Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 10/97 Décision rendue le 24 octobre 1997

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

LOUIS-PAUL PELLETIER ET ROBERT DORAIS

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Daniel Proulx, président Brigitte Bédard, Membre Michel T. Giroux, Membre

ONT COMPARU: François Lumbu et Odette Lalumière, avocats de la Commission canadienne des droits de la personne

Raymond Piché, Nadine Perron et Major J.M. Dugas, avocats de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: Les 12 au 16 mai 1997 à Montréal (Québec)

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LA PLAINTE

Les plaignants sont des anciens officiers des Forces armées canadiennes (ci-après les Forces ou les F.A.C.) qui travaillaient au Quartier général des cadets, région de l'est, depuis plusieurs années à titre de contractuels. Ils prétendent que leurs contrats n'ont pas été renouvelés en 1994 parce que les Forces estimaient qu'ils étaient trop âgés. Chacun a porté plainte séparément à la Commission les 21 et 22 février 1994. Toutefois, le libellé de la plainte est identique dans les deux cas et il se lit comme suit:

Les Forces armées canadiennes ont discriminé à mon endroit en raison de mon âge (60 ans) en refusant la reconduction de mon contrat, ce, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 12 août 1993, alors que j'occupais le poste d'officier d'état- major II, administration (instruction pour Dorais), le lieutenant-colonel Henri Laporte m'annonça qu'il ne renouvellerait pas mon contrat venant à échéance le 31 mars 1994 parce qu'il voulait rajeunir le personnel et avoir du sang neuf dans l'organisation.

Cette décision est discriminatoire car mon rendement était supérieur. De plus, la réorganisation en question a en fait ajouté du personnel à la structure existante. En effet, le quartier-général des cadets augmente ses effectifs de quatre postes dont deux majors de plus, en comparaison de la structure précédente.

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POSITION DES PARTIES ET DE LA COMMISSION

Les plaignants n'étaient pas représentés par avocats comme tel. Ils s'en sont remis aux procureurs de la Commission. Ceux-ci affirment que l'intimée a pris prétexte d'une réorganisation dans la structure du Quartier général des cadets, région de l'est pour refuser de continuer de garder les plaignants à leur emploi en ne renouvelant pas leurs contrats venus à échéance, comme cela se faisait depuis des années. On aurait redéfini les postes occupés par les plaignants pour les combler par des officiers plus jeunes. Il s'agit donc d'un cas de discrimination individuelle qui relève de l'article 7 L.C.D.P. Selon la Commission et les plaignants, l'âge n'a peut-être pas été la seule la cause du non- renouvellement de contrat de ces derniers, mais il a été un facteur contributif.

Les procureurs des F.A.C. ont pris la position que l'âge n'a aucunement joué dans la décision de ne pas offrir un nouveau contrat aux plaignants. Ceux-ci ont été victimes d'une réorganisation du quartier général des cadets pour la région de l'est qui était nécessaire d'une part, et d'autre part, le mérite, c'est-à-dire la capacité d'accomplir efficacement le travail, a été le seul critère de recrutement des nouveaux titulaires des postes que convoitaient les plaignants dans la nouvelle structure mise en place en 1993-1994. En d'autres termes, c'est la compétence qui a été le critère de sélection et la compétence n'est pas un motif de discrimination au sens de la Loi.

Comme le règlement de ce litige repose en grande partie sur la crédibilité des témoins, il importe dans un premier temps d'exposer la déposition de chacun des témoins-clés dans cette affaire.

LES TÉMOINS PRÉSENTÉS PAR LA COMMISSION

Le major Louis-Paul Pelletier

Après avoir été membre des Forces régulières pendant plus de vingt- sept ans, le major Pelletier a pris sa retraite en 1978 et est alors devenu réserviste. Puis en 1981, on lui a demandé d'oeuvrer au Quartier général des cadets en qualité de coordonnateur de l'instruction et des camps d'été sur la base de contrats annuels d'une durée d'un an moins trente jours en général. Il avait pour responsabilité de coordonner l'action de huit capitaines CIC (Cadre des instructeurs-cadets), lesquels provenaient des trois éléments des Forces: l'armée, la marine et l'aviation. Devant la désorganisation quasi complète qui régnait alors au sein des corps de cadets et dans la préparation des camps d'été, M. Pelletier a décidé de confectionner un manuel d'information complet destiné tant aux officiers CIC qu'aux simples cadets. Ce manuel exposait en détail le fonctionnement du mouvement des cadets, y compris l'organisation des camps d'été, et clarifiait les normes en matière d'instruction. Le major Pelletier estime que ce travail a été important et précieux pour le mouvement des cadets, ce que personne n'a contesté en l'espèce.

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En 1992, le major Pelletier a été muté au poste d'OEM II -Projets, vu que le titulaire de ce poste prenait alors sa retraite. Cette mutation a été décidée non pas par le lieutenant-colonel Laporte, mais par son prédécesseur. Puis, en mai 1993, M. Pelletier a été muté de nouveau, par M. Laporte cette fois, au poste d'OEM II - Administration. Les motifs de cette mutation ne lui ont toutefois pas été expliqués.

A part certaines insinuations de la part du lieutenant-colonel Laporte qu'il faisait du tourisme dans les camps d'été, c'est-à-dire qu'il se payait du bon temps au lieu d'y travailler vraiment, M. Pelletier affirme qu'il n'a jamais reçu de plaintes concernant la qualité de son travail en onze ans de travail au sein du QG des cadets comme officier d'état-major à l'instruction, aux projets ou à l'administration. Néanmoins, le Lt-col. Laporte, qui était alors son supérieur immédiat, le convoqua dans son bureau le 10 août 1993 pour lui dire que, comme les plus grands athlètes avaient dû s'y résigner un jour, le temps était venu pour lui d'accrocher ses patins car il avait besoin de sang neuf dans la réorganisation de la structure de l'état-major des cadets qui était en cours. M. Pelletier affirme également que M. Laporte a alors mentionné qu'il fallait rajeunir le personnel. Cette rencontre a eu lieu sans témoins. M. Pelletier dit avoir été humilié et dégoûté de se faire dire indirectement qu'il était rendu trop vieux pour travailler au sein de l'organisation des cadets.

Puis, après avoir envoyé une lettre au général J.-Armand Roy, lettre cosignée par lui et le major Dorais, pour se plaindre du favoritisme dont avait fait preuve le Lt-col. Laporte et du caractère discriminatoire de ses décisions, M. Pelletier a eu une seconde rencontre avec ce dernier à la mi- février 1994. M. Laporte s'est alors emporté et a injurié M. Pelletier en insinuant clairement que ce dernier manquait de courage et que lui, au contraire, avait pris ses responsabilités. Un langage plutôt cru a alors été utilisé par M. Laporte pour exprimer cette idée. A cette occasion, celui-ci aurait par ailleurs nié que l'âge ait eu quelque chose à voir avec le non-renouvellement de contrat de M. Pelletier et aurait réaffirmé que cette décision était requise pour apporter du sang neuf dans l'organisation qui avait besoin d'être restructurée. M. Pelletier, pour sa part, n'en croyait rien.

Par ailleurs, M. Pelletier insiste pour dire que le Lt-col. Laporte ne lui a jamais fait d'autres offres réelles d'emploi. Il n'a jamais été question que d'un hypothétique poste d'agent de liaison qui n'existait pas alors et qui aurait exigé qu'il travaille avec les cadets aux heures où ils sont actifs, soit en soirée (en semaine) et pendant les week-ends. Comme ce travail lui paraissait trop astreignant, d'une part, et comme le poste était hypothétique d'autre part, M. Pelletier a refusé cette offre que lui avait présentée M. Laporte. Il estime en fait qu'il n'a reçu aucune offre formelle de la part de M. Laporte.

Selon le major Pelletier, le Lt-col. Laporte est à l'origine d'une machination dont le but était de l'écarter de l'organisation des cadets parce qu'il était trop vieux. Cette perception, dit-il, s'est confirmée au cours de l'année 1993 lorsque M. Laporte procédait à de nombreuses consultations pour sa restructuration sans jamais lui demander son avis,

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puis lorsqu'il lui a retiré son poste d'OEM II- Administration pour y placer le major Hétu, un officier des forces régulières qui, par hasard, a pris sa retraite trois mois plus tard, puis, enfin, lorsqu'il a nommé les trois OEM II CIC de la nouvelle structure sans tenir aucun concours. M. Pelletier estime qu'en toute justice, on aurait dû tenir un concours pour les trois nouveaux postes liés à l'instruction des cadets et qu'on aurait dû lui donner la chance de poser sa candidature. Il ne conteste pas la compétence des trois majors qui ont été retenus, sauf un qui a été remplacé rapidement, encore qu'il estime que la connaissance des structures des Forces armées est insuffisante chez ces officiers CIC. Quant à sa propre compétence dans le domaine de l'instruction des cadets, il affirme qu'elle n'a jamais été mise en doute par quiconque dans l'organisation. Pour M. Pelletier, cette machination se confirme enfin du fait que la restructuration était inutile puisque tout fonctionnait très bien avant. Du reste, la nouvelle structure mise en place par M. Laporte était inappropriée puisque, selon lui, elle alourdissait l'état-major en augmentant considérablement le nombre de postes au lieu de les diminuer. M. Pelletier était donc tout à fait opposé à ce changement et n'en partageait pas les orientations.

Le major Pelletier avait indiqué par note écrite au prédécesseur de M. Laporte en date du 24 avril 1991 (pièce I-3) qu'il avait l'intention de prendre sa retraite définitive en 1992. Le témoin a indiqué que cela était alors dû à de graves problèmes de santé. Comme ces problèmes se sont résorbés graduellement par la suite, il finit par changer ses projets. Il décida de réévaluer sa situation à chaque année et, si sa santé le lui permettait, de travailler comme contractuel jusqu'à l'âge de 65 ans (âge de retraite obligatoire au sein de la direction des cadets à l'époque). M. Pelletier réclame en conséquence l'équivalent de quatre ans en perte de salaire et des dommages moraux pour humiliation, angoisse, stress, etc.

Le major Robert Dorais

Le major Dorais a pris sa retraite en 1979 après vingt-six années de service au sein des forces régulières. Il a toutefois été embauché la même année comme Classe C pour trois ans comme officier d'état-major au service du personnel et comme commandant de garnison. Puis, en 1983, il a obtenu le poste d'officier d'administration au service des cadets au quartier général de Saint-Hubert comme contractuel, sur la base de contrats annuels d'une durée d'un an moins trente jours en général. Il a ensuite été, sur la même base contractuelle, OEM II -instructions de 1990 à 1993, puis OEM II - projets lorsque la nouvelle structure a été mise en oeuvre à l'automne 1993.

