Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 3/98 Décision rendue le 11 mars 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C., 1985, ch. H-6 (telle que modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

PETER et TRUDY JACOBS

les plaignants - et -

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MOHAWK COUNCIL OF KAHNAWAKE

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Stanley Sadinsky, c.r., président Lise Leduc, membre

COMPARUTIONS : Peter et Trudy Jacobs, pour eux-mêmes Helen Beck et Odette Lalumière, pour la Commission Murray Marshall et Stephen Ashkenazy, pour l'intimé

DATES ET Le 24 août 1995, les 28 et 29 novembre et 11 et 12 décembre 1995 LIEU DES Le 21 mai 1996 AUDIENCES : Les 8, 9, 10, 11, 12, 15 et 16 septembre 1997 Les 21, 24, 25, 26 et 27 novembre 1997 à Montréal (Québec)

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

A. LES PLAIGNANTS

B. LE MOHAWK COUNCIL OF KAHNAWAKE (MCK) ET LA COLLECTIVITÉ

III. LES PLAINTES DE PETER ET TRUDY JACOBS

A. PETER JACOBS

B. TRUDY JACOBS

C. LES ENFANTS JACOBS

IV LES QUESTIONS EN CAUSE

V. LES QUESTIONS, LES FAITS ET LE DROIT

A. LES ASPECTS GÉNÉRAUX DU DROIT LIÉS AUX AFFAIRES DE DROITS DE LA PERSONNE

B. PREUVE ÉTABLIE PRIMA FACIE

C. LA DÉFENSE DE MOTIF JUSTIFIABLE

D. L'ARTICLE 67 DE LA LCDP

E. RÉPARATIONS 34

1. INTRODUCTION

Dans l'affaire ici en cause, le Tribunal des droits de la personne a tenu, d'août 1995 à novembre 1997, 18 journées d'audience. Au total, 13 témoins se sont présentés à la barre et 71 pièces ont été déposées. Les transcriptions comptent 2 828 pages. Au cours de la période requise pour mener cette affaire à sa conclusion, cinq procédures interlocutoires ont été engagées devant le Tribunal et deux requêtes distinctes ont été adressées à la Cour fédérale du Canada, dont un pourvoi devant la Cour d'appel fédérale.

L'affaire a été déclenchée le 22 octobre 1991, date à laquelle Peter Jacobs (Peter) a déposé en son nom et au nom de sa famille une plainte mettant en cause le Mohawk Council of Kahnawake (MCK) (pièce HR-1). Dans cette plainte, il était allégué que le MCK se livrait ou s'était livré depuis 1986 à des pratiques discriminatoires fondées sur des motifs de distinction illicite à savoir, l'origine nationale ou ethnique, la race, la couleur et la situation de famille. Voici le libellé de la plainte :

[Traduction]

« Le Mohawk Council of Kahnawake fait preuve de discrimination à mon égard (Peter Jacobs) et à l'égard de ma famille dans la prestation de ses services en nous refusant des avantages et des privilèges, notamment le droit de résidence, l'attribution de terrains et de droits fonciers, des services d'aide au logement et les privilèges liés aux soins médicaux et aux soins dentaires. Ce refus est fondé sur ma race, ma couleur, mon origine nationale ou ethnique et ma situation de famille, ce qui est contraire à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai été légalement adopté par deux Indiens de Kahnawake alors que j'étais encore bébé. Mes parents biologiques sont de descendance noire d'une part, et juive d'autre part. À l'âge de 21 ans, j'ai perdu mon statut d'Indien de Kahnawake à cause de mes origines biologiques. Je n'ai récupéré mon statut d'Indien qu'en 1988. Or, en avril 1988, le Mohawk Council of Kahnawake m'a informé que malgré mon statut d'Indien inscrit auprès du ministère des Affaires indiennes, je ne répondais pas aux critères prescrits pour être reconnu au sein de la collectivité mohawk de Kahnawake conformément à la Loi mohawk en vigueur au sein de cette collectivité. De plus, mon épouse Trudy Jacobs, qui est Mohawk de naissance et qui a toujours vécu à Kahnawake et avec qui je suis marié légalement depuis 1986, a perdu son statut d'Indienne inscrite à Kahnawake du fait de notre union. En juillet 1990, mon épouse a en effet reçu une lettre du Mohawk Council of Kahnawake stipulant que les membres de notre famille ne pouvaient être inscrits sur la liste des Mohawks de Kahnawake. Comme nous ne sommes pas inscrits sur cette liste à cause de mes origines biologiques et de la situation de famille de mon épouse, le Conseil de bande nous a refusé de nombreux services et avantages. Le Mohawk Council of Kahnawake continue notamment de rejeter nos demandes d'aide formulées dans le cadre du programme d'aide au logement, même si je possède une parcelle de terrain qui m'a été donnée par ma mère adoptive. »

Cette affaire, qui peut sembler relativement simple, est pourtant fort complexe. La question au centre du litige créé par cette plainte, particulièrement du point de vue du MCK, est celle du droit des autochtones à l'autodétermination au sein du cadre canadien. Le droit d'une collectivité autochtone d'établir elle-même ses propres critères d'appartenance et par ricochet, d'établir qui a droit à certains services, avantages et privilèges est plus particulièrement en cause ici. Or, cette question est complexe, car elle soulève un enchevêtrement de considérations juridiques, politiques et sociales en constante évolution. Sa complexité même est accentuée par les hauts et les bas qui ont caractérisé la longue histoire des relations entre le gouvernement du Canada et les peuples autochtones.

Le Tribunal des droits de la personne (TDP) est une créature juridique dont le mandat est restreint. Le Tribunal examine les plaintes dont il est saisi et décide dans chaque cas s'il y a eu discrimination interdite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Dans l'affirmative, le Tribunal fixe la nature des mesures de réparation qui devraient être accordées à la partie lésée. Toutes les parties en cause conviennent que le Tribunal est dans l'obligation d'appliquer la loi et la jurisprudence canadiennes. Il n'appartient pas au Tribunal de régler la question des droits des autochtones au Canada. Toutefois, dans l'affaire ici en cause, il lui est impossible de faire totalement abstraction des réalités actuelles au sein de la fédération canadienne.

II. LES FAITS

Si l'affaire ici en cause soulève par ailleurs de nombreuses questions litigieuses, en ce qui concerne les faits comme tels, le litige se résume à peu de choses.

A. LES PLAIGNANTS

Pendant leur témoignage, Peter et Trudy Jacobs ont déclaré au Tribunal que Peter était né le 2 mars 1955 de parents noir et juif. Il a été adopté dès le plus jeune âge conformément aux lois du Québec par Vernon et Catherine Jacobs, son père étant Mohawk de naissance et sa mère ayant acquis le statut d'Indienne du fait de son alliance avec son père (pièce HR-11). Peter a reçu un nom mohawk de sa grand-mère au moment de son adoption, soit Peter Charles Guy Karaienton Jacobs.

Peter a été élevé comme un Mohawk à Kahnawake par ses parents, ses grands-parents, son frère adoptif et sa famille élargie. Il a fréquenté l'école primaire locale où il était interdit de s'exprimer dans la langue mohawk, mais il a tout de même appris cette langue et les coutumes du peuple mohawk à la maison. Enfant, il a participé aux mêmes activités que tous les enfants mohawks et était traité comme tel par tout le monde. Il a fréquenté l'école secondaire de Châteauguay et du fait de son appartenance autochtone, il a été confronté au racisme. À l'aube de la vingtaine, Peter s'est adressé au MCK qui l'a autorisé à fréquenter le collège Manitou, une école autochtone où sont enseignées la langue et la culture mohawk.

Vers l'âge de 12 ans, Peter a délaissé l'église et a plutôt commencé à fréquenter une des Longues maisons , la Longue maison 207. Entre autres choses, la Longue maison est un lieu de rencontre fréquenté par les traditionalistes de la collectivité qui ont à coeur de promouvoir les valeurs traditionnelles et les coutumes anciennes. Peter y a notamment fait l'apprentissage de la Grande loi de la paix (Kaiarenekowa) ainsi que de l'histoire, des traditions et des coutumes mohawks. Il a été accepté comme un autochtone et traité comme tel. Ce fait a été corroboré par le témoignage de Kenneth Deer, qui a résidé toute sa vie à Kahnawake et qui est l'éditeur et le rédacteur en chef du journal communautaire local, le Eastern Door.

Après une année d'études au collège Manitou, Peter s'est enrôlé au sein de l'armée américaine où il est demeuré pendant deux ans, puis il est ensuite devenu monteur de hautes charpentes métalliques comme de nombreux autres hommes de Kahnawake. Il a été formé à ce métier par un homme de Kahnawake et il s'était engagé, en contrepartie, à former plus tard d'autres hommes à ce métier. Il a travaillé sur des chantiers éloignés de Kahnawake pendant de longues périodes, mais après ces séjours prolongés, il est toujours revenu au sein de sa collectivité.

Que Peter l'ait compris ou non à l'époque, à la plupart des égards, la collectivité de Kahnawake était disposée à le traiter comme tous les autres enfants mohawks jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 21 ans (en 1976). À partir de ce moment, il a cessé d'être considéré comme un Mohawk parce qu'il ne bénéficiait plus du statut de ses parents. Cette pratique était conforme à la situation qui prévalait à cette époque en vertu de la Loi sur les Indiens (avant le projet de loi C-31, 1985). Des témoignages contradictoires ont été entendus à savoir si cette pratique était conforme à la Grande loi de la paix .

À l'époque où il travaillait comme monteur de hautes structures métalliques, et plus précisément le 16 août 1986, Peter a uni légalement sa destinée à celle de Trudy Jacobs (Trudy), une Mohawk. Trudy, fille de Mohawks, est née le 22 août 1963 et a grandi et fréquenté l'école primaire et l'école secondaire de Kahnawake. Elle a fait ses études collégiales au Cégep de Sainte-Anne-de-Bellevue et a fréquenté ensuite l'Université McGill pendant un an. À l'âge de 19 ans, elle a reçu son propre certificat de statut d'Indien du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC). Ce certificat lui procurait les droits et privilèges garantis aux autochtones par le gouvernement fédéral.

Le témoignage de Peter et de Trudy en ce qui concerne leur enfance au sein de la collectivité mohawk a été corroboré par le témoignage de leur amie, Elena Mayo Diabo, qui est aussi membre du comité d'école de Kahnawake.

À la date où les audiences dans cette affaire ont pris fin, Peter et Trudy avaient trois enfants et Trudy était à quelques jours près de donner naissance à un quatrième. Leurs trois enfants nés à ce moment étaient Jessica Erin Katsitsirio Jacobs, née le 1er juillet 1987; Mark Ryan Kenwenteshon Jacobs, né le 20 juin 1989 et Adam Atemho;kteh Brent Daniel Jacobs dont la date de naissance n'a pas été précisée dans les témoignages.

Vers l'âge de 17 ans, Peter a été pour la première fois confronté au problème de son statut au sein de la collectivité mohawk. À cette époque, il avait en effet demandé des prestations d'aide sociale qui lui ont été refusées parce qu'il était un enfant adopté. Il n'avait alors pas voulu pousser plus loin l'affaire. Ce n'est qu'après que sa fille Jessica soit née en 1987 que la question de son statut a commencé à le préoccuper.

Il a d'abord écrit au MCK en septembre 1987 afin d'obtenir une déclaration concernant son statut (lettre datée du 25 septembre 1987 - pièce HR-13). Il travaillait à ce moment en Virginie. Il a finalement appris qu'il était possible que son nom figure sur la liste de bande d'AINC établie en vertu de la Loi sur les Indiens sans pour autant figurer sur la liste du MCK (lettre datée du 20 avril 1988 - pièce HR-13). Peter a demandé des précisions à AINC. On l'a informé que son nom figurait bien sur la liste du Ministère à ce moment (lettres datées du 18 juillet et du 4 août 1989 - pièce HR-14).

Le fait qu'il puisse exister deux listes mérite quelques explications. Conformément aux dispositions de l'article 8 de la Loi sur les Indiens, AINC est dans l'obligation de tenir une liste de bande comportant le nom de tous les membres d'une bande autochtone qui répondent aux critères énoncés à l'article 6 de cette loi. Cette disposition de la loi consacre le contrôle du gouvernement fédéral sur le processus consistant à établir l'appartenance aux bandes autochtones. En vertu de la Loi sur les Indiens, une bande peut cependant décider de reprendre le contrôle sur ce processus en créant sa propre liste des membres de la collectivité, sous réserve que cette liste soit dressée conformément aux dispositions de l'article 10 de la Loi. Si une bande décide d'assumer le contrôle de sa liste, la liste de la bande dont AINC est dépositaire ne s'applique plus. Il est très important pour un autochtone que son nom figure sur la liste du Ministère ou sur la liste de la bande créée conformément à la Loi, car les personnes dont le nom figure sur cette liste ont droit aux avantages et privilèges prévus dans la Loi sur les Indiens.

Il n'est pas contesté que les Mohawks de Kahnawake constituent une bande au sens prévu dans la Loi sur les Indiens et que AINC maintient une liste pour cette bande. Toutefois, à la suite de la promulgation d'un moratoire en 1981 (cité ci-dessous), les Mohawks de Kahnawake ont aussi dressé à leur propre usage une liste des membres de leur collectivité (indifféremment désignée par l'appellation liste des Mohawks , liste des membres de la collectivité mohawk , registre des Mohawks de Kahnawake ou registre des Mohawks ). Cette liste n'a cependant pas été créée conformément aux dispositions de la Loi. Les Mohawks se sont délibérément abstenus de le faire afin de marquer leur intention de contrôler l'appartenance à leur collectivité sans tenir compte des exigences de la Loi sur les Indiens.

Selon le témoignage de Shari Lahache, administratrice de la citoyenneté du MCK, au moment de sa création initiale, la liste des Mohawks était semblable à la liste de AINC. Le nom de toutes les femmes non indiennes mariées à des hommes indiens y figurait. Selon l'attitude qui prévalait au sein de la collectivité, l'exclusion des personnes qui, bien que ne répondant pas aux nouveaux critères d'appartenance, avaient déjà été acceptées au sein de la collectivité aurait constitué un irritant trop important et aurait été trop inhumain. Le moratoire et la Loi mohawk qui lui a succédé en 1984 (également citée ci-dessous) visaient l'avenir et ne s'appliquaient pas rétroactivement.

