Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 1/96 Décision rendue le 12 janvier 1996

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

DAVID BADER

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTERE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ETRE SOCIAL

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Lyman R. Robinson, c.r. ONT COMPARU : M. R. Jamieson, avocate de la Commission D.A. Rice et D. Richards, avocats de l'intimé David Bader, le plaignant

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : 22, 23, 24 et 25 novembre 1994 5, 6, 7 et 8 décembre 1994 8, 9, 10, 11 et 12 août 1995 14 août 1995 à Vancouver (Colombie-Britannique)

TRADUCTION

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1.0 LA PLAINTE

Le plaignant, David Bader, prétend que le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a agi de façon discriminatoire à son endroit dans la prestation de services en fonction de son origine nationale ou ethnique ou de sa race, en violation de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

A l'appui de sa plainte, le plaignant a déclaré que les politiques et les pratiques de l'intimé en matière d'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements visant l'importation et la vente de certains aliments de santé et produits à base d'herbes médicinales établissaient un traitement différentiel qui lui était défavorable entre l'entreprise exploitée par Don Bosco Agencies Ltd., en particulier, et d'autres marchands d'aliments de santé qui sont généralement d'origine caucasienne, d'une part, et des entreprises exploitées par des marchands dont la race est asiatique ou l'ethnie chinoise, d'autre part. Le plaignant, qui est de race caucasienne et qui a décrit son origine ethnique comme canadienne, est actionnaire, administrateur et président de Don Bosco Agencies Ltd.

Depuis 1970, exception faite d'une période d'environ six mois au début de 1989, Don Bosco Agencies Ltd. a exploité une entreprise d'importation et de distribution en gros à des magasins d'aliments de santé de divers produits de santé incluant des vitamines, des minéraux, des produits à base d'herbes médicinales et d'autres préparations. Ni Don Bosco Agencies Ltd. ni le plaignant n'ont exploité quelque établissement de vente au détail ni vendu quelque marchandise au détail. Ni la compagnie ni le plaignant n'ont procédé à des activités de fabrication ou d'emballage de produits. La compagnie s'est à l'occasion entendue avec des fournisseurs pour leur faire produire et emballer des produits sous le nom de Don Bosco Agencies Ltd. La plupart des produits distribués par la compagnie étaient importés.

2.0 LE NOM ET LA STRUCTURE ADMINISTRATIVE DE L'INTIMÉ

Depuis la date de la plainte, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social a été rebaptisé Santé Canada. La Direction générale de la protection de la Santé était une subdivision du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social et elle demeure une subdivision de Santé Canada. L'emploi dans la présente décision du mot intimé vise pratiquement toujours sa Direction générale de la protection de la santé. Parmi les responsabilités conférées à la Direction générale de la protection de la santé figure l'administration de l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements. La Direction générale de la protection de la santé est subdivisée en plusieurs directions. Certaines de ces directions, notamment la Direction des médicaments et la Direction des aliments, sont mentionnées dans la présente décision. La Direction générale comporte aussi plusieurs régions géographiques. C'est la région de l'Ouest qui est la région la plus pertinente aux fins de la présente espèce.

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3.0 COMPÉTENCE : LE DROIT D'AGIR DU PLAIGNANT DANS LA PRÉSENTE DEMANDE DE RÉPARATION

La question préliminaire soulevée dans la présente espèce est celle de savoir si le plaignant, personne physique, a le droit de demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsque l'effet direct de tout acte discriminatoire qui pourrait être jugé avoir eu lieu touchait une personne morale plutôt que le plaignant. Tout effet ressenti par le plaignant a été un effet secondaire en raison de son statut d'actionnaire, d'administrateur ou de cadre de Don Bosco Agencies Ltd. ou de sa participation aux activités d'associations commerciales qui ont porté sur l'entreprise de la compagnie.

3.1 Procédures antérieures

Après le dépôt de la présente plainte devant le Tribunal des droits de la personne, l'intimé a demandé à la Cour fédérale du Canada, dans une requête interlocutoire, que soit délivré un bref de prohibition parce que le Tribunal n'aurait pas compétence pour entendre une demande lorsque l'effet direct de la discrimination alléguée se fait sentir sur une personne morale plutôt que sur le plaignant. La Cour fédérale a débouté l'intimé sans préjudice toutefois à son droit de soulever la question de la compétence devant le Tribunal des droits de la personne.

Avant le début des audiences, le Tribunal des droits de la personne a été appelé, par voie de requête préliminaire, à se prononcer sur la question de sa compétence pour entendre la demande du plaignant. La requête préliminaire a été entendue par le Tribunal, en la personne de Me Lee Ongman, qui a conclu ne pas être en mesure de trancher la question sans avoir entendu la preuve. Les audiences visées par le présent examen ont donc été convoquées.

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3.2 Relation entre le plaignant et Don Bosco Agencies Ltd.

Il y a lieu de décrire de façon plus approfondie la relation entre le plaignant et Don Bosco Agencies Ltd. Une copie du rapport d'une recherche effectuée dans les registres maintenus par le registraire des compagnies en application de la Company Act de la Colombie-Britannique et visant Don Bosco Agencies Ltd., en date du 13 octobre 1994, a été déposée en preuve (Documents supplémentaires de la Commission, volume I, onglet 1). Dans son témoignage, le plaignant a reconnu l'exactitude des renseignements figurant dans le rapport de recherche, à l'exception de celui sur l'adresse de Mme Bader, lequel n'a pas d'importance aux fins de la présente espèce. L'entreprise a été constituée en société par actions en 1970. Les deux administrateurs de la compagnie sont le plaignant et son épouse, Elke Wiltraud Bader. Le président de la compagnie est le plaignant et la secrétaire, Mme Bader. Le plaignant a déclaré que Mme Bader et lui sont les deux seuls actionnaires, qu'ils possèdent chacun le même nombre d'actions et qu'ils sont tous deux caucasiens. Il a déclaré que son épouse est d'origine ethnique allemande, et lui, d'origine ethnique canadienne.

3.3 Prétention de l'avocate de la Commission

L'avocate de la Commission a fait valoir que si les actes discriminatoires allégués ont eu un effet indirect sur le plaignant en sa qualité d'actionnaire de Don Bosco Agencies Ltd. ou autrement sous quelque autre aspect de sa personnalité physique, celui-ci a le droit de demander réparation en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne nonobstant le fait que la cible des actes discriminatoires allégués était Don Bosco Agencies Ltd. A l'appui de cette prétention, l'avocate a cité l'arrêt Re Singh, [1989] 1 C.F. 430 (C.A.) et la décision Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et autre c. Menghani, non publiée (T-154-92) 19 novembre 1993 (C.F. 1re inst.) comme exemples d'affaires où la Cour fédérale a reconnu la compétence du Tribunal des droits de la personne pour accorder réparation à un plaignant lorsque la cible de l'acte discriminatoire était une autre personne physique.

3.4 Prétention du plaignant

Le plaignant a fait valoir qu'il n'a pas renoncé aux droits que lui assure la Loi canadienne sur les droits de la personne à titre de personne physique lorsqu'il a constitué Don Bosco Agencies Ltd. en société par actions pour exploiter l'entreprise d'importation et de vente d'aliments de santé et de produits à base d'herbes médicinales. Il a prétendu avoir subi des pertes économiques en sa qualité d'actionnaire et d'employé de Don Bosco Agencies Ltd. par suite des actes discriminatoires allégués. Il a aussi fait abondamment référence à la documentation préparée par les fonctionnaires de l'intimé où figurait le nom de M. Bader plutôt que celui de Don Bosco Agencies Ltd.

3.5 Prétention des avocats de l'intimé

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Les avocats de l'intimé ont fait valoir que même en supposant établi que l'intimé ait commis des actes discriminatoires contraires à la Loi canadienne sur les droits de la personne envers Don Bosco Agencies Ltd. et que ces actes discriminatoires aient eu un effet indirect sur le plaignant soit en sa qualité d'actionnaire de Don Bosco Agencies Ltd. soit à quelque autre titre relativement à l'entreprise exploitée par la compagnie, le plaignant ne serait pas habilité à demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les avocats de l'intimé ont prétendu que les actes discriminatoires allégués envers Don Bosco Agencies Ltd. n'ont eu aucun autre effet sur le plaignant si ce n'est en sa qualité d'actionnaire de Don Bosco Agencies Ltd.

Les avocats de l'intimé ont fait valoir que ni l'arrêt Re Singh, [1989] 1 C.F. 430 (C.A.) ni la décision Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et autre c. Menghani, non publiée (T-154-92) 19 novembre 1993 (C.F. 1re inst.) ne sont applicables à la présente espèce puisque dans ces deux affaires, la victime ou la cible directe de la discrimination était une personne physique, tandis que dans la présente espèce, la victime ou la cible de la discrimination alléguée était une personne morale.

Les avocats de l'intimé ont prétendu qu'il y aurait lieu d'appliquer le principe connu sous le nom de la Règle de Foss v. Harbottle, lequel aurait pour effet d'empêcher le plaignant, en sa qualité d'actionnaire, d'administrateur ou de cadre de Don Bosco Agencies Ltd., de demander réparation pour quelque préjudice subi par Don Bosco Agencies Ltd.

3.6 Le plaignant a-t-il le droit de demander réparation lorsque l'effet direct de l'acte discriminatoire allégué s'exerce sur une personne morale?

Les parties n'ont référé le Tribunal à aucune décision où la partie plaignante, qui était actionnaires, administrateur ou cadre d'une compagnie, aurait obtenu une réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsque l'effet direct de l'acte discriminatoire allégué se serait fait sentir sur la compagnie.

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3.6.1 La Loi

L'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est énoncé à l'article 2 de la Loi. Cette disposition parle de la protection des individus contre les actes discriminatoires, et elle énumère des situations personnelles pour décrire l'égalité des chances dont devraient jouir tous les individus. Le titre de la Loi reflète aussi l'objet de cette loi, qui est de protéger les droits de la personne.

En vertu de l'article 5 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, le fait, pour le fournisseur de services destinés au public, d'exercer une différentiation négative à l'égard de tout individu, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. Je pense qu'il ressort clairement de la Loi et de la jurisprudence que toute discrimination alléguée doit s'exercer à l'endroit d'un plaignant individu humain, par distinction d'avec une compagnie.

3.6.2 Les conséquences d'un acte discriminatoire allégué doivent être suffisamment directes et immédiates

Dans l'arrêt Re Singh, [1989] 1 C.F. 430 (C.A.), la Cour a dit : La législation sur les droits de la personne ne tient pas tant compte de l'intention à l'origine des actes discriminatoires que de leur effet. L'effet n'est d'aucune façon limité à la cible présumée de l'acte discriminatoire et il est tout à fait concevable qu'un acte discriminatoire puisse avoir des conséquences qui sont suffisamment directes et immédiates pour justifier qu'on qualifie de victimes des personnes qui n'ont jamais été visées par l'auteur des actes en question. (caractères gras par le tribunal)

Dans l'arrêt Re Singh, il s'agissait d'un renvoi devant la Cour d'appel fédérale à l'égard de plaintes par un certain nombre de plaignants différents. Dans toutes ces affaires, la conséquence directe de la discrimination alléguée touchait une personne autre que le plaignant. Il s'agissait de décider si ces affaires étaient du domaine des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Cour a répondu à cette question par l'affirmative.

3.6.3 Facteurs à considérer lorsqu'il s'agit de déterminer si la conséquence est suffisamment directe et immédiate

Les facteurs à considérer lorsqu'il s'agit de déterminer si la conséquence d'un acte discriminatoire était suffisamment directe et immédiate ont été examinés dans la décision Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et autre c. Menghani, non publiée (T-154-92) 19 novembre 1993 (C.F. 1re inst.). L'affaire Menghani avait été au nombre des affaires renvoyées devant la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Re Singh. Après la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Re Singh, l'affaire Menghani a été entendue par un Tribunal des droits de la personne. Dans un appel interjeté de la décision du Tribunal des droits de la personne, la Cour fédérale a approuvé tacitement quatre facteurs que le Tribunal avait

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examinés pour déterminer si la conséquence était suffisamment directe et immédiate. Ces facteurs étaient les suivants:

  1. Le degré de consanguinité qui existe entre le parent canadien et l'immigrant éventuel;
  2. la dépendance (financière, émotive) du parent canadien à l'égard de l'immigrant éventuel;
  3. la privation d'une chance du point de vue commercial ou culturel pour le parent canadien si l'immigrant éventuel ne peut entrer au pays;
  4. la participation du parent canadien à la demande d'immigration présentée en vertu de la Loi sur l'immigration et de son règlement d'application.

Dans l'affaire Menghani, le frère du plaignant avait demandé le statut de résident permanent au Canada. A l'époque pertinente, un programme d'offre de travail dans une entreprise familiale était en vigueur. Le plaignant a produit une déclaration sous serment faisant état de sa détermination à soutenir son frère, tandis qu'une compagnie sous le contrôle du plaignant offrait de l'emploi à son frère. Le succès de la demande de résidence permanente dépendait en partie de l'établissement d'une preuve suffisante de la relation de frères entre les deux hommes. Le Tribunal a conclu que le frère avait été victime de discrimination quant à la preuve qu'on exigeait de lui pour établir son lien de sang avec le plaignant. Le plaignant a déclaré que l'impossibilité pour son frère d'obtenir le statut de résident permanent et de travailler dans l'entreprise familiale avait contribué directement à la faillite de l'entreprise. La faillite de l'entreprise a entraîné la faillite personnelle du plaignant, l'échec de son mariage de même que des problèmes de santé. A partir de cette preuve, le tribunal a conclu que le plaignant était une victime de l'acte discriminatoire. La décision du tribunal a été portée devant la section de première instance de la Cour fédérale dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire visant à la faire annuler. L'intimé a fait valoir devant la Cour fédérale que même s'il y avait eu discrimination envers le frère du plaignant, cela n'avait entraîné aucune discrimination à l'endroit du plaignant. Appelée à décider si le plaignant était une victime de discrimination, la Cour a repris le critère établi dans la décision Re Singh, qui consiste à déterminer si les conséquences subies par le plaignant étaient suffisamment directes et immédiates, et elle a tacitement approuvé le recours aux quatre facteurs énumérés par le Tribunal pour établir si l'on avait satisfait au critère.