Le major Dorais a expliqué que, préalablement à son non-renouvellement de contrat, il a eu trois rencontres avec le Lt-col. Laporte. La première a eu lieu au début du mois d'août 1993 dans le bureau de ce dernier. A ce moment-là, Monsieur Laporte lui a demandé quels étaient ses projets d'avenir et si un changement était envisageable. Il lui a indiqué qu'il y avait une possibilité pour lui de devenir chef de cabinet du général Roy s'il le voulait. A la seconde rencontre avec M. Laporte, le major Dorais lui a communiqué sa décision : il n'était pas intéressé au poste de chef de

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cabinet du général en raison de ses difficultés personnelles et familiales. Il ne s'est toutefois pas expliqué davantage au Lt-col. Laporte parce que, dit-il, ce dernier ne s'est aucunement enquis de la nature de ces difficultés et ne s'est montré aucunement intéressé à en savoir davantage à leur sujet. La femme et le fils de M. Dorais souffraient alors de graves maladies qui obligeaient ce dernier à se rendre à l'hôpital occasionnellement et lui demandaient plus de présence auprès des siens. N'étant pas certain que le général ferait preuve d'autant de souplesse que le bureau des cadets où il se trouvait en ce qui concernait ses horaires de travail, M. Dorais a estimé qu'il n'était pas approprié d'offrir ses services à un poste aussi prestigieux et exigeant que celui de chef de cabinet du général Roy. Il considérait par ailleurs qu'il ne lui restait pas suffisamment d'années à offrir (la retraite obligatoire étant fixée à 65 ans) pour que cela soit intéressant pour le général. Enfin, il insiste pour dire qu'il ne s'agissait pas d'une offre formelle d'emploi comme telle. Le Lt-col. Laporte lui avait fait miroiter la possibilité de poser sa candidature à ce poste et, à son avis, il pouvait y avoir plusieurs candidats sur les rangs. Dans ce cas, la décision ne relevait pas de M. Laporte mais du général Roy lui-même. Mais il semble que tout cela n'ait pas été vraiment discuté lors de la deuxième rencontre avec M. Laporte parce que celui-ci ne semblait aucunement intéressé à savoir pour quels motifs M. Dorais refusait de poser sa candidature au poste de chef de cabinet du général Roy.

C'est lors de la troisième rencontre, tenue le 12 août 1993 au bureau de M. Laporte, que ce dernier annonce à M. Dorais que son poste d'OEM II - Instruction est aboli à compter du mois d'octobre 1993 pour être scindé en trois nouveaux postes d'OEM II liés chacun à un des trois éléments des Forces. Selon le major Dorais, M. Laporte lui annonce de plus qu'il a besoin pour combler ces trois nouveaux postes, de jeunes officiers full of piss and vinegar et qu'en conséquence, il n'y a plus de place pour lui dans l'organisation des cadets. M. Laporte ne lui propose donc aucun autre poste au sein du service des cadets. Il parlera cependant de la possibilité de créer des postes d'agent de liaison ultérieurement, dans une réunion de l'état-major ou dans le bureau du Lt-col. Bernard. Toutefois, M. Dorais affirme qu'aucune offre formelle ne lui a été présentée comme telle et que, de toute façon, ce poste n'existait pas.

Contrairement à M. Pelletier, les évaluations de rendement du major Dorais ne sont pas impeccables du début à la fin, bien qu'elles paraissent excellentes tout au long de sa carrière militaire. En effet, dans la dernière évaluation de rendement que le Lt-col. Laporte a faite de M. Dorais, le premier a mentionné que le second semblait manquer de motivation et d'ardeur au travail. En désaccord total avec cette affirmation, M. Dorais a signalé que, curieusement, les procédures normales n'avaient pas été suivies pour son évaluation de rendement pour l'année 1993. Normalement, avant d'écrire un commentaire négatif, le supérieur en parle toujours à son subordonné et lui donne toujours une chance de corriger le tir. Ce n'est que lorsque la situation ne s'améliore pas qu'un commentaire négatif est officiellement inscrit au dossier. Or, ni M. Laporte, ni M. Bernard, ses deux supérieurs à l'époque, ne lui ont jamais glissé un mot à ce sujet. De plus, le major Dorais dit n'avoir jamais été mis au courant

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de ce commentaire avant la fin de mars 1994, soit une semaine avant son départ, alors qu'il exigea du service du personnel le droit de consulter son dossier complet aux fins de déposer une plainte à la Commission des droits de la personne. A son avis, ce genre de gestion ne se fait pas dans l'armée, que ce soit à l'égard d'employés réguliers, de Classes B ou C ou encore d'employés de la fonction publique.

Enfin, appelé à commenter la nouvelle structure des cadets mise en place par le Lt-col. Laporte, le major Dorais a marqué son désaccord. Les échos qu'il avait du quartier général à Ottawa, c'était que la structure antérieure fonctionnait très bien, que la région de l'est était celle qui fonctionnait le mieux en fait au Canada. Il ne voyait pas en quoi il était justifié de la changer, surtout si c'était pour augmenter le nombre de postes en scindant son propre poste à l'instruction par trois postes distincts. Les seules critiques qu'il ait entendues étaient celles de M. Laporte qui, dans certaines réunions hebdomadaires, mentionnait que certains, dans l'état-major, faisaient du tourisme quand ils visitaient les camps d'été des cadets. Comme cette critique s'adressait à tout le monde, soit aux douze personnes de l'état-major, M. Dorais l'a toutefois prise comme une critique constructive indiquant à tous de bien se préparer avant de se présenter aux camps.

Le major Dorais estime donc qu'on aurait dû lui offrir la possibilité de poser sa candidature à l'un de ces trois nouveaux postes d'OEM II- instruction, bien que celui de l'armée aurait eu sa préférence, vu qu'il a toujours fait partie de cet élément. Puisqu'il aurait pu rester jusqu'à l'âge de 65 ans au service des cadets, n'eût été de son non-renouvellement de contrat prématuré et fondé sur son âge, il réclame des dommages matériels équivalant à 44 mois de salaire et des dommages moraux pour humiliation, stress, angoisse, etc.

Le lieutenant-colonel Jean-Guy Bernard

C'est à titre de retraité des forces régulières, après quelque trente ans de service comme officier dans les forces régulières, que le Lt-colonel Bernard a accepté un poste d'adjoint du SCEM au quartier général des cadets pour la région de l'est en 1988. Il était, comme les plaignants, engagé sur une base contractuelle, pour des périodes d'un an moins trente jours avec statut de Classe B. A titre d'adjoint au SCEM, M. Bernard était, entre les années 1992 et 1994, le superviseur immédiat des plaignants et avait pour supérieur immédiat le Lt-col. Laporte. Ses fonctions comprenaient alors la coordination générale de l'instruction, de la formation, de l'administration, de la logistique et des finances du bureau des cadets ainsi que la liaison avec les ligues de cadets locales, provinciales ou nationales qui existaient pour chacun des éléments militaires (armée, marine, aviation). Il assurait aussi la liaison avec l'école de formation pour les officiers CIC à Longue-Pointe appelée l'ÉRIC. M. Bernard a quitté ce poste névralgique pour se retirer définitivement du mouvement des cadets en 1994.

Lorsqu'il est arrivé comme SCEM au bureau des cadets, le Lt-col. Laporte a confirmé à M. Bernard qu'il avait reçu pour mandat du général Roy

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de voir ce qui pouvait être changé dans la structure de direction, parce que celle-ci paraissait trop lourde. Il était donc venu, croit M. Bernard, pour mettre de l'ordre dans la cour. M. Bernard lui a toutefois signalé qu'il n'était pas indiqué d'apporter des changements à une formule gagnante, puisque tout allait pour le mieux au QG de la région de l'est réputé pour être le plus performant au Canada. M. Laporte, dit-il, a donc tenu à consacrer son temps à l'automne 1992 pour rencontrer tous les officiers, consulter tout un chacun et examiner tous les postes de l'organisation. MM. Laporte et Bernard ont eu plusieurs échanges à propos des majors Dorais et Pelletier à compter de l993. M. Bernard a alors signalé que le rendement de ces derniers était excellent malgré les problèmes familiaux du premier et les problèmes de santé du second.

Finalement, malgré les avis contraires de M. Bernard, M. Laporte est arrivé avec une proposition de restructuration de l'organisation du QG des cadets. Cette proposition éliminait, entre autres choses, les postes d'encadrement assurés jusqu'alors par MM. Dorais et Pelletier. M. Laporte estimait qu'il était préférable de supprimer ces postes pour redonner les ressources aux trois cellules que sont l'armée, la marine et l'aviation. De plus, il estimait qu'il était préférable que les postes d'OEM II pour chacune de ces cellules soient confiés à des officiers CIC. D'après M. Bernard, M. Laporte avait pris cette décision pour redorer l'image des officiers CIC. Cela lui permettait également, en éliminant les anciens officiers de la régulière, de faire plus de place aux officiers civils CIC dans la direction du mouvement des cadets et de dire aux gens sur le terrain, à savoir les membres des ligues, que le mouvement des cadets allait pouvoir davantage se prendre en mains. Voilà pourquoi, lorsqu'est venu le temps de recruter des OEM II pour les éléments armée, marine et aviation, les candidatures des plaignants n'ont pas été considérées. La décision de placer des officiers CIC les excluait automatiquement de ces postes. Les placer dans l'un ou l'autre de ces trois nouveaux postes sectoriels aurait également constitué une rétrogradation selon M. Bernard, puisqu'ils seraient alors passés de superviseur général des trois éléments à superviseur d'un seul de ces éléments. Toutefois, il est clair dans son esprit qu'avec l'expérience qu'ils avaient dans les Forces, les plaignants auraient pu occuper l'un ou l'autre des postes d'OEM II, même s'ils appartenaient tous les deux à l'élément terrestre.

Interrogé par le procureur de la Commission sur les motifs qui ont amené le Lt-col. Laporte à ne pas renouveler le contrat des plaignants, M. Bernard répondra d'abord ceci:

R. Pour les raisons qu'ils avaient fait leur temps, ça faisait déjà suffisamment longtemps qu'ils étaient au bureau des cadets, qu'on avait besoin de sang plus jeune et puis qu'ils étaient arrivés à l'âge d'aller à d'autres préoccupations. (Transc., p. 441)

Contre-interrogé par le procureur de l'intimée, M. Bernard a ensuite nié que l'âge ait eu quelque incidence dans la décision de M. Laporte de mettre en place sa nouvelle structure qui évinçait les deux plaignants:

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Q. Oui, mais le colonel Laporte, lui, voulait avoir des officiers CIC là. Vous ne prétendez quand même pas que le colonel Laporte de façon malhonnête a créé des postes d'officiers CIC pour se débarrasser des deux plaignants?

R. Non, du tout.

Q. Ce n'est pas çà?

R. Non, non.

Q. Donc ce qu'on sait c'est que le colonel Laporte lui il décide, à tort ou à raison, [...] que ça lui prend des officiers CIC, et c'est ce qu'il a fait [...]et il a comblé ces postes-là et il n'y avait plus de place pour pas mal d'autres personnes, mais l'âge ne joue pas là, ce n'est pas parce que Monsieur Dorais a 60 ans que ç'a amené Monsieur Laporte à prendre la décision qu'il voulait des officiers CIC, on est d'accord là-dessus?

R. Oui, d'accord là-dessus.

(Transc., p. 509).

Puis, réinterrogé par le procureur de la Commission, M. Bernard a répondu ce qui suit:

Q. Monsieur Bernard, je voudrais avoir une certaine clarification sur un certain point. Tout à l'heure quand je vous ai posé la question de savoir pourquoi est-ce que le contrat de Pelletier et de Dorais n'a pas été renouvelé qu'est ce que vous m'avez répondu?