Toutefois, le nom de Peter ne figurait pas sur cette liste des Mohawks initiale, car en 1981, son nom ne figurait pas sur la liste de AINC. Le nom de Trudy, lui, figurait bien sur la liste des Mohawks en 1981; il en a cependant été supprimé en 1986 au moment de son mariage avec Peter.

Le nom de Peter, de Trudy et de leurs enfants figure maintenant sur la liste de la bande tenue par AINC, mais pas sur la liste de Kahnawake. Ils allèguent donc être victimes de discrimination de la part du MCK qui administre le registre d'appartenance à la collectivité de Kahnawake, puisqu'on leur a refusé certains avantages et privilèges. En termes simples, le MCK affirme qu'il est habilité à créer sa propre liste des personnes appartenant à la collectivité conformément à des critères que la collectivité a acceptés, et que puisque la famille Jacobs n'est pas considérée comme appartenant à la collectivité en vertu de ces critères, elle n'a pas droit aux avantages et privilèges en question. Le MCK affirme qu'il n'y a pas eu de discrimination fondée sur un motif illicite au sens de la LCDP.

Nous traiterons de cette question de manière plus approfondie ultérieurement. Il est cependant important de signaler immédiatement qu'à la suite de certaines ententes de financement conclues entre AINC et le MCK, la famille Jacobs s'est trouvée coincée dans une situation sans issue. Puisque le nom de Peter, par exemple, ne figure pas sur la liste mohawk, le MCK lui a refusé certains avantages. Lorsqu'il s'est tourné vers AINC pour obtenir un redressement, il a été informé qu'à cause de ces accords de financement, il devait s'adresser au MCK pour obtenir les avantages en question. Peter ne dispose donc d'aucun recours, sauf peut-être devant les cours de justice ou devant la Commission canadienne des droits de la personne.

B. LE MOHAWK COUNCIL OF KAHNAWAKE (MCK) ET LA COLLECTIVITÉ

Le MCK est le conseil de bande des Mohawks de Kahnawake au sens prévu dans la Loi sur les Indiens. Avant 1990, les membres du conseil étaient élus conformément aux dispositions de l'article 74 de la Loi. Toutefois, en mai 1990, le MCK a adopté son propre règlement régissant le mode de scrutin (pièces R-27, R-28). En vertu d'un décret ministériel daté du 27 mai 1992, AINC a en effet autorisé la bande de Kahnawake à tenir les élections de son conseil de bande conformément à son propre règlement intitulé Regulations Governing the Mohawk Council of Kahnawake Elections et non plus conformément aux dispositions de l'article 74 de la Loi sur les Indiens (pièce R-29).

Le grand chef du MCK, Joseph Norton, a livré un témoignage détaillé et fort utile sur cette question. Il a notamment dressé l'historique de la présence de sa bande dans la partie inférieure de la vallée du Saint-Laurent. Il a aussi décrit la structure et les fonctions du MCK, ses relations avec la collectivité et la nature du système de clans qui existe au sein de la nation mohawk. De plus, Gérald Alfred, professeur adjoint au Département de sciences politiques de l'École d'administration publique à l'Université de Victoria, a été appelé à la barre par le MCK et a témoigné sur l'histoire et l'évolution politique et sociale des Mohawks de Kahnawake et plus particulièrement, sur la question des principes régissant l'appartenance à la bande. Elizabeth Jane Dickson-Gilmour, professeur adjoint au Département de droit de l'Université Carleton a aussi été appelée par la CCDP à donner un témoignage d'expert sur l'histoire et la culture de la collectivité de Kahnawake, de la nation mohawk et de la Confédération iroquoise. Le professeur Dickson-Gilmore a en outre témoigné sur l'histoire des adoptions de personnes non indiennes par les collectivités mohawks (pièce HR-29).

Les Mohawks de Kahnawake possèdent une histoire riche et colorée. Ils descendent de peuples arrivés dans la vallée du Saint-Laurent et dans la Vallée mohawk (New York) il y a quelque 2 700 ans. Ils appartiennent plus précisément à un groupe plus important qui était initialement concentré dans la Vallée mohawk , aujourd'hui l'état de New York. Ces peuples sont finalement devenus partie intégrante d'un groupe auquel appartenait la Confédération iroquoise, elle-même constituée des Mohawks, des Sénécas, des Cayugas, des Onneidas, des Onondagas et par la suite des Tuscaroras. Avant l'arrivée des Français en Amérique du Nord en 1609, ces peuples dominaient la région et entretenaient des relations avec les peuples indiens des régions avoisinantes comme les Algonquins (pièce R-35) (Alfred, Heeding the Voices of Our Ancestors : Kahnawake Mohawk Politics and the Rise of Native Nationalism).

Vers 1680, la collectivité que l'on désigne aujourd'hui sous le nom de Mohawks de Kahnawake s'est installée dans une région (LaPrairie) située à proximité de l'emplacement qu'occupent actuellement les Mohawks de Kahnawake. Après les premiers contacts entre Mohawks et Français en 1609 à Ticonderoga (New York), une hostilité s'est développée entre eux pendant une certaine période. D'autres Européens qui venaient aussi d'arriver dans la région, les Hollandais et les Anglais, ont cherché à exploiter cette situation en développant des relations commerciales et militaires amicales avec les Mohawks. Entre temps, plusieurs autres nations iroquoises développaient des relations paisibles avec les Français qui s'étaient établis dans la vallée du fleuve Saint-Laurent. Finalement, les Mohawks aussi ont fait la paix avec les Français après leur défaite militaire de 1667 et progressivement, ils ont été amenés à migrer vers le nord afin de se rapprocher de leur nouvel allié. Cette migration a été favorisé par l'influence grandissante des missionnaires jésuites qui appartenaient à la colonie française de la vallée du Saint-Laurent.

Lorsque les colonies françaises sont tombées aux mains des Anglais dans les années 1760, les Mohawks sont devenus alliés des Anglais. Ils ont ensuite aidé ceux-ci, au début du XIXe siècle, à résister aux efforts des Américains pour conquérir ce qui était devenu l'Amérique du Nord britannique mais ce faisant, ils sont de plus en plus devenus inféodés aux Britanniques. Cette relation a finalement été encadrée par différentes lois successives dont la Loi sur les Indiens actuelle est l'aboutissement.

Il est juste de conclure que bien qu'ils se soient successivement alliés aussi bien aux Français qu'aux Anglais, les Mohawks se sont toujours efforcés de conserver leur indépendance et leur autonomie en tant que nation. Cette indépendance et cette autonomie ont été reconnues dans un concept connu sous l'appellation Two Row Wampum qui est fondé sur une compréhension mutuelle, parfois régie par des traités, des Anglais et auparavant des Français et des Hollandais. Il fait appel au principe de la coexistence pacifique, du respect et de la non-ingérence mutuels dans les affaires internes des autres. Ainsi, les Mohawks ont toujours cherché à affirmer leur démarche traditionaliste en assurant leur souveraineté sur leurs propres affaires et simultanément, ils se sont trouvés malgré tout assujettis de manière sans cesse croissante au contrôle du gouvernement du Canada en vertu du régime prévu dans la Loi sur les Indiens.

Le principe même de la Loi sur les Indiens est quelque peu paternaliste ou maternaliste . La Loi a pour objet de permettre à AINC d'exercer un degré important de contrôle administratif sur les bandes indiennes. Elle crée le Registre des Indiens où sont consignés les noms de toutes les personnes ayant droit au statut d'Indien inscrit conformément à la définition contenue dans la Loi. Elle crée des listes de bande. Elle établit des réserves et permet au gouvernement d'exercer un contrôle sur l'enregistrement de toutes les terres à l'intérieur de ces réserves. Elle comprend des dispositions sur la succession héréditaire des biens; sur les dispositions testamentaires; sur les Indiens mentalement incompétents et les nouveaux-nés et leurs biens; sur le versement de sommes d'argent à des fins d'immobilisations et de fonctionnement et notamment aux fins des services d'éducation et des dispositions sur les élections des conseils de bande. En termes simples, la Loi sur les Indiens peut être perçue comme un outil de contrôle des Indiens et qui permet du même coup de les indemniser sur une base permanente pour la perte de leurs territoires et de leurs moyens traditionnels de subsistance.

Aussi bien le professeur Alfred que le professeur Dickson-Gilmore ont décrit en détail la renaissance de l'esprit traditionaliste à Kahnawake dont les efforts déployés récemment par les Mohawks pour réaffirmer leur souveraineté et reprendre le contrôle sur les mécanismes permettant d'établir l'appartenance à leur collectivité constituent l'expression. Les deux témoins ont décrit ce processus comme un mouvement global de la collectivité en vue de se libérer du modèle de société colonial.

Selon le professeur Alfred, c'est vers le milieu des années vingt que l'intégration des hommes de Kahnawake à la société nord-américaine a pris des proportions alarmantes, en partie parce que nombre d'entre eux travaillaient comme monteur de hautes charpentes métalliques dans les grands centres urbains nord-américains. À la fin de la Deuxième Grande Guerre, de nombreux Indiens qui s'étaient enrôlés sont de plus rentrés au pays au bras d'épouses non autochtones, ce qui a augmenté encore plus le degré d'assimilation. On a alors constaté une baisse de popularité des valeurs traditionnelles, une diminution de l'utilisation de la langue mohawk et une aggravation des problèmes sociaux, nombre d'entre eux étant liés à la consommation d'alcool. Ces tendances ont poussé certains Mohawks à réaffirmer les valeurs traditionnelles de leur peuple en recommençant à fréquenter les Longues maisons", lieu de rencontre des traditionalistes.

Le professeur Dickson-Gilmore a quant à elle choisi une date de beaucoup plus lointaine que celle mentionnée par son collègue comme point tournant à partir duquel les Mohawks de Kahnawake ont perdu le contrôle sur la définition de leur identité et de l'appartenance à la nation Mohawk. Elle a situé ce moment à l'adoption par le gouvernement fédéral d'une loi qui stipulait par voie de définition qui était un Indien et qui ne l'était pas. Cette définition visait principalement à établir qui aurait droit aux avantages financiers et autres liés au statut d'Indien. Toutefois, la professeur Dickson-Gilmore était bien d'accord avec le professeur Alfred quant aux conséquences de cette perte de contrôle.

L'expropriation des terres du Territoire de Kahnawake associée à la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent au cours des années cinquante a démontré à la collectivité de Kahnawake sa grande vulnérabilité. Cet événement a joué un rôle important dans le réveil du sentiment nationaliste. Au cours des années soixante et soixante-dix, on a assisté à Kahnawake à un débat continu entre les traditionalistes et ceux qui acceptaient la réalité de la dépendance.

Selon le professeur Alfred, vers 1979 et au début des années quatre-vingts, la collectivité était prête à s'engager concrètement afin de reprendre le contrôle sur ses propres affaires et particulièrement sur les critères régissant l'appartenance au peuple mohawk. Selon le professeur Dickson-Gilmore, ce processus se serait plutôt amorcé dès 1972. Quoi qu'il en soit, cette reprise de contrôle était considérée comme essentielle à la promotion des idéaux souverainistes et à l'arrêt de l'érosion culturelle en cours. Les pressions exercées sur le gouvernement fédéral afin qu'il modifie la Loi sur les Indiens de sorte qu'en vertu de celle-ci, le statut d'Indien soit accordé aux femmes indiennes mariées à des hommes non-indiens ont sans doute constitué l'élément déclencheur de ce processus. À cette époque, les femmes indiennes qui mariaient un non-Indien perdaient automatiquement leur statut, ce qui créait un vif ressentiment, surtout parce que les femmes non-indiennes qui mariaient des Indiens bénéficiaient, elles, du statut d'Indien en vertu de la Loi.

À la suite d'une série d'assemblées publiques au sein de la collectivité (auxquelles la participation a été plutôt limitée), le MCK décrétait un moratoire qui est entré en vigueur le 22 mai 1981. Le texte intégral figure ci-dessous (pièce HR-2) :

[Traduction]

« MORATOIRE

Définition de moratoire

S'entend du report autorisé de toute activité visant à octroyer le statut d'Indien.

À LA POPULATION DE KAHNAWAKE :

Conformément à ce qui a été décidé au cours de la réunion du conseil de bande du 22 mai 1981, un moratoire a été décrété sur l'octroi du statut d'Indien à la suite de mariages mixtes (Indiens mariant des non-Indiens, hommes ou femmes) et de l'adoption d'enfants non-indiens par des Indiens.

À partir de cette date, tout Indien, homme ou femme, qui marie un non-Indien n'est plus admissible aux avantages suivants qui découlent de la résidence sur le Territoire mohawk de Kahnawake ou qui sont administrés par le Mohawk Council of Kahnawake. De plus, aucune carte de statut d'Indien ne sera émise aux femmes non-indiennes divorcées et en cas de perte, les cartes déjà émises ne seront pas renouvelées.

  1. Numéro de bande
  2. Droit de résidence (de vivre à Kahnawake)
  3. Attribution de terrains
  4. Aide au logement - prêt ou réparation
  5. Éducation
  6. à Kahnawake seulement
  7. Aide sociale
  8. à Kahnawake seulement
  9. Droit de vote
  10. à Kahnawake seulement
  11. Droit de sépulture
  12. Médicaments
  13. à Kahnawake seulement
  14. Privilèges fiscaux
  15. à Kahnawake seulement

Le présent moratoire ne s'applique pas aux mariages mixtes entre homme indien et femme non-indienne qui ont été célébrés avant le 22 mai 1981, lorsque les personnes en cause résident actuellement sur le Territoire de Kahnawake et n'a donc aucun effet sur le statut de ces personnes.

Le statut des femmes indiennes qui ont marié des hommes non-indiens demeurera le même jusqu'à ce qu'une décision soit prise par la population mohawk de Kahnawake.

Toute femme non-indienne mariée à un Indien sera, au moment de son divorce, rayée de la liste.

Compte tenu des nombreuses préoccupations qui ont été exprimées par la population de Kahnawake et de la nécessité de maintenir le caractère indien du Territoire mohawk de Kahnawake, il est impératif que le présent moratoire soit mis en oeuvre immédiatement jusqu'à ce que l'ensemble des critères d'appartenance au peuple mohawk aient été précisés.

Nous savons que certaines personnes de la collectivité éprouveront de la difficulté à accepter ce moratoire. Toutefois, tous doivent comprendre que des mesures doivent être prises afin de laisser aux futures générations un héritage qui leur permettra d'assurer la pérennité du peuple indien. Pour de plus amples renseignements, n'hésitez pas à communiquer avec le Mohawk Council of Kahnawake.

