarchie et auquel la plaignante a alors transmis son grief.

    255. D'après le témoignage de la plaignante, la mention de l'incident Bélanger par le lieutenant-colonel King était la première fois qu'on lui parlait de l'existence d'un avertissement verbal antérieur. Se fondant sur ses communications antérieures avec l'adjum Macnair et le lieutenant Vedova, après l'incident, la plaignante a affirmé qu'elle croyait devoir ignorer cet incident et n'en pas tenir compte.

    256. Estimant insatisfaisante la réponse du lieutenant-colonel King, cinq jours plus tard, soit le 22 janvier 1992, la plaignante a transmis la demande de règlement de grief au commandant de la base, le colonel McGee, en sollicitant l'aide d'un officier. Elle a répondu aux points soulevés par le lieutenant-colonel King, y compris son interprétation de l'incident Bélanger. N'ayant pas reçu de réponse dans le délai de 14 jours prévu à la procédure de règlement des griefs, la plaignante a fait tenir une note de service au colonel McGee, le 12 février 1992, pour lui demander de répondre.

    257. Au tribunal, la plaignante a affirmé que la BFC de Comox avait mis en place des mesures de sécurité concernant le traitement des demandes de règlement des griefs et des enquêtes de harcèlement, ainsi que sur la distribution et la diffusion de la documentation concernant le traitement de ces questions. Dans ses notes de service du 22 janvier et du 12 février, la plaignante se disait préoccupée à propos d'une apparence d'infraction à la confidentialité de la part du sergent Caron et du major Couture, dans le traitement des documents de sa demande de règlement de grief.

    258. Le tribunal a entendu le témoignage du colonel McGee. Celui-ci est entré dans la Marine royale canadienne en 1958 et a été affecté à la BFC de Comox en tant que commandant de la base pendant trois ans, soit d'août 1989 au 2 août 1992. À son départ de la BFC de Comox, il a fait un bref séjour de trois mois au QGDN, avant de quitter le service. D'après ses explications, à titre de commandant de la base, ses fonctions étaient davantage administratives qu'opérationnelles. Le colonel McGee était responsable d'environ 2 000 personnes, civils et militaires, relevant de son commandement. L'OST(B), qui était le lieutenant-colonel King, ainsi que l'officier de l'administration de la base (O Adm B), relevaient directement de lui.

    259. Le colonel McGee a témoigné que, compte tenu des dix années de service de la plaignante, il estimait que les arguments invoqués par celle-ci en réfutation étaient touffus et pas vraiment nécessaires compte tenu du niveau des activités en question. Selon lui, il s'agissait d'activités relativement mineures et il ne pouvait pas comprendre pour quelle raison la plaignante s'insurgeait presqu'à tout coup, adoptait une attitude de défi et devenait antagoniste.

    260. Dans son témoignage, le colonel McGee a reconnu avoir rejeté le grief concernant l'avertissement écrit parce que, selon lui, il était clair que la plaignante ne voulait pas entendre raison, qu'elle était antagoniste et que son dossier contenait certains antécédents. Il croyait que la discussion relativement de routine entre la plaignante et les membres du comité de la tenue vestimentaire était une répétition de ce qui s'était produit au 407e escadron. Cette conclusion lui est venue de l'analyse de la documentation. Le colonel McGee a témoigné qu'il n'avait pas pris part directement à l'enquête, se fiant plutôt à ses officiers. La plaignante n'a été interviewée à aucune étape du processus.

    261. En ce qui a trait aux demandes de renseignements de la plaignante à propos des infractions à la confidentialité concernant ses documents de grief, le colonel McGee a reçu l'aide d'un officier enquêteur, le major MacKay. Selon le colonel McGee, le major MacKay a découvert dans son enquête que le major Couture avait, par inadvertance, laissé les documents du grief sur un photocopieur pendant une brève période, mais que cela n'a pas été préjudiciable à la plaignante. Le colonel McGee a témoigné qu'il avait personnellement discuté avec le sergent Caron et n'avait trouvé aucune preuve d'infraction de sa part à la confidentialité.

    262. Le colonel McGee, dans sa réponse du 21 février 1992 à la plaignante, mentionne l'incident Bélanger et les discussions consécutives de la plaignante avec l'adjum Macnair et le lieutenant Vedova à propos de cet incident, qui faisaient ressortir les lacunes de la plaignante, et ne constituaient pas moins que des avertissements verbaux officiels et non moins valides, auxquels elle a refusé d'obtempérer. Il mentionne également un avertissement verbal servi à la plaignante au 407e escadron, tirant la conclusion que les actions de celle-ci devant le comité consultatif des femmes étaient par elles-mêmes suffisantes pour justifier l'avertissement écrit, sans qu'il ait été nécessaire de servir au préalable un avertissement verbal.

    263. Au paragraphe suivant, il écrit ceci :

    [Traduction]

    10. Au cours de l'enquête sur les circonstances entourant votre avertissement écrit, j'ai été déçu de votre réticence à accepter les critiques et les conseils constructifs, tandis que votre rendement et la qualité ou la quantité de votre travail ne satisfont pas aux normes. J'ai été également choqué de la tolérance de vos superviseurs à l'égard de votre comportement, de votre tenue et de votre autodiscipline que j'estime aberrants. Pour autant que je sache, votre RAP ne rend pas compte de ce comportement non militaire. Je vais veiller à ce que vos superviseurs vous surveillent désormais suffisamment pour vous motiver à devenir le caporal que vous pouvez être. En dernière analyse, votre désir d'excellence à titre de personne ne relève que de vous. Toutefois, je ne permettrai pas à mes superviseurs de continuer à tolérer un comportement belliqueux, insubordonné ou inacceptable de toute autre façon.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 11, document 11.4, par. 10)

    264. Témoignant devant le tribunal, le colonel McGee ne pouvait se souvenir de ses sources d'information concernant la tenue vestimentaire et le comportement de la plaignante, de même que de l'avertissement verbal au 407e escadron. D'après les faits, avant les lettres du 21 février 1992 du colonel McGee, le major Bottomley avait déposé son rapport d'enquête sommaire. Elle avait joint à son rapport copie des déclarations signées de toutes les personnes interviewées, dont certaines ont formulé des observations sur la tenue et l'apparence de la plaignante. Figuraient également en annexe du rapport des reproductions de deux entrevues avec la plaignante et une copie d'un avertissement verbal du 30 septembre 1989, signé par l'officier marinier Pistun. D'après les réponses du colonel McGee en contre-interrogatoire, il est raisonnable de conclure que celui-ci disposait du rapport du major Bottomley et qu'il y a puisé ses renseignements sur la tenue vestimentaire de la plaignante et l'avertissement verbal servi par l'officier marinier Pistun.

    265. Le 26 février 1992, la plaignante avait demandé au colonel McGee de transmettre au prochain palier sa demande de règlement de grief à l'égard de l'avertissement écrit. Elle voulait que le grief soit avancé au troisième palier, soit au Commandement aérien. Le 3 mars 1992, le colonel McGee écrivait à la plaignante qu'il n'avait pas transmis au Commandement aérien la demande de règlement de grief à l'égard de l'avertissement écrit, en raison d'une combinaison de facteurs liés ou indépendants. (HR-1, onglet 15, document 15.2) Il se reportait par là au fait que la plaignante avait soulevé des doutes concernant le traitement des documents de grief et une infraction apparente à la sécurité par l'intimée.

    266. Le 18 mars 1992, la plaignante présentait à nouveau au colonel McGee sa demande de règlement de grief concernant l'avertissement écrit, mentionnant très brièvement qu'elle ne croyait pas avoir reçu d'avertissement verbal préalable et qu'elle pensait que la demande de règlement avait été traitée de façon préjudiciable et non équitable. Après cette demande, le 23 mars 1992, le colonel McGee a transmis au Commandement aérien la demande de règlement de grief déposée par la plaignante. Dans sa correspondance, il mentionne l'autre demande de règlement de grief (en cours) déposée par la plaignante et relative à sa note RAP et à la plainte de harcèlement sexuel.

    (ii) Enquête sommaire et demande de règlement de grief pour la plainte de harcèlement/d'abus de pouvoir

    267. La plaignante a communiqué officiellement à l'intimée ses préoccupations en matière de harcèlement le 16 décembre 1991, en expédiant une note de service à l'officier des services techniques (Base), le lieutenant-colonel King. Elle voulait qu'il mette fin aux représailles dont elle estimait faire l'objet. Elle avait intitulé sa note de service [Traduction] Harcèlement et abus de pouvoir. Elle expliquait que l'abus de pouvoir devait s'entendre du constant abus de pouvoir de l'adjum Macnair à son égard. Elle a témoigné être incapable d'écrire harcèlement sexuel dans ce document, parce qu'elle en craignait les répercussions.

    268. Le 16 décembre 1991, la plaignante remettait sa note de service sur le harcèlement sexuel et l'abus de pouvoir au lieutenant Vedova. Le major Couture était alors absent et le lieutenant Vedova était par intérim l'officier des transports (Base). Elle a transmis la note de service au quartier général de la base. Ultérieurement, elle a mandé la plaignante au bureau du major Couture pour lui transmettre un message du lieutenant-colonel King. Pour l'essentiel, le message était que si la plaignante n'avait pas déjà communiqué avec la CCDP, elle devait réviser ses actions sinon, elle risquait de faire l'objet de mesures disciplinaires. La plaignante a informé le lieutenant Vedova qu'elle avait déjà communiqué avec la CCDP.

    269. Le même après-midi, la plaignante recevait un appel téléphonique du major Bottomley, qui l'informait que l'on amorçait une enquête sommaire sur sa plainte de harcèlement. À titre d'officier enquêteur, le major Bottomley a pris rendez-vous avec la plaignante le même après-midi. La plaignante a témoigné avoir dit au major Bottomley son inquiétude et sa réticence à la rencontrer. La plaignante a affirmé que le major Bottomley lui a dit qu'elles devaient se rencontrer ou qu'il n'y aurait pas d'enquête.

    270. Avant que la plaignante ne rencontre le major Bottomley, le lieutenant Vedova lui a demandé de se rendre au bureau du lieutenant-colonel King. Elle a rencontré ce dernier accompagnée du lieutenant Vedova. D'après le témoignage de la plaignante, le lieutenant-colonel King lui a dit qu'il avait fait erreur en lui disant que des mesures disciplinaires seraient prises à son endroit pour avoir communiqué avec la CCDP. Selon la plaignante, le lieutenant-colonel King lui a appris qu'il avait obtenu des éclaircissements de l'assistant du juge-avocat général (AJAG). Toutefois, la plaignante a affirmé que le lieutenant-colonel King lui avait alors fait part de ses opinions personnelles : elle ne devrait communiquer avec aucune source extérieure, mais laisser plutôt les FAC régler le problème. Le plaignante a affirmé que la communication du lieutenant-colonel King, le 16 décembre 1991, n'a pas dissipé ses craintes.

    271. À ses dires, la plaignante aurait rencontré le major Bottomley le 17 décembre 1991. Elle se souvient lui avoir parlé de ce qui s'était produit les premiers jours de son arrivée au Bureau des transports (Base), ses craintes, son impression d'être piégée et intimidée, ajoutant qu'elle n'acceptait plus ce comportement, après l'incident de la carte postale. À ses souvenirs, le major Bottomley lui demandé si son supérieur, l'adjum Macnair, lui avait expressément demandé de sortir avec elle. Cette question a ennuyé la plaignante. Elle était d'avis que le major Bottomley saisissait mal sa plainte. La plaignante a dit au major Bottomley que le problème ne portait pas sur les sorties, mais sur les autres agissements de l'adjum Macnair.

    272. Sa rencontre suivante avec le major Bottomley a eu lieu le 23 décembre 1991, parce que la plaignante avait reçu des appels anonymes en pleine nuit. Il s'agit d'appels reçus les 15 et 18 décembre et d'un troisième le 21 du même mois. À ces occasions, la plaignante prenait l'appel, mais il n'y avait pas de réponse. Elle a été bouleversée par ces appels.

    273. Le major Bottomley a recommandé à la plaignante de déposer un rapport à la police militaire, ce qu'elle fit. Après le dépôt de ce rapport, la plaignante a témoigné s'être assise à son bureau et avoir pleuré. Elle voulait voir le médecin de la base et le major Couture lui a dit qu'il allait lui prendre un rendez-vous.

    274. Elle a d'abord vu le Dr Jacques, médecin de la base, à propos de ces appels le 19 décembre 1991. Il lui a prescrit un médicament, de l'Ativan, tout en remarquant son stress et son manque de sommeil. Selon les notes prises par le Dr Jacques le 23 décembre 1991, il a revu la plaignante et lui a suggéré de prendre congé pour le reste de la journée et de déposer un rapport à la GRC à propos des appels téléphoniques. Il est écrit au dossier médical tension +++!, l'insomnie de la plaignante et les appels en pleine nuit (HR-7, onglet 9, page 49). La plaignante a témoigné avoir informé le Dr Jacques du harcèlement sexuel qu'elle subissait et lui a dit qu'elle pensait que l'avertissement écrit était des représailles de la part des militaires masculins qui l'avaient harcelée sexuellement. Selon la plaignante, le Dr Jacques aurait répondu :

    [Traduction]

    Songez à ce par quoi passent ces pauvres gars. Cette réponse a encore perturbé davantage la plaignante.

    275. Vers la fin de janvier 1992, la plaignante, à la demande du major Bottomley, a été appelée à signer la déclaration descriptive de ses entrevues. D'après son témoignage, elle était réticente à signer la déclaration. Elle estimait que certaines des réponses ne reflétaient pas ce qu'elle avait répondu au major Bottomley. Elle a demandé copie de l'enregistrement de l'entrevue, mais le major Bottomley l'a informée qu'il n'était plus disponible.

    276. Le 27 janvier 1992, le major Bottomley remettait son rapport de l'enquête sommaire au lieutenant-colonel King et n'y trouvait aucun fondement à la plainte de harcèlement de la plaignante. Cette dernière n'a pas reçu d'exemplaire du rapport du major Bottomley. Celle-ci terminait son rapport en écrivant que la plainte était une réaction à l'avertissement écrit. Voici les recommandations du major Bottomley :

    [Traduction]

    a. Le major Couture devrait être mis en garde contre les répercussions de déclarations inappropriées, sans égard à la façon dont il croit qu'une personne pourrait interpréter ses remarques et devrait être prévenu concernant toute infraction future.

    b. Il faudrait informer les surveillants de tous les paliers des questions de droits de la personne et des subtilités du harcèlement.

    c. Le caporal Franke devrait être placée en supervision étroite et directe et, de façon périodique, officiellement mise en garde concernant son rendement, sa conduite et ses réactions aux ordres. Tout écart devrait être consigné et faire l'objet des mesures qui s'imposent.

    (Je souligne.)

    (Pièce R-7, p. 7-8)

    277. Le major Bottomley n'a pu assister à l'audience parce qu'elle était malade. Néanmoins, nous avons pris les dispositions pour que son témoignage soit consigné en l'absence du tribunal, et ce dernier peut donc tirer parti de la transcription. Il est inscrit au début de l'interrogatoire en chef que le major Bottomley a affirmé que ses médicaments et traitements affectaient sa mémoire et qu'elle avait de la difficulté à se remémorer les événements.

    278. Le major Bottomley a dit que lorsqu'elle a commencé son enquête, elle ne connaissait pas pleinement les questions de harcèlement et a complété ses connaissances en lisant la définition dans les manuels militaires et qu'elle est allée en ville chercher des renseignements à ce sujet.

    279. Dans son témoignage, le major Bottomley a dit qu'au départ, elle estimait que la plainte de la plaignante était valide. Elle a interviewé au BT-B les personnes directement concernées par la plainte, ainsi que quelques anciens superviseurs de la plaignante et un ancien collègue du 407e escadron. La perception initiale du major Bottomley concernant la validité de la plainte a commencé à se modifier après l'interview avec le caporal Kelley Eadie. En effet, le caporal Eadie lui a confirmé que la plaignante allait loger une plainte de harcèlement si les choses ne tournaient pas comme elle le voulait. D'autres observations du caporal Eadie ont incité le major Bottomley à fouiller plus à fond la façon dont la plaignante a réagi aux situations, sur les plans social et professionnel. Le major Bottomley a interviewé d'anciens surveillants et des pairs de la plaignante, en plus des officiers et sous-officiers du BT-B.

    280. La déclaration du caporal Eadie au major Bottomley figure au rapport de l'enquête sommaire. Même si le major Bottomley a puisé au témoignage du caporal Eadie, dans deux réponses, cette dernière reconnaît qu'elle ne sait pas ce qui s'est produit, mais qu'elle se fiait plutôt sur ses impressions. Je constate qu'il n'y a aucune date à propos des événements mentionnés par le caporal Eadie. Reportons-nous aux questions et réponses 30 et 41 de la pièce R-7, onglet P, que nous reproduisons ici :

    [Traduction]

    Q30. Vous avez dit précédemment que le caporal Franke voulait depuis longtemps déposer des accusations de harcèlement. Pouvez-vous me dire pourquoi?

    R30. Je ne sais pas ce qui est arrivé, mais l'adjum Macnair devait la punir pour quelque chose dont je ne suis pas au courant; arrivée au haut de l'escalier, j'ai constaté qu'elle n'était pas à son meilleur et lui ai demandé ce qui se passait, ce à quoi elle a répondu qu'elle allait porter des accusations de harcèlement sexuel parce que, disait-elle, il lui regardait le derrière, quelque chose comme cela. Poursuivant, elle m'a demandé si je l'avais vu, etc. Je lui a répondu que je n'avais rien vu. Ensuite, j'ai essayé de la faire changer d'idée. Je lui ai dit, écoute, Kim, tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques. Il vaudrait mieux que tu t'entendes avec les autres, tu sais. Ensuite, elle s'est calmée et tout est revenu à la normale.

    Q41. Et dans l'ensemble, quelle opinion croyez-vous qu'elle avait de l'adjudant-maître?

    R41. Elle avait l'habitude de descendre ici et de s'asseoir dans son bureau pour lui parler de ceci et de cela et passer un bon moment. Elle lui descendait la paperasse, par exemple, afin qu'il n'ait pas à monter. Tout allait bien si elle ne se mettait pas dans les difficultés. Il était gentil à son égard. Tant qu'il était gentil, elle l'était aussi. Mais s'il avait à lui dire quelque chose, elle n'aimait pas. Selon mes souvenirs, il n'y a jamais eu de harcèlement, c'est quelque chose qu'elle s'est attiré. Elle l'a mérité. Habituellement, lorsqu'elle avait des problèmes, je n'étais jamais là pour voir ce qui se passait. Elle me racontait sa version de l'histoire. Par contre, lorsque l'adjuc Macnair s'en est pris à elle, c'était toujours en présence de quelqu'un, par exemple le lieutenant ou quelqu'un d'autre. Lorsqu'il devait s'en prendre à elle, par exemple la réprimander un peu, il le faisait devant le lieutenant. Même lorsqu'il m'a réprimandée, il a toujours veillé à ce quelqu'un soit présent dans la pièce, par exemple mon IMB.

    (Je souligne.)

    (Pièce R-7, onglet P)

    281. Le caporal Kelley Eadie a dit devant le Tribunal que la plaignante avait fait l'objet, de la part de l'adjum Macnair, de critiques pour son comportement, ce qui avait bouleversé celle-ci. D'après le caporal Eadie, à au moins deux occasions, en juin et en août 1991, la plaignante souhaitait déposer des accusations de harcèlement sexuel contre l'adjum Macnair. Le caporal Eadie a mentionné que la plaignante était montée au BT-B, bouleversée par l'adjum Macnair. La plaignante lui a demandé si elle avait vu l'adjum Macnair lui regarder le postérieur, ce à quoi le caporal Eadie a répondu qu'elle n'avait jamais remarqué quoi que ce soit. Le caporal Eadie a ajouté que la plaignante voulait déposer des accusations de harcèlement sexuel et souhaitait que le caporal Eadie soit témoin. Celle-ci lui a répondu qu'elle ne voulait être mêlée à cela et a dit à la plaignante qu'elle aurait intérêt à être plus avisée et à s'entendre avec les gens. D'après ses souvenirs, cette conversation aurait eu lieu vers juin 1991. C'est la seule occasion où le caporal Eadie se souvient que la plaignante ait parlé de harcèlement sexuel. À d'autres occasions, se souvient-elle, elle parlait strictement de harcèlement.

    282. Le caporal Eadie n'a pu donner de détails plus précis sur le comportement de la plaignante ou les incidents entourant les critiques de l'adjum Macnair à cet égard. D'après elle, les accusations de harcèlement sexuel formulées par la plaignante étaient des représailles, une réplique de celle-ci contre ses superviseurs, lorsqu'elle avait des problèmes avec eux. D'après elle, même deux semaines avant la plainte de harcèlement déposée par la plaignante, elle a reçu de celle-ci un appel téléphonique et constaté qu'elle était d'aussi bonne humeur que d'habitude, sans le moindre indice de problème potentiel.

    283. Le major Bottomley était parvenue à la conclusion que la plaignante n'avait pas été offensée par les présumées remarques du major Couture et de l'adjum Macnair et, par conséquent, qu'elle n'avait pas été harcelée. Elle a fondé ses constatations sur les observations de la plaignante faites par diverses personnes interviewées.

    284. À l'interrogatoire en chef, le major Bottomley a témoigné qu'elle ne pensait pas que la plainte était justifiée, faute de preuves indiscutables de l'adjum Macnair concernant quoi que ce soit qui se serait produit, sans compter que la carte postale en question avait disparu. Pour ce qui est de la démonstration musculaire de l'adjum Macnair, il lui a dit qu'il faisait des poids et haltères et qu'il ne visait pas à blesser la plaignante, si l'incident s'était bien produit. En ce qui a trait au commentaire de biker mama du major Couture, le major Bottomley estimait que ce n'était qu'une taquinerie innocente.

    285. À la fin de son rapport, le major Bottomley tirait les trois conclusions que voici :

    [Traduction]

    a. Même si le major Couture a formulé à l'endroit du caporal Franke des observations tout à fait déplacées, il n'y avait aucune intention de harcèlement.

    b. Nous n'avons pas trouvé de preuve de harcèlement de la part de l'adjum Macnair.

    c. La plainte du caporal Franke est une réaction à un avertissement écrit.

    (Pièce R-7, p. 7-8)

    286. Avant ces constatations, le major Bottomley a exprimé son opinion sur la plaignante, qu'elle décrivait ainsi :

    [Traduction]

    Personne affectivement immature, égoïste et potentiellement instable, incapable d'accepter la discipline des Forces canadiennes. (Pièce R-7, p. 7-8)

    287. Le major Bottomley a témoigné devant la commission d'enquête en juillet 1992. On lui a demandé d'expliquer les fondements de ses recommandations selon les OAFC 19-39, soit la politique sur le harcèlement sexuel. La Commission a demandé des précisions à propos d'un article des OAFC 19-39 en vertu duquel les commandants doivent veiller à ce que les militaires ou les civils qui logent une plainte de bonne foi sachent que leur action visant à rendre cette plainte officielle ne peut en aucune façon mettre en péril ou compromettre leur service futur ou leurs perspectives d'emploi. Le major Bottomley estimait que la plainte avait été faite de bonne foi car, à son avis, la plaignante confondait certaines choses. Le major Bottomley a expliqué à la Commission que compte tenu des preuves dont elle disposait, elle devait conclure que la plainte découlait de l'avertissement écrit et, donc, formuler des recommandations sur la suite à donner à ce propos.

    288. Le major Bottomley a fait une autre déclaration à la Commission : la plaignante a commencé à scruter les observations qu'on lui faisait, après qu'elle ait eu reçu un avertissement écrit, et s'en est servi dans sa plainte de harcèlement. Elle a ajouté devant la commission d'enquête que l'avertissement écrit était l'un des indices de l'existence d'un problème chez la plaignante.

    289. Dans le rapport du major Bottomley, on trouve un paragraphe regroupant certains des termes utilisés, par les personnes interviewées par le major, pour décrire la plaignante, notamment :

    [Traduction]

    cherchant son avantage...manipulatrice...belliqueuse...d'esprit rebelle...anticonformiste...différente...bêcheuse...non militaire...sociale...expressive...pétillante...agitée...d'humeur variable...prompte...et pourtant dure...impolie....dérangeante...irrespectueuse...agressive... querelleuse...insubordonnée....argumentatrice...insubordonnée...abuseuse.

    (Pièce R-7, pages 5-8)

    290. Le major Bottomley avait également rédigé un paragraphe sur la langue utilisée par la plaignante à la cantine, ses observations individuelles à propos des choix vestimentaires de la plaignante, ses actions et la façon dont elle se déplaçait. Voici ce paragraphe :

    [Traduction]

    o. Plusieurs personnes ont mentionné que le caporal Franke tenait des propos suggestifs à la cantine, notamment des remarque comme Il me faut un homme. (annexe D, A14); Ça ne m'arrive pas. (annexe D, A14); Il m'en faut. (annexe D, A22); Baiser sur la plage. (annexe F, A5); J'ai vraiment besoin d'un homme. (annexe P, A22). Certains ont également parlé de la tenue du caporal Franke (annexe M, A4 et annexe P, A40). Le lieutenant Vedova a décrit les agissements du caporal Franke comme très suggestifs, qu'elle se déplaçait manifestement de façon provocatrice. Elle a mentionné en avoir parlé au caporal Franke (annexe F, A4).

    (Pièce R-7, pages 5-8)

    291. En contre-interrogatoire, on a demandé au major Bottomley pourquoi elle avait ajouté ces paragraphes à son rapport. Elle a répondu que selon sa définition du harcèlement, il faut qu'une personne soit offensée par des observations et ces paragraphes appuient ses propres conclusions, à savoir que la plaignante ne pouvait avoir été offensée par ce qu'on lui avait dit. Interrogée plus avant, elle n'a pu se souvenir si, dans le cadre de l'enquête, elle s'était intéressée à la langue d'usage à la cantine ou à qui les observations susmentionnées s'adressaient.

    292. Le lieutenant-colonel King a accepté les constatations du major Bottomley. Dans une note de service du 17 février 1992, il a communiqué sa réponse à la plaignante. Il l'informait que le major Bottomley concluait qu'il n'y avait pas eu de harcèlement, ni personnel ni sexuel, et que sa plainte était une réaction à l'avertissement écrit. Il ajoutait qu'il acceptait les recommandations du major Bottomley voulant que la plaignante soit placée sous surveillance directe et étroite, mise en garde concernant son rendement et sa conduite ainsi que ses réponses aux ordres, et ce, sur une base régulière. Au dernier paragraphe, il précisait :

    [Traduction]

    4. (PB) En bref, je suis très déçu que vous ayez décidé de loger une plainte de harcèlement pour essayer de contrer les mesures administratives appropriées mises en oeuvre pour vous corriger de votre attitude et de votre conduite inacceptables à l'égard de vos supérieurs. Je vous invite donc fortement à accepter la validité de votre avertissement écrit et à prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour combler vos lacunes personnelles dans ces domaines.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 9, document 9.3)

    293. Après avoir reçu la réponse du lieutenant-colonel King concernant sa plainte de harcèlement, la plaignante a présenté une demande de règlement de grief où elle sollicitait, notamment, une nouvelle enquête. C'était sa deuxième demande de règlement de grief. Le 20 février 1992, elle en présentait une à propos de l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement au lieutenant-colonel King. Dans cette note, elle mentionnait un incident au magasin de vêtements comme exemple du harcèlement constant subi de la part de l'intimée. Cet incident est le résultat de renseignements reçus par la plaignante de son amie à la base, le caporal Mona Legault, qui travaillait au magasin de vêtements.

    294. Au cours de ses pauses, la plaignante se rendait parfois au magasin de vêtements pour se confier au caporal Legault. Cette dernière a témoigné être au courant d'une réunion tenue en son absence où d'autres employés du magasin de vêtements ont été invités à prendre note de toutes les visites que le caporal Legault recevait de son mari et de la plaignante. Le caporal Legault a informé la plaignante de la réunion.

    295. Dans sa réponse à la demande de règlement de grief de la plaignante concernant l'enquête sommaire/plainte de harcèlement, le 6 mars 1992, le lieutenant-colonel King a mentionné l'incident du magasin de vêtements. Dans sa demande initiale, la plaignante a émis des doutes concernant l'intégrité des déclarations qu'elle a signées à la demande du major Bottomley. Dans sa réponse, le lieutenant-colonel King lui a confirmé l'exactitude et l'intégrité de la transcription, tout en faisant ressortir la latitude accordée et la patience manifestée par le major Bottomley pendant l'enquête sommaire. Il fait mention de l'incident du magasin de vêtements et nie avoir orchestré une campagne constante de harcèlement à son endroit. Il l'informe que l'ordre de l'adjudant Cochrane à son personnel du magasin de vêtements concernant les visites au caporal Legault était de nature générale et visait toute socialisation au magasin de vêtements.

    296. Ce dernier renseignement ne concorde pas avec les constatations du major MacKay, qui a dirigé l'enquête sommaire sur l'incident du magasin de vêtements. Je constate toutefois que le lieutenant-colonel King a rédigé sa réponse avant le rapport du major MacKay, qui est du 15 avril 1992.

    297. Le colonel McGee affirme avoir ordonné au major MacKay d'effectuer une enquête sommaire sur l'autre allégation de harcèlement de la plaignante à la suite de l'incident du magasin de vêtements. La plaignante avait en outre mentionné que la sécurité des documents de son grief avait été enfreinte par le major Couture et le colonel McGee a ordonné au major MacKay de faire enquête sur ces deux faits.

    298. D'après les preuves déposées, il appert que, dans le rapport du 15 avril 1992 du major MacKay au colonel McGee, la plaignante et le mari du caporal Legault avaient été sélectionnés lors d'une réunion tenue le 13 février 1992 et à laquelle l'adjudant Cochrane, superviseur du caporal Legault, avait ordonné au personnel du magasin de vêtements de signaler les visites reçues par le caporal Legault. On trouve au rapport du major MacKay une interview avec l'adjudant Cochrane, superviseur du caporal Legault. Dans la déclaration de l'adjudant Cochrane, tirée de l'enquête, on confirme l'impression que la plaignante avait été sélectionnée :

    [Traduction]

    Q. A-t-on ordonné au personnel du magasin de vêtements de la base d'exercer une surveillance sur le caporal Franke et le caporal Couture, s'ils se trouvaient dans le secteur, précisément s'ils allaient voir le caporal Legault?

    R. Les conséquences viennent de cela, Monsieur. Le caporal Legault éprouvait des problèmes au travail... sur le plan administratif, son travail était un peu moins que suffisant. Elle passait notamment trop de temps à socialiser et les deux personnes que vous venez de nommer étaient les principales visées à titre d'interférence à son travail. Elle travaillait dans un secteur où ces personnes n'avaient pas d'affaire et, par conséquent, cela nuisait au fonctionnement du service et c'est pourquoi l'ordre a été donné. Il ne s'agissait ni de minimiser, ni de reprocher, ou quoi que ce soit, il s'agissait de régler un problème professionnel du caporal Legault et c'est pourquoi j'ai donné cet ordre.

    Q. Ainsi, cela n'avait rien à voir avec le caporal Franke ou le caporal Couture?

    R. Rien du tout sous quelque rapport. Ces personnes étaient les bienvenues par affaires, car c'est un lieu d'affaires ouvert au public en tout temps. Par contre, en raison du problème que j'avais avec cette personne et de son lieu de travail, elles n'avaient pas affaire à cet endroit et n'avaient aucune raison valide de s'y trouver.

    Q. L'ordre a-t-il été émis spécifiquement à l'endroit des caporaux Franke et Couture?

    R. Non. J'ai demandé à mon personnel de signaler tous les visiteurs du caporal Legault, toutefois, les caporaux Franke et Couture ont été mentionnées comme étant les deux principales personnes contribuant au mauvais rendement professionnel du caporal Legault, parce qu'elles étaient constamment à socialiser à cet endroit.

    Q. Avez-vous demandé à votre personnel de dire au caporal Franke et au caporal Couture d'éviter le magasin de vêtements?

    R. Non.

    (Je souligne.)

    (Pièce R-1, onglet 9, annexe D, D-1/2)

    299. En ce qui a trait à la plainte du caporal Franke concernant une infraction à la sécurité, le major MacKay avait trouvé des exemplaires de la note de service du grief de la plaignante laissés par inadvertance sur un bureau, au Bureau des transports (Base), en tirant la conclusion que le major Couture n'était pas personnellement responsable.

    300. Dans ces deux incidents, le major MacKay estime qu'il n'y avait pas de mauvaise intention de la part des militaires. Dans son rapport, il mentionne que la plaignante se sentait persécutée, tout en rappelant ses accusations non fondées et sans discernement, et recommande :

    [Traduction]

    6. Le caporal Franke semble se sentir persécutée pour n'importe quoi. Ses accusations non fondées et sans discernement de harcèlement à l'endroit de quiconque occupe un poste d'autorité et son apparent manque de foi dans l'intégrité de l'organisation dans laquelle elle travaille ont détérioré le moral et contribué à la rupture de la cohésion de l'unité, problème qui est au coeur de l'OAFC 19-39, par. (3) comme étant la pire forme de harcèlement au travail.

    Recommandations

    que le caporal Franke soit mise en garde contre la nature perturbatrice de ses plaintes incessantes à l'endroit de ses supérieurs et informée de la véritable portée du règlement publié sous le titre OAFC 19-39.

    Tout abus ultérieur concernant la portée de l'OAFC 19-39 ne doit pas être toléré.

    Si le caporal Franke estime vraiment qu'elle fait l'objet d'une conspiration perceptible de la part de ses supérieurs, elle devrait consulter le chirurgien ou le travailleur social de la base pour évaluation et conseils psychologiques.

    (Je souligne.)

    (Pièce R-1, onglet 9, pp. 5/6 et 6/6)

    [L'OAFC 19-39 est la politique concernant le harcèlement personnel.]

    301. Le caporal Legault a donné son témoignage devant le Tribunal; ce n'est qu'à l'audience qu'elle a eu connaissance de l'enquête sommaire du major MacKay à propos de la plainte concernant le magasin de vêtements et de la déclaration de l'adjudant Cochrane. Elle a affirmé qu'au début de 1992, on l'avait fait demander pour lui parler de son rendement au travail mais qu'à ce moment, le problème n'était ni personnel ni social. Le caporal Legault estimait qu'elle n'avait pas de problème avec l'adjudant Cochrane et faisait remarquer que sa note RAP pour l'année était de 7,4, soit similaire à celle de l'année précédente.

    302. Le 11 mars 1992, la plaignante remplissait un formulaire de plainte à la CCDP pour motifs de discrimination de la part des FAC sur la base du sexe, à l'encontre des articles 14(1) et 7 de la LCDP. Le même jour, elle présentait une demande de règlement de grief concernant l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement à l'attention du colonel McGee, deuxième palier de règlement. Dans sa correspondance, elle réitère croire qu'elle a été menacée par le lieutenant-colonel King de mesures disciplinaires pour avoir déposé un grief à la CCDP et souligne encore une fois ses réserves concernant l'intégrité et l'exactitude de l'enquête sommaire.

    303. D'après les preuves déposées, il y aurait eu demande écrite le 17 mars 1992, dans laquelle la plaignante demandait au colonel McGee de rouvrir l'enquête sommaire. Cette demande a été mentionnée dans la réponse du colonel McGee à la plaignante, le 3 avril 1992. Dans cette note de service, le colonel McGee invite la plaignante à préciser sa déclaration au major Bottomley et lui propose d'organiser une entrevue avec cette dernière. Il lui répond que ses conclusions à propos de toute mesure disciplinaire pour avoir communiqué avec la CCDP étaient erronées.

    304. Le 3 avril 1992, la plaignante écrivait au colonel McGee pour lui exprimer son désir de ne pas revoir le major Bottomley, craignant de l'animosité de sa part et estimant qu'elle n'avait pas d'expérience en psychologie. Elle se dit également en désaccord avec ses constatations voulant qu'elle n'ait pas été menacée par le lieutenant-colonel King parce qu'elle avait communiqué avec la Commission. (Pièce HR-1, onglet 17, document 17.3)

    305. Au printemps de 1992, la plaignante voulait que son grief soit traité hors de la base. Elle a expédié deux demandes au colonel McGee pour qu'il transmette sa demande de règlement de grief sur l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement au Commandement aérien. Sa première demande est du 3 avril 1992, suivie par une seconde deux semaines plus tard, le 14 mai 1992.

    306. Le 13 avril 1992, le colonel McGee ordonnait au major Bottomley de faire une enquête sommaire supplémentaire sur les allégations de harcèlement, précisément pour savoir si les renseignements supplémentaires fournis par la plaignante étaient conformes à ses déclarations initiales et s'il fallait rectifier le premier rapport du major Bottomley. Celle-ci devait évaluer les répercussions éventuelles sur le rapport initial. Le major Bottomley devait terminer son enquête au plus tard le 1er mai 1992. Le 14 mai de la même année, le colonel McGee écrivait à la plaignante, l'informant qu'il avait reporté la date d'échéance du rapport du major Bottomley, parce que les tâches principales de celle-ci l'appelaient à s'occuper d'un accident tragique, un écrasement d'avion. Le colonel McGee n'a pu expliquer, en contre-interrogatoire, la raison pour laquelle il avait écrit cette note de service le 14 mai 1992 parce que, d'après les documents déposés, la note de service concernant l'enquête sommaire supplémentaire du major Bottomley était du 6 mai 1992, soit une semaine avant la note de service du colonel McGee. La plaignante a témoigné qu'à ce point, elle croyait que l'intimée recourrait à toute tactique à sa disposition pour confiner à la BFC de Comox l'enquête concernant son grief.

    307. Le colonel McGee a demandé au major Bottomley d'analyser les déclarations initiales de la plaignante à propos de l'enquête sommaire. Le major Bottomley a témoigné qu'elle ne pouvait se souvenir des personnes interviewées pour son rapport supplémentaire. À ses dires, elle n'a pas interviewé personnellement la plaignante.

    308. Dans le cadre de l'examen de l'enquête sommaire supplémentaire, la plaignante a fait d'autres déclarations. Parmi les preuves déposées, on trouve une déclaration de la plaignante à l'adjum Janssen. Ce dernier l'avait interrogée pour savoir combien de temps elle avait été frappée par la déclaration initiale du lieutenant-colonel King à propos des mesures disciplinaires dont elle allait faire l'objet pour s'être plainte à la CCDP (communication faite le 16 décembre 1991). La plaignante a parlé de cette déclaration dans son témoignage et se souvient avoir dit à l'adjum Janssen :

    [Traduction]

    Monsieur, j'en suis encore traumatisée, car chaque fois que je passe, quelqu'un m'interpelle; cela ne s'est donc pas arrêté..

    309. Les justifications du major Bottomley pour les recommandations figurant à son rapport supplémentaire rendent compte de sa réponse devant la commission d'enquête : c'était, à son sens, ce qu'il fallait faire. En ce qui a trait à son rapport supplémentaire, le major Bottomley a apporté certains changements et certaines modifications supplémentaires secondaires par rapport au premier rapport, celui de l'enquête sommaire. Ces modifications n'avaient aucune répercussion sur ses constatations initiales. Voici un extrait de son rapport :

    [Traduction]

    4. Constatations

    Le caporal Franke semble avoir de la difficulté à décoder l'information, ce qui entraîne une distorsion des faits. De plus, elle semble avoir de la difficulté à discerner les faits de l'information provenant de rumeurs ou d'opinions.

    D'après tous les indices, le caporal Franke continuera à s'acharner jusqu'à ce qu'elle obtienne satisfaction.

    Les constatations mentionnées sont valides. L'examen des preuves a confirmé encore la constatation énoncée au paragraphe 4c du document de référence, où il est dit que la plainte du caporal Franke est une réaction à l'avertissement écrit qu'on lui a servi.

    5. Recommandations

    a. Les recommandations en référence devraient en conséquence être mises en application.

    b. Le caporal Franke devrait être évaluée par un psychiatre, afin de savoir si elle a un problème de perception.

    c. Parce que le caporal Franke a actuellement accès à des documents concernantle personnel, nous recommandons une modification du rapport des faits afin de suspendre sa cote de sécurité jusqu'à la fin de l'évaluation psychiatrique.

    (Je souligne.)

    (Pièce R-7, 33 pages après l'annexe R, pages 14/15)

    310. Le colonel McGee a affirmé qu'il a alors organisé une rencontre pour le 22 mai 1992, dans le but de réduire les palabres et d'aider la plaignante et tous les autres à régler la question de son présumé harcèlement et à trouver une solution. La plaignante était réticente à assister à cette réunion et l'a fait savoir le 21 mai 1992 au commandant de la base. Le colonel McGee aurait préféré que les trois superviseurs de la plaignante, le major Couture, l'adjum Macnair et le lieutenant Vedova, assistent à la réunion mais, en raison de la réticence de la plaignante, il a décidé de ne convoquer que le major Couture. Le colonel McGee a témoigné que la réunion ne faisait pas partie des procédures normales d'examen et d'enquête. L'objet était de régler les problèmes. Le colonel McGee n'avait jamais tenu auparavant de réunion de ce type.