R. Parce qu'ils n'étaient plus dans les plans de l'organisation.

Q. Oui, c'est çà. Pourquoi ils n'étaient plus dans les plans de l'organisation?

R. Parce qu'ils étaient trop âgés.

Q. Est-il exact que vous avez discuté de ce point-là, parce qu'ils étaient trop âgés, avec le colonel Laporte?

R. Il m'a mentionné qu'ils avaient dix ans au sein du mouvement des cadets et puis que rendus à 60 ans c'était le temps qu'ils partent, qu'ils laissent.

(Transc., p. 510-511)

Contre-interrogé à nouveau par le procureur de l'intimée, M. Bernard a fourni les réponses suivantes:

Q. Est-ce que ça change votre témoignage, vous avez dit que la

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seule raison pour laquelle ils [les majors Dorais et Pelletier] n'ont pas été choisis c'est parce qu'ils n'étaient pas du CIC, que le colonel voulait avoir des officiers CIC?

R. Bien je ne crois pas, Maître, que ça change mon témoignage. Vous me posez la question si dans son bureau on a parlé d'âge et puis d'années au sein du mouvement des cadets, et ils avaient déjà une dizaine d'années plus atteint l'âge de 60 ans; j'ai aussi mentionné les problèmes personnels qui existaient pour les deux; et puis la décision a été prise, et c'était sa décision parce que c'est lui qui signait les contrats.

(Transc., p. 511-512)

Par ailleurs, concernant la nouvelle structure que M. Laporte voulait mettre en place, le Lt-col. Bernard est d'accord pour dire que M. Laporte y croyait sincèrement et que, même si lui n'était pas d'accord avec cette nouvelle structure, il s'agissait d'une honnête divergence de vues entre individus qui avaient des méthodes de gestion opposées ou différentes.

Concernant le rendement des plaignants au cours des années 1992, 1993 et 1994, M. Bernard est d'avis qu'il était excellent malgré les problèmes personnels très sérieux auxquels ils avaient à faire face durant cette période. Il admet toutefois que M. Pelletier était irritable à cette époque, en raison probablement de sa maladie, et qu'il tolérait mal que les officiers CIC ne connaissent pas le contenu de ses manuels. En conséquence, le major Pelletier avait souvent tendance à brusquer les officiers CIC en leur répondant sur un ton sec et en élevant la voix. M. Bernard confirme en outre que M. Laporte lui a dit qu'il avait reçu des plaintes à ce sujet et il ajoute qu'il est possible que l'attitude peu accueillante du major Pelletier ait créé un malaise à l'époque au niveau des officiers CIC qui pouvaient craindre de faire affaire avec M. Pelletier.

Quant à M. Dorais, M. Bernard confirme également que M. Laporte lui a fait part de son opinion que M. Dorais manquait d'ardeur au travail. M. Laporte était au courant que ce dernier avait des problèmes familiaux qui justifiaient ses absences fréquentes du bureau, parce que M. Bernard lui en avait parlé. Toutefois, M. Bernard reconnaît que M. Laporte a rejeté ces raisons parce qu'il disait connaître M. Dorais depuis quarante ans et que, selon lui, M. Dorais avait toujours manqué d'ardeur au travail.

Concernant le choix des trois officiers qui ont été retenus aux postes nouveaux d'OEM II, M. Bernard dit qu'il s'est agi de bons choix dans les circonstances, sauf dans le cas du major Mathieu qui s'est avéré une erreur et qui a été remplacé rapidement par le capitaine Lafond promu au rang de major. Ce choix a été arrêté par un comité composé de trois personnes dont lui-même et M. Laporte faisaient partie. Comme il fallait choisir parmi les officiers CIC, le nombre de candidats était très limité. Mais, dans ce contexte, il estime que les meilleurs candidats ont été retenus. Il estime néanmoins qu'il eût été préférable d'offrir deux de ces trois postes aux plaignants, compte tenu des services inestimables qu'ils ont rendus au

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mouvement des cadets et aux Forces depuis de nombreuses années, d'autant plus que les plaignants auraient pu entraîner correctement pendant un an ou deux les officiers CIC chargés ensuite de prendre la relève selon la nouvelle structure. Il admet enfin que M. Laporte, en tant que SCEM de la région de l'est, était soumis à des pressions en provenance des ligues de cadets, lesquelles pressions pouvaient aller dans le sens de la réforme qu'il voulait implanter.

LES TÉMOINS PRÉSENTÉS PAR L'INTIMÉE

Le lieutenant-colonel Henri Laporte

Le Lt-colonel Laporte a pris sa retraite des forces régulières en 1984, après trente ans de service comme sous-officier et officier. Il a ensuite continué à travailler dans les Forces comme réserviste de 1986 à 1991 à divers postes. C'est également à ce titre qu'il a accepté l'invitation que le général Roy lui a faite en 1992 d'occuper le poste de sous-chef d'état-major au QG des cadets, pour la province de Québec, poste qui implique la responsabilité de tous les aspects du mouvement des cadets dans la province.

Conscient de l'existence de certains problèmes dans la direction du mouvement des cadets, le général Roy lui demande donc d'identifier les problèmes et de lui faire rapport. Ce dernier, dit-il, lui demande de voir à ce que le mouvement devienne connu et bien mené. Son mandat sera alors de restructurer la direction des cadets de manière à la rendre plus efficiente. Pour y arriver, le général Roy l'assure qu'il aura tout le soutien nécessaire et qu'il devra se rapporter à lui directement.

M. Laporte occupe donc son nouveau poste à partir du 8 septembre 1992. Il entreprend sa tâche en rencontrant le SCEM sortant, le Lt-col. Brassard, ainsi que chacun des membres de son état-major afin d'être mis au courant de l'état de la situation dans les fonctions que chacun occupe et afin d'avoir les points de vue de chacun sur le fonctionnement du QG. M. Brassard lui signale alors deux postes où il y a un problème: celui d'OEM II-Administration occupé par le major Pelletier, celui-ci étant gravement malade et ayant annoncé son intention de prendre sa retraite avant la fin de l'année; et celui de l'OEM II- Instruction occupé par le major Dorais depuis trop longtemps à son avis. Les autres membres du QG lui mentionnent qu'il y a un manque d'esprit d'équipe au QG en raison notamment du fait que le major Pelletier n'a pas de considération pour les officiers CIC.

M. Laporte fait ensuite le tour des ligues et des corps de cadets au cours de l'automne 1992 et les plaintes formulées çà et là lui font ressortir un malaise dans le mouvement : les communications avec certains membres du QG sont très difficiles. Les majors Pelletier et Dorais sont alors identifiés. En ce qui concerne le premier, il semble trop dur dans ses rapports avec les officiers CIC ou encore avec les civils qui oeuvrent dans le mouvement. A ce sujet, M. Laporte indique qu'il a quelquefois demandé à son adjoint le Lt-col. Bernard de dire au major Pelletier de se calmer avec les officiers CIC ou les gens qui gravitent autour du mouvement des cadets, mais que cela était sans doute inutile puisque le major

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Pelletier a naturellement une grosse voix et que c'est un homme qui ne changera pas à cet égard. En ce qui concerne le major Dorais, on lui signale qu'il n'est jamais là et qu'il ne retourne pas ses appels. M. Laporte estime que sa situation personnelle et familiale justifiait qu'on l'accommode en lui accordant des demi-journées de congé, mais il trouvait inacceptable que, par la suite, M. Dorais ne fasse pas le suivi de ses messages en omettant de retourner ses appels.

Après ces consultations, M. Laporte conçoit au cours de l'hiver 1993 un plan de restructuration de la direction des cadets afin de rendre celle- ci plus efficiente. Il convoque tout son état-major en retraite fermée au cours de l'été suivant afin de discuter avec chacun de ses officiers de la pertinence des changements qu'il propose. Après deux jours de discussion, il affirme que 90% des gens appuient la structure proposée et que personne ne présente d'objection formelle. A ce moment-là, il n'y avait aucun nom sur les postes identifiés dans l'organigramme discuté. Toutefois, au niveau de l'instruction, il était clair que le poste d'OEM II-Instruction occupé alors par le major Dorais disparaissait. Ce poste chapeautait trois postes de capitaine sectoriels (un pour chaque élément armée, marine et aviation). Il était clair également que la direction de l'instruction allait être confiée dorénavant à trois majors distincts représentant chacun l'un des trois éléments des Forces sous la direction générale d'un lieutenant-colonel à l'instruction et à la logistique.

Après avoir obtenu l'accord de son état-major sur l'opportunité de restructurer ainsi le QG, M. Laporte en rediscute de nouveau avec les Lt- col. Bernard et Memess, puis rencontre l'état-major du général Roy pour y présenter le plan en question. M. Laporte arrive à cette réunion en compagnie de plusieurs officiers de son propre état-major. MM. Dorais et Pelletier font partie de la délégation et participent activement aux présentations.

La nouvelle structure étant acceptée par le général Roy, il s'agissait alors de déterminer qui serait placé dans chacun des postes de l'organigramme. Selon M. Laporte, il y avait toutefois deux contraintes. D'une part, certains postes étaient identifiés comme étant des postes devant être occupés par des officiers de la force régulière. C'est ce qui fait qu'il a été obligé de confier le poste d'OEM II - Administration, occupé jusque-là par le major Pelletier, au major Hétu qui lui a été imposé de la régulière. Il n'y a eu, affirme-t-il, ni lobbying, ni manipulation concernant l'octroi de ce poste au major Hétu. Celui-ci est devenu disponible pour occuper cette fonction administrative au moment de la restructuration et comme il avait les qualifications requises, personne ne pouvait s'opposer à ce que le poste d'OEM II-Administration lui soit attribué. D'autre part, il dit avoir préféré de ne pas ouvrir de concours comme tel compte tenu du fait que la préparation des camps d'été devait être prise en charge immédiatement. Il décide donc de former un comité restreint composé de lui-même et des Lt-col. Bernard et Memess pour définir les critères de sélection et procéder au choix des candidats.

M. Laporte a toutefois imposé l'idée qu'il fallait des officiers CIC aux trois postes d'OEM II - instruction (armée, marine, aviation) qui,

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insiste-t-il, n'étaient pas de nouveaux postes, mais des postes existants dont le grade a été augmenté de capitaine (officier subalterne) à celui de major (officier supérieur) pour en augmenter le prestige et l'autorité. Il insiste aussi pour marquer son désaccord avec les affirmations des plaignants selon lesquelles la nouvelle structure ajoutait quatorze nouveaux postes au QG, au lieu d'en réduire le nombre. Cela lui aurait été impossible compte tenu des coupures budgétaires et, ajoute-t-il, la structure a été bien vérifiée au niveau des finances et du personnel avant d'être approuvée.

