Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D.T. 10/96 Décision rendue le 13 septembre 1996

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

NIELS LAESSOE

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

AIR CANADA

l'intimée

- et -

DIVISION DU TRANSPORT AÉRIEN, SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE

la partie intéressée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : S. Jane F. Armstrong - Présidente Oksana Kaluzny - Membre Julie Pitzel - Membre

ONT COMPARU : Lisa Kelly - TCA Canada, avocate du plaignant

Eddie Taylor - Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Guy Delisle - Avocat d'Air Canada

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Du 25 au 29 mars 1996 Vancouver (Colombie-Britannique)

TRADUCTION

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

AUDIENCE

LA PLAINTE

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

PREUVE PRÉSENTÉE PAR AIR CANADA

PREUVE PRÉSENTÉE PAR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LE PLAIGNANT, NIELS LAESSOE

LES QUESTIONS EN LITIGE

PREUVE PRÉSENTÉE PAR L'INTIMÉE AU SUJET DU RÉGIME DE PENSION D'AIR CANADA

LOIS RÉGISSANT LE RÉGIME DE PENSION D'AIR CANADA ET LEURS CONSÉQUENCES AU REGARD DE L'EXTENSION DES AVANTAGES SOCIAUX AUX CONJOINTS DE MEME SEXE

ANALYSE DE LA PREUVE RELATIVE AU RÉGIME DE PENSION D'AIR CANADA

ANALYSE DES SOLUTIONS DE RECHANGE PROPOSÉES DE FAÇON A ASSURER LES PRESTATIONS DE PENSION AUX CONJOINTS DE MEME SEXE

ANALYSE DE LA PREUVE RELATIVE AUX SOLUTIONS DE RECHANGE

PREUVE DES COUTS ENGENDRÉS PAR LA PRESTATION DES AVANTAGES AUX CONJOINTS DE MEME SEXE ET ANALYSE DE CEUX-CI

ANALYSE DE LA LOI

ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE

CONCLUSION

1

1

INDEX DES PIECES DÉPOSÉES EN PREUVE

PIECE C-2

PIECE HR-1 ONGLET 1

PIECE R-1

PIECE R-2 ONGLET 1

PIECE R-2 ONGLET 2

PIECE C-4

PIECE C-1 ONGLET 8

PIECE C-5

PIECE R-3

PIECE HR-4 23/26/28/31

2

DÉCISION

INTRODUCTION

Le présent Tribunal a été constitué le 18 janvier 1996, conformément à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, chapitre H-6, afin d'enquêter au sujet de la plainte alléguant discrimination d'après les articles 7 et 10 de cette même loi déposée par Niels Laessoe, le 2 juin 1993.

AUDIENCE

La présente affaire a été entendue à Vancouver, du 25 au 29 mars 1996.

Les parties présentes étaient le plaignant, M. Niels Laessoe, la Commission canadienne des droits de la personne et l'intimée, Air Canada.

Le présent Tribunal avait accordé le statut de partie intéressée à la Division du transport aérien du Syndicat canadien de la fonction publique, toutefois cette partie n'a pas comparu et elle ne s'est pas présentée à l'audience.

LA PLAINTE

Le plaignant allègue que l'intimée a commis un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille, sur l'état matrimonial et sur l'orientation sexuelle dans une question relative à son emploi.

La plainte (pièce C-2) est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Air Canada commet, à mon égard, un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille, l'état matrimonial et l'orientation sexuelle, en appliquant une politique aux termes de laquelle les prestations du conjoint ne sont accordées qu'aux couples hétérosexuels mariés ou vivant en union de fait, en violation des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai été embauché par Air Canada en avril 1987 à titre d'agent - Ventes et service à la clientèle. Depuis le 1er juillet 1988, je vis en union de fait avec un partenaire de même sexe. Le 17 avril 1991, j'ai déposé la déclaration assermentée requise pour demander l'inscription de mon conjoint de fait afin d'obtenir les prestations de conjoint et les autres avantages applicables. Le 22 avril suivant, le gestionnaire des services du personnel d'Air Canada m'a informé que, aux termes de la politique actuelle, le conjoint de fait est décrit comme étant une personne de sexe opposé et que, par conséquent, mon partenaire n'était pas admissible aux prestations de conjoint.

Le 24 février 1993, je me suis de nouveau informé de la situation quant à la politique de la compagnie relative aux conjoints de fait. Le 19 mars suivant, on m'a répondu que la politique n'avait pas été modifiée.

3

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

Le plaignant, M. Niels Laessoe, la Commission canadienne des droits de la personne et l'intimée, Air Canada, se sont entendus sur un exposé conjoint des faits qui a été déposé comme pièce HR-1, onglet 1.

L'exposé conjoint des faits est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

M. Niels Laessoe a été embauché par Air Canada le 1er avril 1987 à Vancouver (C.-B.) à titre d'agent - Ventes et service à la clientèle. Au cours de son emploi, M. Laessoe est devenu membre des TCA et du local 2213, l'agent négociateur. Pendant tous les moments pertinents, M. Laessoe était visé par la convention collective liant Air Canada et le syndicat. Les conventions collectives comportent certains avantages pour les employés. Parmi ceux-ci, signalons une assurance-vie collective, un régime d'assurance-invalidité, un régime d'assurance-maladie complémentaire, de soins dentaires et de soins ophtalmologiques, ainsi qu'un régime de pension. D'autres avantages, non compris dans la convention collective, sont offerts à tous les employés, soit une assurance en cas de décès par accident facultative, une assurance-mutilation et perte de jouissance, une assurance-vie complémentaire et certains privilèges en matière de voyages.

Le 1er juillet 1988 ou aux environs de cette date, M. Laessoe a commencé à vivre en union de fait avec M. Ronald Sowden. Le 17 avril 1991, M. Laessoe a déposé auprès d'Air Canada une demande assermentée visant l'inscription de son partenaire de même sexe à titre de conjoint de fait dans le but d'obtenir les prestations liées à l'emploi. Le 22 avril suivant, le directeur des services du personnel d'Air Canada a informé M. Laessoe qu'une telle inscription était inacceptable compte tenu de la politique de la compagnie -- la politique d'Air Canada limite l'application des prestations du conjoint aux personnes de sexe opposé. Le 24 févier 1993, M. Laessoe s'est de nouveau enquis de la politique de la compagnie. Le 19 mars suivant, il a été informé que la politique n'avait pas changé.

Le 2 juin 1993, M. Laessoe a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne alléguant que l'intimée accordait les prestations d'emploi à des couples hétérosexuels mariés et vivant en union de fait, mais qu'elle refusait d'accorder des avantages semblables aux couples de même sexe vivant en union de fait.

Le 20 octobre 1995, Air Canada a annoncé qu'elle allait étendre les avantages sociaux, à l'exclusion du régime de pension, aux employés en provenance du Canada ayant des conjoints de même sexe, à compter du 1er janvier 1996. Air Canada a également annoncé que, puisque la loi fiscale actuelle ne permettait pas l'inclusion des partenaires de même sexe dans les régimes de pension agréés, la compagnie ne pourrait étendre cet avantage

4

qu'une fois que les lois fiscales canadiennes auront été modifiées.

La compagnie a informé ses employés de cette extension des avantages au moyen d'un CIC*INFO, le 20 octobre 1995.

Le 21 décembre suivant, Air Canada a publié une circulaire d'information interne dans laquelle elle dispensait les employés admissibles de l'obligation de présenter une demande de prestations. La compagnie a informé ses employés de la dispense le même jour par le truchement d'un CIC*INFO.

PREUVE PRÉSENTÉE PAR AIR CANADA

En plus des faits décrits dans l'énoncé conjoint des parties, le Tribunal prend acte des faits suivants :

  1. Air Canada est une entreprise sous réglementation fédérale qui a été privatisée en 1989.
  2. Air Canada a perdu un milliard de dollars au cours de la période 1990 à 1993 et, elle ne paie pas d'impôt depuis un bon nombre d'années en raison d'un manque de profit.
  3. Air Canada a un effectif d'environ 20 000 employés.
  4. Air Canada a publié, en janvier 1986, le document intitulé Politique de la Société sur les droits de la personne et procédure d'appel pour les employés. Cette politique énonce, entre autres choses :
  5. Air Canada a pour politique de servir le public et de traiter ses employés sans discrimination avec justice et équité, conformément à l'esprit et à l'intention des lois en vigueur sur les droits de la personne et le progrès social.

    La politique ajoute que la Société s'engage à s'assurer que tous les employés sont traités avec justice et équité, dans un environnement exempt de toute forme illicite de discrimination. (Pièce R-1, page 5)

  6. Air Canada a informé ses employés de sa politique de non-discrimination et non-harcèlement par le biais d'un certain nombre de brochures. La brochure distribuée dans les cinq années qui ont suivi 1986 décrit le harcèlement de la façon suivante :
  7. [Traduction] [...] tout comportement, propos ou geste, manifeste ou sournois, de nature à choquer une personne et qui peut être relié à l'un des motifs de distinction illicite mentionnés dans la loi canadienne, soit : - la race - l'origine nationale ou ethnique

    5

    - la couleur - la religion - l'âge - le sexe - l'état matrimonial - la situation de famille - l'état de personne graciée - la déficience. (Pièce R-2, onglet 1)

  8. En octobre 1995, la compagnie a distribué à ses employés un autre document relatif au harcèlement. Ce document définit le harcèlement de la façon suivante :

Le harcèlement est tout comportement, propos ou geste, manifeste ou sournois, de nature à choquer une personne. Il est souvent relié à un des dix motifs de distinction illicite mentionnés dans la loi canadienne, soit :

  1. la race
  2. la religion
  3. le sexe
  4. l'origine nationale ou ethnique
  5. l'état matrimonial
  6. la situation de famille
  7. la couleur
  8. l'âge
  9. la déficience
  10. l'état de personne graciée. (Pièce R-2, onglet 1)

7. Le document précise également :

La politique d'Air Canada interdit également le harcèlement personnel, qui peut être fondé ou non sur un des motifs ci-dessus.

6

et il donne l'exemple suivant :

[...] vous êtes victime de harcèlement si quelqu'un [...] fait des remarques désobligeantes sur votre orientation sexuelle. (Pièce R-2, onglet 2)

8. Air Canada a donné à ses gestionnaires une formation relative aux enquêtes sur les plaintes de harcèlement. La compagnie a embauché une gestionnaire des programmes des droits de la personne et d'équité qui, dans le cadre de ses responsabilités, rencontre les membres du personnel de la direction et du soutien administratif pour leur expliquer la politique de l'entreprise sur le harcèlement et leur indiquer comment mener des enquêtes au sujet de plaintes de harcèlement.

9. En plus des documents traitant uniquement des droits de la personne et du harcèlement, la brochure sur les avantages liés à l'emploi distribuée aux employés renfermait également un chapitre sur le harcèlement. Ce document a été remis à tous les employés d'Air Canada à la fin de 1995.

10. L'intimée est partie à une convention collective avec le Syndicat national des travailleurs et travailleuses de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole du Canada (TCA). La version la plus récente de cette convention collective a été déposée comme pièce C-4. La clause 19.01.01 de ladite convention énonce en partie ce qui suit :

[TRADUCTION]

Aucun employé ne fera illégalement l'objet de tracasseries, de contrainte, de coercition ou de discrimination de la part de la compagnie ou du syndicat, de leurs dirigeants ou agents en raison de la race, de l'origine nationale ou ethnique, de la couleur, de la religion, de l'âge, du sexe, de l'état matrimonial, de l'orientation sexuelle ou de l'allégeance politique...

PREUVE PRÉSENTÉE PAR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET LE PLAIGNANT, M. NIELS LAESSOE

M. Laessoe a témoigné qu'il s'était séparé de son conjoint de fait, M. Ronald Sowden, au moins un an avant la date de l'audience. M. Laessoe a également décrit l'effet qu'avait eu sur lui le refus d'Air Canada d'accorder les avantages sociaux à son conjoint de même sexe.

Le Tribunal a entendu le témoignage de M. Gerry Spencer, représentant national des TCA. Celui-ci a décrit, entre autres choses, le déroulement des négociations entre Air Canada et les TCA, plus particulièrement en ce qui a trait à la question de l'orientation sexuelle. La clause 19.01.01 a été incluse pour la première fois dans la convention collective en 1988.

A compter de 1990, le syndicat a déposé une demande visant à faire inclure dans la convention collective des avantages pour les conjoints de même

7

sexe. Dans le cadre des négociations de 1992 et 1993, le syndicat a de nouveau demandé l'inclusion dans la convention collective des avantages pour les conjoints de même sexe.