    311. La plaignante a dit avoir assisté à la réunion à 9 h, accompagnée par le capitaine Potts, officier désigné pour l'aider, et le travailleur social, le capitaine Doyle. Tandis qu'ils attendaient devant la salle de réunion, elle a, a-t-elle affirmé, tiré de son sac un magnétophone à bande, leur disant qu'elle voulait que tous deux sachent qu'elle allait enregistrer la réunion.

    312. Les autres personnes présentes étaient l'OSTB, le lieutenant-colonel King, l'O Adm B, le lieutenant-colonel van Boeschoten, les deux officiers se rapportant directement au colonel McGee. La plaignante a enregistré la réunion sans demander l'autorisation du colonel McGee. La transcription de la réunion figurait aux preuves déposées.

    313. La réunion a porté sur les trois plaintes du caporal Franke à l'endroit du major Couture, soit les remarques de sexétaire et de biker mama et les observations à propos de son aisance financière et de ses moyens de s'offrir une maison. Le colonel McGee a présenté séparément chacune des plaintes, demandant au major Couture d'expliquer le contexte dans lequel il avait fait ces observations, s'informant ensuite auprès de la plaignante de la façon dont elle percevait l'observation, compte tenu du contexte précisé par le major Couture.

    314. Dans deux contextes distincts, le colonel McGee a mentionné des excuses de la part du major Couture. La première fois, c'est quand il a interrogé le major Couture à propos de la remarque biker mama. Voici la transcription :

    [Traduction]

    MAJOR COUTURE : Nous avons beaucoup appris récemment sur les questions de harcèlement et je comprend -- Je regrette, compte tenu de cela, d'avoir fait cette observation.

    COLONEL McGEE : Comprenez-vous ses sentiments sur cette question?

    CORPORAL FRANKE : Oui, je comprend.

    COLONEL McGEE : Acceptez-vous ses excuses?

    CORPORAL FRANKE : Je crois que la situation est allée au-delà de l'acceptation ou de la non-acceptation d'une excuse. J'ai (courte pause) --.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, p. 16)

    315. Après avoir interrogé le major Couture à propos de l'utilisation du terme sexétaire, il lui a demandé ce qui suit :

    [Traduction]

    COLONEL McGEE : Avez-vous quelque chose à dire au caporal Franke à propos de votre utilisation de ce terme?

    MAJOR COUTURE : simplement qu'il n'y avait là aucune allusion personnelle et si je vous ai offensée, je m'en excuse.

    COLONEL MCGEE : Avez-vous quelque chose à dire? Cela vous a-t-il offensée?

    CORPORAL FRANKE : Très certainement.

    COLONEL MCGEE : Comprenez-vous l'explication du major Couture?

    CORPORAL FRANKE : Non, je ne comprend pas.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, page 23)

    316. Le colonel McGee, dans son témoignage, disait estimer que les excuses du major Couture étaient appropriées. À un certain moment au cours de la réunion, après avoir sollicité à la fois les observations du major Couture et la perception qu'en avait la plaignante, le colonel McGee a demandé à cette dernière ce que lui ou le major Couture pouvait faire d'autre, après les excuses du major. La plaignante a alors ébauché une réponse en disant :

    [Traduction]

    Je ne crois pas que des excuses verbales --, et elle a alors quitté abruptement la pièce, en larmes, pour aller aux toilettes. La plaignante a dit qu'elle était trop bouleversée pour rester à la réunion. (Pièce HR-3, page 31)

    317. La plaignante, dans son témoignage, a dit qu'elle ne croyait pas que le major Couture s'était excusé directement à propos du harcèlement. Selon elle, une excuse directe aurait été formulée ainsi :

    [Traduction]

    Caporal Franke, je suis désolé de vous avoir qualifiée de sexétaire et je ne recommencerai plus. Acceptez-vous mes excuses? Si le major Couture s'était excusé de cette façon, la plaignante, à ses dires, aurait accepté les excuses. (Transcription, volume 4, page 549).

    318. La plaignante disait vouloir des excuses pour le harcèlement et le retrait de l'avertissement écrit de son dossier parce qu'elle considérait que cet avertissement était des représailles à son endroit. Elle a ajouté qu'elle se sentait menacée, à la réunion, parce que personne d'autre n'était là pour l'appuyer. Selon elle, le capitaine Doyle et le capitaine Potts faisaient partie du système. Voici son témoignage au contre-interrogatoire :

    Q. Il y a quelques instants, avant d'aborder cette question, je vous ai demandé si vous vous étiez sentie menacée à la réunion?

    R. Oui, c'est ainsi que je me sentais.

    Q. Qu'est-ce qui vous menaçait dans la réunion?

    R. Tout le scénario. Je suis caporal, je n'ai droit à aucun soutien. Le capitaine Doyle fait partie du système. Le capitaine Potts également. Je suis d'un côté de la table, avec le commandant de la base au bout, et mon harceleur de l'autre côté, avec le lieutenant-colonel King, et, je crois, l'aumônier de la base y était, quelque part.

    Qui était là pour m'appuyer? J'ai demandé un avocat. On me l'a refusé, je ne pouvais en avoir un. J'ai demandé Manon Bertrand, on me l'a refusé, elle ne fait pas partie du personnel militaire et ne pouvait donc se trouver là. Qui était là pour m'appuyer? Je suis un caporal devant un major. Qui va donc m'appuyer?

    (Transcription, volume 4, page 558)

    319. Le colonel McGee, dans son témoignage, s'est dit étonné du départ subit de la plaignante de la réunion du 22 mai. Selon lui, la réunion s'était assez bien déroulée. La plaignante semblait assez à l'aise, dans ses discussions avec lui-même et le major Couture. Après que la plaignante soit revenue des toilettes, il l'a invitée à son bureau pour décider si l'enquête devait se poursuivre. Pendant qu'ils étaient là à parler de choses et d'autres, il s'est souvenu que la plaignante a fouillé dans son sac pour prendre un mouchoir et un magnétophone à cassette est tombé sur la petite table. Il n'a pas interrogé la plaignante à propos du magnétophone.

    320. Continuant son témoignage, il a dit que la plaignante a alors accepté de revenir à la salle de réunion. Selon le colonel McGee, ils ont pu terminer la rencontre. Le colonel McGee n'a pas fourni d'autres détails sur ce qui s'est discuté après la reprise de la réunion. La plaignante n'a pas été interrogée à propos du retour au bureau du colonel McGee, du magnétophone tombé de sa bourse ou de la suite et fin de la rencontre.

    321. Trois jours plus tard, le 25 mai 1992, et sans attendre la réponse écrite du colonel McGee, la plaignante lui écrivait à propos de la réunion du 22 mai et des constatations de ce dernier. À la fin de sa note au colonel McGee, elle demandait que sa demande de règlement soit acheminée au Commandement aérien, puisqu'elle n'était pas d'accord avec les constatations du 22 mai. Voici un extrait de sa lettre :

    [Traduction]

    Monsieur, après ce que j'ai entendu et les bouleversements que j'ai ressentis par la suite, vous avez tiré la conclusion que son comportement, bien qu'offensant, n'était pas du harcèlement. Même si je me suis vraiment plainte au lieutenant Vedova à propos de ce comportement, cela ne vous a pas été transmis et je me suis retrouvée seule, bouleversée, à me battre pour ma propre intégrité...

    (Pièce HR-1, onglet 17, document 17.10)

    322. Le colonel McGee, dans son témoignage, s'est dit surpris de recevoir la lettre du 22 mai 1992 de la plaignante, parce qu'il n'avait pas fait connaître ses constatations. Il était également surpris de la quantité de détails concernant la réunion mentionnés par la plaignante. Le colonel McGee ne savait pas que la plaignante avait tout enregistré sur son magnétophone. Il avait remarqué que la lettre de la plaignante avait été transmise au directeur de la Commission canadienne des droits de la personne et à un député local.

    323. Le colonel McGee était non seulement étonné, mais également déçu des observations de la plaignante dans sa lettre du 25 mai 1992. Voici l'une de ses observations, qui a particulièrement troublé le colonel McGee :

    [Traduction]

    Jusqu'à maintenant, il semble que mes demandes aient été bloquées à la base par toutes les tactiques qui étaient à votre disposition et à celle de votre personnel. La dernière était cette réunion du 21 mai, à laquelle je devais assister en vertu du Code militaire et à laquelle je devais répondre à vos questions.

    (Pièce HR-1, onglet 17, document 17.10)

    324. En ce qui a trait à la demande de règlement de grief de la plaignante concernant l'enquête sommaire/le harcèlement, il a défendu les mesures prises par le lui-même et son personnel qui, selon ses termes, était surchargé par le volume de travail abattu au nom de la plaignante. Ainsi, il fallu découvrir les circonstances réelles, comprendre les véritables préoccupations de la plaignante et, après le début des procédures, il fallait effectuer un suivi et il faut du temps pour passer au crible les divers niveaux d'examen nécessaires.

    325. Compte tenu de la somme considérable d'efforts déployés par le colonel McGee et son personnel pour découvrir le fond de l'affaire, au-delà des allégations, la plaignante ne semblait jamais, dans ses réponses, reconnaître le travail que tous accomplissaient pour elle. Selon ses termes, la plaignante était moins que coopérative dans l'enquête du major Bottomley et a continué à critiquer injustement le colonel McGee et son personnel, parce qu'elle n'avait pas écouté sa mise en garde de changer son attitude et son ton de voix. À son avis, après la réunion du 22 mai et la lettre du 25 mai 1992, il était temps de prendre des mesures plus rigoureuses.

    326. Le colonel McGee affirmait dans son témoignage qu'il n'était pas d'accord, qu'il n'y avait pas eu blocage de sa part ou de celle de son personnel. Il respectait les paliers de règlement des griefs et, d'après son expérience, il faut du temps pour réviser le processus. Selon lui, la réunion du 22 mai n'était pas une tactique, contrairement à ce que disait la plaignante, mais une tentative de découvrir, avec l'aide des personnes concernées, quelles étaient les véritables circonstances. Selon lui, la mention, par la plaignante, du Code militaire de conduite et de discipline est une expression très étrange pour une réunion ordinaire. Il croit que lui-même et son personnel ont fait des efforts exceptionnels pour découvrir les véritables circonstances qui sous-tendaient ces allégations et trouver les moyens d'assainir la situation. Ainsi, d'après son témoignage, des efforts avaient été consentis pour assainir les relations à la base avec le début de la formation sur le harcèlement, à la suite de la première note de service de la plaignante, celle du 16 décembre 1991, formation qui n'a jamais été soulignée par celle-ci.

    327. La plaignante, dans son témoignage, a mentionné que lorsqu'elle faisait état de tactiques de blocage, ce n'était pas pour jeter un blâme, mais pour poser l'hypothèse que le colonel McGee et son personnel faisaient usage des tactiques à leur disposition pour maintenir son grief à leur niveau, plutôt que de se conformer à ses demandes répétées depuis le 14 mai 1992 de le transmettre au Commandement aérien.

    328. La réponse du colonel McGee à la note de service du 25 mai 1992 de la plaignante porte la date du 8 juin suivant. Il mentionne l'enquête sur l'incident du magasin de vêtements et informe la plaignante qu'il n'a relevé aucune directive au personnel concernant tel ou tel client ou visiteur, que son nom ne figurait pas dans la correspondance ou les dossiers relatifs à cette procédure et que, par conséquent, son allégation était sans fondement.

    329. Le colonel McGee s'occupe ensuite du règlement de griefs, informant la plaignante qu'il n'a trouvé aucune preuve de harcèlement de la part du major Couture et signale qu'en partie, la défense du major Couture est qu'il n'avait pas eu connaissance de ses préoccupations à elle. Il mentionne que le lieutenant Vedova a reconnu que la plaignante lui avait mentionné avoir été offensée par la discussion du major Couture sur ses moyens à elle de s'offrir une maison et, plus tard, à propos de l'utilisation du mot sexétaire, mais que la question du qualificatif biker mama n'a pas été abordé avec le lieutenant Vedova. Le colonel McGee poursuit en écrivant que le lieutenant Vedova estimait que les observations de la plaignante ne justifiaient aucune mesure, puisqu'elle n'y avait fait allusion qu'une fois et que la plaignante n'avait pas laissé entendre au lieutenant Vedova qu'elle devait se charger du problème.

    330. Le colonel McGee voulait que la plaignante s'en tienne aux faits et qu'elle évite d'ajouter d'autres points dans sa demande de règlement de grief. Malgré cette directive, il soulève d'autres préoccupations dans sa réponse du 8 juin 1992 à la plaignante, dans laquelle il rejetait la demande de règlement de griefs concernant le harcèlement :

    [Traduction]

    9. À l'audience, vous avez déclaré que les mots obscènes au travail vous offensaient. Lorsqu'on vous a posé la question si vous teniez ce genre de langage, vous avez répondu : Non, jamais au travail. Les témoignages que j'ai recueillis ne vont pas dans le même sens. On m'a dit que pendant tout votre séjour à la Section des transports (Base), vous juriez fréquemment, utilisant devant et à l'endroit de vos collègues le même type de langage que celui que vous trouvez offensant dans vos plaintes. On m'a également dit que, souvent, vous vous habilliez et vous comportiez de façon provocante, voire licencieuse, pendant cette même période. Ce n'est pas le type de comportement qu'on attendrait d'une personne, comme vous, qui affirme le contraire. Je n'utilise pas ces renseignements pour excuser les agissements des autres, mais cela m'oblige à remettre en question votre intégrité et votre crédibilité, quand on me signale que votre comportement est pire que celui de toutes les personnes contre lesquelles vous avez formulé des allégations.

    10. J'ai terminé mon enquête sur vos allégations de harcèlement et voici mes constatations :

    a. aucune preuve de harcèlement;

    b. le major Couture a fait preuve de peu de délicatesse et son comportement était déplacé, comme je viens de le mentionner;

    c. le lieutenant Vedova a fait preuve de négligence dans l'exécution de ses responsabilités de faire valoir vos préoccupations au major Couture;

    d. il existe de graves incohérences dans votre témoignage, notamment sur les plans de la crédibilité et de l'intégrité, ce qui laisse planer des doutes sur le sérieux et les motivations de vos allégations.

    e. un niveau anormal de fraternisation entre vous et vos superviseurs a été source de malentendus graves et a eu des conséquences néfastes; et

    f. votre langage, votre tenue et votre comportement au travail, qui manquent de délicatesse et sont déplacés bien au-delà des allégations que vous avez soulevées, ce qui nécessite un changement de votre part.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 17, document 17.11)

    331. La lettre du 25 mai 1992 de la plaignante a été de trop pour le colonel McGee. Il l'avait déjà informée dans sa réponse du 5 mars 1992, concernant sa demande de règlement des griefs pour son RAP (pièce HR-1, onglet 10, document 10.4), des conséquences que cela aurait si elle continuait à rédiger ainsi sa correspondance.

    332. Le 9 juin 1992, le colonel McGee recommandait à son endroit une mise en garde et probation et lui ordonnait de se mettre sous observation médicale et évaluation psychiatrique afin qu'elle reçoive [Traduction] les meilleurs soins possibles. Le colonel McGee a confirmé dans son témoignage qu'il avait recommandé que la plaignante fasse l'objet d'une mise en garde et probation parce que, pendant tout le processus, elle avait rédigé nombre de notes de service non appropriées contenant des allégations sur sa conduite à lui et celle de son personnel, allégations jetant le discrédit sur lui-même et le personnel de la base. Pour le colonel McGee, la plaignante n'avait pas obtempéré à sa demande de changer son attitude et le ton de sa correspondance. (HR-1, onglet 18, document 18.1)

    333. Puisque le colonel McGee n'était pas le superviseur direct de la plaignante, il ne pouvait que recommander à l'officier commandant de l'unité de lui imposer la mise en garde et la probation. Le colonel McGee a confirmé dans son témoignage que le plaignante faisait déjà l'objet d'un avertissement écrit pour ce type de comportement et avait été avertie d'être moins irrespectueuse et plus polie dans sa correspondance. Après les allégations de la plaignante selon lesquelles il retardait l'examen de son cas au Commandement aérien, il a affirmé que l'étape suivante était la mise en garde et la probation.

    334. Le colonel McGee a mentionné devant le tribunal qu'il avait fondé sa décision de mettre la plaignante sous observation médicale et évaluation psychiatrique sur l'information qu'il avait recueillie et selon laquelle la plaignante avait de la difficulté à voir le médecin de la base, le major Jacques. Pour cette raison et d'après la propre mention de celle-ci d'un choc affectif dans sa note du 25 mai, il a cru qu'il devait obtenir des conseils médicaux afin de confirmer si tel était le cas et, si oui, quel type de soins elle devait recevoir. Le colonel McGee a mentionné qu'il ne croyait pas que la plaignante souffrait d'un choc émotif. En ce qui a trait à la filière normale de sa note de service, le colonel McGee a mentionné qu'elle serait parvenue à l'O Adm B, qui aurait informé la plaignante et le Dr Jacques de son contenu.

    335. Malgré que le terme utilisé ait été fort, le colonel McGee a précisé que, personnellement, il n'assignait pas la plaignante. Il voulait seulement qu'elle ait accès au médecin de la base. Le Dr. Passey psychiatrique de l'intimée, a confirmé qu'il n'existe aucun règlement militaire permettant au colonel McGee d'assigner un militaire à une évaluation psychiatrique. Selon le Dr. Passey, cette décision incombe au médecin de la base. Le Dr. Passey, dans sa réponse du 9 juin à la plaignante, formule les observations suivantes sur le langage utilisé par le colonel McGee:

    [Traduction]

    M. DUROCHER : Ainsi donc, au paragraphe 3, il existe un certain nombre d'énoncés erronés du colonel McGee, notamment

    l'utilisation du terme assignation ou assigné.

    LE TÉMOIN : Oui.

    M. DUROCHER : Et la deuxième est que du moins, il aurait dû écrire qu'il mandait, envoyait aurait été un meilleur mot, en observation médicale et(ou) évaluation psychiatrique et peut-être en évaluation psychiatrique, si cela s'avérait nécessaire.

    LE TÉMOIN : Si j'avais été l'officier supérieur, j'aurais probablement dit quelque chose du genre -- parce que vous avez déclaré que vous avez souffert d'un choc émotif, j'ai certaines réserves concernant votre capacité de vous acquitter de vos fonctions et, par conséquent, je vous ordonne -- parce que je peux faire cela -- je vous ordonne de vous présenter au chirurgien de la base ou à un médecin pour être évalué afin de savoir si vous avez besoin d'autres traitements ou évaluations.

    Cela, à mon avis, serait un énoncé approprié et conforme à la réglementation.

    M. DUROCHER : Donc, cette déclaration, faite par le colonel McGee, serait-elle dans les circonstances un abus de pouvoir?

    LE TÉMOIN : Je n'aurais certainement pas posé le problème ainsi. S'il avait pris des mesures pour qu'elle soit assignée, je dirais alors que cela laisse penser à un abus de pouvoir, parce que ce n'est pas conforme aux règlements et cela ne laisse pas au médecin la responsabilité de prendre la décision.

    M. DUROCHER : Et si le médecin reçoit cela, le médecin de la base, le Dr Jacques, qu'en fait-il? Dans la problématique générale, où se situe-t-il, dans la chaîne de commandement? A-t-il la liberté de dire au colonel McGee qu'il a tort et qu'il ne suivra pas son ordre. Ne pourrait-il pas plutôt dire qu'il vaudrait mieux pour lui d'expédier Mme Franke à Esquimalt pour que le colonel McGee soit content. Quelle est sa réaction, quelles sont les possibilités dont il dispose?

    LE TÉMOIN : L'un ou l'autre scénario aurait pu se produire selon l'intégrité du médecin concerné. Dans le cas présent, la demande de consultation avait déjà été faite avant cette note de service.

    Tout ce que je puis dire, c'est ce que j'aurais fais si j'avais reçu une demande du genre; j'aurais probablement téléphoné à l'auteur pour lui dire que j'ai reçu sa note de service, que j'ai saisi qu'il a certaines préoccupations à propos de ce militaire, que je ferai une évaluation et déciderai si une demande de consultation plus poussée est nécessaire, et je m'arrêterais là; loin de moi l'idée d'être irrespectueux, mais je sais très bien qu'il ne peut donner ce genre d'ordre à quelqu'un.

    Je pourrais même lui rappeler qu'il ne connaît peut-être pas le règlement et les types de pouvoir dont il dispose et qu'il n'a pas le droit d'assigner quelqu'un pour des motifs médicaux; seul le médecin peut faire cela.

    (Transcription, volume 16, pages 2537 à 2539)

    336. Le 9 juin 1992, le colonel McGee expédiait une note de service à l'O Adm O, lui demandant de préparer une modification des faits (voir la recommandation du major Bottomley dans le rapport supplémentaire), car il estimait que la plaignante ne pouvait continuer à travailler à la Salle du courrier de la base, et s'occuper des dossiers du personnel. On pouvait lire dans sa note de service :

    [Traduction]

    O Adm O

    DEMANDE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS

    ALLÉGATION DE HARCÈLEMENT - CAPORAL FRANKE

    1. Les documents joints doivent être transmis au caporal Franke.

    2. En raison de sa réticence constante à comprendre les procédures et le protocole militaires et la nature des allégations qu'elle a portées contre d'autres personnes sans tenir compte de leur réputation ou de son propre comportement aberrant, je n'ai plus confiance en son intégrité, sa loyauté ou sa fiabilité. Je vous demande donc de lancer une enquête de modification des faits, pour savoir si elle peut continuer à traiter des documents importants, protégés ou cotés.

    (Pièce HR-20)

    337. Colonel McGee a affirmé devant le tribunal que ces mesures ont été prises en raison de la réponse que lui a faite la plaignante avant la fin du processus de règlement de grief et parce qu'elle s'était adressée à l'extérieur des Forces armées pour faire connaître ses allégations.

    338. La dernière note écrite de la plaignante au colonel McGee est du 11 juin 1992. Elle demande encore d'expédier au Commandement aérien sa demande de règlement de grief de harcèlement. Dans une lettre du 19 juin 1992, le colonel McGee se conforme à cette demande.

    339. Le 3 juillet 1992, le colonel McGee reçoit du quartier général du Commandement aérien une lettre l'informant qu'une commission d'enquête serait convoquée à l'égard des plaintes de harcèlement sexuel et que cette commission devait interviewer la plaignante. Dans la documentation adressée au Commandement aérien, on trouve, en plus de la lettre du colonel McGee, ses constatations à l'enquête du deuxième palier de règlement de grief, notamment une interview du 5 juin 1992 avec les trois superviseurs de la plaignante, le lieutenant Vedova, le major Couture et l'adjum Macnair, à propos des allégations de harcèlement sexuel, un sommaire des mesures prises, rédigé par l'O Adm B, une interview avec le caporal-chef Alexander et deux autres séries de documents de correspondance, l'une à propos du grief et l'autre, concernant le harcèlement et d'autres questions. (HR-1, onglet 19, documents 19.2, 19.2.1, 19.2.2, 19.2.3, 19.2.4)

    340. La commission d'enquête a mené ses travaux à la base du 6 au 19 juillet 1992. Le colonel McGee figurait parmi ceux qui ont témoigné devant la Commission. Une partie de la déclaration de la commission d'enquête, touchant la plainte déposée en cette instance, a été produite en preuve par l'intimée (R-1, onglet 23). Dans la déclaration de la commission d'enquête, on constate que les allégations de la plaignante à l'endroit de l'adjum Macnair étaient sans fondement. En ce qui a trait aux allégations contre le major Couture, l'observation spécifique de sexétaire a été assimilée à du harcèlement sexuel au sens de la définition des OAFC. La commission d'enquête tirait la conclusion que la plaignante avait, de façon rétrospective, rationalisé ou déformé certains événements et que ses allégations étaient tout au plus une rationalisation et au pire, une distorsion volontaire.

    341. Par suite d'un changement habituel aux postes de commandement, le colonel McGee a quitté la BFC de Comox à la fin de juillet 1992 pour prendre une affectation à Ottawa.

    (iii) Le travail à la Salle des rapports de la base, au quartier général de la base

    342. Après sa rencontre avec le Dr Jacques fin décembre 1991, la plaignante a appris du capitaine McLachlan, officier d'administration du personnel de la base (O Adm Pers B) qu'après ses vacances annuelles, prévues pour le 24 décembre 1991, elle serait affectée à la Salle des rapports au quartier général de la base. La plaignante a bien accueilli cette affectation. Le Tribunal comprend que la plaignante ne formule aucune allégation de mauvais agissements de l'intimée à propos de cette mutation.

    343. La plaignante a mentionné dans son témoignage que, en décembre 1991, elle subissait beaucoup de tension. Elle s'était réconciliée avec son mari le mois précédent. Selon elle, la tension associée à son travail affectait sa vie familiale et ses rapports avec son fils, son époux et sa mère.

    344. À son retour de vacances en janvier 1992, la plaignante a commencé à travailler à la Salle des rapports (Base). Elle avait comme superviseurs le caporal-chef Cheryl Johnson et l'officier marinier Peggy Gale. Elles relevaient à leur tour de l'adjum Jannssen et du capitaine McLachlan. Dans son nouveau poste, la plaignante a constaté qu'elle avait moins de responsabilités qu'au BT-B, car elle travaillait avec trois ou quatre autres commis administratifs.

    345. La plaignante était, à la Salle des rapports du quartier général de la base, supervisée par l'officier marinier Peggy Gale. L'officier marinier Gale est entrée dans les Forces en avril 1973 et a été affectée à la base de Comox en juillet 1989. Elle a travaillé à la section des dossiers à la Salle des rapports, où tous les dossiers personnels confidentiels des militaires sont conservés. L'officier marinier Gale supervisait les caporaux-chefs et les caporaux qui travaillaient aux archives.

    346. D'après la description de la plaignante, ses interactions avec ses collègues devenaient moins chaleureuses. Elle s'estimait mise à l'écart en raison de ce qu'elle faisait. Son superviseur, l'officier marinier Gale, a témoigné que les autres commis semblaient sur de la défensive parce qu'ils craignaient de dire quelque chose qui pourrait l'offenser ou la perturber.

    347. L'officier marinier Gale a témoigné avoir l'impression que la plaignante avait été choisie pour un traitement spécial. Elle se souvenait de deux plaintes du bureau de l'adjudant-chef de la base à propos de la plaignante. Dans l'une de ces plaintes, on mentionnait que le plaignante n'avait pas verrouillé l'équipement du gymnase sur son quart de travail. On a proposé à l'officier marinier Gale d'attribuer à la plaignante des tâches supplémentaires. Renseignements pris, l'officier marinier Gale a appris que dans la plupart des cas, les militaires affectés au gymnase ne verrouillaient pas l'équipement. Un autre incident touchait les alliances de la plaignante. L'officier marinier Gale a été mandée au bureau de l'adjudant-chef Doherty, l'adjudant-chef de la base. Il avait reçu une plainte dans laquelle on mentionnait que les alliances de la plaignante étaient voyantes ou de mauvais goût, en plus d'une remarque à propos d'une autre bague qu'elle portait. L'officier marinier Gale a témoigné qu'elle-même et le chef de la base ont convenu que la plaignante pouvait continuer à porter ses alliances, mais qu'elle devait retirer l'autre bague.

    348. De l'avis de l'officier marinier Gale, si elle avait porté des bagues de ce type, l'incident ne se serait probablement jamais produit. Il y avait apparemment d'autres incidents analogues, mais l'officier marinier Gale ne pouvait se souvenir des détails. Elle a témoigné qu'elle n'a pas reçu la moindre plainte à propos des autres commis dont elle avait la responsabilité.

    349. L'officier marinier Gale disait de la plaignante qu'elle était très perturbée, préoccupée par ses griefs et passant tous ses temps libres à y travailler. Elle a ajouté que la préoccupation de la plaignante à l'égard de ses griefs n'affectait pas son travail.

    350. La plaignante a confirmé dans son témoignage qu'en février 1992, elle avait vu le travailleur social de la base, le capitaine Doyle, aux quinze jours. Au cours de ces rencontres, elle disait qu'elle fondait en larmes. Elle n'était pas satisfaite de ses rencontres avec le travailleur social.

    351. La plaignante, à cette époque, a apporté des changements dans sa vie personnelle. Elle a été bénévole pour Crises Crossroads et Family Services pendant un an et demie, y consacrant environ quatre à dix heures semaine et, à titre de membre de l'équipe Crises, elle répondait aux demandes de renseignements par téléphone provenant d'une vaste gamme de demandeurs. La plaignante s'est entretenue avec la coordonnatrice du programme, Gwyn Frayne, lui disant qu'elle devait se retirer de ses tâches de bénévole pour cause de stress. La plaignante a témoigné que la coordonnatrice lui avait recommandé de parler à l'aumônier de la base. Fin février, la plaignante a rencontré l'aumônier, le major Baker. Elle se souvient lui avoir parlé de sa situation, ce à quoi il aurait répondu :

    [Traduction]

    C'est ce qui arrive lorsque vous vous opposez au système, Kim. Elle a jugé cette réponse inacceptable. C'était la dernière fois qu'elle voyait le major Baker.

    352. Le stress que subissait la plaignante à cette époque a été décrit par le chirurgien de la base le 24 février 1992. Le Dr Jacques, dans ses notes, décrit la plaignante ainsi :

    [Traduction]

    Beaucoup d'anxiété, sur la défensive et très exigeante - elle pleure, ne veut pas parler de son problème réel. Elle affirme être capable de dissocier ses problèmes de ceux des autres personnes, etc. Diagnostic provisoire : personnalité hystérique?

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 52)

    353. Le 24 février 1992, le Dr Jacques autorisait un congé d'une journée pour permettre à la plaignante de réfléchir à son problème. La plaignante a témoigné qu'elle restait assise à son bureau à pleurer et ne voulait que personne entre et la voit dans cet état. Elle a pris le congé afin de pouvoir rentrer chez elle et pleurer. (Pièce HR-7, onglet 10, p. 52)

    354. Confirmant le témoignage de la plaignante sur son état émotif à la fin de l'hiver et au début du printemps de 1992, le caporal Legault a dit que la plaignante avait changé, la décrivant nerveuse, toujours déprimée, pleurant beaucoup et éprouvant beaucoup de difficulté à faire face à la situation. C'est à cette époque que s'est terminé l'amitié entre le caporal Legault et la plaignante, en grande partie en raison de l'incident du magasin de vêtements. Lorsque la plaignante a découvert qu'on avait demandé de prendre note des visiteurs du caporal Legault, elle a cessé de se rendre au magasin de vêtements.

    355. La plaignante se sentait sous étroite surveillance à la base. Elle se souvient que quelqu'un avait déposé une plainte parce qu'elle était assise à son bureau, au gymnase, l'air ennuyée. La plaignante était en fonction au gymnase le 27 avril 1992. Elle avait reçu l'autorisation d'apporter du travail au gymnase parce que les tâches supposaient la surveillance des personnes utilisant l'installation et elle voulait s'occupée. Le 28 avril 1992, elle a appris qu'on avait déposé une plainte. Elle a été demandée au bureau du chef de la base et y a expliqué qu'elle n'était pas ennuyée, mais qu'elle travaillait.

    356. Elle a relaté un autre incident au début de mai 1992, quand l'officier marinier Gale lui a demandé si elle pourait faire de la parade au cours du long congé. La plaignante a dit que oui. On lui a ensuite demandé si elle ne voyait pas d'inconvénient à ce que le chef de la base lui fasse une inspection avant la parade. La plaignante a répondu qu'elle porterait sa genouillère et ferait la parade, mais que cela la dérangeait, à moins qu'on inspecte aussi tout le peloton de parade . Selon la plaignante, la question en est restée là.

    (iv) Règlement de grief sur le rapport d'appréciation du personnel (RAP)

    357. Le 20 janvier 1992, la plaignante a reçu son RAP concernant son travail au BT-B. Elle a obtenu une note globale de 6,9. La plaignante n'était pas satisfaite de cette note, s'attendant à un résultat plus élevé parce que, deux mois auparavant, elle avait pris connaissance de sa note préliminaire en même temps que de celles des autres caporaux. À l'époque, elle avait 7,1. Elle avait vu les notes préliminaires sur une feuille portant les noms de tous les caporaux, en novembre 1991, quand le document a été expédié du BT-B. Elle a alors déposé une demande de règlement de grief à l'égard de son RAP, croyant fermement que la note faisait partie de mesures de représailles de ses supérieurs à la suite de sa plainte de harcèlement sexuel.

    358. Le RAP faisait mention de l'avertissement écrit. Il n'y était pas question de l'incident Bélanger. Voici les observations du lieutenant Vedova :

    [Traduction]

    Le caporal Franke a donné un rendement globalement bon. Elle s'acquitte normalement de ses tâches ___, toutefois, dans certains cas, le respect qu'elle manifeste à l'égard des règlements est moins que suffisant. Le caporal Franke___ planifie son travail de façon à respecter les diverses échéances. Ses excellentes capacités de règlement des problèmes sont manifestes dans l'ingéniosité avec laquelle elle trouve rapidement des solutions.

    Le caporal Franke s'est bien adaptée au stress de son travail et a également rempli les fonctions de la secrétaire du BT-B, en l'absence de celle-ci, en plus de ses propres tâches. Au sein de la section, elle s'implique dans le comité social et à titre de CEDU et oeuvre également au sein de la collectivité, au Crisis Centre.

    3 - Approchée par un sergent et un adjudant au nom du comité de la tenue vestimentaire de la base, le caporal Franke a fait montre d'une attitude d'insubordination envers ses supérieurs et, en conséquence, a reçu un avertissement écrit.

    5 - Elle trouve rapidement des solutions aux problèmes de facturation et les corrige sans poser de question.

    (Pièce HR-1, onglet 10, document 10.1)

    359. Le lieutenant-colonel King a également fait des observations sur le rapport RAP, c'est-à-dire :

    [Traduction]

    Le caporal Franke s'acquitte de ses fonctions dans une mesure généralement appropriée à son grade. Elle a un avenir prometteur dans les FC, pourvu qu'elle se corrige de son attitude d'insubordination.

    (Pièce HR-1, onglet 10, document 10.1)

    360. Le major Couture, le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair, soit les trois superviseurs de la plaignante au BT-B, ont parlé dans leur témoignage du rendement professionnel de la plaignante, au cours de l'interrogatoire en chef. Le major Couture se souvient avoir parlé avec le lieutenant Vedova à au moins deux occasions des difficultés qu'il éprouvait avec la plaignante. À une occasion, il est entré dans son bureau, la plaignante était au téléphone et n'a pas réagi aussi rapidement qu'il s'y attendait. Il a également exprimé des réserves parce qu'elle était trop longtemps hors de son bureau. Le major Couture a affirmé qu'il comptait que le lieutenant Vedova parle avec la plaignante de ses problèmes de rendement, puisqu'elle était officier du matériel roulant et devait donc superviser le poste qu'occupait la plaignante à la SRB.

    361. Le lieutenant Vedova, dans son témoignage, disait qu'au départ, elle avait trouvé la plaignante très amicale et qu'elle aimait sa personnalité. Elle la voyait sociable, énergique et, lorsque la plaignante est arrivée, les choses se sont très bien passées. Le lieutenant Vedova a constaté une friction entre la plaignante et Janet Jenkins, la secrétaire du major Couture. La plaignante a remplacé Mme Jenkins, lors de l'absence de celle-ci, tout en s'acquittant de ses propres responsabilités de commis administratif.

    362. La plaignante a fait connaître au lieutenant Vedova son désir d'obtenir une bonne note RAP vers la fin de son affectation de six mois au BT-B. C'était l'un des principaux facteurs dans sa décision de demeurer au BT-B plutôt que de revenir au 407e escadron. Au cours d'une de ses promenades de la pause-déjeuner avec le lieutenant Vedova, la plaignante a mentionné que le major Réaume avait téléphoné et voulait savoir si elle revenait au 407e escadron. La plaignante a dit au lieutenant Vedova qu'elle voulait un très bon RAP. Selon la plaignante, le lieutenant Vedova lui aurait répondu de ne pas s'inquiéter, qu'elle n'allait pas lui dire quoi faire mais qu'elle allait obtenir grâce à eux un très bon RAP.

    363. Le temps passant, le lieutenant Vedova a constaté des erreurs dans la correspondance de la plaignante et, parfois, cette dernière faisait des erreurs d'interprétation touchant certains règlements relatifs à la rédaction des manuels ou aux OAFC. Au contre-interrogatoire, le lieutenant Vedova a confirmé que l'incident des chaussures a influé sur la note attribuée au RAP à la rubrique portant sur la réponse aux ordres. Cet incident a réduit la note à cinq (les années précédentes, elle était de sept). Le lieutenant Vedova a mentionné que sans cette note de cinq, la note totale de la plaignante aurait probablement été de 7,1. Le lieutenant Vedova estimait que la note 6,9 pour le RAP était assez bonne, en ne tenant pas compte de la nécessité de réduire sa note.

    364. Cette évaluation de la note RAP de la plaignante par le lieutenant Vedova est partagée également par le commandant de la base, le colonel McGee. À son sens, la note RAP et l'évaluation promise par le lieutenant Vedova et signée et commentée par lieutenant-colonel King le 13 janvier 1992 se résument ainsi : une bonne évaluation moyenne, qui exige toutefois une certaine attention à la rubrique concernant les réactions aux ordres.

    365. La seule participation de l'adjum Macnair au RAP de la plaignante a été de mentionner au lieutenant Vedova d'inscrire l'incident des chaussures car, selon lui, toute lacune grave se produisant pendant une période d'évaluation doit être inscrite dans le rapport d'appréciation du militaire. À ses dires, il ne voyait aucune difficulté dans le travail de la plaignante jusqu'à l'arrivée du major Couture, qui lui a souligné certains problèmes en août ou septembre 1991. C'était probablement la période où le lieutenant Vedova était en vacances et où l'adjum Macnair agissait comme superviseur de la plaignante. Cela concorderait avec l'impression de la plaignante concernant les changements qu'elle a observés dans ses rapports avec ses surveillants après août 1991.

    366. L'adjum Macnair se souvenait avoir abordé ou mis en garde la plaignante concernant la qualité de son travail, à cette époque. Cela portait sur des erreurs d'orthographe ou de frappe, ainsi que sur la ponctuation. Il a également confronté la plaignante pendant l'incident du caporal-chef Alexander, parce que celle-ci avait abordé ce dernier.

    367. L'adjum Macnair se souvenait aussi avoir mis en garde la plaignante concernant une conversation qu'il avait entendue en entrant dans la cantine, conversation entre celle-ci et un civil présent à cet endroit. C'était une conversation de nature sexuelle et qu'il trouvait déplacée.

    368. La plaignante a présenté une demande de règlement de grief pour son RAP le 4 février 1992. Au paragraphe 3 de sa note de service, elle écrivait qu'en raison de la demande de règlement de grief concernant son avertissement écrit et de la note de service sur l'abus et le harcèlement, dont l'enquête était toujours en cours, elle ne croyait pas pouvoir obtenir de cette section une note ou des commentaires objectifs pour son RAP. (Pièce HR-1, onglet 10, document 10.3) Elle a informé le lieutenant-colonel King que selon elle, sa note RAP était de 7,1.

    369. Le 25 février 1992, elle recevait du lieutenant-colonel King une réponse concernant la demande de règlement de grief pour son RAP de 1991. Dans sa note de service, ce dernier rejette sans équivoque le grief et lui écrit notamment ceci :

    [Traduction]

    4. La seule erreur de jugement que nous avons faite pendant la préparation de votre RAP était que, en votre qualité de commis de la Salle des rapports MMS, vous aviez la tâche de transcrire le brouillon de votre RAP en même temps que celui des autres personnes de votre section. Vos supérieurs comptaient sur votre intégrité professionnelle, mais ils ont été amèrement déçus de votre interprétation erronée des faits et de votre manque évident de maturité et d'intégrité.

    6. Les détails que vous avez mentionnés dans votre document, à propos d'autres personnes, sont troublants et très contestables. Je n'en dirai pas plus, sauf que vos observations et mon enquête subséquente révèlent que c'est vous qui manquez d'objectivité. Vos remarques et citations sont purement vindicatives, intéressées et totalement non professionnelles, d'où l'inutilité d'observations détaillées à ce sujet.

    7. Compte tenu des faits qui sont ressortis des enquêtes récentes faisant suite à vos plaintes et demandes de règlement de grief, je suis convaincu que la note de votre dernier RAP était légèrement généreuse. Si j'en ordonnais la révision et la refonte, vous recevriez une évaluation considérablement plus faible. Je rejette donc votre demande de règlement et vous informe que si vous décidez de poursuivre davantage, ce sera très vraisemblablement à votre détriment.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 10, document 10.4)

    370. D'après son témoignage, la plaignante n'aurait jamais transcrit la note de son propre RAP et l'information donnée par le lieutenant-colonel King au paragraphe 4 de sa note est erronée. C'est ce que le lieutenant Vedova a confirmé dans son témoignage.

    371. La plaignante a affirmé être effrayée par les observations du lieutenant-colonel King au paragraphe 7 (ci-dessus) et croyait que l'intimée exercerait d'autres formes de représailles et que tout ce qu'elle pouvait faire, c'était d'attendre.