CRITÈRES

  1. Afin d'être reconnu comme Indien par le Territoire mohawk de Kahnawake, une personne doit posséder au moins 50 p. 100 de sang indien.
  2. Toute personne qui répond à l'exigence susmentionnée bénéficie automatiquement de tous les droits et avantages accordés par le Territoire mohawk de Kahnawake.
  3. Les Indiens qui choisissent de marier une personne non-indienne après le 22 mai 1981 renoncent à tous les droits et avantages accordés par le Territoire mohawk de Kahnawake.
  4. Les enfants issus d'un mariage entre un Indien, homme ou femme, et un non-Indien n'ont pas droit à ces avantages. Toutefois, si l'enfant, homme ou femme, issu d'un tel mariage se marie lui-même à un Indien, lui et son conjoint ainsi que leurs enfants peuvent présenter une demande au conseil de bande afin de récupérer leur droit aux avantages. Si le conseil de bande juge que leur demande est fondée, il l'accueillera favorablement.
  5. Une femme non-indienne et ses enfants qui ont obtenu le statut d'Indiens et le droit aux avantages consentis par le conseil de bande en vertu d'une alliance avec un Indien, ne bénéficient plus, à la suite d'un divorce, aux droits et avantages accordés par le Territoire mohawk de Kahnawake. L'enfant issu d'un tel mariage qui se marie à un Indien peut présenter une demande au conseil de bande afin de récupérer son droit aux avantages en question.

  6. Les Mohawks résidant sur la partie américaine de la réserve d'Akwesasne qui ont au moins 50 p. 100 de sang indien sont considérés comme des Indiens, que leur nom figure ou non sur le registre de la bande.
  7. Les personnes que nous estimons être des Indiens, mais qui n'ont jamais été considérés comme tels en vertu de la Loi sur les Indiens, récupéreront leurs droits et privilèges après examen de leur ascendance.

Adoption

Les enfants non-indiens adoptés par des Indiens ne bénéficient d'aucun des droits et privilèges accordés par le Territoire mohawk de Kahnawake.

L'enfant indien qui est adopté par des non-Indiens conserve tous les droits et avantages accordés par le Territoire mohawk de Kahnawake sous réserve d'un examen de son ascendance.

La teneur du moratoire est révélatrice de l'objectif qu'il vise. Le problème le plus important que ce moratoire devait régler était en effet celui des mariages mixtes, même si le moratoire comportait aussi des dispositions concernant les enfants adoptés non-indiens.

Après la promulgation du moratoire en 1981, les Mohawks de Kahnawake ont commencé à tenir leur propre liste, dont la version initiale avait été dressée en consultation avec les Ainées de la collectivité. Il convient ici de signaler que la société indienne est de type matriarcal plutôt que patriarcal. La liste mohawk contenait le nom des personnes qui répondaient aux critères énoncés dans le moratoire. Au cours de toute cette période, AINC a maintenu sa propre liste de bande conformément aux critères établis dans la Loi sur les Indiens et celle-ci est donc maintenant différente de la liste mohawk.

Selon le grand chef Norton et le professeur Alfred, le moratoire visait à permettre à la collectivité de Kahnawake de reprendre le contrôle sur ses propres affaires. Or, un des aspects les plus importants de cette prise de contrôle était justement le contrôle de l'appartenance au peuple mohawk. Les critères d'appartenance fondés sur la pureté du sang semblaient être objectifs et relativement faciles à appliquer. Le maintien de la situation qui prévalait en ce qui concerne les mariages entre hommes indiens et femmes non-indiennes a été décrété en partie à cause du grand nombre de mariages de ce genre, mais aussi afin de tenir compte du désir de la collectivité de ne pas adopter de mesures jugées trop irritantes .

Le moratoire a aussi été perçu comme conforme au principe mohawk que le bien commun de la collectivité doit prévaloir sur les droits des individus qui la composent.

Comme les éventuelles modifications à la Loi sur les Indiens s'annonçaient plus importantes que prévues, le moratoire a été remplacé par la Loi mohawk de Kahnawake le 11 décembre 1984 (pièce HR-3). Cette loi se lit comme suit :

[Traduction]

« LOI MOHAWK DE KAHNAWAKE

Définition de la Loi : Toutes les règles de conduite dictées par les autorités d'une nation et issues de ses coutumes.

Loi mohawk de Kahnawake : S'applique aux coutumes et aux traditions des Mohawks de Kahnawake.

Il est convenu par la population de Kahnawake et par le Mohawk Council of Kahnawake que toute personne née mohawk sera à jamais reconnue comme telle.

Il est convenu par la population de Kahnawake et le Mohawk Council of Kahnawake que les Mohawks de Kahnawake bénéficient à leur naissance de tous les droits, privilèges et avantages consentis aux Onkwehonwe des territoires mohawks, y compris, sans toutefois s'y restreindre, des droits suivants :

  1. le statut de Mohawk inscrit;
  2. le droit de résidence (soit de vivre sur le Territoire de Kahnawake);
  3. l'attribution d'un terrain et de droits fonciers;
  4. l'aide sociale;
  5. Éducation;
  6. le droit de vote;
  7. le droit de sépulture;
  8. les médicaments et les soins dentaires;
  9. les privilèges fiscaux;
  10. les services d'aide au logement.

Il est convenu par la population de Kahnawake et le Mohawk Council of Kahnawake qu'à compter du 22 mai 1981, tout Mohawk de Kahnawake, homme ou femme, qui marie un non-Indien, cohabite avec un non-Indien ou vit une union de fait avec un non-Indien sera privé des avantages et privilèges suivants, à l'exclusion des droits de sépulture :

  1. le droit de résidence;
  2. l'attribution d'un terrain et de droits fonciers;
  3. le droit de vote

Les personnes susmentionnées sont aussi privées des autres avantages et privilèges relevant de la compétence de la population mohawk de Kahnawake.

She:Kon; le 11 décembre 1984 Le document annexé à la présente est le résultat de nombreuses années de discussion et plus précisément des discussions tenues depuis la mise en oeuvre du moratoire du 22 mai 1981 sur le statut des Mohawks mariés à des non-Indiens au sein de la collectivité de Kahnawake. Le document annexé porte sur un des aspects liés au fait d'être Onkwehonwe et ne constitue donc pas une réponse globale sur l'ensemble de cette question qui peut parfois être très complexe.

Comme vous vous en souvenez tous, le moratoire décrété constituait une mesure à court terme et visait à empêcher les non-Indiens (et plus précisément les femmes non-indiennes) à obtenir le statut d'Indien du fait de leur alliance avec un Mohawk.

Depuis la mise en place de ce moratoire du 22 mai 1981, nous avons acquis la certitude qu'il a eu l'effet escompté. Il faut maintenant faire de ce moratoire une loi mohawk. Nous estimons important de rappeler à tous que les mesures prises à Kahnawake ne sont pas inédites. Elles constituent simplement le retour aux coutumes et traditions anciennes, antérieures à la venue des Blancs sur le continent nord-américain.

Les mesures prises actuellement à Kahnawake ne relèvent pas du racisme, ni de la discrimination ni du sexisme. Elles sont tout simplement essentielles à la survie d'une culture unique et distincte dont l'avenir dépend de la mise en place immédiate de lois et de règlements très stricts.

Personnes figurant actuellement sur la liste de la bande et rétroactivité à la période antérieure au 22 mai 1981

La Loi mohawk (issue du moratoire) n'a pas été créée afin de rayer de la liste actuelle de la bande le nom des femmes non-indiennes et de dépouiller celles-ci des privilèges acquis avant le 22 mai 1981 conformément à la Loi sur les Indiens.

La Loi mohawk n'a pas d'effet rétroactif dans la mesure où le mariage entre un homme mohawk et une femme non-indienne demeure intact. Les enfants issus de mariages de cette nature (célébrés avant le 22 mai 1981) continueront de bénéficier des avantages et des privilèges réservés aux Mohawks, peu importe la situation matrimoniale de leurs parents.

Définition d'un Mohawk et d'un non-Indien

Afin de favoriser une bonne compréhension des concepts en cause, il est nécessaire de définir les critères qui seront utilisés pour définir les personnes visées par la Loi mohawk et celles qui ne le sont pas.

Non-Indien - Toute personne, homme ou femme, dont le nom ne figure pas sur la liste de la bande ni sur la liste de réintégration actuelles et qui compte moins de 50 p. 100 de sang indien.

Mohawk - Toute personne, homme ou femme, dont le nom figure actuellement sur la liste de la bande ou sur la liste de réintégration et qui compte 50 p. 100 ou plus de sang indien.

Personnes comptant moins de 50 p. 100 de sang indien, mais figurant sur la liste de bande actuelle

Comme vous pouvez le constater, la règle du 50 p. 100 demeure le critère minimal dans la Loi mohawk, sauf dans le cas de certaines personnes dont le nom figure actuellement sur la liste de la bande même si elles ne répondent pas au critère de 50 p. 100 ou plus de sang indien. Par conséquent, les personnes qui appartiennent à cette catégorie (celle comptant moins de 50 p. 100 de sang indien) peuvent malgré tout demeurer sur la liste compte tenu qu'elles avaient été auparavant acceptées par notre collectivité et qu'elles résident actuellement sur le Territoire de Kahnawake.

Politique relative à la vérification et procédure

Le fait de promulguer une Loi mohawk sur les mariages mixtes ne suffit pas. Il est aussi nécessaire d'établir une procédure et de procéder à des vérifications. Un comité constitué de membres du conseil et de personnes issues de la collectivité doit être créé dès que possible afin de veiller à ce que les critères établis dans la Loi mohawk soient appliqués. D'ici à ce que le comité soit mis sur pied, le Mohawk Council of Kahnawake jouera le rôle de comité officiel et sera donc chargé de procéder aux vérifications et d'appliquer la procédure.

Femmes mohawks n'ayant pas le statut d'Indien et leurs enfants

La situation des femmes mohawks qui ont perdu leur statut en vertu de la Loi sur les Indiens à la suite d'un mariage avec un non-Indien et qui sont devenues veuves ou divorcées ou qui ont été abandonnées par leur conjoint non-indien et qui désirent revenir à Kahnawake fera l'objet de discussions.

L'enfant issu d'une telle union qui se marie à une personne qui répond à la définition d'un Mohawk de Kahnawake, telle qu'établie dans la présente Loi, aura la possibilité de devenir membre de la collectivité après application de la procédure de vérification et une ratification publique.

La Loi mohawk (issue du moratoire) et les hommes et femmes mohawks veufs, divorcés ou abandonnés par leur conjoint

Suivant le même principe, après la promulgation de la Loi mohawk, la situation des hommes et des femmes mohawks mariés à un non-Indien dont le conjoint décède, qui divorcent ou qui sont abandonnés par leur conjoint non-indien, et qui désirent revenir à Kahnawake fera l'objet de discussions. Leurs enfants bénéficieront des mêmes possibilités que celles stipulées au paragraphe précédent (Femmes mohawks n'ayant pas le statut d'Indien et leurs enfants).

Conclusion

Afin que la Loi mohawk de Kahnawake soit efficace, il est nécessaire que la population de Kahnawake honore, reconnaisse et respecte la nécessité de mettre en place une loi de ce genre.

Il est nécessaire que tous et chacun d'entre nous comprennent que nous nous trouvons vraiment à un moment crucial de notre histoire et qu'il nous appartient d'assurer pour les futures générations de Mohawks la pérennité de l'identité et de la culture de notre peuple.

Nous devons reconnaître collectivement que la plupart des problèmes liés à cette situation, sinon la totalité d'entre eux, ont été causés par des forces extérieures à notre collectivité. Nous devons maintenant trouver en nous la volonté et la force de mettre en place nos propres lois, conformément à nos coutumes, nos traditions et aux désirs de notre peuple.

En terminant, nous demandons que vous accordiez la plus grande attention, à la Loi mohawk de Kahnawake, que vous collaboriez à son application et que vous y adhériez de manière que nous ne nous trouvions pas dans l'obligation d'émettre des directives d'éviction ou d'expulsion des personnes qui sont actuellement visées par cette loi et de celles qui le seront dans l'avenir.

Il convient de signaler qu'aucune disposition de la Loi mohawk ne porte sur la question de l'adoption. On peut présumer que les dispositions relatives à la pureté du sang s'appliquent aux non-Indiens dans la situation de Peter Jacobs, soit aux non-Indiens adoptés par des parents indiens. Il appert donc que le principal objectif de la Loi mohawk consiste à régir les mariages mixtes.

Ni le moratoire ni la Loi mohawk n'ont été soumis à l'approbation du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) conformément aux dispositions de l'article 10 de la Loi sur les Indiens. Cette omission est délibérée et constitue un défi au pouvoir fédéral à cet égard, mais dans une large mesure, elle s'inscrit aussi dans le cadre des initiatives politiques globales entreprises par la collectivité mohawk en vue d'acquérir l'autonomie gouvernementale et d'affirmer leur autodétermination. La collectivité considère qu'il est d'une importance fondamentale qu'elle seule soit habilitée à décider des critères régissant l'appartenance au peuple mohawk. Ce contrôle sur les mécanismes d'établissement de l'appartenance est considéré comme un pouvoir essentiel à la renaissance d'une collectivité fondée sur les valeurs mohawks traditionnelles.

Au cours de son témoignage, le grand chef Norton a été très clair sur ce point en affirmant qu'après la promulgation de la Loi mohawk de 1984, les Mohawks de Kahnawake ont maintenu leurs pressions sur le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec en vue d'obtenir un contrôle accru sur leurs propres affaires. Cette orientation est évidente lorsqu'on considère la mise en place du règlement régissant les élections du conseil de bande, le contrôle exercé sur les fonds réservés à l'éducation, à l'aide sociale, à l'aide au logement et aux autres avantages sociaux, l'acquisition de terrains afin d'accroître les réserves foncières du Territoire ou les indemnisations demandées au titre des terrains perdus et finalement, la mise en place d'un système judiciaire autonome et la création d'une police autochtone. Ce processus s'est accéléré à la suite des événements de 1990 plus fréquemment connus sous le vocable de crise d'Oka et du blocage par les Mohawks de Kahnawake du pont Mercier menant de leur territoire à l'île de Montréal. Les questions politiques entourant les relations entre les Mohawks de Kahnawake et le gouvernement fédéral en particulier ont atteint le point où elles ont clairement des répercussions sans précédent (bien que prévisibles) sur la vie de personnes ordinaires, comme les plaignants dans cette affaire.