M. Spencer a témoigné que, au moment de l'inclusion, en 1988, de la clause 19.01.01 dans la convention collective, le syndicat s'était engagé à ce que cette clause ne soit pas utilisée dans le but de revendiquer des droits qui n'étaient pas fondés sur une loi en vigueur à un certain moment donné.

En 1992, en dépit de ce qui précède, le syndicat a informé Air Canada qu'il était d'avis que la loi avait changé et que si la compagnie n'acceptait pas d'étendre les prestations du conjoint aux conjoints de même sexe, il adopterait successivement les mesures suivantes :

  1. Il s'efforcerait de négocier l'inclusion de telles prestations dans la convention collective
  2. Il déposerait un grief fondé sur la clause 19.01.01
  3. Il appuierait une plainte relative aux droits de la personne.

En 1993, dans le cadre de ses négociations, le syndicat a de nouveau tenté de faire inclure dans la convention les prestations aux conjoints de même sexe. La compagnie n'a pas souscrit à la position du syndicat.

M. Spencer a expliqué que, pendant les négociations, lorsque le syndicat est incapable de convaincre la compagnie relativement à une question particulière, il peut, soit se rendre jusqu'à un point d'impasse et risquer une grève, soit retirer la proposition de l'ordre du jour des négociations, mais en disant à la compagnie que le syndicat, à défaut d'obtenir la concession par voie de négociation, aurait gain de cause d'une autre façon. Tel que susmentionné, c'est la position que le syndicat a fait connaître à la compagnie en 1992.

Dans les propositions de 1992 et 1993 visant la modification de la convention collective, le syndicat a demandé:

[TRADUCTION]

que les avantages sociaux soient accordés [aux conjoints de même sexe] dans tous les cas où une loi ne l'interdit pas (c'est-à- dire régime de pension) (pièce C-1, onglet 8)

Dans son témoignage, Mme Jo-Ann Hannah, représentante nationale des TCA, Service des pensions et avantages sociaux, a expliqué que le syndicat a l'habitude de choisir un employeur cible lorsqu'il cherche à obtenir certains avantages sociaux, de sorte que, par la suite, il est en mesure d'imposer à d'autres employeurs ces mêmes avantages sociaux. Mme Hannah ajoute qu'il est possible que le syndicat ait ciblé Air Canada.

Les témoins du plaignant et de la Commission ont fait état d'un certain nombre d'entreprises au Canada qui ont étendu les prestations de soins de santé aux conjoints de même sexe et des quelques compagnies qui ont accordé les prestations du régime de pension à ces mêmes couples.

8

Parmi ces compagnies ayant accordé aux conjoints de même sexe les prestations de pension, deux d'entre elles, 3-M et Northern Telecom, sont des entreprises provinciales constituées sous les lois de la province d'Ontario. Les dispositions du Code ontarien des droits de la personne interdisent la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle depuis déjà un bon nombre d'années.

Au cours de son témoignage, Mme Hannah a également signalé que ces deux entreprises sont très rentables et que chacune d'elles compte passablement moins d'employés qu'Air Canada, soit 4 500 dans le cas de Northern Telecom et 350 dans le cas de 3-M. Toutefois, aucune de ces entreprises n'a encore réussi à mettre entièrement en vigueur les prestations de retraite pour les conjoints de même sexe et elles s'efforcent encore d'en régler des détails d'ordre administratif, en dépit du fait que Northern Telecom et 3-M ont accepté respectivement en 1994 et 1995 d'accorder ces avantages. On nous a également signalé que, à ce jour, ces entreprises n'ont reçu aucune demande d'extension des avantages de retraite à un conjoint de même sexe parce qu'aucun employé admissible n'est encore décédé.

Dans son témoignage, M. John Christie, actuaire assigné par la Commission, a décrit un bon nombre d'entités qui avaient étendu les prestations de retraite aux partenaires survivants de même sexe. Il s'agit de la Banque de Montréal, de Bell Canada, de BC Hydro, de Northern Telecom et du gouvernement de l'Ontario.

M. Christie a convenu qu'il était de commune renommée que la Banque de Montréal avait réalisé des profits records depuis quelques années. Nous avons appris que Bell Canada avait fait l'objet d'une audience d'arbitrage relative aux prestations de retraite avant la mise en vigueur du régime et que BC Hydro et le gouvernement de l'Ontario étaient des organismes gouvernementaux.

La preuve a révélé que les Lignes aériennes Canadien International ont convenu d'accorder les avantages sociaux aux conjoints de même sexe, à l'exclusion des prestations de pension, à compter du 1er juillet 1996. Le protocole d'entente numéro 3, intervenu entre les Lignes aériennes Canadien International et le Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA- Canada) et son local 1990 a été déposé comme pièce C-5. Lorsqu'on examine la pièce C-5, il est manifeste que le syndicat a été forcé de faire certaines concessions en échange de l'extension des prestations de soins de santé aux conjoints de même sexe. La pièce C-5 énonce plus particulièrement que :

[TRADUCTION]

La question de l'extension des avantages sociaux aux conjoints de même sexe relève de la politique de l'entreprise et, à ce titre, il a été convenu que, dans le cas des syndicats qui ont ratifié le programme de réduction des coûts de 17,1 %, la Compagnie modifierait les politiques, tel que demandé, reconnaissant que les conditions d'admissibilité seront établies par la Compagnie en consultation avec le syndicat. Ce programme sera mis en vigueur au plus tard le 1er juillet 1996. Il est convenu que le régime de pension ne sera pas inclus dans les modifications. Il

9

est également convenu que toute augmentation des coûts résultant des modifications au régime d'avantages sociaux destinés aux conjoints de même sexe sera absorbée par les syndicats dans le cadre des améliorations annuelles de la productivité ou par toute autre méthode convenue entre la compagnie et le syndicat.

Dans son témoignage, Mme Hannah a affirmé que l'annonce par Air Canada de l'extension des prestations de santé aux conjoints de même sexe avait certainement fait progresser les négociations entre les Lignes aériennes Canadien International et TCA qui ont abouti à cette entente.

Au moment de l'audience, tous les syndicats n'avaient pas ratifié le Protocole d'entente des Lignes aériennes Canadien International.

LES QUESTIONS EN LITIGE

Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le défaut de l'intimée, jusqu'au 20 octobre 1995, d'étendre les avantages sociaux, à l'exclusion des prestations de pension, aux conjoints de même sexe de ses employés constituait-il un acte discriminatoire au sens des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  2. Le défaut de l'intimée d'étendre aux conjoints de même sexe les prestations de survivant constitue-t-il un acte discriminatoire au sens des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne;
  3. Si l'on juge que l'intimée a commis un acte discriminatoire, le plaignant a-t-il droit à des dommages-intérêts?

PREUVE PRÉSENTÉE PAR L'INTIMÉE AU SUJET DU RÉGIME DE PENSION D'AIR CANADA

Aux termes du régime de pension d'Air Canada, des prestations de décès sont payables au moment du décès de l'employé. Ces prestations de décès varient selon que le décès de l'employé survient avant ou après la retraite.

A) DÉCES AVANT LA RETRAITE

Si l'employé décède sans laisser de conjoint, les contributions de l'employé ainsi que les intérêts sont versés à sa succession, peu importe son âge ou le nombre de ses années de service.

Si l'employé décède en laissant un conjoint, le montant des prestations payable dépend du nombre d'années de service de l'employé et de la mesure dans laquelle celui-ci était près de l'âge ouvrant droit à pension. Si l'employé a accompli moins de deux années de service continu, ses contributions et les intérêts accumulés sont versés au conjoint admissible. Si l'employé a accompli au moins deux années de service continu, les prestations sont établies selon les modalités suivantes :

10

a) Décès survenu avant quinze années de service admissible :

Service antérieur à 1987

Le conjoint survivant reçoit un remboursement des contributions de l'employé et les intérêts accumulés.

Service postérieur à 1987

Si le décès de l'employé survient plus de dix ans avant l'âge ouvrant droit à pension, le conjoint survivant de l'employé a droit à l'équivalent actuariel des prestations auxquelles l'employé aurait eu droit si son emploi avait pris fin la veille de son décès.

Si le décès de l'employé survient dans les dix ans suivant l'âge ouvrant droit à pension, le conjoint survivant de l'employé touche une pension mensuelle égale à soixante pour cent de la pension à laquelle l'employé aurait eu droit si son emploi avait pris fin la veille de son décès.

b) Décès survenu après quinze années de service admissible

Service antérieur à 1987

Le conjoint survivant de l'employé touche une pension de survivant correspondant à cinquante pour cent de la pension accumulée de l'employé. Le conjoint survivant de l'employé peut choisir de transférer la valeur de cette pension dans un régime immobilisé si l'employé décède plus de dix ans avant d'avoir atteint l'âge ouvrant droit à pension.

Service postérieur à 1987

Si l'employé décède plus de dix ans avant d'avoir atteint l'âge ouvrant droit à pension, son conjoint touche une pension de survivant correspondant à cinquante pour cent du montant de la pension accumulée de l'employé ou, si le montant est plus élevé, une pension calculée selon l'équivalent actuariel des prestations de l'employé, comme si ce dernier avait quitté son emploi ou avait pris sa retraite juste avant son décès. Le conjoint de l'employé peut transférer la valeur de cette pension dans un régime immobilisé.

Si le décès de l'employé survient moins de dix ans avant le nombre d'années ouvrant droit à pension, son conjoint reçoit une pension de survivant correspondant à cinquante pour cent de la pension accumulée de l'employé ou, si le montant est plus élevé, à soixante pour cent de la pension que l'employé aurait touchée s'il avait pris sa retraite ou avait quitté son emploi juste avant son décès et décidé de prendre une retraite réduite immédiate.

B) DÉCES APRES LA RETRAITE

Si l'employé a un conjoint au moment de sa retraite, le montant de la pension est réduit de façon à ce que, au moment du décès de l'employé, le conjoint touche une pension mensuelle viagère égale à soixante pour cent du montant de la pension mensuelle de l'employé. Ce type de pension

11

réversible de soixante pour cent est obligatoire, à moins que le conjoint y renonce.

Si le conjoint admissible renonce au paiement de la pension réversible de soixante pour cent avant la retraite de l'employé, il recevra une pension mensuelle viagère correspondant à cinquante pour cent de la pension de l'employé après le décès de ce dernier.

Si l'employé ne laisse pas de conjoint à son décès, la différence entre les contributions de l'employé plus les intérêts accumulés à la date de sa retraite et la totalité des versements effectués par le régime de retraite d'Air Canada jusqu'au décès est remise à la succession du défunt.

C) DÉFINITION DE CONJOINT OU DE CONJOINT ADMISSIBLE

La définition de conjoint admissible ou de conjoint énoncée aux termes du régime de retraite d'Air Canada est la suivante :

[TRADUCTION]

la personne de sexe opposé qui a vécu avec l'employé en union conjugale pendant au moins une année ou, en l'absence d'une telle personne, le conjoint en droit de l'employé.

12

LOIS RÉGISSANT LE RÉGIME DE PENSION D'AIR CANADA ET LEURS CONSÉQUENCES AU REGARD DE L'EXTENSION DES AVANTAGES SOCIAUX AUX CONJOINTS DE MEME SEXE

Les régimes de pension des entreprises sous réglementation fédérale sont régis par la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension (Canada). Les régimes de pension sont également régis par la Loi de l'impôt sur le revenu, Canada.

La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension définit le terme conjoint de la façon suivante :

conjoint s'entend, sauf à l'article 25 :

  1. soit, en cas d'inapplication de l'alinéa b), de la personne unie au participant actuel ou ancien par les liens du mariage ou qui, avec celui-ci, est une partie à un mariage nul;
  2. soit d'une personne de sexe opposé qui, au moment considéré, vit depuis au moins un an avec le participant actuel ou ancien dans une situation assimilable à une union conjugale. (Pièce R-3, page 4)

Selon le paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu la définition du terme conjoint retenue aux fins des régimes de retraite comprend :

[TRADUCTION]

la personne de sexe opposé avec laquelle un participant est marié ou avec laquelle il cohabite en union conjugale depuis au moins douze mois. (Pièce R-3, page 4)

Compte tenu de la définition du terme conjoint, l'employé d'Air Canada qui a un conjoint de même sexe n'est pas considéré comme ayant un conjoint aux fins du régime de retraite et, par conséquent, les prestations de survivant seront versées comme s'il était mort célibataire.