    372. Le 28 février 1992, la plaignante a porté sa demande de règlement de grief concernant le RAP au colonel McGee, pour qu'il étudie l'affaire. La plaignante a adopté un ton négatif et, au paragraphe 3, elle utilise des termes méprisants et peu professionnels, par exemple :

    [Traduction]

    1. Monsieur, je vous adresse la présente car je n'ai pas reçu de réponse que j'estimerais objective.

    2. En réponse à l'allégation de l'OSTB, réf. C, par. 2, voulant qu'il n'ait jamais été averti que j'avais demandé un rendez-vous, je dirai simplement que cette question ne me préoccupe plus et devrait être débattue avec l'O Adm Pers B et non moi-même, car j'ai demandé l'entrevue par son entremise et je n'ai aucune raison de douter que, lorsqu'il m'a informée, il m'avait bel et bien demandé une entrevue avec l'OSTB.

    3. En réponse à la réf. C, par. 4, je ne suis pas à l'origine de la situation, mais je me trouve dans un terrible imbroglio sur lequel je n'ai pas de contrôle. En raison de l'ignorance manifeste que j'ai constatée, je dirais simplement que je n'ai pas transcrit mon RAP. J'ai simplement écrit à la section 1 mes détails personnels comme on me l'avait demandé. La secrétaire du BT-B a transcrit le brouillon et je ne savais pas ce qui s'y trouvait jusqu'à ce que je l'aie signé en présence de l'OSTB et du lieutenant Vedova.

    4. Je m'interroge sur sa déclaration, réf. C, par. 7, de ne pas pousser l'affaire plus loin car cela serait à mon détriment.

    5. À l'encontre de tout conseil injustifié de l'OSTB, je demande donc que cela soit analysé de façon impartiale par vos services.

    5. En espérant, Monsieur, que vous y donnerez suite.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 13, document 13.1)

    Le 5 mars 1992, le colonel McGee rejetait la demande de règlement de griefs concernant la note RAP, en précisant qu'il était troublé par le ton de la correspondance de la plaignante. Voici un extrait de sa réponse :

    [Traduction]

    2. Je demeure toutefois inquiet de certaines pratiques et habitudes qui sont caractéristiques de votre rendement et qui justifient des notes considérablement plus faibles.

    3. ...Je suis étonné par le ton de votre note. À diverses reprises, vous faites des remarques méprisantes sur d'autres personnes, ce que je ne saurais accepter. ...Votre attitude envers vos supérieurs, officiers ou sous-officiers, me laisse perplexe. Nous sommes dans les Forces canadiennes. Vous serez traitée comme tous vos pairs et devez vous comporter comme eux. Vous devez savoir quelle est votre place et apprendre à y travailler sans difficulté. Je n'accepterai plus de vous quelque lettre témoignant d'un irrespect envers vos supérieurs ou d'un mépris envers les autres. ...

    4. Pour terminer, j'estime que votre RAP était plus qu'équitable en ce qu'il ne vous a pas tenue suffisamment responsable de votre comportement. En d'autres termes, vous avez obtenu une note plus élevée que celle qui aurait été justifiée. Voilà pourquoi je rejette votre demande de règlement. Vos anciens superviseurs ont erré en ne consignant pas officiellement au RAP les problèmes que vous éprouviez ou que vous créiez à votre travail. J'espère que ces erreurs ne se reproduiront

    plus...

    (Pièce HR-1, onglet 13, document 13.2)

    1. Le colonel McGee a mentionné dans son témoignage qu'il essayait simplement, dans sa réponse, de préciser qu'il ne trouvait pas que le RAP était une mauvaise évaluation, mais qu'il se serait attendu à une note globale moins élevée, par suite de l'avertissement écrit. Au lieu d'une note de 5 à la rubrique concernant la réaction aux ordres, il aurait plutôt vu 4. Selon le colonel McGee, les notes RAP provisoires que la plaignante a pu voir peuvent devoir être modifiées en raison de ce qu'il a appelé le facteur X. Il évoque là un mécanisme mis au point par les FAC pour attribuer une note moyenne à chaque corps de métier et, lorsque les notes individuelles passent au palier suivant de la formation, elles sont comparées à une courbe en cloche et corrigées selon les résultats.

    374. Le 3 avril 1992, la plaignante a demandé au colonel McGee de présenter à nouveau sa demande de règlement de grief sur son RAP de 1991 au Commandement aérien pour réévaluation. Le colonel McGee s'est conformé à cette demande et, le 8 avril 1992, transmettait le grief en révision au Commandement aérien.

    (v) Congé de maladie

    375. Les dossiers médicaux des médecins de la base qui ont vu la plaignante du 3 mars 1991 jusqu'à son départ volontaire ont été reçus en preuve. Le 25 mai 1992, la plaignante a consulté à la base le Dr Mortellaro, dont les notes font mention que la plaignante a demandé à voir une femme médecin non militaire spécialisée dans les cas d'abus sexuel et de harcèlement, un Dr Wright, i.a., travaillant au Crisis Centre de Comox. Le Dr Mortellaro constate que la plaignante se réveille tôt le matin, ressent de la colère et de l'agitation, perd de l'intérêt pour ses activités quotidiennes et se plaint qu'elle va plus mal et qu'elle a besoin de conseils. La plaignante lui a fait part qu'elle a déjà eu des idées suicidaires, se demandant si la vie en valait la peine. Le Dr Mortellaro n'a pas observé ces mêmes éléments à la visite du 25 mai 1991. Il termine ses notes en précisant qu'il lui trouverait un conseiller/psychiatre approprié. (Pièce HR-7, onglet 10, p. 56)

    376. D'après les notes du Dr Mortellaro, le 26 mai 1992, il a reçu un appel de la plaignante, qui insistait pour voir le Dr Wright et il lui aurait expliqué qu'il essaierait de trouver un psychiatre. D'après le témoignage de la plaignante, Manon Bertrand, employée au centre des femmes, lui avait recommandé de voir Joan Wright en raison de la réputation de celle-ci auprès des victimes d'abus sexuel et de harcèlement sexuel.

    1. Le 28 mai 1992, la plaignante obtenait un congé de maladie pour subir une chirurgie au genou. Elle a choisi cette période parce qu'elle ne pouvait avoir d'absence autorisée pour stress et qu'elle croyait que le temps de récupération après l'opération lui permettrait de se retrouver. Son congé de maladie pour la chirurgie du genou était du 28 mai aux environs du 7 juin 1992.

    378. Tandis qu'elle était en congé de maladie pour sa chirurgie du genou, les médecins de la base ont suivi le rétablissement de la plaignante. Les médecins de la base l'ont également rencontrée pour d'autres motifs. On constate, par exemple, que le Dr Mortellaro a inscrit trois notes médicales le 2 juin 1992. Il a informé la plaignante qu'il avait pris des dispositions pour qu'elle puisse voir une psychiatre non militaire à Victoria, ce que la plaignante semblait avoir bien accueilli. Dans sa deuxième note, il mentionne un appel téléphonique de la plaignante qui désirait voir Joan Wright et le Dr Mortellaro l'a informée qu'elle devait d'abord consulter la psychiatre et que si cette dernière souhaitait qu'elle voit Joan Wright, il était d'accord. Il mentionne dans sa note que la plaignante a refusé de voir la psychiatre; le Dr Mortellaro lui a demandé d'en discuter avec le chirurgien de la base. Dans sa dernière note, le Dr Mortellaro mentionne que le Dr Jacques a discuté avec la plaignante et qu'elle avait accepté de voir le Dr Whitaker. (Pièce HR-7, onglet 10, p. 59)

    379. Aux notes médicales du Dr Jacques, on peut lire, au 2 juin 1992, qu'il a discuté avec la plaignante de sa recommandation et de celle du Dr Mortellaro de voir un psychiatre pour une première évaluation et que si ce dernier recommandait une thérapie, elle pourrait choisir quelqu'un en ville. Il écrit que c'est là la politique interne. D'après sa description, la plaignante était très négative à la fin de la discussion, ajoutant qu'elle n'a pas de moyen de transport. Le Dr Jacques écrivait ensuite qu'il organiserait son transport, ajoutant encore une fois qu'elle était très négative, affichant une attitude très inappropriée, ce qu'il lui a fait remarquer. (Pièce HR-7, onglet 10, p. 60)

    380. Le 5 juin 1992, le Dr Jacques autorisait un autre deux semaines de congé de maladie à la plaignante, pour son genou, soit du 7 au 23 juin 1992. Quatre jours plus tard, soit le 9 juin 1992, on trouve dans ses dossiers médicaux que la plaignante ne s'était pas présentée au rendez-vous. Il lui a téléphoné à 9 h, lui ordonnant de se rendre à l'hôpital et lui a envoyé un moyen de transport. Il l'a vue à 10 h et a examiné son genou. Après l'examen, il inscrit dans ses notes qu'en présence d'un autre militaire, il a discuté du rendez-vous avec le psychiatre et que la plaignante trouvait toute sorte d'arguments pour ne pas y aller, ne voulant pas consulter un psychiatre militaire. Il écrit dans ses notes qu'il a pris des dispositions pour qu'une ambulance militaire la transporte à Esquimalt et il ajoute :

    [Traduction]

    La patiente a été ordonné de consulter un psychiatre le mercredi 10 juin 1992 à 10 h, à Victoria, devant témoin. (capitaine Cymbala) Dr R. Jacques

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 63)

    381. Le témoignage de la plaignante à propos de sa visite au Dr Jacques le 9 juin 1992 concorde avec les notes de ce dernier. Après cette rencontre, la plaignante est revenue chez elle, très perturbée selon ses termes. Elle a dit avoir craint de ne pas revenir chez elle. Cette crainte reposait sur une conversation qu'elle avait eue antérieurement avec un autre militaire qui, à son souvenir, a été interné pendant trois mois après une évaluation par un psychiatre militaire. La plaignante craignait que la même chose lui arrive.

    382. À 6 h 30 le 10 juin 1992, une ambulance militaire s'arrêtait devant la demeure de la plaignante. Aux dires de la plaignante, sa mère et son fils l'ont vue entrer dans l'ambulance. Même si le Dr Mortellaro, dans ses notes, mentionne un psychiatre de Victoria, la plaignante a témoigné qu'elle a été conduite à Esquimalt sous escorte militaire et interviewée par un psychiatre, le Dr Whitaker.

    383. La plaignante a affirmé croire que le Dr Whitaker était un médecin militaire. La seule preuve du contraire se trouve dans la note du 2 juin 1992 du Dr Mortellaro, dans laquelle il écrit :

    [Traduction]

    "...J'ai pris les dispositions pour qu'elle soit vue par une psychiatre non militaire, à Victoria (Dr Whitaker)..."

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 58)

    384. La plaignante a enregistré sur bande son entrevue avec le Dr Whitaker. Le docteur lui a demandé si elle avait consulté un psychiatre ou avait été hospitalisée pour des raisons psychiatriques. La plaignante a dit au Dr Whitaker qu'elle avait fait une plaisanterie dans l'ambulance à l'adresse des personnes qui l'accompagnaient, leur disant : Regardez-moi cette escorte, pour une névrosée, ou schizophrène ou quelque chose comme cela. (Pièce HR-18, p. 45). Le caporal Legault se souvenait que la plaignante lui avait parlé de son voyage en ambulance à Victoria pour une évaluation psychologique. Le caporal Legault estimait que c'était là une mesure dégradante pour qui que ce soit.

    385. La plaignante a été ramenée chez elle le même soir, après la visite chez le Dr Whitaker.

    386. Le 11 juin 1992, le matin suivant la visite chez le Dr Whitaker, et encore pendant son congé de maladie, la plaignante recevait un appel de la base, l'informant qu'un conducteur en voiture militaire viendrait la chercher pour la conduire chez le capitaine McLachlan. Selon elle, on est venu la chercher. À son arrivée au bureau du capitaine McLachlan, ce dernier lui a remis une note de service du 9 juin 1992 (deux jours auparavant) signée par le commandant de la base, le colonel McGee. Voici le texte intégral de cette note de service :

    [Traduction]

    1. À la référence A, vous mentionnez des constatations ou une audience tenue le 22 mai 1992. Les constatations sont reproduites à la référence B.

    2. Vos allégations concernant la procédure de grief et l'examen de vos plaintes à mon palier, où vous laissez entendre qu'on reporte l'examen au Commandement aérien, sont fausses et constituent une insubordination. Vous avez été officiellement mise en garde contre ce genre d'observations, dans le passé, dans des notes de service et des avertissements verbaux et écrits. Pour cette raison, j'estime que vos agissements enfreignent ces mises en garde et je dois vous imposer une période de mise en garde et probation.

    3. Parce que vous avez déclaré que vous souffriez d'un choc émotif, je vous envoie en observation médicale et évaluation psychiatrique, de façon à ce que vous receviez les meilleurs soins possibles.

    (Pièce HR-1, onglet 18, document 18.1)

    387. Après avoir donné à la plaignante cette note de service, le capitaine McLachlan l'a accompagnée au bureau du lieutenant-colonel van Boeschoten, qui était O Adm B. Ce dernier lui a dit qu'elle était placée en mise en garde et probation. Il lui a remis un document signé par lui-même, dans lequel on peut lire notamment :

    [Traduction]

    Malgré un avertissement qui lui a été servi le 26 novembre 1991 pour ses manières belliqueuses et contestataires dans ses rapports avec ses supérieurs, elle a continué à se conduire ainsi en envoyant des notes contestataires et insubordonnées dans la chaîne de commandement.

    On l'a pressée d'éviter ce genre de correspondance à l'avenir, tout en l'avertissant qu'elle devrait désormais éviter d'être belliqueuse ou contestataire dans ses rapports verbaux avec les sous-officiers et officiers.

    À défaut de corriger cette lacune, elle sera renvoyée des Forces canadiennes.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 18, document 18.3)

    388. D'après son témoignage, la plaignante, après avoir reçu les deux documents, est revenue au bureau du capitaine McLachlan où elle en a reçu un troisième. Il s'agissait de la réponse du colonel McGee à sa note de service du 25 mai 1992 dans laquelle elle demandait que son règlement de grief de harcèlement et d'abus de pouvoir soit présenté au Commandement aérien. La note de service a été établie deux jours auparavant, soit le 8 juin 1992.

    389. À titre de suivi à la visite de la plaignante chez le Dr Whitaker, on peut lire, dans les notes médicales du Dr Jacques, que le 10 juin 1992, il a reçu un appel téléphonique du Dr Whitaker et a pris les notes suivantes :

    [Traduction]

    La patiente ne manifeste pas de dépression.

    - sorte de trouble d'adaptation dû au stress;

    - en contact avec la réalité;

    - responsable de ses actions;

    - exprime également des doutes sur elle-même et voudrait pour cette raison obtenir l'aide d'un conseiller.

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 63)

    390. D'après ses notes, le Dr Whitaker a recommandé une brève thérapie avec rémunération en dix séances. C'est pour cette raison que le Dr Jacques, le 11 juin 1992, informait la plaignante qu'elle recevrait dix séances de thérapie.

    391. Le Dr Whitaker n'a pas témoigné devant le Tribunal. Je me rapporte à son rapport rédigé à l'intention du Dr Mortellaro et portant la date du 17 juin 1992. Même si la note du 10 juin 1992 du Dr Jacques ne comporte aucune mention de preuve de dépression, le Dr Whitaker, dans son rapport, porte un diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur dépressive - se résorbant (DSM IIIR 309.00). Le DSM est le manuel de diagnostic et de statistique utilisé par les psychiatres de par le monde; on y trouve une liste des critères normalisés des maladies. La version consultée est la troisième édition révisée. (Pièce HR-1, onglet 18, document 18.2). Le Dr Whitaker a formulé deux recommandations, soit une psychothérapie de courte durée, offerte dans la région, et une formation à l'affirmation de soi. Il n'est pas mentionné dans les notes du Dr Jacques s'il a communiqué à la plaignante le diagnostic du Dr Whitaker.

    392. En raison de la période de mise en garde et de probation, la cote de sécurité de la plaignante a été réduite. D'après le témoignage du colonel McGee, le changement devait rester en vigueur jusqu'à l'achèvement d'un examen de contrôle. La plaignante a été informée de l'abaissement de sa cote le 11 juin 1992, lorsqu'elle a appris qu'elle était en période de mise en garde et probation. Cette réduction de sa cote de sécurité a obligé la plaignante à partir de la SRB. D'après le rapport du 11 juin du lieutenant-colonel van Boeschoten, il aurait été dangereux que la plaignante ait accès aux dossiers de la SRB, car elle aurait pu utiliser l'information tirée des dossiers des autres militaires pour servir sa propre cause. Les raisons du Changement de situation ont été consignées ainsi par le lieutenant-colonel van Boeschoten :

    [Traduction]

    2. Les changements de situation personnelle qui suivent sont susceptibles d'influer sur la cote de sécurité de la personne visée et ont été consignés : le militaire a fait l'objet d'un avertissement écrit le 26 novembre 1991 pour avoir agi de manière belliqueuse et contestataire envers ses supérieurs. Elle est désormais en mise en garde et probation pour avoir écrit au commandant de la base maintes notes manifestant son insubordination. Il serait dangereux qu'elle ait accès aux dossiers cotés PROTÉGÉ B ou d'une cote supérieure, car elle pourrait utiliser les renseignements des dossiers personnels des autres militaires pour servir sa propre cause.

    3. Il faut signaler dans l'affaire présente certains facteurs supplémentaires : puisqu'elle a reconnu elle-même devant le commandant de la base qu'elle avait subi un choc émotif, elle a été envoyée en consultation pour observation médicale et évaluation psychiatrique le 10 juin 1992. Par suite de cette évaluation, elle a été aiguillée vers un thérapeute civil.

    (Pièce HR-1, onglet 18, document 18.4)

    393. Sa cote de sécurité ayant été réduite, on l'a informée le 11 juin 1992 qu'elle était mutée au centre de formation linguistique. Après avoir rencontré le capitaine McLachlan et le lieutenant-colonel van Boeschoten, la plaignante a témoigné qu'elle a été conduite au cabinet du Dr Jacques et y a appris qu'elle recevrait dix séances de thérapie. C'est ce que confirment les notes médicales de ce jour du Dr Jacques.

    394. Le 22 juin 1992, le Dr Jacques prolongeait le congé de maladie de la plaignante jusqu'au 7 juillet 1992. Il s'agissait du congé accordé pour qu'elle subisse une chirurgie du genou.

    395. Le 7 juillet 1992, le Dr Jacques prolongeait encore le congé de maladie de la plaignante pour le même motif jusqu'au 30 juillet 1992. Pendant ce congé, la secrétaire de la base lui a téléphoné, l'informant qu'elle devrait témoigner le matin suivant à la commission d'enquête militaire, ce qu'elle fit. Selon ses termes, l'entrevue, dirigée par une commission de cinq membres, l'a désorientée. La procédure adoptée par la Commission était selon elle un type de contre-interrogatoire. Elle a été interrogée par les cinq membres placés en demi-cercle. D'après son témoignage, elle finissait à peine de répondre qu'on lui posait une autre question. Plus tard, on l'a rappelée pour signer une déclaration, ce qu'elle a fait contre son gré, car elle ne savait pas vraiment ce qui arrivait.

    396. La plaignante a rendu publiques ses préoccupations en juin 1992. Elle a communiqué avec les journaux et rédigé un communiqué car, selon elle, c'était le seul moyen qui lui restait pour se protéger. À l'époque, elle a également rencontré un député et est passée à un bulletin de nouvelles de la SRC (au réseau anglais).

    (vi) Travail au centre de l'information linguistique

    397. À la fin de son congé de maladie, en juillet 1992, la plaignante a repris le travail au centre de formation linguistique, se présentant à l'adjudant Turcott. Elle n'avait qu'à transcrire des procès-verbaux de scouts et la correspondance pour l'étudiant qui était présent au centre. Elle s'est trouvée s'occuper de la correspondance personnelle par manque de travail. À son sens, la mutation au centre de formation linguistique était une rétrogradation latérale qui, affirmait-elle, lui a imposé davantage de stress. À cette époque, elle a consulté le Dr Raymond, médecin militaire de la base, qu'elle a trouvé peu sympathique à ses sentiments de stress. En quittant le bureau de ce dernier, d'après son témoignage, elle revenait au travail, s'asseyait à son bureau et pleurait de façon incontrôlable.

    398. La plaignante a témoigné qu'en août 1992, elle estimait avoir été constamment pénalisée parce qu'elle avait porté plainte. Le 25 août 1992, elle écrivait au lieutenant-colonel van Boeschoten, O Adm Pers B, et lui mentionnait qu'elle faisait encore l'objet de harcèlement. Voici un extrait de cette note :

    [Traduction]

    4. Depuis cette rencontre (le 22 mai 1992) j'ai fait l'objet d'autres mesures de harcèlement :

    a. le 9 juin 1992, j'ai dû me rendre au bureau du Dr Jacques pour subir une évaluation psychiatrique. Le colonel McGee a recommandé que je sois envoyée en évaluation psychiatrique, dont les résultats sont à la référence A;

    b. le 10 juin 1992, une ambulance s'est présentée devant mon domicile pour me conduire à Victoria afin d'être évaluée et mon fils m'a demandé où j'allais en ambulance;

    et

    PROTÉGÉ B

    c. le 11 juin 1992, j'ai été rappelée au travail par le capitaine McLachlan, supposément pour recevoir une réponse à la référence E. À mon arrivée à son bureau, on m'a remis en même temps les références C et D;

    d. le 11 juin 1992, sur la recommandation du colonel McGee, j'ai été placée en période de mise en garde et probation sur la base de la référence E;

    e. le 11 juin 1992, ma cote de sécurité SECRET a fait l'objet d'une recommandation de révocation par le lieutenant-colonel G. van Boeschoten pour le motif suivant : en raison de mon choc émotif, je risquais d'essayer d'avoir accès à d'autres dossiers personnels de cote Protégé B pour servir ma propre cause;

    f. le 24 juin 1992, j'ai été appelée par le capitaine McLachlan pour prendre les documents et obtenir mon autorisation de congé de maladie. J'ai demandé quels étaient les documents et on m'a dit de signer comme si j'avais été informée et si je comprenais l'ORFC 19.36, même si j'avais déjà rencontré l'officier d'information (B), le major Bottomley, qui m'a précisé quels étaient les renseignements que je pouvais divulguer;

    g. le 2 juillet 1992, la réserviste Bedford déchiquetait des quantités considérables de papier. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'elle déchiquetait, elle a répondu : le dossier de Kim. Elle aurait alors dit :

    [Traduction]

    Ils essaient de faire croire qu'elle a perdu l'esprit;

    h. le 31 juillet 1992, j'ai été appelée à 12 h 30 après mon retour d'un rendez-vous chez le médecin et informée par le capitaine McLachlan que je devais me présenter au travail puisque mon congé de maladie s'était terminé le 30 juillet 1992. Pourtant, je n'en avais jamais été informée par mes superviseurs. Le sergent Lévesque m'avait appris qu'il faudrait envoyer un message au Commandement aérien pour faire approuver un autre congé de maladie et que j'en serais informée;

    j. à la révocation de ma cote de sécurité, j'ai été à nouveau mutée dans un autre service.

    (Pièce HR-1, onglet 22, document 22.1)

    399. Dans sa note du service du 25 août au lieutenant-colonel van Boeschoten, la plaignante demandait que sa note de service de cette date soit acheminée au Commandement aérien et elle demandait en outre réparation de ce qui suit :

    [Traduction]

    a. annulation de la mise en garde et probation;

    b. rétablissement de ma cote de sécurité SECRET;

    c. récupération de mes vacances annuelles prises pendant mon emploi à la Section des transports (Base);

    d. indemnisation financière afin que les membres de ma famille puissent obtenir une thérapie privée, car ils ont été directement affectés par les événements;

    e. que l'on m'accorde un poste à la nouvelle commission de la base en cours de création conformément à la référence G. [Commission de rédaction des procédures concernant le harcèlement sexuel]

    (Pièce HR-1, onglet 22, document 22.1)

    400. Le lieutenant-colonel van Boeschoten a fait connaître sa réponse le 8 septembre 1992. Il était en désaccord avec la plus grande partie du contenu de la note de la plaignante du 25 août, mentionnant qu'il étudierait volontiers une demande révisée s'en tenant aux faits et qu'elle devait préciser à quelle demande de règlement de grief en cours sa correspondance s'appliquait. Il lui mentionnait que sa rencontre avec le commandant de la base le 22 mai 1992 n'avait pas pour but de créer un environnement d'intimidation ou de harcèlement, mais qu'il s'agissait d'une tentative honnête et ouverte du commandant de la base pour mieux comprendre la situation et, éventuellement, régler le problème. Il mentionne aussi qu'en aucun temps il n'y avait eu intention de harcèlement, dans l'ordre du commandant de la base concernant une évaluation psychiatrique et une baisse de la cote de sécurité, mais que ces mesures reposaient sur ce que le commandant de la base voyait comme un choc émotionnel chez la plaignante et que cela était dans les meilleurs intérêts des personnes visées et des FAC. Il ajoutait que, d'après les résultats de l'évaluation psychiatrique, qui lui ont été communiqués le 3 septembre 1992, il prenait des mesures pour lui rendre sa cote de sécurité. (Pièce HR-1, onglet 22, document 22.2)

    401. Plutôt que de répondre à la demande du 8 septembre 1992 du lieutenant-colonel van Boeschoten, la plaignante a décidé de transmettre directement au Commandement aérien sa demande de règlement de grief. Elle a envoyé au Commandement aérien une lettre contenant les renseignements voulus, le 21 septembre 1992.

    402. Le 15 septembre 1992, le Commandement aérien, par l'entremise du colonel M.P. Areya, transmettait à la plaignante des exemplaires des documents non protégés par le secret professionnel de l'avocat, à propos de sa demande de règlement de grief pour l'avertissement écrit. C'était la première fois que l'intimée communiquait à la plaignante des renseignements dont elle disposait et l'invitait à y répondre. Parmi ces documents figurait la note de service rédigée par l'officier marinier Pistun le 20 septembre 1989. On y mentionnait un avertissement verbal qu'il avait servi à la plaignante pour sa réplique concernant une procédure d'affichage des messages. Il s'agit de la même note de service que dans le rapport d'enquête sommaire du major Bottomley.

    403. La plaignante a témoigné qu'elle ne se souvenait pas des circonstances entourant le document préparé par l'officier marinier Pistun et qu'elle n'avait jamais vu le document avant qu'il ne lui soit communiqué par le Commandement aérien. D'après ce document, l'officier marinier Pistun lui servait un avertissement verbal à l'égard de son attitude qui frôlait l'insubordination.

    404. Il faut rappeler que le colonel M.P. Aruja, sous-chef d'état-major - Personnel, Commandement aérien, qui a écrit à la plaignante le 15 septembre 1992 pour lui transmettre l'information afin qu'elle l'examine et y réponde, a rédigé une note de service à cette même date à l'intention du commandant, Commandement aérien, recommandant le rejet du grief de la plaignante sans attendre la réponse de celle-ci. Dans cette note de service du 15 septembre 1992, au paragraphe 2, il résume les événements entourant l'avertissement écrit. Selon son compte rendu, l'avertissement écrit a été servi :

    [Traduction]

    ...à la suite d'une note de service expédiée par la militaire à l'intention de l'adjudant de la base, concernant des chaussures non autorisées en vertu du règlement en vigueur sur la tenue vestimentaire.

    (Pièce HR-1, onglet 23, document 23.2)

    Il semble qu'il ait compris que la note de service rédigée par la plaignante le 29 octobre 1992 (plus de précisions à la rubrique Incident des chaussures) a été à l'origine de la visite du comité consultatif des femmes.

    405. Le 18 septembre 1992, la plaignante écrivait au sous-chef d'état-major - Personnel, au quartier général du Commandement aérien, pour s'informer de la note de service rédigée par l'officier marinier Pistun relativement à l'avertissement verbal.

    406. Selon les notes médicales, le 14 septembre 1992, la plaignante a demandé à voir le Dr Raymond pour obtenir un congé pour cause de stress. Le Dr Raymond n'a pu la rencontrer, de sorte qu'on a pris un rendez-vous avec le Dr Ross pour le jour suivant, soit le 15 septembre 1992. Dans de longues notes portant cette date, le Dr Ross confirme que la plaignante a demandé un congé pour stress. Il précise notamment qu'elle était très pressante et en colère et qu'il n'a pu lui accorder son congé en raison de la complexité de la situation; il l'a informée qu'elle devrait s'adresser au Dr Raymond, avec lequel elle pourrait obtenir un rendez-vous dans deux ou trois jours. (Pièce HR-7, onglet 10, pages 69, 70, 71)

    407. Le 16 septembre 1992, on peut lire dans les notes médicales que la plaignante s'est présentée au cabinet du Dr Raymond, munie d'un rapport civil, déclarant qu'elle devait voir le Dr Raymond. Évidemment, elle a vu le D r Raymond : on peut lire dans ses notes qu'il a consacré à la plaignante 70 minutes. Dans ses notes, très longues, il décrit la plaignante comme agressive, voire menaçante, et manifestant beaucoup de colère à l'endroit de la BFC de Comox. Il ajoute que la plaignante voulait que le Dr Jacques lui accorde huit semaines de congé pour stress. Le Dr Raymond a écrit qu'il ne pouvait justifier un congé pour le moment, même s'il convenait qu'elle avait subi beaucoup de stress ces derniers temps et qu'il lui serait bénéfique de continuer sa psychothérapie et sa formation en affirmation de soi. D'après ses notes, la plaignante s'est mise dans une forte colère, en entendant cela, et a menacé de s'adresser aux journaux locaux ou au bureau de Mary Collins, si elle n'obtenait pas immédiatement son congé pour stress. Il l'a avertie de ne pas le menacer, lui disant que cela était déplacé. Il lui a accordé le lendemain en congé, car elle était très agitée. (Pièce HR-7, onglet 10, pages 72, 73, 74, 75).

    408. Dans les notes médicales du Dr Raymond du 16 septembre 1992, ce dernier mentionne qu'il a parlé au téléphone avec Joan Wright, n'étant pas d'accord sur le diagnostic de celle-ci voulant que la plaignante souffre de trouble de stress post-traumatique (TSPT). C'est la première fois où l'intimée n'était pas d'accord avec un diagnostic de stress post-traumatique. Il semblerait, d'après les notes médicales, que le Dr Raymond ait parlé avec Joan Wright d'une conversation téléphonique qu'il avait eue avec le Dr Whitaker qui, selon les notes du Dr Raymond, ne recommandait pas de congé de maladie à l'endroit de la plaignante. Même si le Dr Raymond ne croyait pas qu'un congé prolongé soit justifié, il a écrit qu'il était d'accord avec l'opinion de Mme Wright, que la poursuite de la psychothérapie serait bénéfique à la plaignante, et il traçait ainsi son plan général :

    [Traduction]

    Plan général -

    1. Communiquer avec le sous-commandant de la chirurgie, lieutenant-commander Cathy Slaunwhite, pour demander 10 séances supplémentaires pour le caporal Franke, chez Mme Wright (j'attend son appel demain).

    2. Prendre des mesures pour une réévaluation par le Dr Whittaker dès que possible? Oct.

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 77)

    409. Dans ses notes du 16 septembre 1992, le Dr Raymond donne d'autres précisions sur une conversation téléphonique qu'il a eue avec la plaignante ce même jour. Dans leur rencontre, plus tôt dans la journée, il avait préconisé une réunion de suivi avec la plaignante et le Dr Whittaker; il note que la plaignante est d'accord avec cela. Il ajoute que dans leur conversation téléphonique subséquente, la plaignante avait changé d'idée, concernant la consultation avec le Dr Whittaker, et il précise :

    [Traduction]

    J'ai rappelé que je demandais une consultation du Dr Whittaker pour évaluer le diagnostic de trouble de stress post-traumatique et formuler une recommandation à propos d'un congé de maladie; ni le Dr Whittaker ni moi-même ne pensions qu'elle souffrait d'un trouble psychiatrique grave.

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 78)

    Il a alors demandé à la plaignante de repenser à la rencontre avec le Dr Whitaker, notant qu'il s'agissait d'une consultation volontaire et que la plaignante ne serait pas obligée d'y assister. Le Dr Raymond termine en mentionnant qu'il a parlé avec le superviseur de la plaignante, le major Leblanc, qui a assuré au Dr Raymond que le contexte de travail serait des plus propices. Après avoir informé la plaignante qu'elle avait le droit de ne pas être satisfaite de son traitement, il écrivait que la plaignante l'a remercié de son appel.

    410. Il semblerait, d'après les notes du 17 septembre 1992 prises par le Dr Raymond, que, conformément à son plan global, il a discuté du cas de la plaignante avec deux militaires, un lieutenant-commander Slaunwhite qui, d'après ses notes, était d'accord, et le lieutenant-colonel van Boeschoten, O Adm Pers B. Il n'a pas pris note du contenu de sa discussion avec le lieutenant-colonel van Boeschoten. Il ajoute qu'il discutera de l'affaire avec un capitaine Thompson, pour le prolongement des séances de thérapie et éventuellement pour recommander un changement de catégorie.

    411. Le Dr Raymond écrivait le 20 septembre 1992 qu'il avait soigneusement analysé les critères du trouble de stress post-traumatique dans le DSM III et qu'à son avis, la plaignante n'y correspondait pas. Voici un extrait de ses notes :

    ...elle satisfait aux critères permettant de porter un diagnostic de trouble d'adaptation tel que décrit au DSM III

    [il ajoutait compter en discuter avec la plaignante à sa prochaine visite.]

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 80)

    412. Le 22 septembre 1992, le Dr Raymond a passé une heure avec la plaignante et l'a trouvée plus raisonnable. Il mentionne notamment qu'elle s'est en fait excusée pour les menaces qu'elle a proférées à sa dernière visite. D'après ses notes, il lui a fait savoir qu'il ne savait pas si la base avait approuvé les dix séances supplémentaires de psychothérapie et lui a parlé notamment du diagnostic de trouble de stress post-traumatique, lui expliquant que selon lui, elle ne satisfaisait pas aux critères à cet égard. (Pièce HR-7, onglet 10, p. 81)

    413. Le 23 septembre 1992, le Dr Raymond recevait du lieutenant-commander Slaunwhite l'approbation des dix séances supplémentaires de psychothérapie et les fonds pour la formation en affirmation de soi au collège North Island. On lit en outre dans ses notes que le lieutenant-commander Slaunwhite avait recommandé un changement temporaire de catégorie de la plaignante parce qu'il ne serait pas sage qu'elle aille dans un poste isolé ou outre-mer avant la fin de sa psychothérapie. Le Dr Raymond était d'accord. Il semble qu'il ait téléphoné à la plaignante, à son travail, pour l'informer de tout cela. Il ajoute que le plaignante a répondu qu'elle comprenait les raisons du changement temporaire de catégorie et qu'elle était contente de continuer sa psychothérapie.

    414. La plaignante, dans son témoignage, a dit que le 23 septembre 1992, le Dr Raymond lui a téléphoné pour lui faire savoir que sa classification médicale était changée à G403, afin que la base paie dix séances supplémentaires chez Joan Wright. Selon la plaignante, c'était une autre façon pour la base de la faire partir.

    415. Le même jour où elle a discuté avec le Dr Raymond du changement temporaire de catégorie, la plaignante commençait sa formation en affirmation de soi. Il s'agissait d'une séance d'une journée qui l'aiderait à formuler ses préoccupations sans se mettre en colère.

    416. La plaignante a témoigné qu'au début d'octobre 1992, elle a changé d'idée, à propos des autres séances de psychothérapie, parce qu'elle ne voulait pas d'un changement temporaire de catégorie. Elle craignait que la base tente par ce moyen de la mettre en disponibilité. Ses craintes sont mentionnées dans les notes médicales prises par le Dr Raymond le 2 octobre 1992 :

    [Traduction]

    No 2/ Ne veux pas des dix séances supplémentaires chez M me Wright, non plus que du changement temporaire de catégorie - craint que nous essayions de la placer dans une catégorie permanente pour s'en débarrasser.

    (Pièce HR-7, onglet 10, p. 84)

    417. La plaignante a continué à hésiter, ne sachant si elle voulait d'autres séances de thérapie. Environ deux semaines plus tard, elle a décidé d'accepter le changement de catégorie nécessaire et a téléphoné au Dr Raymond, pour lui demander à nouveau des séances chez Joan Wright. Son indécision lui a été fatale parce qu'à ce moment, les responsables de l'approbation avaient changé d'idée à propos des séances psychiatriques supplémentaires. D'après ses notes médicales du 16 octobre 1992, le Dr Raymond a informé la plaignante que les instances médicales avaient décidé de ne pas approuver les séances supplémentaires de psychothérapie. Selon ses notes, on avait envisagé d'autres mesures de traitement, par exemple des séances normales de thérapie avec lui-même, un cours de formation en affirmation de soi, prévu pour novembre, et des rencontres périodiques avec le groupe de soutien de la plaignante, ce qui devait être adéquat pour ce moment. Il mentionnait également qu'à la fin de la rencontre, la plaignante l'avait informé qu'elle ne savait pas si elle continuerait à le consulter.

    (Pièce HR-7, onglet 10, pages 87-88).

    418. Les dernières notes médicales écrites sont du 30 novembre 1992, de la main d'une personne non identifiée, précisant que la plaignante est en vacances depuis un mois, donnant l'impression d'une vive réaction au stress. Selon sa description, la plaignante dort mal et ressent de l'angoisse. D'après le plan thérapeutique, on propose deux jours de congé de maladie; un congé de maladie plus long ne serait pas approprié. D'après l'auteur de la note, si les symptômes persistent, la plaignante devrait envisager de prendre ses congés annuels, à la discrétion de son superviseur. (Pièce HR-7, onglet 10, p. 89)

    (vii) Départ des FAC

    419. Le 29 septembre 1992, la plaignante plaçait une annonce dans un journal local, avec l'appui du Women's Resource Centre de Comox, demandant aux femmes victimes d'harcèlement de se réunir pour former un groupe thérapeutique de soutien.

    420. La plaignante a continué à demander un congé pour stress au début de l'automne. Ne pouvant l'obtenir, elle a demandé un congé sans solde le 15 octobre 1992. Elle estimait qu'elle avait vraiment besoin de rester chez elle et qu'un congé de deux mois l'aiderait à guérir; elle n'avait pas psychologiquement la capacité de continuer son travail. La demande a été refusée le 16 octobre 1992. Par la suite, elle a décidé de prendre ses vacances annuelles accumulées car c'était pour elle le seul moyen d'obtenir un congé et de se rétablir du stress qu'elle avait éprouvé. Le congé a commencé le 26 octobre 1992 et s'est poursuivi jusqu'au 10 janvier 1993.

    421. Dès octobre 1992, les rapports de la plaignante avec l'ensemble du personnel militaire, administratif et médical, étaient marqués par des signes de tension. Ses rapports se sont rapidement détériorés par la suite.

    422. Le 5 octobre 1992, elle recevait une réponse du lieutenant général commander D. Huddleston, du Commandement aérien, refusant sa demande de règlement de grief à l'égard de l'avertissement écrit. Dans cette note de service, le lieutenant général Huddleston mentionne que la note de service de l'officier marinier Pistun a été relevée au cours de l'enquête sommaire menée à la suite de la plainte de harcèlement à la BFC de Comox. Il ajoute que l'officier marinier Pistun n'était pas tenu de lui remettre copie de l'avertissement verbal ni de le verser à son dossier, car ce n'était qu'une note de mise en garde verbale. À la fin de la lettre, il ajoute qu'il rejette sa demande de règlement de grief.

    423. Le 19 octobre 1992, elle a pris des dispositions concernant son départ volontaire des Forces armées. Les raisons inscrites étaient harcèlement sexuel et harcèlement administratif et médical subséquent. La plaignante a témoigné qu'elle avait refusé de signer la formule de cessation d'emploi avant de discuter avec un commis à la mise en disponibilité, mais le document qu'elle a présenté en preuve porte la date du 19 octobre 1992 et trois signatures, soit la sienne et celles du major Leblanc et du lieutenant-colonel van Boeschoten. (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.2)

    424. D'après les documents déposés en preuve, c'est le major Leblanc qui a recommandé son départ. Dans ses observations sur le formulaire de cessation d'emploi, il précise que la date du départ pourrait être modifiée pour une cessation d'emploi en vertu d'un 4c. D'après la plaignante, ce code signifiait qu'elle était incapable de travailler. (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.2)

    425. Le premier formulaire de cessation a reçu l'approbation du lieutenant-colonel van Boeschoten le 19 octobre 1992. Il n'était pas d'accord avec les motifs qu'elle avait inscrits pour la cessation d'emploi, comme le prouvent les observations suivantes :

    [Traduction]

    Demande de cessation d'emploi acceptée. Je crois fermement que les allégations de la militaire ont été et continuent d'être évaluées équitablement. La militaire a fait preuve de beaucoup d'impatience dans le processus et a mis en cause les médias, de plus en plus, dans le but de faire valoir son point de vue. Malheureusement, les FC ne peuvent répondre et doivent demeurer sur la voie droite, de façon à éviter d'impliquer d'autres parties qui pourraient avoir été injustement noircies. Le mécanisme d'examen du règlement de griefs et la commission d'enquête en cours seront menés à terme.