Pourquoi M. Laporte a-t-il insisté pour que les trois postes d'OEM II - instruction soient confiés à des officiers CIC? Il était convaincu que la fonction principale de ces postes devait consister dans la préparation des camps d'été, alors que la confection des normes d'instruction était une fonction secondaire. Il était donc d'avis qu'il fallait nommer des officiers CIC à ces postes parce qu'eux, contrairement aux officiers ou anciens officiers de la régulière, avaient une connaissance concrète et une expérience vécue du fonctionnement des camps d'été. Pour M. Laporte, cela était crucial pour répondre aux plaintes qu'il avait reçues dans sa tournée de l'automne 1992 auprès des membres des ligues et des corps de cadets. Les officiers du mouvement des cadets avaient exprimé le souhait que le mouvement soit dirigé par des cadets et non par des officiers actuels ou anciens des Forces régulières. On lui avait signalé également l'absence de présence féminine aux échelons supérieurs du QG des cadets de la province de Québec, alors que l'effectif des corps de cadets de la province comptait déjà plus de 50 pour cent de femmes.

Dans ce contexte, les candidatures des majors Dorais (dont le poste était disparu dans la nouvelle structure) et Pelletier (dont le poste devait obligatoirement être occupé par le major Hétu de la régulière) étaient automatiquement exclues par le Lt-col. Laporte. Bien que leur expérience du mouvement des cadets, principalement au niveau théorique des normes, était considérable, ce n'est pas cette expérience qui était recherchée. C'est l'expérience vécue des camps d'été et de leur fonctionnement pratique qui était recherchée. C'est donc des candidats CIC provenant des civils et en mesure de communiquer aisément avec des civils qu'il fallait.

Voyant le problème qui se posait pour ces deux majors, M. Laporte dit qu'il en a alors touché un mot au général Roy. Celui-ci, dit-il, lui signale que son chef de cabinet s'en va et que le major Dorais pourrait remplir ce poste adéquatement puisque l'administration est une compétence reconnue chez lui. En ce qui concerne le major Pelletier, le général Roy lui dit de faire le tour des autres QG pour savoir s'il n'y aurait pas un poste pour lui. M. Laporte parle donc à M. Dorais de la possibilité de postuler comme chef de cabinet du général en août 1993, mais le major refuse pour des raisons personnelles et familiales. Quant à M. Pelletier, aucun QG ne lui fait part de l'existence de postes pour lui. Il essaiera ensuite, à même les budgets existants et sans qu'il soit nécessaire de créer des postes comme tels, de créer des postes de conseillers de districts ou d'agents de liaison taillés sur mesure pour eux, mais les deux refuseront son offre. Ces postes auraient exigé des plaignants qu'ils

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soient disponibles les fins de semaine et qu'ils se déplacent dans le territoire de leur district pour s'assurer que les divers besoins des corps de cadets soient comblés. Devant les refus exprimés par les majors Dorais et Pelletier, M. Laporte dit qu'il n'avait d'autre choix que de leur annoncer qu'il n'y avait plus de place pour eux dans l'organisation et qu'ils devraient quitter leur emploi à la fin de leur contrat. Cela dit, M. Laporte leur accorde néanmoins une dernière prolongation de contrat à titre d'OEM II, en sorte qu'ils demeureront tous les deux sous contrat jusqu'au 2 avril 1994.

Concernant la possibilité, évoquée par les plaignants, que M. Laporte considère leur candidature à l'un ou l'autre des trois postes d'OEM II- instruction, ce dernier l'a rejetée parce que cela aurait constitué une rétrogradation et, partant, une insulte pour eux. En outre, dit-il, cela aurait créé une situation intenable tant pour les plaignants que pour les officiers CIC occupant le poste d'OEM II. En effet, compte tenu du peu de considération que les plaignants avaient pour les officiers CIC, ils n'auraient pas pu traiter d'égal à égal avec ce qu'ils considéraient comme des pseudo-officiers, puisqu'ils n'avaient reçu que 28 jours de formation. Ainsi, en nommant les majors Dorais ou Pelletier à l'un de ces postes, M. Laporte affirme que cela n'aurait fait que perdurer le malaise qu'il avait identifié au lieu de le solutionner.

Compte tenu des efforts qu'il estime avoir faits pour que les plaignants conservent un emploi, M. Laporte dit avoir été extrêmement choqué par la lettre qu'ils ont fait parvenir au général Roy en date du 7 février 1994 et dans laquelle ils le dénigraient sans retenue. Il avoue que ce geste fait sans avertissement l'a rendu émotif. Pour lui, cette lettre faisait montre de déloyauté et il eût un choc en en prenant connaissance. Il ne comprend pas que les majors Dorais et Pelletier ne soient jamais venus le voir pour exiger des explications. Voilà pourquoi, souligne-t-il, il a dit des mots qui ont dépassé sa pensée lorsqu'il a rencontré M. Pelletier. Pour lui, se plaindre au général sans d'abord lui en parler dénotait un manque de courage et c'est en ce sens qu'il a traité M. Pelletier de jaune et d'autres expressions du même acabit.

A la question de savoir si l'âge avait joué un rôle dans la décision de ne pas renouveler les contrats des plaignants et ne pas considérer leurs candidatures pour les trois postes d'OEM II - instruction (air, terre, mer) de la nouvelle structure, M. Laporte a répondu que cela n'avait joué aucun rôle et que, du reste, il y avait bien d'autres officiers au QG, tant de la régulière que du CIC qui étaient âgés, soit dans la cinquantaine et dans la soixantaine, et dont le contrat a été renouvelé au QG des cadets. Seule a compté la compétence axée sur la connaissance pratique des camps d'été, a- t-il dit, et c'est sur cette base que lui et MM. Bernard et Memess ont retenu les majors McClure, Ouellet et Mathieu en 1993, trois officiers CIC fort expérimentés en la matière.

A la question de savoir s'il avait mentionné au major Pelletier en août 1993 qu'il avait besoin de sang neuf et qu'il était temps d'accrocher ses patins, M. Laporte a répondu que cela était exact mais que cela n'avait rien à voir avec l'âge à proprement parler. C'est, dit-il, une remarque

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qui se voulait positive puisqu'il a fait la comparaison avec un joueur de hockey comme Jean Béliveau qui a connu une brillante carrière mais qui, en fin de compte, doit réaliser un jour qu'il y a des joueurs plus performants que lui à qui il doit céder la place.

Lorsque le Tribunal lui a demandé s'il avait bien mentionné à M. Dorais en août 1993 qu'il n'y avait plus de place pour lui dans l'organisation parce qu'il avait besoin de jeunes officiers full of piss and vinegar, M. Laporte a dit se rappeler clairement avoir utilisé l'expression anglaise full of piss and vinegar. C'est une expression qui signifie être dynamique et enthousiaste et, insiste-t-il, c'est exactement cela qu'il voulait dire. Comme, ajoute-t-il, on peut être dynamique à tout âge, M. Laporte dit ne pas se souvenir d'avoir fait allusion à l'âge comme tel. Il donne alors en exemple M. Pelletier qui, malgré son âge, demeure un homme full of piss and vinegar. Quoi qu'il en soit, s'il a employé l'expression jeunes officiers, il affirme que cela ne correspondait pas à ses intentions qui étaient de trouver des gens dynamiques capables d'organiser efficacement des camps d'été pour les cadets.

Le lieutenant-général Armand Roy

M. Roy était lieutenant-général lorsqu'il a quitté les Forces armées canadiennes et détenait alors le poste de sous-chef d'état-major de la Défense nationale. Il a connu de plus près le mouvement des cadets entre 1984 et 1987 lorsqu'il s'en occupait au nom du commandant de la Force mobile au sein du QG de celle-ci, puis lorsqu'on lui confia, en 1992, le commandement de la Force terrestre, secteur Québec (nouveau nom de la Force mobile, région de l'est à partir de 1990).

M. Roy indique qu'une restructuration complète de la force terrestre a été entreprise à compter de 1990 et que c'est dans ce contexte qu'il dût gérer le secteur Québec lorsqu'il en prit les rênes. Il s'agissait alors de rationaliser les effectifs et de maximiser l'emploi des ressources en procédant à une décentralisation des responsabilités. En d'autres termes, il fallait aplatir l'organigramme en coupant des postes de direction non indispensables et en augmentant l'autorité de ceux qui occupaient des postes jusque-là inférieurs. De plus, le concept de force totale est lancé avec la restructuration, à savoir que la force terrestre comprend tant la force régulière (dont les effectifs étaient en baisse) que la milice, en sorte que les deux composantes puissent servir dans les missions opérationnelles. Il fallait donc faire en sorte qu'un maximum de militaires de la régulière et de la réserve puissent être déplacés des postes de gestion pour pouvoir servir en mission dans les différents pays où le Canada intervient sous l'égide de l'O.N.U.

C'est donc dans ce contexte que M. Roy fait appel à Henri Laporte pour prendre la direction des cadets à l'automne 1993. Il a fait appel à cet ancien officier en raison de son expérience et de son leadership parce qu'il voulait lui confier la restructuration qui s'imposait au QG des cadets. M. Roy lui a alors fait part des objectifs généraux visés par la restructuration et il lui a fait part également de l'objectif de donner plus de responsabilité aux officiers CIC au sein du quartier général. En

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raison de son expérience antérieure à la direction des cadets, M. Roy savait que c'était une ambition légitime des officiers CIC d'occuper des postes supérieurs au sein du QG. Cette opération de responsabilisation du mouvement des cadets a commencé, rappelle-t-il, vers la fin des années 1980 en permettant aux officiers CIC, appuyés par des officiers de la régulière, d'assurer directement le commandement des camps d'été. Toutefois, il était temps, selon M. Roy, de développer les officiers CIC dans les domaines de gestion et de les faire accéder à des postes supérieurs. Pour lui, cet objectif de restructuration s'inscrivait naturellement dans les objectifs généraux de restructuration de la force terrestre. Il a donc fait part de sa vision à Henri Laporte, vision que M. Laporte connaissait déjà d'après lui, et il lui a donné carte blanche à cet égard parce que son attention était monopolisée à l'époque par les missions opérationnelles avec les forces régulières et les miliciens. Le plan de restructuration que M. Laporte lui a finalement présenté en 1993 a été accepté parce qu'il répondait aux objectifs fixés et parce qu'il ne prévoyait aucune augmentation de coûts.

A la question de savoir si l'un des objectifs de la restructuration du QG des cadets était de rajeunir le personnel, M. Roy a répondu qu'au contraire, les ressources plus jeunes étaient retirées du QG à cette époque pour servir aux opérations dans le cadre du concept de la force totale. En sorte que ces ressources plus jeunes étaient remplacées par des anciens officiers à la retraite dont la compétence et la grande expérience pouvaient constituer un apport précieux pour le mouvement des cadets. Du reste, cela était facilité par le fait que la retraite était fixée à 65 ans au sein des cadets, plutôt qu'à 55 dans la force régulière. Par ailleurs, une meilleure représentation féminine était recherchée, encore que cela s'avérait difficile dans un contexte de restrictions budgétaires.

En ce qui concerne le poste de chef de cabinet à son propre bureau en 1993-1994, M. Roy affirme qu'il en a eu deux, dont l'un avait 28 ans et l'autre 56. Il s'agit d'un poste prestigieux parce que très près du pouvoir et exigeant beaucoup de disponibilité. Toutefois, l'âge n'entre aucunement en considération lorsque vient le temps de choisir quelqu'un pour ce poste parce qu'il ne s'agit pas d'un poste physiquement exténuant. Ce qui compte, c'est l'expérience, la formation et les capacités intellectuelles du candidat. Il en est de même des postes de gestion importants et c'est pour cette raison qu'il a fait appel à Henri Laporte en 1992 pour assurer la direction et la réforme du QG cadets, bien que ce dernier avait alors atteint l'âge de 60 ans.