Finalement, la Loi sur les Indiens a été modifiée en 1985 par l'adoption du fameux projet de loi C-31. Ce projet de loi a eu pour effet, entre autres choses, d'accorder le statut d'Indien aux femmes indiennes qui, comme Trudy Jacobs, étaient mariées à des non-Indiens. La collectivité de Kahnawake a informé le gouvernement fédéral qu'elle n'acceptait pas ces dispositions puisqu'elles venaient en conflit avec la Loi mohawk de 1984 (pièces R-7, R-8, R-9 et R-11). AINC a répliqué que c'était la Loi mohawk qui venait en conflit avec la Loi sur les Indiens et on s'est donc retrouvé dans une impasse. (pièces R-10 et R-12).

III. LES PLAINTES DE PETER ET TRUDY JACOBS

Maintenant que nous avons décrit le contexte dans lequel elles ont été formulées, revenons aux plaintes de Peter et de Trudy Jacobs.

Le nom de Peter et de Trudy ne figure pas sur la liste mohawk de Kahnawake et ceux-ci ne sont pas considérés comme des membres de la collectivité de Kahnawake puisqu'ils ne répondent pas aux critères d'appartenance stipulés dans le moratoire et dans la Loi mohawk. Peter a été exclu parce qu'il est un non-Indien n'ayant aucun sang mohawk. Conformément à la Loi mohawk, il ne bénéficie d'aucun des droits, privilèges et avantages réservés aux Mohawks. Trudy a été exclue parce qu'elle s'est mariée avec un non-Indien après la promulgation de la Loi mohawk. Conformément à cette loi, elle a donc été dépouillée de son droit de résidence, de son droit à l'attribution des terrains et de droits fonciers et de son droit de vote ainsi que de tout autre avantage et privilège relevant de la compétence de la population mohawk de Kahnawake. Les enfants de la famille Jacobs ont aussi été exclus.

A. PETER JACOBS

À l'âge de 16 ou 17 ans, Peter Jacobs a demandé des prestations d'aide sociale au MCK, prestations qui lui ont été refusées parce qu'il était un enfant adopté . Comme nous l'avons déjà mentionné précédemment, il n'a pas à l'époque poussé l'affaire plus loin.

À la barre des témoins, Peter a déclaré qu'en 1991, il avait éprouvé certains ennuis à faire admettre ses enfants dans les écoles du Territoire mohawk, mais que compte tenu des pressions exercées par la population de Kahnawake, le conseil de bande avait préféré reculer sur cette question. En fait, les enfants Jacobs ont sans interruption fréquenté une école d'immersion mohawk sur le territoire mohawk de Kahnawake. Elena Mayo Diabo a témoigné que le comité d'école de Kahnawake a pour position que tous les enfants qui résident dans la collectivité ont droit à des services d'éducation nonobstant les directives du MCK.

Avant octobre 1992, Peter avait présenté une demande au Comité de l'eau et des services sanitaires afin d'obtenir du MCK une subvention de 10 000 $ pour la construction d'installations d'aqueduc et d'égout dans une nouvelle maison qu'il construisait sur le Territoire de Kahnawake. Dans une lettre datée du 5 octobre 1992, il a été informé que sa demande de subvention était refusée parce que son nom ne figurait pas sur le registre des citoyens mohawks (pièce HR-18).

Dans une lettre distincte datée du 5 octobre 1992, Peter était avisé par le MCK d'interrompre la construction de la maison parce qu'il n'était pas d'ascendance indienne et que son nom ne figurait pas sur le registre des citoyens mohawks (pièce R-2). Le terrain sur lequel il construisait sa maison lui avait été donné par sa mère (pièce R-3). Il a donc tout simplement ignoré la lettre et terminé la construction de sa maison.

Peter n'a présenté aucune autre demande précise en vue d'exercer ses droits ou d'obtenir des avantages ou des privilèges, mais il a déclaré qu'il savait que toute demande en ce sens serait refusée puisque son nom ne figurait pas sur le registre. Il a estimé qu'on lui refuserait aussi le droit de voter. Toutefois, puisqu'il appartient à la branche traditionaliste au sein de la collectivité, il ne désire pas exercer ce droit. Il est grandement préoccupé cependant par la manière dont ses enfants seront traités s'il devenait nécessaire pour lui de procéder à des réclamations en leur nom et la situation relative à leurs droits dans l'avenir n'est pas sans l'inquiéter.

Selon sa compréhension de la situation, Peter dit figurer sur la liste de AINC et être donc admissible aux prestations offertes par ce ministère. Toutefois, dans la mesure où, dans le cadre d'accords financiers conclus en vertu de la Loi sur les Indiens, AINC a délégué au MCK toute responsabilité qu'il pouvait avoir à cet égard, Peter estime que ni le MCK ni AINC ne lui permettront d'exercer les droits, avantages et privilèges dont il estime être détenteur.

B. TRUDY JACOBS

Trudy s'est heurtée pour la première fois à la Loi mohawk de 1984 après son mariage avec Peter en 1986. Dans son témoignage, elle a indiqué que le 7 juillet 1990, elle n'avait pas été autorisée à voter aux élections du MCK parce qu'elle n'était pas inscrite sur la liste mohawk. Dans une lettre datée du 9 juillet 1990, elle a porté plainte au MCK et a demandé que son nom ainsi que celui des membres de sa famille soient placés sur la liste mohawk. La réponse à cette plainte est venue sous la forme d'une lettre datée du 11 juillet (pièce HR-6). Dans cette lettre, on l'informait qu'elle ne répondait pas aux critères énoncés dans la Loi mohawk de 1984. Elle a été informée qu'elle était devenue inadmissible du fait de son mariage avec Peter, un non-Indien, et ne pouvait donc être inscrite sur cette liste. À la suite de ce refus, elle a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne dans une lettre datée du 20 mars 1991 (pièce HR-7).

Avant 1991, Trudy et Peter avaient décidé de bâtir leur maison sur le Territoire de Kahnawake. Dans le but de demander un prêt à faible taux d'intérêt, Trudy s'est rendue aux bureaux du MCK pour s'y procurer un formulaire de demande. On a refusé de lui en remettre un au motif qu'elle ne figurait pas sur la liste mohawk. Le 18 juillet 1991, elle a écrit une lettre à Nelva Diabo (pièce HR-8), la personne en charge des services d'aide au logement au bureau du MCK, demandant des explications écrites. Sa lettre est demeurée sans réponse.

Trudy a aussi indiqué en témoignage qu'elle se préoccupait de la question à savoir si ses enfants recevraient une aide financière dans l'avenir s'ils désiraient fréquenter une école privée.

Trudy a de plus affirmé au cours de son témoignage qu'en décembre 1996, à la suite d'un grave problème d'inondation, elle n'avait pas été avisée par les services communautaires de Kahnawake qu'il était dangereux de boire l'eau de son puits. Elle a affirmé que d'autres membres de la collectivité avaient reçu un avis écrit les mettant en garde contre ce danger et elle croit ne pas avoir été avisée parce que son nom ne figure pas sur la liste mohawk (pièce HR-25). Dans son témoignage, elle a mentionné qu'à la suite de cette omission, elle-même et ses enfants avaient été malades. Bien qu'elle estime qu'il y ait un lien entre les Services communautaires et le MCK, il n'a pas été démontré que tel est le cas.

Finalement, Trudy a indiqué en témoignage qu'elle avait récemment éprouvé des problèmes de refoulement d'égout à son domicile, mais qu'aucune entreprise n'avait accepté de venir rectifier le problème. Elle croit qu'il est nécessaire de figurer sur la liste mohawk pour obtenir d'une entreprise qu'elle vienne sur le Territoire pour régler un problème de ce genre.

C. LES ENFANTS JACOBS

Compte tenu du formulaire de plainte comme tel et de la manière dont cette affaire a été présentée, nous n'avons aucun doute que Peter et Trudy ont soulevé cette affaire autant au nom de leurs enfants qu'en leur nom personnel. Le MCK était bien au courant de cette situation puisqu'il en avait été question dans les premières lettres acheminées par Peter et Trudy (pièces HR-13 et HR-6). De plus, à notre avis, la plainte devrait être interprétée de manière large tout en tenant compte des principes d'équité qui doivent guider la procédure. Or, nous n'avons aucun motif de conclure que ces principes ne se sont pas appliqués dans cette affaire. (Voir Canada (Solliciteur général) c. Robinson, [1994] 3 C.F. 228.)

IV. LES QUESTIONS EN CAUSE

Compte tenu de l'angle sous lequel la cause des plaignants a été présentée et de la défense invoquée par le MCK, voici les questions sur lesquelles nous devons nous prononcer :

1. Les plaignants et la Commission ont-ils établi une preuve prima facie que l'intimée a posé des actes discriminatoires en refusant ou en continuant de refuser aux plaignants l'accès à des services ou qu'elle les a défavorisés dans la fourniture de services habituellement offerts au public en fondant ce refus sur un motif de distinction illicite au sens du paragraphe 3(1) et des paragraphes 5(a) et 5(b) de la LCDP?

Le paragraphe 3(l) et l'article 5 de la Loi se lisent comme suit :

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

2. Si la réponse à la question 1 est affirmative, les actes discriminatoires peuvent-ils être expliqués par un motif justifiable au sens du paragraphe 15(g) de la LCDP?

Le paragraphe 15(g) de la Loi se lit comme suit :

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires : g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.

3. Si la réponse à la question 1 est affirmative, les actes discriminatoires échappent-ils à tout examen en vertu de la LCDP conformément aux dispositions de l'article 67 de la Loi au motif qu'ils ont été posés conformément à une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens?

L'article 67 de la LCDP se lit comme suit :

67. La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

4. Si la réponse à la question 1 est affirmative et que la réponse aux questions 2 et 3 est négative, quelles mesures de réparation, le cas échéant, devraient être accordées aux plaignants et à la Commission conformément à l'article 53 de la LCDP?

V. LES QUESTIONS, LES FAITS ET LE DROIT

A. LES ASPECTS GÉNÉRAUX DU DROIT LIÉS AUX AFFAIRES DE DROITS DE LA PERSONNE

Le but visé par la LCDP est énoncé à l'article 2 de cette loi qui se lit comme suit :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Les textes législatifs sur les droits de la personne ont été décrits comme étant ...d'une nature spéciale. [Ils ne sont] pas vraiment de nature constitutionnelle, mais [...] certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S., pages 536 à 547). La Cour suprême du Canada a élaboré davantage sur le but et les objectifs des ces textes législatifs et sur la manière dont devait être abordée de manière générale leur interprétation dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 à 1134 (subnomine : Action Travail des Femmes), par l'entremise du J.C. Dickson :

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet.

En ce qui concerne la démarche à privilégier lorsqu'on interprète la portée des exceptions ou des exemptions à l'application des lois sur les droits de la personne, la Cour suprême du Canada a offert par l'entremise du juge Sopinka des pistes possibles dans son arrêt Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. pages 321 à 339 :

Une des raisons pour lesquelles nous avons ainsi décrit les lois sur les droits de la personne [d'une nature spéciale, pas vraiment de nature constitutionnelle, mais certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire ] c'est qu'elles constituent souvent le dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation. Comme les lois sur les droits de la personne sont le dernier recours des membres les plus vulnérables de la société, les exceptions doivent s'interpréter restrictivement (Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, à la p. 307, voir aussi Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561, aux pp. 567 et 589).

(Voir aussi Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F.391 (C.A.).)

Si, dans une affaire de droits de la personne, le plaignant peut établir, suivant la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie de discrimination, il a droit à des mesures de réparation dans la mesure où l'intimée est incapable d'expliquer les actes discriminatoires par un motif justifiable . Le fardeau d'établir le motif justifiable incombe alors à l'intimée conformément à la norme de preuve habituelle en droit civil, soit suivant la prépondérance des probabilités. (Voir Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S., 202 à 208.)

B. PREUVE ÉTABLIE PRIMA FACIE

QUESTION NO 1 - LES PLAIGNANTS ET LA COMMISSION ONT-ILS ÉTABLI UNE PREUVE PRIMA FACIE QUE L'INTIMÉE A POSÉ DES ACTES DISCRIMINATOIRES EN REFUSANT OU EN CONTINUANT DE REFUSER AUX PLAIGNANTS L'ACCÈS À DES SERVICES OU QU'ELLE LES A DÉFAVORISÉS DANS LA FOURNITURE DE SERVICES HABITUELLEMENT OFFERTS AU PUBLIC EN FONDANT CE REFUS SUR UN MOTIF DE DISTINCTION ILLICITE AU SENS DES PARAGRAPHES 3(1), 5(A) ET 5(B) DE LA LCDP?

À notre avis, la preuve établit qu'à trois occasions, et seulement trois, l'intimé a clairement, soit directement, soit par l'entremise d'un de ses administrateurs ou de ses comités, refusé un service à Peter ou à Trudy. En 1992, après une demande en ce sens, le Comité des eaux et des services sanitaires du MCK a refusé d'accorder au plaignant une subvention qui aurait servi à la construction des installations d'aqueduc et d'égout d'une nouvelle maison que celui-ci construisait à l'époque. La subvention n'a pas été accordée au motif que le nom du plaignant ne figurait pas sur la liste mohawk. Or, son nom ne figurait pas sur la liste mohawk parce qu'il ne répondait pas aux critères d'appartenance énoncés dans la Loi mohawk établis en fonction de la pureté du sang. Aucun des critères d'admissibilité au programme de subvention comme tel n'a été avancé pour expliquer ce refus puisque l'analyse de la demande ne s'est jamais même rendue jusqu'à cette étape du processus.

En ce qui concerne Trudy, le MCK lui a refusé le droit de voter aux élections de 1990. De plus, en juillet 1991, la plaignante voulait demander un prêt à faible taux d'intérêt pour construire la nouvelle maison familiale et on lui a refusé le droit de présenter une demande. Ces deux refus ont été justifiés par l'absence du nom de Trudy sur la liste mohawk. Son nom ne figurait pas sur la liste mohawk parce qu'elle ne répondait pas aux critères d'appartenance énoncés dans la Loi mohawk puisqu'elle avait épousé un non-Indien.

Ces refus du MCK constituent autant de gestes directs de discrimination contre Peter et Trudy pour des motifs de distinction illicite fondés dans le cas de Peter, sur la race et l'origine nationale ou ethnique et, dans le cas de Trudy, sur la situation de famille. Nous sommes en effet convaincus que parce qu'elle était mariée à Peter qui n'était pas reconnu comme un Mohawk à cause de sa race, Trudy a fait l'objet de discrimination fondée sur sa situation de famille.