    (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.2)

    426. Le témoignage de la plaignante sur certains événements entourant sa cessation d'emploi porte un peu à confusion. Elle avait de la difficulté à se rappeler précisément les dates de certains événements. D'après son témoignage, le major Leblanc lui aurait demandé d'assister à une réunion dans le bureau du capitaine McLachlan, le 23 octobre 1992, croit-elle, pour discuter de son départ. À sa demande, le caporal Layla Mitchell l'a accompagnée. Elle a essayé d'enregistrer la rencontre, mais on lui a ordonné de cesser. Selon la plaignante, le capitaine McLachlan lui a demandé de signer un deuxième formulaire de cessation d'emploi (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.4), différent de la note de service qu'elle devait signer le 19 octobre 1992 (et qu'elle semble avoir signé en fait (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.2)). D'après son témoignage, on lui a dit que la note de service de cessation d'emploi précédente avait été déchirée. Après ses demandes persistantes, le formulaire déchiré lui a été remis et elle en a recollé les morceaux. Le deuxième formulaire, une demande de mutation/cessation d'emploi volontaire, a été signé par la plaignante et le capitaine McLachlan, le lieutenant-commander Garwood et le lieutenant-colonel van Boeschoten.

    (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.4)

    427. À la réunion du 23 octobre, elle a reçu de l'adjum Janssen, chef de discipline de l'administration, les instructions disciplinaires de direction générale. On y décrivait diverses contraventions de sa part, tout en y mentionnant qu'elle ne s'était pas conformée au code de discipline militaire. On l'avait ensuite avertie verbalement et par écrit qu'à défaut de se conformer à ce code et aux ordres précis énoncés au document, elle ferait l'objet de mesures disciplinaires. L'adjum Janssen avait écrit que l'enregistrement non autorisé d'interactions verbales et la menace d'utiliser des renseignements de l'extérieur dans ses rapports avec le personnel, dans le cadre de ses fonctions, pouvaient être perçus comme une forme de harcèlement de sa part. Le document a été signé et daté par la plaignante le 23 octobre 1992.

    428. Selon la plaignante, dans son expérience de commis administratif, il était inhabituel que les officiers commandants et les officiers de la base signent une cessation d'emploi le jour même de la présentation de la demande. La plaignante savait que, de façon générale, le formulaire était mis à la poste, ce qui fait que l'obtention de toutes les signatures nécessitait environ une ou deux semaines.

    429. La plaignante se souvenait qu'elle avait par la suite été au bureau de la paie pour discuter des choix qui s'offraient à elle à propos de ses cotisations mensuelles de retraite. Parmi les preuves déposées, on trouve un formulaire non daté portant la signature de la plaignante, Certificat conforme à la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes. Selon le témoignage de la plaignante et l'information relevée dans le formulaire, on lui a offert les quatre choix suivants :

    1. choisir de recevoir un remboursement des cotisations en vertu du paragraphe 19. (1) de la Loi;
    2. choisir le paiement d'une rente différée commençant à l'âge de 65 ans;
    3. choisir de recevoir un remboursement des cotisations et les transférer au CPRFP/CPRGRC, ou
    4. choisir de recevoir un remboursement des cotisations et les transférer à un REER (formulaire TD2 requis).

    (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.5)

    430. Elle a mentionné dans son témoignage qu'elle a choisi la solution (d), soit le remboursement des cotisations, pour les transférer dans un REER. Elle conteste maintenant son choix. Elle affirme qu'elle a demandé quelle serait la mensualité de sa pension de retraite, mais n'a pas reçu de réponse, car on ne savait pas. Lorsqu'elle a fait son choix, elle était sous le stress, disait-elle, et si elle avait été plus éclairée, elle aurait opté pour la solution (b). Elle croit avoir choisi l'option (d) parce qu'elle n'était pas certaine si elle serait toujours vivante à 60 ou 65 ans pour percevoir sa pension car, à l'époque, elle n'allait pas bien. Elle a également témoigné qu'elle s'est informée quelle serait la solution la plus avantageuse pour elle, mais qu'on ne lui a pas donné de renseignements. N'ayant pas de meilleure solution, elle a choisi l'option (d).

    431. Il faut rappeler que le certificat conforme à la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes comporte un paragraphe se lisant comme suit :

    [Traduction]

    J'ai été informé(e) par lettre du chef de l'état-major de la Défense en date du _______________ des facteurs financiers et autres qui ont trait au choix d'un remboursement de cotisations et d'une rente différée.

    (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.5)

    432. La partie qui précède n'a jamais été remplie et la plaignante a témoigné qu'elle n'a jamais reçu de lettre de ce type.

    433. D'après les procédures normales de cessation d'emploi, la plaignante devait signer un document intitulé Déclaration officielle. La plaignante l'a signé le 11 décembre 1992 pendant son congé annuel. On y précise que la cessation d'emploi a été accordée en vertu de l'article 4C de l'ORFC 15.01. Avant de signer le formulaire, la plaignante a rédigé ce qui suit :

    [Traduction]

    Devant témoin, le caporal Lynnette Kelly [Layla Mitchell], ils m'ont embarrassée et ont essayé de m'obliger à signer l'OAFC touchant ma cessation d'emploi après les heures normales de travail. Étaient présents le caporal-chef C. Johnsen, l'adjum Janssen, le capitaine McLachlan et le major LeBlanc.

    (Pièce HR-1, onglet 24, document 24.9)

    434. Le 26 novembre 1992, la plaignante écrivait à son député, Mary Collins, afin de lui demander une indemnisation financière à l'égard de la rémunération qu'elle prévoyait perdre. La plaignante a ensuite envoyé deux autres lettres à Mme Collins.

    435. Au cours de novembre et de décembre 1992, tandis que la plaignante était en congé, les séances de thérapie de groupe avec Joan Wright avaient cessé. Elle a témoigné que pendant cette période, elle pleurait encore de façon hystérique et sans savoir pourquoi, et croyait réellement qu'elle avait besoin d'aide. Le 1er décembre 1992, elle a consulté un omnipraticien civil, le Dr Graf-Blaine, pour ses problèmes de stress et, le 11 décembre 1992, elle se rendait au Centre de santé mentale Courtenay et a été référé vers un programme collectif de huit semaines. Le centre a pris des mesures afin qu'elle consulte une psychologue, le Dr Catherine Mahoney. La plaignante a été interviewée par le Dr Mahoney le 17 décembre 1992.

    436. Le rapport préparé par le Dr Mahoney comporte une rubrique de diagnostic provisoire DSM III-R, où l'on peut lire :

    [Traduction]

    DIAGNOSTIC PROVISOIRE DSM III-R

    Axe I 309.89 Trouble post-traumatique

    309.28 Trouble d'adaptation avec composantes affectives mixtes

    Axe II V71.09 Aucun diagnostic sur l'axe II

    (Pièce HR-2, onglet 3)

    437. Le Dr Mahoney a invité la plaignante à participer à une séance de thérapie collective de huit semaines commençant en février 1993. L'objet de ces séances était de développer les limites d'autoprotection et des habitudes en matière de soins personnels. La plaignante a assisté aux séances de thérapie pour obtenir de l'aide.

    438. Selon une déclaration officielle des événements entre la plaignante et l'intimée, le dernier jour de congé annuel de la plaignante était le 4 février 1993. La plaignante a reçu son congé des Forces le 17 février 1993.

    (viii) Après la cessation d'emploi

    439. Après le départ de la plaignante, l'intimée a continué à traiter les griefs amorcés par elle pendant qu'elle était dans les Forces.

    440. D'après les preuves documentaires déposées, le 30 janvier 1993, le Dr Huddleston, lieutenant général commander, Commandement aérien, a transmis la demande de règlement de grief de la plaignante à l'égard de son RAP au QGDN. Il recommandait un soutien partiel à sa demande en ce que la note devait être relevée à 7,0 parce que, indique-t-il dans sa lettre, il ne pouvait accepter la justification avancée par l'OSTB de la BFC de Comox de réduire sa note à 6,9. La justification fournie au Dr Huddleston par le commandant de la base était que l'officier commandant de la plaignante avait déclaré que la note n'avait été réduite qu'en raison du facteur X. Le lieutenant général commander Huddleston a réfuté ce motif car d'après ses constatations, il y avait environ 41 notes élevées à attribuer à la BFC de Comox.

    441. Le 2 mars 1993, la plaignante écrivait à Mme Kim Campbell, alors ministre de la Défense nationale, lui demandant de faire enquête sur son cas.

    442. Le 2 juin 1994, le lieutenant-colonel Brownlee, directeur des Services juridiques du personnel pour le chef de l'état-major de la Défense, transmettait à la plaignante un sommaire de grief et copie des documents à l'appui. Le lieutenant-colonel Browlee invitait la plaignante à lui communiquer ses observations par écrit. Il faut rappeler que le sommaire porte sur trois griefs, d'abord l'avertissement écrit, puis le RAP, et enfin le harcèlement et la mise en garde et probation.

    443. La plaignante a répondu par écrit le 10 juin 1994. On trouve dans la correspondance du 2 juin 1994 du lieutenant-colonel Brownlee copie d'une lettre du remplaçant du colonel McGee, commandant d'escadre, le colonel Rogers. Cette correspondance du 15 juin 1993 adressée au Commandement aérien contenait une forte mise en garde contre tout relèvement de la note RAP de 1991. On y constate un changement de point de vue du Commandement aérien pour le relèvement de la note RAP. C'est ce qui ressort d'une communication du 3 novembre 1993 provenant du commander du Commandement aérien, appuyant les conclusions du colonel Rogers et adressée au QGDN. En dernière analyse, la décision au QGDN était de relever la note RAP de 6,9 à 7,0.

    444. Le 10 octobre 1994, la plaignante recevait une décision provenant du bureau du chef de l' état-major de la Défense. Sa demande d'abrogation de l'avertissement écrit était déboutée, la période de mise en garde et probation étant rescindée et sa note RAP était portée de 6,9 à 7,0. La lettre se termine par des excuses pour tout inconvénient inutile que les retards dans l'étude de ses diverses plaintes à la BFC de Comox pouvaient lui avoir causé. Voici le texte de la décision:

    Mme Kimberley Franke Le 10 octobre 1994

    DEMANDE DE RÈGLEMENT DE GRIEF

    J'ai étudié vos demandes de règlement de grief des 9 décembre 1991 et 4 février et 25 août 1992 concernant un avertissement écrit qui vous a été signifié, votre rapport d'appréciation du personnel (RAP) du 20 janvier 1992 et les plaintes de harcèlement que vous avez déposées parce que l'on vous avait placé en mise en garde et probation, respectivement.

    J'ai analysé les observations que vous avez fournies dans votre correspondance, y compris votre toute récente lettre du 10 juin 1994, ainsi que les observations de vos supérieurs des divers paliers de la chaîne de commandement et ceux du personnel d'état-major du quartier général responsable de ces questions. Ces documents vous ont été communiqués en vertu de l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 19-32.

    En ce qui a trait à l'avertissement écrit, je dois refuser votre demande de resci sion car j'estime qu'il vous a été signifié avec raison. Toutefois, je reconnais que la demande de règlement n'a pas été traitée adéquatement par le personnel de la BFC de Comox et je m'attend à ce que pareilles erreurs ne se reproduisent pas.

    Pour ce qui est de votre RAP 1990-1991, j'ai donné instruction afin que la note soit portée de 6,9 à 7,0. J'ai également demandé la resci sion de la mise en garde et probation qui vous a été signifiée le 11 juin 1992. Je crois savoir que vous avez déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte connexe à propos d'une indemnisation financière et, par conséquent, j'estime qu'il n'est pas de mon ressort de me prononcer là-dessus.

    Puisque, à mon avis, vos diverses plaintes n'ont pas été traitées de la façon la plus rapide par le personnel de la BFC de Comox, je vous présente des excuses pour tout inconvénient inutile que ces retards ont pu vous causer. Toutefois, j'estime que les mesures et ordres que je viens de mentionner constituent une réponse suffisante et adéquate et je m'opposerais à tout autre règlement. Néanmoins, j'aimerais profiter de l'occasion pour vous remercier de votre service dans les Forces canadiennes et vous souhaite l'avenir le meilleur.

    A.J.G.D. deChastelain

    Général

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 28, document 28.3)

    445. Il faut rappeler que la documentation communiquée à la plaignante le 2 juin 1994 par le lieutenant-colonel Brownlee comportait des pièces de correspondance adressées le 19 juin 1992 par le colonel McGee au Commandement aérien. Dans ces documents, on trouve le témoignage de trois personnes. C'était la première fois que ces documents étaient communiqués à la plaignante. Les trois personnes interviewées étaient ses superviseurs, soit le lieutenant Vedova, l'adjum Macnair et le major Couture. L'intervieweur n'est pas identifié dans ce document. Le colonel McGee ne l'a pas non plus identifié dans son témoignage. Le document porte la date du 5 juin 1992 et, par conséquent, a été établi avant le 11 juin 1992, date à laquelle la plaignante a demandé que son grief soit communiqué au Commandement aérien. Il semblerait que les trois superviseurs aient été présents en même temps pendant l'entrevue.

    446. Lorsque la plaignante a reçu ces renseignements, en juin 1994, elle a affirmé dans son témoignage qu'elle croyait que le commandant de la base tenait des réunions secrètes à propos de l'enquête sommaire. Elle estimait qu'elle aurait dû en être et qu'on aurait dû lui accorder à ce moment les mêmes possibilités de répliquer. De plus, elle ne croyait pas que, après avoir présenté son grief au Commandement aérien, la base aurait pu fournir à ce dernier des documents supplémentaires qui ne lui auraient pas été subséquemment communiqués pour qu'elle puisse faire ses observations. Elle a dit que certaines des questions et réponses l'ennuyaient et que recevoir un exemplaire après coup la rendait encore plus confuse. Ces questions et réponses ont trait aux plaintes et aux observations des trois superviseurs sur la tenue vestimentaire de la plaignante. Il faut rappeler que dans les entrevues, le lieutenant Vedova reconnaît que la plaignante a été offensée par les questions du major Couture à propos de ses finances. Rappelons également que dans ces entrevues, l'adjum Macnair mentionne qu'il a interpellé la plaignante par son prénom, lui a demandé, au cours d'une conversation banale, si sa musculature grossissait et peut-être même une fois, se serait massé les pectoraux (qu'il avait douloureux) devant la plaignante. Voici un extrait des questions et réponses :

    [Traduction]

    Au major Couture

    Q. A-t-elle fait quelque chose qui vous inciterait à conclure que ses observations [par exemple biker mama] lui plaisaient?

    R. Non, pas précisément. Par contre, je l'ai vue au centre commercial de Comox et elle portait une culotte si courte que cela a attiré mon attention, même de très loin.

    Au capitaine Vedova

    Q. Capitaine Vedova, le caporal Franke vous a-t-elle parlé souvent du terme de Biker Mama?

    R. Jamais.

    Q. Combien de fois a-t-elle mentionné que le major Couture avait utilisé le mot sexétaire? ...

    R. Une fois.

    Q. Avez-vous informé le major Couture du malaise du caporal Franke?

    R. Non.

    Q. Et pourquoi non?

    R. Elle n'est jamais revenue sur la question, de sorte que j'ai cru que ce n'était qu'une simple observation en passant.

    Q. Constatez-vous maintenant la gravité de ce genre d'observations?

    R. Oui.

    Q. Capitaine Vedova, combien de fois le caporal Franke a-t-elle mentionné ses craintes à propos du major Couture qui s'informait de ses finances?

    R. Une fois. Elle a dit que cela l'avait offensée.

    Q. De quelle façon avez-vous répondu?

    R. J'étais d'accord avec elle.

    Q. Avez-vous pris quelque mesure?

    R. Non, nous parlions de choses et d'autres, notamment de cela. Je n'y ai pas attaché d'importance particulière.

    À l'adjum Macnair

    Q. Adjum Macnair, le caporal Franke déclare que vous avez comparé les attributs physiques du capitaine Vedova à ceux d'une autochtone Maori. Est-ce exact? [la carte postale]

    R. Non. En fait, je n'ai pas beaucoup pensé à cette carte - c'est le genre d'illustration qu'on trouve tout le temps dans le National Geographic. ...

    Q. Adjum Macnair, le caporal Franke vous accuse d'avoir fait à son endroit des gestes qu'elle estime suggestifs, par exemple lécher vos lèvres et faire sortir vos muscles?

    R. J'ai été très étonné. Je croyais que nos relations professionnelles étaient idéales. Je l'appelais par son prénom, Kim, et je m'intéressais quotidiennement à sa vie, parlais avec elle de choses et d'autres à la cantine et lui donnais du temps libre pour ses affaires personnelles. Lorsqu'elle dit que j'exerçais ma musculature, c'était à l'époque où je faisais des poids et haltères et des exercices régulièrement; je lui ai demandé, dans une conversation ordinaire, si ma musculature grossissait. Je n'ai jamais pensé que cela pouvait être suggestif.

    Q. Lui avez-vous demandé de sortir avec elle ou lui avez-vous fait d'autres types d'avances?

    R. Non.

    Q. Le caporal Franke déclare que vous vous êtes frotté la poitrine et avez léché vos lèvres. Qu'en dites-vous?

    R. Je m'étais étiré un muscle en levant des poids et j'avais mal. Je me suis peut-être frotté les pectoraux devant le caporal Franke parce que c'est ce que je faisais, quand mes muscles étaient douloureux, mais ce n'était rien de plus.

    Q. À quelle fréquence?

    R. Une fois peut-être, parce que je ne me souviens même pas si je l'ai fait...

    Q. Le caporal Franke vous a-t-elle jamais laissé entrevoir que vous aviez une chance?

    R. Non, pas directement.

    Q. Que voulez-vous dire?

    R. Je ne veux pas remuer la boue.

    Q. Remuer la boue n'est pas l'objet de notre discussion. Vous êtes devant certaines allégations graves et j'essaie de comprendre leur origine et leur validité.

    R. Elle avait une tenue telle que cela ne laissait rien à l'imagination. À la fin de sa journée de travail, elle se changeait. En vêtements civils, souvent, elle ne portait pas de soutien-gorge et se penchait, exposant ses seins. Sa culotte de sport ne laissait rien à l'imagination.

    Q. Elle portait une culotte de sport à la fin de la journée?

    R. Non, lorsqu'elle sortait marcher avec le capitaine Vedova.

    Au capitaine Vedova

    Q. Capitaine Vedova, de quelle façon décririez-vous la tenue vestimentaire du caporal Franke, lorsqu'elle sortait marcher avec vous?

    R. Provocante. Elle portait quelque chose comme un bikini.

    Q. Lui avez-vous parlé de sa tenue vestimentaire?

    R. Oui, je lui ai demandé comment elle pouvait porter ce genre de vêtement.

    Q. Quelle a été sa réaction?

    R. Elle n'a rien dit.

    À l'adjum Macnair

    Q. Adjum Macnair, avez-vous d'autres indices vous permettant de dire que le caporal Franke s'habillait de façon provocante?

    R. Au club de golf, elle portait des vêtements amples laissant voir ses seins.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 19, document 19.2.1)

    447. Je constate dans la réponse du colonel McGee à la demande de règlement de grief à l'égard de l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement (le 8 juin 1992), qu'il mentionne que la plaignante s'habille souvent de façon provocante et a un comportement suggestif et licencieux. Nous estimons raisonnable de croire que le colonel McGee tire ses informations des notes de l'entrevue du 5 juin 1992.

    448. En juin 1994, la plaignante a suivi un programme de thérapie de six semaines à l'hôpital St. Joseph, à Comox. Selon son témoignage, le programme l'a aidée à trouver ce qui agissait chez elle comme déclencheur et lui a permis de savoir à quel moment elle devenait mal à l'aise.

    449. Après son départ des Forces, la plaignante a communiqué avec le collège des médecins et chirurgiens de la C.-B. pour savoir si le Dr Jacques et le Dr Raymond étaient autorisés à exercer. Elle a également écrit le 4 novembre 1992 une lettre à l'église presbytérienne pour se plaindre de l'aumônier Baker.

    450. Dans l'année suivant son départ, la plaignante s'est inscrite immédiatement à un cours dans un collège de Courtenay. Elle a suivi un cours de huit à dix semaines sur la tenue de livres sur ordinateur. Par la suite, elle a commencé à envoyer des curriculum vitae. Elle a posé sa candidature à des postes chez BC Tel, BC Hydro, à l'Hôtel de Ville, dans des cabinets d'avocats et pour d'autres postes administratifs, mais sans succès. Dans les réponses reçues, on lui précisait que les postes étaient comblés ou qu'on avait choisi un candidat. Elle a trouvé du travail dans un magasin de vidéo tout près de son domicile et y a travaillé environ deux mois. Elle recevait et louait des films sur cassettes vidéo. Après un incident avec un client qui l'avait qualifiée de sweetheart et de honey, elle a laissé son travail sur la recommandation du gérant.

    451. Après l'incident du magasin de vidéo, la plaignante ne pouvait plus, à ses dires, faire face à des situations de conflit ou d'observations dégradantes. Elle a ajouté qu'elle ne pouvait entretenir de rapports avec les hommes, sur quelque base que ce soit, sauf s'ils venaient chez elle pour y travailler. Ceci, d'après son témoignage, l'a obligée à changer de banque, car son ancien directeur de banque était un homme. De plus, poursuivait-elle, elle a un chien qui l'accompagne partout où elle va. Elle se sent ainsi plus en sécurité et s'en sert pour protéger ses limites et son espace personnel.

    452. Elle a ensuite trouvé du travail en 1994 dans une exploitation de pommes de terre à la période des récoltes. Après cette brève période, elle a lancé deux entreprises. Elle fait maintenant du nettoyage à domicile et elle et son époux ont acheté une terre où la plaignante élève des poulets selon les méthodes naturelles. La plaignante a témoigné que ces deux types de travail lui permettent de fonctionner à son propre rythme, quand sa santé le lui permet.

    IV. PREUVES MÉDICALES

    453. Les premières mesures d'aide offertes à la plaignante concernant son stress étaient les séances de thérapie avec Joan Wright, qui se spécialisait dans les cas d'abus sexuel et de harcèlement. Joan Wright, à laquelle le Dr Halliday avait référé la plaignante et qui était sa principale thérapeute, a témoigné devant le Tribunal.

    454. Joan Wright est infirmière autorisée et conseillère inscrite auprès de l'Association of Clinical Counsellors de la C.-B. À l'époque où elle a témoigné, elle avait seize ans d'expérience en conseils cliniques et était spécialisée dans les services conseils, notamment pour les cas d'abus sexuel et de harcèlement et les problèmes de compétences. Mme Wright a commencé à se spécialiser dans les cas d'abus sexuel à Ottawa, en 1987, au Centre de lutte contre les agressions sexuelles, sous la direction du Dr George Fraser. Elle a travaillé auprès d'hommes et de femmes éprouvant des troubles dissociatifs. Elle a reconnu que dans sa propre pratique, avant de voir la plaignante, elle n'avait jamais conseillé de client ayant un diagnostic de trouble de stress post-traumatique dû au harcèlement sexuel au travail.

    455. L'avocate de l'intimée a allégué que la compétence de Mme Wright était limitée et que pour cette raison, le Tribunal devrait rejeter son témoignage. L'avocate prétendait que Mme Wright manquait de formation et de compétence pour porter des diagnostics, ce qu'elle avait essayé de faire, affirmait-elle. J'estime que le témoignage de Mme Wright est utile dans le contexte de la symptomatologie qu'elle a observée chez la plaignante et qu'elle jugeait analogue à d'autres clients se trouvant dans des situations stressantes. Son témoignage a été utile pour évaluer l'état de santé de la plaignante pendant la période suivant la remise de l'avertissement écrit. Mme Wright a également témoigné à propos des techniques de conseils et des plans de traitement qu'elle a amorcés pour la plaignante pendant des séances thérapeutiques individuelles, ainsi que de ses observations de la plaignante en thérapie de groupe.

    456. La première consultation que Mme Wright a accordée à la plaignante a eu lieu le 15 juillet 1992, à la suite d'une demande écrite du Dr Jacques. Elle a ultérieurement communiqué au médecin de la base un rapport de consultant recommandant à l'endroit de la plaignante un congé en raison de stress extrême. Dans son rapport, elle mentionnait un syndrome de stress post-traumatique. C'est ce point évoqué par Mme Wright qui a soulevé la réaction de l'avocate de l'intimée, qui estimait que Mme Wright avait porté un diagnostic débordant de sa compétence. Mme Wright a précisé dans son témoignage que l'état de la plaignante n'était pas inscrit à titre de diagnostic, mais plutôt inséré dans son rapport parce que la plaignante présentait toute une gamme de symptômes analogues à ceux d'autres clients qu'elle avait observés et qui avaient subi un incident traumatique. (Pièce HR-14, onglet B)

    457. Les symptômes de la plaignante, d'après les observations de Mme Wright à cette première séance, étaient les suivants : stress considérable, incapacité à prononcer, agitation extrême et incohérence. Mme Wright a témoigné que la plaignante lui a dit, au cours de cette première séance, qu'elle s'était vraiment préparée à se suicider, qu'elle s'était fait prescrire du Prozac 20 mg et se sentait mal de ne pas pouvoir maîtriser la situation au travail, se sentant frustrée, impuissante, effrayée, se plaignant de migraines, de nausées, d'insomnie et de dépression. Puisque la plaignante était incapable de préciser à Mme Wright quels incidents lui causaient du stress, cette dernière lui a demandé de décrire les incidents en question, ce que la plaignante fit, pouvant ainsi apporter ces renseignements aux séances subséquentes.

    458. À la fin des cinq séances, Mme Wright a envoyé un rapport écrit au Dr Jacques, le 15 septembre 1992. Elle l'informait qu'elle appuyait la plaignante en ce qu'elle s'estimait victime de harcèlement sexuel et demandait la collaboration de l'intimée pour valider les expériences de celle-ci. Voici un extrait de son rapport :

    [Traduction]

    ... J'ai constaté chez la patiente un syndrome de stress analogue à un trouble de stress post-traumatique...

    J'avais appris que la Défense nationale disposait d'une politique de tolérance zéro pour toute forme d'abus et, à titre de conseillère de Kimberley Franke, j'estimais que mon rôle de thérapeute était de l'appuyer dans sa validation, à savoir qu'elle était victime de harcèlement sexuel. ...

    Je souhaiterais qu'on lui accorde un congé en raison de stress extrême. ...

    (Pièce HR-14, onglet 1, document D)

    459. Après avoir rédigé son rapport, Mme Wright, d'après son témoignage, a dit ne pas avoir eu de nouvelles du Dr Jacques, mais a plutôt reçu un appel d'un autre médecin de la base, le Dr Raymond, en septembre 1992. Ce témoignage est corroboré par les notes médicales prises par le Dr Raymond le 16 septembre 1992, dans lesquelles il donne des renseignements sur sa conversation téléphonique avec Mme Wright. Le témoignage de Mme Wright et les notes du Dr Raymond sont conformes quant à leurs divergences de point de vue concernant le traitement approprié à la plaignante. Mme Wright recommandait un congé. Le Dr Raymond estimait qu'un congé prolongé était injustifié. Le Dr Raymond disconvenait, contrairement à Mme Wright, que la plaignante souffrait de trouble de stress post-traumatique.

    460. À la fin des cinq premières séances de thérapie, le Centre des femmes a demandé à Mme Wright d'animer des séances de thérapie collective à l'intention des femmes ayant des expériences de travail analogues à celle de la plaignante. Mme Wright a donné son accord et les séances collectives ont commencé en septembre 1992. La plaignante participait à ces séances. D'après la description de Mme Wright, la participation de la plaignante au groupe était utile, agissant comme catalyseur de changement. Mme Wright se souvient que la plaignante était parfois sous le stress, mais capable de ressentir, avec l'appui du groupe, et capable d'offrir son soutien aux autres.

    461. Au cours de ces séances, Mme Wright a offert des conseils et de la formation en affirmation de soi et en gestion du stress. Il s'agissait de séances hebdomadaires de deux heures, auxquelles la plaignante a assisté jusqu'en novembre 1992. Mme Wright a mentionné dans son témoignage que les séances de thérapie collective ont pris fin parce que les participantes ont préféré la formule personnelle.

    462. Mme Wright n'a pas revu la plaignante de novembre 1992 jusqu'à février 1995. À cette époque, les séances de conseils de groupe à l'intention des femmes harcelées sexuellement, coanimées par le Dr Halliday et Mme Wright, ont commencé dans le cabinet du Dr Halliday. La plaignante a fréquenté assidûment les séances de février 1995 jusqu'à l'automne, époque où sa présence est devenue plus sporadique. Mme Wright, dans ces séances, offrait enseignement et soutien tout en agissant comme thérapeute. D'après le témoignage de cette dernière, la thérapie de groupe dans ces séances avec le Dr Halliday constituait une thérapie plus intensive que celle qu'elle offrait dans ses propres séances de thérapie de groupe.

    463. Mme Wright a revu la plaignante dans des séances de thérapie de groupe dirigées par elle-même et le Dr Halliday en 1996.

    464. Mme Wright a témoigné d'une rencontre qu'elle a eue avec la plaignante au moment où celle-ci a été impliquée dans un accident d'automobile, en avril 1996. La plaignante a également parlé de cet incident dans son témoignage. Il semblerait que la voiture de la plaignante soit sortie de la route après une visite chez un ami. La plaignante a témoigné ne pas se souvenir de l'accident. Elle a été conduite à l'hôpital en raison d'une coupure au-dessus de l'oeil.

    465. Mme Wright mentionne qu'elle a été appelée par l'époux de la plaignante, qui lui demandait de se rendre à l'hôpital. À son arrivée, elle a trouvé la plaignante dans une salle de l'urgence, assise sur une chaise, les jambes remontées sur la poitrine et les bras fermés, recroquevillée, pleurant et haletante. Mme Wright est demeurée à l'hôpital avec la plaignante pendant environ trois heures. Mme Wright a mentionné que pendant ce temps, la plaignante lui avait dit qu'elle craignait que quelqu'un lui fasse du mal et qu'elle se sentait en danger extrême; tout d'abord, elle n'a pas voulu qu'un médecin (un homme) l'examine. Finalement, elle a consenti à ce qu'un médecin lui fasse un pansement sur l'oeil. Par la suite, elles ont quitté l'urgence.

    466. Après cet incident, à la suite d'une demande de consultation du 1er avril 1996 du Dr Graf-Blaine, Mme Wright a à nouveau offert ses conseils à la plaignante. Elle l'a vue pendant cinq séances individuelles en avril 1996. Après cela, elle lui a offert ses conseils en privé à trois occasions au cours de l'été 1996.

    467. La plaignante et Mme Wright croyaient que l'intimée devait assumer les honoraires des services-conseils de Mme Wright mais, après avoir présenté les factures des six premières séances, Mme Wright apprenait de l'intimée que la plaignante devait payer les frais. Ce compte demeure impayé.

    468. En plus des séances de conseil de Mme Wright, la plaignante recevait des soins médicaux de son médecin de famille. Elle a d'abord vu le Dr Graf-Blaine en décembre 1992 pour des problèmes de stress. Elle a continué à voir le Dr Graf-Blaine en 1993, 1994, 1995 et 1996 pour ses problèmes de stress et d'autres questions de santé. En mars 1993, le Dr Graf-Blaine lui prescrivait du Prozac, un anti-dépresseur.

    469. La plaignante est traitée à l'aide de divers médicaments anti-dépresseurs depuis mars 1993, sauf pour une courte période fin 1995 et début 1996, lorsqu'elle a cessé de prendre le Prozac, sur l'insistance de son époux. Après la consultation initiale demandée par le Dr Graf-Blaine au Dr Halliday, l'un et l'autre ont continué à se partager le soin de la plaignante jusqu'en avril 1996 et, de cette époque jusqu'à maintenant, la plaignante est sous les soins du Dr Frederick Halliday.

    470. La Commission canadienne des droits de la personne et l'intimée ont demandé le témoignage d'experts sur l'état de santé de la plaignante. Le Dr Frederick Halliday a témoigné à titre de psychiatre expert, surtout en traumatopsychiatrie (la cause de la maladie est extérieure à la personne). À son avis, la plaignante souffre de trouble de stress post-traumatique à la suite d'un traumatisme lié au harcèlement sexuel qu'elle a subi pendant qu'elle travaillait au BT-B.

    471. La plaignante est allée voir le Dr Halliday la première fois en janvier 1994. Après cela, le Dr Halliday a vu sporadiquement la plaignante pendant six mois, soit jusqu'en juillet 1994. Elle a repris contact avec lui en janvier 1995, lorsqu'elle a commencé la thérapie de groupe avec le Dr Halliday et Joan Wright. Ces séances se sont poursuivies en 1995 et en 1996.

    472. Le Dr Graf-Blaine a demandé au Dr Halliday de voir la plaignante pour ses symptômes dus aux abus affectifs et verbaux et au harcèlement sexuel. Plus précisément, elle voulait savoir s'il s'agissait d'un trouble de stress post-traumatique. Au cours des cinq premières séances du Dr Halliday avec la plaignante entre le 12 janvier et le 4 mars 1992, il croyait que la plaignante avait récupéré par rapport à son état de situation. C'est ce que l'on constate dans son rapport du 19 janvier 1994 au Dr Graf-Blaine :

    [Traduction]

    J'ai vu cette femme courageuse mais stressée de 32 ans le 12 janvier 1994. Elle m'a donné un rapport objectif et détaillé du harcèlement dont elle avait fait l'objet, harcèlement même de la part de l'enquêteur du gouvernement. En fait, elle est d'une force plutôt étonnante, si l'on songe qu'elle n'a jamais faibli dans sa décision, malgré les tentatives répétées de presque toutes les personnes concernées de jeter le blâme sur la victime.

    Elle mérite certainement tout le soutien que nous pouvons lui offrir et je lui ai dit que je suis également disposé à faire de même. À ce stade, elle n'a pas besoin de médicaments, mais simplement de soutien psychologique.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-11, onglet 11, p. 67)

    473. Le Dr Halliday a cessé de voir la plaignante en juin 1994. Il a préparé deux autres rapports, soit une lettre rédigée le 15 février 1994 et adressé à Mme Sherri Helgasen, conciliatrice de la Commission canadienne des droits de la personne. Le Dr Halliday mentionne que la plaignante se rétablit :

    [Traduction]

    ...d'une réaction d'adaptation situationnelle secondaire au stress dû au harcèlement au travail. ... et de plus...elle a souffert d'angoisse et de dépression qui ont eu des répercussions psychosomatiques pour lesquelles elle doit encore prendre des anti-dépresseurs.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-11, onglet 11, p. 68)

    474. Le Dr Halliday a été interrogé à propos du diagnostic susmentionné. Il a précisé qu'il a utilisé dans son diagnostic le terme de réaction d'adaptation situationnelle qui, d'après sa description, est essentiellement équivalent à trouble d'adaptation, jusqu'à ce qu'on lui affirme que les critères répondant au trouble de stress post-traumatique étaient présents chez la plaignante. Selon le Dr Halliday, dans les cas de réaction d'adaptation situationnelle, la réaction disfonctionnelle au stress ne comporte pas les réminiscences ou pensées intrusives dissociatives ou défensives du trouble de stress post-traumatique. Habituellement, disait-il dans son témoignage, la réaction d'adaptation ne se retrouve que dans les situations solubles, par exemple lorsque la personne à l'origine de ce qui est perçu comme du harcèlement change ou que la personne qui se sent harcelée trouve une certaine garantie de sécurité. Selon le Dr Halliday, lorsque cela se produit, le processus du trouble de stress post-traumatique est souvent stoppé à ce stade et le diagnostic de réaction d'adaptation situationnelle s'impose alors. Le Dr Halliday affirmait que le traitement initial pour la réaction d'adaptation situationnelle est essentiellement le même que pour un trouble de stress post-traumatique.

    475. La pièce de correspondance suivante dans cette période initiale était adressée le 4 mai 1994 au Dr Graf-Blaine. Il y écrivait que la plaignante mentionnait avoir le sentiment d'avoir perdu son identité et qu'elle avait une tendance à l'ennui, une inclinaison à vouloir ne rien faire et à trop dormir, avec diminution de l'appétit, mais une tendance à être affamée plus souvent, avec moins d'allant et de libido. Voici ce que le Dr Halliday écrivait au Dr Graf-Blaine dans son rapport :

    [Traduction]

    La patiente semble manifester une dépression atypique, secondaire à une peine à la fois non réglée et qui demeure encore au stade prévisionnel. Je lui ai proposé de vous demander de l'aiguiller vers le programme de thérapie de jour de l'hôpital, car elle pourra y trouver la possibilité de partager son processus de deuil avec d'autres...

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-11, onglet 11, p. 69)

    476. Le premier diagnostic écrit de trouble de stress post-traumatique porté par le Dr Halliday est consigné dans sa lettre du 27 février 1995 en réponse à une demande de médecin-chef des Affaires des anciens combattants Canada, pour l'aider à évaluer le niveau d'indemnisation financière dans les droits à pension de la plaignante à la Commission canadienne des pensions. Dans sa lettre, le Dr Halliday précise que même si son diagnostic initial concorde avec celui du médecin militaire, soit trouble d'adaptation avec humeur dépressive, il lui est désormais clair que l'état de la plaignante correspond à un diagnostic de trouble de stress post-traumatique, le traumatisme étant le harcèlement sexuel dont elle a fait l'objet dans l'environnement de travail militaire.

    477. La raison pour laquelle le Dr Halliday n'aurait pas exprimé son diagnostic de trouble de stress post-traumatique dans ses premières lettres était que, dès le départ, la plaignante lui posait un problème, celui de décider exactement où elle se situait, sur l'échelle des critères de diagnostic. D'après les manuels du DSM utilisés par les psychiatres en tant qu'instruments de statistique et de diagnostic et d'après les définitions du trouble de stress post-traumatique consignées dans ces manuels, il a expliqué qu'il avait le choix entre un incident traumatique situationnelle qui se serait estompée dès que la patiente serait libérée de cette situation, soit un trouble de stress post-traumatique dont la thérapie nécessite souvent au moins deux ans. La difficulté, pour lui, était de découvrir que les symptômes de la plaignante, qui, disait-il, étaient au départ cachés. L'autre problème qu'il devait résoudre pour appliquer la définition des manuels était de nature sociale, soit de porter un diagnostic non injuste pour les FA.

    478. D'après le Dr Halliday, le trouble de stress post-traumatique a été ajouté au DSM III en 1980. Les critères de diagnostic établis dans le manuel de 1980 ont été modifiés dans l'édition révisée de 1987, le DSM IIIR, et révisée à nouveau en mai 1994, dans le DSM IV, soit le manuel en usage actuellement. D'après ses explications, les changements apportés aux critères de 1980 à 1994 consistaient à restreindre la définition, c'est-à-dire, selon lui, une responsabilité compte tenu des besoins de la société de veiller à ce que le diagnostic ne soit pas trop général, et cette restriction a été un facteur dans ses réponses professionnelles concernant la plaignante. Le Dr Halliday a mentionné qu'il ne se fiait pas au DSM IV pour définir le trouble de stress post-traumatique aux fins de son diagnostic. Selon lui, cet ouvrage est un outil de recherche.

    479. Le Dr Halliday a confirmé n'avoir jamais dit au Dr Graf-Blaine que la plaignante souffrait de trouble de stress post-traumatique, que c'était simplement un partage d'opinions et qu'il discutait du cas parce qu'il voulait obtenir l'avis du Dr Graf-Blaine et définir un traitement pour elle et pour d'autres cas qu'ils partageaient. Il ajoutait que s'il a fait mention de dépression type secondaire à un deuil, dans sa lettre du 4 mai 1994, il s'agissait d'un diagnostic secondaire, une façon de dire au Dr Graf-Blaine que les choses empiraient. De plus, l'étiquette utilisée dans ses dossiers de facturation de l'époque et exigée par le régime médical de la Colombie-Britannique était trouble de stress post-traumatique. Le Dr Halliday hésite à utiliser des étiquettes, dans l'exercice de sa profession, ajoutant que ses premières lettres rendent compte de cette préférence.

    480. Le Dr Halliday a mentionné dans son témoignage que la première fois qu'il a vu la plaignante, il a eu l'impression qu'on l'entendait et que, probablement très bientôt, un tribunal ou quelqu'un lui apporterait validation et lui ferait sentir qu'elle était en sécurité et que, de la sorte, elle s'en sortirait. Il a ajouté qu'il n'a pas su voir, à l'époque, nombre de symptômes qu'elle présentait, par exemple sa façon de réagir chez elle, comment elle se retirait, à quel point elle avait peur de quitter sa ferme, et tout cela ne s'est pas manifesté tant qu'elle n'a pas eu suffisamment confiance en lui pour le lui laisser voir.

    481. Le Dr Halliday a décrit le trouble de stress post-traumatique comme une étiquette de consensus s'appliquant à un groupe de symptômes se retrouvant chez quelqu'un qui a été traumatisé par un événement inhabituel et qui craint de ne pas pouvoir se protéger d'un autre traumatisme. Ce trouble est caractérisé par une certaine forme d'oubli, habituellement une dissociation ou une séparation d'une partie de la mémoire. D'après le Dr Halliday, il existe deux autres symptômes liés à ce trouble, le deuxième étant les réminiscences et les pensées intrusives et le troisième, une augmentation des réactions de sursaut ou divers types d'angoisse.