ANALYSE DE LA PREUVE RELATIVE AU RÉGIME DE PENSION D'AIR CANADA

Nous avons entendu les témoignages de MM. John M. Christie et Louis Georges Simard, actuaires assignés respectivement par la Commission et par l'intimée, au sujet des effets des dispositions actuelles de la Loi sur les normes de prestation de pension et la Loi de l'impôt sur le revenu sur l'extension des prestations de retraite aux conjoints de même sexe.

A la suite d'une analyse de la loi applicable aux régimes de retraite agréés, il est clair que, pour se prévaloir des avantages fiscaux que la Loi de l'impôt sur le revenu accorde à ces régimes, un régime de retraite ne peut renfermer une définition du terme conjoint qui diffère de celle qui figure dans la Loi.

La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension établit une structure ou des conditions minimales à l'égard des régimes de pension. Toutefois, compte tenu de la définition du terme conjoint contenue dans cette Loi, certains droits ou privilèges relatifs aux prestations de

13

pension n'ont pu être étendus aux conjoints de même sexe jusqu'à ce que cette loi soit modifiée.

La Loi sur les normes de prestation de pension et la Loi de l'impôt sur le revenu établissent certaines caractéristiques légales au regard des prestations de pension.

Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu permettent le transfert à un REER ou à un REER immobilisé en franchise d'impôt de montants forfaitaires payables au conjoint survivant. Les versements forfaitaires de pension effectués à un conjoint survivant de même sexe ne peuvent être transférés à un REER en franchise d'impôt.

Les dispositions de la Loi sur les normes de prestation de pension et, plus particulièrement le paragraphe 26(1) prévoient que les montants forfaitaires payables au conjoint survivant dans certaines circonstances doivent être transférés à un REER immobilisé, c'est-à-dire que le montant transféré ne peut être liquidé et qu'il doit être versé sous forme de rente viagère ou investi dans un fonds de revenu viager. Cette disposition ne s'applique pas aux prestations de pension payables au conjoint survivant de même sexe.

La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, plus particulièrement les articles 18 et 31, stipule que les prestations payables au conjoint survivant sont inaliénables et qu'elles ne peuvent faire l'objet d'une saisie ou d'une exécution forcée. Cette caractéristique n'est pas applicable aux prestations de pension payées aux conjoints survivants de même sexe.

La Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension précise également que si le participant laisse un conjoint, au sens de cette Loi, le paiement des prestations de survivant à ce conjoint est obligatoire. Cette disposition n'est pas applicable aux conjoints survivants de même sexe.

Si un participant à un régime de pension a un conjoint au moment de sa retraite, les prestations de pension payables à ce participant sont réduites de façon à permettre à son conjoint survivant de toucher une pension réversible de soixante pour cent. Le paiement d'une pension réversible au conjoint survivant est obligatoire tout comme l'est la réduction de la prestation de pension de l'employé qui vise à financer ladite pension réversible, sauf si le conjoint y renonce.

Compte tenu des dispositions de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension, si un employé a à la fois un conjoint de fait et un conjoint en droit, le conjoint de fait aura priorité sur l'autre en ce qui a trait au droit de toucher les prestations de survivant.

Si un employé, au moment de son décès, laisse un conjoint de fait de même sexe et un conjoint avec lequel il était encore légalement marié, le divorce n'ayant pas été prononcé, les prestations de survivant payables aux termes du régime de pension de l'employé seront versées au conjoint en droit en application des dispositions de la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.

14

Étant donné que les dispositions de la Loi sur les normes de prestation de pension et de la Loi de l'impôt sur le revenu ne prévoient pas le paiement des prestations de pension au conjoint de même sexe, l'employé qui souhaite en faire bénéficier son partenaire devra désigner dans son testament cette personne comme bénéficiaire de ses prestations de pension.

Même si un employé fait de son conjoint de même sexe le bénéficiaire de ses prestations de pension dans son testament, les dispositions prioritaires de la Loi sur les normes de prestation de pension annuleront les intentions de l'employé si ce dernier laisse un conjoint en droit. Subsidiairement, si l'employé néglige de désigner son partenaire de même sexe comme étant bénéficiaire, ce dernier n'aura pas droit aux prestations.

Pour minimiser cet inconvénient, on a proposé, à l'audience, que l'employé s'engage par contrat à désigner son partenaire de même sexe comme bénéficiaire testamentaire de ses prestations de pension. Toutefois, si l'employé malgré son engagement néglige d'effectuer cette désignation de bénéficiaire dans son testament, la compagnie pourrait faire l'objet d'une réclamation pour le paiement des prestations de pension de la part des bénéficiaires de la succession de l'employé décédé, ainsi que d'une poursuite juridique de la part du conjoint de même sexe visant l'exécution du contrat aux termes duquel l'employé décédé avait convenu de le nommer bénéficiaire.

Alors que la Loi sur les normes de prestation de pension donne la priorité au conjoint de fait qui demeure avec l'employé au moment de son décès en dépit de l'existence d'un conjoint en droit, cette priorité ne sera pas accordée au conjoint de même sexe.

La prestation réversible obligatoire de soixante pour cent qui doit être versée au conjoint en application des dispositions de la Loi sur les normes de prestation de pension, à moins que ce dernier y renonce, n'est pas accordée au conjoint de même sexe. La solution de rechange qui sera rédigée ne comprendra pas cette disposition obligatoire. Par conséquent, les conjoints de même sexe des employés ne bénéficieront pas du même type d'avantage que les conjoints de sexe opposé.

L'écart et, en réalité, l'inégalité entre les avantages accordés aux conjoints hétérosexuels par rapport à ceux qui sont accordés aux conjoints de même sexe en raison du système législatif actuel se manifeste dans de nombreuses circonstances et ne peut être totalement atténué par la formulation d'une solution de rechange.

ANALYSE DES SOLUTIONS DE RECHANGE PROPOSÉES DE FAÇON A ASSURER LES PRESTATIONS DE PENSION AUX CONJOINTS DE MEME SEXE

Dans le but d'étendre les prestations de pension qui sont accordées aux conjoints de même sexe aux conjoints de même sexe de leurs employés, Air Canada devra mettre en place une solution de rechange extrinsèque à son régime de pension agréé, de façon à ne pas perdre les avantages fiscaux qui en découlent.

15

Les deux actuaires ont proposé plusieurs options qui permettraient à l'employeur de mettre en place une solution de rechange aux fins de verser les prestations de pension aux conjoints de même sexe.

Versements au fur et à mesure

La première proposition porte sur le régime de versements au fur et à mesure. En substance, ce régime prévoit que la compagnie versera les prestations de survivant au conjoint de même sexe, au fur et à mesure de l'échéance desdits paiements, en puisant dans ses recettes générales. Aucun régime distinct n'est établi. Aucune contribution n'est mise en réserve. La compagnie convient simplement de payer lesdites prestations au moment de leur exigibilité.

La difficulté que soulève un tel régime vient du fait qu'aucun montant n'est détenu en fidéicommis. Aucune somme d'argent n'est mise de côté et protégée pour s'assurer que les prestations de pension seront versées. Selon les témoignages de Mme Hannah et de M. Christie, les entreprises qui ont, à ce jour, accepté de verser des prestations de pension de survivant aux conjoints de même sexe ont convenu de le faire aux termes d'un régime de versements au fur et à mesure.

Dans son rapport, M. Christie a signalé que les autres employeurs importants qui ont étendu les prestations de pension de survivant aux conjoints de même sexe:

[TRADUCTION]

... n'ont pas abordé la question de la garantie de ces prestations parce qu'ils espèrent que les solutions de rechange ne constitueront que des mesures de rapiéçage temporaires jusqu'à ce que la loi soit modifiée. (paragraphe 6.2, HR-4)

En ce qui a trait au gouvernement de l'Ontario, M. Christie signale ce qui suit :

[TRADUCTION]

... Des procédures administratives ont été élaborées afin de prendre en compte les divergences qui surgissent quoique, évidemment, les divergences fiscales ne puissent être éliminées. Le gouvernement ontarien n'a pas étudié la question de la garantie des prestations qui constitue une préoccupation de moindre importance vu qu'il est moins susceptible qu'un employeur privé de ne pas être en mesure de tenir ses promesses financières. (Paragraphe 6.3, HR-4)

L'absence de garantie visant à assurer le paiement des prestations de pension au moment de leur exigibilité fait en sorte que le régime de versements au fur et à mesure entraîne des risques considérables particulièrement à l'égard d'employés de compagnies à faible rendement financier.

Versements au fur et à mesure avec accréditif

Pour s'assurer que les montants sont disponibles pour faire face aux versements des prestations sous le régime de versements au fur et à mesure,

16

M. Christie a proposé l'ouverture d'un accréditif par la compagnie, essentiellement à titre d'assurance, pour garantir le paiement des prestations de survivant aux conjoints de même sexe dans le cas où la compagnie ne serait pas en mesure de faire face à cette obligation.

Le maintien en vigueur de cet accréditif et les dispositions fiscales qui y sont applicables sont passablement complexes. Selon M. Christie, c'est, en réalité, beaucoup plus complexe que la convention de retraite agréée envisagée par M. Simard.

Pour qu'un accréditif demeure valable, l'entreprise, au moyen de dispositions prises avec sa banque, paie une prime annuelle dont le montant est déterminé par la banque en grande partie en fonction de la solvabilité de l'entreprise.

L'accréditif est maintenu dans le cadre d'une convention de retraite agréée, une émanation de la Loi de l'impôt sur le revenu. En raison des règles de l'impôt sur le revenu relatives aux conventions de retraite agréées (CRA), un montant correspondant à la prime annuelle doit être versé à Revenu Canada à titre d'impôt remboursable. Par conséquent, quel que soit le montant de la prime payable à la banque, la compagnie doit contribuer un montant égal à Revenu Canada afin de maintenir l'accréditif.

Convention de retraite agréée

La troisième et dernière solution proposée consiste à mettre en place une convention de retraite agréée. En raison des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu applicables à un tel mécanisme, un montant correspondant à chaque contribution effectuée par la compagnie à un tel régime doit être versé à Revenu Canada à titre d'impôt remboursable. Cette mesure nuirait considérablement à la capacité du régime de croître et de contribuer de façon significative aux coûts de l'employeur relatifs à la prestation des avantages aux conjoints de même sexe.

Les deux actuaires et Mme Hannah ont rejeté la convention de retraite agréée à titre de moyen viable pour assurer des prestations de pension de survivant aux conjoints de même sexe.

L'actuaire de la Commission a recommandé un régime de versements au fur et à mesure avec accréditif à titre d'option viable pour offrir les prestations de survivant aux conjoints de même sexe dans le cadre du régime de pension d'Air Canada, advenant que la viabilité financière de l'entreprise et sa capacité de payer à échéance les prestations de pension soient quelque peu préoccupantes.

ANALYSE DE LA PREUVE RELATIVE AUX SOLUTIONS DE RECHANGE

Si l'intimée était tenue d'élaborer une solution de rechange aux fins d'étendre les avantages sociaux aux conjoints de même sexe de ses employés, ne pourrait-on pas lui reprocher d'offrir des avantages inégaux à ses employés ayant des conjoints de même sexe et ne prêterait-elle pas le flanc à d'autres plaintes en raison de cette inégalité?

17

Les actuaires assignés par l'intimée et par la Commission ont reconnu que les dispositions actuelles de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur les normes de prestation de pension interdisent, dans le contexte d'un régime de pension agréé, le paiement de prestations de pension de survivant à un partenaire de même sexe. L'actuaire assigné par la Commission a ajouté que la loi actuelle a pour effet d'empêcher un conjoint de même sexe de toucher la même prestation que celle qui est versée à un conjoint hétérosexuel. Une prestation identique ne pourra être touchée par un partenaire de même sexe qu'après modification de la loi.

M. Christie a également reconnu les difficultés signalées par M. Simard relativement au traitement des réclamations conflictuelles et il a convenu que là où la Loi sur les normes de prestation de pension établit une priorité, l'employeur doit reconnaître une telle priorité. (Pièce HR-4, paragraphe 3.2)

Au paragraphe 3.4 de son rapport, déposé à titre de pièce HR-4, M. Christie déclare :

[TRADUCTION]

L'exigence de la LNPP [Loi sur les normes de prestation de pension] relative à la prestation obligatoire au conjoint dans le cas des conjoints hétérosexuels repose sur des motifs de politique sociale. La politique sociale n'a pas encore évolué au point de réclamer les mêmes prestations obligatoires pour les partenaires de même sexe. L'employeur n'a aucun motif d'exiger que cet avantage soit obligatoire pour les partenaires de même sexe. Il peut être offert aux employés qui souhaitent s'en prévaloir. Un employé vivant en union de fait avec un conjoint de même sexe qui désire désigner un autre bénéficiaire peut encore le faire.