Le major Roger Hétu

Le major Hétu a occupé un poste dans les forces régulières de 1959 à 1995. A partir d'avril de cette même année, il a pris sa retraite pour devenir réserviste tout en continuant d'occuper le poste d'OEM II- Administration au QG des cadets. C'est en 1991 qu'il est muté à ce poste, qui est un poste de major régulier chez les cadets. Toutefois, dû aux difficultés de mise en place du nouveau QG du SQFT à cette époque, le général Roy lui demande d'occuper un poste à l'intérieur de son QG. Puis, en 1994, le général lui demande de retourner au QG des cadets pour occuper

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le poste de major régulier à l'administration qu'il devait occuper à l'origine. Le major Hétu signale toutefois que son poste d'OEM II est toujours un poste de major régulier en sorte que lorsqu'un major régulier sera muté au QG des cadets, il aura nécessairement priorité sur lui et les Forces pourront mettre fin à son contrat sur avis de 30 jours.

Le major Hétu a ensuite décrit la nature de ses fonctions actuelles en tant qu'OEM II-Administration. Il s'agit d'un poste exigeant à plusieurs égards. Il doit s'occuper de la gestion du personnel et des emplois, ainsi que de l'informatique pour le QG comme pour les sept centres d'instruction des cadets (c-à-d. les camps d'été) et ce, tant pour les détachements de Québec que de Montréal. Durant l'année, son horaire de travail comporte de longues journées de travail (de 8h à 18½h ou 19h), sans compter les week- ends (trois sur quatre dit-il) pour faire les revues annuelles, la visite des corps de cadets et préparer les réunions et directives des camps d'été. En ce qui concerne les camps d'été proprement dits, il doit aller les visiter à chaque été. Cela implique un travail de deux jours à temps plein pour examiner tous les aspects techniques des camps qui sont assez complexes parce que ces camps regroupent entre 250 et 850 cadets et officiers environ. Il y rencontre alors l'officier du personnel en vue de l'aider et de le conseiller dans la gestion du camp.

Lorsqu'il a procédé à ses premières visites de camps d'été en 1994, il se rappelle qu'on l'accueillait en le traitant de touriste et de dinosaure parce que ses prédécesseurs avaient l'habitude de passer en coup de vent. Personne ne s'attendait alors à le voir arriver au camp pour deux jours avec un questionnaire et une liste de vérification.

Le major Hétu a également raconté la façon dont il a été accueilli à son arrivée au QG des cadets au mois de mars 1994. Il a, dit-il, été reçu négativement. Il se souvient tout particulièrement du Lt-col. Bernard qui lui a dit, de façon peu aimable: ah! te v'là! pour le reconduire ensuite dans une bâtisse où des bureaux étaient empilés les uns sur les autres. Il lui a alors dit de s'en choisir un et de s'installer là. Le Lt-col. Laporte était en vacances à ce moment-là.

Interrogé sur ce qu'il pensait de M. Laporte, le major Hétu a dit qu'il le connaissait depuis 1963, qu'il le percevait comme un homme intègre et qu'il a aimé travailler sous ses ordres.

Le major Pierre McClure

Le major McClure occupe le poste d'OEM II-instruction pour l'élément de l'aviation dans le QG des cadets depuis la réforme mise en place par le Lt-col. Laporte, c-à-d. depuis octobre 1993. M. McClure s'est inscrit dans les cadets à l'âge de 13 ans en 1969. Cinq ans plus tard, il devient officier CIC et, promu au grade de lieutenant, il fait son premier camp à titre d'officier comme instructeur de vol théorique en 1975. Cette année- là, il décide également de s'enrôler dans la réserve. Par la suite, et parallèlement à ses études, il continuera de gravir les échelons et de participer aux camps à divers titres jusqu'en 1983. En 1984, il obtient un emploi à temps plein au QG des cadets au poste d'OEM III-logistique. En

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1989, il devient conseiller-cadet du détachement de Montréal où il conseille les commandants de vingt escadrons et aide à solutionner les conflits qui surgissent avec les civils, notamment les ligues. Alors que celles-ci ont la responsabilité de trouver du financement pour soutenir le mouvement des cadets, de voir à sa publicité et à son recrutement, les officiers CIC veillent au côté militaire en dirigeant les activités d'instruction des cadets qui sont soutenus par le Ministère de la Défense et les FAC. Il est arrivé souvent, dit le Major McClure, que des conflits se produisent sur la façon de diriger le mouvement et il avait souvent à concilier les parties à titre de conseiller-cadet de détachement. Puis, en 1992-1993, il a été responsable, à titre d'officier de coordination du détachement de Montréal, des aspects de soutien à l'instruction des cadets avant d'être choisi par le Lt-col. Henri Laporte pour occuper le poste d'OEM II-instruction qu'il détient actuellement au sein de l'état-major des cadets.

Le major McClure a accepté l'offre que lui a faite Henri Laporte à l'automne 1993 parce qu'il y avait de nombreuses années qu'on se plaignait dans le mouvement du fait que l'état-major était loin de la base en matière d'instruction et qu'on parlait de restructuration à ce sujet. Or, le Lt- col. Henri Laporte partageait ce sentiment : il désirait, pour son état- major, des gens qui connaissaient de près le mouvement des cadets, qui provenaient de la base et avaient une expérience des escadrons, des cadets, de l'instruction et des relations avec les ligues. M. McClure estime qu'on a toujours accordé la priorité à la gestion au sein de l'état-major des cadets et que bien des décisions prises d'en haut ne correspondaient pas au vécu du mouvement des cadets. Il fallait que les priorités soient réaménagées en donnant plus d'importance au volet instruction et, comme il avait une expérience considérable dans ce domaine, il a accepté d'emblée l'offre de M. Laporte. Bien que, d'après lui, la situation s'est améliorée en matière d'instruction au QG des cadets, il reste bien des résistances et des vieilles habitudes à briser pour sortir de la préoccupation envahissante de l'administration et des budgets.

Outre la responsabilité de l'instruction des cadets de l'aviation, M. McClure doit, à titre d'OEM II, s'occuper des relations avec les autres organisations liées au mouvement que sont les détachements, les camps, l'ÉRIC, le QGDN et les ligues. Il doit également s'occuper de l'organisation des camps d'été dans ses détails (cf. POI, pièce I-4, ong. 21). Toutes ces responsabilités exigent beaucoup de disponibilité. Ainsi, outre les journées normales de travail du lundi au vendredi au QG, il doit se rendre souvent en soirée pendant la semaine ainsi que les fins de semaine à des réunions avec les membres du mouvement des cadets. Pendant l'été, il doit se rendre à plusieurs reprises aux camps et ce, pendant trois ou quatre jours au moins une fois, sinon deux pendant le camp pour rencontrer les responsables des cours et s'assurer qu'ils répondent adéquatement aux besoins des cadets et aux normes d'instruction. Par ailleurs, la préparation des camps exige une coordination avec les deux autres majors OEM-II pour l'armée et la marine. Il existe un travail d'équipe entre ces trois majors qui, tout en étant responsables d'activités d'instruction propres à leur élément, doivent converger vers les mêmes buts et faire en sorte que les ressources soient réparties équitablement.

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Le major McClure occupe son poste depuis 1984 sur la base de contrats annuels de 365 jours. Il a droit à deux jours de congé rémunéré par mois de travail, soit à 24 jours par année qu'il s'organise pour prendre lors d'une période plus calme de l'année. Il estime qu'une absence de deux mois par année causerait des problèmes de fonctionnement sérieux pour le mouvement des cadets, en manque de disponibilité pour la clientèle et en manque de suivi dans le déroulement des choses.

Contre-interrogé sur le rôle de l'officier de liaison, le major McClure a dit qu'il connaissait cette fonction. Il s'agit selon lui de tâches confiées à un officier ou à un sous-officier senior de la régulière et qui consiste à aller visiter les corps de cadets pour s'assurer que les services que la base peut leur offrir, notamment en matière d'approvisionnements, sont disponibles. Il s'agit normalement d'une tâche additionnelle mais secondaire par rapport à son poste permanent. Cet officier senior distribue également les conseils lorsqu'il fait ses visites et c'est pourquoi il agit un peu, selon les termes du major McClure, comme le mon oncle qui s'assure que les problèmes trouvent une solution. Le travail exigé par la fonction d'officier de liaison dépend essentiellement de l'implication de l'officier qui en a la charge. Certains iront visiter les corps de cadets jusqu'à trois ou quatre fois par année, tandis que d'autres ne le feront qu'une fois et que d'autres encore ne le feront jamais. Compte tenu des restructurations en cours dans les Forces, il semble toutefois que cette fonction soit en voie de disparition. Les restructurations entraînent en effet une réduction de personnel en sorte qu'il manque d'officiers et de sous-officiers seniors pour aller faire les visites en question.

Le capitaine Valérie Lafond

Le capitaine de corvette Lafond est entré chez les cadets de la marine en 1980 à l'âge de 15 ans. Elle est devenue ensuite instructeur civil et officier CIC après avoir suivi des cours d'officier. Par la suite, elle est devenue instructeur à l'ÉRIC afin de former les jeunes officiers dans diverses spécialités de la marine. Elle a également occupé les postes d'officier des sports du camp d'été et d'officier des normes au centre d'instruction NCSM Québec.

En 1989-1990, elle était directeur technique de l'école de voile. A cette époque, sa seule ressource, c'était le QG. Ce fut, dit-elle, une année extrêmement difficile parce que son seul contact au QG, c'était un certain M. Amorelli qui occupait le poste d'OEM III-marine à l'instruction. Or, ce monsieur n'était jamais là ou était tellement difficile à rejoindre que Mme Lafond a été laissée à elle-même pour organiser tout le matériel des cours d'été. Quand on lui a demandé si elle avait entendu parler de M. Dorais qui était alors OEM II-Instruction, le capitaine Lafond a dit qu'elle ne le connaissait pas et que personne ne lui en avait jamais parlé et que, comme il n'y avait pas d'OEM III-marine à l'époque, la personne- ressource à l'état-major pour l'élément marine c'était l'OEM III Amorelli.

C'est vers la fin du mois d'août 1993 qu'Henri Laporte l'approche pour occuper le poste d'OEM III jusque-là occupé par Amorelli. Croyant qu'il

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s'agissait d'abord d'un poste de gestion des contrats d'approvisionnement, elle a refusé son offre. Mais quand M. Laporte lui a indiqué que le poste était axé sur l'instruction proprement dite et qu'elle serait alors l'adjointe d'un OEM II-instruction pour l'élément marine, elle a accepté. Elle était alors d'avis que les besoins à combler prioritairement à l'état- major résidaient dans l'instruction et c'était dans ce domaine qu'elle jouissait d'une connaissance et d'une expérience susceptibles d'aider l'état-major. Elle a donc occupé le poste d'OEM III-marine jusqu'en 1996. En avril 1996 s'ouvre un concours pour combler le poste d'OEM II-marine laissé vacant par le départ du major Mathieu. Comme elle avait occupé le poste par intérim en 1995, elle pose sa candidature et obtient le poste.