    482. La première étape du traitement du trouble de stress post-traumatique, estime le Dr Halliday, est de valider la personne dans sa perception. Il faut surtout savoir comment la personne se sent et lui faire comprendre qu'une autre aurait les mêmes sentiments si cela lui arrivait. À mesure que la personne prend de l'assurance, elle commence à faire confiance et ses symptômes perdent de l'intensité, de sorte qu'on peut l'aider à les résoudre et à y voir clair. On peut arriver à faire en sorte que la personne se sente en sécurité en la retirant de son environnement de travail pendant un certain temps. Le Dr Halliday, dans son témoignage, mentionnait que dans les cas de harcèlement au travail, il est nécessaire de procéder à des négociations afin de savoir si le milieu de travail changera et si le patient doit s'adapter et dans quelle mesure dans chaque cas. Selon le Dr Halliday, seule peut y parvenir une personne qui est étrangère à l'institution et qui ne craint pas de perdre son travail, de faire l'objet de mesures disciplinaires ou d'être mise de quelque façon dans une situation embarrassante.

    483. D'après le Dr Halliday, le comportement de la plaignante après son départ des Forces était le suivant : elle se cachait chez elle, ne sortait pas du lit, les membres de la famille devaient lui rappeler de prendre une douche, elle criait après son fils et souffrait donc d'agoraphobie. D'après ses explications, l'agoraphobie est la peur des grands espace de sorte que la personne agoraphobe se cache chez elle. Il poursuit en expliquant qu'il ne s'agit pas réellement de la peur des grands espaces, mais d'une peur des contacts sociaux. Pendant cette période, le Dr Halliday ne s'inquiétait pas de la sécurité de la plaignante, même si celle-ci ne suivait pas sa thérapie autant qu'il l'aurait voulu. Il lui semblait que c'était simplement une situation à laquelle il devait s'habituer jusqu'à ce qu'elle puisse se sentir à nouveau à l'aise.

    484. Le Dr Halliday a été interrogé à propos de la pertinence des réactions antérieures de la plaignante aux facteurs de stress, p. ex., les antécédents familiaux et les conseils matrimoniaux, pour traiter les cas de trouble de stress post-traumatique. D'après le Dr Halliday, les réactions antérieures d'une personne aux éléments de stress sont importantes dans le processus thérapeutique, mais non importantes pour un diagnostic de trouble de stress post-traumatique. Selon lui, la plaignante n'avait pas subi de traumatisme antérieurement mais, au contraire, se percevait comme une personne saine, avant qu'on lui serve un avertissement écrit en novembre 1991.

    485. Le Dr Halliday a déclaré que la plaignante avait des pensées intrusives, ainsi qu'une forte capacité de dissociation pour stopper les réminiscences, de façon que ses pensées ne paraissent pas. Il a raconté un incident de réminiscences affectives de la plaignante, lorsque celle-ci a eu à rencontrer la police militaire (PM) en octobre 1995. La plaignante a décrit cet incident dans son témoignage : il s'est produit pendant sa première visite à la base après son départ volontaire.

    486. En l'occurrence, elle assistait à une rencontre sociale avec son époux et des amis et a senti le besoin de quitter la base, car elle ne se sentait pas bien. Tandis qu'elle se rendait à sa voiture, elle a été arrêtée par une patrouille de la police militaire. Un officier l'a informée qu'un des phares était défectueux. Tandis que l'officier préparait une contravention, elle a commencé à marcher rapidement et, selon ses propres termes, elle est devenue de plus en plus agitée, tandis qu'elle attendait son époux et ses amis. Elle a commencé à klaxonner et c'est à ce moment que l'officier de la PM est venu la voir, trouvant son comportement déraisonnable et lui disant qu'il pouvait lui dresser une contravention pour tapage excessif.

    487. La plaignante a confirmé dans son témoignage qu'elle était si bouleversée, lors de cet incident, qu'elle tournait en rond et a commencé à crier à l'intention de l'officier de la PM, disant [Traduction] tapage excessif, personne raisonnable, vous ne croyez pas que je suis raisonnable? L'incident s'est terminé à l'arrivée de son époux, qui l'a vu crier à l'officier, l'a prise par le corps, lui disant que tout allait bien. Lorsque son mari a pu la calmer, elle est entrée dans la voiture, accompagnée par son amie, Sherie Campbell. Ils ont fait le tour du parc de stationnement et se sont arrêtés. Elle n'a pu convaincre son mari et l'époux de Mme Campbell qu'elle voulait rentrer chez elle. Elle a alors demandé à Campbell de quitter la voiture et elle est rentrée chez elle sans son mari ni ses amis. En réponse à une demande ultérieure de son mari de revenir le chercher, elle lui a dit qu'elle ne pouvait revenir à la base et qu'il devait prendre d'autres dispositions. Sherie Campbell a donné de l'événement une version analogue à celle de la plaignante.

    488. Finalement, il est devenu évident au Dr Halliday que le problème n'était pas tant le harcèlement sexuel, mais plutôt ce qu'il décrivait comme un second traumatisme qui, d'après son témoignage, surgit si la personne n'est pas validée dans ses sentiments ou ne se sent pas confiante, comme c'était le cas de la plaignante, de pouvoir se confier à quelqu'un. Le Dr Halliday affirmait dans son témoignage qu'il était très compréhensible que la plaignante ne veuille rien faire à propos de sa situation, parce qu'elle ne pouvait s'adresser à personne. Par conséquent, selon lui, la plaignante, à ce point, a commencé à présenter des symptômes, soit les réminiscences dissociatives, les sentiments de ne pas être en sécurité, et probablement, une certaine paranoïa inconsciente.

    489. D'après les déclarations du Dr Halliday, les réminiscences découlent principalement des divers épisodes où la plaignante s'est sentie harcelée. Selon sa description, les réminiscences semblent davantage liées à l'incapacité de se faire entendre par les officiers, plutôt qu'à des événements réels de nature sexuelle. Ce qui est le plus perturbant, précisait-il dans son témoignage, c'est le manque de protection contre ces comportements. Le Dr Halliday a expliqué que l'incident de l'ambulance, en juin 1991, et certaines étiquettes, par exemple le comportement non militaire et l'insubordination, sont très humiliantes pour la plaignante et que les mots qui ont une connotation caractérielle sont ceux qui semblent faire le plus mal et qui sont reflétés dans le comportement de celle-ci.

    490. Le Dr Halliday a également parlé de la paranoïa inconsciente de la plaignante, trouble qui, selon lui, a surgi lorsque celle-ci n'a pu obtenir validation et que la deuxième blessure s'est produite.

    491. D'après le Dr Halliday, la plaignante avait des motifs de douter que l'adjum Macnair ou le major Couture lui donneraient leur appui. Compte tenu des retards, la situation commence à avoir des ramifications et les symptômes du trouble de stress post-traumatique se développent sans que quiconque puisse s'en rendre compte. Presque invariablement, dans les cas de ce genre, selon le Dr Halliday, lorsqu'une personne ne se sent pas validée, il existe un élément de paranoïa. Il a décrit la paranoïa de façon technique comme le moment où la méfiance normale atteint un point tel qu'il n'y a plus aucune mesure avec ce que les autres personnes estiment approprié dans la situation.

    492. D'après le Dr Halliday, l'incident de la chaussure, du point de vue de la plaignante, était un effort pour essayer de modifier de façon subtile ses valeurs sexuelles. Que cela ait été ou non l'intention des personnes qui lui ont parlé, le Dr Halliday croit que sans aucun doute le deuxième traumatisme, à ce moment, a été très profond. Le Dr Halliday a émis cette opinion en partant du fait que la plaignante a fait l'objet de mesures disciplinaires pour avoir porté des chaussures non réglementaires. Il a émis l'avis que la plaignante avait de bons motifs, qu'ils aient été vrais ou faux, de croire qu'il s'agissait d'une tentative de modifier ses valeurs sexuelles. Il estime qu'à ce moment, la plaignante souffrait manifestement de trouble de stress post-traumatique.

    493. Le Dr Halliday, dans son témoignage, mentionnait que le processus engagé dans les cinq dernières années, l'audience du Tribunal comprise, avait infligé à la plaignante un second traumatisme.

    494. Aussi récemment que le 27 mai 1996, le Dr Halliday appuyait la plaignante qui demandait une augmentation de ses affectations de pension à partir d'une cotisation de 20 %, dans une lettre adressée à B. Dublin du Bureau de services juridiques des pensions; elle y précisait ses constats cliniques et, pour ces motifs, déclarait que son invalidité au cours des quatre dernières années était supérieure à 90 %.

    495. En ce qui a trait au rétablissement de la plaignante du trouble de stress post-traumatique, le Dr Halliday a mentionné que la personne ne peut recevoir d'aide que lorsqu'elle commence à avoir des pensées intrusives et que son angoisse augmente. Par conséquent, ajoutait-il, lorsque la personne ressent de la douleur et l'exprime, elle apprend à fixer ses limites pour se protéger. Selon le Dr Halliday, très souvent, à ce stade, le comportement est assez étrange, parfois même paranoïde. Dans le cas de la plaignante, son expérience avec la police militaire est un exemple de suspicion excessive.

    496. D'après le Dr Halliday, il pourrait falloir deux ans à partir de la décision du Tribunal pour que la plaignante puisse arriver à mener une vie raisonnablement normale. Il a d'abord émis l'opinion que sans un dénouement favorable, la plaignante serait parmi les patients ne prenant pas de mieux et ne menant pas une vie normale. Il a plus tard changé d'opinion, précisant que sans résultat favorable de l'audience, elle possédait, croyait-il, suffisamment de force et que, d'après les grands efforts qu'elle avait consentis pour se défendre, il estimait que ces mêmes forces seraient sollicitées, en thérapie, et qu'elle en bénéficierait alors grandement.

    497. Le traitement offert depuis le début par le Dr Halliday a été de valider les sentiments de la plaignante et de lui offrir une thérapie dans des séances collectives périodiques. À la fin des procédures judiciaires, le Dr Halliday compte entreprendre une thérapie de confrontation, de façon à faire ressortir les défenses de la plaignante. Cela, selon lui, transformera totalement sa thérapie.

    498. Le Dr Donald Passey, lieutenant-commander dans les Forces, conteste l'opinion du Dr Halliday. Le Dr Passey a terminé sa résidence en psychiatrie à l'Université de la Colombie-Britannique en juin 1995. En plus d'offrir des services médicaux aux militaires, le Dr Passey travaille à l'hôpital de Vancouver dans les domaines de la psychiatrie générale et des troubles dus au stress. Il a fait des recherches sur le trouble de stress post-traumatique et a lancé la première clinique canadienne de sensibilisation au TSPT de façon à évaluer les traumatismes psychologiques chez les soldats de la paix des Forces canadiennes à l'ONU. Il a témoigné en tant qu'expert médical spécialisé en psychiatrie, notamment en psychiatrie des traumatismes.

    499. Je souhaite maintenant aborder une question préliminaire qui a incité l'avocate de l'intimée à inviter le Tribunal à se prononcer contre la plaignante parce qu'elle ne s'était prêtée aux évaluations psychologiques.

    500. Avant le début de l'audience, le Tribunal a été saisi d'une demande de l'intimée voulant que la plaignante soit évaluée par un médecin psychiatre indépendant. L'avocate de la Commission et la plaignante, au début, ne se sont pas opposés à la demande de l'intimée. L'intimée a alors présenté le Dr Passey, qui devait procéder à l'évaluation indépendante. En raison du lien du Dr Passey avec les Forces, la plaignante et l'avocate de la Commission ont retiré leur consentement.

    501. En se fondant sur l'avis du Dr Passey, l'avocatee de l'intimée a alors demandé que la plaignante soit évaluée par un psychologue indépendant qui lui ferait subir un test psychologique connu sous le nom d'Inventaire multiphasique de la personnalité du Minnesota, ou M.M.P.I. L'avocate de la Commission et la plaignante ont fait part au Tribunal du refus de cette dernière de se conformer à la demande de l'intimée. Pour l'avocate de la Commission, les dispositions prises par l'intimée ne satisfaisaient pas à la norme d'indépendance, car les résultats du test seraient interprétés par le Dr Passey, membre des FAC et, de plus, le type d'évaluation ne remportait pas l'appui du Dr Halliday, qui estimait le test potentiellement nuisible à la plaignante.

    502. De plus, les Drs Halliday et Passey n'étaient pas d'accord sur l'usage et sur les possibilités d'un test M.M.P.I. Le Dr Passey estimait que le M.M.P.I., dans le cas de la plaignante, l'aiderait, lui, à établir le diagnostic correct, à savoir TSPT ou dépression, et à obtenir ainsi un indice sur la personnalité de base de la plaignante et la façon dont cette personnalité pourrait avoir interagi avec sa maladie. L'opinion du Dr Halliday était que le M.M.P.I. n'était pas nécessaire dans son cas et, en raison de sa nature intrusive, il infligerait à la plaignante un second traumatisme.

    503. D'après le Dr Passey, la plaignante a des traits de personnalité qui sont pour lui de forts indices d'un éventuel trouble mixte et il souhaitait effectuer certains tests objectifs, par exemple un M.M.P.I., de façon à porter un diagnostic confirmé. Comme l'explique le Dr Passey, il est difficile à la plaignante de négocier avec les personnes occupant des postes d'autorité et il fonde son opinion sur les difficultés de la plaignante avec l'officier marinier Pistun, l'adjum Macnair et le comité consultatif des femmes. À son avis, la plaignante se sent en détresse et menacée si les personnes qui régissent son avenir ne partagent pas ses perceptions concernant ses chances d'avancement ou son cheminement de carrière. Il ajoutait que l'avertissement écrit était pour la plaignante une gifle que sa perception a amplifiée, un type de blessure narcissique. Selon lui, dans ce type de blessure, selon la personnalité de l'individu, le sujet peut devenir déprimé ou s'en prendre à celui qui lui cause la blessure. Il croit de plus que l'une des caractéristiques de la personnalité de la plaignante est un besoin d'être le foyer de l'attention. Selon le Dr Passey, le M.M.P.I. pourrait permettre de préciser à quel moment il y a chevauchement entre deux ou trois diagnostics psychiatriques. Il a mentionné que rien dans le dossier médical de la plaignante n'indiquait un trouble de la personnalité avant 1991.

    504. L'avocate de l'intimée avance que le refus de la plaignante de subir le test, refus appuyé par la Commission, doit être pris comme une inférence défavorable. L'avocate de l'intimée soutient que les résultats du M.M.P.I. entérineraient les opinions du Dr Passey sur la cause réelle de l'état pathologique de la plaignante, ajoutant que ces causes n'étaient pas les agissements de l'intimée.

    505. À mon avis, certains facteurs m'obligent à réfuter les allégations de l'avocate de l'intimée. Manifestement, la plaignante était d'abord disposée à se prêter à une évaluation indépendante jusqu'à ce que l'intimée choisisse le Dr Passey. C'est à ce moment que la plaignante a retiré son consentement. L'association de ce médecin avec l'intimée, qui fait partie de la même institution qui, d'après les allégations de la plaignante, a fait preuve de discrimination à son endroit, soulèverait ou a soulevé chez la plaignante des réserves en ce qui a trait à l'indépendance de celui-ci. Signalons également la divergence fondamentale d'opinions entre deux experts médicaux qui s'opposent sur la validité et l'utilité d'un M.M.P.I. dans le cas de la plaignante. De plus, rien dans les preuves présentées me permet de conclure que la plaignante essaie de supprimer des preuves en ne subissant pas de test M.M.P.I. La plaignante a expliqué les raisons pour lesquelles elle refusait de voir le Dr Passey et son propre psychiatre était de son avis.

    506. L'avocate de l'intimée se fonde sur le principe énoncé dans l'affaire Beger c. MacAstocker Estate (1996), 140 D.L.R. (4e) 709 (Cour du Banc de la Reine de l'Alberta). Le juge Ritter a énoncé ce principe à la page 723 :

    [Traduction]

    [54] Le dernier point dont j'entend traiter avant d'analyser les preuves liées aux blessures subies par le demandeur est de savoir s'il y a lieu ou non de tirer une inférence défavorable pour ne pas avoir appelé certains témoins médicaux ou quasi-médicaux. De façon générale, la règle veut que la partie qui avance un fait le prouve dans la mesure appropriée aux circonstances. Cela est particulièrement vrai si la partie disposait de preuves indiscutables de tout fait pertinent. Les parties doivent produire ces preuves ou expliquer les raisons pour lesquelles elles ne l'ont pas fait et le tribunal est en droit de s'attendre, en cas de faits contestés, à ce que la partie qui possède la preuve la produise. Les tribunaux sont en droit de s'attendre à ce qu'on dépose des preuves indiscutables, si elles existent et ne supposent pas des frais excessifs. (Aleksiuk c. Aleksiuk (1991), 112 A.R. 298 (C.B.R. Alberta); Murray c. Saskatoon, [1952] 2 D.L.R. 499 (Sask. C.A.); Hidrogas Ltd. c. Great Plains Development Co. of Canada Ltd. (1979), 20 A.R. 483 (C.B.R. Alberta) et Levesque c. Comeau (1970), 16 D.L.R. (3d) 425 (CSC).)

    507. En règle générale, on tire une inférence défavorable si une partie essaie de soustraire des preuves au juge des faits, ce qui n'est pas le cas ici. Pour ces motifs, nous rejetons la demande de l'avocate de l'intimée de tirer une inférence défavorable à l'endroit de la plaignante et de la Commission.

    508. Le Dr Passey fonde son opinion sur ses observations de la plaignante au cours de l'audience, notamment lorsqu'elle a témoigné, tant à l'interrogatoire en chef qu'au contre-interrogatoire. Il a observé les interactions de la plaignante avec l'avocate de la Commission et l'avocate de l'intimée, les journalistes et les autres personnes présentes à l'audience et a examiné les dossiers médicaux de celle-ci, notamment les dossiers du Dr Graf-Blaine, ses dossiers militaires, ceux du Dr Halliday et les autres dossiers médicaux déposés par ce dernier.

    509. Le Dr Passey a tiré la conclusion que la maladie de la plaignante ne résultait pas d'un TSPT. Puisqu'il n'avait pas examiné personnellement la plaignante, il se sentait libre de présenter au Tribunal un diagnostic probable ou très probable. Son opinion est que la plaignante satisfaisait aux critères permettant de porter un diagnostic de réaction situationnelle ou de trouble d'adaptation selon le DSM IV et qui, selon lui, semblerait s'être transformé en dépression.

    510. Le Dr Passey a évalué les symptômes décrits par le Dr Halliday et Mme Wright comme étant un changement assez important de l'état de la plaignante, de sorte que le diagnostic le plus probable serait désormais un trouble bipolaire selon le DSM IV, soit de type I, soit de type II. Parmi les symptômes, il faut mentionner comportement hypomaniaque et maniaque, par exemple lorsque la plaignante s'isole dans son lit, sans énergie, en pleurs et ne voulant pas sortir de la maison, et lorsqu'elle devient très concentrée, pleine d'énergie et plume 30 poulets par jour. Le Dr Passey expliquait que la classification bipolaire I ou bipolaire II est en fait un degré de la maladie, le premier étant plus grave que le second. L'épisode maniaque entre dans la catégorie bipolaire I, tandis qu'un épisode hypomaniaque tombe dans la catégorie bipolaire II. En plus de ces diagnostics probables, le Dr Passey croit que la plaignante aurait souffert de trouble de panique avec agoraphobie. Il a aussi avancé que la malice serait également un diagnostic à envisager car la plaignante, selon lui, peut obtenir un gain financier et médiatique si elle réussit.

    511. En plus du trouble bipolaire, le Dr Passey croit que la plaignante présente également des manifestations de paranoïa et que ses craintes sont très exagérées comparativement à ce que l'on pourrait s'attendre compte tenu de la réalité de la situation. Le Dr Passey a dit ne pas voir de lien entre les allégations de harcèlement sexuel et l'avertissement écrit et que la réaction de la plaignante est soit de la manipulation, soit de la paranoïa de sa part.

    512. D'après le témoignage du Dr Passey, le DrHalliday erre en émettant l'opinion qu'un trouble d'adaptation peut devenir un TSPT. Le Dr Passey estime que ces deux diagnostics s'excluent mutuellement. À son avis, les troubles d'adaptation ne satisfont pas au critère A du TSPT d'après la définition du DSM IV, c'est-à-dire le manuel psychiatrique d'usage courant, utilisé et appliqué par le Dr Passey dans l'exercice de sa profession pour évaluer la maladie de la plaignante. Son opinion est que le supposé harcèlement sexuel ne satisfait pas au critère A du TSPT parce que la plaignante n'a pas été exposée à un événement traumatisant supposant mort ou blessure ou menace de mort ou de blessure et qu'il n'y a pas eu menace à son intégrité physique ou à celle d'autrui. Nous reproduisons ici ce critère :

    Critères diagnostics du F43.1 [309.81] Trouble état de trouble de stress post-traumatique

    A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :

    (1) le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de graves blessures ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d'autrui a pu être menacée.

    (2) la réaction du sujet à l'événement s'est traduite par une peur intense, un sentiment d'impuissance ou d'horreur. N.B. : Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.

    (Pièce R-8, onglet 4, pages 26 et 27)

    513. Le Dr Passey était convaincu que la plaignante n'avait pas subi de traumatisme satisfaisant au critère A. En ce qui a trait à la dépression, il a confirmé qu'on ne sait pas précisément quelles en sont les causes et que, dans le cas de la plaignante, les symptômes se sont manifestés après l'avertissement écrit. Il a évoqué les procédures subséquentes, à savoir la demande de règlement de grief, l'enquête sommaire et la commission d'enquête, comme autant d'éléments permanents de stress participant à ses symptômes dépressifs. Selon lui, le traitement de la dépression ou du trouble d'adaptation est d'essayer d'atténuer les éléments stressants pour rétablir un équilibre.

    514. Il est possible, estime le Dr Passey, qu'un trouble d'adaptation devienne une dépression, ce qui, croit-il, est ce qui s'est produit chez la plaignante. Le Dr Passey a expliqué que les limites temporelles relevées au DMS IV dans le cas d'un trouble d'adaptation sont importantes. Selon ce qu'il sait, si le trouble dure moins de six mois, il est aigu et, s'il s'étend au-delà, il est chronique.

    515. Il a expliqué ensuite qu'un syndrome de stress aigu répond fondamentalement à tous les critères du TSPT, sauf le critère de temps. En-deçà de 30 jours, l'individu peut manifester tous les symptômes du TSPT, mais on ne peut parler de cette pathologie que si les symptômes durent plus longtemps car alors, la phase aiguë s'appelle TSPT.

    516. Il a mentionné qu'avant de diagnostiquer un trouble d'adaptation, il faut exclure certaines autres possibilités, par exemple dépression, TSPT, trouble panique ou autre facteur qui peut rendre compte du trouble. À son avis, le Dr Halliday n'a pas suivi cette démarche.

    517. Le Dr Passey a contesté l'opinion du Dr Halliday relativement à la perception de la plaignante, selon laquelle l'avertissement écrit et le présumé harcèlement sexuel font partie d'un complot visant à l'obliger à changer ses croyances sexuelles. Selon le Dr Passey, les perceptions de la plaignante sont soit de la manipulation ou très probablement de la paranoïa, le tout s'inscrivant dans un complot de persécution se tramant contre elle. Le Dr Passey a déclaré n'avoir trouvé aucun lien entre le présumé harcèlement sexuel et l'avertissement écrit et a exprimé cette opinion sur des renseignements collatéraux qui n'étaient pas au disponible Dr Halliday. Le Dr Passey affirmait dans son témoignage que le Dr Halliday a essentiellement fondé son diagnostic de TSPT sur la perception de la plaignante. L'information collatérale sur laquelle se fondait le Dr Passey était le témoignage auquel il a assisté pendant ses journées de présence à l'audience.

    518. L'approche privilégiée par le Dr Passey est de recueillir de l'information collatérale avant de porter un diagnostic. Dans le cas de la plaignante, le Dr Passey devrait discuter avec les collègues de la plaignante, les membres de sa famille et d'autres sources afin de corroborer les déclarations de cette dernière. L'objectif est de préciser si sa perception est juste. Selon le Dr Passey, le Dr Halliday et Mme Wright ont présumé que la perception de la plaignante était juste et n'ont pas essayé d'obtenir des renseignements collatéraux. Dans ce cas, le Dr Passey aurait discuté avec l'époux de la plaignante et, si possible, ses superviseurs au travail. À son avis, l'information collatérale est importante, car si la perception de la patiente est erronée, cela influe sur le diagnostic et le programme de traitement. Si la perception de la plaignante est faussée, une partie du traitement doit viser cet aspect.

    519. Il faut préciser que l'approche du Dr Passey concernant l'information collatérale ne remporte pas l'assentiment du Dr Halliday. Ce dernier, dans son rapport d'expert, précise que les détails collatéraux peuvent certainement éclairer le psychiatre, mais peuvent poser des problèmes d'objectivité. Il se demande à quel point il faut faire des vérifications pour porter un jugement professionnel. Le Dr Halliday a été interrogé à propos de ses observations au cours de l'interrogatoire en chef et a mentionné que dans les cas de traumatisme, la cause est claire pour le médecin parce que c'est ce que le patient lui transmet. À titre de spécialiste, le Dr Halliday croyait que le médecin attachait plus d'importance à la façon dont la patiente ressentait le traumatisme, plutôt que de porter un jugement sur les autres intervenants.

    (Pièce HR-11, onglet 6)

    520. De l'avis du Dr Passey, l'incident de la plaignante avec la police militaire, en octobre 1995, pouvait avoir été une crise de panique, associée à une paranoïa ou strictement une crise de panique, mais compte tenu du degré de paranoïa que le Dr Halliday et Mme Wright ont mentionné dans leurs témoignages, le Dr Passey estimait que, très probablement, cela était un phénomène secondaire.

    521. D'après l'opinion du Dr Passey, la durée et la gravité de la maladie de la plaignante sont amplifiées parce que le Dr Halliday ne dispose pas d'un plan thérapeutique précis. Il croit que si le Dr Halliday avait mieux coordonné le traitement anti-dépresseur administré à la plaignante, celle-ci n'aurait peut-être pas été aussi malade ou aussi longtemps. Il fait remarquer que le Dr Halliday et Mme Wright se sont concentrés uniquement sur un diagnostic de TSPT, malgré le fait que, dans leurs propres notes, on trouve des preuves de dépression, de manie ou d'hypomanie, de trouble panique et d'agoraphobie. À son avis, ils se sont concentrés sur le TSPT au détriment de la plaignante et cela a influé sur la gravité et la durée de sa maladie. Autre lacune observée par le Dr Passey : l'absence d'examen physique ou d'analyse biologique de la part du Dr Halliday pour exclure une pathologie de nature physique.

    522. Le Dr Passey a formulé une autre critique concernant le traitement dispensé à la plaignante par le Dr Halliday, c'est-à-dire la validation de la perception de la plaignante. Selon lui, la validation de quelque chose qui ne s'est pas produit, dans un rôle thérapeutique, peut être à l'origine de difficultés. La thérapie, insistait-il, porte sur la réalité et la capacité de gérer les émotions et les actions associées à la réalité. Par conséquent, lorsqu'un médecin valide quelque chose d'erroné, estime-t-il, il perpétue un mensonge, ce qui est loin d'être utile à la patiente. Il n'est pas d'accord avec l'approche du Dr Halliday, qui souhaite retarder les traitements actifs jusqu'à la fin des procédures. Le Dr Passey pense que la plaignante a besoin de traitement parce que sa symptomatologie est importante et répond aux critères d'au moins deux diagnostics différents, tous deux exigeant une thérapie.

    523. Dans son témoignage, il a mentionné que la perception de la plaignante de l'avertissement écrit comme incidence future du harcèlement sexuel découlait d'une paranoïa qui s'est développée en tant que conséquence ou qui était là avant l'avertissement écrit et qu'après avoir reçu cet avertissement, la plaignante est devenue dépressive. Il n'est pas d'accord avec l'opinion du Dr Halliday à propos de l'incident des chaussures et, à son avis, l'avertissement écrit avait trait à son attitude d'insubordination et n'avait rien à voir avec les chaussures. Au contre-interrogatoire, le Dr Passey n'a pu se souvenir de quoi que ce soit indiquant que la plaignante était paranoïde avant l'avertissement écrit. Il croit fermement que, d'après ses renseignements personnels, il n'y avait aucun lien entre l'avertissement écrit et le harcèlement sexuel et que la perception de la plaignante n'est pas fondée sur la réalité.

    524. Il a déclaré que tant que la plainte ne serait pas réglée, la procédure demeurerait un élément permanent de stress pour la plaignante. Selon lui, un résultat favorable à la plaignante permettrait de clore l'affaire et la plaignante se rétablirait beaucoup plus rapidement. D'après le Dr Passey, même un résultat défavorable offrirait à la plaignante l'occasion de tourner la page et le temps qu'elle mettrait à se rétablir dépendrait de la thérapie.

    525. Contrairement à ce que croyait le Dr Halliday, le Dr Passey ne pense pas que la plaignante avait des réminiscences. Il était présent au cours du témoignage de la plaignante, lorsqu'elle s'est levée, qu'elle a élevé la voix très rapidement et qu'elle a éclaté en sanglots (rubrique B(ii), poitrine et gestes des bras). Le Dr Passey croyait que cette conduite de la plaignante faisait soit partie de son comportement hystérique (caractéristiques de la personnalité) ou était une réaction normale à une situation gravée dans sa mémoire comme très traumatisante.

    526. D'après le Dr Passey, le Dr Halliday a mis au point sa propre définition du TSPT et continue à se concentrer sur ce diagnostic au détriment de la plaignante, ce qui a influé sur la gravité et la durée de sa maladie.

    527. L'opinion du Dr Passey est qu'il est important que les procédures prennent fin, avantageusement ou non. La procédure en cours constitue un ensemble permanent d'éléments de stress pour la plaignante. Il estime que la plaignante mettra de six mois à un an pour tourner la page et aller de l'avant. Il a exprimé une réserve concernant son pronostic, réserve découlant du degré de paranoïa dont souffre la plaignante. Il rappelle que cette pathologie est plus difficile à traiter que la dépression et pourrait ne pas s'atténuer.

    V. ANALYSE ET DÉCISION

    A. QUESTION 1

    Question : L'intimée a-t-elle fait de la discrimination contre la plaignante pour la raison que la conduite faisant l'objet de la plainte était du harcèlement sexuel, à l'encontre de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne?

    528. Le juge en chef Dixon de la Cour suprême du Canada a donné du harcèlement sexuel une définition générale dans l'affaire Janzen c. Platy Enterprises Ltd. [1989] 1 S.C.R. 1252, page 1284 :

    ... une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes de harcèlement.

    529. Analysant plus avant la nature de l'abus, le juge en chef Dixon se reporte aux observations de l'arbitre Shime dans l'affaire Bell c. Ladas, (1980), 1 C.H.R.R. D/155, reconnues également par d'autres arbitres et par les chercheurs, selon lesquelles lorsqu'il y a harcèlement sexuel au travail, il y a abus de pouvoir sur les plans économique et sexuel. Des agissements sexuels non sollicités ou des demandes sexuelles explicites, estime le juge en chef Dixon, équivalent à une attaque contre la dignité et le respect de soi de la victime, à la fois en tant qu'employée et qu'être humain.

    530. La forme prise par le harcèlement sexuel, comme l'illustre la jurisprudence, peut aller d'affronts évidents et manifestes, par exemple des exigences de faveurs sexuelles, jusqu'à des formes plus subtiles de comportement. Cette distinction se retrouve dans la décision du Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire Kristina Potapczyk c. Alistair MacBain, (1984) C.H.R.R. D/2285. Cette distinction a été également reconnue par les tribunaux provinciaux dans les affaires de droits de la personne, et je me reporte au passage qui suit de l'affaire Kym Louise Lobzun c. Dover Arms Neighbourhood Public House Ltd. (1996) 25 C.H.R.R. 8/284 (Conseil des droits de la personne de C.-B.), à la page D/289 :

    [Traduction]

    ...Les insultes fondées sur le sexe ou les remarques sexistes, ainsi que les commentaires sur l'apparence, la tenue et l'aspect d'une personne (p. ex., la taille) ou les habitudes sexuelles peuvent, selon les circonstances, devenir du harcèlement sexuel. Voir l'ouvrage de Arjun P. Aggarwal Sexual Harassment in the Work Place (1992), 2e éd., Butterworths Canada Ltd; à la page 11; Egolf c. Watson (1995), 23 C.H.R.R. D/4 à D/15 (B.C.C.H.R.); et Shaw c. Levac Supply Ltd. (1990), 14 C.H.R.R. D/36 (Commission d'enquête de l'Ontario).

    531. Le fardeau juridique de la preuve incombe à la Commission canadienne des droits de la personne, ainsi qu'à la plaignante, qui doivent établir prima facie que la conduite visée enfreint l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La plaignante doit établir sa preuve selon la prépondérance des probabilités. Le niveau de probabilité n'exige pas une preuve au-delà d'un doute raisonnable, mais il faut qu'il y ait une plus grande probabilité que les faits avancés par la plaignante soient, de façon appréciable, la plus probable des diverses opinions ou interprétations possibles des mêmes faits.

    532. La règle et le fardeau de la preuve sont résumés dans l'arrêt du Tribunal canadien des droits de la personne, dans l'affaire Melvin A. Swan et Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes (1994) 25 C.H.R.R. D/312, première affaire fédérale de harcèlement, racial. Dans cet arrêt, le Tribunal a jugé que le plaignant, Swan, qui est entré dans les FAC en 1978 et a obtenu une cessation d'emploi volontaire en 1989, avait fait l'objet de comportements harcelants sur plusieurs années, soit de 1979 à 1989. Le Tribunal a décrit qu'une affaire prima facie est celle couvrant les allégations portées et, si on y fait foi, sont suffisantes pour justifier une décision en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'intimée. L'article pertinent de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) visé par la plainte de Swan était l'alinéa 14. (1)c) de la Loi, soit le même que dans la présente affaire, et qui se lit ainsi :

    14.(1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

    c) en matière d'emploi.

    533. Le paragraphe 2 de l'article 14 de cette même loi englobe expressément le harcèlement sexuel en tant que motif interdit de discrimination aux fins du paragraphe (1) de l'article 14.

    534. Au Canada, dans les affaires concernant les droits de la personne, c'est un fait établi que l'intention de faire de la discrimination n'a pas à être un facteur prédominant pour préciser si la conduite du présumé harceleur équivaut à du harcèlement sexuel. Le texte de la Loi canadienne sur les droits de la personne va au-delà des situations de discrimination intentionnelle. Le principe a été établi dans des affaires comme Commission des droits de la personne de l'Ontario et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd.,[1985], 2 S.C.R. 536; Bhinder c. Chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 S.C.R. 561. La nature spéciale la Loi canadienne sur les droits de la personne, est d'éliminer la discrimination, par opposition à punir un comportement asocial et, pour cette raison, la Cour suprême a décrété que le motif ou l'intention des discriminateurs ne constitue pas son objet essentiel, voir l'arrêt Bonnie Robichaud et Commission canadienne des droits de la personne c. Sa Majesté la Reine, représentée par le Conseil du Trésor, [1987] 2 S.C.R. 84.

    535. D'après l'avocate l'intimée, l'arrêt Lobzun, supra, décision récente du conseil des droits de la personne de la Colombie-Britannique, est utile pour définir les éléments de preuve, découlant de la définition donnée au harcèlement sexuel par le juge en chef Dixon. L'avocate s'est reporté au paragraphe 45 de l'arrêt de Kenneth A. Attafuah et notamment au passage selon lequel la conduite indésirable doit être persistante, ce qui élimine les incidents isolés. Voici le passage en question, à la page D/289 :

    [Traduction]

    Ainsi, pour qu'il y ait harcèlement sexuel, une conduite donnée doit être de nature sexuelle, être malvenue et avoir un effet nuisible sur le milieu de travail. Il n'est pas nécessaire que cette conduite soit manifestement sexuelle, tant qu'elle est liée au sexe de telle sorte qu'elle ne s'adresserait pas aux membres de l'autre sexe.

    Enfin, la conduite indésirable doit être manifestement suffisamment grave et persistante pour créer un environnement défavorable.

    (Je souligne.)

    536. Compte tenu des termes utilisés par M. Attafuah, l'avocate de l'intimée prétend que tout ce que le Tribunal a à décider, c'est de savoir si l'observation isolée de sexétaire prononcée par le major Couture suffit à conclure qu'il y a eu harcèlement sexuel. La question de savoir si un incident isolé constitue du harcèlement sexuel pourrait être théorique si les agissements spécifiques du présumé harceleur sur lesquels la Commission se fonde sont acceptés par le Tribunal comme constituant du harcèlement sexuel. Ces agissements spécifiques sont les qualificatifs de sexétaire et de biker mama prononcés par le major Couture, ainsi que les gestes concernant la poitrine et les bras, les remarques sur les rendez-vous et l'incident de la carte postale, dans le cas de l'adjum Macnair.

    537. L'avocate la Commission, sans reconnaître immédiatement la règle voulant que le harcèlement soit constitué de plus d'un événement, s'est reporté au passage qui suit du Dr Arjun P. Aggarwal, dans son livre Sexual Harassment in the Workplace, (1992), 2e éd., Butterworths Canada Ltd., où l'on semble réfuter que le harcèlement sexuel puisse n'être qu'un incident ponctuel :

    [Traduction]

    Il est probable qu'un acte unique et non répété ne peut être qualifié de harcèlement, à moins qu'il n'entraîne le délit ou l'élimination d'un avantage tangible offert à autrui dans des circonstances analogues, ou à moins qu'il ne soit assimilable à une agression ou qu'il soit une proposition de nature si grossière et obscène que l'on pourrait raisonnablement penser qu'elle a créé un milieu de travail psychologique ou affectif déplaisant ou défavorable. Une proposition ou suggestion normale n'entraînerait probablement pas ce résultat. (page 67)

    538. Pour appuyer son raisonnement touchant un événement unique, l'avocate de la Commission se reporte à l'ordonnance OAFC 19-39 de l'intimée, établissant la politique des Forces canadiennes en matière de harcèlement et publiée en juin 1995. L'objet de cette ordonnance est de définir le harcèlement, dont le libellé est le suivant :

    3. ...tout comportement qui se produit une fois ou de façon répétée et qui offense, avilit, rabaisse ou humilie une autre personne et dont le caractère importun n'a pas échappé ou n'aurait pas dû

    raisonnablement échapper à son auteur.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-24 )

    539. D'après l'avocate de la Commission, la question de savoir si le harcèlement est un acte unique ou non n'est pas pertinente pour trancher le premier élément dans la présente affaire. Cet élément, estime l'avocate, est de savoir si cette conduite était importune pour la plaignante. Pour trancher la question, estime l'avocate, le critère est le suivant : une personne raisonnable, à la place de la victime, aurait-elle trouvé cet agissement importun.

    540. La jurisprudence accumulée à la suite des plaintes de harcèlement sexuel permet de constater que la perception subjective de discrimination de la part d'un plaignant ne suffit pas à établir le fondement d'une plainte et qu'il est nécessaire d'appliquer certaines normes raisonnables et objectives pour juger de la valeur des mots ou du comportement ou de la conduite que l'on reproche. Le critère habituel adopté par les cours et les tribunaux des droits de la personne, est le point de vue d'une personne raisonnable.

    541. Ainsi que le signalait Arjun P. Aggarwal dans son livre, voir supra, la question à poser en pareil cas est de savoir si la plaignante a bien accueilli la conduite en question de la part du présumé harceleur. Pour y parvenir, précise le Dr Aggarwal, il faut un critère objectif, en ce sens que cela dépend des limites raisonnables et habituelles de l'interaction sociale dans le contexte visé. (page 65)

    542. L'avocate soutient que ce critère a été approuvé par le Tribunal d'appel canadien des droits de la personne dans l'affaire Bobbi Stadnyk c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), (1995) 22 C.H.R.R. D/196. Dans cette affaire, le Tribunal d'appel étudiait un appel de Stadnyk contre la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, qui a rendu la décision que la plaignante n'avait pas été harcelée sexuellement pendant une entrevue de recrutement chez l'intimé. La plaignante avait affirmé qu'elle avait été sexuellement harcelée pendant l'entrevue de recrutement. Au cours de l'entrevue, elle a été interrogée sur son profil médiatique à titre de survivante du harcèlement sexuel et la façon dont elle réagirait à diverses formes de harcèlement sexuel au travail. Le Tribunal d'appel a maintenu la décision du TCDP, selon lequel l'entrevue menée par l'intimée ne pouvait objectivement avoir été un affront profond à la dignité d'une femme raisonnable compte tenu des circonstances de l'affaire.