Il nous semble que la proposition de M. Christie maintient une inégalité entre les prestations offertes aux conjoints hétérosexuels et aux conjoints homosexuels et que cette inégalité ouvre ainsi la porte à d'autres plaintes de discrimination contre la compagnie. A titre d'exemple, les employés ayant des conjoints homosexuels auront la possibilité de désigner leur partenaire de même sexe comme bénéficiaire de leur pension contrairement aux employés ayant des conjoints hétérosexuels qui continueront d'être régis par la disposition obligatoire.

En ce qui a trait à la pension réversible de soixante pour cent aux termes de laquelle une prestation de pension réduite est payable à l'employé de façon à financer une prestation accrue à l'égard du conjoint survivant, M. Christie laisse entendre que le régime de pension agréé devra peut-être continuer de verser une rente viagère ordinaire à l'employé, c'est-à-dire une pension non réduite, mais que la solution de rechange devrait être structurée de façon à exiger que l'employé verse une partie de sa pension au régime de rechange de façon à ce que la pension de survivant de soixante pour cent puisse être payée au partenaire de même sexe après le décès du retraité. (Pièce HR-4, paragraphe 3.8)

Toutefois, aux termes du paragraphe 18(1) de la Loi sur les normes de prestation de pension, une prestation d'employé au titre du régime de

18

pension ne peut être cédée, grevée ou faire l'objet d'une promesse de paiement ou d'une garantie et, par conséquent, la solution de rechange ne permettrait pas de forcer le retraité à payer une portion de sa pension au régime de rechange afin de financer le paiement de la pension réversible de soixante pour cent.

Si l'on donnait au participant la possibilité de réduire sa pension dans le but de fournir à son partenaire de même sexe une pension de survivant de soixante pour cent, cela créerait une nouvelle inégalité en ce sens que le conjoint hétérosexuel d'un employé aurait droit à une pension de survivant de soixante pour cent obligatoire tandis que le conjoint homosexuel d'un employé aurait une pension de survivant de soixante pour cent facultative, selon la décision de l'employé.

Compte tenu de ce qui précède, il semblerait assez difficile de faire en sorte d'offrir au conjoint de même sexe une pension de survivant de soixante pour cent équivalente.

Dans un même ordre d'idées, à titre d'exemple additionnel, étant donné que l'employé ayant un conjoint de même sexe aura la possibilité de désigner ce conjoint ou toute autre personne comme bénéficiaire de ses prestations, le partenaire homosexuel d'un employé qui n'a pas été désigné à titre de bénéficiaire des prestations de pension de l'employé aura la possibilité de porter plainte contre Air Canada pour discrimination fondée sur l'orientation sexuelle puisque le régime de pension établi par Air Canada rend facultative la désignation d'un partenaire de même sexe à titre de bénéficiaire des prestations de pension, tandis que les conjoints de fait hétérosexuels ou les conjoints mariés ont droit au versement d'une pension obligatoire.

Dans son rapport, M. Christie signale que le traitement fiscal des prestations découlant d'une solution de rechange sera différent du traitement fiscal des prestations découlant d'un régime de pension agréé. Voici ce qu'il dit aux paragraphes 4.2 et 4.3 :

[TRADUCTION]

A mon avis, l'employeur devrait offrir un avantage équivalent dans un régime de rechange sans tenter d'effectuer de rajustement en ce qui a trait au traitement fiscal différent du récipiendaire. Le fait que le partenaire de même sexe touchera une prestation nette d'impôt différente découle des dispositions de la LIR [Loi de l'impôt sur le revenu] sur lesquelles l'employeur n'a aucun contrôle.

[...] Les différences dans les montants nets d'impôt touchés par un conjoint de même sexe comparativement à un conjoint hétérosexuel seraient uniquement attribuables aux différences qui existent dans la LIR [Loi de l'impôt sur le revenu]. (Pièce HR-4, paragraphes 4.2 et 4.3)

Cet extrait souligne clairement les difficultés auxquelles l'intimée devra faire face si elle est tenue de fournir les prestations de pension de survivant à des partenaires de même sexe. Le système législatif actuel taxera ces montants différemment.

19

Dans son témoignage, M. Christie a signalé que la solution de rechange offerte par l'employeur pourrait être structurée de façon à compenser les différences de traitement fiscal entre les prestations de pension aux conjoints de même sexe et hétérosexuels pour faire en sorte que les partenaires homosexuels touchent en bout de ligne le même montant que les partenaires hétérosexuels. (Transcription, vol. 4, p. 482)

M. Christie a ajouté :

[Traduction]

L'employeur, pour éliminer ce qui à mon avis constitue de la discrimination, devrait offrir des prestations équivalentes. D'autre part, si cette prestation équivalente est imposée différemment en raison de la Loi de l'impôt sur le revenu, il s'agit d'un problème qui relève uniquement de cette Loi.

Une partie de la discussion cet avant-midi a porté sur le fait que la législation sur les droits de la personne est structurée de façon à fournir un résultat équivalent, c'est-à-dire que la prestation après impôt soit la même dans les deux situations. Si tel est le cas, et je pense qu'il s'agit là d'une question juridique, mais si c'est le cas, alors, l'employeur devra fournir une prestation équivalente, une prestation après impôt équivalente, et par conséquent assumer le coût additionnel, le cas échéant, découlant du traitement fiscal le moins favorable (transcription, vol. 4, pages 547 et 548)

Dans son rapport et dans son témoignage, M. Christie a considérablement minimisé les complications et le traitement inégal dont les prestations étendues aux conjoints de même sexe à la suite d'une modification législative continueraient à faire l'objet.

Tel que signalé précédemment, M. Christie dans son rapport fait valoir qu'il incombe à l'employeur de fournir aux partenaires de même sexe des avantages équivalents à ceux qui sont offerts aux partenaires de sexe opposé. A son avis, si ces avantages font l'objet d'un traitement fiscal différent, c'est un problème qui ne concerne pas l'employeur, mais qui découle en réalité des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.

D'autre part, dans son témoignage, M. Christie a affirmé que s'il fallait en arriver à un traitement équivalent, l'employeur devrait assumer les coûts additionnels nécessaires pour rendre les prestations après impôt des conjoints de même sexe égales à celles des conjoints hétérosexuels.

A notre avis, le témoignage de M. Christie tranche considérablement avec les commentaires qu'il a formulés dans son rapport relativement à la responsabilité de l'employeur concernant le traitement fiscal des prestations de pension payées aux conjoints de même sexe. Il semblerait que les conclusions de son rapport s'appuyaient en partie sur l'opinion selon laquelle l'employeur n'est pas tenu de prendre en compte la portée de la Loi de l'impôt sur le revenu lorsqu'il étend le paiement des prestations de pension de survivant aux conjoints de même sexe. A notre avis, le rapport de M. Christie doit être considéré dans ce contexte.

20

Dans le rapport qu'il a déposé, M. Christie reconnaît les multiples divergences entre les conjoints de même sexe et hétérosexuels que perpétue le système législatif actuel. En dépit de ces différences, M. Christie est d'avis que l'employeur devrait néanmoins aller de l'avant et offrir ce qui, à notre avis, constituera un avantage inégal.

Par conséquent, en ce qui a trait à la complexité administrative de la gestion de la solution de rechange ou aux coûts associés à la mise en place d'une telle solution, nous préférons le témoignage de M. Simard à celui de M. Christie.

PREUVE DES COUTS ENGENDRÉS PAR LA PRESTATION DES AVANTAGES AUX CONJOINTS DE MEME SEXE ET ANALYSE DE CEUX-CI

MM. Christie et Simard ne s'entendent pas sur ce qu'il en coûtera pour assurer les prestations de survivant aux conjoints de même sexe dans le cadre du régime des versements au fur et à mesure avec accréditif proposé. M. Simard a mis en doute le taux d'actualisation après impôt utilisé par M. Christie pour déterminer la valeur actuelle des contributions de la compagnie.

M. Christie utilise un taux de huit pour cent (8 %) et, dans son rapport, il affirme que :

[TRADUCTION]

Le taux d'actualisation qu'il convient d'utiliser dans ce calcul est le taux de rendement du capital après impôt qui pourrait être plus élevé ou plus bas que le taux de rendement du régime de pension. Un taux d'actualisation plus élevé produira une valeur actualisée moins élevée et vice versa. (paragraphe 5.4, HR-4)

Selon M. Simard, un taux de cinq pour cent (5 %) qui correspond au coût net des emprunts après impôt de l'intimée, serait un taux plus approprié.

Si on utilise le coût net des emprunts après impôt proposé par M. Simard, le coût de l'accréditif devient encore plus élevé que le coût de la convention de retraite agréée que les deux actuaires ont rejetée.

En réponse à la décision de M. Simard de choisir le taux de cinq pour cent (5 %) après impôt plutôt que le taux de huit pour cent (8 %) après impôt, M. Christie a affirmé que, à son avis, le taux de cinq pour cent (5 %) serait plutôt bas, mais qu'il n'était pas prêt à soutenir que M. Simard avait tort et que lui avait raison. M. Christie a toutefois signalé que:

[TRADUCTION]

Le taux d'actualisation après impôt devant être utilisé dans ce genre de calcul dépendra en grande partie du taux que l'employeur estime approprié. (transcription, vol. 4, p. 506)

Par conséquent, étant donné que l'actuaire de l'employeur a choisi le taux d'actualisation après impôt de cinq pour cent (5 %) et que l'actuaire de la Commission laisse entendre que le taux d'actualisation devrait être celui que l'employeur estime approprié, nous sommes d'avis que le taux d'actualisation après impôt de cinq pour cent (5 %) choisi par l'actuaire

21

de l'employeur constitue en réalité le taux approprié en l'occurrence. Suivant le même raisonnement, nous devons établir que le régime de versements au fur et à mesure avec accréditif serait tout aussi coûteux sinon plus que la convention de retraite agréée que les parties ont rejetée à titre de solution de rechange.

Il était manifeste qu'aucun des témoins ne pouvait dire précisément combien d'employés d'Air Canada demanderaient à se prévaloir des prestations de survivant pour un conjoint de même sexe. On a convenu que, jusqu'à aujourd'hui, 150 employés avaient demandé les prestations de conjoint, à l'exclusion de la pension, mais M. Christie, dans son témoignage, a souligné qu'il n'était pas au courant de:

[TRADUCTION]

l'existence d'aucune preuve statistique valable relative au nombre de couples de même sexe comparativement au nombre de couples hétérosexuels (transcription, vol. 4, p. 486)

M. Aronovitch de l'organisme EGALE, Égalité pour les gais et les lesbiennes, a été incapable de fournir un nombre précis ou le pourcentage de la population que représentent les gais et lesbiennes.

M. Aronovitch a ajouté:

[TRADUCTION]

Bon nombre de personnes qui sont engagées dans des relations à long terme n'ont probablement pas besoin des prestations de conjoint que leur offre leur employeur, parce que, plus particulièrement dans les relations entre deux hommes, les deux auront déjà vraisemblablement un emploi, et il se peut fort bien que le partenaire participe déjà à un régime de soins médicaux ou dentaires, ou de prestations de retraite ou autres, de son employeur. Un grand nombre de personnes engagées dans des relations, encore, ne sont peut-être pas enclines à déclarer leur orientation sexuelle à leur employeur. (Transcription, vol. 2, p. 277)

M. Christie a estimé que, pour offrir les prestations de survivant aux conjoints de même sexe au sein d'un régime de retraite agréé, il en coûterait environ 0,018 à 0,3 pour cent de la masse salariale cotisable. Il n'a pas proposé d'estimé de ce qu'il en coûterait pour offrir les prestations de survivant aux conjoints de même sexe en dehors d'un régime de pension agréé. A son avis, les coûts additionnels pour un employeur se situent en deçà du niveau normalement jugé significatif. Son point de vue toutefois était fondé sur certaines hypothèses qui ont été contredites par l'actuaire de l'intimée.

Par conséquent, il subsiste une grande part d'incertitude en ce qui a trait au nombre de personnes qui participeraient à l'extension des prestations de survivant aux conjoints de même sexe et sur ce qu'il en coûterait à l'intimée pour offrir de tels avantages.