Dans l'affaire Menghani, les quatre facteurs employés par le Tribunal pour déterminer si la conséquence était suffisamment directe et immédiate ont été élaborés dans le contexte d'une affaire d'immigration. La description de ces facteurs n'est pas directement transférable à d'autres affaires qu'en matière d'immigration. Toutefois, les facteurs énoncés dans la décision Menghani peuvent être reformulés sous une forme plus générique de façon à les rendre applicables à toutes les affaires. La description générique de ces facteurs prendrait la forme suivante :

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  1. La proximité des liens entre le plaignant et la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct;
  2. La dépendance (financière, émotive) du plaignant à l'égard de la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct; 3. La privation d'importantes occasions pour le plaignant du fait d'actes discriminatoires envers une autre personne;
  3. Le degré de participation du plaignant aux affaires de la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct.

3.6.4 Preuve relative à l'effet sur le plaignant

Il est nécessaire d'examiner la preuve relativement à chacun des quatre facteurs susmentionnés.

a) La proximité des liens entre le plaignant et la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct;

La personne morale ou la personne qui était la cible des actes discriminatoires allégués ou qui en a subi l'effet direct était Don Bosco Agencies Ltd. Il existe une étroite proximité des liens entre le plaignant et Don Bosco Agencies Ltd. Le plaignant est actionnaire, administrateur et président de Don Bosco Agencies Ltd.

b) La dépendance (financière, émotive) du plaignant à l'égard de la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct; La personne morale ou la personne qui était la cible des actes discriminatoires allégués ou qui en a subi l'effet direct était Don Bosco Agencies Ltd. Le plaignant avait une dépendance financière à l'égard de Don Bosco Agencies Ltd. parce qu'il en était actionnaire et employé. On n'a présenté au tribunal aucune preuve établissant que le plaignant avait quelque autre importante source de revenu.

c) La privation d'importantes occasions pour le plaignant du fait d'actes discriminatoires envers une autre personne;

La personne morale ou la personne qui était la cible des actes discriminatoires allégués ou qui en a subi l'effet direct était Don Bosco Agencies Ltd. Le plaignant a-t-il été privé d'importantes occasions en raison de ces actes discriminatoires allégués?

L'avocate de la Commission a fait valoir que les actes discriminatoires allégués avaient eu un effet important sur le plaignant en sa qualité d'actionnaire de Don Bosco Agencies Ltd. Le plaignant a fait

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valoir que les actes discriminatoires allégués avaient eu un effet important sur lui en sa qualité d'employé de Don Bosco Agencies Ltd.

Afin de déterminer si le plaignant a été privé de quelque occasion importante par suite des actes discriminatoires allégués visant Don Bosco Agencies Ltd., il est nécessaire de déterminer si ces actes discriminatoires allégués ont eu effet négatif sur les profits de Don Bosco Agencies Ltd. Ce n'est que si les profits de Don Bosco Agencies Ltd. ont été amoindris que le plaignant peut avoir été privé de quelque occasion importante en ce qui a trait :

  1. à son salaire à titre d'employé ou de cadre de la compagnie;
  2. à sa rémunération en sa qualité d'administrateur de la compagnie;
  3. aux dividendes qu'il pouvait tirer en sa qualité d'actionnaire de la compagnie, ou
  4. à la valeur capitalisée de ses actions de la compagnie.

Très peu d'éléments de preuve ont été présentés au tribunal en ce qui a trait à la conséquence financière des actes discriminatoires allégués sur Don Bosco Agencies Ltd. ou sur le plaignant. Il n'y a eu dépôt en preuve d'aucun rapport financier annuel de Don Bosco Agencies Ltd. ni de quelque autre renseignement financier portant sur les profits de Don Bosco Agencies Ltd. Aucun élément de preuve n'a été présenté au sujet:

  1. du salaire ou d'autres rémunérations versés au plaignant par Don Bosco Agencies Ltd.;
  2. des dividendes versés au plaignant par Don Bosco Agencies Ltd.;
  3. de toute fluctuation dans la valeur capitalisée des actions de Don Bosco Agencies Ltd.

Dans son témoignage, le plaignant a mentionné un commentaire qu'il avait fait à l'inspecteur Sloboda en 1984, dans lequel il avait affirmé que le traitement différentiel de Don Bosco Agencies Ltd. et d'autres importateurs de l'Ouest d'aliments de santé constituait un sujet de [TRADUCTION] grande préoccupation financière pour nos compagnies. Le plaignant a déclaré (à la page 360 de la transcription) que l'impossibilité pour un grossiste de faire imprimer des revendications médicinales sur les étiquettes et sur les notices d'accompagnement des produits plaçait le grossiste et ses clients dans une position économique désavantageuse par rapport aux détaillants d'origine ethnique à qui il était loisible de vendre des produits identiques ou semblables avec des revendications relatives à l'annexe A sur les étiquettes. Le plaignant a fait mention (à la page 728 de la transcription) de pertes de ventes par suite de la décision de l'intimé de refuser de laisser entrer un produit connu sous le nom de ginkgo après que Don Bosco Agencies Ltd. eut importé ce produit pendant un certain nombre d'années. Exception faite de ce dernier incident, aucune preuve n'a été produite pour établir que Don Bosco Agencies Ltd. avait :

  1. reçu de ses clients des commandes à l'égard de produits dont l'admission au pays aurait été refusée par l'intimé;
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  3. perdu des ventes par suite du refus de l'intimé d'accorder à des produits le droit d'entrer au pays;
  4. subi des pertes ou engagé des dépenses par suite de la réexpédition au fournisseur étranger de produits dont l'entrée au pays aurait été refusée par l'intimé.

Il ne faut pas en conclure que de tels éléments de preuve n'existent pas, mais bien que les parties n'ont tout simplement présenté aucun élément de preuve de ce type devant le tribunal.

Il ne fait aucun doute que le plaignant, en sa qualité de cadre de Don Bosco Agencies Ltd., a consacré beaucoup de temps à contester et à attaquer les actions d'application de la loi de l'intimé, mais le Tribunal ne dispose d'aucun élément de preuve susceptible d'établir que le chiffre des ventes de la compagnie aurait été plus élevé si le plaignant avait pu consacrer son temps à la promotion des ventes. Ainsi, on n'a produit aucun élément de preuve montrant qu'il y a eu annulation de voyages de ventes ou perte d'occasions commerciales. Il est en outre plausible que le temps que le plaignant a consacré à la contestation et à l'attaque des actions d'application de l'intimé ait été pris au cours de périodes libres ou mortes n'entraînant aucune conséquence économique sur la rentabilité de Don Bosco Agencies Ltd.

Dans son argument final, le plaignant a fait valoir que les salaires des employés de Don Bosco Agencies Ltd. avaient été gelés par suite des actes discriminatoires allégués de l'intimé, prétention qui, à elle seule, ne peut toutefois constituer un élément de preuve.

d) Le degré de participation du plaignant aux affaires de la personne qui était la cible de l'acte discriminatoire ou qui en a subi l'effet direct; La personne morale ou la personne qui était visée par les actes discriminatoires allégués ou qui en a subi l'effet direct était Don Bosco Agencies Ltd. Il ressort clairement de la preuve que le plaignant était la personne qui dirigeait les affaires commerciales quotidiennes de la compagnie et qu'il avait donc eu un degré élevé de participation aux affaires de Don Bosco Agencies Ltd.

Nonobstant le peu d'éléments de preuve à l'égard du troisième facteur, à savoir que le plaignant a été privé d'importantes occasions commerciales ou autres, je conclus que les trois autres facteurs établissent l'existence d'une conséquence suffisamment directe et immédiate, sur le plaignant, des actes discriminatoires allégués à l'endroit de Don Bosco Agencies Ltd.

e) La Règle de Foss v. Harbottle;

Nonobstant la conclusion précédente que l'effet sur le plaignant était suffisamment direct et immédiat, il reste la question de savoir si la règle de Foss v. Harbottle (1842), 2 Hare 461, 67 E.R. 189, devrait s'appliquer. Cette règle peut s'énoncer ainsi :

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[TRADUCTION]

Une compagnie et ses actionnaires constituent des entités distinctes et seule la compagnie est habilitée à demander réparation pour un préjudice qu'elle a subi.

La règle de Foss v. Harbottle a été examinée par le juge McKenzie dans la décision Rogers v. Bank of Montreal, [1985] 5 W.W.R. 193 à la page 210, confirmée à [1987] 2 W.W.R. 364 (C.A.). Le juge McKenzie a adopté le commentaire suivant de la Cour d'appel anglaise dans l'affaire Prudential Assur. Co. v. Newman Industries Ltd. [1982], 1 All E.R. 354 (C.A.):

[TRADUCTION]

"Une action personnelle aurait pour effet de renverser la règle de Foss v. Harbottle , et cette règle n'est pas seulement un embarrassant obstacle procédural placé dans le chemin d'un actionnaire par un appareil judiciaire légaliste. La règle est la conséquence même du fait qu'une compagnie est une entité légale distincte. Les autres conséquences sont la responsabilité limitée et les droits limités. La compagnie est responsable de ses contrats comme de ses actes délictuels; l'actionnaire n'a aucune responsabilité de cette nature. La compagnie acquiert des causes d'action pour les inexécutions de contrats et les délits qui lui causent préjudice. L'actionnaire ne dispose d'aucune cause d'action. Lorsqu'il acquiert une action, l'actionnaire accepte le fait que la valeur de son investissement suive le sort de la compagnie, et qu'il ne peut exercer d'influence sur le sort de la compagnie que par l'exercice de ses droits de vote au cours de l'assemblée générale..."

Dans l'arrêt McGauley v. B.C. (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 223, à la page 233 (C.A.), le juge Cumming a posé la question suivante :

[TRADUCTION]

...la question pertinente à poser est celle de savoir si la perte subie par l'actionnaire est le résultat de quelque préjudice qui lui a été causé à titre personnel ou si c'est simplement une conséquence du préjudice causé à la compagnie."

Les deux exemples précédents impliquaient des réclamations présentées par des actionnaires. Ce principe s'applique également aux réclamations faites par des cadres et des dirigeants à titre personnel à l'égard d'un préjudice subi par la compagnie. Dans les deux décisions Rogers v. Bank of Montreal et McGauley v. B.C., on a cité avec approbation l'extrait suivant du jugement Martens v. Barrett, 245 F 2d 844 (C.A. 5th Cir., 1957), jugement qui a été décrit par le juge McKenzie J. dans la décision Rogers v. Bank of Montreal [1985] 5 W.W.R. 193, à la page 206, comme un arrêt-clé américain et une excellente énonciation du droit qui correspond généralement au droit canadien et britannique. L'extrait du jugement Martens v. Barrett porte :

[TRADUCTION]

«Et il est reconnu universellement que lorsque le commerce ou le bien censément visé par des actes prohibés relève d'une compagnie, c'est uniquement cette compagnie, et non ses actionnaires (peu importe leur nombre), ses cadres, administrateurs, créanciers ou concédants de licences, qui a le droit de demander réparation, même si, sur le plan économique, il peut y avoir préjudice réel, l'effet de ces actes délictuels entraînant des pertes de revenu, des baisses de

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salaire et d'avantages, des atteintes à la bonne réputation de l'entreprise ou une diminution de l'avoir des actionnaires.»

Le plaignant a choisi de constituer Don Bosco Agencies Ltd. en société par actions afin d'exploiter une entreprise d'importation et de distribution d'aliments de santé et de produits à base d'herbes médicinales. La constitution en société par actions apporte les avantages mentionnés dans la citation précédente de même que certains avantages que la Loi de l'impôt sur le revenu confère aux personnes morales. S'ajoutent aussi certains inconvénients, notamment le fait qu'une personne morale ne soit pas habilitée à demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La règle de Foss v. Harbottle est un principe élaboré par les tribunaux de common law pour empêcher que la compagnie et son actionnaire engagent tous deux des actions distinctes à l'égard du même préjudice, avec le risque que cela donne lieu à un dédommagement double pour la même perte. En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, une société par actions comme Don Bosco Agencies Ltd. n'a pas la qualité pour agir dans une demande de réparation. Le fondement premier de la règle de Foss v. Harbottle est donc inapplicable. Par conséquent, la règle de Foss v. Harbottle ne devrait pas empêcher un plaignant de demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne lorsque le plaignant est un actionnaire qui a établi que l'acte discriminatoire a eu une conséquence suffisamment directe et immédiate sur lui selon les quatre facteurs tirés de la décision Menghani que nous avons précédemment reformulés.

S'il n'y avait pas cette condition préalable de l'existence d'une conséquence suffisamment directe et immédiate, la reconnaissance du principe selon lequel un actionnaire d'une compagnie a le droit de demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans un cas de discrimination à l'endroit de la compagnie entraînerait une augmentation importante du nombre de réclamations fondées sur la Loi. Sans une telle restriction, des milliers d'actionnaires de grandes sociétés publiques pourraient intenter des poursuites en prétendant que la société dont les plaignants sont actionnaires a été la cible d'un acte discriminatoire. La condition préalable de l'existence d'une conséquence suffisamment directe et immédiate et le dernier des quatre facteurs qui ont été tirés de la décision Menghani et précédemment reformulés empêcheront la plupart des actionnaires de grandes sociétés publiques d'engager des poursuites sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le quatrième facteur exige un degré important de participation aux affaires de la compagnie. La plupart des actionnaires des grandes sociétés publiques n'ont pas un degré important de participation aux affaires de la compagnie. Il faut toutefois constater que la reconnaissance de ce principe signifie que l'actionnaire d'une grande société publique qui a une part déterminante et qui a un degré important de participation à la gestion de la compagnie sera habilité, en vertu du critère de la conséquence suffisamment directe et immédiate, à demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

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f) Effet sur le plaignant indépendamment de son poste au sein de Don Bosco Agencies Ltd.;

L'avocate de la Commission a fait valoir que les actes discriminatoires allégués ont eu sur le plaignant un effet plus grand que celui qu'il aurait subi en sa seule qualité d'actionnaire de Don Bosco Agencies Ltd. Le plaignant a aussi affirmé que les actes discriminatoires allégués avaient eu un effet sur lui personnellement.