    543. L'avocate de la Commission canadienne des droits de la personne prétend que le Tribunal devrait aller au-delà de la norme de la personne raisonnable et adopter celle entérinée par le Tribunal d'appel dans l'affaire Bobbi Stadnyk, voir supra. Le Tribunal d'appel n'a relevé aucune erreur dans l'application de ce qu'il appelait la norme de la femme raisonnable de la part du tribunal de première instance. Il faut toutefois rappeler que ce dernier a décidé d'adopter la notion de point de vue de la victime raisonnable, découlant d'un arrêt de la Cour d'appel des États-Unis dans l'affaire Ellison v. Brady, (1991), 924 F.2d 872 (9e Cir.).

    544. Dans l'affaire Stadnyk, voir supra, le Tribunal d'appel est arrivé à la conclusion que la plaignante répondait à la définition d'employés d'une hypersensibilité rare dont il était question dans l'affaire Ellison. Pour comprendre cette définition, il est utile d'analyser les faits en cause. La plaignante avait été victime de harcèlement sexuel et avait des opinions critiques bien connues concernant la conduite du gouvernement fédéral. Elle a posé sa candidature à un emploi de porte-parole dans un ministère fédéral. Pendant l'entrevue de recrutement, elle a été bombardée de questions sur la façon dont elle répondrait à diverses formes de harcèlement sexuel au travail, puisqu'elle concentrait ses critiques sur le harcèlement sexuel. Pour ces motifs, elle a logé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

    545. En appliquant la norme de la victime raisonnable, le premier tribunal a mentionné ne pas savoir si cette norme ou celle de l'affaire Ellison a été prise en compte ou adoptée par un tribunal canadien. Le raisonnement pour lequel le premier tribunal a adopté la norme de la victime raisonnable figure aux pages 32-33 de la décision du Tribunal D.T. 13/93, à savoir :

    [Traduction]

    Compte tenu des objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tels que précisés à l'article 2, et des orientations précises de la Cour concernant une interprétation large et libérale de la loi, je suis prêt à adopter le point de vue de la victime raisonnable (dans ce cas une femme) aux fins de l'affaire présente. Ce faisant, je pars d'un degré supérieur de sensibilité et de réceptivité aux questions de harcèlement sexuel chez une personne raisonnable (dans l'affaire présente, une femme raisonnable).

    Même en tenant compte de la nature et de la conduite de l'entrevue du point de vue d'une femme raisonnable qui a déjà été victime de harcèlement sexuel, j'estime que la conduite de l'entrevue ou le déni de possibilité à cet égard n'est pas offensant...

    546. Le Dr Aggarwal parle dans son ouvrage Sexual Harassment in the Workplace de norme de la victime raisonnable, plutôt que de norme de la personne raisonnable, sélectionnée dans les affaires de harcèlement sexuel dans les milieux de travail dominés par des stéréotypes masculins. Le problème est qu'en utilisant la norme de la personne raisonnable, les notions stéréotypées de comportements acceptables demeureront valides. Précisant son problème concernant l'utilisation de la norme de la personne raisonnable, il déclare à la page 72 :

    [Traduction]

    En second lieu, il y a des personnes qui estiment que l'utilisation de la norme de la personne raisonnable dans les cas de harcèlement sexuel dans un environnement de travail dominé par les stéréotypes masculins n'est pas équitable et fait préjudice à la victime. Doit-on mesurer l'importunité de quelque chose par rapport à ce qui est actuellement bien accueilli dans son milieu de travail?

    547. Je ne suis pas certaine que le point de vue de la victime raisonnable soit un critère approprié aux fins de la présente affaire, non plus que son application soit appuyée par les faits qui nous ont été exposés. Si le premier tribunal a sélectionné ce critère dans l'affaire Stadnyk, voir supra, c'est qu'il avait décidé de rejeter la plainte parce que Mme Stadnyk répondait à la définition d'employée d'une rare hypersensibilité.

    548. Contrairement à l'affaire Stadnyk, voir supra, la plaignante, dans la présente affaire, n'est pas une ancienne victime de harcèlement sexuel au travail. Bien au contraire, elle a un dossier d'expérience professionnelle relativement positif dans les Forces armées, jusqu'au moment où, prétend-t-elle, les actes de harcèlement sexuel ont commencé, après sa mutation au BT-B. Le fait est appuyé par son propre témoignage et par la lecture que j'ai faite antérieurement de ses rapports d'appréciation du personnel, ainsi que les lettres de félicitations.

    549. Les témoins ont qualifié la plaignante de sociable et pétillante, dotée d'une personnalité charmante et d'une force de caractère, autant d'indices qui ne concordent pas avec les attributs associés à une personne hypersensible, non plus que sa manière de socialiser à la cantine, où elle s'entretenait parfois volontairement avec ses pairs de ses pensées personnelles de nature sexuelle et, à d'autres moments, écoutait des plaisanteries à connotation sexuelle ou ses confidences de nature sexuelle au lieutenant Vedova pendant leurs promenades de la pause-déjeuner.

    550. Le Dr Aggarwal écrit que la norme de la personne raisonnable est courante et largement acceptée pour décider si la conduite contestée est de nature sexuelle et si le harcèlement est suffisamment grave ou répandu pour créer un environnement hostile ou nocif. Dans le cadre de ces décisions, ajoute-t-il, la norme objective ne doit pas être appliquée hors contexte car, en même temps, la norme de la personne raisonnable doit tenir compte du point de vue de la victime et non de notions stéréotypées en matière de comportement acceptable.

    551. Je crois que le critère de la personne raisonnable est approprié en la présente affaire. De plus, en appliquant ce critère, nous ne saurions oublier la nature du contexte militaire et le point de vue de la réaction d'une personne raisonnable doit être perçu dans ce contexte. La conduite présumée doit être analysée et validée selon le critère du raisonnable et les limites habituelles de l'interaction dans les Forces armées.

    552. Pour décider s'il y a eu violation de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, en vertu de la définition du harcèlement sexuel dans l'affaire Janzen, voir supra, nous devons décider si la conduite et les observations qui font l'objet de la plainte étaient importunes. De plus, nous devons aussi décider si la conduite et les observations étaient suffisamment répandues pour créer un environnement hostile ou nocif pour la plaignante, environnement ayant des effets néfastes sur son milieu de travail. La norme de la personne raisonnable doit servir à prendre ces décisions. Enfin, le Tribunal doit décider si la conduite et les observations sont de nature sexuelle.

    553. Je déterminerai si les présumés comportements et observations étaient importuns ou non désirés à la lumière des réactions ou de la conduite de la plaignante, au moment où cela s'est produit, et nous verrons si, par des mots ou par son comportement, elle a laissé savoir que cela était importun. Si aucune protestation n'a été émise, soit expressément, soit par sa conduite ou ses réactions, cela ne veut pas dire qu'elle a accepté les faits et qu'elle n'a pas été offensée.

    554. L'avocate de l'intimée a prétendu que la plaignante n'est pas une victime de harcèlement sexuel et que ses plaintes contre ses superviseurs découlent de ses propres erreurs de perception des mots ou des comportements qui, en fait, ne l'ont pas vraiment offensée. L'avocate de l'intimée allègue que le coeur du problème est une question de discipline, découlant de la réaction de la plaignante parce qu'elle a reçu un avertissement écrit pour son comportement d'insubordination. Par conséquent, l'avocate soutient que la plaignante a fait l'objet de mesures disciplinaires pour une question totalement étrangère à son sexe, mais nécessairement liée à son insubordination, dans son rôle en tant que militaire.

    555. Si la plaignante avait été vraiment offensée, soutient l'avocate de l'intimée, elle aurait manifesté de façon plus objective que ces remarques ou actions étaient malvenues. Par conséquent, l'avocate, prenant comme exemple la plainte de la plaignante à l'endroit du major Réaume à propos de l'officier marinier Pistun et sa réaction devant l'officier, au quartier général de la base, à la suite d'une remarque sur les phares allumés", soutient que la description de la plaignante faite par certains témoins - force de volonté et de caractère - confirmerait l'hypothèse que celle-ci aurait protesté verbalement à des observations comme sexétaire et biker mama si elle avait été vraiment offensée.

    556. Les preuves concernant la tenue vestimentaire de la plaignante, notamment ses bijoux et sa coiffure bizarre au 407e escadron, raisons pour lesquelles elle a été demandée chez le chef de la base, où on lui a ordonné de se faire faire une coiffure militaire, dressent de la plaignante le tableau d'une personne qui, en tant que militaire, ne respectait pas strictement les règles et procédures des Forces armées. De plus, la plaignante a choisi de porter des chaussures non conformes, bien que pour une raison légitime, mais n'a pas obtenu les autorisations appropriées chez le médecin de la base. Toutefois, sa non-conformité, à ce propos, n'a pas inquiété le lieutenant Vedova, son superviseur, qui estimait que la tenue vestimentaire de la plaignante satisfaisait aux règlements, y compris les chaussures à talons plats.

    557. Dans une certaine mesure, l'intimée a toléré le non-conformisme de la plaignante et son manque de respect rigoureux des règles militaires sans déplaisir manifeste. L'attitude de la plaignante est devenue un problème pour ses superviseurs après sa confrontation, en octobre 1991, avec le comité consultatif des femmes.

    558. L'avocate de l'intimée voudrait nous faire croire que son non-conformisme et son comportement contestataire ne sont pas compatibles avec sa prétention d'avoir mal accueilli les questions sur les rendez-vous, les remarques de sexétaire et de biker mama, l'incident de la carte postale et les gestes concernant la poitrine et les bras.

    559. Cela, toutefois, ne correspond pas à la preuve. J'ai analysé les preuves et témoignages et constaté que la plaignante a expressément fait savoir au lieutenant Vedova le motif de ses préoccupations, immédiatement après qu'on lui ait attribué les qualificatifs de sexétaire et de biker mama. Rien n'indique à la preuve que la plaignante se soit prêtée à quelque conduite qui aurait encouragé ce genre de remarque. Ni l'intérêt mutuel de la plaignante et du major Couture pour les motocyclettes, ni la déclaration du major Couture selon laquelle il aurait vu la plaignante, dans un centre commercial, portant une culotte très courte, ne peuvent être interprétés par le major Couture comme une invitation ouverte à prononcer des remarques disgracieuses comme biker mama. La plaignante s'est sentie importunée, cela est évident par son évocation de Women in the Wind, lorsqu'elle a mentionné que ces observations étaient importunes.

    560. La plaignante n'a pas autant explicité ses préoccupations au lieutenant Vedova, à propos des questions de rendez-vous de l'adjum Macnair. Ses manières et le ton de sa voix après ses premières questions ont soulevé une attente de la part de la plaignante, c'est-à-dire que son superviseur, le lieutenant Vedova, réglerait la situation et s'entretiendrait à la fois avec l'adjum Macnair pour ses questions déplacées et avec la plaignante pour la manière par laquelle elle a répondu à un officier supérieur. Je constate que le lieutenant Vedova a été alertée ou aurait dû l'être par le ton de voix et l'insistance de la plaignante, qui affirmait qu'elle ne sortait pas avec ses collègues de travail. Le lieutenant Vedova doit avoir saisi, par la façon de parler de la plaignante, qu'elle essayait de lui faire comprendre quelque chose, mais elle ne s'est pas informée de la cause des réactions de celle-ci. Il est raisonnable d'en déduire que le lieutenant Vedova savait pour quelle raison la plaignante était perturbée et qu'elle n'était pas très heureuse des remarques de l'adjum Macnair sur ses sorties.. Le lieutenant Vedova avait une expérience limitée en tant que superviseur. Je crois raisonnable de conclure qu'elle ne souhaitait pas soulever un problème susceptible d'affecter ses bonnes relations professionnelles avec l'adjum Macnair. Le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair ont donné un témoignage mutuellement positif de leur rendement au BT-B. Il faut également signaler un certain degré de camaraderie entre le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair, de par leurs intérêts sociaux, de sorte qu'il était difficile au lieutenant Vedova de régler le problème.

    561. Les conversations sur les habitudes de rendez-vous entre un superviseur et une subalterne auraient dû être stoppées, particulièrement compte tenu de la vulnérabilité de la plaignante, non seulement parce qu'elle était nouvelle dans la section, mais également en raison de son contexte personnel de mère monoparentale, séparée de son mari, ce qui la rendait d'autant plus vulnérable. Nous estimons que les questions adressées à la plaignante par l'adjum Macnair étaient dérangeantes en raison de son grade et du rôle disciplinaire qu'il détenait dans la section. Nous sommes d'avis que ces observations auraient dû déclencher une intervention immédiate du lieutenant Vedova.

    562. D'après la preuve, la plaignante a réagi devant l'adjum Macnair, à propos de l'incident de la carte postale, mais n'a pas exprimé ses préoccupations au lieutenant Vedova. Cette dernière était absente à l'époque. Le fait que le lieutenant Vedova était l'auteur de l'incident de la carte postale doit être pesé soigneusement. J'estime que la participation du lieutenant Vedova dans cet incident a fait en sorte qu'il était difficile pour la plaignante de l'approcher. De plus, le rôle du lieutenant Vedova dans cette affaire la mettait dans l'impossibilité d'adresser des reproches à l'adjum Macnair pour sa conduite, car elle en était en partie responsable. C'est la raison pour laquelle le lieutenant Vedova a choisi de ne rien faire, après avoir appris par l'adjum Macnair, à son retour de vacances, le problème de la carte postale.

    563. Nous ne pouvons dire avec certitude si les gestes de l'adjum Macnair concernant sa poitrine et ses bras ont été portés à l'attention du lieutenant Vedova par la plaignante, au cours de leurs nombreuses promenades et discussions de la pause-déjeuner. Quoiqu'il en soit, la plaignante a manifesté sa détresse à cet égard à ses amis personnels, chez elle et au travail. Presqu'au début, le lieutenant Vedova a mentionné clairement à la plaignante qu'elle n'allait pas reprendre l'adjum Macnair ou le major Couture à propos d'observations qu'elle estimait déplacées. De la sorte, la plaignante n'avait personne vers qui se tourner dans son milieu de travail.

    564. Dans l'affaire Potapczyk, voir supra, le Tribunal a adopté le critère de connaissance par interprétation, parce que la plaignante n'avait pas expressément fait connaître son opposition au comportement harcelant. En l'occurrence, la plaignante et d'autres personnels féminins ont fait l'objet de dures remarques de nature physique de la part de l'employeur, en même temps que d'une proximité physique non désirée. De l'avis du Tribunal, les attouchements et l'intimité physique sont des exemples d'un type plus subtil et pourtant persistant de discrimination fondée sur le sexe et constituant du harcèlement sexuel reposant sur les motifs qu'une personne raisonnable devrait avoir su que le comportement était importun. Ces critères, aux dires du Dr Aggarwal, transmettent le fardeau de la preuve de la plaignante vers l'agresseur, qui doit démontrer que son comportement, si non invité et ni encouragé par la plaignante, était du moins acceptable et bien accueilli par elle. L'intimée n'a déposé aucune preuve, sauf la discussion à la cantine, et qui selon moi n'est pas pertinente, qui permettrait à une personne raisonnable de conclure que la conduite serait bien accueillie par la plaignante, particulièrement compte tenu de la nature de l'environnement militaire.

    565. On peut se demande si la réaction de la plaignante aux observations de sexétaire et de biker mama, évoquées par Susan Powers et le caporal Eadie, correspond aux affirmations de la plaignante, qui dit avoir trouvé ces observations malvenues. Mme Powers et le caporal Eadie ne croyaient pas que la plaignante avait été offensée. Toutefois, à mon avis, le poids de la preuve répond au critère d'objectivité. Ce n'est pas le rire nerveux de la plaignante dont il faut tenir compte pour appliquer le critère d'objectivité, mais plutôt la grande ligne d'action qui a suivi ces incidents et particulièrement lorsque la plaignante a fait part de ses préoccupations au lieutenant Vedova. Mentionnons en outre le fait que la plaignante, en même temps, exprimait à ses amis personnels son opposition à ce langage et à cette conduite.

    566. Le critère d'importunité puisé dans l'ouvrage Sexual Harassment in the Workplace, 2e éd., du Dr Aggarwal, est d'adopter le point de vue d'une personne raisonnable et de sa réaction dans un environnement analogue et dans des circonstances comparables. Élément important, la nature de l'environnement militaire et la structure des grades imposent à un militaire subalterne des limites, lorsqu'il s'agit de confronter un officier supérieur. Dans le contexte militaire, on s'attend que les soldats, sans égard au sexe, se soumettent à l'autorité et au grade supérieurs. Il est pénible de le constater dans la réticence du lieutenant Vedova à reprendre le major Couture, lorsqu'il l'a qualifiée de sexétaire. Je crois raisonnable de conclure que la réaction de la plaignante devant Susan Powers et le caporal Eadie n'était autre chose qu'une tentative de sa part de s'exprimer par le rire, en raison de son malaise.

    567. Immédiatement avant l'incident des chaussures, les relations professionnelles de la plaignante avec le major Couture et l'adjum Macnair avaient changé. Le major Couture a commencé à porter à l'attention de l'adjum Macnair divers incidents concernant le rendement au travail de la plaignante. Les rapports de la plaignante avec l'adjum Macnair avaient pris un tour décidément défavorable, en raison de son action bien intentionnée mais imprudente, car elle avait approché le caporal-chef Alexander à propos d'un supposé problème de consommation d'alcool. Le manque de prudence de la plaignante est devenu un facteur déterminant dans ses réponses au comité consultatif des femmes. L'indice le plus explicite de la transformation des relations, de la part de l'adjum Macnair, était le moment où il a cessé d'interpeller la plaignante par son prénom, pour l'appeler plutôt caporal.

    568. L'humiliation publique infligée à la plaignante par la remarque de sexétaire, sa vulnérabilité due à son contexte personnel, sa crainte des représailles de la part de l'adjum Macnair, à la fois en tant qu'officier supérieur et disciplinaire de l'unité, sont autant de facteurs qui ont marqué son environnement de travail et contribué à la funeste rencontre d'octobre 1991 avec le comité consultatif des femmes.

    569. Les critiques de l'adjum Macnair et du major Couture à propos du travail de la plaignante à l'automne de 1991 ont été interprétés par celle-ci comme une réaction de son superviseur à sa décision de ne plus accepter la façon dont ils la traitaient. Cela a entraîné une divergence d'opinion entre la plaignante et l'intimée, quant aux raisons de l'avertissement écrit.

    570. L'intimée soutient qu'il n'y a aucun lien entre le présumé harcèlement sexuel et l'avertissement écrit qui, selon elle, s'est terminé par l'incident de la carte postale. Elle ajoute que les motifs de la plaignante de se plaindre étaient d'exercer des représailles contre l'avertissement écrit et que cela devait miner la crédibilité de cette dernière, car l'avertissement écrit était une action indépendante de l'employeur.

    571. Signalons à titre d'observation que le Dr Passey a émis l'opinion que l'avertissement écrit avait été signifié à la plaignante pour son insubordination et n'était aucunement lié aux incidents de présumé harcèlement sexuel. Avec tout le respect dû à la compétence du Dr Passey, je ne crois pas que son opinion puisse tenir lieu de la tâche qui incombe au tribunal, car c'est lui qui doit trancher la question. L'objet du témoignage d'un psychiatre ou d'un psychologue a été souligné par le juge Wilson dans l'arrêt Angelique Lyn Lavallee c. Sa Majesté la Reine [1990] 1 S.C.R. 852 de la Cour suprême du Canada. Le Tribunal se fonde sur les arguments énoncés par le juge Wilson dans l'arrêt Lavallée, voir supra, pour dire qu'en définitive, il nous incombe de décider quels étaient, le cas échéant, les rapports entre l'avertissement écrit et les plaintes déposées devant nous.

    572. Il était raisonnable pour la plaignante de croire que la rencontre du comité consultatif des femmes était un piège. Le sergent Caron et l'adjudant Boudreau faisaient partie du comité de discipline de la base et étaient des pairs de l'adjum Macnair et tous trois assistaient aux réunions du comité de discipline de la base, pour discuter notamment de la tenue vestimentaire et de la conduite des sous-officiers. Le 29 octobre 1991, le comité consultatif des femmes a rendu visite à la plaignante, qui était la seule femme à la section du BT-B. Il s'agissait d'une visite à l'improviste, sans la moindre urgence. Lors de cette visite, les membres du comité se sont rapidement concentrés sur les chaussures de la plaignante, comme on peut le voir lorsque les membres du comité ont délibérément examiné les chaussures de la plaignante, à peine étaient-elles arrivées. Interrogé par la commission d'enquête en juillet 1992, l'adjum Macnair a précisé que cette visite du comité consultatif des femmes était une visite spéciale, les membres désirant voir le caporal Franke. La réaction de la plaignante à cette visite rend compte d'une impression raisonnable : on l'avait choisie! Cette visite a précipité une réaction de défense de la plaignante à un environnement déjà défavorable en raison de la détérioration des relations avec le major Couture et l'adjum Macnair.

    573. La plaignante, d'après son témoignage, croyait pouvoir répondre au comité en précisant sa perception de la visite et en évoquant l'autorisation du lieutenant Vedova de porter ces chaussures, tout en précisant qu'elle devait consulter le lendemain le médecin de la base. Elle est alors devenue plus confuse et prise de court par les commentaires sur ses bagues. Le fait que les membres du comité consultatif des femmes se soient surtout concentrées sur les chaussures de la plaignante ne concorde pas avec les objectifs proactifs de leurs visites dans les autres parties de la base, c'est-à-dire d'aider les femmes militaires dans des questions touchant la tenue vestimentaire et le comportement.

    574. Le fait que la plaignante ait eu l'impression que l'avertissement écrit était des représailles parce qu'elle avait décidé, à l'automne de 1991, de ne plus supporter les remarques du major Couture ou la conduite et les remarques de l'adjum Macnair semble confirmé par le long délai entre l'incident des chaussures et la date où on lui a signifié l'avertissement écrit. La plaignante n'a pas été mise au courant de la gravité de l'affaire pour l'institution militaire. Au départ, l'adjum Macnair lui avait dit qu'elle devrait s'excuser auprès des membres du comité consultatif des femmes, mais qu'il n'y aurait pas de suite. Un autre facteur appuie son impression, c'est-à-dire le manque de spécificité de la formulation utilisée dans l'avertissement écrit. Il n'y est pas fait mention de l'incident des chaussures, non plus que du nom de l'adjudant Boudreau ou du sergent Caron.

    575. J'estime que la transformation des relations de travail a été un facteur dans la décision de servir l'avertissement écrit. Je constate, dans la correspondance du lieutenant-colonel King du 6 janvier 1992, soit sa réponse à la demande de règlement de grief concernant l'avertissement écrit, qu'il fait état de l'irrespect de la plaignante à l'égard de l'adjum Macnair (pièce HR-1, onglet 9, document 9.2), comme l'une des raisons du maintien de l'avertissement écrit. À mon sens, l'avertissement écrit a été établi par les superviseurs qui, eux-mêmes, n'étaient pas satisfaits d'une relation qui était en train de changer.

    576. Les préoccupations du major Couture ou de l'adjum Macnair concernant le rendement professionnel de la plaignante n'ont pas été consignées dans l'évaluation de rendement faite par le lieutenant Vedova ou dans ses observations notées au RAP de la plaignante en janvier 1992. Bien au contraire, le lieutenant Vedova dit que le rendement global de la plaignante a été bon, qu'elle s'est bien adaptée au stress de son travail. D'après le lieutenant-colonel King, la plaignante s'acquitte de ses fonctions à un niveau proportionnel à son grade. À la pièce HR-1 de l'onglet 10.1, il écrivait :

    [Traduction]

    ...Elle a un avenir prometteur dans les FC, pourvu qu'elle se corrige de son attitude d'insubordination. [référence à l'avertissement écrit] Il faut rappeler que seul l'incident des chaussures a été mentionné au RAP. Il est raisonnable d'en conclure que les préoccupations du major Couture et de l'adjum Macnair ne justifiaient aucune observation de la part du lieutenant Vedova dans l'évaluation officielle de la plaignante.

    577. Le Tribunal a entendu la version d'un certain nombre de militaires concernant les raisons et les procédures d'établissement des avertissements écrits. Selon le colonel McGee, l'avertissement écrit est une mesure administrative qui commence habituellement par un avertissement verbal. On peut ensuite servir un avertissement écrit et ensuite, opter pour la mise en garde et probation. Selon la nature de l'infraction, a-t-il affirmé, le processus peut commencer par l'avertissement écrit. C'était la première fois que le colonel McGee devait s'occuper d'un avertissement écrit émis pour insubordination.

    578. Le major Couture, l'adjudant-chef (Base) Doherty, l'adjum Macnair et le major Réaume ont témoigné que, d'habitude, l'avertissement verbal précède l'avertissement écrit. L'adjum Macnair croyait que l'avertissement verbal devait être lié à l'avertissement écrit. On consulte le chef de la base si cela touche un sous-officier. Selon le major Couture, cette mesure vise à assurer l'uniformité d'application.

    579. C'est le major Réaume qui, dans son témoignage, a le mieux décrit l'objet de l'avertissement écrit : une tentative de corriger un comportement et une pratique, observés par un superviseur, lorsqu'il y a eu insuffisance au niveau de la formation ou de l'application.

    580. L'avertissement écrit est décrit à l'Ordonnance administrative des Forces canadiennes 26-17. Voici le texte :

    Exposé général

    1. L'avertissement écrit (AE), la mise en garde et la surveillance (MG et S) sont des mesures administratives destinées à faire accéder le militaire à un niveau acceptable de rendement ou de conduite. Dès maintenant, le terme avertissement officiel est périmé.

    2. Les lignes de conduite suivantes s'appliquent à la fois à l'AE et à la MG et S :

    a. ces mesures administratives ne sont pas des punitions, aux termes de l'article 104.02 des ORFC (barème des punitions);

    b. ces mesures administratives ne doivent pas être prises deux fois pour corriger la même faiblesse ou une faiblesse apparentée à la première;

    c. un militaire qui fait l'objet desdites mesures administratives doit être suivi de près, conformément aux directives du commandant et aidé, par tous les moyens possibles, à surmonter ses faiblesses et à atteindre la norme de conduite voulue.

    d. normalement, ces mesures administratives doivent précéder toute recommandation de libération fondée sur les faiblesses du militaire.

    3. La prise des mesures d'AE et de MG et S peut être ordonnée pour l'un ou l'autre des motifs suivants :

    a. Rendement insatisfaisant ou insuffisances caractérielles. Même si, en règle générale, les faiblesses sur le plan de la conduite, des qualités de chef, de la confiance en soi, etc., se corrigent par des séances d'instruction, d'orientation, des mesures disciplinaires ou autres moyens, chacune des faiblesses précitées peut, par sa gravité ou sa fréquence, entraîner la prise de mesures d'AE et de MG et S.

    b. Drogues. Les mesures d'AE et MG et S, pour usage de drogues sans autorisation, doivent être appliquées conformément aux politiques, formalités et formules spéciales prévues par l'OAFC 19-21, auxquelles s'ajoutent les dispositions prévues au paragraphe 6 ci-dessous.

    c. Abus d'alcool. Les mesures d'AE et de MG et S pour l'abus d'alcool doivent être appliquées conformément aux politiques, formalités et formules spéciales prévues par l'OAFC 19-31, auxquelles s'ajoutent les dispositions prévues au paragraphe 6 ci-dessous.

    d. Dettes. En pareil cas, le commandant doit s'assurer que les dispositions prévues par l'OAFC 19-4 ont été respectées.

    e. Obésité. Des mesures d'AE ou de MG et S doivent être appliquées conformément aux dispositions prévues par l'OAFC 19-34.

    Avertissement écrit - Politique et modalités

    4. À l'exclusion des manquements relatifs à l'usage de drogues ou d'alcool, cette mesures administrative :

    a. peut être prise par le surveillant, le commandant ou une autorité supérieure;

    b. ne doit pas être prise que si le militaire a été préalablement averti de vive voix de ses manquements; et

    c. n'a aucune incidence sur l'avancement, l'instruction, les mutations ou la solde.

    5. À l'exclusion des manquements relatifs à l'usage de drogues ou d'alcool :

    a. il faut remplir la formule présentée à l'annexe A pour entamer les formalités pertinentes;

    b. un double de l'AE doit demeurer en permanence dans le dossier à l'unité du militaire;

    c. si l'AE porte fruit, aucune autre mesure administrative touchant la carrière ne sera alors nécessaire; et

    d. si l'AE ne porte pas fruit, le militaire devra faire l'objet des mesures administratives de MG et S ou être libéré conformément à l'OAFC 15-2.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 7, document 7.1)

    581. Les divers militaires qui ont témoigné concernant l'émission d'un avertissement écrit ont affirmé qu'il s'agit d'une procédure administrative, plutôt que d'une mesure disciplinaire, plus grave, concernant une accusation portée en vertu du Code de discipline militaire. Nous constatons à l'OAFC 26-17, qu'il est précisé, au paragraphe 2a, que l'avertissement écrit n'est pas une punition dans le contexte de l'ORFC 144.02 (barème des punitions). Aucun éclaircissement n'a été donné quant à la mention de l'ORFC 144.02. À nos fins, j'estime que ce n'est pas essentiel pour déterminer si l'avertissement écrit devait être une punition.

    582. L'adjudant-chef Doherty a mentionné dans son témoignage qu'il n'y avait pas motif suffisant pour une accusation en l'occurrence, mais qu'il était impossible d'ignorer cet écart de conduite. Il se souvenait avoir recommandé des avertissements écrits dans les cas d'incidents liés à la consommation d'alcool. Dans la plupart des cas, d'après ses souvenirs, les actes d'insubordination donnaient lieu directement à une accusation.

    583. D'après la preuve, il ressort clairement, notamment du témoignage de l'adjudant Boudreau et de l'adjum Macnair, que l'avertissement écrit a été servi à la plaignante à titre de punition, contrairement à sa fin expresse précisée à l'OAFC 26-17.

    584. Il revenait à l'intimée d'administrer de façon équitable l'exercice du pouvoir en vertu de l'OAFC 26-17 (citée précédemment). Puisque l'avertissement écrit était de nature disciplinaire, plutôt que corrective, la plaignante a été amenée à croire qu'elle était punie pour la détérioration de ses rapports avec l'adjum Macnair et le major Couture.

    585. L'intimée soutient que la plaignante n'a pas hésité à exprimer sa désapprobation à son superviseur, l'officier marinier Pistun, au 407e escadron, lorsqu'elle a jugé son comportement offensant. Par conséquent, l'intimée prétend que toute allégation de représailles de la part de l'adjum Macnair et du major Couture doit être rejetée par le Tribunal. L'intimée rappelle une réaction similaire de la plaignante vers juin 1991, lorsqu'on l'a qualifiée de sexétaire. À cette occasion, la plaignante était au quartier général de la base. D'après son témoignage, un capitaine lui aurait dit : Hé, caporal Franke, il doit faire froid dehors... vos phares sont allumés. La plaignante a affirmé qu'elle s'est calmement penchée vers lui pour lui dire : Mille pardons, Monsieur, cela pourrait-il être interprété comme du harcèlement sexuel? La plaignante a déclaré que le capitaine lui aurait tourné le dos, lors de leurs rencontres subséquentes, sans même lui parler. Elle a témoigné qu'elle a défié le capitaine parce qu'il n'avait sur elle aucune responsabilité de surveillant.

    586. Je crois qu'il existe des facteurs raisonnables appuyant l'inaction de la plaignante dans les circonstances qui se sont produites au BT-B. Sa formation et son expérience la mettaient en garde, l'incitant à ne pas critiquer ou contester ouvertement le comportement d'un major commandant la section où elle travaille. Le sentiment de maladresse du lieutenant Vedova pour aborder le major Couture, car il l'a qualifiée de sexétaire, rendait compte de la même réticence et est la preuve d'une culture demandant l'obéissance et la soumission au pouvoir. Dans le même contexte, l'adjum Macnair était le sous-officier le plus haut gradé et le disciplinaire d'unité du BT-B et exerçait donc son pouvoir sur la plaignante.

    587. De plus, la mutation de la plaignante du 407e escadron au BT-B a eu lieu en partie pour lui offrir une possibilité d'avancement professionnel. En fait, presque dans la première ou deuxième semaine de son arrivée au BT-B, elle a raconté au lieutenant Vedova qu'elle avait obtenu une note de 7,6 pour son dernier RAP au 407e escadron et voulait avoir une note au moins équivalente, voire supérieure, pour obtenir une promotion. La plaignante a reconnu dans son témoignage qu'elle avait cru à l'époque avoir eu un 7,6. Nous estimons que c'est un oubli raisonnable de sa part. Cette conversation concorde avec le témoignage du lieutenant Vedova. La plaignante, par conséquent, n'était pas portée à compromettre son propre avancement professionnel.

    588. Et encore, à la suite de ses premières conversations avec l'adjum Macnair au sujet des sorties, la plaignante s'attendait vraiment à être réprimandée par le lieutenant Vedova pour la façon dont elle s'était adressée à son supérieur. Elle s'attendait en outre que le lieutenant Vedova remette l'adjum Macnair dans le droit chemin en lui faisant voir que sa conversation était déplacée. Rien de tout cela ne s'est produit. La plaignante n'a reçu aucune directive ni aucun conseil du lieutenant Vedova sur la meilleure façon de régler la situation. Le rôle du lieutenant Vedova en tant que confidente de la plaignante a obscurci son rôle administratif qui était de donner suite à l'information que lui transmettait celle-ci.

    589. Par conséquent, j'estime que la plaignante, qui a témoigné qu'elle craignait des représailles pour avoir confronté le major Couture et l'adjum Macnair, a agi de façon raisonnable. Ses craintes de compromettre sa carrière ont été exprimées à cette même époque à ses amis, le caporal Mitchell et Mme Campbell, dont les témoignages corroborent celui de la plaignante à cet égard.

    590. Conformément aux éléments découlant de la définition du harcèlement sexuel adoptée par le juge en chef Dixon dans l'arrêt Janzen, voir supra, j'estime que la conduite dont se plaint la plaignante était de nature sexuelle. La nature de cette conduite allait d'observations sexuelles explicites comme sexétaire à l'affichage manifeste d'une femme au seins nus, dans l'incident de la carte postale, en passant par des observations plus subtiles comme biker mama et des remarques sur les habitudes de rendez-vous ou des sous-entendus de nature sexuelle dans les gestes de l'adjum Macnair sur son propre corps, en même temps que les remarques accompagnant ces gestes.

    591. À mon sens, il faut percevoir dans leur totalité tous ces incidents, et non les voir comme des événements distincts. Les observations initiales de l'adjum Macnair à propos des habitudes de sortie de la plaignante et les questions initiales indélicates du major Couture sur la situation financière de celle-ci ont mis en branle une spirale descendante, dans ses relations avec ses superviseurs, spirale dont le point culminant était l'incident des chaussures.

    592. Globalement, ce contexte comportemental a érodé l'environnement de travail de la plaignante et, à défaut de leadership de son superviseur, le lieutenant Vedova, il ne lui restait aucun sentiment de confiance envers le système. Son environnement était suffisamment empoisonné pour que sa réaction à la visite du comité consultatif des femmes, dans laquelle elle avait avec raison perçu un piège, devienne ensuite étroitement liée à cet environnement de travail en détérioration. L'avertissement écrit est devenu un maillon dans cette chaîne d'événements et la plaignante, fort raisonnablement, y a vu une punition parce qu'elle n'avait su accepter le statu quo.

    593. En appliquant la norme du point de vue de la personne raisonnable, je crois que les plaintes de harcèlement sexuel ont été suffisamment fondées par la Commission et la plaignante. J'aborderai maintenant la question 2.

    B. QUESTION 2

    Question : Qu'elle ait ou non violé l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'intimée a-t-elle fait de la discrimination indue à l'égard de la plaignante, pour des motifs interdits de discrimination, à l'encontre de l'article 7 de la Loi, au cours de l'emploi de celle-ci, après qu'elle se soit plainte à l'intimée en décembre 1991?

    594. La Commission soutient qu'il y a eu traitement différentiel de la plaignante à la suite de sa plainte de harcèlement, ainsi que violation du paragraphe 7. (b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne de la part de l'intimée, ce paragraphe portant sur les pratiques discriminatoires au travail. Le traitement différentiel défavorable, selon ce que soutient la Commission, s'est produit parce que la plaignante a communiqué avec la Commission canadienne des droits de la personne, en décembre 1991, ou après qu'elle l'ait fait et ait formulé sa plainte à l'intimée en décembre 1991.

    595. Selon ma perception de la position de l'intimée, si la plaignante est perdante concernant son allégation principale de harcèlement sexuel aux termes de l'article 14 de la Loi, il serait nécessaire, si elle veut prouver une violation de l'article 7 de la même loi, de démontrer que le traitement différentiel était fondé sur le sexe.

    596. Au paragraphe 7. (b), on interdit clairement de défavoriser les employés en cours d'emploi sur la base du sexe. Voici le texte de cet article :

    7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

    b) de le défavoriser en cours d'emploi.

    597. Dans une décision rendue récemment par le Tribunal d'appel des droits de la personne, dans l'affaire Paul Lagacé et Commission canadienne des droits de la personne c. Forces armées canadiennes, D.T. 11/96, le Tribunal a décidé qu'il y avait acte discriminatoire aux termes de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne si, en cours d'emploi, un employé faisait l'objet de mesures le défavorisant parce qu'il s'est plaint d'actes discriminatoires illicites auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

    598. La division de première instance de la Cour d'appel fédérale, dans la décision Mary Pitawanakwat c. Procureur général du Canada, Secrétariat d'État et Commission canadienne des droits de la personne et al (1994), 21 C.H.R.R., D/355, est arrivée à la conclusion que ce n'est pas toutes les constations explicites de harcèlement d'une personne ou actes discriminatoires illicites en matière d'emploi qui supposent nécessairement une violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon le juge Gibson, supposer qu'il y a acte discriminatoire au sens de l'article 7 de ladite Loi à partir d'une constatation explicite de harcèlement d'une personne pour motif illicite de discrimination dépendra des faits exposés en l'espèce.

    599. Dans l'affaire Pitawanakwat, voir supra, la division de première instance de la Cour fédérale révisait une décision du Tribunal canadien des droits de la personne concernant une plainte de Mary Pitawanakwat qui avait fait l'objet de mesures de harcèlement à cause de ses origines autochtones et qui soutenait que sa race était un facteur de son renvoi. Le tribunal avait décidé qu'il y avait cas prima facie de discrimination au sens de l'alinéa14 (i)( c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'un des points présentés à la Cour fédérale était de savoir si cette constatation du Tribunal supposait nécessairement un acte discriminatoire au sens de l'article 7 de ladite Loi. En clarifiant les motifs du Tribunal, la Cour fédérale est arrivée à la conclusion que le Tribunal, implicitement, avait jugé que l'employeur avait agi de façon discriminatoire, au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à l'endroit de la requérante, en refusant de maintenir son emploi et en la défavorisant en cours d'emploi pour un motif illicite de discrimination, soit la race. La Cour fédérale ajoutait que ce n'est pas dans toutes les constatations explicites de harcèlement d'une personne pour motif illicite de discrimination en matière d'emploi qu'il y aura nécessairement violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

    600. En ce qui a trait à la question qui nous est posée, il ne s'agit pas de savoir si une constatation explicite de harcèlement au sens de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne doit supposer une violation de l'article 7, mais plutôt de décider si la plaignante a fait l'objet d'un traitement différentiel dans les circonstances suivant sa plainte de harcèlement et de savoir également si ce traitement était le résultat de sa plainte de harcèlement sexuel.

    601. L'avocate de la Commission soutient que la plainte de harcèlement sexuel est nettement liée au sexe de la plaignante, parce que l'intimée a tenu compte de la plainte de harcèlement sexuel dans sa façon de traiter la plaignante et qu'elle ne l'a pas traitée de la même façon qu'elle l'aurait fait si elle n'avait pas logé de plainte. D'après l'avocate de la Commission, le fardeau de la preuve repose sur la Commission, qui doit prouver qu'il y a eu discrimination illicite, après quoi ce sera à l'intimée de justifier une défense rationnelle.

    602. L'avocate de la Commission presse le Tribunal d'analyser la conduite de l'intimée après que la plaignante ait communiqué avec la Commission canadienne des droits de la personne et après que le major Bottomley ait terminé son enquête sommaire. L'avocate soutien qu'il n'est pas nécessaire de prouver directement que la discrimination était le facteur servant de motif, mais le Tribunal peut tirer des inférences raisonnables de discrimination d'après les agissements de l'intimée, comme cela a été fait par le Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Balbir Basi c. Chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (tribunal fédéral).

    603. Dans l'affaire Basi, voir supra, le Tribunal a conclu à la discrimination parce que le CN n'a pu fournir d'explications crédibles pour les incohérences dans son compte rendu du mécanisme de sélection tel qu'il s'appliquait à la plaignante, qui avait posé sa candidature à un poste au Canadien National. L'avocate de la Commission soutient que les trois exigences jugées nécessaires par le Tribunal dans l'affaire Basi, voir supra, pour que la plaignante établisse son grief s'appliquent à l'affaire en cours. Ces exigences sont notées à la page D/5037 :

    [Traduction]

    Le fardeau et l'ordre de la preuve dans les affaires de discrimination où il y a eu refus d'emploi semblent clairs et constants dans tous les juridictions canadiennes: le plaignant doit d'abord établir un cas prima facie de discrimination et après cela, le fardeau de la preuve passe à l'intimée, qui doit offrir une explication raisonnable du comportement qui serait par ailleurs discriminatoire. Par la suite, en supposant que l'employeur y soit parvenu, le plaignant doit finalement prouver que l'explication fournie était simplement un prétexte et que le véritable motif des actions de l'employeur était en fait la discrimination.