En ce qui concerne les exigences du poste d'OEM II-instruction pour la marine et les horaires de travail, son témoignage est essentiellement au même effet que celui du major McClure. Même chose également en ce qui concerne la présence aux camps d'été. Elle estime également qu'il est pratiquement impossible ou à tout le moins inacceptable qu'un OEM II- instruction ait plus d'un mois de vacances ou de non-disponibilité par année compte tenu des nombreuses clientèles (corps de cadets, officiers CIC, ligues, fédération de voile, etc.) auxquelles il faut répondre et de l'ampleur du travail à accomplir. Elle ne croit pas non plus qu'il serait approprié de nommer quelqu'un de l'élément armée ou aviation pour occuper le poste d'OEM II-instruction marine puisque, de nos jours, l'instruction est orientée vers les spécialités, qu'il existe de nouveaux programmes à ce sujet et que, bien qu'elle maîtrise toutes ces spécialités pour avoir reçu la formation nécessaire, elle doit constamment veiller à se tenir à jour.

Le major Liliane Ouellet

Le major Ouellet s'est inscrite dans le mouvement des cadets pour la première fois en 1975. Elle avait alors 15 ans et s'est jointe à l'élément terrestre. Depuis, elle n'est jamais sortie de ce mouvement. Elle y a gravi tous les échelons, à partir de simple cadette, pour devenir successivement officier CIC, commandant d'un corps de cadets, commandant de compagnie, commandant de division, membre du personnel d'instruction à l'ÉRIC responsable de cours de spécialisation, officier d'entraînement à l'ÉRIC, puis enfin OEM II-instruction pour l'élément armée au QG des cadets. Par ailleurs, elle a personnellement participé comme cadette ou comme officier à dix ou onze camps d'été.

Invitée à parler de ses rapports avec le QG des cadets alors qu'elle était officier responsable de l'instruction dans les camps d'été, Mme Ouellet a affirmé qu'elle connaissait le major Dorais, qui était OEM II- instruction. Toutefois, elle n'avait pas recours à ses services pour deux raisons. D'une part, elle avait constaté lors d'une rencontre dans un camp d'été qu'il était incapable de répondre aux questions qu'elle avait sur les nouveaux cours en développement. D'autre part, elle a réalisé lorsqu'elle était officier d'entraînement à l'ÉRIC, soit à compter du printemps 1992, qu'elle n'était pas sur la même longueur d'ondes que M. Dorais, qu'ils ne parlaient pas le même langage en ce qui concerne le type de formation à donner aux jeunes cadets. Le major Ouellet affirme qu'elle a alors dû préparer toute seule les outils pédagogiques requis pour l'instruction des

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cadets, comme elle avait déjà dû le faire pour les camps d'été.

C'est en août 1993 qu'Henri Laporte l'a fait venir à son bureau pour lui demander si elle était intéressée à occuper un poste de gestion dans son état-major. Elle a alors décliné son offre, parce que l'administration ne l'intéressait pas et qu'elle ne se sentait pas très compétente dans ce domaine. Toutefois, M. Laporte est venu la relancer à Longue-Pointe (à l'ÉRIC) pour lui offrir un poste lié à l'instruction au QG des cadets. Comme c'était là sa force et son intérêt et comme elle travaillait sur des programmes de formation et sur des documents pédagogiques comme officier d'entraînement, elle a accepté son offre d'emblée. Elle ne connaissait pas alors Henri Laporte. C'est donc via le Lt-col. Memess, son patron à l'ÉRIC et membre du QG des cadets, que, selon elle, son nom s'est rendu jusqu'à M. Laporte.

Concernant sa description de fonctions impliquant l'instruction locale et estivale, l'organisation des camps d'été, la sélection des cadets, la progression des officiers, les relations avec les détachements, les camps, l'ÉRIC, le QGDN, les autres régions et les ligues, la déposition du major Ouellet est au même effet que celle du major McClure et du capitaine Lafond. Pour elle, sa connaissance du mouvement des cadets, son expérience des camps et ses rapports antérieurs avec les différents éléments du mouvement rendaient sa candidature tout à fait logique pour un poste lié à l'instruction dans l'état-major. Elle estime tout particulièrement que cela lui est utile dans ses rapports avec le côté civil, soit la ligue et les parents, qui gravite autour du mouvement et est essentiel à son développement.

En ce qui concerne sa disponibilité et ses horaires de travail, la déposition du major Ouellet va également dans le même sens que celles des deux autres majors CIC. Son travail implique de nombreuses réunions en soirée et en week-ends avec les responsables des corps de cadets. Pour ce qui a trait aux camps d'été proprement dits, elle doit faire une visite d'une semaine dans chacun des deux camps dont elle est responsable (Val- Cartier et Cap-Chat) pendant l'été pour vérifier si les normes d'instruction et les plans de cours y sont respectés.

Compte tenu que chaque élément exige des connaissances techniques spécifiques, elle ne voit pas comment un officier de l'aviation pourrait occuper le poste d'OEM II-instruction pour l'armée ou vice-versa. Vu l'inexpérience qu'il aurait des camps d'été, elle ne voit pas non plus comment un officier de la régulière pourrait occuper efficacement le poste d'OEM II-instruction. Par ailleurs, en raison des problèmes communs auxquels ils doivent faire face dans l'organisation des camps d'été, les trois OEM II doivent travailler de concert sur une base régulière.

Par conséquent, elle estime que la nouvelle structure mise en place par M. Laporte est satisfaisante et plus efficace. En nommant des officiers CIC pour chacun des trois éléments représentés chez les cadets au sein de l'état-major, on répond mieux aux besoins et on rapproche ce dernier de la base.

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LE DROIT

La nature de la discrimination

Les plaignants invoquent qu'ils ont été victimes d'une violation de leur droit à la non-discrimination prévu à l'article 7 L.C.D.P. Celui-ci stipule que : Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects: a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; [...]. L'âge est un motif de distinction illicite en vertu de l'article 3 L.C.D.P.

On distingue, depuis l'affaire C.D.P. et O'Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, entre deux types principaux de discrimination. La discrimination est dite directe lorsqu'une distinction de traitement est fondée consciemment sur l'un des motifs de discrimination identifiés dans la Loi. Cela peut être fait ouvertement ou de façon détournée. On peut ainsi essayer de cacher le véritable fondement d'un congédiement par une opération cosmétique de restructuration de l'entreprise.

Il y a par ailleurs la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, dite aussi indirecte, lorsqu'une décision produit des résultats discriminatoires, bien qu'elle ne soit aucunement fondée sur un motif de distinction illicite. Comme la Cour suprême du Canada le rappelle dans O'Malley, une condition d'emploi est alors discriminatoire même si elle adoptée honnêtement et de bonne foi, c-à-d. pour de bonnes raisons d'affaires.

Par ailleurs, comme l'égalité et la discrimination sont des concepts comparatifs (cf.: Andrews c. Law Society of B.C., [1989] 1 R.C.S. 151), pour qu'une distinction de traitement puisse être qualifiée de discriminatoire, il faut que la décision de l'employeur aie pour effet de ne défavoriser que certains employés en particulier en raison d'un motif prohibé de discrimination. C'est ainsi que, si l'employeur exige de bonne foi que son entreprise soit ouverte le samedi, bien que cela n'aie rien à voir avec la religion de ses employés, cela aura forcément pour effet de porter préjudice aux employés qui ne peuvent travailler ce jour-là en raison de leurs convictions religieuses, et uniquement à ceux-là. En revanche, si un employeur décide de fermer une entreprise parce qu'elle n'est plus rentable, on ne saurait conclure qu'il y a discrimination indirecte ou par suite d'un effet préjudiciable à l'égard des femmes et des Noirs parce qu'il y avait des femmes et des Noirs qui se trouvaient à travailler dans cette entreprise. En effet, il n'y a pas de discrimination parce que tous les employés sont victimes du même traitement préjudiciable. La décision peut être injuste ou malavisée, mais elle n'est pas discriminatoire parce qu'elle n'a pas d'effet particulier ou distinct sur un groupe d'employés identifiable par un motif prohibé de distinction illicite. Il en irait différemment, bien sûr, si, pour se débarrasser d'employés noirs, handicapés ou âgés, l'employeur prenait prétexte de considérations non discriminatoires, comme les contraintes budgétaires, pour éliminer la section de l'entreprise où ils se trouvent en plus grand

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nombre. Bien que camouflée en mesure acceptable, cette décision serait néanmoins directement discriminatoire parce que fondée sur la race, le handicap et l'âge des employés, des motifs de distinction prohibés par la L.C.D.P.

En l'espèce, après quelques hésitations de leur part, les procureurs de la Commission ont pris la position, à la fin des plaidoiries, qu'il s'agissait d'un cas de discrimination directe fondée sur l'âge, et que cette discrimination avait été d'une part camouflée dans une opération de réorganisation de la direction de l'instruction au QG des cadets de la Région de l'est (ou du Secteur Québec) par laquelle les plaignants ont été remplacés par des majors CIC et, d'autre part, faite ouvertement lors de la décision de ne pas renouveler le contrat des plaignants.

Le motif : cause unique ou cause multiple?

En matière de discrimination directe, il n'est pas nécessaire d'établir que le motif de distinction illicite a été le seul facteur, ou même le facteur prépondérant pour qu'une plainte soit accueillie. Il suffit de démontrer qu'un motif de distinction illicite, comme celui de l'âge, a été l'un des facteurs ou l'une des causes qui ont effectivement contribué à la décision de défavoriser quelqu'un en cours d'emploi pour que l'art. 7 L.C.D.P. soit violé. En revanche, si le motif de distinction illicite n'a eu aucune influence sur la décision contestée, la plainte doit être rejetée: Holden c. C.N.R., (1991) 14 C.H.R.R. D/12, p. D/15, par. 8 (C.A.F.); C.E.I.C. c. Lang, (1992) 18 C.H.R.R. D/223, p. D/224, par. 2 (C.A.F.). Voir aussi au Québec: C.D.P. c. Immeubles Ni/Dia, (1992) 19 C.H.R.R. D/97, p. D/106, par. 53; C.D.P. c. Collège Mérici, (1992) 20 C.H.R.R. D/195, p. D/198, par. 30.

Comme la cause n'est pas pertinente en matière de discrimination indirecte, la question de savoir si le motif a été la cause unique ou l'une des multiples causes de la décision de l'employeur est sans objet. Seul compte l'effet de la décision sur les plaignants dans ce cas : un employé ou un groupe d'employés sont-ils automatiquement exclus du seul fait de leur âge ou d'un autre motif prohibé de discrimination? Telle est alors la question.

Le fardeau et la norme de preuve

En matière de discrimination directe, il incombe aux plaignants de faire une preuve suffisante à première vue de discrimination. S'ils parviennent à se décharger de ce fardeau, il appartient à l'intimé de fournir une explication raisonnable de la conduite reprochée: Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208; C.D.P. et O'Malley, précité, p. 558.

Une preuve suffisante à première vue est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier une décision en faveur des plaignants en l'absence de réponse de l'intimé: O'Malley, précité, p. 558.