Le plaignant a déclaré que l'entreprise, qui forme le substrat de la plainte, était exploitée sous la raison sociale de Don Bosco Agencies Ltd. La majeure partie de la correspondance expédiée à l'intimé par le plaignant était écrite sur le papier à en-tête de Don Bosco Agencies Ltd. et signée par le plaignant en sa qualité de président de la compagnie. La plupart des documents écrits par Santé Canada au sujet de cette question étaient adressés à Don Bosco Agencies Ltd. Il y avait beaucoup d'interaction personnelle entre le plaignant et les fonctionnaires de l'intimé. Cette interaction portait principalement sur l'entreprise de Don Bosco Agencies Ltd. et, bien sûr, une compagnie ne peut interagir avec d'autres que par l'intermédiaire des personnes physiques qui sont ses administrateurs, cadres, employés ou représentants.

A quelques occasions, l'interaction avec le plaignant s'est faite sous l'angle de son rôle de représentant d'associations professionnelles nationales ou régionales des marchands d'aliments de santé et d'herboristes. Cette interaction portait uniquement sur les intérêts commerciaux de l'association, et, indirectement, sur ceux de Don Bosco Agencies Ltd. Le Tribunal conclut que l'effet des actes discriminatoires allégués sur le plaignant relativement à son appartenance à ces associations professionnelles ne peut être distingué de l'effet que ce dernier a subi en sa qualité d'actionnaire, de cadre et d'administrateur de Don Bosco Agencies Ltd. Le Tribunal conclut donc que le plaignant n'a pas le droit de demander quelque réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personnes relativement à son poste de représentant ou de cadre d'une association professionnelle quelconque.

Par souci d'exhaustivité, il est nécessaire de mentionner le poste du plaignant en sa qualité d'administrateur d'une compagnie connue sous le nom de Father Don's Natural Products Co. Ltd. Le plaignant a déclaré que sa compagnie a exploité le même type d'entreprise que Don Bosco Agencies Ltd. pendant une très courte période. La compagnie est inactive depuis 1983. Un rapport de recherche effectué au sujet de Father Don's Natural Products Co. Ltd. révèle que le dernier rapport annuel a été déposé en 1983. La plainte ne mentionne pas cette compagnie et aucun élément de preuve n'a été produit pour établir que cette compagnie a subi quelque préjudice par suite des politiques ou des activités d'application de la Loi de l'intimé. Par conséquent, le Tribunal conclut que le plaignant n'est pas habilité à demander réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce qui a trait à son poste d'administrateur de Father Don's Natural Products Co. Ltd.

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L'avocate de la Commission a relevé plusieurs occasions où le plaignant a déclaré croire qu'il faisait l'objet de discrimination du fait des pratiques d'application de la loi de l'intimé (pages 153 et 617 de la transcription et pièce 19). Le Tribunal constate toutefois qu'il est arrivé souvent que le plaignant ne distingue pas sa propre personne de celles des compagnies dont il était administrateur, actionnaire et président.

Le Tribunal constate que M. Bader a été traité avec courtoisie et respect au cours des nombreuses rencontres qu'il a eues avec les représentants de Santé Canada. A plusieurs occasions au cours des présentes procédures, M. Bader a réitéré n'avoir personnellement aucun motif de plainte ni d'animosité à l'endroit des fonctionnaires de Santé Canada. Sa plainte portait sur les politiques adoptées par Santé Canada et sur l'application de ces politiques à Don Bosco Agencies Ltd. en particulier et à l'industrie non ethnique des aliments de santé en général.

g) Conclusion sur la question de la qualité pour agir du plaignant dans une demande de réparation en vertu de la Loi;

L'avocate de la Commission a prétendu que lorsqu'une partie soulève une question relative à la compétence du Tribunal pour entendre une plainte, c'est à cette partie qu'incombe le fardeau ultime. L'avocate de la Commission a cité la décision Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et autre c. Menghani, non publiée (T-154-92) 19 novembre 1993 (C.F. 1re inst.) à l'appui de cette prétention. Je ne suis pas certain que la décision Menghani puisse appuyer cette prétention. Lorsque la Cour dans l'affaire Menghani a examiné le fardeau ultime à l'égard de la question de la compétence, c'est le rôle de la Cour à la lumière du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale qu'elle examinait, lorsque la Cour révise la décision d'un Tribunal des droits de la personne dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Dans ce contexte, le juge MacKay a dit, à la page 16 :

Pour évaluer la justesse des conclusions auxquelles le tribunal en est arrivé sur la question de la compétence, je me fonde surtout, à la lumière du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, sur l'idée que c'est en dernière analyse aux requérants qu'il appartient de démontrer que le tribunal a agi sans compétence, outrepassé celle- ci...

Lorsque la question de la compétence est soulevée devant un tribunal des droits de la personne, j'estime qu'en l'absence de toute autorité marquante d'origine législative ou judiciaire, le Tribunal doit être convaincu qu'il a compétence pour entendre la plainte.

Je conclus que le Tribunal a compétence pour entendre la plainte présentée par le plaignant en raison de la conséquence suffisamment directe et immédiate des actes discriminatoires allégués sur le plaignant en sa qualité d'actionnaire, d'administrateur, de cadre et d'employé de Don Bosco Agencies Ltd., mais non à quelque autre titre.

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4.0 L'INTIMÉ A-T-IL FAIT DES ACTES DISCRIMINATOIRES

En vertu de l'article 5 de la Loi, constitue un acte discriminatoire dans la fourniture de services destinés au public le fait de défavoriser une personne en se fondant sur un motif de distinction illicite.

L'avocat de l'intimé a fait valoir qu'une compagnie ne peut être la cible d'actes discriminatoires dans le cadre de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisque l'article 5 prévoit que l'acte discriminatoire doit, soit viser une personne physique ou consister en un refus de rendre un service à une personne physique. Il a prétendu que le mot individu dans ce contexte ne comprend pas une personne morale. Il a cité un certain nombre d'affaires portant sur l'interprétation de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés où le mot individu a reçu une interprétation qui n'incluait pas une personne morale. Il a fait valoir que le mot individu figurant aux articles 2 et 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne devrait recevoir la même interprétation. Dans les affaires relatives à la Charte citées par l'avocat de l'intimé, il s'agissait d'une personne morale qui cherchait à invoquer l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et les tribunaux ont conclu qu'une personne morale n'est pas habilitée à invoquer l'application de l'article 15 de la Charte. Dans la présente espèce, il s'agit d'un individu qui demande réparation sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, selon moi, les décisions citées par l'avocat de l'intimé ne sont pas applicables à la présente espèce.

Nonobstant le fait qu'en l'espèce le plaignant est une personne humaine par opposition à une personne morale, le plaignant demande réparation en alléguant avoir subi une conséquence suffisamment directe et immédiate sur lui par suite des actes discriminatoires allégués qui visaient une personne morale ou dont l'effet direct s'est fait sentir sur une personne morale. Ce point a déjà été examiné dans l'arrêt Re Singh, [1989] 1 C.F. 430, à la p. 440 (C.A.F.). Après avoir reproduit l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Cour a énoncé la formule suivante pour déterminer s'il y avait lieu de reconnaître un effet indirect :

Si l'on reformule la chose sous forme algébrique, constitue un acte discriminatoire le fait pour A, à l'occasion de la fourniture de services à B, d'établir une distinction illicite à l'égard de C.

Cette formule algébrique peut être ainsi reformulée de la façon suivante pour les fins de la présente espèce :

Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'intimé, à l'occasion de la fourniture de services à Don Bosco Agencies Ltd., d'établir une distinction illicite à l'égard de la race ou de l'origine ethnique du plaignant David Bader.

Dans l'application de cette formule ainsi reformulée, on n'a pas contesté que l'intimé soit engagé dans la fourniture de services à Don Bosco

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Agencies Ltd., et le Tribunal tire cette conclusion de fait nécessaire. Il n'est point nécessaire de prouver qu'il y a eu discrimination à l'endroit de la compagnie. La seule question à trancher est celle de savoir si l'intimé a, dans la prestation de services à Don Bosco Agencies Ltd., établi une distinction illicite à l'égard de la race ou de l'origine ethnique du plaignant David Bader. En dernière analyse, j'ai conclu que les prétentions de l'avocat de l'intimé selon lesquelles une personne morale ne peut être l'objet d'actes discriminatoires ne sont pas pertinentes relativement à la question telle qu'elle a été formulée dans la décision Re Singh.

5.0 PREUVE PRIMA FACIE:

5.1 Le fardeau de la preuve incombe au plaignant

Le fardeau de la preuve qui incombe au plaignant dans une affaire touchant aux doits de la personne a été décrit par le juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, aux pages 558 et 559 :

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé.

Cet énoncé du fardeau de la preuve a été fait dans le contexte d'une allégation de discrimination contre un employeur sous le régime du Code ontarien des droits de la personne; l'extrait cité a toutefois été adopté et appliqué dans plusieurs affaires portant sur la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dès que le plaignant a établi une preuve prima facie, il y a déplacement du fardeau de la preuve vers l'intimé qui doit établir, selon la prépondérance des probabilités, un motif justifiable pour ses actes à l'endroit du plaignant.

Le plaignant n'a qu'à montrer que le motif de distinction illicite allégué était l'un des facteurs qui a entraîné le traitement différentiel à son endroit. Il n'est pas nécessaire que ce soit le seul facteur. Dans l'arrêt Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) c. Lang, [1991] 3 C.F. 65, (1991), 18 C.H.R.R. D/223 (C.A.F.), le juge Linden, qui a rédigé les motifs de la décision de la Cour d'appel fédérale, a dit : Pour qu'il y ait discrimination, il suffit de conclure que la conduite discriminatoire constitue un motif de la décision; il n'est pas nécessaire que ce soit là le seul motif. Comme le juge MacGuigan l'a

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dit dans l'arrêt Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1990), 112 N.R. 395 (C.A.F.), à la page 397 :

... il suffit que la discrimination constitue un fondement de la décision de l'employeur ...

5.2 Preuve à l'appui d'une preuve prima facie

Avant d'entreprendre une analyse de la preuve, il y lieu d'apporter quelques précisions. La présente décision est la distillation d'éléments de preuve produits pendant quatorze jours d'audience, y compris les dépositions de témoins reproduites sur plus de 1800 pages de transcription et quatorze grands volumes reliés de preuve documentaire. Dans le cadre de la présente décision, il n'est ni faisable ni nécessaire de revoir expressément et de relater des centaines de documents et les dépositions de chaque témoin sur la question de savoir s'ils établissent une preuve prima facie ou un motif justifiable. La présente partie de la décision ne porte que sur les éléments de preuve qui appuient une conclusion de preuve prima facie -- dans ses grandes lignes, elle n'examine pas les autres éléments de preuve qui pourraient expliquer les mesures prises ou le libellé des documents.

Don Bosco Agencies Ltd. est en affaire depuis 1970. Sur une période couvrant trois décennies, le plaignant a accumulé une litanie de plaintes sur la manière dont l'intimé a administré et appliqué la Loi sur les aliments et drogues. Un certain nombre des critiques du plaignant quant à la manière dont l'intimé a administré et appliqué la Loi sur les aliments et drogues ne portaient pas sur l'allégation de discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. Le plaignant nourrit une opposition philosophique envers une grande partie de la réglementation gouvernementale des secteurs des aliments de santé et de l'automédication. Il plaide en faveur d'une plus grande liberté des membres du public de choisir les remèdes pour leur automédication sans réglementation gouvernementale. Sa position philosophique se reflète dans une question qu'il a posée au cours d'un de ses entretiens avec les fonctionnaires de l'intimé en 1984 et qu'il a reprise (pages 145 et 146 de la transcription) dans son témoignage devant le Tribunal :

[TRADUCTION]

"Pourquoi le Canada et la DGPS veulent-ils réglementer, enregistrer et contrôler comme s'il s'agissait de drogues des produits inoffensifs comme des vitamines, des minéraux et des produits à base d'herbes médicinales, alors qu'aucun autre pays industrialisé dans le monde n'est d'accord avec cette position?"

La seule question qui est pertinente en l'espèce est celle de savoir s'il y a eu discrimination fondée sur la race ou sur l'origine ethnique. Seuls les éléments de preuve pertinents auraient dû être admis en preuve. Malheureusement, en ce qui a trait à une grande partie de la preuve produite par le plaignant lui-même, il était souvent impossible de déterminer si un élément de preuve avait une certaine pertinence

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relativement à la plainte avant que le témoignage du plaignant ne soit entendu.

La plainte mentionne 1983 comme l'année au cours de laquelle l'intimé aurait commencé à traiter Don Bosco Agencies Ltd. différemment des marchands ethniques relativement à l'importation et à la vente d'aliments de santé et de produits à base d'herbes médicinales. Le plaignant prétend que l'effet de ce traitement différentiel n'a pas permis à Don Bosco Agencies Ltd. de concurrencer sur un pied d'égalité avec les marchands de race orientale ou d'origine ethnique chinoise.

Ce traitement différentiel allégué de Don Bosco Agencies Ltd. se serait manifesté de plusieurs façons, notamment par des éléments de preuve de la disponibilité pour vente dans des marchés de détail exploités par des herboristes ethniques, de produits qui

(1) soit étaient essentiellement identiques à ceux qui avaient été assujettis aux mesures d'application engagées par l'intimé contre Don Bosco Agencies Ltd.;

(2) soit ne respectaient pas les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements d'application alors que ces dispositions avaient été appliquées à l'encontre de Don Bosco Agencies Ltd.

Bon nombre des éléments de preuve de cette nature peuvent être subdivisés selon les sous-catégories suivantes :

5.2.1 Produits importés par Don Bosco Agencies Ltd. qui n'ont pu entrer au Canada parce que le produit était considéré comme une drogue nouvelle

L'article C.08.001 du règlement pris en vertu de la Loi sur les aliments et drogues définit une drogue nouvelle comme une substance qui n'a pas été vendue comme drogue au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir, au Canada, l'innocuité et l'efficacité de ladite substance employée comme drogue. Tant qu'une substance a le statut de drogue nouvelle, elle ne peut être importée ni vendue au Canada. Le fabricant ou l'importateur peut demander un avis de conformité, mais avant qu'un tel avis ne soit accordé, il lui faut produire une présentation de drogue nouvelle. Il faut pour cette présentation prouver l'innocuité et l'efficacité du produit. Si un avis de conformité est délivré, le produit peut être commercialisé au Canada.