    604. Le fardeau imposé à la plaignante a été clarifié par le Tribunal dans l'affaire Basi, voir supra : c'est le fardeau en matière civile de prépondérance de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Le Tribunal a jugé que la plaignante était capable de tirer des inférences sur la conduite du Canadien National avant et après les faits présumés de discrimination, pour prouver que l'explication offerte par l'intimée était un prétexte. Le critère approprié supposant une preuve indirecte acceptée par le Tribunal pour tirer des inférences de discrimination est lorsque la preuve présentée à l'appui de la discrimination la rend plus probable que d'autres inférences ou hypothèses possibles.

    605. Dans l'affaire en cours, l'avocate la Commission soutient que nous avons le droit d'examiner les motifs évoqués par l'intimée pour émettre l'avertissement écrit et la preuve concernant l'avertissement verbal antérieur. L'avocate estime, à l'instar de l'affaire Basi, voir supra, que les motifs ont changé avec le temps, passant de celles soulevées au départ, aux raisons données par l'intimée aux divers paliers de règlement et, ultimement, à ce que le Tribunal a entendu dans les témoignages.

    606. L'avocate de la Commission soutient de plus que s'il y avait quelque animosité de la part de l'intimée concernant le traitement fait à la plaignante après qu'elle ait déposé sa plainte, cela interdirait à l'intimée toute défense voulant que le traitement différentiel ait été justifié. D'après l'avocate de la Commission, l'attitude manifestée par l'intimée à l'égard de la plaignante après qu'elle ait déposé sa plainte de harcèlement sexuel était antagoniste, et cet antagonisme était d'emblée apparent au cours de l'enquête sommaire sur la plainte de harcèlement sexuel.

    607. L'analyse de la preuve fait ressortir les motifs qui ont surgi au fil du temps à propos d'un avertissement verbal antérieur et de l'émission de l'avertissement écrit, notamment :

    1. lorsque l'avertissement écrit a été servi, l'adjum Macnair s'est inquiété qu'il n'y avait pas eu auparavant d'avertissement verbal signifié à la plaignante. L'adjum Macnair savait alors, grâce à l'adjudant-chef Doherty, qu'il y avait eu auparavant un incident concernant la plaignante au 407e escadron. À l'époque où il y a eu l'avertissement écrit, l'adjum Macnair ne savait pas ce dont il s'agissait;
    2. après l'avertissement écrit, l'adjum Macnair a mentionné au major Bottomley l'incident Bélanger, au cours de l'enquête sommaire;
    3. pendant l'enquête sommaire mené par le major Bottomley, celle-ci a découvert la note de service concernant l'avertissement verbal de l'officier marinier Pistun à l'endroit de la plaignante le 20 septembre 1989, et a annexé cette mise en garde à son rapport du 27 janvier 1992;
    4. au premier palier de règlement de grief, chez le lieutenant-colonel King, le 16 janvier 1992, celui-ci a mentionné l'irrespect de la plaignante à l'égard de l'adjum Macnair lorsque celui-ci lui a parlé, avant de lui servir l'avertissement écrit, ainsi que de l'incident Bélanger, à titre de justification de cet avertissement écrit;
    5. au deuxième palier de règlement des griefs, chez le colonel McGee, le 21 février 1992, ce dernier mentionne l'incident Pistun, l'incident Bélanger et les discussions ultérieures de la plaignante avec le lieutenant Vedova et l'adjum Macnair à propos de l'incident Bélanger. Contrairement à ce que pensait le colonel McGee, le témoignage du lieutenant Vedova ne comporte aucune précision sur sa discussion avec la plaignante relativement à l'incident Bélanger. De plus, nous constatons que l'adjum Macnair n'a exprimé aucune préoccupation découlant de cette discussion avec la plaignante à propos de l'incident Bélanger;
    6. le colonel McGee termine au paragraphe 9 de sa lettre du 21 février 1992 en écrivant que l'avertissement écrit était suffisamment justifié pour qu'il ne soit pas nécessaire de servir au préalable un avertissement verbal, tandis que dans les explications données antérieurement, on semblait insister tout particulièrement sur la nécessité d'un avertissement verbal préalable;
    7. l'adjudant-chef (Base) Doherty, en juillet 1992, a parlé devant la commission d'enquête de la coiffure bizarre que la plaignante s'était fait faire en 1989 et de la réunion qu'il avait tenue par la suite avec le sergent Barber et la plaignante à propos de la coiffure de celle-ci. L'adjudant-chef Doherty estimait que cet incident constituait un avertissement verbal préalable. Devant le Tribunal, il n'a pu se souvenir s'il y avait eu d'autres incidents où la plaignante avait reçu un avertissement verbal préalable;
    8. dans son témoignage devant le Tribunal, l'adjum Macnair disait qu'il estimait que l'incident Bélanger constituait un avertissement verbal préalable justifiant la signification d'un avertissement écrit. Dans son évaluation, les deux incidents étaient liés, soit l'incident Bélanger et celui des chaussures.

    608. Dans son rapport d'enquête sommaire, le major Bottomley a recommandé que la plaignante soit placée sur supervision étroite et directe, ce qui a mis la plaignante en surveillance si étroite que cela a abouti à une situation regrettable et sans issue. Compte tenu de l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont la Cour suprême du Canada a mis en évidence qu'elle touchait essentiellement l'élimination de la discrimination (voir l'arrêt Robichaud, supra), il revenait à l'intimée, dans le traitement de la plainte, de traiter la plaignante de façon équitable et d'éviter de prendre quelque autre mesure non équitable à son endroit, qui résulterait en un traitement différentiel. Voici un extrait de la recommandation du major Bottomley :

    [Traduction]

    ...doit être placée sous surveillance étroite et directe et, de façon régulière, officiellement mise en garde concernant son rendement, sa conduite et sa réaction aux ordres. Tout écart doit être consigné et suivi de mesures appropriées.

    (Pièce R-7)

    Il est difficile de concilier la recommandation du major Bottomley aux ordonnances de l'intimée, à savoir l'OAFC 19-39 où est prescrite la politique des Forces canadiennes en matière de harcèlement personnel. À l'article 7 de cette ordonnance, on enjoint les officiers commandants de veiller à ce que les militaires qui logent une plainte de bonne foi sachent que cette plainte ne peut aucunement compromettre leurs perspectives d'emploi et de service futur ou les pénaliser. Rappelons que la commission d'enquête a essayé, en interrogeant le major Bottomley, de lui faire justifier sa recommandation en vertu de l'OAFC 19-39. Même si le major Bottomley a confirmé à la commission d'enquête qu'elle estimait que la plaignante avait logé sa plainte de bonne foi, elle a mentionné qu'elle faisait cette recommandation parce que, selon elle, la plainte de harcèlement sexuel avait été logée par la plaignante en réaction à l'avertissement écrit.

    609. La recommandation du major Bottomley est incompatible avec l'ordonnance de l'intimée, de même qu'avec la conclusion du major selon laquelle la plainte avait été logée de bonne foi. À notre avis, la recommandation a pénalisé la plaignante parce qu'elle a essayé de bonne foi d'éliminer des lieux de travail le harcèlement sexuel. La conclusion du major Bottomley voulant que la plainte de harcèlement sexuel ait été une réplique à l'avertissement écrit est alors devenue un élément déterminant dans la manière dont l'intimée a traité les griefs de la plaignante et y a réagi. Nous constatons que le rapport d'enquête sommaire a servi de point de référence au lieutenant-colonel King et au colonel McGee, dans la façon dont ils ont traité la demande de règlement de grief concernant l'avertissement écrit et le RAP.

    610. La procédure d'enquête sommaire retenue par le major Bottomley s'est avérée peu efficace pour traiter la plainte de harcèlement sexuel. L'enquête s'est rapidement égarée et, dès les premiers stades, on s'est concentré sur le caractère de la plaignante, plutôt que sur la conduite reprochée. Le manque de formation du major Bottomley, le manque de soutien à la plaignante et l'absence de mesures équitables et appropriées à la fois pour la plaignante et pour les présumés harceleurs pour qu'ils racontent leur version et pour réagir à l'autre partie, et l'absence d'un enquêteur informé et compétent ont contribué à ces lacunes. Le major Bottomley ne possédait pas suffisamment de compétence et de formation pour mener une enquête sur des plaintes de cette nature. À défaut de paramètres précis et de mesures de validation et de vérification pour garantir la fiabilité et l'équité et maintenir l'orientation, ces lacunes ont entraîné la diffamation de la plaignante. Le major Bottomley a dressé dans son rapport une compilation des remarques et observations négatives concernant la plaignante, mais n'a pas beaucoup tenu compte de son entrevue avec le sergent Barber, qui a noté favorablement le rendement antérieur et l'attitude de la plaignante. De plus, l'interview avec le lieutenant S. Power au 407e escadron semble avoir été rejetée par le major Bottomley. Toutefois, le major Bottomley a accepté sans question les observations négatives de l'officier marinier Pistun, malgré que la conduite de celui-ci ait fait l'objet de mesures disciplinaires. Le caractère de la plaignante est demeuré un problème dans ses demandes subséquentes de règlement de grief.

    611. Il ne fait pas de doute que lieutenant-colonel King ait été déçu que la plaignante ait porté sa plainte à l'extérieur de la base, devant la Commission canadienne des droits de la personne et il le lui a fait savoir dans son premier avertissement, en décembre 1991. Il a reconnu et clarifié ses agissements dans sa réponse du 6 mars 1992 à la demande de règlement de grief pour l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement :

    [Traduction]

    2. ... Après vérification auprès de l'AJAG, j'ai constaté que tel n'était pas le cas et je vous ai immédiatement informée que j'avais fait erreur. Ainsi, ma communication ne constituait pas une menace à votre endroit, mais plutôt un avertissement fondé sur mon interprétation erronée du document visé.

    (Pièce HR-1, onglet 12, document 12.3)

    Même si le lieutenant-colonel King a retiré son avertissement, il a néanmoins exprimé son opinion personnelle, lui signifiant qu'elle ne devait prendre contact avec aucune source extérieure, mais laisser plutôt les Forces armées régler le problème. À notre sens, les réactions initiales du lieutenant-colonel King ont instauré une atmosphère de ressentiment qui a prévalu lors du traitement des griefs de la plaignante à la BFC de Comox.

    612. Le lieutenant-colonel King et le colonel McGee ont tous deux nié, dans leur réponse à la demande de règlement de grief de la plaignante concernant l'enquête sommaire, et notamment à la plainte subséquente concernant l'incident du magasin de vêtements, qu'elle ait été visée par l'ordre de l'adjudant Cochrane adressé au personnel du magasin de vêtements à propos des visites rendues au caporal Legault. Cette réponse ne concorde pas avec les constatations du major MacKay, qui figurent dans son rapport du 15 avril 1992. Les résultats de l'enquête du major MacKay confirment l'impression de la plaignante voulant qu'elle ait été visée. L'information communiquée à la plaignante à propos de cette enquête était erronée. Dans son rapport, le major MacKay mentionnait que, même si l'adjudant Cochrane avait transmis des renseignements généraux au personnel du magasin de vêtements, ce dernier avait bel et bien mentionné la plaignante et le mari du caporal Legault. Pourtant, la plaignante n'a été informée que de la nature générale de la réunion. De plus, on a constaté une infraction à la sécurité dans le traitement des documents de grief de la plaignante. Malgré ces constatations, le major MacKay tirait dans son rapport la conclusion que la plaignante souffrait d'un problème de perception. Pour cette raison, il a recommandé pour la plaignante une période de consultation concernant la portée de la politique sur le harcèlement, ainsi que des conseils psychologiques auprès du chirurgien ou du travailleur social de la base.

    613. J'estime injuste que le major MacKay ait écrit que la plaignante portait des accusations de harcèlement non fondées et sans discernement contre quiconque était en position d'autorité et cela est la preuve d'une hostilité croissante à l'égard de la plaignante.

    614. La procédure de l'intimée énoncée aux articles 19.26 et 19.27 des ORFC, et qui régit le processus de règlement des griefs, donne à la plaignante le droit d'acheminer sa plainte aux quatre paliers de règlement, si elle n'obtient pas le règlement auquel elle estime avoir droit. Voici cette procédure :

    [Traduction]

    19.26 - RÈGLEMENT DE GRIEFS

    (1) Si un officier ou un sous-officier estime avoir été victime d'oppression, d'injustice ou d'un autre mauvais traitement, il peut se plaindre verbalement à l'officier commandant.

    (2) Si un officier ou sous-officier estime que l'officier commandant lui a fait du tort, soit parce qu'une plainte en vertu (1) du présent article n'a pas été réglée ou pour quelque autre motif, il peut se plaindre par écrit à l'officier-commandant.

    (3) Si l'officier commandant n'a pas réglé la plainte formulée en vertu du paragraphe (2) du présent article dans les quatorze jours de sa réception, le plaignant peut acheminer sa plainte par écrit :

    (a) au commandant de la formation, si la base ou l'unité ou élément du plaignant fait partie d'une formation, ou

    (b) à l'officier commandant le commandement, si la base ou l'unité ou élément du plaignant ne fait pas partie d'une formation.

    (4) Si le plaignant qui formule une plainte en vertu du paragraphe (3a) du présent article ne reçoit pas du commandant de la formation le règlement auquel il estime avoir droit, il peut transmettre sa plainte par écrit à l'officier commandant le commandement.

    (5) Si le plaignant ne reçoit pas de l'officier commandant le commandement le redressement auquel il estime avoir droit, il peut transmettre sa plainte par écrit au chef de l'état-major de la Défense.

    (6) Si le plaignant ne reçoit pas du chef de l'état-major de la Défense le redressement auquel il estime avoir droit, il peut présenter sa plainte par écrit au Ministre et, si le plaignant l'a demandé, le Ministre doit présenter la plainte au gouverneur en conseil.

    (9 sept. 1970)

    (7) Si le plaignant est un officier commandant, commandant de formation ou officier commandant un commandement, sa plainte doit d'abord être formulée par écrit et adressée et à son supérieur immédiat. Sous les autres aspects, la procédure de dépôt des plaintes doit être la même que pour les autres officiers.

    (8) Toute plainte doit être présentée par les voies habituelles, sauf que, si un officier commandant, un commandant de formation ou un officier commandant un commandement ne transmet pas la plainte à l'autorité supérieure lorsque cela lui est demandé, la plainte peut alors être transmise directement.

    (9) Toute personne qui reçoit une plainte en vertu du présent article doit faire en sorte qu'il y ait enquête à ce propos et, si elle est convaincue du bien-fondé de la plainte, prendre tous les moyens en son pouvoir pour offrir pleinement au plaignant les mesures de réparation appropriées ou, s'il n'a aucun pouvoir en la matière, présenter la plainte à l'autorité supérieure.

    (10) Aucun officier ou sous-officier ne doit être pénalisé pour avoir déposé une plainte conformément au présent article et à l'article 19.27.

    19.27 - RÈGLES DE PRÉSENTATION DES GRIEFS :

    (1) La déclaration de grief présentée en vertu de l'article 19.26 :

    (a) doit

    (i) être formulée aussi rapidement que le contexte le permet, tandis qu'il est encore possible de vérifier les faits,

    (ii) se limiter à un énoncé des faits faisant l'objet de la plainte ou des conséquences présumées pour le plaignant, et

    (b) ne doit pas

    (i) être établie par deux ou plusieurs plaignants, ou

    (ii) être faite sous le sceau de l'anonymat, ou

    (iii) comporter une déclaration dont le plaignant sait qu'elle est fausse, ou

    (iv) contenir des propos ou observations constituant une insubordination ou une infraction à la discipline, sauf dans la mesure où cela est nécessaire pour énoncer adéquatement la plainte.

    (2) Si le plaignant demande de l'aide pour la présentation de son grief, l'officier commandant doit lui accorder le soutien d'un officier qui, dans la mesure où cela est pratique, doit être un officier désigné par le plaignant.

    (Livre de l'intimée : Lois, règlements et ordonnances, onglet 7, page 3)

    615. En plus d'avoir le droit de maintenir ses griefs conformément aux articles 19.26 et 19.27, dans les réponses reçues par la plaignante du lieutenant-colonel King concernant sa demande de règlement des griefs, ce dernier la condamnait pour s'être prévalue d'un recours légitime. Dans sa réponse du 25 février 1992 à sa demande de règlement de grief concernant le RAP de 1991, il écrivait ceci :

    [Traduction]

    7. ... Je rejette donc votre demande de règlement et vous informe que si vous décidez de poursuivre plus avant l'affaire, ce sera probablement à votre détriment personnel. ... Compte tenu des faits découlant des enquêtes récentes amorcées à la suite de vos plaintes et requêtes ... Je crois fermement que votre dernier RAP était légèrement généreux. Si j'avais à ordonner qu'il soit révisé et refondu, votre note serait certainement beaucoup plus basse que maintenant.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-1, onglet 10, document 10.4)

    Dans la demande de règlement de grief du 16 janvier 1992 concernant l'avertissement écrit, il l'informait de ceci :

    [Traduction]

    4. ... Je suis déçu de constater qu'à aucun moment au cours de l'une ou l'autre de vos actions, vous n'avez approché vos supérieurs, dont moi-même, pour débattre verbalement de la situation. ...

    (Pièce HR-1, onglet 9, document 9.2)

    Dans sa note de service du 17 février 1992, après avoir reçu la demande de règlement de grief de la plaignante à l'égard de l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement, il écrit :

    4.(PB) ... Je suis très déçu que vous ayez choisi de loger une plainte de harcèlement et tentiez ainsi d'annuler les mesures administratives appropriées qui ont été amorcées pour corriger votre attitude et votre conduite inacceptables à l'égard de vos supérieurs.

    (Pièce HR-1, onglet 9, document 9.3)

    En ce qui a trait aux observations du 16 janvier 1992 du lieutenant-colonel King, la plaignante avait soulevé le point devant son superviseur, le lieutenant Vedova. La réponse mordante et brutale du lieutenant-colonel King a déclenché des réactions aussi hostiles et agressives de la part de la plaignante.

    616. Le seul mécanisme dont disposait la plaignante pour faire progresser ses plaintes était de recourir à des notes de service. On ne trouve que peu de directives à l'article 19.27 pour formuler un grief; en fait, l'article 19.27(b)(iv) n'est pas très spécifique. La plaignante ne disposait ni d'orientation ni de conseils pour accélérer le traitement des griefs conformément à ses attentes. Cela a fini par devenir un fardeau pour elle.

    617. Le colonel McGee, dans son témoignage, a affirmé avoir été déçu de ce que la plaignante n'ait pas accepté les critiques de l'intimée concernant l'incident Bélanger et celui des chaussures, de même que de son incapacité à tirer leçon de ses erreurs, pour ainsi aller de l'avant. Il continuait à être perplexe en raison de l'intensification de la correspondance reçue de la plaignante et du ton et du contenu de ses communications. Il estimait que son comportement était anti-militaire, ce dont il lui a fait part dans sa réponse à sa demande de règlement de grief concernant l'avertissement écrit le 21 février 1992. De plus, dans cette même réponse, le colonel McGee mentionne à quel point il est choqué de la tolérance des superviseurs de la plaignante pour son comportement aberrant sur les plans de la tenue vestimentaire, de la conduite et de l'autodiscipline. Je constate que ces renseignements proviennent du rapport établi le 27 janvier 1992 par le major Bottomley. Ce rapport n'a pas été communiqué à la plaignante et, selon la propre procédure de règlement de grief de l'intimée, la plaignante y avait droit, en vertu des clauses de divulgation des OAFC 19-32, ordonnance précisant plus en détail les articles 19.26 et 19.27 des ORFC. Il faut rappeler qu'à l'article 13, on stipule que le militaire doit recevoir copie de toute correspondance ou de tout document révisé par une instance arbitrale dans l'étude de la demande de règlement de grief, avant que l'instance arbitrale puisse étudier la plainte. Il n'en a pas été ainsi dans l'affaire qui nous a été confiée.

    618. Il s'est produit des cas de traitement différentiel à l'époque où la plaignante était en poste à la SRB du quartier général, sous la supervision de l'officier marinier Gale. Selon ma perception, l'officier marinier Gale est un témoin crédible qui croyait que la plaignante avait été ciblée pour un traitement spécial non destiné aux autres membres du personnel. En conséquence de cela, la plaignante a été de plus en plus isolée et exclue par ses pairs. L'amie de la plaignante à la base, le caporal Legault, a témoigné qu'en raison de l'incident du magasin de vêtements, sa vie était devenue un enfer.

    619. À l'époque où la plaignante a rédigé sa note de service du 25 mai 1992, elle subissait un stress considérable. Elle avait mentionné au Dr Jacques ses plans suicidaires. L'absence de réponse écrite du colonel McGee à sa demande de règlement de grief, qu'elle lui avait présentée le 11 mars 1992, était pour elle une source de frustration. Le délai de 14 jours, pour la réponse au second palier de règlement des griefs était depuis longtemps passé. Après la rencontre du 22 mai 1992, la plaignante avait tiré la conclusion que le colonel McGee n'avait trouvé aucun fondement à son grief. De la sorte, la plaignante a cru qu'il n'y avait aucune raison de continuer à essayer d'obtenir satisfaction à la base et a donc demandé au colonel McGee de transmettre son grief au Commandement aerien.

    620. D'après la preuve, le colonel McGee avait déjà pris sa décision le 22 mai 1992 : il estimait que les plaintes de harcèlement sexuel étaient sans fondement et a transmis à la plaignante ses constatations au cours de la réunion. Signalons par exemple que le colonel McGee aurait dit ce qui suit à propos de la remarque du major Couture concernant les moyens de la plaignante de s'offrir une résidence :

    [Traduction]

    Colonel McGee : Qu'il ait ou non posé la question, je dis simplement que ce n'est pas vraiment quelque chose justifiant une réaction de défense aussi forte. On dit souvent ce genre de choses, par exemple, qu'est-ce qu'il a, ce type? Pourquoi ne comprend-t-il pas? et on l'oublie parce que la conversation est terminée en moins de cinq minutes.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, page 11)

    621. Plus tard, lorsque le colonel McGee a fait enquête sur les allégations de la plaignante à propos de la remarque biker mama et après que le major Couture ait exprimé ses regrets sous ce point de vue, le colonel McGee a demandé à la plaignante si elle acceptait les excuses du major Couture, ce à quoi elle a répondu que la situation était allée au-delà de l'acceptation ou de la non-acceptation d'une excuse. Elle croyait -- (réponse incomplète). Voici un extrait de la réponse du colonel McGee :

    [Traduction]

    ...Lorsque je suis entré dans les Forces armées, les observations comme celles dont nous parlons aujourd'hui étaient bien mineures comparativement à ce que les gens se disaient les uns des autres. Nous sommes donc en période de transition. Nous voilà devant un immense bouleversement intellectuel et culturel. C'est pour cette raison que je me suis inquiété que vous n'ayez pas mentionné directement au major Couture vos observations, car cela aurait constitué un jalon et ces jalons sont des signes avertisseurs...

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, page 18)

    622. Plus loin, il déclare encore :

    [Traduction]

    ...Selon moi, son excuse est un autre facteur dont nous devons sérieusement tenir compte, car ce dont il est question ici est le passé. Pour vous, le passé est un malaise et vous vous en plaignez, mais c'est le passé. Ce dont nous devons nous occuper, c'est d'aujourd'hui et de l'avenir...

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, page 21)

    623. Pendant son intervention sur le qualificatif de sexétaire, voici l'échange qui a eu lieu :

    [Traduction]

    Colonel McGee : Vous ne comprenez pas son explication?

    Caporal Franke: Non. J'estime qu'en aucun moment il n'est justifié de qualifier une femme de sexétaire et cela s'adressait à moi, car j'étais la seule personne assise à côté de lui; il s'est assis, m'a regardée et a dit : Ainsi, c'est vous la sexétaire. Personne d'autre n'était assis près de nous.

    Colonel McGee : Laissez-moi régler cela. Vous avez absolument raison. Il n'y a aucun motif d'appeler quiconque sexétaire. Je suis d'accord. Comme j'ai essayé de vous l'expliquer, caporal Franke, lorsque je suis entré dans les Forces armées, appeler quelqu'un secrétaire ou de quelqu'autre qualificatif était parler gentiment, et je sais que vous êtes au courant de cela. Avez-vous jamais utilisé des termes comme ceux-là? Je ne veux pas dire le terme secrétaire, mais avez-vous utilisé des termes non conformes?

    Caporal Franke : Dans la mesure du possible, j'évite de le faire lorsque je suis au travail et que je porte l'uniforme.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, p. 23 et 24)

    624. Plus tard et avant que la plaignante ne sorte brusquement en larmes de la salle de réunion, le colonel McGee, en insistant sur ses limites en matière de mesures correctives, précise qu'un constat de harcèlement sexuel contre les supérieurs de la plaignante est une possibilité qui n'existe pas. Voici l'échange qui s'est produit :

    [Traduction]

    ...Ainsi, je ne peux rien faire et personne ne le peut, à propos de ce qui a transpiré à une certaine date l'an dernier. C'est terminé. Ce que nous pouvons faire, c'est d'éliminer le problème, d'empêcher qu'il ne survienne et d'essayer de revenir à la normale et d'en tirer une leçon.

    Croyez-vous qu'il soit possible de faire autre chose? Voyez-vous autre chose que nous pourrions faire? Quoi d'autre pouvons-nous faire?

    Caporal Franke : Je préfère me taire sur ce que je crois que nous pourrions faire actuellement, Monsieur.

    (Je souligne.)

    (Pièce HR-3, p. 30)

    625. De plus, à la réunion du 22 mai 1992, le colonel McGee avait clairement mentionné que les excuses réservées du major Couture étaient appropriées dans la circonstance. C'est ce qu'il confirme dans son témoignage, au contre-interrogatoire :

    [Traduction]

    Q. D'après ce que je comprend, le major Couture ne s'est pas excusé pour avoir fait du harcèlement, mais plutôt au cas où il aurait offensé Mme Franke par ses observations.

    R. C'était là les remarques dont nous discutions et c'est de quoi il s'est excusé. J'estimais que c'était approprié.

    Q. Et dans votre réponse finale au caporal Franke, je crois savoir que selon vous, les observations ne constituaient pas du harcèlement?

    R. C'est exact, oui.

    (Transcription, volume 18, p. 2958-59)

    626. Faute de témoignage direct sur l'ordre donné par le Dr Jacques le 9 juin 1992, l'avocate de la Commission prétend qu'il a été établi par le Dr Jacques pour des raisons autres que médicales. L'avocate se reporte à un résumé préparé par l'officier de l'administration de la base et versé à la correspondance du colonel McGee à l'intention du Commandement aérien lorsqu'il a porté au palier suivant la demande de règlement de grief de la plaignante à l'égard de l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement. Il s'agit d'un envoi du 19 juin 1992. L'inscription de l'officier pour le 9 juin 1992 se lit ainsi :

    9 juin 1992 ... Dans la note de service, on l'informe d'une recommandation de mise en garde et probation et d'un renvoi en évaluation psychiatrique parce qu'elle a elle-même déclaré avoir souffert d'un choc émotionnel ... [lettre de la plaignante du 25 mai 1992]

    (Je souligne.)

    (HR-1, onglet 19, document 19.2.3)

    627. L'avocate de la Commission soutient que cette inscription est un indice que le personnel du colonel McGee estimait que par cette note de service du 9 juin 1992, la plaignante recevait l'ordre de consulter un psychiatre et que le colonel ne se fiait pas au médecin de la base pour prendre cette décision. Cela ne concorde pas avec la recommandation du colonel McGee à l'intention du superviseur de la plaignante et portant sur la mise en garde et probation.

    628. Avant le 9 juin 1992, la plaignante souhaitait voir un thérapeute au sujet du harcèlement sexuel au travail. Elle a communiqué sa demande à cet égard aux médecins de la base. Le Dr Jacques, dans une note du 2 juin 1992, fait état d'une politique en vertu de laquelle les militaires doivent d'abord être évalués par un psychiatre et, si ce dernier recommande une thérapie, le plaignant ou la plaignante pourrait alors consulter un thérapeute en ville (HR-1, onglet 10, p. 59). L'intimée n'a pas produit de preuve de cette politique.

    629. Nous trouvons dans les documents déposés la preuve que le Dr Jacques a pris pour la plaignante un rendez-vous auprès d'un psychiatre afin que celle-ci puisse suivre une thérapie chez Joan Wright. Le rendez-vous a été pris le 2 juin 1992, pour le mercredi suivant. La plaignante continuait d'affirmer qu'elle ne voulait pas voir de psychiatre. C'est ce que prouvent les notes du médecin de la base et le témoignage de la plaignante. Elle craignait d'être internée, enlevée de sa famille, car c'est ce qui était arrivé à un collègue à la base. La plaignante n'avait pas changé d'idée le 9 juin 1992.

    630. Nous trouvons aux dossiers des preuves que le Dr Jacques a témoigné devant la commission d'enquête et, dans l'examen mené par l'intimée du rapport de la commission d'enquête, on trouve la note suivante :

    [Traduction]

    ... ...aucune pathologie n'a été relevée et le chirurgien de la base a témoigné devant la Commission que, selon lui, le caporal Franke n'avait jamais eu de troubles mentaux. ...

    (HR-1, onglet 26, document 26.2, par. 23)

    631. On peut alors se demander sur quoi le Dr Jacques s'est fondé, dans son ordonnance du 9 juin 1992! À notre avis, l'intimée n'a jamais vraiment expliqué la raison pour laquelle le Dr Jacques a ordonné une évaluation psychiatrique. La coïncidence est vraiment trop forte, car l'ordonnance a été donnée le même jour que la note de service du colonel McGee envoyant la plaignante en évaluation psychiatrique.

    632. Faute de motif médical confirmé pour cette ordonnance, force m'est de conclure que, raisonnablement, l'ordonnance fait suite à la note de service signée par le colonel McGee le 9 juin 1992. À ce moment, on avait terminé (le 5 juin 1992) les entrevues avec le lieutenant Vedova, le major Couture, l'adjum Macnair et le caporal-chef Alexander. Ces entrevues contenaient de fortes critiques à l'égard de la plaignante et figuraient aux renseignements expédiés par le colonel McGee au Commandement aérien, au moment où il a porté au palier suivant la demande de règlement de grief à l'égard de l'enquête sommaire/la plainte de harcèlement. De plus, à cette époque, le colonel McGee disposait du rapport d'enquête du major MacKay et du rapport d'examen supplémentaire de l'enquête sommaire établi par le major Bottomley. L'un et l'autre majors recommandaient une évaluation médicale de la plaignante.

    633. Le colonel McGee a été troublé par le ton de la lettre expédiée par la plaignante le 25 mai 1992 et par sa demande par anticipation. Il a été aussi déçu que la plaignante ait fait parvenir copie de sa correspondance à des sources extérieures, en l'occurrence la Commission canadienne des droits de la personne et un député. Le colonel McGee lui-même a critiqué ces agissements pendant son propre témoignage. Toutefois, il n'y a pas là de justification suffisante pour sa conduite du 9 juin 1992.

    634. Sous d'autres égards, le comportement de la plaignante n'est pas au-dessus de tout reproche. Elle a enregistré sans autorisation préalable la rencontre du 22 mai 1992. Elle a refusé au colonel McGee et à son personnel toute reconnaissance des efforts qu'ils ont déployés pour répondre à ses notes constantes et exigeantes. Le lieutenant-colonel King et le colonel McGee ont exprimé leur mécontentement du ton et du contenu de la correspondance de la plaignante. Plutôt que de corriger sa façon d'écrire ou de demander des conseils, elle a conservé le même ton agressif. L'accusation la plus déplacée et la plus incompatible de la plaignante est le fait qu'elle n'ait pas reconnu le temps consacré par le colonel McGee au traitement de sa demande de règlement de grief à l'égard de l'enquête sommaire/le harcèlement, en raison d'un écrasement d'avion qui a eu lieu en mai 1992 et pour lequel le major Bottomley a dû réorienter ses activités.

    635. En mai 1992, les rapports entre la plaignante et l'intimée avaient pris une spirale descendante qui a commencé à gravement affecter l'état émotif et la santé de celle-ci, comme le prouvent les notes médicales du médecin de la base et le témoignage de la plaignante. Les relations se sont encore détériorées lorsque la plaignante a commis une indiscrétion en confiant ses craintes aux journalistes; ces agissements ont entaché sa crédibilité auprès de l'intimée.

    636. Les rapports entre l'intimée et la plaignante se sont encore effritées au déclassement de la cote de sécurité de celle-ci. À la suite de cela et en conséquence, la plaignante a été mutée au centre de formation linguistique, où elle s'est trouvée encore plus isolée. L'intimée n'a fourni aucune explication des raisons pour lesquelles la plaignante n'a pas repris son ancien poste, lorsque l'intimée lui a rendu sa cote de sécurité le 8 septembre 1992. Inutile de dire que toute relation viable entre l'intimée et la plaignante était totalement devenue impossible à cette époque.

    637. L'abaissement de la cote de sécurité, selon les notes du lieutenant-colonel van Boeschoten, découlait de la mise en garde et probation, décrétée à la suite de la longue série de notes marquées d'insubordination et adressées au commandant de la base, ainsi que du fait qu'il pouvait être dangereux qu'elle ait accès aux documents classés PROTÉGÉ B (HR-1, onglet 18, document 18.4). Une autre raison invoquée était son évaluation psychiatrique du 10 juin 1992, après laquelle elle a été envoyée en consultation chez une thérapeute civile.

    638. La cote de sécurité, réduite le 11 juin 1992, n'a été restaurée que le 8 septembre de la même année. D'après les preuves déposées, le lieutenant-colonel van Boeschoten a rétabli la cote de sécurité à la suite de l'évaluation psychiatrique qui lui a été communiquée le 3 septembre 1992. À notre sens, cette raison seule ne peut justifier la mesure prise. La seule évaluation psychiatrique figurait au rapport du Dr Whitaker expédié au médecin de la base le 17 juin 1992. Le rapport du Dr Whitaker n'a eu que peu d'effet sur les opinions du médecin de la base à propos de la santé de la plaignante. L'autre motif inscrit par le lieutenant-colonel van Boeschoten pour réduire la cote de sécurité de la plaignante, c'est-à-dire la mise en garde et probation, est devenu inutile après le rétablissement de la cote.

    639. Le fardeau qui est imposé à la plaignante et à la Commission est l'établissement de la preuve civile. Il est clair, d'après la jurisprudence, qu'il suffit à la plaignante de prouver que la discrimination était l'un des facteurs dans les interventions de l'intimée, au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne; voir supra, l'arrêt Mary Pitawanakwat. Mais ce n'est peut-être pas là le seul motif de la décision ou de l'intervention de l'intimée, car il peut exister d'autres justifications à la conduite suivie.

    640. En appliquant le raisonnement exposé supra dans l'affaire Mary Pitawanakwat, ainsi que le raisonnement du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Basi, supra, nous arrivons à la conclusion que le plaignante et la Commission ont fourni une preuve suffisante que la première a fait l'objet d'une discrimination illicite, au moins de décembre 1991 jusqu'à juin 1992, époque où la plaignante a été mise sous étroite surveillance et a fait l'objet de critiques déraisonnables. Ses allégations concernant une infraction à la sécurité et la plainte relative au magasin de vêtements avaient un certain fondement, même si elle a continué à faire l'objet de fortes critiques.

    641. L'intimée a critiqué la plaignante pour avoir souligné de nouveaux points, alors que l'intimée a elle-même soulevé la question de l'incident Bélanger après la signification de l'avertissement écrit et la divulgation de l'avertissement de l'officier marinier Pistun au cours de l'enquête sommaire, élément qui a été ultérieurement évoqué en justification de l'avertissement écrit.

    642. L'intimée a mis la plaignante en garde afin qu'elle ne demande pas l'aide de la Commission canadienne des droits de la personne et pourtant, elle ne lui a accordé l'aide d'aucun officier pour le traitement de sa plainte de harcèlement et ne lui a pas communiqué le rapport, sur lequel elle s'est fondée pour répondre aux autres griefs.

    643. L'intimée n'a pu expliquer suffisamment les raisons pour lesquelles le Dr Jacques a établi une ordonnance le 19 juin 1992 car, à mon sens, la décision a été prise pour des motifs autres que médicaux.

    644. J'estime que les plaintes de harcèlement ont été un des facteurs du traitement infligé par l'intimée à la plaignante. À mon sens, l'intimée n'a pas fourni d'explications suffisantes pour réfuter l'allégation de discrimination et toute explication fournie a été déboutée par le témoignage de la plaignante.

    645. En conséquence, j'estime que l'intimée a fait de la discrimination à l'endroit de la plaignante en la traitant différemment et à son détriment, à cause de sa plainte de harcèlement devant la Commission canadienne des droits de la personne et de sa propre plainte devant l'intimée, déposée en décembre 1991.

    C. QUESTION 3

    Question : Si l'on découvre qu'il y a eu infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne, sur la question des dommages, de quels recours la plaignante dispose-t-elle et à quoi a-t-elle droit?

    (i) L'effet de l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif (LRCECA), L.R.C. 1985, c. C-50 et l'article 111 de la Loi sur les pensions (LP), L.R.C. 1985 c. P-6 sur la présente demande déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne

    646. L'intimée estime que le Tribunal ne peut, en vertu de l'article 9 de la LRCECA et de l'article 111 de la LP, adjuger à la plaignante des dommages-intérêts pour pertes économiques parce qu'elle reçoit, à cet égard, une rente des Affaires des anciens combattants. L'intimée fonde sa prétention sur divers textes réglementaires portant sur l'application de ces deux lois aux poursuites en responsabilité civile lancées contre le gouvernement fédéral à propos de blessures ou de décès ou de la destruction des biens. Voir les arrêts Béliveau St.-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc. (1996) 136 D.L.R. (4e éd.) 129 (C.S.C.), Langille c. Canada (ministre de l'Agriculture) [1992] 2 F.C. 208 N.S. (C.A.); Berneche et al c. Canada (1990) 34 F.T.R. 85, rév. [1991] 3 F.C. 383 Cour fédérale (Division d'appel); Dubois c. Canada (1989) 40 F.T.R. 295 (Cour fédérale, Division de première instance); Arsenault c. Canada (1995) 104 F.T.R. 28 (Cour fédérale, Division de première instance); O'Connor c. Canada (1995) 94 F.T.R. 93 (Cour fédérale, Division de première instance); et Dufour c. Textron Inc. (le 26 juillet 1993), Toronto 58635/90Q (Cour de justice de l'Ontario, Division générale). En plus de ce qui précède, l'intimée se fonde sur l'arrêt Béliveau St.-Jacques c. F.E.E.S.P., [1996] 2 S.C.R. 345, arrêt de la Cour suprême du Canada dans une situation de conflit de lois entre la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (Charte québécoise) et la Loi québécoise sur les accidents industriels et maladies professionnelles (LAIMP).

    647. L'intimée affirme toutefois que rien n'empêche le Tribunal, en vertu de ces lois, de décider s'il y a eu ou non discrimination, pas plus que d'adjuger de façon discrétionnaire des dommages-intérêts pour préjudice moral.

    648. Dans la présente affaire, la Commission, pour l'essentiel, soutient que s'il y a conflit entre la LCDP et d'autres lois, la première s'applique à l'exclusion des autres textes réglementaires. La Commission se fonde sur l'affaire Canada (Procureur général) c. Uzoaba [1995] 2 F.C. 569 (Division de première instance). La Commission soutient en outre que les effets de l'article 111 de la LP sont ambigus, si on les lit avec d'autres articles de la même Loi.

    649. L'article 9 de la LRCECA et l'article 111 de la LP se lisent respectivement comme suit :

    LRCECA :

    Incompatibilité entre recours et droit à une pension ou indemnité

    9. Ni l'État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte - notamment décès, blessures ou dommages - ouvrant droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l'État.

    Nulle action ou procédure n'est recevable contre Sa Majesté lorsque l'invalidité ou le décès ouvre droit à pension.

    LP :

    111. Nulle action ou autre procédure n'est recevable contre Sa Majesté ni contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de Sa Majesté relativement à une blessure ou une maladie ou à son aggravation ayant entraîné une invalidité ou le décès dans tout cas où une pension est ou peut être accordée en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, relativement à cette invalidité ou à ce décès.

    (Je souligne.)

    650. Dans l'un et l'autre article, on stipule qu'aucune action (ou procédure) ne peut être intentée. Il faut se demander si la plainte visée aux présentes est une procédure interdite en vertu des dispositions de ces deux lois.

    651. Je rappele la définition de procédure selon le Black`s Law Dictionary :

    [Traduction]

    Au sens général, la forme et la manière dont sont conduites les affaires judiciaires devant un tribunal ou un magistrat. Progression régulière et ordonnée de l'application de la loi, y compris toutes les étapes possibles d'une action du début jusqu'à l'exécution du jugement. Se rapporte également aux procédures administratives devant les agences, tribunaux, offices, etc.