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Si l'intimé fournit une explication raisonnable du comportement par ailleurs discriminatoire, le plaignant a alors le fardeau de prouver que l'explication était un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination: Israeli c. Comm. can. des droits de la pers., (1983) 4 C.H.R.R. D/1616, p. D/1617 (conf. in (1984) 5 C.H.R.R. D/2147); Basi c. C.N., (1988) 9 C.H.R.R. D/5029; Wall et C.C.D.P. c. Conseil d'éducation de Kitigan Zibi, T.C.D.P., 11 juillet 1997, D.T. 6/97.

Le degré de preuve requis dans les cas de discrimination directe est celui, civil, de la prépondérance des probabilités. Ainsi, en l'espèce, la preuve que l'âge des plaignants a joué un rôle dans la décision des F.A.C. de ne pas les embaucher doit être établi sur cette base. A cet égard, nous partageons l'avis du Tribunal d'enquête ontarien qui, dans Ouereshi c. Central High School of Commerce and the Board of Education of the City of Toronto, (1991) 12 C.H.R.R. D/394 affirmait qu'une conclusion de discrimination peut être tirée lorsqu'il découle raisonnablement des circonstances que l'âge a été l'une des raisons qui ont amené l'employeur à prendre la décision de ne pas embaucher un candidat ou, en l'espèce, de ne pas renouveler le contrat des plaignants:

... in human rights cases the presence of such a motivating factor often will be inferred from circumstancial evidence, since the discrimination is seldom practised openly. Indeed discrimination may occur in contravention of the Human Rights Code even where it is unintentional. In other words, even though those acting on behalf of the respondents may have been acting in good faith and without any ill will towards [the complainant], it is possible that a prohibited motivating factor was present in the decision not to hire him. If it is a reasonable inference from the circumstances, established by the evidence, a contravention of the Code will be established. (p. D/395) (Nos italiques)

Dans le cas de preuves circonstancielles, la norme de la prépondérance des probabilités peut aussi être énoncée comme suit :

[TRADUCTION]

[...] on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse: B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, Toronto, Carswell, 1987, p. 142.

ANALYSE

Il ressort des témoignages concordants de MM. Pelletier, Dorais et Bernard que, lors de l'été 1993, M. Laporte a annoncé que les contrats des plaignants ne seraient pas renouvelés parce qu'il fallait du sang neuf, parce qu'il était temps pour eux d'accrocher leurs patins, parce qu'ils avaient fait leur temps au QG des cadets ou encore parce qu'il fallait rajeunir le personnel. A l'exception de la dernière, M. Laporte a du reste admis avoir utilisé ces expressions. Ses difficultés à se souvenir qu'il ait dit qu'il fallait rajeunir le personnel ne sont tout simplement pas

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crédibles.

Cela signifie-t-il pour autant que la décision de ne pas reconduire les contrats des plaignants fut fondée, en tout ou en partie, sur l'âge des plaignants? Cela établit à tout le moins une présomption de discrimination, laquelle peut être réfutée par une explication raisonnable qui doit être présentée sur la base de la prépondérance des probabilités.

Le Tribunal conclut, après analyse de toutes les dépositions, que l'intimée a fourni une explication raisonnable, qu'elle n'a rien d'un prétexte, et qu'en fait, l'âge n'a aucunement joué dans la décision de ne pas renouveler le contrat des plaignants. Le travail du Tribunal n'a toutefois pas été facilité par la stratégie des procureurs de la Commission qui ont choisi à toutes fins utiles de ne pas contre-interroger les témoins présentés par l'intimé, notamment le témoin-clé qu'est Henri Laporte. Néanmoins, conformément au mandat qui lui est confié à l'art. 50 L.C.D.P. d'examiner l'objet de la plainte, le Tribunal a lui-même interrogé M. Laporte ainsi que les autres témoins présentés par l'intimée.

Il appert des témoignages entendus que ce sont plusieurs motifs non discriminatoires qui ont contribué au non-renouvellement de contrat des plaignants. En premier lieu, ce non-renouvellement est le résultat de la décision du Lt-col. Laporte, décision entérinée par le Lt-gén. Roy, de rehausser le prestige et les responsabilités des officiers CIC au sein du QG des cadets, de rapprocher l'état-major des cadets et des officiers CIC de la base du mouvement et d'axer le poste d'OEM II-instruction sur l'organisation concrète des camps d'été de cadets. Le témoignage non contredit de M. Laporte et confirmé par MM. Roy, Bernard, McClure et par Mmes Lafond et Ouellet, est à l'effet que les ligues de cadets et les officiers se plaignaient dans les corps de cadets du fait que le QG était peu au fait des réalités du milieu des cadets et qu'il fallait que le mouvement soit dirigé par des gens issus de ce mouvement.

A ce sujet, la déposition du Lt-col Bernard est déterminante. Ce dernier a tout d'abord confirmé que M. Laporte lui avait dit que MM. Dorais et Pelletier avaient fait leur temps. Il a également confirmé que M. Laporte avait utilisé des propos faisant allusion à l'âge (sang neuf, rajeunissement, etc.). Il a toutefois clairement admis, en contre- interrogatoire, que la décision d'Henri Laporte selon laquelle il fallait confier les trois nouveaux postes de majors à l'instruction pour les éléments armée, marine et aviation à des officiers CIC n'avaient rien à voir avec l'âge des plaignants. Il a affirmé que ce n'est en aucune façon pour se débarrasser des plaignants ni parce qu'ils avaient 60 ans que M. Laporte a pris position en faveur de majors CIC. M. Laporte croyait sincèrement, admet-il, que les nouveaux postes d'OEM II-instruction devaient revenir à des officiers CIC pour des raisons politiques plus larges, lesquelles étaient poussées par le mouvement des cadets et les civils qui gravitent autour de ce mouvement. Le Tribunal accorde un poids considérable à ces admissions du Lt-col. Bernard pour les raisons suivantes: d'une part, ce dernier a occupé une position stratégique dans ce litige puisqu'il se situait hiérarchiquement entre les plaignants et Henri Laporte; d'autre part, il a fait montre d'un parti pris évident pour la

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cause des plaignants lors de l'audience en affichant une hostilité peu voilée à l'endroit de M. Laporte qu'il trouvait injuste envers les majors Dorais et Pelletier et dont il ne partageait pas la vision pro-CIC.

En prenant la décision de confier les trois nouveaux postes d'OEM II- instruction à des officiers CIC, cela avait donc automatiquement pour effet d'éliminer les candidats provenant des forces régulières, quel que soit l'âge de ces candidats. Cette décision n'avait donc rien à voir avec l'âge des plaignants. Il était probable, toutefois, qu'en faisant ce choix, les candidats retenus seraient plus jeunes que les plaignants puisqu'ils allaient provenir du mouvement des cadets. Mais il ressort clairement des dépositions dignes de foi et concordantes de MM. Laporte, Bernard et Roy que la décision de confier ces postes à des officiers CIC n'était aucunement fondée sur l'âge des plaignants.

Le deuxième motif qui a fondé la décision de ne pas renouveler les contrats des plaignants, a trait à M. Dorais plus spécifiquement. Son poste d'OEM II-instruction ne lui a pas été réoffert parce que, en vertu de la restructuration commandée par le général Roy et développée par Henri Laporte, ce poste disparaissait tout simplement de la structure. Cela a-t- il été décidé parce que M. Dorais était trop vieux? Comme Henri Laporte l'a dit et comme cela a été confirmé par les plaignants eux-mêmes, la restructuration de l'état-major n'a pas été décidée par M. Laporte seul. Celui-ci a consulté tous les membres de son état-major et il les a même convoqués à un séminaire de deux jours pour obtenir un consensus de leur part. Bien que les plaignants n'étaient pas d'accord avec tous les aspects de la réorganisation et que, d'après eux, certains officiers ont même décidé de quitter leurs fonctions à la suite de cette restructuration, les plaignants n'ont pas contesté le fait que la plupart des officiers de l'état-major ont appuyé ce plan de réforme.

Il ressort également de la preuve que le non-renouvellement de contrat de M. Dorais fut fondé sur son rendement jugé insuffisant par M. Laporte. M. Bernard n'était pas d'accord à ce sujet avec M. Laporte. Il a toutefois admis que M. Laporte lui avait signalé que M. Dorais manquait de dynamisme et de motivation au travail et que, selon M. Laporte, cela n'était pas dû aux problèmes familiaux récents de M. Dorais mais à sa personnalité. D'après M. Laporte, M. Dorais avait toujours été comme çà depuis qu'il est dans les Forces. M. Laporte a également indiqué que, lors des diverses consultations qu'il a entreprises au sein des corps de cadets, on se plaignait souvent de ce qu'il était plutôt difficile de rejoindre M. Dorais. Cela était dû, selon M. Laporte, non pas au fait qu'on tentait de l'accommoder à l'état-major en lui donnant des demi-journées de congé pour pouvoir accompagner son épouse à l'hôpital, mais au fait qu'il ne retournait pas ses appels une fois revenu au bureau. Cela a du reste été confirmé par le major Ouellet. Quant au capitaine Lafond, elle a dit qu'elle ne connaissait même pas le major Dorais lorsqu'elle oeuvrait comme instructeur dans l'élément marine et que personne ne l'avait jamais référée à M. Dorais au QG des cadets. Henri Laporte avait peut-être tort de juger aussi sévèrement le rendement au travail du major Dorais. Le Tribunal n'a cependant pas à se prononcer là-dessus. Le mandat du Tribunal est de vérifier si le jugement du Lt-col. Laporte, qui était alors le patron du major Dorais, était d'une façon ou d'une autre influencé par l'âge de M.

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Dorais. Force est de conclure par la négative à cette question.

Quant à M. Pelletier, son poste d'OEM II-Administration n'a pas été éliminé par la restructuration. Il a prétendu qu'on lui a retiré suite à des ententes plus ou moins secrètes avec le major Hétu au cours de l'année 1993 et que la mutation de ce dernier au QG des cadets était un prétexte pour l'évincer. Selon le plaignant Pelletier, cela ressort du fait que le major Hétu a pris sa retraite de la régulière trois mois après sa nomination et que le poste a alors été comme par hasard transformé en poste de contractuel. Or, la déposition franche et directe du major Hétu à laquelle le Tribunal accorde entièrement foi et qui confirme celle d'Henri Laporte, démontre que les perceptions de M. Pelletier ne correspondent pas à la réalité. Il appert plutôt que le poste d'OEM II-administration était réservé depuis toujours à un officier de la régulière et que, dans l'éventualité où un officier de la régulière y serait muté, il aurait priorité absolue sur un officier réserviste engagé à titre de contractuel. Ensuite, sa mutation, a rappelé le major Hétu, au QG des cadets était prévue depuis 1991 mais avait été retardée jusqu'en 1994 par décision du général Roy qui requérait ses services dans son propre état-major. Enfin, le major Hétu a rectifié une affirmation grave faite par le major Pelletier: il n'a pas pris sa retraite en mai 1994, c-à-d. trois mois après sa mutation au QG des cadets. Le poste d'OEM II-administration n'a pas non plus été transformé en poste de temporaire. M. Hétu n'a pris sa retraite qu'en avril l995, il occupe ce poste à titre de réserviste depuis lors et il est clair, affirme-t-il, que si un officier de la régulière est muté à ce poste, il devra lui céder la place et que les Forces pourront mettre fin à son contrat sur simple préavis de trente jours. Le Tribunal conclut donc que M. Pelletier n'a pas perdu son poste en raison de son âge, mais en raison d'autres facteurs qui n'étaient pas sous le contrôle de M. Laporte.