À notre avis, l'expression situation de famille figurant au paragraphe 3(1) de la LCDP s'interprète d'une manière suffisamment large pour inclure les situations comme celle-ci où une femme fait l'objet de discrimination à cause de certaines caractéristiques ou de certains attributs de son mari. Ce point de vue a déjà été adopté dans l'arrêt Canada (Solliciteur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.F.), dans lequel la Cour a soutenu qu'il y avait eu pratique discriminatoire contre des femmes auxquelles on avait refusé d'accorder des prestations d'assurance-chômage parce que leur employeur était aussi leur mari ou une entreprise contrôlée par leur mari.

Nous tenons pour un fait que puisque leur nom ne figure pas sur la liste mohawk, Peter, Trudy et leurs enfants se verraient refuser la plupart des services qu'ils pourraient demander dans l'avenir. Nous sommes convaincus qu'il y a eu et qu'il continue d'y avoir un refus d'accès à ces services, ce qui constitue une pratique discriminatoire directe fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique et la situation de famille au sens prévu aux articles 3 et 5 de la LCDP. Parce que les membres de la famille Jacobs ne figurent pas sur la liste mohawk, on refuse dans les faits à cette famille de même demander au MCK les droits, avantages et privilèges que le MCK peut offrir aux autres membres de la collectivité de Kahnawake. Même si dans certains cas, aucune demande officielle n'a été formulée, nous sommes convaincus qu'il y a néanmoins eu discrimination directe, car il nous apparaît clair que le chemin menant à l'exercice de ces droits et à l'obtention de ces avantages et privilèges a été dans les faits bloqué.

On trouvera appui à cette conclusion dans l'arrêt Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Cranston), (1995),192 N.R.125 (C.A.F.). Dans cette affaire, certains pilotes et agents de bord du service des vols d'affaires du gouvernement fédéral s'étaient plaints qu'on leur avait refusé un emploi au sein du ministère de la Défense nationale au moment où la responsabilité de leur service a été transférée à ce ministère. Ils avaient été informés qu'ils ne pouvaient être embauchés parce que nombre d'entre eux avaient dépassé l'âge obligatoire de la retraite en vigueur dans les Forces armées. Par conséquent, les plaignants dans cette affaire qui ont par la suite allégué qu'il y avait eu discrimination fondée sur l'âge, n'avaient pas initialement demandé de mutation.

Compte tenu de ces circonstances, la Cour d'appel fédérale a soutenu qu'une demande d'emploi réelle n'était pas un préalable obligatoire et que la commission d'un acte discriminatoire n'exigeait pas qu'il y ait eu demande officielle et rejet officiel subséquent. La Cour a soutenu que le gouvernement avait créé un facteur de dissuasion qui lui interdisait d'invoquer tout argument fondé sur le défaut des plaignants de présenter une demande. (Voir également Hill c. Misener, (1997), 28 C.H.R.R. D/355 à D/361, nos 60 et 61.)

Le MCK a aussi fait valoir qu'il n'y avait pas eu infraction à l'article 5 de la Loi parce que les services censément refusés n'étaient pas destinés au public au sens prévu dans cet article de la Loi. Le MCK a aussi soutenu que dans cette affaire, le mot public devait être interprété comme signifiant les Mohawks de Kahnawake qui répondent aux critères d'appartenance établis dans la Loi mohawk de 1984 et dont les noms figurent sur la liste mohawk . À l'appui de cette prétention, le MCK fait valoir qu'il appartient à la collectivité de Kahnawake de décider du sens de l'expression public et non pas au gouvernement fédéral ni à ce Tribunal.

Le MCK fait valoir que le gouvernement fédéral lui-même a reconnu ce sens plus étroit du mot public en ce qui concerne la prestation des services et des avantages financiers destinés aux Mohawks de Kahnawake en concluant avec le MCK des ententes de mode optionnel de financement et de transfert financier (pièces HR-30, HR-31 et R-37). Le MCK soutient qu'en concluant ces ententes le gouvernement reconnaissait que le droit à ces services et avantages serait fondé sur les critères d'appartenance fixés dans la Loi mohawk de 1984. Il soutient aussi qu'en promulguant le décret ministériel du 27 mai 1992 qui autorise la bande de Kahnawake à procéder aux élections du Mohawk Council of Kahnawake en vertu de son propre règlement (Regulations Governing the Mohawk Council of Kahnawake Elections, pièce R-29), le gouvernement fédéral a ipso facto accepté que le droit de vote à ces élections soit fondé sur les critères d'appartenance énoncés dans la Loi mohawk.

Nous sommes pourtant de l'avis qu'il appartient à ce Tribunal, et non pas au gouvernement fédéral ni au MCK, d'établir le sens du mot public tel qu'énoncé à l'article 5 de la LCDP. Le Tribunal juge valide l'argument de la Commission et des plaignants selon qui chaque service a son propre public . Dans l'affaire qui nous occupe, nous sommes d'avis que le mot public désigne les personnes résidant habituellement sur le territoire de Kahnawake et à qui étaient destinés les fonds rendus disponibles par le gouvernement fédéral en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens ou tel qu'établi dans tout accord financier. Comme les fonds en question viennent du Trésor fédéral, le gouvernement fédéral est habilité à décider des critères d'admissibilité permettant d'établir à qui ces fonds devraient bénéficier. Nous rejetons l'argument du MCK suivant lequel ce dernier posséderait le droit exclusif d'établir ses propres critères d'admissibilité conformément aux critères d'appartenance fondés sur l'ascendance et la pureté du sang stipulés dans la Loi mohawk de 1984.

Ce point de vue est confirmé par un certain nombre d'autorités judiciaires. Dans l'arrêt University of British Columbia c. Berg, [1993] 2 R.C.S. page 353, la Cour suprême du Canada s'est intéressée à cette question dans le cadre d'une affaire où on avait refusé à Mme Berg, une étudiante au programme de maîtrise à l'École des sciences de la famille et de la nutrition de l'université de la Colombie-Britannique, une feuille d'évaluation et une clé pour pénétrer à l'intérieur de l'immeuble de la faculté parce qu'elle souffrait d'un handicap mental. L'université avait soutenu que le fait de fournir une clé ou une feuille d'évaluation ne constituait pas un service destiné au public . Si des clés avaient été fournies à tous les étudiants de maîtrise du programme, celles-ci n'étaient pas distribuées au public en général.

Bien que cette affaire porte sur l'interprétation d'un article de la Human Rights Act de la Colombie-Britannique, l'esprit et la lettre de cet article sont conformes à l'article 5 de la LCDP. En refusant de définir la notion de public en fonction d'une analyse quantitative, le juge en chef Lamer a énoncé ce qui suit à la page 383 de l'arrêt :

Je rejetterais donc toute définition du mot public qui refuse de reconnaître qu'un logement, des services ou des installations ne seront toujours offerts qu'à un sous-ensemble du public. Les étudiants admis à une université ou à une école au sein de l'université, [...] deviennent le public en ce qui concerne ces services. Chaque service a son propre public et, une fois que ce public a été défini au moyen de critères d'admissibilité, la Loi interdit d'établir des distinctions au sein de ce public. [Nous soulignons.]

La Cour a donc choisi une analyse relationnelle plutôt que quantitative pour définir le sens du mot public . Elle a adopté à cet égard l'approche de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt Saskatchewan (Human Rights Commission) v. Saskatchewan (Department of Social Services), [1988] 5 W.W.R. 446. Dans cet arrêt, la Cour citait avec approbation un extrait d'un article du professeur Donna Greschner intitulé Why Chambers is Wrong : A Purposive Interpretation of 'Offered to the Public' (1988), 52 Sask. L. Rev. pages 161 à 182. Dans cet extrait, le professeur faisait valoir ce qui suit :

[Traduction]

... une interprétation téléologique de l'article 12 permettrait de définir la notion de public non pas en termes quantitatifs, comme le conseil en chambre l'a fait, mais en termes relationnels. Ce sur quoi l'article 12 porte, c'est-à-dire son objet, est la réglementation de relations particulières entre membres de la collectivité saskatchewannaise et entre les membres de cette collectivité et leur gouvernement ... Si nous lisons dans sa totalité la phrase comme parlant d'une relation, nous interpréterions alors le mot public en termes relationnels : le public est ce groupe avec lequel le proposant entretient une relation publique. [Nous soulignons. Les italiques étaient dans le texte original.]

La Cour suprême du Canada a donc adopté cette démarche relationnelle et a souscrit aux conclusions du professeur Greshner en formulant le commentaire suivant sur l'arrêt Saskatchewan :

...que tous les services ou toutes les installations offerts par un gouvernement devraient être considérés comme des services ou des installations offerts au public.....(p. 385)

Cette démarche a aussi été adoptée par la Cour fédérale du Canada, Section de première instance, et par le Tribunal des droits de la personne dans l'arrêt MacNutt et autres c. Commission canadienne des droits de la personne et le Chef et le Conseil de bande de la bande d'Indiens Shubenacadie et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Cour fédérale, Section de première instance, 30 octobre 1997, T-2358-95 et décision du T.D.P., D.T. 14/95 rendue le 11 octobre 1995, respectivement; McKenna c. Commission canadienne des droits de la personne et ministère du Secrétariat d'État, Tribunal des droits de la personne, D.T. 18/93, décision rendue le 8 octobre 1993, révisée pour d'autres motifs [1995] 1 F.C.R. 694; et Canada (Procureur général) c. Rosin (C.A.), [1991] 1 F.C.R. 391 (C.A.) 391 aux pages 396 à 403.

En ce qui concerne les arguments du MCK selon lesquels le gouvernement fédéral lui-même aurait restreint le sens du mot public en concluant des ententes de mode optionnel de financement et de transfert financier et en permettant à la collectivité de Kahnawake de procéder aux élections de son conseil conformément à son propre règlement et à ses propres critères d'appartenance, il convient d'apporter quelques explications supplémentaires.

Penchons-nous d'abord sur les accords de financement. Il semble qu'en juin 1990, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le Ministre) ait conclu une entente de mode optionnel de financement d'une durée de trois ans avec le MCK en vertu de laquelle il acceptait de transférer au MCK des fonds publics qui devaient par la suite servir à offrir tout un éventail de programmes et de services décrits dans l'entente (pièce HR-30). Les ultimes bénéficiaires de ces avantages étaient décrits d'une multitude de manières dans les textes des accords et notamment comme les personnes ... résidant ordinairement sur la réserve ... les personnes ayant le statut d'Indien ou les Indiens visés par un traité vivant sur (la réserve) , les résidents de (la réserve/des terres reconnues par le Ministre) . Une deuxième entente de mode optionnel de financement de trois ans a été conclue en juin 1993 (pièce HR-37). Il semble que cette nouvelle entente avait pour objet de procurer des avantages au même groupe de personnes. En vertu de ces deux ententes, le MCK était tenu de fournir des renseignements au Ministre afin que celui-ci puisse tenir à jour son registre des Indiens.

Finalement, conformément à une entente de transfert financier conclue au cours de la période de trois ans commençant le 1er avril 1996 (pièce R-37), et dont la teneur était similaire à celle des deux ententes l'ayant précédée, le mot résident ou membre de la bande était défini et devait être interprété de la manière suivante :

[TRADUCTION]

" ... de la même manière qu'il l'était dans l'entente de mode optionnel de financement précédente. Il est reconnu que le Mohawk Council of Kahnawake procède actuellement à l'élaboration d'une loi communautaire afin de régir l'appartenance à la collectivité et que ce processus exige la tenue de consultations globales au sein de la collectivité. Lorsque cette loi communautaire aura été acceptée par les deux parties, la définition pourrait être ajustée à la suite de négociations entre celles-ci. "

Nous sommes convaincus que lorsque Trudy a présenté sa demande en vue d'obtenir un prêt à taux d'intérêt réduit en 1991 et que lorsque Peter a demandé une subvention pour la construction de ses installations d'aqueduc et d'égout en 1992, tous deux étaient des personnes qui résidaient ordinairement sur la réserve , des personnes ayant le statut d'Indien ou des Indiens en vertu d'un traité vivant sur (la réserve) ou des résidants (de la réserve ou de terres reconnues par le Ministre) et que par conséquent, ils appartenaient au groupe de bénéficiaires visés par l'entente de mode optionnel de financement applicable. À cette fin, le mot public est le groupe décrit dans l'entente de mode optionnel de financement comme ayant droit à un avantage donné. À notre avis, cette interprétation est conforme à l'intention du gouvernement de voir ces personnes bénéficier de fonds publics.

Nous avons déjà relaté les faits liés au transfert par AINC au MCK des mécanismes de contrôle sur les élections au Conseil de bande en vertu d'un décret ministériel daté du 27 mai 1992 (voir page 5 ci-dessus). En ce qui concerne la définition du public bénéficiant d'un droit de vote et du droit de solliciter ou d'occuper une charge publique dans l'avenir, nous sommes convaincus que dans ce cas, le mot public possède un sens plus restreint que dans le cas du droit aux avantages et aux services fournis à même les fonds publics. Nous en sommes venus à la conclusion qu'en ce qui concerne le droit de voter et le droit de solliciter ou d'occuper une charge publique aux élections du Conseil de bande, la notion de public se limite aux personnes habilitées à voter et à solliciter ou occuper une charge publique conformément au Regulations Governing the Mohawk Council of Kahnawake Elections du 21 mai 1990 (pièce R-27) et au décret ministériel de 1992 (pièce R-29). Peter et Trudy sont tous deux exclus de ce groupe.

Lorsque Trudy a tenté de voter en 1990, le décret ministériel n'avait pas encore été promulgué et donc, à cette époque, le fait de lui refuser le droit de voter constituait un acte discriminatoire.

Nous reviendrons sur la question du décret ministériel et des ententes de mode optionnel de financement et de transfert financier dans la présente décision, au moment de traiter de la défense soulevée par le MCK en vertu de l'article 67 de la LCDP.

Finalement, nous devons répondre à notre première question par l'affirmative, sauf en ce qui concerne le droit de Peter et de Trudy de voter ou de solliciter une charge publique dans toute élection future au MCK.

C. LA DÉFENSE DE MOTIF JUSTIFIABLE

QUESTION NO 2 - SI LA RÉPONSE À LA QUESTION 1 EST AFFIRMATIVE, LES ACTES DISCRIMINATOIRES PEUVENT-ILS ÊTRE EXPLIQUÉS PAR UN MOTIF JUSTIFIABLE AU SENS DU PARAGRAPHE 15(G) DE LA LCDP?