Si ces avantages étaient étendus aux conjoints de même sexe, les prestations ne seraient pas équivalentes compte tenu des dispositions de la

22

Loi sur les normes de prestation de pension et celles de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans certains cas, tel que signalé précédemment, les personnes que l'on cherche à avantager se verront refuser les prestations à cause des dispositions de priorité de la Loi sur les normes de prestation de pension ou à cause du défaut de l'employé d'exercer les options qui lui sont offertes de désigner son conjoint de même sexe à titre de bénéficiaire testamentaire ou de prendre les mesures requises pour que les prestations réversibles de soixante pour cent soient accordées à son conjoint de même sexe.

Il semblerait que l'on nous demande d'imposer à l'intimée le devoir et la responsabilité d'étendre les avantages sociaux aux conjoints d'un segment de ses effectifs dont le nombre ne peut être précisé, à un coût qui n'a pas été entièrement calculé et selon des conditions qui peuvent fort bien donner lieu à d'autres actes discriminatoires. La Commission et le plaignant demandent au présent Tribunal de faire un saut dans l'inconnu sans savoir au juste ce qu'il en coûtera et combien de personnes seront concernées, éléments qui, à notre avis, sont nécessaires pour en arriver à une décision équitable et motivée.

23

ANALYSE DE LA LOI

L'article 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est ainsi libellé :

3.(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Voici ce que dit l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

L'article 10 de cette même loi précise ce qui suit :

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

Le 29 avril 1996, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi C-33. Ce projet modifie le paragraphe 3.(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ajoutant, entre autres, l'orientation sexuelle à titre de motif de distinction illicite.

Tel qu'énoncé précédemment, le présent Tribunal est saisi de la question de savoir si le défaut de l'intimée d'étendre les prestations de soins de santé et de pension aux conjoints de même sexe constitue un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite. Dans le but de déterminer si le plaignant, à cet égard, a présenté une preuve prima facie, nous devons décider à quel moment l'orientation sexuelle devient un motif illicite de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Avant d'analyser plus en profondeur cette question, examinons d'abord ce qu'est le fardeau et l'ordre de la preuve dans des affaires de discrimination.

... le plaignant doit d'abord établir que l'acte reproché a toutes les apparences d'un acte discriminatoire; après quoi, il incombe au mis-en-cause de fournir une explication raisonnable de l'acte qui lui est reproché. En supposant que l'employeur ait fourni une explication, il revient alors au plaignant de

24

démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination. Basi v. Canadian National Railway Co., Tribunal des droits de la personne 1988, 9 C.H.R.R., D/5029 à D/5037, alinéa 38474.

Quels sont donc les éléments d'une preuve prima facie?

[traduction] la preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. O'Malley v. Simpson Sears, (1986), 7 C.H.R.R., D/3102 (SCC) à D/3108, alinéa 24782.

L'exposé conjoint des faits établit que M. Laessoe était un employé d'Air Canada; qu'il vivait en union de fait avec un partenaire de même sexe; qu'il a présenté à Air Canada une demande de prestations de conjoint pour son partenaire; qu'Air Canada a refusé de lui accorder les prestations de conjoint parce que son partenaire ne s'inscrivait pas dans la définition du mot conjoint contenue dans le régime de pension des employés de l'intimée, laquelle définition concorde avec celle qui figure dans la Loi de l'impôt sur le revenu et dans la Loi sur les normes de prestation de pension. Toutes les parties reconnaissent ces faits.

Il s'agit de déterminer si le refus d'accorder des prestations de conjoint à un partenaire de même sexe constitue un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite tel que défini dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le projet de loi C-33 déposé récemment par le gouvernement canadien inclut clairement l'orientation sexuelle à titre de motif illicite de discrimination dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette loi a obtenu la sanction royale. Cette loi n'était pas en vigueur au moment où la plainte a été déposée ni au moment où cette affaire a été entendue et elle n'a pas d'effet rétroactif. Par conséquent, nous devons consulter la jurisprudence pour nous aider à établir à quel moment l'orientation sexuelle est devenue un motif illicite.

ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE

Le plaignant a allégué que le refus d'Air Canada d'accorder les avantages sociaux à son conjoint de même sexe constitue un acte discriminatoire à son endroit fondé non seulement sur l'orientation sexuelle, mais également sur la situation de famille et l'état matrimonial. Le présent Tribunal est lié par l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Canada (Attorney General) v. Mossop, (1993) 17 C.H.R.R., D/349. Lorsqu'on a demandé à la Cour, dans cette affaire, de décider s'il y avait eu discrimination fondée sur la situation de famille, cette dernière a conclu que l'orientation sexuelle du plaignant, M. Mossop, était si intimement liée aux motifs qui ont donné lieu au refus d'accorder l'avantage demandé qu'on ne pouvait déclarer que le refus constituait un acte de discrimination fondée sur la situation de famille sans introduire de façon indirecte une protection contre la

25

discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, ce que le législateur avait spécifiquement décidé de ne pas faire.

Par conséquent, en l'occurrence, il semblerait que, avant de pouvoir conclure que l'intimée, Air Canada, a commis un acte de discrimination fondée sur la situation de famille, le Tribunal devra décider si l'orientation sexuelle constitue en réalité un motif illicite.

Nous concluons également que, en ce qui a trait à l'allégation d'acte discriminatoire fondé sur l'état matrimonial commis par l'intimée, l'état matrimonial du plaignant est également étroitement lié à son orientation sexuelle. Seule une personne ayant l'orientation sexuelle du plaignant choisirait un conjoint de même sexe. Ce n'est pas le fait que M. Laessoe soit considéré comme étant célibataire aux fins du régime de pension qui donne lieu à l'acte discriminatoire, mais plutôt le fait que son conjoint, en raison de son orientation sexuelle, soit exclu de la définition de conjoint contenue dans le régime de pension.

A notre avis, nous devons par conséquent nous pencher sur le motif d'orientation sexuelle allégué pour déterminer si quelque motif que ce soit de discrimination formulé dans la plainte a, de fait, été prouvé.

Dans l'arrêt Egan et Nesbit c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513 publié en mai 1995, la Cour suprême du Canada a décidé à l'unanimité, pour la première fois, que l'orientation sexuelle constitue un motif analogue de discrimination aux termes du paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés. L'arrêt a considéré plus particulièrement certaines dispositions de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, dont la définition du terme conjoint - une personne de sexe opposé - et le refus d'accorder les prestations de pension au conjoint de même sexe de l'appelant, M. James Egan.

Quatre juges, soit les juges Lamer, La Forest, Gonthier et Major, ont conclu que même si l'orientation sexuelle constituait un motif de distinction illicite, le refus d'accorder les prestations de pension fondé sur la définition du terme conjoint de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne constituait pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe 15(1). Ces quatre juges ont également conclu que, même s'il avait été décidé que cette définition violait le paragraphe 15(1) de la Charte, cette violation était justifiée au regard de l'article premier de la Charte des droits et libertés.

Quatre juges ont conclu que la loi violait le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés et que cette violation n'était pas justifiée par l'article premier. Il s'agit des juges L'Heureux-Dubé, Cory, McLachlin et Iacobucci.

Le juge Sopinka a conclu que même si la loi violait le paragraphe 15(1) de la Charte, cette violation était justifiée au regard de l'article premier.

Si nous voulons analyser toutes les répercussions de cet arrêt sur la présente affaire, il importe d'étudier en profondeur le raisonnement des juges.

26

Le juge La Forest, qui a rédigé les motifs pour les juges Lamer, Gonthier et Major, a conclu ce qui suit :

En termes simples, ce que le législateur désirait manifestement [en adoptant la Loi sur la sécurité de la vieillesse et la définition de conjoint qui y figure], c'était consentir un soutien aux couples mariés qui sont âgés afin de promouvoir une politique d'intérêt public primordiale pour la société.

[...] Qu'il suffise de dire que le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui elle-même est le reflet de traditions philosophiques et religieuses anciennes. Mais la véritable raison d'être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d'union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. Dans ce sens, le mariage est, de par sa nature, hétérosexuel. On pourrait le définir sur le plan juridique de façon à y inclure les couples homosexuels, mais cela ne changerait pas les réalités biologiques et sociales qui sous- tendent le mariage traditionnel. (Egan c. Canada, supra, 535-536)

Le juge La Forest a précisé ce qui suit :

Le fait de restreindre les bénéfices aux couples mariés et aux conjoints de fait exclut nécessairement toute autre forme de couple qui cohabite, comme les frères et soeurs ou autres parents, peu importe le sexe, et les couples qui ne sont pas liés par le sang, quelles que soient leurs raisons et peu importe leur orientation sexuelle. (Egan c. Canada, supra, p. 535)

Faisant sienne la réflexion du juge Mahoney de la Cour d'appel (pages 412 et 413) selon laquelle Ä moins de pressions subjectives, il n'est pas nécessaire que le sexe soit un élément à considérer dans le choix d'un ou d'une partenaire, (Egan c. Canada, supra, page 535), le juge La Forest ajoute:

Bref, la distinction établie par le législateur est fondée sur une relation sociale, une unité sociale fondamentale pour la société. Cette unité, comme j'ai tenté de l'expliquer, est unique. Elle se distingue de tous les autres couples, y compris des couples homosexuels. D'autres groupes exclus, il est vrai, n'ont pas à être décrits par renvoi au sexe ou aux préférences sexuelles, mais cela n'a guère d'importance. La distinction qu'a adoptée le législateur est pertinente, voire essentielle, pour décrire la relation, comme le fait la loi, de façon à distinguer les couples qui y sont décrits de tous les couples qui ne servent pas les objectifs sociaux pour lesquels le législateur a établi la distinction. Aussi, les couples homosexuels ne sont-ils pas victimes de discrimination; ils sont simplement inclus avec ces autres couples. (Egan c. Canada, supra, page 539)

27

Comme mentionné précédemment, le juge Sopinka conclut que la définition contenue dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse viole le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. D'autre part, il est convaincu que cette violation est justifiée au regard de l'article premier. Voici ce qu'il dit :

Tout comme le procureur général du Canada intimé, je suis d'avis que le gouvernement doit pouvoir disposer d'une certaine souplesse dans la prestation des avantages sociaux et qu'il n'est pas tenu d'adopter une attitude proactive pour ce qui est de la reconnaissance des nouvelles formes de relations dans la société. La Cour ferait preuve d'un manque de réalisme si elle présumait qu'il existe des ressources inépuisables pour répondre aux besoins de chacun. (Egan c. Canada, supra, page 572)

Le juge Sopinka ajoute un peu plus loin :

Puisque l'assimilation des couples de même sexe aux conjoints hétérosexuels, mariés ou en union de fait, est encore perçue en général comme un concept nouveau, je ne suis pas prêt à dire que, par son inaction jusqu'ici, le gouvernement s'est privé du droit d'invoquer l'article premier de la Charte. (Egan c. Canada, supra, page 576)

Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu que même si l'orientation sexuelle constituait un motif analogue de discrimination en vertu de la Charte, le gouvernement fédéral pouvait continuer de se prévaloir de la définition de conjoint contenue dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse qui restreint les avantages aux époux hétérosexuels.

L'avocat de la Commission nous a demandé instamment d'adopter l'analyse du juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Egan c. Canada, supra. Selon le juge L'Heureux-Dubé, pour conclure à l'existence d'un acte discriminatoire, il ne faudrait pas être limité par les motifs énumérés dans la Charte. A notre avis, compte tenu du libellé du paragraphe 15(1) de la Charte, ce raisonnement n'est toutefois pas applicable lorsqu'on analyse les dispositions des articles 2 et 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui ne renferment aucune interdiction générale de discrimination et où les actes discriminatoires sont limités aux motifs qui y sont énumérés.

Le paragraphe 15(1) est ainsi libellé :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. (ainsi que sur l'orientation sexuelle depuis la décision Egan, supra)

L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne précise en partie ce qui suit :

[...] le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des

28

considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Le paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne stipule que:

Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Nous sommes d'avis que le libellé des articles 2 et 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est plus restrictif que celui du paragraphe 15(1). Le paragraphe 15(1) prévoit que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, puis énumère un certain nombre d'exemples de discrimination. Les articles 2 et 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne définissent restrictivement les actes discriminatoires comme étant les actes fondés sur les motifs énumérés. La protection élargie contre la discrimination que l'on trouve au paragraphe 15(1) ne figure pas aux articles 2 et 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Comme l'a signalé le juge Sopinka, la Cour suprême du Canada a conclu pour la première fois dans Egan c. Canada, supra, que l'orientation sexuelle était un motif analogue en vertu de la Charte. On a fait valoir devant nous que l'ajout de l'orientation sexuelle à titre de motif analogue en vertu de la Charte introduit nécessairement l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne au nombre des motifs illicites de discrimination.