Comme les contrats en vertu desquels les majors Dorais et Pelletier étaient engagés stipulaient clairement que leur emploi était temporaire (cf. pièce I-4, ong. 5 et 6) et que, nonobstant la durée prévue au contrat, les deux parties pouvaient y mettre fin sur simple préavis de 30 jours, notamment lorsque les services de l'employé ne sont plus requis ou que son rendement est jugé insuffisant (et sans préavis en cas d'inconduite ou d'incapacité), il est clair que l'intimée n'avait pas l'obligation de trouver un autre emploi aux plaignants. Un contrat à durée déterminée (et inférieure à douze mois dans le cas des plaignants) ne se reconduit pas automatiquement en droit: Eskasoni School Board c. MacIsaac, (1986) 69 N.R. 315 (C.A.F.). En sorte que l'employeur peut décider de ne pas le renouveler tant et aussi longtemps que sa décision ne repose pas sur un motif de discrimination au sens de la L.C.D.P.

En ce sens, M. Laporte n'avait aucune obligation de trouver un autre poste aux plaignants. Il leur a néanmoins présenté certaines possibilités, ce qu'ils ont confirmé dans leur déposition. M. Laporte a parlé à M. Dorais de la possibilité de postuler comme chef de cabinet du général Roy. Il a également offert aux deux plaignants la possibilité d'occuper un poste d'agent de liaison entre les bases et les corps de cadets. Or les plaignants ont refusé de considérer ces possibilités d'emploi parce qu'il ne s'agissait pas d'offres formelles d'une part, et, d'autre part, parce

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que ces emplois les obligeraient à travailler en soirée ou pendant les week-ends et à se déplacer pour aller rencontrer les officiers cadets sur le terrain.

Le Tribunal estime que ces refus péremptoires minent sérieusement la crédibilité des plaignants quant à leur dévouement pour le mouvement des cadets et tend à confirmer l'opinion d'Henri Laporte à cet égard. En effet, MM. McClure et Hétu et Mmes Ouellet et Lafond, à savoir les quatre détenteurs actuels des postes d'OEM II qui sont venus témoigner, et ils l'ont tous fait candidement et avec crédibilité, ont tous affirmé que leurs fonctions, du fait même qu'elles impliquent des relations et contacts constants avec les corps de cadets de la base, exigent qu'ils se déplacent régulièrement en soirée et durant les week-ends pour rencontrer les responsables des corps de cadets. Ces derniers, en effet, travaillant dans la vie civile le jour, ne peuvent consacrer que les soirées et les week- ends aux activités des cadets. Il semble donc évident que les plaignants voulaient continuer d'avoir un emploi au sein du QG des cadets sans avoir à vivre la réalité propre à ce mouvement. Il n'est pas étonnant que M. Laporte n'aie pas tenu à les garder dans son état-major et qu'il n'aie pas trouvé à les replacer dans un autre état-major. En fait, les plaignants se sont exclus eux-mêmes en décidant, de leur propre chef, que les possibilités d'emploi évoqués par Henri Laporte étaient soit futiles, soit trop exigeantes.

Les plaignants ont prétendu qu'on aurait dû leur offrir la possibilité de poser leur candidature à l'un ou l'autre des trois nouveaux postes d'OEM II-instruction créés pour chacun des éléments (aviation, marine, armée). Ces postes, on le sait, étaient dorénavant réservés au officiers CIC, ce qui excluait d'emblée leurs candidatures. Aurait-on pu néanmoins leur conserver pendant quelques années un poste d'OEM II qui aurait servi à encadrer ces nouveaux officiers CIC? C'était là la position du Lt-col. Bernard. M. Laporte ne l'a toutefois pas retenue parce qu'elle allait à l'encontre des objectifs fixés de donner plus d'autonomie et de responsabilités aux officiers CIC. D'autre part, comme l'a confirmé le Lt- col. Bernard, les officiers CIC choisis par Henri Laporte avec son aide et celle du Lt-col. Memess, avaient une excellente expérience des camps d'été, ce dont étaient totalement dépourvus les plaignants et qui était devenu le principal critère de sélection à ces postes dans le but de mieux répondre aux besoins des cadets et à leur vécu sur le terrain.

Enfin, il ressort de la preuve qu'il n'était pas possible de garder M. Pelletier au sein de l'instruction en raison de son manque de considération évident à l'endroit des officiers CIC, une attitude qui était du reste partagée par M. Bernard. Pour eux, il s'agissait d'officiers glorifiés, d'officiers de 28 jours qui ne connaissaient pas grand'chose de la vie militaire et qui ne faisaient pas le poids comparé à un officier de la régulière ou de la réserve. En outre, M. Bernard a confirmé le témoignage de M. Laporte selon lequel M. Pelletier ne pouvait que difficilement supporter que des officiers CIC ne connaissent pas tous les détails des manuels d'instruction dont il était l'auteur et qu'il était parfois très dur dans ses rapports avec eux, répondant sèchement avec sa grosse voix. Le Tribunal a pu constater par lui-même l'exactitude de ce diagnostic. M.

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Pelletier est un militaire de carrière imposant, il a une voix très forte qui est extrêmement impressionnante tout particulièrement lorsqu'on le contrarie. Le contre-interrogatoire, mené très correctement par le procureur de l'intimée, a révélé un homme irascible et autoritaire avec lequel des officiers provenant de la vie civile auraient difficilement pu travailler. De plus, la philosophie du major Pelletier, axée sur la connaissance des structures du QGDN et des F.A.C. était diamétralement opposée à la nouvelle vision que voulaient implanter Henri Laporte et Armand Roy et qui était axée sur le vécu du mouvement des cadets et sur ses inter-relations avec les civils. Quant à M. Dorais, il a révélé une personnalité totalement différente. C'est un homme doux et souple. Aurait-il pu travailler à l'encadrement des nouveaux majors CIC? La preuve a démontré que cela eût été une faveur qu'on lui aurait fait. Les F.A.C. n'avaient aucune obligation de créer un tel poste taillé sur mesure pour lui. D'autant que le témoignage digne de foi du major Ouellet a révélé qu'il ne s'entendait pas lui non plus avec les officiers CIC sur le type de formation à donner aux jeunes cadets. Le contraste entre la vision militariste des plaignants et la vision civile des officiers CIC concernant la direction du mouvement des cadets est ressorti nettement non seulement des propos tenus à l'audience par les divers témoins entendus, mais par leur attitude et leur personnalité. Ce contraste est apparu si fortement au Tribunal qu'il accrédite entièrement le témoignage d'Henri Laporte selon lequel sa réforme impliquait un changement de culture au sein de l'état-major des cadets et que ce changement pouvait être difficile à accepter par certains, dont les plaignants et le Lt-col. Bernard.

Par ailleurs, on n'a pas sérieusement contesté que les officiers CIC retenus par Henri Laporte et sélectionnés par le comité composé de lui-même et des Lt-col. Bernard et Memess étaient compétents pour occuper les postes d'OEM II-instruction. Tous avaient une très bonne expérience des camps d'été et du mouvement des cadets, bien que l'un des trois avait des lacunes qui ont conduit à son remplacement par un officier plus performant, Valérie Lafond en l'occurrence. La déposition de M. Bernard confirme l'intégrité du processus. Par ailleurs, les majors Ouellet et Lafond ont confirmé qu'elles ne connaissaient pas du tout Henri Laporte avant qu'il ne les rencontre pour leur offrir un poste dans son état-major. Le Tribunal conclut donc que les allégations de favoritisme présentées par les plaignants dans une lettre qu'ils adressaient au Lt-gén. Roy en date du 7 février 1994 (pièce C-2, ong. 1) étaient sans fondement et expliquent, sans la justifier, la réaction excessive du Lt-col. Laporte au cours de ce mois de février 1994. Par ailleurs, on aura noté que les injures que ce dernier a proférées à l'endroit des plaignants, après avoir pris connaissance de cette lettre très dure à son endroit, n'avaient aucun rapport avec leur âge. Elles avaient trait uniquement au manque de courage des plaignants dans les circonstances, selon M. Laporte..

En terminant, le Tribunal constate que dans cette malheureuse affaire comme dans bien d'autres, la relation d'emploi entre le représentant de l'employeur, Henri Laporte en l'occurrence, et les plaignants s'est détériorée en raison du manque de communication entre eux. Comment se

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fait-il qu'il n'y ait eu aucune discussion entre MM. Laporte et Pelletier concernant les projets de retraite de ce dernier, annoncés pour la fin de l'année 1992 dans sa note écrite datée du 24 avril 1991 et envoyée au prédécesseur d'Henri Laporte? Comment se fait-il que M. Laporte ait fait des commentaires négatifs sur la motivation de M. Dorais dans son rapport d'appréciation de rendement sans d'abord lui en toucher un mot? Au lieu d'aborder franchement avec eux des problèmes de fond liés non seulement à leur rendement mais à la nécessité d'envisager d'une autre façon le mouvement des cadets et de laisser plus de place aux cadets dans la direction de ce mouvement, il semble que M. Laporte a voulu ménager les susceptibilités des plaignants en leur disant qu'ils avaient eu une brillante carrière, mais que le temps était venu pour eux d'accrocher leurs patins et de laisser entrer du sang neuf dans l'organisation. Non pas que tous les torts se trouvent nécessairement du côté de M. Laporte. Nous croyons en fait que le manque de communication est dû à chacune des parties en cause. Chose certaine, du manque de communication dans un milieu de travail naissent invariablement la méfiance, la suspicion et les procès d'intention et cela dégénère parfois en procès tout court où l'amertume et le sentiment d'injustice ne sont pas toujours dissipés. C'est, craignons- nous, ce qui risque bien de se produire en l'espèce.

Du point de vue des plaignants, la situation qu'ils ont vécue est une injustice inacceptable. Ils ont oeuvré de nombreuses années et loyalement dans les F.A.C. L'un deux, le major Pelletier, a apporté au surplus une contribution importante et précieuse au fonctionnement du mouvement des cadets au cours des années 1980 en donnant à ce mouvement des manuels d'instruction qui lui faisaient cruellement défaut. Or, voilà que, une fois ce travail terminé, on leur dit qu'on n'a plus besoin d'eux. Il est possible que cela soit injuste et inacceptable pour les plaignants. Cependant, il n'en découle pas pour autant que le non-renouvellement de leurs contrats soit dû, en tout ou en partie, au fait ou à la perception qu'ils étaient trop vieux pour effectuer correctement leur travail. Or, telle est la seule question que ce Tribunal avait le pouvoir de trancher.

DÉCISION

Pour ces motifs, les plaintes sont rejetées.

Fait ce 28e jour de septembre 1997.


Daniel PROULX

Michel GIROUX

Brigitte BÉDARD
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