Durant la période de 1983 jusqu'au milieu de 1989, Don Bosco Agencies Ltd. a cherché à importer au Canada un produit connu sous le nom de don quai et des produits comportant le don quai comme ingrédient. Don Bosco Agencies Ltd. n'a pu procéder à l'importation de ces produits parce que l'intimé leur a refusé l'entrée au motif que le don quai avait le statut de drogue nouvelle. Le don quai est une plante en provenance de Chine. Elle est connue sous plusieurs noms, notamment dang kwei, tang kwei, tan kwe, angelicae et angelicae sinensis. Le dernier nom est l'appellation

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botanique. Il a été importé au Canada et vendu sous diverses formes, y compris sous forme de racine naturelle, d'extrait liquide, de comprimé et de capsule. La preuve produite devant le Tribunal établit que le don quai est un ingrédient dans pratiquement 70 pour cent des préparations chinoises traditionnelles qui sont utilisées comme suppléments alimentaires ainsi que pour des fins médicinales.

La classification du don quai comme drogue nouvelle a été faite au début des années 1980, peut-être avant. Une note de service interne de R. J. Mulherin, chef de la Division de la réglementation des produits, Bureau des médicaments en vente libre, de l'intimé, en date du 12 décembre 1983 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 5), mentionne ce qui suit :

[TRADUCTION]

"Le Dong Quai, qui n'a d'autre usage connu que celui d'agent médicinal, a toujours été considéré comme une drogue nouvelle, même en l'absence de revendication manifeste."

Certaines des tentatives de Don Bosco Agencies Ltd. pour importer des produits contenant du don quai ont achoppé sur un refus d'en permettre l'entrée nonobstant l'absence de toute revendication médicinale sur les étiquettes ou l'emballage du produit. Des exemples de tentatives infructueuses d'importation de produits à base de don quai sont documentées dans la pièce HR-1, onglet 4 (octobre 1983) et la pièce HR-1, vol. 1, onglet 25 (1986). Après la tentative d'importation de 1986, l'intimé a avisé Don Bosco Agencies Ltd. par courrier recommandé daté du 30 juin 1987 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 37) que [TRADUCTION] le Dong Quai (Solaray) était considéré comme une drogue nouvelle et que les exigences en matière de notification des drogues devaient être satisfaites avant qu'on puisse procéder à la vente ou à la commercialisation de tels produits. Le plaignant a déclaré qu'après avoir reçu cette lettre, Don Bosco Agencies Ltd. a cessé de vendre du don quai.

Malgré la classification par l'intimé du don quai comme drogue nouvelle, le plaignant a déclaré avoir acheté des produits contenant du don quai à divers moments au début et au milieu des années 1980 dans des magasins de détail exploités par des herboristes ethniques dans le district de Vancouver connu sous le nom de Chinatown ou quartier chinois et à d'autres endroits au Canada. Plus particulièrement, il a acheté du don quai sous sa forme de racine naturelle ou sous forme de comprimés le 27 novembre 1984. Le plaignant et un autre grossiste en aliments de santé, M. Albo, ont présenté ces achats à la Direction générale de la protection de la santé, à Vancouver, pour démontrer que la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements étaient appliqués de façons différentes. Le fait que les fonctionnaires de l'intimé étaient au courant des violations de la Loi et des règlements par les herboristes ethniques est démontré par une note de service de S. Ansari, l'un des inspecteurs des drogues de l'intimé, au chef de la Division de la réglementation des produits, Bureau des médicaments en vente libre, de l'intimé, en date du 25 octobre 1983 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 4) de l'intimé; dans cette note de service, l'inspecteur Ansari affirmait relativement à un échantillon saisi dans le cadre d'une importation par Don Bosco Agencies Ltd. :

[TRADUCTION]

Nous nous préoccupons aussi des nombreuses marques (sans revendication sur les étiquettes) de produits semblables qui sont commercialisés dans des petites zones ethniques comme le quartier chinois qui peuvent aisément être cités par l'importateur comme des exemples d'application non uniforme de l'article C.08.002.

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Dans une note de service adressée à J. E. Sloboda, superviseur, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, par les inspecteurs des drogues Wozny et Ansari en date du 22 septembre 1987 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 42) objet : Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest, les auteurs ont fait rapport sur les visites qu'ils avaient effectuées dans le quartier chinois de Vancouver, et fait le commentaire suivant, à la page 5 :

[TRADUCTION]

Une troisième sorte de produit à base de Tang Kwei qui apparaît souvent dans le quartier chinois est le produit sous sa forme posologique, avec des revendications médicinales sur les étiquettes ou sur les notices d'accompagnement du produit. Les préparations liquides à base de Tang Kwei sont vendues couramment dans le quartier chinois. Un de ces produits portait une revendication (relative à l'annexe A) pour le traitement de la leucémie.

Une lettre de J. M. Forbes, Directeur de la région de l'Ouest de l'intimé, adressée au plaignant en sa qualité de directeur général de la Canadian Health Food Protective Association, en date du 31 mars 1988 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 59) porte :

[TRADUCTION]

2. Aucune mesure d'application n'a été prise contre la vente de Dong Quai dans des herboristeries chinoises dans la région de l'Ouest depuis décembre 1984, sauf dans les cas où de telles mesures ont été prises en réponse à vos plaintes précises.

Cette citation offre un contraste frappant avec l'avertissement servi dans une lettre de la même date de J. M. Forbes, Directeur de la région de l'Ouest de l'intimé, adressée au plaignant en sa qualité de président de Don Bosco Agencies Ltd., en ces termes :

[TRADUCTION]

...Je suis dans l'obligation de vous avertir que des sanctions légales seront appliquées envers les expéditions de Dong Quai consignées au nom de votre compagnie qui sont examinées aux Douanes.

Le statut du don quai a été modifié par l'intimé en 1989. Dans une [TRADUCTION] lettre aux commerçants (pièce HR-1, vol. 2, onglet 128) datée du 16 juin 1989, J. R. Elliot, directeur général, Direction des opérations régionales, de l'intimé, a avisé les commerçants que le don quai ne serait plus réglementé comme une drogue et qu'il pouvait être vendu comme un aliment. Ce changement de politique faisait suite à une recommandation du Dr R. A. Armstrong. Dans cette recommandation, (pièce HR-1, vol. 2, onglet 125), le Dr Armstrong proposait qu'en cas de réclamations médicinales, il faudrait fournir des preuves et que, le cas échéant, le produit deviendrait assujetti aux règlements régissant les drogues.

Un autre produit que Don Bosco Agencies Ltd. a tenté d'importer en 1984 s'appelait Pau D'Arco. L'intimé a refusé de laisser entrer ce produit parce qu'il s'agissait d'une drogue nouvelle. Au sujet des tentatives d'importation de Pau D'Arco et d'autres produits par Don Bosco Agencies Ltd. et Father Don's Natural Products Co. Ltd., l'inspecteur Sloboda a

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expédié une note de service à F. W. Krause, chef, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, Direction générale de la protection de la santé, en date du 3 décembre 1984 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 19), dans laquelle il a déclaré :

[TRADUCTION]

La surveillance des importations de drogues chinoises est pratiquement inexistante et nombre de produits en infraction sont vendus dans le quartier chinois. La surveillance des importations par la DGPS est sélective aux douanes et certains importateurs sont surveillés de plus près. Manifestement, les ressources d'inspection actuelles sont insuffisantes pour assurer une surveillance intégrale efficace aux douanes. Je crois que ces ressources devraient être augmentées et qu'il y aurait lieu de porter une plus grande attention à la surveillance de tous les importateurs aux douanes.

Le plaignant a acheté d'autre produits d'herboristes chinois qui, selon les renseignements imprimés sur les étiquettes, provenaient d'Asie et qui, selon lui, à la lumière de son expérience, seraient considérés par l'intimé comme des drogues nouvelles. Il a apporté ces achats au bureau de la Direction générale de la protection de la santé à Vancouver afin de démontrer l'application différentielle de la Loi et des règlements. La totalité ou une partie de ces achats furent expédiés au Dr R. A. Armstrong, directeur adjoint et chef, Division de l'évaluation des médicaments, Bureau des médicaments en vente libre, de l'intimé. Celui-ci a fait deux rapports, tous deux en date du 9 mars 1984 (pièce HR-1, vol. 1, onglets 11 et 12). Ces rapports concluaient que plusieurs de ces produits seraient considérés comme des drogues nouvelles par l'intimé et exigeraient des codes DIN afin de respecter les dispositions de la loi et de ses règlements.

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Les éléments de preuve susmentionnés illustrent le fait que l'application des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements relatives aux drogues nouvelles avait un effet différentiel sur Don Bosco Agencies Ltd. par comparaison aux herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. Cet effet différentiel constitue une preuve prima facie d'une pratique discriminatoire fondée sur un motif de distinction illicite.

5.2.2 Produits pour lesquels l'accès a été refusé parce qu'ils ne comportaient pas de code DIN

L'article C.01.005 du Règlement pris sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues prévoit que la partie principale des étiquettes d'une drogue vendue sous sa forme posologique doit indiquer clairement l'identification numérique de la drogue (DIN) attribué par le directeur de la Direction générale de la protection de la santé au fabricant ou à l'importateur de la drogue. Avant d'attribuer un code DIN, l'intimé doit être convaincu de l'innocuité du produit destiné à la consommation.

Le plaignant a déclaré que Don Bosco Agencies Ltd. avait essuyé des refus de laisser entrer un certain nombre de ses importations parce que les produits ne comportaient pas de codes DIN.

Le plaignant a déclaré que les mêmes produits ou des produits semblables étaient offerts en vente par des herboristes d'origine ethnique chinoise dans le quartier chinois de Vancouver. Une liste des produits achetés par le plaignant le 11 février 1984 figure à la pièce HR-1, vol. 1, onglet 6. Le plaignant a déclaré qu'aucun des produits mentionnés dans cette pièce ne comportait de code DIN. Le plaignant a apporté ces achats au bureau de la Direction générale de la protection de la santé à Vancouver afin de démontrer l'application différentielle de la Loi et des règlements. La totalité ou une partie de ces achats furent expédiés au Dr R. A. Armstrong, directeur adjoint et chef, Division de l'évaluation des médicaments, Bureau des médicaments en vente libre, de l'intimé. Celui-ci a fait deux rapports en date du 9 mars 1984 (pièce HR-1, vol. 1, onglets 11 et 12). Ces rapports concluaient que plusieurs de ces produits devaient comporter un code DIN avant que leur importation et leur vente ne soient autorisées en vertu de la Loi et des règlements.

Dans une note de service adressée à J. E. Sloboda, superviseur, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, par les inspecteurs des drogues Wozny et Ansari en date du 22 septembre 1987 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 42) objet : Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest, les auteurs ont fait rapport sur les visites qu'ils avaient effectuées dans le quartier chinois de Vancouver, et fait le commentaire suivant, à la page 2 :

[TRADUCTION]

... nous avons constaté plusieurs infractions. Des centaines de médicaments brevetés (c'est-à-dire des produits sous leur forme posologique, conditionnés et étiquetés pour le traitement de maladies) sont disponibles sans code DIN.

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Et les auteurs de poursuivre, à la page 4 de leur note de service :

[TRADUCTION]

Dans les magasins ethniques asiatiques, l'absence de code DIN pour les drogues constituées de produits à base d'herbes médicinales est pandémique.

Les éléments de preuve susmentionnés illustrent le fait que l'application des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements relatives aux codes DIN avaient un effet différentiel sur Don Bosco Agencies Ltd. par comparaison aux herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. Cet effet différentiel constitue une preuve prima facie d'une pratique discriminatoire fondée sur un motif de distinction illicite.

Le plaignant a déposé environ 117 demandes de codes DIN à l'égard de produits à base d'herbes médicinales qu'il avait achetés dans des magasins de détail exploités par des herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. Il n'est pas possible de discerner clairement ce qui l'a motivé à déposer ces demandes. Il a déclaré que si l'une ou l'autre de ces demandes avait été couronnée de succès, il entendait importer et faire la distribution en gros de ces produits. Un autre motif, peut-être plus indirect, était que si les demandes étaient rejetées, il cherchait

(1) soit à empêcher les marchands ethniques de vendre les produits puisque l'intimé aurait pris une décision formelle statuant que le produit ne satisfaisait pas aux conditions pour l'obtention d'un code DIN; (2) soit, si l'intimé continuait à permettre la vente de ces produits par des marchands ethniques malgré la décision statuant qu'ils ne satisfaisaient pas aux normes pour l'obtention d'un code DIN, à s'en servir comme preuve d'un traitement différentiel.

Aucune des demandes de code DIN du plaignant n'a été couronnée de succès. Les demandes furent rejetées par l'intimé pour diverses raisons. Malgré le rejet de ses demandes de codes DIN pour ces produits, le plaignant a déclaré que ces produits ou des produits semblables continuaient à être offerts en vente dans les magasins de détail exploités par des herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. Aucune preuve n'a été produite à l'égard de demandes de code DIN présentées par des herboristes de race orientale ou d'origine ethnique chinoise. Par conséquent, le Tribunal conclut que les éléments de preuve susmentionnés n'appuient pas la preuve prima facie de discrimination présentée par le plaignant.

5.2.3 Produits qui ont été refusés parce que les renseignements figurant sur leur étiquette ou sur leur emballage faisaient des revendications relatives à l'annexe A

Le paragraphe 3(2) de la Loi sur les aliments et drogues porte : Il est interdit de vendre à titre de traitement ou de mesure préventive d'une maladie, d'un désordre ou d'un état physique anormal énumérés à l'annexe A, ou à titre de moyen de guérison, un aliment, une drogue, un cosmétique ou un instrument :

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  1. représenté par une étiquette;
  2. dont la publicité a été faite auprès du grand public par la personne en cause.

L'annexe A énumère près de 50 maladies, désordres ou états physiques anormaux.

L'article A.01.040 du règlement pris en application de la Loi sur les aliments et drogues prévoit qu'il est interdit d'importer pour la vente des aliments ou des drogues dont la vente au Canada enfreindrait la Loi.

M. Riou a déclaré (à la page 1197 de la transcription) que des revendications relatives à l'annexe A claires ont toujours été considérées comme une grave infraction à la Loi.