L'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 est ainsi rédigé :

52(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Nous sommes d'avis que la reconnaissance de l'orientation sexuelle comme motif illicite de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne est fonction de la reconnaissance qui a été faite de ce motif dans l'arrêt Egan, supra. Cela signifie que, même si la Cour suprême du Canada a jugé que l'orientation sexuelle constituait un motif analogue en vertu de la Charte, cette même Cour a, par la suite, conclu que la définition du terme conjoint qui exclut les conjoints de même sexe aux fins des prestations de pension dans la loi fédérale pouvait demeurer en vigueur. Ainsi, l'introduction de l'orientation sexuelle à titre de motif illicite de discrimination dans la Loi canadienne sur les droits de la personne à la suite de l'arrêt Egan est restreinte par les conclusions de cet arrêt et, par conséquent, lorsque nous sommes saisis d'une situation de fait similaire à celle qui existait dans Egan, nous sommes tenus de conclure qu'une définition du terme conjoint semblable à celle que renferme le régime de pension de l'intimée n'est pas discriminatoire.

29

L'arrêt Haig v. Canada (1992), 16 C.H.R.R., D/226 est une décision de la Cour d'appel de l'Ontario. Dans cette affaire, les intimés, Haig et Birch, invoquant la Charte ont demandé à la Cour de déclarer que l'absence de l'orientation sexuelle dans la liste des motifs de discrimination prévus à l'article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne viole le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La demande a été accueillie par la Division générale de la Cour de l'Ontario et le procureur général du Canada a interjeté appel devant la Cour d'appel de l'Ontario. Celle-ci a maintenu la décision de la Division générale de la Cour de l'Ontario et a conclu que la Loi canadienne sur les droits de la personne violait le paragraphe 15(1) en n'incluant pas l'orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite. La Cour a également conclu que l'orientation sexuelle devrait être considérée comme faisant partie des motifs prohibés énoncés au paragraphe 3(1). Le procureur général du Canada n'en a pas appelé de la décision de la Cour d'appel de l'Ontario.

Dans l'arrêt Canada c. Mossop, supra, Brian Mossop, un fonctionnaire fédéral qui avait pris une journée de congé pour assister aux funérailles du père de son amant, a porté plainte auprès du Tribunal des droits de la personne dans laquelle il alléguait avoir fait l'objet de discrimination fondée sur la situation de famillle lorsqu'on lui a refusé un congé de deuil. La Cour suprême du Canada a conclu que l'orientation sexuelle du plaignant était si étroitement liée aux motifs qui ont donné lieu au refus d'accorder la demande de congé qu'on ne pouvait déclarer que le refus constituait un acte de discrimination fondée sur la situation de famille sans introduire directement une protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ce que le législateur avait jusqu'alors spécifiquement décidé de ne pas inclure.

Quelles que soient mes opinions personnelles à cet égard, j'estime que l'intention évidente du législateur a toujours été, avant comme au moment de la modification de 1983 à la LCDP, de ne pas accorder à qui que ce soit de protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Si sa constitutionnalité n'est pas contestée en vertu de la Charte, lorsque l'intention du législateur est évidente, les cours de justice et les tribunaux administratifs n'ont d'autres pouvoirs que d'appliquer la loi. (Mossop, supra, page D/363, alinéas 34 et 35)

Avant que la Cour suprême du Canada ait fait connaître ses motifs dans l'affaire Mossop, supra, la Cour d'appel de l'Ontario a rendu sa décision dans Haig, supra, et la ministre de la Justice a annoncé son intention de ne pas en appeler de la décision.

Dans l'affaire Mossop, supra, la Cour suprême du Canada a invité les parties au pourvoi à soumettre de nouveaux arguments. Voici ce que dit le juge en chef Lamer :

... L'appelante aurait alors très bien pu, en s'inspirant des motifs de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Haig, supra, contester la constitutionnalité de l'art. 3 de la LCDP en raison

30

de l'absence, à la liste des motifs de distinction illicite, de l'orientation sexuelle. Cela aurait permis à notre Cour de se pencher à son tour sur les questions fondamentales débattues devant la Cour d'appel de l'Ontario dans le contexte de l'arrêt Haig. Il aurait été possible, ce faisant, d'apporter au présent problème une solution beaucoup plus complète et durable. (Mossop, supra, p. D/361, alinéa 28)

L'appelante dans l'affaire Mossop, supra, la Commission canadienne des droits de la personne, a toutefois choisi de ne pas emprunter la voie préconisée par la Cour et a insisté pour que la Cour dispose de son recours sur le seul fondement du sens de l'expression situation de famille.

La Cour suprême du Canada a conclu que le législateur n'avait pas inclus l'orientation sexuelle dans ses modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1983 et que, par conséquent, il est clair que le législateur n'avait pas l'intention d'accorder à qui que ce soit de protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

... s'il n'y a pas de contestation fondée sur la Charte, celle-ci ne peut être utilisée pour interpréter une loi de façon à contrarier son objet ou à lui donner un effet que le législateur ne souhaitait pas de toute évidence. (Mossop, supra, D/363, alinéa 36)

Il ressort clairement des commentaires du juge en chef Lamer que la Cour suprême du Canada dans Mossop, supra, n'a pas jugé que la décision rendue dans Haig, supra, établissait de façon définitive que l'orientation sexuelle constituait un motif illicite de distinction en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

A notre avis, l'arrêt Haig, supra, se distingue de la présente affaire en raison des faits. Dans l'affaire Haig, les intimés ont été incapables de faire déclarer inconstitutionnelle une règle des Forces armées qui restreignait considérablement l'avancement des membres des Forces armées qui affichaient ouvertement leur orientation homosexuelle parce que l'orientation sexuelle ne constituait pas un motif illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans la présente instance, nous avons une définition du terme conjoint dans les régimes de pension et d'avantages sociaux de l'intimée qui est conforme à celle qui figure dans les lois fédérales. Ces lois font partie du système législatif qui vise à offrir une planification de retraite, plus particulièrement pour les couples qui:

[...] servent [...] les objectifs sociaux pour lesquels le législateur a établi la distinction. (Egan c. Canada, supra, page 539).

Le juge Krever a signalé dans l'arrêt Haig:

[TRADUCTION]

[...] Toutefois, la distinction créée par la loi seule ne suffit pas à justifier une conclusion de discrimination au sens du

31

paragraphe 15(1) de la Charte. [...] Il faut également tenir compte de l'ensemble des contextes social, politique et juridique. Le juge Wilson, se faisant le porte-parole d'une Cour suprême du Canada unanime dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296 a déclaré ce qui suit aux pages 1331 et 1332 :

[Textuel] Pour déterminer s'il y a discrimination pour des motifs liés à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, il importe d'examiner non seulement la disposition législative contestée qui établit une distinction contraire au droit à l'égalité, mais aussi d'examiner l'ensemble des contextes social, politique et juridique. Le juge McIntyre a souligné dans l'arrêt Andrews (à la page 167) :

En effet, comme on l'a déjà dit, une mauvaise loi ne peut être sauvegardée pour la simple raison qu'elle s'applique également à ceux qu'elle vise. Pas plus qu'une loi ne sera nécessairement mauvaise parce qu'elle établit des distinctions.

En conséquence, ce n'est qu'en examinant le contexte général qu'une cour de justice peut déterminer si la différence de traitement engendre une inégalité ou si, au contraire, l'identité de traitement engendre, à cause du contexte particulier, une inégalité ou présente un désavantage. A mon avis, la constatation d'une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut-être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée. (Haig, supra, D/230)

Dans l'arrêt Egan, supra, c'est l'ensemble des contextes social, politique et juridique que le juge La Forest a examiné avant de conclure que la définition de conjoint figurant dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse ne violait pas le paragraphe 15(1) et c'est également cet ensemble de contextes dont le juge Sopinka a tenu compte dans le même arrêt lorsqu'il a conclu que cette définition, même si elle contrevenait au paragraphe 15(1), était permise et justifiée en vertu de l'article premier de la Charte.

Ceci étant dit, la même distinction entre les conjoints hétérosexuels et homosexuels qui figure dans la définition de conjoint du régime de pension de l'intimée peut-elle en l'occurrence être considérée comme étant discriminatoire dans la présente affaire?

Dans l'arrêt récent Vriend v. Alberta (181 A.R. 16), la Cour d'appel de l'Alberta a conclu que le défaut du gouvernement de l'Alberta d'inclure l'orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination dans la Individual Rights Protection Act de la province ne violait pas les dispositions anti-discriminatoires de l'article 15 de la Charte. Par conséquent, contrairement à ce que soutiennent les avocats de la Commission et du plaignant, on ne peut pas dire que la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Haig v. Canada, supra, établit un principe juridique au Canada. Les commentaires du juge en chef dans Canada c. Mossop, supra,

32

sont révélateurs à cet égard, particulièrement lorsque le juge en chef Lamer conclut que le défaut d'aborder ces questions devant la Cour a fait en sorte qu'il était impossible d'apporter au présent problème une solution plus complète et durable.

L'affaire Leshner v. Ontario (2) 1992, 16 C.H.R.R. D/184 porte sur une décision d'une Commission d'enquête de l'Ontario découlant d'une plainte d'un fonctionnaire provincial dans laquelle ce dernier allègue avoir fait l'objet de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle parce que le régime de retraite du gouvernement de l'Ontario n'offre pas les prestations de survivant aux conjoints de même sexe. Il importe de signaler que, à ce moment-là, l'orientation sexuelle constituait un motif illicite de distinction aux termes du Code ontarien des droits de la personne et que le gouvernement de l'Ontario a reconnu que le défaut de fournir des prestations de survivant au conjoint de M. Leshner dans le cadre des prestations de pension constituait, à première vue, une violation de l'article 5 du Code.

Une Commission d'enquête établie en vertu du Code ontarien des droits de la personne est l'équivalent d'un tribunal constitué aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, ses décisions n'ont qu'une valeur persuasive. La situation de fait dans l'affaire Leshner se distingue de la présente à bon nombre d'égards.

Une des plus importantes différences porte sur le fait que l'intimé dans Leshner était le gouvernement de l'Ontario et que, par conséquent, la capacité du gouvernement de payer les prestations de survivant aux conjoints de même sexe, si un régime de versements au fur et à mesure était adopté, ne posait pas de problème. Il faut également convenir que le gouvernement de l'Ontario se trouve dans une situation financière quelque peu différente de celle d'un employeur privé tel que Air Canada en l'occurrence. Il y aurait lieu de s'attendre à ce que le gouvernement de l'Ontario joue davantage un rôle de chef de file dans ce domaine qu'un employeur privé, surtout compte tenu du fait que le gouvernement qui a autorité sur un tel employeur privé n'a pas été requis d'étendre les prestations de pension aux conjoints de même sexe.

La Commission d'enquête de l'Ontario analyse un bon nombre des questions dont nous sommes saisis.

Bien que des estimations précises n'aient pas été fournies à la Commission, cette dernière a conclu qu'un pourcentage relativement faible de la population est constitué d'homosexuels, que seulement une partie de ceux-ci vivent en couple et que ce dernier groupe ne compte qu'un très petit nombre d'employés de l'intimé.

Dans l'affaire dont nous sommes saisis, comme mentionné précédemment, le Tribunal n'a pas reçu suffisamment de renseignements pour lui permettre de tirer une conclusion quant au nombre d'employés susceptibles de se prévaloir des avantages si ceux-ci leur étaient offerts.

La Commission, s'appuyant sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Tetrault-Gadoury c. Canada (1991), 81 D.L.R.(4th) 358 a conclu que :

[Traduction]

33

Si l'on tente de soutenir qu'il est possible de justifier une mesure discriminatoire en l'insérant dans le contexte plus global d'une loi portant sur la discrimination, cela n'est pas acceptable à titre d'objectif. (Leshner, supra, D/204, alinéa 144)

Toutefois, il est clair que la Cour suprême du Canada dans Egan c. Canada, supra, était prête à permettre le maintien de la distinction entre les couples homosexuels et hétérosexuels qui existe dans la définition de conjoint de la Loi sur la sécurité de la vieillesse dans le cadre du système législatif qui vise à fournir un revenu de retraite et qui, à notre avis, doit inclure les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur les normes de prestation de pension.