Puisqu'une preuve primae facie de discrimination a été établie, il incombe maintenant à l'intimé, suivant la prépondérance des probabilités, d'établir une défense de motif justifiable, soit de démontrer qu'elle avait un motif justifiable pour commettre les actes qui lui sont reprochées.

L'intimé fait valoir que dans cette affaire, les pratiques qui lui sont reprochées étaient justifiables parce qu'il était nécessaire pour la collectivité de Kahnawake de définir ses propres critères d'appartenance et d'exercer un contrôle sur leur application en adoptant le moratoire de 1981 et en promulguant la Loi mohawk de 1984 afin, premièrement, d'assurer la survie de Kahnawake en tant que collectivité mohawk culturellement distincte et deuxièmement, afin de protéger les assises territoriales plutôt limitées de la collectivité. Le MCK avance que la justification du moratoire et de la Loi mohawk est apparente à la face même de ces documents (pièces HR-2 et HR-3).

Il n'y a aucun litige entre les parties à savoir quel critère doit servir à la résolution de cette question. Ce critère est le même que celui proposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, précité, à la page 207, au moment de considérer la défense d'exigence professionnelle justifiée (E.P.J) dans les affaires d'embauche : Pour constituer une exigence professionnelle réelle (ou normale), une restriction (...) doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère (...) et non pas pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire...

Il est reconnu que ce critère comporte deux éléments : un élément subjectif et un élément objectif. Pour qu'une défense de ce genre soit concluante, les deux éléments en question doivent être démontrés. Bien que ce critère ait été développé dans le contexte d'affaires liés au marché du travail, les cours de justice ont de manière constante tenu pour semblable la notion d'exigence professionnelle justifiée et celle de motif justifiable, même si la première expression est utilisée dans le contexte du marché du travail, tandis que la deuxième est utilisée dans les autres situations. (voir Canada (Procureur général) c. Rosin, précitée, à la page. 408; et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S., page 489)

Nous amorcerons l'analyse de cette défense par un examen plus approfondi du témoignage du grand chef Norton, du professeur Alfred et du professeur Dickson-Gilmore.

Il découle clairement de ces témoignages que le moratoire de 1981 et la Loi mohawk de 1984 constituaient l'aboutissement de nombreuses années de discussion au sein de la collectivité. Le processus ayant mené à la décision d'exercer un contrôle sur l'appartenance à la collectivité a été décrit dans la présente décision aux pages 7 à 15. Malgré la tenue de nombreuses assemblées et discussions avant l'adoption du moratoire et la promulgation de la Loi mohawk, peu de gens ont dans les faits participé. Il existait également une division très nette au sein de la collectivité à savoir sur quels critères l'appartenance devait être fondée. Toutefois, il est évident qu'il y avait (et qu'il continue d'y avoir) une unanimité quasi virtuelle quant au besoin de la collectivité d'exercer un contrôle sur sa propre appartenance. Le moratoire et la Loi mohawk n'auraient certainement pas pu se matérialiser autrement.

Le fait qu'un nombre croissant de non-Mohawks résidaient au sein de la collectivité suscitait des craintes et des préoccupations au sein de celle-ci, principalement à cause des mariages mixtes et du fait que ceux-ci menaçaient la culture, les traditions et la langue du peuple mohawk. On s'inquiétait aussi de l'insuffisance des assises territoriales de la réserve pour héberger tous ces gens puisque l'appartenance à la collectivité incluait le droit à un terrain pour y construire une maison.

La preuve établit qu'au début des années quatre-vingts, la collectivité de Kahnawake émergeait d'une longue période d'érosion culturelle. Il y avait eu un déclin général du réseau de clans traditionnels, et la langue et les traditions ancestrales étaient en voie de se perdre. Même si la collectivité comptait bien certains traditionalistes comme Peter et Trudy, Kenneth Deer et Mark McComber (qui sont tous venus témoigner), de manière générale, l'identité culturelle était en voie de se perdre complètement. Les traditionalistes rejetaient l'autorité du MCK parce qu'il avait été créé par la Loi sur les Indiens. Ainsi, de manière bien réelle, ce sont peut-être les traditionalistes qui ont résisté avec le plus d'acharnement aux contrôles exercés de l'extérieur. Toutefois, selon le grand chef Norton et le professeur Dickson-Gilmore, la collectivité s'emparait au même moment des leviers de commande du MCK afin d'en faire un véhicule de changement pour le retour aux valeurs traditionnelles. Les deux groupes visaient donc le même objectif, mais préconisaient des méthodes différentes.

Selon le grand chef Norton, on a atteint en 1979 un point décisif lorsque le MCK a reçu de la collectivité la directive de consacrer désormais ses efforts à favoriser un retour de la collectivité à un mode de vie plus traditionnel, de s'efforcer d'échapper aux contrôles exercés en vertu de la Loi sur les Indiens et de récupérer les leviers de commande sur sa propre destinée.

Le professeur Alfred a situé dans son contexte le débat sur l'appartenance à la collectivité. À son avis, les mesures prises à Kahnawake (l'adoption du moratoire et la promulgation de la Loi mohawk) ont constitué les premières étapes vers l'affirmation d'une identité politique qui, bien que distincte des structures coloniales existantes, s'intégrait néanmoins dans le cadre canadien. Ce mouvement s'inscrivait dans un effort en vue de mettre fin à l'état de dépendance dans lequel la collectivité se trouvait et de lui permettre d'affirmer son droit à l'autodétermination en exerçant des pouvoirs administratifs plus grands.

Selon le professeur Alfred, il y avait alors et il y a toujours un consensus au sein de la collectivité sur la nécessité d'éliminer les systèmes étrangers régissant plus particulièrement l'appartenance à la collectivité mohawk et le territoire. À son avis, le contrôle sur les mécanismes permettant d'établir l'appartenance à la collectivité et le droit de la collectivité de définir qui est un Mohawk sont deux facteurs essentiels à la renaissance d'une collectivité centrée sur les valeurs traditionnelles. À cet égard, l'ascendance et la pureté du sang sont des éléments importants et ont toujours constitué des critères d'identification. Si la pureté du sang ne constitue pas un critère reconnu d'un point de vue historique, le professeur Alfred est néanmoins convaincu qu'une règle d'appartenance fondée sur ce critère est nécessaire en ce moment.

Avec l'aide du professeur Alfred, la collectivité de Kahnawake procède actuellement à un examen de la situation de tous ses membres. De cet examen est issu un nouvel avant-projet de règlement fixant les critères d'appartenance à la collectivité (pièce HR-24). En fait, selon le témoignage de Kenneth Deer, éditeur et rédacteur en chef du journal communautaire, le débat sur cette question litigieuse est toujours en cours au sein de la collectivité. Le professeur Alfred estime que l'examen sur l'appartenance au peuple Mohawk des personnes vivant actuellement sur la réserve contribuera au bout du compte à la reconnaissance de personnes comme Peter comme membres à part entière de la collectivité. Toutefois, il croit également que cela ne se produira que lorsque la collectivité aura acquis sur le plan culturel suffisamment de confiance et de maturité pour accepter les enfants non-indiens adoptés. D'ici là, il est d'avis que la collectivité devrait être libre de décider elle-même de ces questions et qu'il n'appartient ni au gouvernement ni à ses organismes pas plus qu'aux cours de justice ou aux tribunaux de le faire.

Outre les facteurs culturels et la fragilité de ses assises territoriales, un certain nombre d'autres facteurs contribuent aussi à la vulnérabilité de Kahnawake. Le Territoire de Kahnawake est situé sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, à environ 15 minutes d'automobile du centre-ville de Montréal. Ce territoire couvre 13 282 acres. Selon le témoignage de Shari Lahache, administrateur de la citoyenneté du MCK, la liste d'AINC compte actuellement le nom de 8 535 personnes pour Kahnawake, tandis que la liste mohawk ne compte que 6 173 noms. Selon le témoignage du grand chef Norton, environ 6 500 personnes vivraient actuellement sur le Territoire.

Kahnawake est traversée par des autoroutes et des voies ferrées et sa limite nord longe la Voie maritime du Saint-Laurent. La réserve est reliée à l'île de Montréal par le pont Mercier, ce qui amène environ 85 000 véhicules par jour à traverser le territoire de la réserve. Celle-ci est entourée de toutes parts par une population francophone et anglophone importante dont la culture et la langue sont distinctes de celles des résidents de Kahnawake.

Valerie Norton, conseillère en gestion foncière du MCK, a déclaré à la barre des témoins qu'il ne restait plus que 1 600 acres de terrains non attribués sur le territoire, dont 300 acres sont réservés à des utilisations commerciales. En vertu des règles actuelles, les membres de la collectivité dont le nom figure sur la liste mohawk et qui ne sont pas propriétaires d'un terrain ont le droit de demander une subvention pour acquérir un lot d'une superficie d'un quart d'acre afin d'y construire une résidence.

Sur la foi des témoignages que nous avons entendus, nous sommes tout à fait convaincus qu'en ce qui concerne l'élément subjectif du critère, l'intimé est parvenu à démontrer un motif justifiable. En fait, la Commission et les plaignants eux-mêmes semblent concéder que tel est le cas. Nous en venons donc à la conclusion qu'en appliquant les critères d'appartenance énoncés dans le moratoire de 1981 et dans la Loi mohawk de 1984, l'intimée a agi de manière honnête, de bonne foi et avec la conviction sincère que ces critères étaient nécessaires afin d'assurer la survie de Kahnawake en tant que collectivité mohawk culturellement distincte et afin de protéger ses assises territoriales restreintes. Bien qu'on ait laissé entendre qu'il y avait eu absence de bonne foi parce que les critères étaient appliqués différemment d'une personne à l'autre, nous rejetons entièrement cette affirmation. À notre avis, l'application de ces critères ne s'explique par aucun motif ultérieur ou étranger et le MCK n'avait certainement aucune intention de se venger des Jacobs ou de leur faire subir un traitement défavorable particulier.

En ce qui concerne l'application de l'élément objectif du critère, la situation est plus problématique. Ce critère a été élaboré dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin, précité, à la page 409, où le juge en chef Linden, parlant au nom de la Cour d'appel fédérale a affirmé ce qui suit :

[...] Il ne suffit pas de s'appuyer sur des présomptions et sur le soi-disant bon sens; pour établir la nécessité de la règle discriminatoire, une preuve convaincante et, si nécessaire, une preuve d'expert est nécessaire pour l'établir suivant la prépondérance des probabilités. Sans cette exigence, la protection offerte par les lois en matière de droits de la personne serait effectivement vide de sens. Par conséquent, il est nécessaire, pour justifier une discrimination directe à première vue, de démontrer qu'elle a été faite de bonne foi et qu'il était raisonnablement nécessaire de le faire, ce qui constitue à la fois un critère subjectif et objectif. [...]

(Voir aussi l'arrêt Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.S.C., pages 279 à 311.)

Peut-on dire que le fait de promulguer le moratoire et la Loi mohawk qui nient à Peter et à Trudy (ou aux personnes dans la même situation qu'eux) le droit aux services et aux avantages qu'ils ont demandés ou qu'ils pourraient demander dans l'avenir est raisonnablement nécessaire et requis afin d'assurer la survie de Kahnawake en tant que collectivité mohawk culturellement distincte et afin de protéger ses assises territoriales restreintes? Peut-on dire que la promulgation du moratoire et de la Loi mohawk, qui nient à Trudy le droit de voter, est raisonnablement nécessaire et requise afin de protéger ces mêmes valeurs?

Nous ne croyons pas que tel est le cas. Peter et Trudy ont été élevés dans le respect des valeurs mohawks. Ils adhèrent aux traditions et aux valeurs mohawks. Peter peut s'exprimer dans la langue mohawk même s'il ne la parle pas couramment. Trudy est une femme mohawk. Leurs enfants sont élevés comme des Mohawks et fréquentent une école d'immersion mohawk. Peter est déjà propriétaire d'un terrain sur le territoire de la réserve et y a construit le domicile familial. En maintenant son intention de faire valoir sa plainte au cours des sept dernières années, Peter a démontré une volonté ferme et résolue d'appartenir à la collectivité de Kahnawake et d'y contribuer comme tous les autres Mohawks. Que Peter et Trudy puissent raisonnablement être considérés comme une menace à la culture mohawk au motif qu'ils n'appartiennent pas à la collectivité ou comme une menace aux assises territoriales de la réserve ou à ses ressources foncières est tout simplement injustifiable.

De plus, afin que le MCK puisse satisfaire à l'élément objectif du critère lié au motif justifiable, il doit démontrer que la pratique discriminatoire alléguée est fondée ...sur une pratique solidement fondée et reconnue [...] et [qu'il] n'existe pas d'autre solution pratique (voir Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne), précité, à la page 342).

Nous avons entendu de nombreux témoignages (dont certains étaient contradictoires) particulièrement ceux du professeur Dickson-Gilmore et du professeur Alfred et, dans une certaine mesure, celui de Mark McComber, en ce qui concerne la manière dont le peuple mohawk a toujours eu comme tradition d'adopter des personnes non-indiennes et de les traiter ensuite comme des membres à part entière de la collectivité, sauf en ce qui concerne le droit d'occuper une charge publique. Nous ne pouvons cependant conclure sur la foi des témoignages entendus qu'il y avait une pratique reconnue de dépouiller ces personnes de leurs droits et avantages, sauf peut-être de leur droit de voter et d'occuper une charge publique.

Si nous acceptons qu'il puisse exister des motifs justifiables d'établir l'appartenance à la collectivité en prenant en considération la lignée et la pureté du sang des personnes en cause, nous ne sommes pas pour autant convaincus que les objectifs légitimes de la collectivité ne peuvent être atteints si des personnes non-indiennes qui ont été adoptées au cours de leur petite enfance et élevées comme des Mohawks, aussi bien sur le plan culturel que linguistique et autre, sont intégrées à cette collectivité.

Sur la question à savoir s'il existait d'autres solutions pratiques au sens mentionné dans l'arrêt Zurich, le MCK ne nous a pas convaincus qu'il n'en existait pas. La CCDP a avancé que les non-Indiens adoptés par des Indiens en vertu de la loi provinciale ou de la loi traditionnelle autochtone constituent un groupe qu'il vaudrait la peine d'inclure à la collectivité en élargissant les critères d'appartenance. Il se peut que cela soit vrai, mais il ne nous appartient pas de dicter quelles pourraient être les solutions de rechange pratiques au problème qui nous a été soumis. Ces questions sont actuellement étudiées à Kahnawake par un groupe de travail sur l'appartenance à la collectivité.