Don Bosco Agencies Ltd. s'est vue refuser l'entrée de certaines de ses importations parce que les produits faisaient des réclamations relatives à l'annexe A. Dans des échanges qu'il a eus avec des fonctionnaires de l'intimé, le plaignant a appris que la seule façon pour lui d'importer certains produits consistait à s'assurer que leurs étiquettes ne fassent aucune revendication relative à l'annexe A. Malgré cela, le plaignant a acheté des produits semblables de détaillants ethniques à Vancouver et ailleurs qui faisaient des revendications relatives à l'annexe A. Au cours de son témoignage, le plaignant a produit plusieurs de ces produits qui furent déposés au nombre des pièces. Il y avait par exemple la [TRADUCTION] Gelée royale de Pékin. Don Bosco Agencies Ltd. a obtenu la permission d'importer la gelée royale de Pékin sous forme liquide (pièce HR-2a) pourvu que celle-ci ne fasse aucune revendication relative à l'annexe A. Le plaignant déclare avoir acheté de la gelée royale de Pékin sous forme liquide (pièce HR-2b) d'un détaillant chinois dans la région des rues Pender et Keefer à Vancouver (Colombie- Britannique), alors que les étiquettes ou l'emballage faisaient nombre de revendications relatives à l'annexe A, y compris pour le traitement de l'arthrite, des ulcères gastriques et des maladies du foie.

Un autre exemple avait trait à un produit que Don Bosco Agencies Ltd. projetait d'importer sous sa propre étiquette, sous le nom de Prostaway. Son importation a été refusée par l'intimé parce que son étiquette faisait des revendications relatives à l'annexe A quant au traitement de la prostate. Le plaignant a acheté un produit semblable à Calgary de Lamda Ltd., le 30 septembre 1987, sous le nom de Prostate Gland Kai Kit Wan qui faisait des revendications semblables.

En ce qui a trait aux produits achetés par le plaignant dans le quartier chinois de Vancouver le 11 février 1984 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 6), le plaignant a déclaré qu'à son avis tous les produits mentionnés dans cette pièce faisaient des revendications relatives à l'annexe A. La totalité ou une partie de ces achats furent expédiés par le bureau de Vancouver de l'intimé au Dr R. A. Armstrong, directeur adjoint et chef, Division de l'évaluation des médicaments, Bureau des médicaments en vente libre, de l'intimé. Dans ses rapports en date du 9 mars 1984 (pièce

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HR-1, vol. 1, onglets 11 et 12), le Dr Armstrong a conclu que plusieurs de ces produits faisaient des revendications relatives à l'annexe A.

Le plaignant a visité les mêmes points de vente au détail ethniques ou des points semblables dans les environs du district du quartier chinois de Vancouver en novembre 1984. Cette visite lui a permis de constater que les mêmes produits ou des produits semblables continuaient d'être offerts en vente par les herboristes chinois. Une liste des produits achetés par le plaignant le 20 novembre 1984 figure à la pièce HR-1, vol. 1, onglet 14. Le plaignant a déclaré qu'à son avis pratiquement tous les produits mentionnés dans cette pièce faisaient des revendications relatives à l'annexe A. Ces produits furent apportés au bureau de Vancouver de l'intimé. Dans un rapport au sujet de cet entretien avec le plaignant, l'inspecteur Sloboda a déclaré ce qui suit, dans une note de service datée du 23 novembre 1984 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 15) :

[TRADUCTION]

Un examen rapide des étiquettes et des notices d'accompagnement des produits pour les 25 produits achetés par M. Bader le 20 novembre 1984 à [nom et adresse du marchand] révèle plusieurs revendications relatives à l'annexe A.

Il y a aussi lieu de noter que dans le paragraphe précédent de sa note de service, l'inspecteur Sloboda affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

Cinq de ces derniers produits ont été portés à l'attention de la DGPS à l'occasion de la plainte précédente de M. Bader en février 1984, les violations de l'annexe A furent confirmées et des mesures de saisie prises par la DGPS.

A plusieurs occasions entre 1984 et 1987, le plaignant a procédé à des achats à des magasins ethniques d'aliments de santé qui enfreignaient la Loi et ses règlements d'application. Le détail des achats suivants a été produit en preuve : le 30 septembre 1987, à Calgary (pièce HR-1, vol. 1, onglet 43) les 7 et 8 octobre 1987, à Winnipeg (pièce HR-1, vol. 1, onglet 43) décembre 1987, à Vancouver (pièce HR-1, vol. 1, onglet 87) le 30 juillet 1988, à Vancouver (pièce HR-1, vol. 1, onglet 87).

Dans une note de service adressée à J. E. Sloboda, superviseur, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, par les inspecteurs des drogues Wozny et Ansari en date du 22 septembre 1987 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 42) objet : Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest, les auteurs ont fait rapport sur les visites qu'ils avaient effectuées dans le quartier chinois de Vancouver, et fait le commentaire suivant, à la page 2 :

[TRADUCTION]

... nous avons constaté plusieurs infractions. Des centaines de médicaments brevetés c'est-à-dire des produits sous leur

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forme posologique, conditionnés et étiquetés pour le traitement de maladies) sont disponibles sans code DIN. Nombre de ces produits sont étiquetés pour le traitement de maladies énumérées à l'annexe A.

Le plaignant a témoigné (à la page 246 de la transcription) qu'à son avis, à la lumière des observations qu'il a faites dans les magasins de détail des herboristes chinois à l'échelle du Canada, il y avait très peu de différences entre la situation de 1984 et celle de 1994 en ce qui a trait au nombre de produits qui n'ont pas de code DIN et qui font de multiples revendications relatives à l'annexe A. Selon lui, la seule différence en 1994 est qu'il voit occasionnellement des autocollants sur les revendications médicinales de certains de ces produits.

Les éléments de preuve susmentionnés illustrent le fait que certaines mesures d'application de la Loi ont été prises contre les herboristes dont l'origine ethnique est chinoise à l'égard des revendications relatives à l'annexe A mais que les mesures d'application de la Loi contre ces herboristes ne semblent pas avoir été constantes. Les éléments de preuve susmentionnés illustrent le fait que l'application de ces dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements visant les revendications relatives à l'annexe A avaient un effet différentiel sur Don Bosco Agencies Ltd. par comparaison aux herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. Cet effet différentiel constitue une preuve prima facie d'une pratique discriminatoire fondée sur un motif de distinction illicite.

5.2.4 Produits qui ont été refusés parce que les étiquettes n'étaient pas dans les deux langues officielles du Canada

En vertu des dispositions applicables, les emballages au Canada doivent être libellés dans les deux langues officielles du Canada, l'anglais et le français.

Le plaignant a déclaré (à la page 267 de la transcription) avoir acheté des produits d'herboristes ethniques dont l'emballage ne comportait pas de renseignements dans les deux langes officielles du Canada.

Le Rapport du comité consultatif d'experts des herbes aromatiques et des préparations d'herboristerie en date de janvier 1986 contient la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

Le comité a reconnu que certains groupes ethniques qui vendent des herbes aromatiques et des préparations d'herboristerie jouissent d'une liberté relative face à la loi en ce qui concerne l'application, car leurs produits ne portent habituellement pas d'étiquettes rédigées en anglais et en français.

Cette déclaration du comité consultatif d'experts a été contredite par le témoignage de M. Shelley, chef actuel de Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, région de l'Ouest, Direction générale de la protection de la santé. Il a déclaré que les produits à base d'herbes médicinales n'ont pas été rejetés aux points d'importation en raison uniquement d'un manque de renseignements libellés en français.

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La preuve montre que les exigence en matière d'étiquetage dans les langues officielles n'ont pas été appliquées avec beaucoup de sévérité contre les herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. De même, il n'y a aucune preuve établissant que ces exigence en matière d'étiquetage dans les langes officielles aient été appliquées, au moins ces dernières années, avec beaucoup de sévérité contre Don Bosco Agencies Ltd. Par conséquent, le Tribunal conclut que la preuve à l'égard de l'étiquetage dans les langues officielles du Canada n'appuie pas la preuve prima facie de discrimination présentée par le plaignant.

5.2.5 Généralités

Un certain nombre de documents ont été produits comme éléments de preuve établissant un traitement différentiel fondé sur la race ou l'origine ethnique du marchand. En voici le résumé, dans l'ordre chronologique général :

a) Note de service de J. M. Forbes, Directeur de la région de l'Ouest, Direction générale de la protection de la santé, adressée à J. R. Elliot, directeur général, Direction des opérations régionales, de l'intimé, datée du 24 janvier 1985 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 21)

Après avoir mentionné les critiques faites par le plaignant au sujet de l'intimé, la note affirme :

[TRADUCTION]

M. Bader a à deux occasions présenté des plaintes commerciales formelles contre des produits précis vendus dans le quartier chinois de Vancouver au sujet desquelles nous avons subséquemment enquêté et conclu qu'il y avait clairement infraction à la loi. Des mesures d'application appropriées ont été prises, mais il nous faut reconnaître que notre action cumulative jusqu'à maintenant n'a pas permis de trouver une solution permanente au problème. Dans le passé, nous (la DGPS) avons attribué aux drogues appelées chinoises une faible priorité en raison de notre conviction que les médicaments chinois traditionnels se sont limités, dans leur utilisation et leur compréhension, à cette seule communauté ethnique pour plusieurs générations. Compte tenu des ressources limitées dont nous disposons, il y eu peu d'activités d'application dans le quartier chinois au cours des dernières années. (caractères gras par le tribunal)

b) Rapport du Comité consultatif d'experts des herbes aromatiques et des préparations d'herboristerie en date de janvier 1986, (pièce R-7, onglet 2, page 17)

Après avoir mentionné la vente d'herbes aromatiques et de préparations d'herboristerie par des herboristes ethniques, le comité a dit :

[TRADUCTION]

En outre, ces produits sont fréquemment destinés à une clientèle ethnique qui se sert depuis bien longtemps d'herbes aromatiques à des fins médicamenteuses et autres. Tout en reconnaissant ce facteur, le Comité a conclu que tous les produits sur le marché doivent se conformer aux règlements, indépendamment de leur

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origine, et qu'il faut éliminer avec le temps ce genre d'avantage sur le plan de la concurrence.

Le rapport du Comité consultatif d'experts ne comporte aucun énoncé des éléments de preuve sur lesquels les membres du comité ont fondé leur conclusion. Il se peut fort bien que leurs observations soient fondées, mais en l'absence d'une énonciation de la preuve qui sous-tend la décision du comité, le Tribunal ne dispose d'aucun fondement pour procéder à une évaluation de la justesse des observations du comité consultatif d'experts. Par conséquent, le Tribunal conclut que cet aspect du rapport du comité n'ajoute rien à la prétention de discrimination établie à première vue du plaignant.

c) Note de service adressée à J. E. Sloboda, superviseur, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, par les inspecteurs des drogues Wozny et Ansari en date du 22 septembre 1987 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 42) objet : Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest,

Les auteurs ont fait rapport sur les visites qu'ils avaient effectuées dans le quartier chinois de Vancouver, et fait le commentaire suivant, à la page 7 :

[TRADUCTION]

Les importateurs qui sont habitués à un marché sans réglementation ne veulent pas consacrer d'argent, de temps ni d'effort à la tâche de rendre leurs produits conformes. Dans un marché non réglementé, une entreprise qui se soumet à des règles restrictives et coûteuses se trouve dans une situation de désavantage concurrentiel; à l'heure actuelle, le marché de la drogue ethnique asiatique est précisément cela, un marché non réglementé.

Puis, à la page 8 :

[TRADUCTION]

De beaucoup, le plus grand nombre et le degré le plus élevé d'infractions se trouve au sein de la communauté ethnique chinoise. Ils ont plus de magasins, plus de produits et plus d'importateurs que tout autre groupe. En outre, les problèmes de conformité ont entraîné des risques de santé beaucoup plus sérieux qu'au sein de tout autre groupe (par exemple, la présence de substances dangereuses dans les produits grand public (PGP)). Toutefois, la distribution et la publicité de leurs produits se limitent généralement à leur propre collectivité.

d) Note de service de l'inspecteur Sloboda à Helen Quesnel, Opérations et réglementation, en date du 8 février 1989 (pièce HR-1, vol. 2, onglet 120) joignant une liste des produits ethniques qui ont été refusés au cours de la période entre avril 1988 et le 22 novembre 1988.

L'inspecteur Sloboda a fait deux affirmations dans cette note de service :

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[TRADUCTION]

Cela reflète les mesures d'application entreprises par notre région ... alors que nous avons réagi, aux douanes, aux infractions les plus importantes en ce qui a trait aux produits ethniques - ... Nous n'avons certainement pas refusé l'admission de produits pour des infractions techniques comme l'inscription des codes DIN sur les étiquettes.

Puis le post-scriptum suivant :

[TRADUCTION]

A l'heure actuelle, nous avons complètement relâché la surveillance des importations chinoises à la suite de l'énoncé de politique de R. Elliot en date du 23 janvier 1989.

La mention, dans l'extrait précédent, de l'énoncé de politique de R. Elliot fait référence à une note de service datée du 23 janvier 1989 de la part de J. R. Elliot, qui était directeur général, Direction des opérations régionales, de l'intimé, adressée au directeur de chaque région d'application de la Loi au Canada (pièce HR-1, vol. 2, onglet 117). L'objet de la note de service était [TRADUCTION] La politique d'application de la loi pour les herbes aromatiques et les produits d'herboristerie. La note de service mentionne un examen de longue durée de la politique de l'intimé à l'égard des herbes aromatiques et des produits d'herboristerie en général, et du don quai en particulier, afin de mieux définir les risques que représentent ces produits pour la santé et la sécurité. En attendant la fin de cet examen, M. Elliot a donné la directive suivante aux bureaux régionaux :

[TRADUCTION]

Entre-temps, veuillez vous assurer que les activités d'application de la loi impliquant des préparations à base d'herbes médicinales se limitent aux domaines de risques clairement établis jusqu'à ce que la politique de la direction générale ait été clarifiée.

Dans son témoignage, M. Riou a exprimé l'avis que la directive de M. Elliot était conforme à la politique de l'intimé de viser les produits qui représentent le degré le plus élevé de risque. Le document Directives en matière de politique opérationnelle 86-0-1 de l'intimé (pièce R-10, onglet 7) est examiné plus loin dans la présente décision.

e) Projet DDAB - Surveillance des médicaments vendus sans ordonnance en date du 13 février 1991 (pièce R-10, onglet 4)

Il s'agit d'un document préparé par l'intimé afin d'éclairer le personnel régional affecté à des activités d'application de la loi. Le document fait mention de plusieurs plantes qui sont d'origine chinoise ou asiatique. A la page 8, il déclare :

Traditionnellement, la Direction générale a eu pour politique de ne pas s'attaquer aux magasins ethniques et d'orienter ses mesures coercitives essentiellement vers les importateurs ou fabricants non ethniques. Bien qu'étant fondée sur une évaluation du degré relatif

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de risque, cette différence d'approche face à la réglementation du même médicament ne peut plus être acceptable.