    (Black`s Law Dictionary, 6e édition, St. Paul, Ouest, 1990, page 1204)

    652. Voici la définition de procédure (proceeding) au Dictionary of Canadian Law :

    [Traduction]

    3. Action, demande ou présentation devant un tribunal ou juge ou autre organisme ayant autorité en vertu de la loi ou par consentement pour prendre des décisions sur le droit des personnes.

    (Dictionary of Canadian Law, Scarborough; Carswell, 1991, p. 820)

    653. Il serait difficile de nier qu'une plainte déposée devant la Commission en vertu de l'article 40 de la LCDP ou qu'une action amorcée par la Commission après la réception d'une plainte, y compris, de la part de celle-ci, une demande de désignation d'un tribunal en vertu de l'article 49 et enfin, une audience du Tribunal en vertu de l'article 50 de cette loi est une procédure telle que définie dans ce qui précède et au sens de la LRCECA et de la LP.

    654. L'intimée estime que les dispositions pertinentes de ces deux lois ne sont incompatibles avec la LCDP que si un tribunal envisage d'accorder des dommages-intérêts. À mon avis, les dispositions des deux premières lois entrent en conflit avec la LCDP, mais de façon beaucoup plus large que ne le soutient l'intimée.

    655. D'après la jurisprudence soumise par l'intimée, les dispositions de LRCECA et de la LP interdisant les poursuites ou procédures dans les cas de demandes ouvrant droit à pension ont été constamment interprétées de façon large par les tribunaux (voir Langille, supra). Si la LRCECA et la LP avaient préséance sur la LCDP, elles n'interdiraient pas simplement l'adjudication de dommages-intérêts, mais empêcheraient le fonctionnement de tout mécanisme d'adjudication prévu à la LCDP. L'adjudication de dommages-intérêts pour le Tribunal, ne serait que la dernière étape d'une longue série de procédures bloquées. Le problème essentiel est alors de savoir si l'on peut résoudre le conflit entre ces deux lois et la LCDP.

    656. Au coeur du problème se situe une question de conflit de lois, qui relève du domaine de l'interprétation des lois. Ces règles ont été analysées par la Cour suprême du Canada dans deux arrêts portant sur les conflits juridiques en matière de droits de la personne. Dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink [1982] 2 S.C.R. 145, un conflit potentiel avait surgi entre le Human Rights Code et l'Insurance Act of B.C. Cette dernière disposait que toutes les polices d'assurance pouvaient être résiliées par l'assureur à la seule condition qu'il respecte la règle du préavis. Le Human Rights Code interdit de refuser les services habituellement offerts au public, sauf pour motif raisonnable. La Cour suprême a prononcé trois arrêts, chacun signé par trois juges. Dans deux décisions, elle a débouté l'appel, soit celles des juges Lamar et Ritchie. Dans les deux cas, des opinions judiciaires incidentes ont été émises concernant la résolution du conflit.

    657. Le juge Ritchie a réfléchi au principe generalia specialibus non derogant. Cette règle fait l'objet d'une paraphrase dans le texte de l'ouvrage Discrimination and the Law, de Tarnopolsky, W.S., et Pentney, W.F., Scarborough, Carswell, 1994 :

    [Traduction]

    (1) Sous réserve de la règle (2), dans la mesure où l'adoption d'une disposition subséquente est incompatible avec une disposition antérieurement adoptée, la disposition subséquente est réputée abroger implicitement la disposition antérieure dans la mesure de l'incompatibilité.

    (2) Si la mesure adoptée subséquemment est de nature générale et que la mesure antérieure est de nature spécifique, cette dernière n'est pas réputée abrogée par la mesure subséquente; on dit plutôt alors que la mesure spécifique antérieure a préséance dans la mesure de l'incompatibilité. (Voir generalia specialibus non derogant.)

    658. Le juge Ritchie faisait remarquer qu'en droit canadien, les deux dispositions conflictuelles doivent être appliquées à l'objet de la disposition législative antérieure dans la mesure où elles peuvent s'harmoniser. La mesure législative subséquente ne doit être réputée inopérante que si les deux dispositions législatives donnent lieu à une inconciliabilité et alors, uniquement dans la mesure de cette inconciliabilité. Il n'a relevé aucune inconciliabilité dans l'affaire et a donc conclu que les deux dispositions législatives pouvaient être prises de concert.

    659. Dans son arrêt, le juge Lamer, tout en étant d'accord sur le résultat, a abordé le conflit de lois d'une façon différente. Dans un texte désormais célèbre, le juge Lamer a maintenu ce qui suit :

    Lorsque l'objet d'une loi est décrit comme l'énoncé complet des droits des gens qui vivent sur un territoire donné, il n'y a pas de doute, selon moi, que ces gens ont, par l'entremise de leurs législateurs, clairement indiqué qu'ils considèrent que cette loi et les valeurs qu'elle tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence, à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu'il y a conflit.

    En conséquence, la maxime juridique generalia specialibus non derogant ne peut s'appliquer à un tel code. En réalité, si le Human Rights Code entre en conflit avec des lois particulières et spécifiques, il ne faut pas le considérer comme n'importe quelle autre loi d'application générale, il faut le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamentale.

    [Traduction]

    Par conséquent, tout en étant d'accord avec mon collègue Ritchie que les deux textes de loi visés peuvent être maintenus parce qu'il n'y a pas conflit entre eux, j'ajouterais que, en cas de conflit, le Code doit avoir préséance. Nulle part dans les lois de la Colombie-Britannique il n'est stipulé que l'article 5 des Statutory Conditions énoncé à l'article 208 de l'Insurance Act, R.S.B.C. 1960, c. 197, et ses modifications, doit être traité de façon spéciale en vertu du Human Rights Code.

    (Je souligne.)

    660. Trois ans plus tard, la Cour suprême du Canada entérinait la réflexion du juge Lamer dans un arrêt unanime : Winnipeg School Division No. 1 c. Craton [1985] 2 S.C.R. 150. Dans cette affaire, la cour devait trancher un conflit entre deux lois manitobaines, à savoir la Loi sur les droits de la personne et la Loi sur les écoles publiques. Le juge McIntyre, au nom de la cour, a comparé les dispositions de retraite obligatoire de la Loi (1970) sur les écoles publiques à la même disposition dans la version 1980 de cette Loi. Il y constatait que malgré le changement de numéro d'article, aucun amendement n'avait été apporté. Il a donc émis l'avis que la disposition adoptée en 1980 ne pouvait être réputée abroger implicitement la disposition de la Loi sur les droits de la personne contre la discrimination, adoptée six années auparavant.

    661. Il poursuivait ainsi dans son arrêt :

    Quoiqu'il en soit, je partage l'avis du juge en chef Monnin lorsqu'il dit :

    [Traduction]

    Une loi sur les droits de la personne est une loi d'application générale d'intérêt public et fondamentale. S'il y a conflit entre cette loi fondamentale et une autre loi particulière, à moins qu'une exception ne soit créée, la loi sur les droits de la personne doit prévaloir.

    Cela est conforme au point de vue exprimé par le juge Lamer dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 S.C.R. 145. Un loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. Adopter et réappliquer une théorie quelconque d'abrogation implicite d'une loi de ce genre au moyen d'un texte législatif ultérieur équivaudrait à la dépouiller de sa nature spéciale et à protéger fort inadéquatement les droits qu'elle proclame. En l'espèce, on ne peut pas dire que l'article 50 de la refonte de 1980 est une indication suffisamment explicite de l'intention du législateur de créer une exception aux dispositions du paragraphe 6(1) de The Human Rights Act.

    Je rejette donc l'appel, avec débours.

    (Je souligne.)

    662. Le raisonnement du juge McIntyre dans l'arrêt Craton et la position du juge Lamer dans l'affaire Heerspink, qui proclament tous deux la nature spéciale des lois sur les droits de la personne ont été évoqués dans l'arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Action Travail des Femmes), [1987] 1 S.C.R. 1114 (C.S.C.). Dans cet arrêt, la Cour suprême devait trancher la question de savoir si un tribunal constitué en vertu de la LCDP avait le pouvoir d'ordonner un redressement sous la forme d'un programme d'équité en matière d'emploi. Le Tribunal rappelait ceci :

    [Traduction]

    La première déclaration judiciaire complète concernant l'attitude correcte adoptée pour l'interprétation des lois sur les droits de la personne se trouve dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 S.C.R. 145, p. 158, où le juge Lamer estimait qu'il ne fallait pas considérer les codes des droits de la personne comme n'importe quelle auttre loi d'application générale, il faut le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamentale. Ce principe d'interprétation a été précisé davantage par le juge McIntyre dans une décision unanime, en l'affaire Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 S.C.R. 150...

    (Je souligne.)

    663. La Division d'appel de la Cour fédérale a explicitement reconnu la préséance de la LCDP sur les autres lois fédérales, dans l'arrêt Canada (A.G.) c. Druken [1989] 2 F.C. 24. Dans cette affaire, le Tribunal devait répondre à la question de savoir si un tribunal créé en vertu de la LCDP pouvait ordonner à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada de cesser d'appliquer certains articles de la Loi sur l'assurance-chômage pour le motif que l'adoption de la LCDP entraînait implicitement l'abrogation de toutes les dispositions législatives incompatibles. La Division d'appel, dans un arrêt unanime, a rappelé l'arrêt Craton, supra, pour tenir ensuite le raisonnement suivant :

    [Traduction]

    La règle semblerait être qu'en cas d'incompatibilité entre une loi sur les droits de la personne et une autre loi, une disposition législative adoptée ultérieurement, à moins qu'il ne soit clairement stipulé que c'est par dérogation, ne peut être interprétée comme abrogeant une loi qui subsiste en matière de droits de la personne. Par ailleurs, si la législation sur les droits de la personne est celle qui est adoptée subséquemment, elle abroge implicitement l'autre disposition législative incompatible.

    664. Dans l'affaire Uzuoba, sur laquelle se fonde la Commission en l'espèce, la Division d'appel avait à trancher en ce qui a trait à l'hypothèse qu'un Tribunal constitué en vertu de la LCDP n'avait aucun pouvoir d'ordonner un retour en fonction à titre de mesure de redressement si cela entrait indirectement en conflit avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. La Division d'appel, en se fondant sur les arrêts Heerspink et Craton, entérinés dans Action Travail des Femmes, voir supra, a rejeté cet argument :

    [par. 17] Le droit est clair et l'avocate du procureur général reconnaît qu'en cas de conflit direct, la Loi s'appliquera. Il soutient toutefois qu'il ne s'agit pas d'un conflit direct en l'espèce. Je ne vois pas comment cet argument peut être utile à l'avocate. En fait, l'avocate de M. Uzoaba prétend qu'il n'y a aucun conflit réel entre la Loi et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Il affirme que les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique relatives à la promotion suivant le principe du mérite s'appliquent dans l'administration quotidienne et normale de la fonction publique et que la Loi n'est pas censée supplanter la Loi sur l'emploi dans la fonction publique à cet égard. D'un point de vue pratique, je suis d'accord avec cet argument.

    [par. 18] Cependant, même si le pouvoir d'un tribunal des droits de la personne d'ordonner qu'une promotion soit accordée à un fonctionnaire entre en conflit avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, je suis convaincu que les dispositions de la Loi [sur les droits de la personne] doivent avoir préséance.

    ...

    [par. 20] Je pense que le principe de la préséance doit s'appliquer en l'espèce pour permettre à un tribunal des droits de la personne d'ordonner l'octroi d'une promotion qui, selon lui, a été refusée pour des motifs discriminatoires, en violation de la Loi. En d'autres termes, la compétence de la Commission de la fonction publique et la procédure qui doit normalement être suivie pour l'octroi des promotions au sein de la fonction publique n'ont pas préséance dans ces rares cas où des promotions ont été refusées pour des motifs discriminatoires et où un tribunal, exerçant la compétence qui lui est conférée par la Loi, ordonne qu'une promotion soit accordée à une personne afin de corriger les effets de l'acte discriminatoire de l'employeur...

    665. En nous fondant sur ce qui précède, nous tirons la conclusion que, conformément au principe de préséance d'une loi fondamentale, l'article 9 de la LRCECA et l'article 111 de la LP ne peuvent faire obstacle à la LCDP et, plus particulièrement, ne peuvent interdire à un tribunal constitué en vertu de cette loi, d'octroyer les redressements appropriés prévus à la Loi. Contrairement à ce que prétend l'intimée, en l'absence de toute préséance statutaire spécifique dans les dispositions de la LRCECA et de la LP, la LCDP doit prévaloir.

    666. En plus de la règle de préséance des droits fondamentaux, il existe un certain nombre de principes d'interprétation moins déterminants qui tendraient à appuyer la préséance de la LCDP. Je me fonde sur l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C., c. I-23, qui dispose ainsi :

    12 Principes et interprétation

    12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

    667. Rappelons que la nature et l'objet de la LCDP sont précisés à l'article 2 :

    Objet

    2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

    (Je souligne.)

    La Cour suprême, dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor) [1987] 2 S.C.R. 84, a interprété ainsi l'article 2 de la LCDP :

    Suivant son article 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des motifs de distinction illicite dont ceux fondés sur le sexe. Comme le juge McIntyre l'a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 S.C.R. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent. Il s'agit là d'une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement, mais d'une manière qui tienne compte de la nature spéciale d'une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu'elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 S.C.R. 145, le juge Lamer, aux pages 157 et 158. Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n'est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu'elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société. Plus récemment encore, dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (l'arrêt Action Travail des femmes), [1987] 1 S.C.R. 1114, le juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d'interprétation, qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objectifs.

    (Je souligne.)

    668. Dans un contexte analogue, dans l'arrêt Action Travail des Femmes, supra, le juge en chef Dickson ajoutait :

    [Traduction]

    L'objet de la Loi sur les droits de la personne est de faire prévaloir notamment les droits individuels d'importance essentielle, des droits qui peuvent être appliqués en dernière analyse par un tribunal. Je reconnais que dans l'élaboration de ces lois, il faut accorder leur plein sens aux mots utilisés, mais il est tout aussi important d'accorder pleinement reconnaissance et effet aux droits énoncés. Nous ne devons pas chercher des moyens d'atténuer ces droits et d'affaiblir l'importance qui leur est due.

    (Je souligne.)

    669. En raison des principes d'interprétation qui découlent de sa nature spéciale de loi corrective, il tire la conclusion que l'application de la LRCECA et de la LP ne fait pas obstacle à la LCDP. Qui plus est, nous croyons qu'en plus de l'article 2, d'autres dispositions de la LCDP appuient notre conclusion que cette Loi doit avoir préséance sur les deux autres. Le fait que le Parlement ait senti le besoin de subordonner expressément la LCDP à la Loi sur les Indiens à l'article 67 de la LCDP est pour nous un indice qu'il estimait que la LCDP, de façon générale, aurait préséance sur toute autre loi incompatible, en l'absence de dérogation spécifique. Voici le libellé de l'article 67.

    Exception

    67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette Loi.

    670. En ce qui a trait aux sources citées par l'intimée, à savoir Langille, Berneche, Dubois, Arsenault, O'Connor et Dufour, supra, ces arrêts ne concernent pas la LCDP. Je crois que ces sources peuvent, par conséquent, être distinguées en ce qu'elles ne concernent pas un conflit de lois touchant les droits de la personne. Certains demandeurs, dans ces six affaires, ont invoqué la Charte canadienne des droits et libertés ou la non-observation d'une loi fédérale pour appuyer de façon collatérale leurs poursuites civiles. Toutefois, dans aucune de ces affaires, le Tribunal n'a été appelé à appliquer la LRCECA et la LP à une instance concernant les droits de la personne en vertu de la LCDP.

    671. Il m'apparaît que les poursuites civiles présentées aux tribunaux dans ces affaires n'ont aucune incidence sur les critères de préséance des droits de la personne. Dans l'affaire que le Tribunal est appelé à trancher, toutefois, il n'y a pas de poursuite au civil pour dommages ou bris de contrat; il s'agit d'une poursuite statutaire sous le régime d'une loi fondamentale concernant les droits de la personne, à savoir la LCDP.

    672. Le précédent de la Cour suprême, soit l'arrêt Béliveau St-Jacques, supra, cité par l'intimée, est une source évoquée directement par celle-ci et où l'on trouve une situation de conflit de lois entre la législation sur les droits de la personne et une autre loi. Comme nous l'avons mentionné précédemment, l'arrêt Béliveau, supra, supposait un conflit apparent entre la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) du Québec et la Charte des droits et libertés de la personne (charte québécoise). Les paragraphes 438 et 442 de la LATMP disposaient ainsi :

    LATMP :

    438. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.

    442. Un bénéficiaire ne peut intenter une action en responsabilité civile, en raison de sa lésion professionnelle, contre un travailleur ou un mandataire d'un employé assujetti à la présente loi pour une faute commise dans l'exercice de ses fonctions, sauf s'il s'agit d'un professionnel de la santé responsable d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31.

    Dans le cas où l'employeur est une personne morale, l'administrateur de la corporation est réputé être un mandataire de cet employeur.

    L'article 49 de la Charte québécoise disposait ainsi :

    Charte québécoise :

    49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

    En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.

    673. La décision majoritaire a été rendue par le juge Gonthier. Il examinait l'article 49 de la Charte québécoise et tirait la conclusion que ...la violation d'un droit protégé par la Charte équivaut à une faute civile. La Charte formalise en effet des normes de conduite qui s'imposent à l'ensemble des citoyens. Il continuait en expliquant que la violation d'un droit protégé en vertu de la Charte québécoise est un comportement condamnable en infraction du devoir général de bonne conduite prévu au Code civil. Selon lui, la Charte québécoise n'a pas créé de système distinct ou autonome de responsabilité civile.

    674. En maintenant que la Charte québécoise ne créait pas une forme discrète de responsabilité, le juge Gonthier a expressément rejeté toute analogie entre la LCDP, telle qu'interprétée par la cour dans l'arrêt Robichaud, et la Charte québécoise :

    [par. 124] Le juge La Forest, dans l'affaire Robichaud, devait d'abord interpréter un texte législatif précis, et il y a vu une source particulière de responsabilité, distincte du droit commun. S'il y avait bien dans cette espèce un nouveau recours, il ne s'ensuit pas nécessairement que le recours offert par la Charte, au vu de ces caractéristiques propres qui ont été étudiées plus haut, se différencie des principes généraux de responsabilité civile du seul fait de son autonomie formelle. D'ailleurs, la relation entre les instruments de protection des droits fondamentaux et le droit commun, dans les provinces de common law, n'est pas tout à fait la même qu'au Québec. Ainsi, cette Cour a déjà décidé, dans une affaire provenant de l'Ontario, qu'en raison de l'interdiction de la discrimination que contenait la loi provinciale sur les droits de la personne, il ne pouvait y avoir développement parallèle d'un délit civil fondé sur la discrimination (Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 S.C.R. 181). À la lumière des caractéristiques de l'ensemble législatif ontarien, il fut décidé que le recours aux tribunaux de droit commun était interdit. À l'inverse, force est de constater que la compétence de la Commission des droits de la personne ne possède pas, au Québec, un caractère exclusif, et ne prohibe en rien le recours aux tribunaux de droit commun (article 77 de la Charte). De plus, la nature même de la norme de bonne conduite qui découle du Code civil s'oppose à la tenue d'un raisonnement qui nierait son caractère évolutif et sa capacité d'englober des situations jamais envisagées auparavant. La reconnaissance par la Charte d'aspects particuliers, et peut-être encore inexplorés, de cette norme de conduite ne justifie pas en elle-même une qualification nouvelle de la responsabilité découlant de sa violation. Je suis donc d'avis que la responsabilité liée à l'article 49, alinéa 1, en est une qui vise la réparation du préjudice causé à autrui par un comportement fautif, et que partant, elle doit être qualifiée de responsabilité civile.

    (Je souligne.)

    675. Ayant qualifié la poursuite de l'appelante en vertu de la Charte québécoise comme relevant de la responsabilité civile habituelle, il pouvait sans grande difficulté arriver à la conclusion que les paragraphes 438 et 442 de la LATMP s'opposaient spécifiquement à cette poursuite. Dès qu'il est devenu évident que l'appelante avait été victime d'une blessure professionnelle, les deux dispositions susmentionnées accordaient l'immunité civile à ses employeurs.

    676. Le juge Gonthier a ensuite fourni des motifs supplémentaires appuyant sa décision :

    [par. 131] Tel est, d'ailleurs, la solution qu'indique l'article 51 de la Charte. Cette disposition prend soin de préciser que la Charte ne doit pas, en règle générale, être interprétée de manière à augmenter ou modifier la portée d'une disposition de la loi. Permettre à la victime d'une lésion professionnelle de faire valoir un recours en responsabilité civile fondé sur la Charte contre son employeur ou contre un co-employé reviendrait nécessairement à remettre en question le compromis formalisé par la LATMP. Cette loi repose en effet sur le principe de la responsabilité sans faute et prévoit un mécanisme d'indemnisation forfaitaire, mais partiel. Si l'article 49 permettait à la victime d'une lésion professionnelle d'obtenir des dommages-intérêts supplémentaires, la portée de la LATMP s'en trouverait modifiée.

    (Je souligne.)

    677. Je suis d'avis que l'arrêt Béliveau St-Jacques n'est pas déterminant en l'espèce. Cette disposition reposait presque exclusivement sur des concepts appartenant à la tradition du droit civil régie par le Code civil du Québec et inspirée des lois françaises. Le juge Gonthier admet implicitement que la LCDP et toutes les lois fédérales existent à l'extérieur du contexte du droit civil français. Ainsi, il est extrêmement pertinent de préciser que le juge Gonthier fait distinction de l'arrêt Robichaud pour les motifs qu'il avait trait à la LCDP.

    678. En plus de la différence fondamentale de systèmes juridiques, une simple lecture des dispositions interprétées dans l'arrêt Béliveau St-Jacques, supra, indique que la relation législative était différente de celle existant dans la sphère fédérale. La Charte québécoise n'est pas rédigée de la même manière que la LCDP et, ainsi que le mentionnait le juge Gonthier, il y est expressément stipulé à l'article 51 que, de façon générale, elle ne vise pas à élargir ou à modifier une disposition législative. Par contre, à l'article 2 de la LCDP, le législateur envisage expressément une extension des lois actuelles du Canada.

    679. Sur la base de cette analyse, il m'est permis de conclure que dans la mesure où l'article 9 de la LRCECA et l'article 111 de la LP entrent directement en conflit avec la LCDP et s'opposent à toute procédure ou action en versement d'une pension ou indemnisation par l'État fédéral, la doctrine de la préséance dicte que la LCDP doit prévaloir. Par conséquent, le Tribunal a le pouvoir d'accorder des dommages-intérêts à l'égard des pertes économiques subies par la plaignante dans la présente affaire.

    (ii) Dommages

    680. Concluant qu'il y a eu harcèlement sexuel et que les actions de l'intimée à la suite de la signification de l'avertissement écrit constituaient un traitement différentiel à l'endroit de la plaignante pour motif illicite et en outre, concluant à la préséance de la Loi canadienne sur les droits de la personne sur l'article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif et sur l'article 111 de la Loi sur les pensions, il m' incombe maintenant de préciser, s'il y a lieu, les dommages à adjuger à la plaignante.

    681. La compétence du Tribunal en matière d'adjudication de dommages est réglée par l'article 53 de la LCDP. L'objectif de l'indemnisation, établi par la Cour fédérale dans les affaires de discrimination, est de réparer entièrement le tort fait à la victime de discrimination, en tenant compte des principes de caractère lointain et de prévisibilité raisonnable (voir Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 F.C. 401 (CF, DA), et Canada (Procureur général) c. McAlpine, [1989] 3 F.C. 530 (CF, DA), Canada (Procureur général) c. Thwaites (1994) 3 F.C. 38 (CF, DPI)).

    (a) Pertes salariales antérieures

    (i) Période d'indemnisation

    682. Le droit à l'indemnisation pour pertes salariales ne peut porter sur une période indéterminée. La Division d'appel de la Cour fédérale, dans l'affaire Morgan, supra, a statué que pour établir la période d'indemnisation, il faut faire preuve de sens commun et imposer certaines limites à la responsabilité concernant les conséquences d'un acte, mauvaise foi exceptée. Il faut également que l'évaluation des dommages tienne compte du devoir de les limiter, principe depuis longtemps établi en common law.

    683. Le témoignage des experts médicaux dans l'affaire vise à aider le Tribunal à comprendre la nature de la maladie de la plaignante et à établir s'il existe un lien causal entre le présumé harcèlement sexuel et la maladie résultante. L'absence de consensus entre les deux experts concernant le diagnostic médical correct, leurs opinions divergentes sur l'évaluation et le traitement et sur le type d'enquête que doit mener un psychiatre nous rendent la tâche beaucoup plus ardue. Manifestement, le diagnostic de TSPT du Dr Halliday ne peut soutenir la définition qu'on en trouve au DSM IV en ce qu'il ne peut, d'après la preuve, satisfaire au critère A(1) de cette définition.

    684. Le facteur le plus pertinent, hormis la question de savoir si la plaignante souffre de dépression ou d'une autre maladie, est le facteur temps, c'est-à-dire le moment où les symptômes sont apparus. Le Dr Halliday soutient que c'est l'incident des chaussures qui a déclenché la maladie de la plaignante, tandis que le Dr Passey croit que les symptômes ont commencé à se manifester après l'avertissement écrit.

    685. L'avocate de la Commission nous a pressé d'accepter le principe relevé dans la décision du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Cranston et al c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, T.D. 1/97 (instance fédérale) selon lequel le devoir d'atténuer est compensé par la preuve d'une invalidité médicale résultant de la discrimination. Selon l'avocate de la Commission, les efforts de la plaignante pour se faire traiter et son désir authentique d'obtenir de l'aide satisfont à cette exigence d'atténuation.

    686. L'intimée est en droit de s'attendre que la plaignante prenne elle-même des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes, dans un effort pour réduire les dommages découlant des actes discriminatoires à l'origine de son problème. Il est toujours possible de demander une autre opinion médicale, si une maladie ne manifeste pas d'atténuation. Pour le moins, je crois que la plaignante se devait de prendre cette mesure, particulièrement compte tenu de la décision du Dr Halliday de retarder tout traitement actif de sa maladie.

    687. Les deux psychiatres ont mentionné la paranoïa croissante de la plaignante. Il faut rappeler que le Dr Mahoney (en décembre 1992) décrit la plaignante et ses crises constantes d'angoisse et sa paranoïa. Mme Wright a également qualifié la plaignante de paranoïaque. Le Dr Halliday, dans son rapport d'expert, mentionnait qu'elle souffrait d'une distorsion de perception et que, en raison de sa paranoïa, il se pouvait qu'elle perçoive incorrectement les faits (pièce HR-11). Aucun des psychiatres experts n'a pu établir si la paranoïa de la plaignante était antérieure aux incidents de l'automne 1991.

    688. La plaignante s'acquittait adéquatement de ses fonctions jusqu'aux événements de l'automne 1991 et a senti progressivement une détérioration dans la période qui a suivi sa plainte de harcèlement, jusqu'au moment de son départ volontaire. De la date de son départ à l'audition de l'affaire, la maladie de la plaignante ne s'est pas atténuée, malgré le passage des années. La gravité de sa maladie a varié, après son départ des Forces armées.

    689. Son programme de traitement a inclus les soins médicaux fournis par son médecin de famille, le Dr Ida Graf-Blaine, évaluation initiale par le psychologue, le Dr Mahoney, thérapie individuelle par Mme Wright, séances intermittentes avec le Dr Halliday, séances thérapeutiques de deux jours à l'Hôpital St. Joseph, thérapie intermittente en séances de groupe coanimées par Mme Wright et le Dr Halliday, et prise intermittente de médicaments.

    690. Je suis d'avis que les questions qui ont été soulevées pendant le témoignage du Dr Passey à propos du diagnostic du Dr Halliday et du traitement que celui-ci a planifié pour la plaignante jettent un certain doute sur les conclusions du Dr Halliday. Je n'ai pas la certitude que tous les problèmes de santé de la plaignante découlaient des actes discriminatoires. Qui plus est, il est difficile d'attribuer tous ses problèmes à l'incident des chaussures et à l'avertissement écrit qui en a résulté, ainsi qu'au traitement différentiel dont elle a fait l'objet il y a tant d'années. En tenant compte du témoignage du Dr Passey, il me semble qu'il existe certaines réserves réelles à propos de l'état de la plaignante et de ses allégations selon lesquelles les maladies dont elle souffre actuellement découleraient du harcèlement sexuel et des actions de l'intimée en 1991. Compte tenu du témoignage du Dr Passey, nous invitons fortement la plaignante à obtenir d'autres opinions, afin de faciliter son rétablissement.

    691. Je pense que le témoignage du Dr Passey soulève certains doutes quant aux rapports entre la maladie de la plaignante et les actions de l'intimée après sa mutation au BT-B. La nature et le degré du harcèlement sexuel qui a eu lieu en 1991 étaient, me semble-t-il, plutôt légers. Les problèmes de santé de la plaignante sont devenus plus manifestes fin mai et début juin 1992, au moins cinq mois après l'incident des chaussures. À l'époque, elle subissait une chirurgie du genou et a profité de l'occasion pour obtenir un certain répit du stress qu'elle éprouvait au travail. On lui a ordonné de subir une évaluation psychiatrique, ce qui a intensifié son angoisse et son stress. C'est après cette époque que ses problèmes de santé se sont intensifiés et que ses rapports avec l'intimée ont commencé à se détériorer. C'est la période où ses perceptions ont été perturbées.

    692. J'accepte le témoignage de la plaignante concernant ses tentatives antérieures, faites de bonne foi, d'atténuer ses pertes en cherchant un autre emploi. Sa perte de capacité de gains a été grandement affectée par l'ampleur et la persistance de sa maladie et par le peu d'efficacité des traitements médicaux, qui l'ont limitée aux types d'entreprises commerciales où elle oeuvre actuellement.

    693. La Commission s'est reposée sur le témoignage expert d'un actuaire pour évaluer les pertes de revenu et de pension de la plaignante. Ces preuves, elle les a obtenues sous forme d'un rapport détaillé, complété par un témoignage de vive voix de Deborah Wilson, expert en sciences actuarielles, co-auteur du rapport avec un autre membre de son cabinet. Le rapport est du 18 octobre 1996. On y précise le montant et les valeurs actuelles, au 1er octobre 1996 (date de l'évaluation) des pertes potentielles aux dates de cessation d'emploi à intervalles de six mois, à compter d'un an après la date de son départ jusqu'au 9 décembre 2001, fin de son contrat avec l'intimée. Les auteurs ont répercuté au rapport diverses hypothèses, notamment sa progression salariale, son espérance de vie, l'inflation et l'intérêt sur pertes antérieures. L'actuaire a imposé un taux brut d'actualisation de 7 % d'après ce qu'une personne peut s'attendre de pouvoir obtenir en terme de rendement financier.

    694. Je suis prête à me fonder sur les évaluations fournies dans la preuve actuarielle déposée par la Commission canadienne des droits de la personne. Je les trouve raisonnables à nos fins. Les pertes de pension et de revenu ont été calculées pour des intervalles de six mois. L'évaluation part de l'hypothèse que les gains de la plaignante demeureraient au taux annuel de 1993, soit 34 656 $ jusqu'en 1995, seraient relevés à 35 424 $ en 1996 et, en partant d'une hypothèse de 4 % par an pour le taux d'inflation, intégrés aux hausses salariales subséquentes à 4 % par année. De plus, l'intérêt sur les pertes antérieures à la date de l'évaluation a été calculé à un taux annuel de 8,3 %, rendement moyen sur le taux bancaire trimestriel du gouvernement et taux bancaire en vigueur le mois précédant la date du départ de la plaignante.

    695. Sur la base de ces constatations et en tenant compte des principes d'éloignement et de prévisibilité raisonnable, ainsi que de la paranoïa croissante de la plaignante qui, selon nous, est un facteur important qui limite la responsabilité de l'intimée, nous estimons qu'un plafonnement d'un an sur les pertes salariales antérieures est approprié aux circonstances en l'espèce. La période d'un an court du 10 février 1993 jusqu'au 10 février 1994.

    696. En plus de ce montant, j'accorde tous les congés annuels pris en 1991 et 1992 en raison du stress. L'avocate de la Commission a calculé que cela correspondait à 47 jours réels et, d'après le taux salarial de la plaignante en 1992, soit 34 299 $, cela équivaut à 6 179,29 $.

    697. En-sus du montant des pertes salariales, j'accorde une paie de départ. Au moment de la cessation d'emploi, son droit à une paie de départ a été calculé à un taux de sept jours par année de service, réduit de moitié. Ce même taux doit s'appliquer pour la période d'une année.

    698. Les gains reçus par la plaignante pendant la période des pertes salariales antérieures doivent être retenus du montant total. Cela comprendrait tous les gains tirés par la plaignante dans ses deux entreprises, soit le service de nettoyage à domicile et l'élevage de poulets, y compris ses gains de pension des Affaires des anciens combattants et toute prestation de l'assurance-chômage. Tout montant ainsi retenu doit être remboursé par l'intimée aux sources respectives.

    (b) Pertes salariales futures

    699. En se fondant sur le pronostic du Dr Halliday, la Commission demande que les pertes salariales futures soient calculées sur deux ans à partir de la date d'une décision finale. Le témoignage du Dr Halliday est ambigu sur ce point et je ne peux accepter ses prévisions. Le Dr Passey a un pronostic plus favorable. Compte tenu des constatations en matière de harcèlement sexuel et du fait que les deux psychiatres semblent penser qu'un résultat favorable aiderait grandement la plaignante à se rétablir, je crois qu'une période d'un an à compter de février 1993 serait raisonnable en l'espèce.

    700. Le montant des pertes salariales futures doit être établi à partir du rapport actuariel. Il faut retenir les prestations mensuelles des Affaires des anciens combattants du montant total et l'intimée doit les rembourser à Affaires des anciens combattants. J'accepte le taux de pension qui, tel qu'établi par l'avocate de la Commission, est de 449,87 $. Je pense également que la plaignante a droit à des prestations de départ sur ses pertes salariales futures, à calculer à raison de sept jours par an à tarif réduit de moitié.

    (c) Prestations de pension

    701. La Commission souhaitait également le versement de dommages à l'égard des pertes de prestations de pension. La plaignante a choisi le remboursement de ses cotisations et les intérêts à une époque où elle était en congé annuel pour motif de stress. Je crois que l'option qu'elle privilégiait était de différer sa pension et, à ce moment, elle n'a pas pris de décision informée et on ne lui a pas offert de lui expliquer ses choix et d'obtenir des conseils appropriés.

    702. J'accepte le rapport actuariel où figurent les projections de prestations de pension liées aux gains. La plaignante a le droit de recevoir, d'après les pertes salariales antérieures et futures pour la période d'indemnisation adjugée, le montant des pertes de pension calculé par l'actuaire pour cette période supplémentaire de deux ans.

    703. J'ordonne à l'intimée de verser toute cotisation au Régime de pensions du Canada pour la période des pertes salariales et que l'employeur aurait dû verser pour le compte de la plaignante.

    704. Puisque les parties ne nous ont pas fourni de précisions sur les modalités de versement des prestations de pension et compte tenu des exigences du régime de pension de l'employeur, nous ordonnons aux parties d'en fixer les modalités conformément à ces exigences.

    (d) Préjudice moral

    705. En vertu du paragraphe 53. (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Tribunal peut ordonner indemnisation (jusqu'à concurrence 5 000 $) si le Tribunal constate que l'intimée a agi sciemment ou de façon négligente ou si la victime de l'acte discriminatoire a souffert un préjudice moral.

    706. La plaignante a été affectée par le harcèlement sexuel dont elle a fait l'objet tandis qu'elle travaillait au BT-B et par le traitement différentiel subséquent dont elle a été victime de décembre 1991 jusqu'à la date de son départ volontaire. L'humiliation subie par la plaignante en raison de son voyage en ambulance, dont ont été témoins son fils et sa mère, et par suite de sa mutation au Centre de formation linguistique a été une blessure profonde. Nous trouvons à la preuve les effets de la surveillance étroite et de l'isolement qu'elle a subis parce qu'elle faisait avancer ses plaintes, ainsi que des attaques constantes sur sa personne, qui lui ont causé embarras et honte. Pour ces motifs, nous adjugeons à la plaignante un montant maximal de 5 000 $.

    (e) Prestations médicales

    707. La Commission demande, soit à titre de prestations perdues ou à titre d'indemnisation pour dépenses engagées, une somme à adjuger à l'égard des honoraires de thérapeute de Mme Wright. La Commission demande en outre le remboursement des frais de voyage au taux d'employeur du Conseil du Trésor de 0,345 $ le kilomètre, pour l'aller et le retour, à l'égard des visites de la plaignante chez le Dr Halliday, Mme Wright, le Dr Graf-Blaine avec laquelle elle avait pris rendez-vous pour ses problèmes de stress, et les deux rendez-vous chez le Dr Bowler pour des prélèvements sanguins (pendant le témoignage du Dr Passey).

    708. Nous croyons que l'octroi d'une indemnisation à l'égard des honoraires de thérapeute de Mme Wright est expressément autorisé par l'alinéa 53. (2)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne à l'égard des pertes de salaire et des dépenses entraînés par l'acte. La preuve révèle que Mme Wright n'a jamais reçu de remboursement pour les six premières séances de thérapie autorisées par l'intimée et qui ont eu lieu du 15 juillet au 4 septembre 1992. Sans l'autorisation de l'intimée, la plaignante aurait été personnellement responsable de ces montants et c'est pourquoi nous ordonnons à l'intimée de payer directement à Mme Wright la somme de 65 $ par séance pour un total de six séances.

    709. En ce qui a trait aux dix séances individuelles de la plaignante chez Mme Wright, soit six en avril 1996 et quatre en juin 1996, j'estime qu'elles sont trop éloignées pour être le résultat des actes discriminatoires.

    710. Je ne trouve aucun fondement à la demande de la plaignante concernant le remboursement des frais de déplacement et n'adjuge aucun montant à ce titre. De plus, le Tribunal n'est pas disposé à accorder à la plaignante une indemnisation pour les séances thérapeutiques futures chez Mme Wright.

    (f) Intérêts

    711. J'ai déjà traité des intérêts en ce qui a trait aux pertes salariales antérieures et futures et aux pertes de pension, qui figuraient aux projections actuarielles à 8,3 % par an. La Commission demande le paiement des intérêts à 8,3 % par année sur la paie de vacances, la paie de départ, le préjudice moral et les autres avantages sociaux de l'emploi, à l'exception des honoraires de Mme Wright. Le Tribunal des droits de la personne a accordé des intérêts pour la préjudice moral dans une décision de 1996, Cranston et al, supra. Dans cette décision, le Tribunal acceptait la décision de la Cour fédérale en l'affaire Canada (Procureur général) c. Morgan [1992] 2 F.C. 401 (D.A.) en tant que fondement de son ordonnance. Il faut toutefois rappeler que le Tribunal, dans l'affaire Cranston, a plafonné le montant des dommages pour préjudice moral, intérêts compris, à un maximum de 5 000 $ par plaignant ou plaignante. Compte tenu de cette décision et des adjudications d'intérêts généralement ordonnées dans les cas concernant les droits de la personne, j'ordonne que les intérêts ne soient versés que sur la paie de départ et la paie de vacances, à un taux de 8,3 % par année appliqué aux calculs actuariels.

    712. La Commission demande une ordonnance afin que les autorisations psychiatriques exigées par l'intimée à l'égard des militaires qui demandent des soins dans les cas de harcèlement sexuel se déroulent d'une manière portant moins atteinte à leur dignité. Nous n'avons relevé dans la politique actuelle de l'intimée à cet égard aucune preuve, ni même si, en fait, l'intimée dispose bel et bien d'une politique de ce genre. Je ne compte pas émettre une ordonnance en l'absence de renseignements plus précis.

    D. CONCLUSION

    713. Pour les motifs qui précèdent, j'ordonne à l'intimée ce qui suit :

    1. Verser à la plaignante le salaire d'un an, du 10 février 1993 au 10 février 1994, d'après les calculs du rapport actuariel pour cette période. En plus de ce montant, un congé annuel de 47 jours pris par la plaignante en 1991 et 1992. En plus du montant des pertes salariales, il faut calculer la paie de départ conformément à ma décision.
    2. Verser à la plaignante le salaire d'un an du 10 février 1994 au 10 février 1995 d'après les calculs du rapport actuariel pour cette période. En plus du montant de la rémunération future, il faut ajouter la paie de départ calculée conformément à ma décision.
    3. Verser à la plaignante le montant des pertes de pension calculées par l'actuaire pour une période supplémentaire de deux ans, soit du 10 février 1993 au 10 février 1995.
    4. Verser à la plaignante 5 000 $ pour préjudice moral..
    5. Verser directement à Mme Wright un montant de 65 $ pour six séances thérapeutiques individuelles offertes à la plaignante.
    6. Verser des intérêts de 8,3 % par année sur la paie de départ et la paie de vacances.

    Fait ce 30 e jour d'avril, 1998 à Vancouver, Colombie Britannique


    Donna M. Gillis, présidente
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