La Commission, dans Leshner, supra, a rejeté l'argument de l'intimé selon lequel l'arrêt de la Cour suprême du Canada McKinney c. University of Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229 était directement applicable à l'affaire en instance. Dans McKinney, supra, la Cour suprême du Canada a conclu que le système de retraite obligatoire qui faisait l'objet de la plainte faisait partie intégrante d'un régime d'avantages sociaux dans le cadre des relations de travail. Plus important encore, il présupposait un échange. Les professeurs ont obtenu la titularisation, la liberté universitaire et la sécurité d'emploi en échange d'un âge limite d'emploi. La retraite obligatoire a été intégrée aux prestations et aux contributions de pension.

Dans McKinney, supra, la Cour a jugé que le législateur était fondé de faire preuve de prudence au moment d'effectuer des changements reliés à des questions sociales et économiques importantes. Le législateur ne devrait pas être tenu d'aborder tous les aspects d'un problème à la fois et il peut prendre en compte les difficultés sociales, économiques ou budgétaires qui surgiront s'il s'efforce de régler globalement tous les problèmes sociaux et économiques.

Dans l'affaire Leshner, supra, la Commission a établi la distinction suivante par rapport à l'arrêt McKinney :

[TRADUCTION]

la restriction des prestations de chômage de M. Leshner ne découle pas du processus de la convention collective; elle résulte d'une loi plutôt que d'une négociation et d'une entente. (Leshner, supra, p. D/205, alinéa 150)

Dans la présente instance, la preuve a révélé que l'extension des prestations de survivant aux conjoints de même sexe est à l'ordre du jour des négociations collectives depuis 1990. Nous avons également entendu que l'extension des prestations de soins médicaux aux conjoints de même sexe à la société Canadien International avait nécessité des concessions de la part de ses employés et du syndicat.

On pourrait faire valoir que l'extension des prestations de survivant aux conjoints de même sexe consentie à M. Laessoe et à ses collègues est un

34

avantage négocié semblable à celui qui existe dans l'affaire McKinney, supra, et que, par conséquent, les principes énoncés par la Cour suprême du Canada pourraient très bien s'appliquer à ce cas. Cela signifie que la Cour, et en l'occurrence le Tribunal, peut prendre en compte des difficultés sociales, économiques ou budgétaires susceptibles de surgir si on doit tenter de régler intégralement les problèmes sociaux et économiques. Par conséquent, nous dissociant des conclusions de la Commission d'enquête dans Leshner, supra, nous sommes d'avis que le présent Tribunal peut envisager le coût administratif et la complexité dont a fait état l'intimée et qui sont associés à la mise en place d'une solution de rechange pour le service des prestations de survivant aux conjoints de même sexe.

La Commission d'enquête de l'Ontario a conclu que l'incapacité de fournir un avantage identique n'a aucune répercussion sur la responsabilité découlant d'une violation du Code.

[Traduction] Nous estimons que l'égalité de résultat considérée du point de vue de l'employé dont les droits ont été brimés, satisfait aux facteurs décisifs du traitement égal. [...] Nous sommes d'avis que l'équivalence de résultat répond à l'exigence du traitement égal. (Leshner, supra, page D/195)

En arrivant à cette conclusion, la Commission a précisé :

[TRADUCTION]

Nous reconnaissons que l'origine du paiement fait à un conjoint survivant d'une union homosexuelle, ainsi que la structuration et le coût de la prestation dans ce cas, ne seront pas les mêmes que s'il s'agissait du conjoint survivant d'une relation hétérosexuelle. Toutefois, le montant et les conditions d'admissibilité de base pourraient être établis de façon à s'approcher de ceux qui sont applicables aux conjoints survivants hétérosexuels. (Leshner, supra, p. D/195)

Les faits sont différents dans l'affaire qui nous occupe. Les conditions associées aux prestations demeureront distinctes de celles qui sont appliquées aux conjoints hétérosexuels. Les prestations de pension ne seront pas inaliénables. Les prestations de pension peuvent être facultatives mais non obligatoires. Les prestations de pension peuvent être perdues dans le cas d'une réclamation prioritaire émanant d'un conjoint marié. S'il s'agit d'un régime de versements au fur et à mesure, les prestations ne sont pas garanties et peuvent être perdues advenant la faillite ou la mise sous séquestre de l'entreprise. A notre avis, on ne peut pas parler de résultat équivalent.

Nous pensons qu'aucune des solutions de rechange proposées ne pourra donner un résultat équivalent ou égal.

La Commission d'enquête dans Leshner, supra, ajoute que :

[Traduction]

35

Même s'il peut être plus coûteux d'assurer les prestations en dehors du cadre du régime de pension agréé, il n'a pas été établi que le coût serait tellement élevé qu'il mettrait en péril la capacité de l'intimé de continuer à verser les prestations aux travailleurs qui les reçoivent présentement.

La Commission conclut également que :

[TRADUCTION]

Le coût en l'occurrence est moins important que le tort qui résultera du fait qu'une minorité de notre population continuerait à être punie parce qu'elle est différente [...] De plus, le coût que peut représenter l'extension de tels avantages est minime lorsqu'il est réparti entre tous les employés du gouvernement. (Leshner, supra, pages D/205, al. 151 et D/206, al. 160)

Dans la présente affaire, nous n'avons aucune estimation précise des coûts associés à l'extension des prestations en dehors du régime de pension agréé. L'estimation des coûts en fonction du pourcentage de la masse salariale cotisable fournie par M. Christie visait le service de ces prestations au sein d'un régime de pension agréé et non en dehors d'un tel régime.

Il importe de se rappeler aussi que la partie en cause dans l'affaire Leshner, supra, était le gouvernement de l'Ontario. Assurément, le gouvernement de l'Ontario est un organisme qui a une capacité d'absorber des coûts additionnels beaucoup plus grande qu'un employeur privé comme Air Canada qui a connu des difficultés financières assez importantes. De plus, le témoignage des actuaires ne concordait pas quant au taux d'actualisation qu'il convenait d'appliquer et aucune donnée précise n'a été proposée relativement au nombre d'employés qui voudraient se prévaloir de ces avantages.

M. Christie a fait remarquer que les employés d'entreprises se trouvant dans une situation financière semblable à celle d'Air Canada auraient certainement un plus grand besoin d'une garantie au regard des prestations que les employés d'organismes de type gouvernemental comme celui qui s'est présenté devant la Commission d'enquête dans Leshner, supra. Comme l'a signalé M. Christie, une entreprise dont les opérations ne sont pas très rentables doit surveiller ses finances.

Quant à la question de ce qu'il en coûterait à l'intimée, on nous a cité l'arrêt Singh et autres c. M.E.I. [1985] 1 R.C.S. 177. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a examiné la constitutionnalité de la procédure d'appel énoncée dans la Loi sur l'immigration de 1976. La Cour a conclu que la procédure de reconnaissance du statut de réfugié établie dans la Loi sur l'immigration de 1976 était incompatible avec les exigences de la justice fondamentale énoncées à l'article 7.

Avant de prendre sa décision, la Cour a entendu un plaidoyer de l'intimé selon lequel la mise en application de nouvelles procédures de

36

reconnaissance du statut de réfugié serait extrêmement onéreux et fort complexe. Mme le juge Wilson déclare :

Même si le coût qu'entraîne l'observation de la justice fondamentale est un facteur auquel les tribunaux attachent une grande importance, le Ministre ne m'a pas convaincue que ce coût serait prohibitif au point de constituer une justification au sens de l'art. 1 (Singh, supra, page 220)

L'arrêt Singh, supra, met en cause un organisme gouvernemental, la Commission d'appel de l'immigration. Il traite également du droit d'une personne de ne pas être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées. En toute déférence, nous ne pensons pas que le défaut d'étendre les prestations de pension de survivant aux conjoints de même sexe peut être assimilé au déni de justice fondamentale qui fait l'objet de l'arrêt Singh. Par conséquent, il sera plus difficile pour le gouvernement fédéral de prouver son incapacité d'offrir une protection des droits qui ont été brimés dans Singh que ce ne l'est pour Air Canada dans la présente instance.

Le plaignant fait valoir que, compte tenu de l'arrêt Singh, supra, l'employeur intimé doit établir que le coût serait prohibitif au point de constituer une justification au regard d'un déni de justice fondamentale.

La preuve a établi clairement qu'il en coûtera beaucoup plus à l'intimée pour étendre les prestations de pension de survivant aux conjoints de même sexe que si les mêmes avantages pouvaient être étendus par le biais d'un régime de pension agréé. De fait, il en coûterait deux ou trois fois plus.

A défaut d'avoir une indication précise du nombre d'employés qui voudront se prévaloir de cet avantage ou du coût associé à celui-ci, données dont ne disposent ni Air Canada ni le présent Tribunal, il serait injuste d'infliger à Air Canada le fardeau de prouver le coût prohibitif.

Nous avons entendu une preuve au sujet de la situation financière précaire de la compagnie intimée.

Le témoignage relatif au nombre d'employés susceptibles de participer au régime si l'intimée était tenue de l'offrir et ce que ce régime coûterait à l'intimée s'est soldé par plus de questions que de réponses.

Si nous devions ordonner à l'intimée de fournir des prestations étendues -- la solution de la convention de retraite agréée a été rejetée par toutes les parties -- le scénario des versements au fur et à mesure semble trop risqué pour les employés, compte tenu de la situation financière de l'intimée et un régime de versements au fur et à mesure avec accréditif se solderait pour l'intimée en coûts importants dont le montant précis dépendrait en partie de la banque de l'intimée et de sa perception de la viabilité financière de celle-ci.

Eu égard au grand nombre de facteurs inconnus, nous sommes d'avis qu'il ne convient pas que ce Tribunal ordonne à l'intimée d'établir une solution de rechange pour le service des prestations de survivant aux conjoints de même

37

sexe, étant donné que ce Tribunal n'a que des renseignements limités sur les coûts qui seraient attribués à l'intimée.

Dans le régime offert par les Lignes aériennes Canadien International, il était clair que toute attribution à l'employeur de coûts découlant de l'extension des avantages du régime des soins médicaux aux conjoints de même sexe serait absorbée par le syndicat au moyen de gains de productivité. En l'occurrence, on ne nous demande pas d'exiger que le syndicat assume les coûts; en réalité, le syndicat n'est pas partie à l'instance et on ne peut l'obliger à les absorber. On nous demande d'imposer à l'intimée le fardeau de tous les coûts de l'extension des prestations du régime de pension aux conjoints de même sexe sans avoir une indication claire et concrète de ce que seront ces coûts. A notre avis, une telle ordonnance en faveur du plaignant serait prohibitive.

On nous a également fait valoir que tout coût additionnel attribué à l'intimée devrait être minimisé compte tenu des présumées économies que l'intimée a réalisées en ne payant pas les prestations de survivant aux conjoints de même sexe de ses employés gais et lesbiennes.

D'autre part, le plaignant et la Commission ont reconnu que même les entreprises qui avaient étendu les prestations de pension aux conjoints de même sexe n'avaient pas, en réalité, été tenues de mettre cette mesure en vigueur. De plus, aucune preuve n'a été présentée à ce Tribunal quant au nombre d'employés retraités d'Air Canada ayant un conjoint de même sexe qui auraient pu bénéficier de l'extension des demandes de prestations ni quant au montant des économies qui auraient, semble-t-il, été réalisées par l'intimée, Air Canada.

A notre avis, les actions d'Air Canada à ce jour ont été légales et justifiées. On ne peut laisser entendre qu'Air Canada a réalisé des économies en raison d'un traitement censément discriminatoire. En deuxième lieu, Air Canada a toujours versé les prestations de pension à ses employés gais et lesbiennes. Par conséquent, une tentative de déterminer les économies réelles attribuées à Air Canada serait à notre avis de nature spéculative et de peu de valeur.

Le plaignant a cherché à nous convaincre que la complexité administrative soulevée par l'intimée n'est qu'un simple prétexte. A l'appui de ses dires, le plaignant affirme que, bien que Air Canada ait demandé à l'actuaire d'établir ce qu'il en coûterait pour offrir les prestations aux conjoints de même sexe en 1992, la question de la complexité administrative n'a jamais été soulevée par l'intimée comme constituant un motif de refus au regard de ces prestations jusqu'au moment de l'audience devant nous. On ne peut reprocher à Air Canada le fait d'avoir, dans le cadre de la gestion de ses affaires, envisagé, dès 1992, le coût que représenterait le versement des prestations aux conjoints de même sexe.

Nous savons que les prestations aux conjoints de même sexe sont à l'ordre du jour des négociations collectives depuis 1990. Air Canada est un gros employeur et il doit suivre de près les valeurs et les politiques sociales susceptibles d'évoluer en prévision des questions qui feront l'objet de négociations collectives.