Et d'ajouter, à la même page :

Étant donné le caractère délicat des questions dont s'occupe ce module, les mesures coercitives appliquées auprès du secteur ethnique ont été minimales au cours de 1988-1990. On a donc traité différemment les secteurs ethnique et non ethnique du volet herbes aromatiques et herboristerie de l'industrie pharmaceutique, tous à des niveaux différents de conformité.

Les documents susmentionnés, sous réserve des exceptions qui ont été signalées, établissent le fait que l'application des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements ont eu un effet différentiel sur Don Bosco Agencies Ltd. par comparaison aux herboristes dont l'origine ethnique était chinoise. Cet effet différentiel constitue une preuve prima facie d'une pratique discriminatoire fondée sur un motif de distinction illicite.

5.3 Conclusion sur l'établissement de la preuve prima facie

Les éléments de preuve qui viennent d'être examinés constituent une preuve prima facie d'actes discriminatoires de la part de l'intimé qui sont fondés sur la race caucasienne et l'origine ethnique canadienne du plaignant qui est actionnaire, administrateur, dirigeant et employé de Don Bosco Agencies Ltd., par comparaison aux détaillants herboristes dont la race était orientale ou l'origine ethnique chinoise.

6.0 MOTIF JUSTIFIABLE DE L'INTIMÉ

6.1 La Loi:

L'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne porte :

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires : ... g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire

L'intimé a le fardeau d'établir qu'il a un motif justifiable selon la prépondérance des probabilités.

Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Rosin [1991] 1 C.F. 391, aux p. 408 et 409, (1992), 16 C.H.R.R. D/441 à D/453 (C.A.F.), le juge

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Linden a fait le commentaire suivant au sujet de l'interprétation du sens de l'expression motif justifiable :

De la même manière, on pourrait conclure que les deux expressions -- exigences professionnelles justifiées (alinéa 15a)) et motif justifiable (alinéa 15g))-- ont la même signification, sauf que la première expression est applicable aux situations d'emploi, alors que la deuxième est utilisée dans d'autres contextes. Le choix de ces différents termes pour justifier une discrimination à première vue, ne constitue donc qu'une question de forme plutôt qu'une question de fond.

Dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, le juge McIntyre a établi un critère subjectif et un critère objectif auxquels l'intimé doit satisfaire.

6.1.1 Le critère objectif:

Le volet objectif du critère a été formulé par le juge McIntyre dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208, de la manière suivante :

Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

L'interprétation de l'alinéa 15a) de la Loi par le juge McIntyre portait sur un cas de discrimination dans l'emploi de même que sur le critère objectif, et elle doit être reformulée afin qu'on puisse l'appliquer à l'alinéa 15g) de la Loi. En ce qui concerne l'alinéa 15g), le critère objectif pourrait être reformulé de la façon suivante pour les fins de la présente espèce :

La politique ou la pratique doit se rapporter objectivement à l'application de la loi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'application efficace et économique de la loi et la protection de la sécurité du public en général.

6.1.2 Le critère subjectif:

Le volet subjectif du critère a été formulé par le juge McIntyre dans l'arrêt Etobicoke, à la page 208, de la manière suivante :

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction ... doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code.

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L'interprétation de l'alinéa 15a) de la Loi par le juge McIntyre portait sur un cas de discrimination dans l'emploi de même que sur le critère subjectif, et elle doit être reformulée afin qu'on puisse l'appliquer à l'alinéa 15g) de la Loi. En ce qui concerne l'alinéa 15g), le critère subjectif pourrait être reformulé de la façon suivante pour les fins de la présente espèce :

Pour constituer un motif justifiable, la politique ou la pratique doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette politique ou pratique a été adoptée en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Selon l'interprétation que lui a donnée la Cour suprême, le volet subjectif du critère comporte trois éléments (voir l'arrêt Large c. la corporation municipale de Stratford, [1995] J.C.S. no 80 (C.S.C.), qui ont été reformulés afin de les rendre applicables au contexte de la plainte dont est saisi le tribunal. L'intimé doit établir chacun des trois éléments suivants, à savoir qu'il impose la politique ou la pratique

  1. honnêtement, de bonne foi;
  2. avec la conviction sincère que cette politique ou pratique est imposée en vue d'assurer l'application adéquate de la loi et des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique; et
  3. non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En ce qui a trait au critère subjectif, le juge Sopinka dans l'arrêt Large c. la corporation municipale de Stratford, [1995] J.C.S. no 80 (C.S.C.), a dit :

Il serait trop formaliste d'insister invariablement sur une preuve relative à l'état d'esprit de l'employeur alors qu'objectivement la règle ou la politique contestée est adoptée pour une raison professionnelle valide et que le but qui sous-tend l'élément subjectif du critère est par ailleurs atteint. Dans certaines circonstances, il peut être satisfait à l'élément subjectif lorsque, en plus de satisfaire au critère objectif, l'employeur établit que la règle ou la politique a été adoptée de bonne foi pour une raison valide et sans aucun motif inavoué qui soit contraire aux objectifs du Code.

6.2 La preuve du motif justifiable

Le motif justifiable de l'intimé pour tout effet différentiel qui peut s'être produit relativement à l'administration et à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et des règlements sur Don Bosco Agencies Ltd.

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par comparaison aux herboristes ethniques est que l'effet différentiel est une conséquence :

  1. de la politique de l'intimé de concentrer le déploiement de son personnel d'application de la Loi principalement aux niveaux de l'importation et de la fabrication plutôt qu'au niveau de la vente au détail; et
  2. de la politique de classification de l'évaluation des risques de l'intimé qui
  1. a attribué une évaluation de faible risque à la consommation de remèdes à base d'herbes traditionnels par les membres des communautés ethniques et
  2. avait présumé que les ventes par des herboristes ethniques se limitaient principalement aux membres de leurs communautés ethniques respectives.

L'intimé fait valoir que l'élaboration et l'application de ces politiques n'ont pas entraîné ni n'entraînent de discrimination contre les importateurs ou les marchands en fonction de motifs de distinction illicites fondés sur la race et l'origine ethnique. J'examinerai la preuve en regard de ces politiques d'abord sous l'angle du critère objectif, puis sous celui du critère subjectif.

6.2.1 Le critère objectif

Le critère objectif établi par le juge McIntyre dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke peut être analysé en relation avec la présente espèce de la façon suivante :

La politique ou la pratique doit se rapporter objectivement à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements :

  1. en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'application efficace et économique de la loi
  2. et la protection de la sécurité du public en général.

a) L'application efficace et économique de la Loi

En ce qui a trait à la question de savoir si ces politiques et pratiques sont raisonnablement nécessaires pour assurer l'application efficace et économique de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements, il est nécessaire de considérer :

  1. l'objet de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements d'application;
  2. les ressources d'application dont disposait l'intimé; et
  3. la portée des responsabilités de l'intimé en matière d'application de la Loi.

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En ce qui a trait aux ressources d'application dont dispose l'intimé, celles-ci se limitent au nombre déterminé de ressources que lui confère le législateur. L'intimé est responsable de l'administration et de l'application de nombreuses lois fédérales en plus des dispositions précises de la Loi sur les aliments et drogues qui sont visées par la présente procédure. Il n'appartient pas au Tribunal d'examiner l'affectation de fonds dans le cadre du budget global d'un ministère. J'adopte la position de Madame le juge Desjardins dans l'arrêt Distribution Canada Inc. c. M.R.N., [1993] 2 C.F. 26 (C.A.F.), où elle a dit, aux pages 40 et 41 :

L'intimé est limité dans ses opérations par des facteurs tels que les limitations en matière de budget, d'installations, de personnel, etc. L'obliger à faire ce que l'appelante demande à la Cour de lui ordonner de faire revient à pénétrer dans un domaine où, par la force des choses, l'intimé doit être le seul à manoeuvrer.

Puis, à la page 41, elle conclut en ces termes :

Seul celui qui est tenu à une obligation publique de ce genre peut décider de la façon dont il utilise ses ressources à cette fin. Le ministre n'a pas manqué à ses obligations, ni n'a fait preuve de négligence ou de mauvaise foi.

La Direction générale de la protection de la santé de l'intimé a en tout temps pertinent eu des ressources humaines limitées à affecter à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements tout comme à celle d'autres lois et règlements dont la Direction générale de la protection de la santé est responsable. M. Riou a déclaré qu'à l'échelle du Canada, il y a à l'heure actuelle l'équivalent d'environ 50 inspecteurs à temps plein qui effectuent des activités d'inspection liées aux dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements qui font l'objet de la présente procédure. M. Shelley, qui est le chef actuel, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, région de l'Ouest, Direction générale de la protection de la santé, a déclaré qu'il y a actuellement l'équivalent de 3,5 inspecteurs à plein temps qui servent la région de l'Ouest. L'inspecteur Sloboda a déclaré qu'il supervise une équipe de 5 inspecteurs à partir de son bureau de Burnaby. Ce nombre peut vraisemblablement être concilié avec le nombre avancé par M. Shelley du fait que les 5 inspecteurs sous la direction de l'inspecteur Sloboda ne sont pas tous affectés à temps plein comme inspecteurs pour les fins de la Loi sur les aliments et drogues.

En ce qui a trait à la portée des responsabilités de la Direction générale de la protection de la santé, M. Shelley a témoigné au sujet du volume croissant d'importations qui doivent être traitées par les inspecteurs dans la région de l'Ouest. A titre d'illustration, il a déclaré qu'au cours de l'année financière 1990-1991, les inspecteurs de la région de l'Ouest avaient traité 2536 importations. Certaines de ces importations peuvent contenir de nombreux types de produits. Pendant l'année financière 1994-1995, le nombre d'importations a monté jusqu'à près de 4000. La preuve déposée devant le Tribunal a aussi établi que le nombre

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de détaillants qui commercialisent des produits visés par la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements a augmenté au cours des dix dernières années. Dans la note de service préparée par M. L. Hayes, Opérations et réglementation, de l'intimé, Bureau des opérations régionales, en date du 30 novembre 1987 (pièce C-1, onglet 12), l'auteur a estimé qu'il y avait plus de cent marchands ethniques qui travaillaient à la vente de produits ethniques à base d'herbes médicinales à des points de vente au détail dans la région de Vancouver. Cette estimation ne comprend pas les marchands non ethniques qui pratiquent la vente de produits à base d'herbes médicinales ethniques. Il a estimé qu'avec le personnel d'application de la Loi alors disponible, il faudrait disposer d'au moins 3 ans pour visiter chacun des marchands ethniques.

Dans ces circonstances de ressources limitées et de responsabilités croissantes, les gestionnaires de l'intimé doivent faire des choix quant aux moyens d'employer leurs ressources limitées de la façon la plus efficiente et la plus efficace. La Direction générale de la protection de la santé de l'intimé a élaboré deux politiques connexes pour maximiser le déploiement efficace de ses ressources limitées d'application de la Loi. L'une de ces politiques était de concentrer le déploiement de son personnel d'application principalement aux points de fabrication ou d'importation plutôt qu'au niveau de la vente au détail. L'autre politique était d'élaborer un système de classification des risques des produits.

(i) Déploiement des ressources d'inspection principalement aux points de fabrication ou d'importation dans la chaîne de distribution

En ce qui a trait au déploiement de son personnel d'application, la politique de l'intimé était de concentrer ses activités d'application de la Loi aux endroits où elles risquaient d'avoir le plus d'effet. M. Riou a déclaré que c'est utiliser de façon plus efficiente et efficace les ressources d'application de l'intimé que d'empêcher les produits non conformes d'atteindre le marché de détail. Il a décrit ainsi (à la page 1054 de la transcription) le raisonnement qui sous-tend cette politique :

[TRADUCTION]

Notre utilisation la plus efficace des ressources consiste à circonscrire les problèmes avant que les produits ne parviennent à l'étape de la distribution. Ainsi, il est évident que si nous pouvons identifier les problèmes de non-conformité au niveau de l'importateur, du fabricant ou du grossiste, ceux-ci peuvent être circonscrits plus facilement et plus efficacement que s'ils étaient déjà passés à la distribution au détail.

Dès qu'ils sont à la distribution au détail, pour restreindre le problème, par exemple, cela veut dire beaucoup, beaucoup plus d'endroits à inspecter et de mesures à prendre, si cela est nécessaire.

Il poursuit ainsi, à la page 1221 de la transcription :

[TRADUCTION]

Voilà pourquoi j'ai mentionné plus tôt que nous préférons travailler au plus haut niveau de distribution par

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opposition au niveau de la vente au détail, parce que toute activité au niveau du détail est extrêmement coûteuse en main- d'oeuvre.

La politique de l'intimé était fondée sur la conclusion (voir le témoignage de M. Riou à la page 1213 de la transcription) selon laquelle l'emploi le plus efficient et économique de ses ressources d'application de la Loi pouvait être atteint en tentant d'intercepter les produits non conformes :

  1. au point de fabrication, s'il s'agit de produits fabriqués au Canada;
  2. au point d'importation, par opposition au niveau de la vente au détail, s'il s'agit de produits fabriqués à l'extérieur du Canada.

En ce qui a trait aux produits qui étaient fabriqués à l'extérieur du Canada, le personnel d'application était déployé afin d'examiner et de rejeter les marchandises non conformes aux ports d'entrée canadiens. Quant aux produits fabriqués au Canada, le personnel d'application était déployé afin de faire en sorte que les usines de fabrication canadiennes respectent les bonnes pratiques de fabrication et que l'emballage soit conforme aux dispositions de la Loi et des règlements. Outre l'emploi du personnel de cette façon, il fallait aussi affecter du personnel pour répondre aux plaintes des consommateurs, aux plaintes des concurrents et aux rapports en provenance d'autres pays.