Le professeur Alfred a déclaré en témoignage que la société mohawk se définit par une appartenance culturelle, une langue et un ensemble de comportements, y compris la participation aux rituels. L'appartenance à cette société est aussi fondée sur l'ascendance, sur la lignée. Il nous semble que Peter et Trudy et les personnes se trouvant dans la même situation qu'eux peuvent prétendre avec succès appartenir à la collectivité mohawk en invoquant cette définition. Toutefois, en dernier recours, il appartient à la collectivité de décider de ces questions.

L'intimé fait valoir que ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais plutôt l'effet global que pourrait avoir sur la collectivité l'exercice des droits, avantages et privilèges consentis aux Mohawks par Peter et Trudy et peut-être par d'autres personnes dans une situation similaire. L'intimé avance que les conséquences d'une telle démarche pourraient être graves, notamment sur le plan économique. À notre avis, la crainte qu'un nombre excessif de personnes puissent chercher à obtenir des droits, avantages et privilèges similaires ne constitue pas une défense acceptable contre des accusations de discrimination. (Voir Raphael c. CCDP et Conseil des Montagnais du Lac Saint-Jean, T.D.P. D.T. 10/95, 9 juin 1995, aux pages 39 et 40.)

De plus, il n'appartient pas à ce Tribunal de trancher des questions hypothétiques. Notre responsabilité se limite plutôt à examiner les plaintes dont nous sommes saisis. Même si la collectivité estime que les mesures prises pour contrôler de manière générale l'appartenance sont raisonnablement nécessaires parce qu'elles visent à établir l'équilibre entre des intérêts divergents, parce qu'elles prévoient des mécanismes d'intégration et de réintégration, parce qu'elles ont été diffusées et qu'elles ont fait l'objet de révisions et d'examens périodiques, nous ne sommes pas convaincus pour autant que l'exclusion de Peter et de Trudy et de leurs enfants et des autres personnes dans la même situation inhabituelle qu'eux de la collectivité en leur ôtant la possibilité de se prévaloir des droits, avantages et privilèges offerts aux autres résidents de Kahnawake était raisonnablement nécessaire.

Il est aussi important de signaler que selon le témoignage du grand chef Norton, on compte à Kahnawake seulement six autres personnes qui, comme Peter, sont des non-Indiens ayant été adoptés pendant qu'ils étaient encore bébés par un couple d'autochtones. Nous n'avons entendu aucun élément de preuve établissant combien de ces personnes sont mariées à des femmes mohawks et combien sont propriétaires de leur propre terrain à Kahnawake. Par conséquent, il nous est impossible d'établir combien de femmes se trouvent dans la même situation que Trudy. Nous n'avons pas à nous prononcer dans cette affaire sur le droit général aux avantages des femmes mohawks qui ont marié des hommes non-indiens qui ne sont pas des enfants adoptés.

Compte tenu de ce qui précède, l'intimé a fait défaut d'établir une défense de motif justifiable au vu des circonstances en cause et nous devons donc répondre négativement à la deuxième question.

D. ARTICLE 67 DE LA LCDP

QUESTION NO 3 - SI LA RÉPONSE À LA QUESTION 1 EST AFFIRMATIVE, LES ACTES DISCRIMINATOIRES ÉCHAPPENT-ILS À TOUT EXAMEN EN VERTU DE LA LCDP CONFORMÉMENT AUX DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 67 DE LA LOI AU MOTIF QU'ILS ONT ÉTÉ POSÉS CONFORMÉMENT À UNE DISPOSITION PRISE EN VERTU DE LA LOI SUR LES INDIENS?

Pour nous, la question juridique la plus difficile à trancher dans toute cette affaire est celle de la défense invoquée par l'intimé en vertu de l'article 67 de la LCDP. L'argument invoqué est que les services refusés à Peter et à Trudy et tous ceux qui pourraient leur être refusés dans l'avenir ainsi que le refus passé et futur d'accorder un droit de vote à Trudy l'ont été et le seront conformément à des dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens et échappent donc au champ d'application de la LCDP. Les dispositions mentionnées par l'intimé sont nommément les ententes de mode optionnel de financement et de transfert financier de 1990, 1993 et 1996 (pièces HR-30, HR-31 et R-37) ainsi que le décret ministériel de 1992 (pièce R-29) dont il a déjà été question précédemment.

D'entrée de jeu, il importe de souligner que le décret ministériel de 1992 n'était pas en vigueur lorsque Trudy a tenté de voter en 1990 et que donc, la question relative à son droit de vote n'est pertinente que dans la mesure où elle entend exercer ce droit dans l'avenir. En ce qui concerne Trudy et Peter, il appert que l'entente de mode optionnel de financement de 1990 était en vigueur lorsqu'ils ont respectivement demandé un prêt à faible taux d'intérêt en 1991 et une subvention afin de procéder à la construction d'installations d'aqueduc et d'égout en 1992 pendant la construction de leur maison. Cette question est pertinente aussi bien à l'égard des refus passés que des éventuels refus à venir. Cependant, comme ni Peter ni Trudy ne demandent de réparations d'ordre pécuniaire en ce qui concerne les refus passés, la défense invoquée vise surtout toute demande qui pourrait être effectuée à l'avenir par les plaignants, en leur nom ou au nom de leurs enfants, afin d'obtenir les droits, avantages et privilèges visés par ces ententes et qui sont habituellement offerts aux résidents de Kahnawake.

La question primordiale à laquelle il faut répondre est la suivante : l'article 67 de la LCDP s'applique-t-il compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire. L'article 67 se lit comme suit :

67. La présente Loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi.

Il nous semble clair que cet article de la Loi a pour objet d'empêcher que les caractéristiques intrinsèquement discriminatoires de la Loi sur les Indiens puissent être soumises à l'examen du Tribunal. En effet, à défaut d'une telle disposition dans la LCDP, tous les non-Indiens pourraient prétendre que leurs droits fondamentaux ont été violés puisqu'ils ne sont pas admissibles aux nombreux avantages consentis aux Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens. De plus, lorsque cet article de la Loi a été promulgué en 1977, les avantages prévus dans la Loi sur les Indiens n'étaient pas offerts aux femmes indiennes mariées à des hommes non-indiens et cette pratique discriminatoire était elle aussi mise à l'abri de tout examen en vertu de la LCDP. Ce n'est qu'en 1985, au moment où le projet de loi C-31 a été adopté, que la Loi sur les Indiens comme telle a été modifiée pour mettre fin à cette pratique.

Par conséquent, à notre avis, cet article de la LCDP visait au moins en partie à empêcher l'application de la Loi dans l'éventualité où des non-Indiens et des Indiens adresseraient des réclamations fondées sur des allégations d'actes discriminatoires posés conformément à une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens, suivant le libellé de l'article 67 à l'époque. Nous en venons donc à la conclusion que cet article s'appliquerait en l'occurrence si les avantages, les droits et les privilèges avaient été refusés à Peter et Trudy conformément à une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens.

Le MCK fait valoir que le refus de permettre que soit déposée une demande pour obtenir un prêt à faible taux d'intérêt et le refus de la subvention pour la construction d'installations d'aqueduc et d'égout découlent tous les deux de dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens, soit les ententes de mode optionnel de financement et les ententes de transfert financier. Le MCK fait aussi valoir que le décret ministériel de 1992 (une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens) a pour effet de retirer à Trudy son droit de vote aux futures élections du MCK.

Penchons-nous d'abord sur la question des ententes de mode optionnel de financement et les ententes de transfert financier dont il a déjà été question aux pages 23 et 24 de la présente décision. Nous sommes convaincus que ces ententes sont bien des dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens, au sens prévu à l'article 67 de la LCDP. Le pouvoir du gouvernement fédéral de conclure de telles ententes émane en effet des articles 3, 61, 62, 63, 64, 65 et 66 de la Loi sur les Indiens. (Voir aussi Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) (Violet Prince), [1995] 3 C.N.L.R., pages 28 à 40, par J. Muldoon.)

La CCDP a cité deux cas de jurisprudence à l'appui de son argument que ces ententes financières n'ont pas été conclues en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans l'affaire Desjarlais c. Bande de Piapot no 75, [1990] 1 C.N.L.R., 39 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a soutenu que le geste posé par le conseil de bande dans cette affaire, soit le congédiement de ses employés, n'avait pas été posé conformément à une disposition, un article ou un règlement établi en vertu de la Loi sur les Indiens. Dans la décision Laslo c. Conseil de bande de Gordon, Tribunal des droits de la personne, no D.T. 12/96, 4 décembre 1996, la bande avait refusé à Mme Laslo un nouveau logement et elle a alors allégué qu'il y avait eu discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille et la race parce qu'elle était mariée à un non-Indien. Le Tribunal des droits de la personne a soutenu que le rejet de la demande de logement dans cette affaire avait été fondé sur l'article 20 de la Loi sur les Indiens et que par conséquent il échappait à la compétence du Tribunal conformément à l'article 67 de la LCDP.

Cependant, la plaignante s'est pourvue en appel devant la Cour fédérale et la décision de cette cour de justice a été portée à notre connaissance après l'audition des arguments verbaux. Nous avons donné l'opportunité aux procureurs de nous remettre des mémoires écrits sur la décision de la Cour fédérale, mais ceux-ci ont choisi de ne pas le faire. M. le juge Gibson de la Cour fédérale, Section de première instance (dossier T-4-97, 30 décembre 1997) a renversé la décision du Tribunal des droits de la personne et soutenu que le refus des avantages à Mme Laslo n'émanait pas d'une ou plusieurs décisions du conseil de bande prises conformément à une disposition ou une autre prise en vertu de la Loi sur les Indiens, mais plutôt d'autres facteurs non présents dans l'affaire en cause. Dans l'affaire Laslo, aucune preuve n'avait été produite pour démontrer l'existence d'ententes financières similaires à celles qui existent à Kahnawake.

La décision Desjarlais se distingue aussi de l'affaire ici en cause sur le plan des faits puisque comme dans l'affaire Laslo, aucune preuve n'a été produite démontrant l'existence d'ententes financières similaires à celles qui existent à Kahnawake.

Puisque nous en sommes venus à la conclusion que les ententes en question constituent des dispositions prises en vertu de la Loi sur les Indiens au sens prévu à l'article 67 de la LCDP, il nous reste maintenant à établir si ces ententes ont pour effet de permettre au MCK de maintenir sa pratique discriminatoire consistant à refuser à la famille Jacobs les droits, avantages et privilèges litigieux.

Nous en sommes venus à la conclusion que les ententes en question ne procurent pas, en soi, au MCK le pouvoir de refuser aux Jacobs les droits, avantages et privilèges contestés. Le MCK fait valoir qu'en concluant ces ententes, le Ministre a de facto accepté les critères d'appartenance établis conformément au moratoire de 1981 et à la Loi mohawk de 1984 et que par conséquent, il a accepté le droit de la collectivité de Kahnawake et de son conseil de bande de refuser ces services, avantages et droits aux membres de la famille Jacobs, compte tenu qu'ils ne répondent pas aux critères d'appartenance énoncés précédemment.

Nous sommes d'avis qu'aucune disposition des ententes invoquées ne reconnaît clairement ces critères d'appartenance. Il nous semble plutôt que les ententes exigent du MCK qu'il offre les services, avantages et privilèges qui y sont prévus à toutes les personnes dont le nom figure sur la liste de bande de AINC et qui résident de manière habituelle à Kahnawake. L'intention clairement exprimée dans les ententes de mode optionnel de financement et les ententes de transfert financier de 1996 est que celles-ci doivent bénéficier aux mêmes personnes que celles qui bénéficiaient des avantages prévus dans les accords précédents. Or, pour la plupart, il s'agit des personnes qui résident habituellement à Kahnawake. Il est reconnu dans ces ententes que de nouvelles lois communautaires sur l'appartenance sont à l'étude et que les définitions existantes pourraient donc être corrigées dans l'avenir, mais après des négociations entre AINC et le MCK.

En vertu de la clause SS3 de l'entente de transfert financier de 1996 (pièce R-37), une liste de politiques doivent être appliquées par le MCK afin de répondre aux exigences minimales du programme énoncées dans l'accord. À la rubrique Mohawk Council of Kahnawake Guidelines for Chief and Council ( Lignes directrices relatives au Mohawk Council of Kahnawake à l'intention du chef et du conseil ), il est notamment fait mention du point Membership Policy ( Politique relative à l'appartenance ). Le MCK nous exhorte à conclure que cela revient dans les faits à une reconnaissance par les autorités fédérales des critères d'appartenance énoncés dans la Loi mohawk de 1984 aux fins d'établir l'admissibilité aux services.

Nous en venons plutôt à la conclusion que cette disposition vient en conflit avec la définition 15 de ce même document où on semble reconnaître dans la définition et l'interprétation du mot résident , qu'il s'agit des personnes admissibles aux avantages prévus dans les ententes antérieures dont il a déjà été question précédemment. À notre avis, l'entente de transfert financier de 1996 est trop vague et trop ambiguë pour conclure de manière catégorique qu'elle reconnaît les critères d'appartenance énoncés dans la Loi mohawk de 1984 comme ceux permettant d'établir le droit aux services. Il nous semble que c'est à dessein que le libellé des ententes est vague et ambigu sur cette question. On visait, ce faisant, des fins politiques, conclusion qui nous paraît évidente à la lumière du témoignage de Pierre Lamontagne et de Jean-Guy Fortier.

Pierre Lamontagne, conseiller principal, Services de financement du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC), région du Québec, à qui il incombe de gérer les accords financiers entre le Ministre et le MCK, est venu témoigner pour la Commission. Il a expliqué le rôle joué par AINC dans le financement des services destinés à la collectivité de Kahnawake et le contexte dans lequel ont été conclues les ententes de mode optionnel de financement et les ententes de transfert financier de 1990, 1993 et 1996. Il a décrit l'évolution progressive survenue au cours des dix dernières années ou presque dans les ententes financières entre le Ministre et la collectivité de Kahnawake, processus qui a eu pour issue la conclusion de l'entente de transfert financier de 1996. Au fil de ce processus, on a accordé de plus en plus de responsabilités au MCK dans la gestion et la prestation des programmes, y compris dans la distribution des fonds. AINC s'est donc progressivement retiré de ces activités (pièce HR-27). Au sujet de l'entente de 1996 conclue avec le MCK, M. Lamontagne a déclaré qu'il était impossible d'aller plus loin sans contrevenir à la Loi sur les Indiens et sans accorder une autonomie absolue à la collectivité de Kahnawake.