38

Il va de soi qu'Air Canada devait se pencher sur la question du coût du service des prestations aux conjoints de même sexe même si, en bout de ligne, on conclut que l'entreprise n'était pas légalement tenue de le faire.

En ce qui a trait aux complexités soulevées par M. Simard dans son rapport, le plaignant laisse entendre que la question de priorité entre les conjoints mariés et les conjoints de même sexe peut être atténuée si l'employé remplit une déclaration assermentée dans laquelle il atteste que, au moment de l'inscription de son conjoint de même sexe, il n'a aucun conjoint marié. Une telle déclaration assermentée pourrait en soi donner lieu à une plainte de discrimination fondée sur l'état matrimonial vu que l'employé non marié ayant un conjoint de même sexe aura droit aux prestations tandis que l'employé ayant un conjoint de même sexe et qui est marié n'y aura pas droit. Nous savons qu'une telle déclaration assermentée est actuellement utilisée lorsqu'il s'agit d'accorder des prestations aux conjoints de fait, mais ce n'est pas là une solution que nous recommandons.

L'existence d'un correctif, quoique discutable, à cette difficulté particulière ne règle pas le problème des autres complexités et ne favorise pas l'équivalence des résultats en ce qui a trait aux prestations étendues aux conjoints de même sexe comparativement à celles qui sont accordées aux conjoints de sexe opposé.

Le plaignant nous demande d'établir une distinction entre la justification soulevée par le juge Sopinka dans Egan c. Canada, supra, et celle qui a été invoquée par l'intimée dans la présente affaire. Le plaignant signale que, selon le juge Sopinka, le gouvernement fédéral bénéficie d'une plus grande latitude parce qu'il doit évaluer les répercussions de l'extension des avantages sociaux contenus dans une cinquantaine de lois fédérales au nombre desquelles figurent vraisemblablement la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur les normes de prestation de pension. Le juge Sopinka a donné au gouvernement fédéral la liberté de modifier ces lois afin d'étendre la protection et le versement des prestations aux conjoints de même sexe.

Comment pouvons-nous exiger que l'intimée devance le gouvernement fédéral en matière d'extension des avantages sociaux lorsque c'est l'inaction même du gouvernement fédéral au chapitre de la modification de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur les normes de prestation de pension qui a empêché l'intimée d'agir? Le gouvernement canadien a récemment modifié la Loi canadienne sur les droits de la personne pour inclure l'orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite. Même s'il est conscient du fait que d'autres lois devront être modifiées pour empêcher la discrimination fondée sur ce motif, le gouvernement fédéral a choisi de ne pas modifier la définition du terme conjoint qui figure dans la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur les normes de prestation de pension.

Nous ne souscrivons pas à l'assertion du plaignant selon laquelle il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue à l'égard de l'intimée en l'occurrence.

Selon le plaignant, cette situation est peut-être nouvelle pour le gouvernement fédéral, mais elle ne l'est pas pour les relations de travail dans le secteur privé; la question d'étendre les avantages sociaux aux

39

conjoints de même sexe figure à l'ordre du jour des négociations collectives depuis un bon nombre d'années.

Nous ne croyons pas qu'il soit possible de faire un cas à part du gouvernement fédéral. Si l'on tient pour acquis que la question de l'extension des avantages sociaux aux conjoints de même sexe fait l'objet de négociations collectives dans le secteur privé depuis un bon nombre d'années, il est raisonnable de penser que le gouvernement fédéral devait également être au courant de cette question.

Nous adoptons le raisonnement du juge Sopinka selon lequel cette question constitue un fait nouveau et que, par conséquent, on ne devrait pas imposer à Air Canada des normes plus élevées que celles qui ont été exigées du gouvernement fédéral en matière d'extension des prestations de pension et de retraite aux conjoints de même sexe.

Le plaignant nous a cité deux sentences arbitrales : Bell Canada and C.T.E.A. 43 L.A.C. (4th) 172 et Canadian Broadcasting Corp. and Canadian Media Guild 45 L.A.C. (4th) 353.

Le présent Tribunal n'est pas lié par les décisions arbitrales. Néanmoins, en examinant les motifs de la décision rendue dans l'affaire Bell, nous remarquons que l'arbitre s'est appuyé sur la décision Haig c. Canada, supra, lorsqu'il a décidé que le défaut de fournir les prestations de pension aux conjoints de même sexe constituait une discrimination illicite qui contrevenait à une disposition de la convention collective interdisant la discrimination illicite fondée sur l'orientation sexuelle. Après analyse de l'arrêt Mossop, supra, l'arbitre était d'avis que la décision rendue par la Cour d'appel dans l'arrêt Haig n'avait pas été infirmée. En toute déférence, nous sommes d'avis que la question de l'inclusion de l'orientation sexuelle au nombre des motifs illicites de discrimination n'avait pas été véritablement réglée avant d'avoir été abordée par la Cour Suprême ou d'avoir fait l'objet d'une loi. Nous concluons également que les faits propres de l'arrêt Haig se distinguent des faits reliés à la présente affaire.

Dans la décision arbitrale CBC, supra, il est également question des arrêts Mossop, supra, et Haig, supra. De nouveau, en toute déférence, nous ne pouvons souscrire à l'interprétation que fait l'arbitre des répercussions de l'arrêt Haig sur la Loi canadienne sur les droits de la personne, plus particulièrement à la lumière de la décision récente rendue par la Cour d'appel de l'Alberta dans Vriend, supra.

Il importe également de signaler que ces deux décisions arbitrales sont antérieures à l'arrêt Egan c. Canada, supra, de la Cour suprême tout comme le sont les arrêts Mossop, supra, et Haig, supra. Comme on l'a fait remarquer, même si la Cour suprême a conclu que l'orientation sexuelle constituait un motif analogue de discrimination en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, elle a également conclu que la définition discriminatoire du terme conjoint qui exclut les conjoints de même sexe aux fins des prestations de pension dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse était permise.

40

Me Delisle, lors de sa plaidoirie, a fait état des dispositions des ordonnances prises en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui permettent, dans un régime de pension, une discrimination fondée sur l'état matrimonial. Comme nous sommes d'avis que la question en l'occurrence vise en réalité la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et non sur l'état matrimonial, les ordonnances prises en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne seront d'aucune aide à l'intimée. Compte tenu de nos conclusions à cet égard, nous ne pensons pas qu'il soit utile d'élaborer davantage.

CONCLUSION

Par conséquent, nous concluons que le plaignant n'a pas prouvé ses prétentions jusqu'à preuve contraire. Nous concluons que l'orientation sexuelle ne constituait pas un motif illicite de discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne jusqu'à son inclusion implicite à la suite de l'arrêt Egan c. Canada, supra, en mai 1995.

Par ailleurs, l'arrêt Egan c. Canada, supra, n'intègre l'orientation sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne que d'une façon restreinte, en ce sens que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle contenue dans la définition de conjoint aux fins des prestations de pension est permise par la Cour suprême du Canada dans ce cas et, par conséquent, l'inclusion de l'orientation sexuelle à titre de motif illicite de discrimination dans la Loi canadienne sur les droits de la personne n'était que partielle jusqu'à l'introduction et l'adoption du projet de loi C-33 en juin de cette année.

A ce titre, le plaignant ne peut établir que les actions de l'intimée constituent des actes discriminatoires fondés sur un motif de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous sommes également d'avis que les motifs fondés sur l'état matrimonial et la situation de famille dans ces circonstances sont étroitement liés à l'orientation sexuelle du plaignant et que, par conséquent, il ne peut y avoir de discrimination à moins que l'on conclue à l'existence d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

A notre avis, l'arrêt Haig c. Canada, supra, n'a pas changé la loi canadienne en faisant modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'arrêt Haig c. Canada émane d'une Cour d'appel provinciale et, comme l'ont permis de constater des décisions d'autres cours d'appel provinciales, l'orientation sexuelle n'est pas universellement considérée au nombre des motifs illicites de discrimination. De plus, tel que noté précédemment, les faits propres à l'arrêt Haig se distinguent des faits reliés à la présente cause. En outre, la majorité des juges de la Cour suprême dans l'arrêt Egan, supra, a appliqué l'analyse effectuée par le juge Krever dans Haig et, en ce faisant, la Cour suprême a décidé que la définition de conjoint qui exclut les conjoints de même sexe aux fins des prestations de pension était permise.

De l'arrêt Egan c. Canada, supra, découle la reconnaissance de l'orientation sexuelle à titre de motif de discrimination analogue à ceux du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. L'arrêt Egan a implicitement ajouté l'orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de

41

la personne, mais uniquement dans les circonstances de fait visées par cet arrêt. L'arrêt Egan ayant permis une définition de conjoint qui exclut les conjoints de même sexe aux fins des prestations de pension, un refus d'accorder des prestations de pension fondé sur cette définition ne contrevient pas à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Quant à l'extension aux conjoints de même sexe des avantages sociaux autres que les prestations de pension, nous sommes d'avis que l'intimée a réagi rapidement et a assuré les avantages sociaux aux conjoints de même sexe dans la mesure exigée par la loi dès que la Cour suprême eut rendu sa décision dans Egan c. Canada.

Par conséquent, nous estimons que la plainte devrait être rejetée pour les motifs susmentionnés.

Même si nous avons conclu que le plaignant n'avait pas réussi à prouver ses prétentions jusqu'à preuve contraire, nous sommes d'avis que même si le plaignant y était parvenu, l'employeur avait néanmoins réussi à justifier ses actions. Les avantages offerts par un autre régime ne seraient pas équivalents. Il n'y aurait pas, à notre avis, l'équivalence de résultat exigé dans l'affaire Leshner, supra, compte tenu de l'application des dispositions de la Loi sur les normes de prestation de pension et de la Loi de l'impôt sur le revenu à ces prestations.

On ne nous a pas fourni une preuve suffisante pour nous permettre d'établir clairement ce qu'il en coûterait à l'employeur pour étendre les prestations de pension et nous ne sommes pas très enclins à exiger que l'employeur s'engage dans un régime sans avoir d'idée précise de ce que ce régime lui coûtera. En dernier lieu, nous pensons que l'employeur est fondé de ne pas étendre les prestations de pension aux conjoints de même sexe lorsque les dispositions de la législation fédérale l'empêchent de le faire de façon équitable. Le défaut du gouvernement fédéral de modifier rapidement la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur les normes de prestation de pension a entraîné l'incapacité de l'intimée de fournir des prestations égales à ses employés gais et lesbiennes.

La législation sur les droits de la personne vise à atténuer la discrimination dont fait l'objet la victime et non à punir l'auteur de la discrimination. Exiger aujourd'hui qu'Air Canada mette en place un autre régime punirait l'auteur, mais sans toutefois atténuer la discrimination dont fait l'objet la victime.

Nous ne pensons pas que nous devons en l'occurrence exiger que l'intimée mette en place un régime qui pourrait fort bien donner lieu à d'autres plaintes de discrimination ou au versement de prestations en double.

Si la présente affaire avait eu pour objet une contestation fondée sur la Charte, des dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur les normes de prestation de pension, le résultat aurait fort bien pu être différent.

Ayant franchi la première étape en vue de modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à y inclure l'orientation sexuelle au nombre des motifs de distinction illicite, nous pressons le gouvernement

43

fédéral d'agir avec célérité et de modifier les dispositions législatives qui empêchent des employeurs comme Air Canada d'accorder les prestations de pension aux conjoints de même sexe. Nous prenons acte de l'engagement d'Air Canada d'étendre ces prestations dès que la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur les normes de prestation de pension auront été modifiées et nous espérons que cet engagement sera respecté.

Nous sommes conscients de la peine et de la déception ressenties par M. Laessoe, et il n'est pas dans notre intention de les minimiser de quelque façon que ce soit par les présents motifs. Toutefois, jusqu'à ce que le gouvernement fédéral adopte des mesures pour modifier la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur les normes de prestation de pension, M. Laessoe et son partenaire se trouveront dans la même position -- ou dans une position semblable -- que de nombreux autres couples qui cohabitent et qui ne sont pas inclus dans le système global des prestations de pension et de retraite élaboré par le gouvernement fédéral et dont fait partie le régime de pension d'Air Canada.

Nous tenons à souligner la grande collaboration des avocats dans cette affaire.

La plainte est rejetée.

Fait le jour d'août 1996.


S. Jane F. Armstrong (présidente)

Oksana Kaluzny (membre)

Julie Pitzel (membre)

44

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.