Et même à l'intérieur de cette politique de déploiement des ressources à l'égard des produits fabriqués à l'étranger et importés au Canada, l'intimé s'est rendu compte que ses activités d'application devaient être sélectives. L'intimé n'avait pas les ressources pour vérifier chaque importation. Il fallait que leurs inspections soient sélectives. M. Riou a décrit (à la page 1221 de la transcription) certains des critères qui ont été employés pour déterminer quelles importations devaient être inspectées :

[TRADUCTION]

L'ampleur des expéditions peut être un facteur pour déterminer la charge de travail qu'on assumera. Il est très coûteux en temps d'examiner de nombreux, nombreux petits lots au lieu de se concentrer sur des cargaisons plus importantes. Par conséquent, en évaluant comment nous assumerons nos activités de surveillance en général, par exemple, il est plus productif de nous concentrer sur un domaine de distribution plus vaste et cela nous permet d'assurer une meilleure protection de la santé.

En ce qui a trait aux produits importés, l'intimé se fonde sur l'examen des factures par les agents de Douanes Canada. Lorsqu'un agent de Douanes Canada voit des documents d'importation qui semblent inclure des produits susceptibles d'enfreindre la Loi sur les aliments et drogues ou ses règlements d'application, une copie de la documentation est expédiée à la Direction générale de la protection de la santé, à des fins d'examen.

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Lorsque le personnel de Douanes Canada n'est pas convaincu qu'une importation est assujettie à un droit de douane ou que les droits imposés à l'égard de biens ne dépassant pas un certain seuil, Douanes Canada peut ne pas examiner en détail la documentation d'importation. Par conséquent, les importations directes par des détaillant tant ethniques que non ethniques peuvent échapper à l'inspection tant par Douanes Canada que par l'intimé, lorsque le nombre d'unités d'un produit importé et leur valeur en dollars sont relativement peu élevés et que la description des biens sur la documentation des douanes a été générique. Aucun détaillant ethnique n'a été appelé à témoigner. Par conséquent, il n'existe aucune preuve directe établie devant le Tribunal sur la question de savoir si les produits vendus par les détaillants étaient importés directement par eux ou si les produits étaient acquis d'un distributeur grossiste qui avait importé les produits.

Une fois prise la décision de politique d'affecter ses ressources d'application à l'égard des produits fabriqués à l'étranger principalement aux ports d'entrée, la mise en oeuvre de cette politique donnait lieu à une lourde tâche étant donné l'ensemble impressionnant de produits importés, le nombre d'importateurs et le nombre de ports d'entrée. Par conséquent, l'intimé a élaboré deux listes de surveillance nationale. L'une d'elles était la liste des produits. Cette liste énumérait à la fois les produits génériques et les marques particulières de produits. L'autre liste de surveillance contenait les noms des importateurs. Ces listes de surveillance sont mentionnées dans le Projet DDXQ - [TRADUCTION] Surveillance des drogues à l'importation, en date du 8 mai 1991 (pièce R-10, onglet 5, pages 5 à 7). M. Shelley (page 1464 de la transcription) et M. Riou (page 1057 de la transcription) ont tous deux déclaré que cette dernière liste était compilée sur la base de l'expérience antérieure de l'intimé au sujet d'un importateur dont les importations avaient essuyé un refus d'admission en raison d'un défaut de conformité à la Loi sur les aliments et drogues ou à ses règlements. Un facteur connexe qui a été utilisé pour compiler cette dernière liste consistait à se demander si un importateur était habituellement engagé dans l'importation de produits qui étaient plus susceptibles d'enfreindre la Loi et ses règlements d'application. L'une des principales raisons qui ont motivé l'élaboration de ces listes de surveillance était que la vérification initiale des importations pour déterminer si elles enfreignaient la Loi sur les aliments et drogues est faite par des membres du personnel de Douanes Canada. Leur responsabilité première est de recueillir tout droit de douanes qui peut être payable. A titre de responsabilité secondaire, Douanes Canada a entrepris d'examiner les importations pour le compte de plusieurs des ministères du gouvernement, y compris l'intimé, qui sont responsables en vertu d'autres lois fédérales. Ces listes de surveillance furent remises à Douanes Canada pour les aider à procéder à leur opération de sélection initiale des importations.

Le fait de concentrer le déploiement de ses ressources principalement aux points de fabrication et d'importation constituait une utilisation objectivement raisonnable des ressources d'application de l'intimé.

Le plaignant et la Commission ont comparé l'application différente de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements à l'égard de Don

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Bosco Agencies Ltd., qui est un importateur/grossiste, avec l'application de la Loi et de ses règlements à l'égard des détaillants herboristes chinois. C'est comme si l'on comparait, pour reprendre les mots de l'avocat de l'intimé, des pommes avec des oranges. Pour faire des comparaisons pertinentes, il aurait fallu comparer l'application de la Loi et des règlements à l'égard des aliments de santé et des produits à base d'herbes médicinales :

  1. entre les détaillants ethniques et non ethniques;
  2. entre les importateurs/grossistes ethniques et non ethniques.

En ce qui a trait à la comparaison entre les détaillants ethniques et non ethniques d'aliments de santé et de produits à base d'herbes médicinales, aucun élément de preuve n'a été produit relativement au degré de respect des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements par les détaillants ethniques d'aliments de santé. La politique de l'intimé était de ne pas déployer son personnel d'application de la Loi au niveau de la vente au détail sauf pour répondre à des plaintes particulières de consommateurs ou de concurrents. C'est ce qui explique que l'intimé a peu de données empiriques sur le degré d'application de la loi dans les magasins de détail non ethniques. Dans une remarque incidente, l'inspecteur Sloboda a déclaré qu'au cours de la pause du midi, un jour d'audience, il avait remarqué des infractions à la Loi et aux règlements dans un magasin de vente au détail non ethnique. Des éléments de preuve déposés devant le Tribunal établissent qu'en 1985, lorsque certains acides aminés ont été déclarés constituer une drogue nouvelle et que des mesures d'application de la Loi ont été prises par l'intimé, les herboristes non ethniques comme les herboristes ethniques furent traités de la même façon, conformément aux Directives de politique administrative 86-0-1.

Pour les fins d'une autre comparaison pertinente, on pourrait comparer les importateurs/grossistes ethniques avec les importateurs/grossistes non ethniques. La pièce R-2 est un recueil de documents constitué de rapports aux douanes au sujet de tentatives d'importations faites par Don Bosco Agencies Ltd. qui ont essuyé un refus au cours des années écoulées entre 1978 et 1994. La pièce R-17 est un recueil encore plus volumineux de documents constitué de rapports aux douanes par les inspecteurs de la Direction générale de la protection de la santé de l'intimé relativement à plus de cent tentatives d'importation apparemment effectuées par des marchands ethniques au cours des années 1988 à 1994, où il y a eu soit refus de laisser entrer les produits soit engagement de l'importateur à procéder à une élimination volontaire. Bon nombre de ces importateurs étaient des compagnies. Bon nombre de ces compagnies ont des noms qui semblent être d'origine orientale. Le plaignant et l'inspecteur Sloboda connaissent les dirigeants de certaines des sociétés d'importation et ils ont déclaré que leur origine ethnique est chinoise. Certaines des tentatives d'importation décrites dans la pièce R-17 étaient le fait de détaillants ethniques situés dans le quartier chinois de Vancouver chez qui le plaignant avait acheté des produits à base d'herbes médicinales.

Le Tribunal est convaincu selon la prépondérance des probabilités que le traitement différentiel qui a eu cours dans l'application de la Loi

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n'était pas une conséquence de la race ou de l'origine ethnique de l'importateur, mais plutôt qu'il y a eu différence de traitement entre l'application de la loi au niveau de la vente au détail et l'application aux points d'entrée au Canada.

Avant de laisser le sujet du déploiement des ressources d'application de la Loi de l'intimé, il est nécessaire de faire un commentaire au sujet de la prétention du plaignant selon laquelle certains marchands ethniques croyaient que l'intimé les avait exemptés de l'application de la Loi sur les aliments et drogues et des ses règlements en ce qui a trait aux produits à base d'herbes médicinales. L'impression du plaignant a pu être renforcée par la note de service de l'inspecteur Sloboda à Mme Quesnel, Opérations et réglementation, en date du 8 février 1989 (pièce HR-1, vol. 2, onglet 120), dans laquelle il a déclaré :

[TRADUCTION]

A l'heure actuelle, nous avons complètement relâché la surveillance des importations chinoises à la suite de l'énoncé de politique de R. Elliot en date du 23 janvier 1989.

Il convient en premier lieu de remarquer qu'on parle d'importations chinoises plutôt que d'importateurs chinois. En deuxième lieu, il faut souligner que la politique de M. Elliot exigeait toujours l'application de la Loi relativement aux produits à base d'herbes médicinales lorsqu'il existait des risques évidents pour la santé.

M. J. M. Forbes, directeur de la Direction générale de la protection de la santé, région de l'Ouest, de l'intimé, dans une lettre adressée au plaignant en date du 28 mars 1988 (pièce C-1, onglet 14), a écrit en réponse à une lettre du plaignant :

[TRADUCTION]

Veuillez prendre note que les herboristes chinois n'ont pas fait l'objet d'une exemption temporaire de l'application de la Loi sur les aliments et drogues.

M. Riou a aussi déclaré (à la page 1366 de la transcription) qu'aucune exemption n'avait jamais été accordée à des herboristes chinois ni à quelque autre groupe.

(ii) Évaluation des risques des produits

En ce qui a trait à l'application efficace et économique de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements, la deuxième politique adoptée par l'intimé était d'identifier les niveaux de risques liés aux différents types de produits et d'élaborer des stratégies d'application qui correspondent à chaque niveau de risque. La politique d'évaluation des risques de l'intimé est décrite dans son document Directives en matière de politique opérationnelle 86-0-1 (pièce R-10, onglet 7). Les quatre catégories de risques y sont décrites à la page 3 :

(i) La classe I désigne une situation où il est probable que l'utilisation d'un produit en infraction ou l'exposition à

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pareil produit aura des conséquences graves pour la santé ou entraînera la mort.

ex.: les stéroïdes anabolisants, les inhibiteurs de l'amidon, les herbes mal emballées (p. ex. les feuilles de mauve qui contenaient de la belladone)

(ii) La classe II désigne une situation où l'utilisation d'un produit en infraction ou l'exposition à pareil produit peut avoir des conséquences néfastes temporaires pour la santé ou lorsque la probabilité qu'il y ait des conséquences graves pour la santé est faible.

ex.: racine de consoude, acide aminé isolé.

(iii) La classe III désigne une situation où l'utilisation d'un produit en infraction ou l'exposition à pareil produit n'est pas susceptible d'entraîner des conséquences néfastes pour la santé.

ex.: les infractions concernant la DIN, les allégations de propriétés aphrodisiaques

(iv) La classe IV se rapporte à un produit qui n'a pas de valeur thérapeutique généralement reconnue ou soutenue et qui, en raison de ses allégations, peut empêcher le consommateur d'avoir recours à une thérapie reconnue, lorsque pareil évitement peut entraîner des torts ou la mort comme dans la classe I ou la classe II ci-dessus.

ex.: Thé de Tahebo Laetrile Glucomannan Aloe Vera Huile de Beulah

Après avoir établi les catégories de risques, le document Directives en matière de politique opérationnelle 86-0-1 décrit les stratégies d'application de la Loi qui correspondent à chaque catégorie :

Classe I: Aviser le(s) fabricant(s) importateur(s). Les mesures possibles comprennent la détention du produit, la saisie, le refus aux douanes, le retrait jusqu'au niveau de la vente au détail et l'examen de la nécessité d'émettre un avis public. Un produit appartenant à la catégorie de risques de la classe IV peut être traité de cette façon.

Exemples : Les drogues nouvelles (considérations d'innocuité), les préparations d'herboriaterie toxiques, les erreurs d'emballage.

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Classe II : Aviser le(s) fabricant(s)/importateur(s). Les mesures possibles comprennent la détention du produit, la saisie, le refus aux douanes, le retrait jusqu'au niveau de la vente en gros et ou au détail. Un produit appartenant à la catégorie de risques de la classe IV peut être traité de cette façon.

Exemples : Annexe A, drogues nouvelles (considérations d'efficacité), graves erreurs d'étiquetage, p. ex. posologie, mises en garde, etc.

Classe III : Aviser le(s) fabricant(s)/importateur(s). Un délai sera alloué pour apporter des correctifs (12 mois au maximum); les mesures possibles comprennent la détention du produit en cas de négligence flagrante, de plaintes, etc. La poursuite de la vente du stock existant serait normalement autorisée.

Exemples : Les allégations légèrement exagérées, les infractions techniques relatives à l'étiquetage, les infractions à la DIN.

Le Tribunal est convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, les considérations énoncées dans les catégories de risques dans les Directives en matière de politique opérationnelle 86-0-1 se rapportent toutes objectivement à l'évaluation des risques pour la santé du public et que les stratégies d'application de la Loi mises de l'avant dans la politique se rapportent toutes raisonnablement et objectivement à leurs catégories de risques respectives.

Lorsque les fonctionnaires de la Direction générale de la protection de la santé de l'intimé attribuent une catégorie de risque à un produit donné, un certain nombre de facteurs ont été considérés, notamment la toxicité des ingrédients, la concentration des ingrédients dans le produit et la nature de la distribution du produit.

En ce qui a trait aux produits à base d'herbes médicinales traditionnels commercialisés au sein des communautés ethniques au début et au milieu des années 1980, les responsables de l'intimé ont conclu qu'ils avaient un niveau ou une catégorie de risque peu élevé. Cette appréciation est reflétée dans une lettre du sous-ministre de la Santé, David Kirkwood, adressée au plaignant et datée du 28 décembre 1984 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 20), qui comporte la mention suivante :

[TRADUCTION]

La position de mon ministère sur la question des produits à base d'herbes médicinales chinois jusqu'à l'heure actuelle reflétait notre perception selon laquelle les médicaments chinois traditionnels ne sont distribués et utilisés que par cette communauté ethnique, qui les comprend. En se fondant sur cette appréciation, la priorité pour l'action et l'allocation à ce domaine de ressources de la protection de la santé en région de mon ministère a été faible.