Il est donc clair que le Ministre a confié des responsabilités considérables au MCK en ce qui concerne la prestation des services prévus dans cette entente et qu'il ne souhaite pas s'interposer dans les décisions prises par le MCK. Lorsqu'une personne s'estime lésée parce qu'elle juge ne pas recevoir les services auxquels elle estime avoir droit, elle doit donc en appeler au MCK plutôt qu'à AINC.

Le témoignage de M. Lamontagne a été corroboré par celui de M. Jean-Guy Fortier, directeur régional, Services fonciers et fiduciaires de AINC pour la région du Québec et responsable de l'administration des ententes avec les bandes indiennes dans la province. M. Fortier a exprimé de manière très claire que lorsque le MCK refusait d'accorder des services à une personne dans la situation de Peter, et que celle-ci s'adressait à AINC afin d'obtenir ces mêmes services du Ministère, elle recevait nécessairement une fin de non-recevoir et était tout simplement priée de s'adresser au MCK. Si le MCK persiste dans son refus, cette personne, en l'occurrence Peter, ne dispose d'aucun autre recours. Il est aussi clair que AINC est au courant des critères d'appartenance actuellement appliqués à Kahnawake et que le Ministère a néanmoins choisi de ne pas s'en mêler, même si Peter possède le statut d'Indien en vertu de la Loi sur les Indiens et qu'il réside sur un territoire indien et qu'il a par conséquent droit aux avantages consentis dans le cadre des programmes financés par AINC en vertu de la Loi.

Bien que l'on puisse comprendre la situation politique qui prévaut à Kahnawake, à notre avis, AINC n'assume pas ses responsabilités légales en refusant d'aider Peter et sa famille. Toutefois, AINC n'est pas partie à ces procédures et n'a certainement pas à répondre devant ce Tribunal de sa conduite.

Nous en sommes venus à la conclusion que si les ententes de mode optionnel de financement et l'entente de transfert financier viennent bien près de reconnaître les critères d'appartenance établis dans la Loi mohawk de 1984, elles ne le font pourtant pas. Par conséquent, les actes discriminatoires consistant à avoir refusé dans le passé des services à Peter et à Trudy et à continuer de leur refuser ces services à eux et et à leurs enfants dans l'avenir ne sont pas exonérés de tout examen en vertu de la LCDP conformément aux dispositions de l'article 67.

Par ailleurs, il est de notre avis qu'en vertu du décret ministériel du 27 mai 1992 (pièce R-29), AINC a permis à la bande de Kahnawake de procéder aux élections de son conseil de bande conformément à ses propres règlements et non plus en vertu de l'article 74 de la Loi sur les Indiens. Le décret renvoie expressément à ce règlement. Le règlement (pièce R-27, article 23) énonce quant à lui explicitement quelles sont les personnes qui sont inaptes à voter aux élections du conseil et à solliciter ou occuper une charge publique. Or, en vertu de ces dispositions, Trudy est inapte à voter parce qu'elle a marié un non-Indien après le 22 mai 1981 et Peter est lui-même inapte à voter parce qu'il est non-Indien de naissance.

À notre avis, le décret ministériel est bel et bien une disposition prise en vertu de la Loi sur les Indiens (voir articles 2, 3 et 74 de la Loi sur les Indiens) et par conséquent, toute décision future prise par le MCK de refuser à Trudy ou à Peter le droit de voter aux élections du conseil ou de solliciter ou d'occuper une charge au sein de ce même conseil au motif qu'ils sont exclus conformément aux critères d'appartenance actuellement appliqués à Kahnawake est soustraite à tout examen en vertu de la LCDP.

À cet égard, on peut affirmer que le décret ministériel de 1992 constitue une reconnaissance tacite des critères d'appartenance établis dans la Loi mohawk de 1984 à Kahnawake, critères qui sont fondés sur l'ascendance et la pureté du sang. Pour des motifs politiques, le gouvernement fédéral est donc devenu partie à la pratique discriminatoire découlant de cette situation, laquelle échappe à tout examen en vertu de la LCDP.

Si la pratique discriminatoire consistant à refuser à Trudy le droit de voter en 1990 n'échappait pas à ce moment à un examen en vertu de la LCDP (puisque le décret ministériel n'a pris effet qu'en 1992), tout nouveau refus de lui accorder le droit de voter aux élections du conseil ou de lui accorder la possibilité d'exercer une charge au sein de ce même conseil (ou de refuser à Peter le droit de voter ou d'exercer une charge) échapperait à tout examen en vertu de la LCDP conformément aux dispositions de l'article 67.

E. MESURES DE RÉPARATION

QUESTION NO 4 - SI LA RÉPONSE À LA QUESTION 1 EST AFFIRMATIVE ET QUE LA RÉPONSE AUX QUESTIONS 2 ET 3 EST NÉGATIVE, QUELLES MESURES DE RÉPARATION, LE CAS ÉCHÉANT, DEVRAIENT ÊTRE ACCORDÉES AUX PLAIGNANTS ET À LA COMMISSION CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 53 DE LA LCDP?

Pour résumer, rappelons que nous en sommes venus à la conclusion que le MCK a posé et pose encore des actes discriminatoires directs contre Peter, Trudy et leurs enfants en leur refusant des services et l'accès à des services habituellement destinés au public. Nous en sommes venus à la conclusion que la défense de motif justifiable invoquée par l'intimée ne tient pas et que les pratiques discriminatoires n'échappent pas non plus à notre examen en vertu de l'article 67 de la LCDP sauf en ce qui concerne le droit de voter aux élections du MCK et le droit de solliciter ou d'exercer une charge au sein de ce conseil.

Bien qu'à prime abord, on ait pu croire à la suite du témoignage de Trudy que celle-ci demandait une mesure de réparation d'ordre monétaire, il est maintenant très clair que ni elle ni Peter ne cherchent à obtenir un avantage financier dans cette affaire. Ils demandent plutôt en guise de réparation que leur identité mohawk et leur appartenance à la collectivité de Kahnawake soient reconnues. Ils désirent être inclus à la liste mohawk et traités comme tous les autres Mohawks de la collectivité et bénéficier de tous les droits, avantages et privilèges consentis aux autres Mohawks.

La CCDP a exprimé très clairement quant à elle les mesures de réparation qu'elle demande. Elle a notamment demandé les mesures de réparations suivantes :

[Traduction]

« Que le nom de Peter et de Trudy Jacobs et celui de leurs enfants soit placé par le Mohawk Council of Kahnawake sur la liste des personnes bénéficiant des droits, avantages et privilèges suivants : - Numéro de membre - aide à en obtenir un - Droit de résidence (de vivre à Kahnawake) - Attribution de terrain et de droits fonciers - Aide au logement - prêt, réparation, services publics ou autres services connexes - Aide sociale - à Kahnawake seulement - Éducation - à Kahnawake seulement - Droit de vote - à Kahnawake seulement - Droit de sépulture - Médicaments - à Kahnawake seulement - Privilèges fiscaux - à Kahnawake seulement et tout autre avantage ou privilège relevant de la compétence de la population mohawk de Kahnawake. Que le Mohawk Council of Kahnawake traite cette liste de la même manière qu'elle traite sa liste mohawk actuelle en offrant ces droits, avantages et privilèges et en les administrant et en en assurant la prestation, directe ou indirecte. »

Il nous semble que peu importe ce que nous pourrons dire ou faire, il est impossible pour qui que ce soit, et d'autant plus pour un Tribunal créé en vertu d'une loi, d'émettre une ordonnance exigeant qu'une personne soit acceptée par une collectivité, si cette collectivité n'est pas disposée à accueillir cette personne en son sein. L'acceptation d'une personne au sein d'une collectivité est une question qui relève de la raison, de l'âme et de l'esprit et qui ne peut donc faire l'objet d'ordonnances. Peu importe ce que nous pourrions décréter, nous ne pourrons jamais faire de Peter et de Trudy des membres de cette collectivité. Cette prérogative appartient exclusivement à la collectivité en question.

Le MCK a fait valoir que seule la collectivité de Kahnawake pouvait trancher les questions relatives à son appartenance et que ce faisant, une ligne doit être tracée quelque part et qu'il s'ensuit nécessairement que certains seront inclus et d'autres exclus. Bien qu'il y ait une part de vérité dans cette affirmation et même s'il est possible que seule la collectivité soit habilitée à décider de l'endroit où doit être tracée cette ligne, il demeure que ce faisant, elle a l'obligation d'éviter de s'appuyer sur des motifs de distinction illicite contraires à LCDP.

Comme nous l'avons déjà mentionné, des témoins experts sont venus nous décrire la tradition mohawk consistant à adopter des personnes non-indiennes et à traiter ensuite ces personnes comme des membres à part entière de la collectivité. Nous avons été invités à en conclure que ces adoptions ont toujours fait partie de la tradition et de la culture mohawks et de la Grande loi de la paix du peuple mohawk et que par conséquent, nous devions ordonner au MCK de reconnaître Peter comme un membre à part entière de cette collectivité. (Il convient de signaler que Peter n'a jamais été formellement adopté dans le cadre d'une cérémonie traditionnelle mohawk à la Longue maison", même s'il a siégé au sein de l'un des clans.)

Nous nous abstiendrons cependant de nous prononcer sur ce qui fait partie ou ne fait pas partie de la tradition et de la culture mohawks et de la Grande loi de la paix. Cette question ne relève en effet pas de notre compétence. Notre mandat se limite à établir s'il y a eu une discrimination injustifiée dans cette affaire au sens prévu dans la LCDP.

Pendant cette audience, le grand chef Norton, le professeur Alfred et les procureurs du MCK, dans leur mémoire, nous ont affirmé que si ce Tribunal rendait une décision défavorable au MCK, son ordonnance serait ignorée. Cette attitude s'explique par le fait que la collectivité mohawk de Kahnawake n'accepte pas de se soumettre à quelque autorité externe que ce soit sur la question du pouvoir de décider de l'appartenance à la collectivité. Ces propos ont été tenus non pas par manque de respect à l'endroit du Tribunal, mais plutôt dans le but de décrire une réalité politique. Le professeur Alfred a fait valoir que l'intrusion de toute autorité externe, comme ce Tribunal, sur la question de l'appartenance à la collectivité mohawk, était susceptible de durcir la résolution de la collectivité d'exclure la famille Jacobs plutôt que de contribuer à son inclusion. Cette attitude, en soi, souligne tout le contexte politique qui entoure cette affaire.

Bien que nous comprenions l'attitude du MCK et la conviction de cette collectivité qu'elle doit prendre des mesures extraordinaires afin de se protéger dans le cadre canadien actuel, nous, en notre qualité de Tribunal établi en vertu d'une loi canadienne, devons appliquer la loi en fonction des faits énoncés dans la plainte. Sur la question à savoir si Peter et Trudy seront desservis par cette plainte plutôt que le contraire, il appartient aux intéressés de prendre les décisions qu'ils jugent pertinentes.

On nous a également affirmé qu'en temps opportun, il était probable que Peter serait reconnu comme un membre à part entière de la collectivité, mais que cela ne se produirait que lorsque la collectivité aurait acquis sur le plan culturel suffisamment de sécurité pour pouvoir intégrer des personnes dans sa situation. Le Tribunal est convaincu que tel sera bien le cas un jour parce que le trait qui distingue les grands peuples des autres, même ceux dont les valeurs principales sont axées sur la collectivité plutôt que sur l'individu, est la justice, l'humanité et la compassion qu'ils démontrent dans le traitement qu'ils accordent aux individus. Il se peut qu'avec le temps, les points de vue exprimés par la Commission royale sur les peuples autochtones (1993, Ottawa, Groupe Communications Canada) soient acceptés à Kahnawake :

« À notre avis, tout code exigeant un niveau minimal de pureté de sang comme condition préalable générale à la citoyenneté (...) est également erroné en principe, il ne respecte pas l'évolution historique et les traditions de la plupart des peuples autochtones et il fait obstacle à leur développement futur en tant que collectivités politiques autonomes. »

Nous sommes convaincus qu'il est approprié d'accorder des mesures de réparation à l'encontre du MCK puisqu'il incombe à celui-ci, à ses administrateurs et à ses employés d'administrer la distribution des droits, avantages, privilèges et services au sein de la collectivité de Kahnawake. Toutefois, nous ne sommes pas disposés à accorder des mesures de réparation dans les termes préconisés par Peter, Trudy ou la CCDP. Les mesures de réparation que nous accordons prennent plutôt la forme de la déclaration et de l'ordonnance exécutoire qui suivent :

  1. NOUS DÉCLARONS que lorsque le MCK a refusé à Peter Jacobs une subvention pour la construction d'installations d'aqueduc et d'égout en 1992, il a violé les dispositions de l'article 5 de la LCDP en commettant un acte discriminatoire fondé sur la race ainsi que sur l'origine nationale et ethnique du plaignant.
  2. NOUS DÉCLARONS que lorsque le MCK a refusé à Trudy Jacobs le droit de voter aux élections du Mohawk Council of Kahnawake en 1990 et lui a refusé le droit de présenter une demande en vue d'obtenir un prêt à faible taux d'intérêt en 1991, il a violé les dispositions de l'article 5 de la LCDP en commettant un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille de la plaignante.
  3. NOUS DÉCLARONS qu'en excluant Peter et Trudy Jacobs et leurs enfants de la liste mohawk et, par conséquent, en leur refusant la possibilité de bénéficier des droits, avantages, privilèges et services (autres que le droit de vote et le droit d'exercer une charge publique) qui sont offerts aux personnes dont le nom figure sur cette liste, le MCK a violé les dispositions de l'article 5 de la LCDP tel que mentionné précédemment.
  4. NOUS ORDONNONS que le MCK cesse de commettre des actes discriminatoires contre Peter et Trudy Jacobs et leurs enfants et s'abstienne de le faire à l'avenir en refusant à ces personnes l'accès aux droits, avantages, privilèges et services relevant de sa compétence offerts aux autres membres de la collectivité mohawk de Kahnawake (à l'exception du droit de vote aux élections du MCK et du droit de solliciter ou d'exercer une charge au sein de ce conseil) à savoir : attribution d'un numéro de bande; droit de résidence; attribution des terres et droits fonciers; aide au logement sous la forme de prêt, de réparation, de services publics ou d'autres services connexes; aide sociale; éducation; droit de sépulture; droit aux médicaments et avantages fiscaux.

Par accès , nous entendons le droit d'être considéré en vue d'obtenir ces droits, avantages et privilèges conformément aux conditions des programmes en place au sein de la collectivité.

Stanley Sadinsky, C.R., président Lise Leduc, membre

FAIT ce jour de 1998.

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