La lettre apportait une précision importante :

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[TRADUCTION]

Il faut toutefois souligner que, exception faite des situations à risque élevé, une telle approche ne prévoit pas une visite dans chaque magasin de vente au détail

M. Riou a déclaré (pages 1112 à 1116 de la transcription) que lorsqu'il était appelé à faire une évaluation du risque que représente la vente et l'utilisation de remèdes à base d'herbes médicinales traditionnels dans des communautés ethniques, l'intimé a pris en considération la nature du produit, la nature de sa distribution, sa promotion et la connaissance des produits qu'ont les consommateurs ethniques. L'évaluation du risque par l'intimé était aussi fondée sur les présomptions suivantes. En premier lieu, les ventes par des détaillants ethniques se limitaient à leur communauté ethnique immédiate. En deuxième lieu, les consommateurs dans la communauté ethnique avaient la connaissance voulue quant à l'usage adéquat de ces produits à base d'herbes médicinales. En troisième lieu, selon M. Riou (page 1220 de la transcription), au début des années 1980, la perception de l'intimé était qu'il y avait peu de circulation de produits à base d'herbes médicinales hors des communautés ethniques chinoises. Cette perception a changé au milieu des années 1980. Lorsqu'ils ont été contre- interrogés au sujet de ces présomptions, les fonctionnaires de l'intimé ont reconnu qu'il n'existait pas de données empiriques pour appuyer ces présomptions si ce n'est le fait que [TRADUCTION] très, très peu de plaintes ont été reçues par l'intimé de la part de consommateurs au sujet de produits à base d'herbes médicinales chinois (pages 1256 et 1257 de la transcription). Par ailleurs, on n'a présenté au Tribunal aucun élément de preuve susceptible de suggérer que les présomptions n'étaient pas fondées. De plus, M. Riou a déclaré à la page 1255 que nonobstant la classification de faible risque, la Direction générale de la protection de la santé de l'intimé intervient lorsque de graves risques pour la santé du public sont décelés. Il a cité deux exemples. Dans un cas, il s'agissait de préparations à base d'herbes médicinales qui ont été frelatées avec des drogues énumérées à l'annexe F de la Loi sur les aliments et drogues (voir la page 1256 de la transcription). L'autre cas portait sur la découverte d'empoisonnement par des métaux lourds attribué à certains produits ethniques (Voir le projet DDAB, Surveillance des médicaments vendus sans ordonnance, à la pièce R-10, onglet 4). L'application de la Loi et de ses règlements chez les détaillants herboristes ethniques est aussi reflétée dans la note de service adressée à J. E. Sloboda, superviseur, Drogues et santé du milieu, Division de l'inspection, par les inspecteurs des drogues Wozny et Ansari en date du 22 septembre 1987 (pièce HR-1, vol. 1, onglet 42) objet : Stratégie de visibilité de la région de l'Ouest. Dans leurs commentaires sur l'application du paragraphe 3(1) de la Loi dans le district du quartier chinois de Vancouver au sujet des réclamations relatives à l'annexe A, les inspecteurs ont fait l'observation suivante, à la page 4 :

[TRADUCTION]

La DGPS a traditionnellement appliqué le paragraphe 3(1) de la Loi sur les aliments et drogues avec une rigueur uniforme. Des produits ont été saisis, des documents ont été saisis, et des importations ont été détenues aux Douanes en attendant des recommandations de refus chaque fois que des infractions au paragraphe 3(1) ont été portées à notre attention.

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Quant à la base de connaissances sur laquelle l'intimé se fonde pour établir ses évaluations des risques, M. Riou a déclaré que les évaluations étaient fondées sur les renseignements recueillis auprès de plusieurs sources, y compris les inspecteurs sur le terrain qui ont fait des observations et parlé aux gens. La perception acquise par ces inspecteurs est que les clients des détaillants ethniques viennent principalement des communautés ethniques et non de l'extérieur (page 1119 de la transcription). Il a aussi déclaré que l'intimé a acquis des renseignements de l'ambassade de Chine au Canada et de voyages en Chine de fonctionnaires de l'intimé (page 1111 de la transcription). Le manque de données empiriques pour appuyer certaines des présomptions faites par les responsables de l'intimé dans l'évaluation des risques n'enlève rien à la bonne foi de l'évaluation des risques.

La politique d'évaluation des risques de l'intimé doit aussi être considérée dans le contexte d'une note de service datée du 23 janvier 1989, de la part de J. R. Elliot, qui était directeur général, Direction des opérations régionales, de l'intimé, adressée au directeur de chaque région d'application de la Loi au Canada (pièce HR-1, vol. 2, onglet 117). L'objet de la note de service était [TRADUCTION] La politique d'application de la loi pour les herbes aromatiques et les produits d'herboristerie; elle mentionne un examen de longue durée de la politique de l'intimé à l'égard des herbes aromatiques et des produits d'herboristerie en général, et du don quai en particulier. En attendant la fin de cet examen, M. Elliot a donné la direction suivante aux bureaux régionaux :

[TRADUCTION]

Entre-temps, veuillez vous assurer que les activités d'application de la loi impliquant des préparations à base d'herbes se limitent aux domaines de risques clairement établis jusqu'à ce que la politique de la direction générale ait été clarifiée.

L'effet de cette note de service sur l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements contre Don Bosco Agencies Ltd. et des marchands ethniques a été démontré par plusieurs recueils de rapports présentés aux Douanes par les inspecteurs de la Direction générale de la protection de la santé de l'intimé. La pièce R-2 est un recueil de documents constitué de rapports aux douanes à l'égard de tentatives d'importation de Don Bosco Agencies Ltd entre 1978 et 1994. La pièce R-17 est un recueil plus volumineux de documents constitué de rapports des douanes par les inspecteurs de la Direction générale de la protection de la santé, de l'intimé, au sujet des tentatives d'importation par des importateurs ethniques de 1988 à 1994. Avant la date de la note de service de M. Elliot (le 23 janvier 1989), certaines des tentatives d'importations furent refusées pour ce que M. Shelley a décrit comme des infractions techniques. M. Shelley a donné des exemples d'infractions techniques, comme le fait de ne pas donner le code DIN ou de ne pas respecter les exigences linguistiques ou autres sur les étiquettes. M. Shelley a déclaré qu'après la date de la note de service de M. Elliot, ces infractions techniques n'auraient pas été invoquées pour arrêter une cargaison à moins que le produit ne présente aussi un risque très clair pour la santé.

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Quant à l'évaluation des risques des produits dont l'étiquette n'était pas imprimée dans les deux langues officielles du Canada, M. Riou a déclaré que nonobstant le fait que l'exigence relatives aux langes officielles s'applique à tous les secteurs de l'industrie des aliments de santé, le défaut d'impression des deux langues officielles sur l'emballage de produits vendus dans les communautés ethniques n'était pas considéré comme un risque élevé dans la classification des risque des produits de l'intimé. Le Tribunal conclut que cela est raisonnable eu égard au fait que la majorité des consommateurs dans certains quartiers ethniques de Vancouver ne comprendraient pas le français, par exemple, et pourraient même n'avoir qu'une compréhension limitée de l'anglais. Le Canada est un pays multiculturel. Par contre, Don Bosco Agencies Ltd. étant un distributeur en gros, elle vend ses produits à des détaillants partout au Canada, où ils peuvent être offerts à des consommateurs qui peuvent ne maîtriser qu'une des deux langues officielles du Canada.

En ce qui a trait à l'évaluation du risque des produits ne comportant pas de code DIN, M. Shelley a déclaré que depuis 1989, l'absence des codes DIN sur les étiquettes ou les emballages des produits importés est considérée comme une infraction technique sans égard à l'identité de l'importateur, et que de tels produits n'ont pas été rejetés lorsque l'absence du code DIN était la seule infraction à la Loi ou aux règlements.

b) Protection de la sécurité du public en général

Le deuxième volet du critère objectif exige que l'on détermine si les politiques et pratiques relatives au déploiement des ressources d'application de la loi et d'évaluation des risques de l'intimé se rapportent objectivement à l'application de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements, en assurant la protection de la sécurité du public en général. Le Tribunal conclut que ces politiques et pratiques protègent, objectivement, la sécurité du public en général de deux façons. D'abord, la politique d'évaluation des risques oblige à prendre de plus grandes mesures d'application et d'exécution à l'égard des produits qui posent de plus grands risques pour la santé du public. En deuxième lieu, la concentration du déploiement des ressources d'application principalement aux points de fabrication et d'importation permet de mieux empêcher que des produits qui peuvent être dangereux pour la santé du public en général ne parviennent à la chaîne de distribution vers le public en général.

La preuve objective de l'application de ces politiques est donnée dans la pièce R-17. Cette pièce est un recueil de documents constitué de formules intitulées [TRADUCTION] Entrée refusée et [TRADUCTION] élimination volontaire relativement à plus de cent tentatives d'importation apparemment effectuées par des marchands ethniques au cours des années 1988 à 1994. Bon nombre de ces importateurs étaient des compagnies. Bon nombre de ces compagnies ont des noms qui semblent être d'origine orientale. Le plaignant et l'inspecteur Sloboda connaissent les dirigeants de certaines des sociétés d'importation et ils ont déclaré que leur origine ethnique est chinoise.

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Malgré la concentration de son personnel d'application de la Loi aux points de fabrication et d'importation, l'intimé répondait aussi, au niveau du détail, aux plaintes des consommateurs et des concurrents. Des éléments de preuve produits devant le Tribunal montrent que des saisies furent effectuées chez des détaillants ethniques lorsque des produits présentaient clairement des risques pour la santé.

c) Conclusion sur le critère objectif

Les questions dont est saisi le Tribunal à l'égard du critère objectif sont celles de savoir si les politiques et les pratiques relatives à l'évaluation des risques et au déploiement des ressources aux points d'importation plutôt qu'au niveau de détail :

  1. étaient raisonnablement nécessaires pour assurer l'application efficace et économique de la Loi;
  2. protégeaient la sécurité du public en général.

Le Tribunal conclut que la preuve établit selon la prépondérance des probabilités que ces politiques et pratiques satisfont aux deux volets du critère objectif. Les politiques et pratiques de l'intimé étaient une réponse raisonnable de l'intimé au mandat que le législateur lui a confié eu égard aux ressources qui lui étaient allouées et à la portée de ses responsabilités en matière d'application de la Loi.

Le Tribunal conclut que l'intimé ne va pas à l'encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne en établissant entre des produits des différences fondées sur l'origine ethnique du produit.

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6.2.2 Le critère subjectif

Ainsi qu'il a été dit plus haut, le critère subjectif peut être analysé comme constitué de trois éléments :

  1. la politique ou la pratique doit être imposée honnêtement et de bonne foi;
  2. la politique ou la pratique doit être imposée avec la conviction sincère que cette politique ou pratique a été adoptée en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et
  3. la politique ou la pratique n'est pas imposée pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'examinerai la preuve relative aux politiques et aux pratiques de l'intimé en tenant compte de chacun des éléments du critère subjectif.

a) les politiques ou les pratiques ont été imposées honnêtement et de bonne foi

Dans l'arrêt Large c. la corporation municipale de Stratford, [1995] J.C.S. no 80 (C.S.C.), le juge Sopinka a dit que cet élément du critère subjectif est satisfait lorsque, en plus de satisfaire au critère objectif, l'intimé établit que la règle ou la politique a été adoptée de bonne foi pour une raison valide et sans aucun motif inavoué qui soit contraire aux objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal a conclu que l'intimé a satisfait au critère objectif selon la prépondérance des probabilités.

Le Tribunal conclut que les politiques et les pratiques furent adoptées :

  1. relativement à l'origine ethnique des produits par opposition à l'origine ethnique des importateurs ou de leurs dirigeants;
  2. relativement aux points d'application dans le système de distribution des produits (le point d'importation par opposition au niveau du détail)
  3. relativement à une évaluation des risques relatifs aux produits et aux consommateurs de ces produits, par opposition à la race ou à l'origine ethnique de l'importateur ou du vendeur, ou de l'un de ses dirigeants.

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Le Tribunal conclut selon la prépondérance des probabilités que les politiques et pratiques établies par l'intimé ont été adoptées de bonne foi pour des raisons valides et sans aucun motif inavoué qui soit contraire aux objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

b) Les politiques et pratiques furent imposée avec la conviction sincère que ces politiques ou pratiques ont été adoptées en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique

Pendant la plus grande partie de la période pertinente, M. Riou a été directeur du Bureau des opérations régionales de l'intimé, et à ce titre il était responsable de la coordination du programme national de conformité et d'application pour la Direction générale de la protection de la santé en ce qui a trait aux aliments, aux drogues et aux instruments médicaux. Il a décrit (pages 1211 et 1212 de la transcription) le mandat de l'intimé relativement à la Loi sur les aliments et drogues comme le devoir de protéger la santé du public. Il a déclaré que ce mandat était réalisé en partie en protégeant le public des produits et pratiques dangereux. Cela comprend la tâche de protéger le public contre les produits à l'égard desquels le fabricant ou le vendeur tient des propos qui sont frauduleux, trompeurs ou mensongers.

Le Tribunal a déjà conclu à l'égard du critère objectif que la preuve établit selon la prépondérance des probabilités que les politiques et pratiques de l'intimé étaient une réponse efficace et économique au mandat confié à l'intimé par le législateur. Le Tribunal conclut aussi selon la prépondérance des probabilités que les politiques et pratiques de l'intimé qui font l'objet de la présente procédure furent imposées avec la conviction sincère des dirigeants de l'intimé que ces politiques et pratiques ont été adoptées en vue d'assurer la bonne application de la Loi ou des règlements d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique.

c) les politiques et les pratiques n'ont pas été imposées pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Aucune preuve n'a été présentée pour établir que des politiques ou des pratiques de l'intimé ont été élaborées afin de conférer un avantage à une race ou à un groupe ethnique en particulier. Les politiques et les pratiques visaient des produits non conformes. Le Tribunal n'a pu trouver aucun élément de preuve susceptible d'indiquer que les politiques et les pratiques soumises à son examen ont été imposées pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

d) Conclusion au sujet du critère subjectif

Le Tribunal conclut que la preuve établit selon la prépondérance des probabilités que les politiques et pratiques de l'intimé soumises à son examen ont satisfait aux trois éléments du critère subjectif.

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6.3 Conclusion sur le motif justifiable

Le Tribunal conclut que compte tenu des ressources limitées de l'intimé, de la portée de ses responsabilités et de l'évaluation qu'il fait des risques potentiels pour les consommateurs, l'intimé a établi un motif justifiable pour l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques et des pratiques relatives à l'application des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements qui ont fait l'objet d'un examen dans la présente affaire.

7.0 DÉCISION

La plainte est rejetée.

Fait à Victoria, province de la Colombie-Britannique, le 14 novembre 1995.

Lyman R. Robinson, c.r.

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