Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D. T. 2/ 85 Décision rendue le 9 mai 1985

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S. C. 1976- 1977, C. 33, version modifiée

ET DANS L’AFFAIRE de l’appel interjeté le 13 mars 1984 par Patricia Bennett MacPherson et la Commission canadienne des droits de la personne, en vertu du paragraphe 42.1( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de la décision d’un tribunal des droits de la personne rendue le 28 février 1984.

ENTRE : PATRICIA BENNETT MacPHERSON, Plaignante (Appellante) - et WHITE PASS AND YUKON ROUTE CORPORATION LIMITED Mis en cause (Intimé)

Décision du tribunal d’appel

DEVANT : JOHN D. McCAMUS Président WAYNE PETERSEN Membre JOAN WALLACE Membre

GREFFIER Gwen Zappa

ONT COMPARU : RUSSELL JURIANSZ Avocat de la plaignante et de la Commission canadienne des droits de la personne PATRICIA JANZEN Avocate du mis en cause

DATE DE L’AUDIENCE : le 10 juillet 1984, à Vancouver

(Colombie- Britannique) > La plaignante, Patricia Bennett MacPherson, et la Commission canadienne des droits de la personne en appellent de la décision rendue par le doyen Frank D. Jones qui, en sa qualité de tribunal constitue en vertu du paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, a rejeté la plainte de Mme Bennett MacPherson alléguant que sa candidature au poste de propose à l’entretien des locomotives pour l’entreprise mise en cause avait été rejetée pour des motifs discriminatoires contrevenant à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La plaignante a allégué que le responsable de l’embauchage, un certain William Dickson, alors directeur adjoint de la division du chemin de fer de l’entreprise mise en cause, avait rejeté sa candidature au poste de propose à l’entretien des locomotives parce qu’elle était une femme, contrevenant ainsi à la Loi qui interdit toute distinction fondée sur le sexe.

Dans le cadre de l’audience devant le tribunal, de nombreux éléments de preuve ont été présents concernant la nature du poste en question et les circonstances qui ont motivé la décision de M. Dickson de ne pas embaucher la plaignante au printemps 1980. De l’avis des parties au litige, la liste suivante rend assez bien compte des fonctions du propos à l’entretien des locomotives.

  1. Vérifier le niveau d’huile des régulateurs, des compresseurs et des moteurs.
  2. Vérifier le niveau et la température de l’eau dans les moteurs.
  3. Maintenir une surveillance constante pour s’assurer que les RPM sont au
  4. bon niveau et que toutes les autres jauges fonctionnent correctement lorsque les locomotives sont en marche à vide.

  5. Balayer toutes les locomotives et voitures et y ramasser les ordures quotidiennement.
  6. > 2.

  7. Nettoyer les fenêtres des locomotives et des voitures à l’intérieur et à l’extérieur.
  8. Remplir les récipients d’eau et aller les porter dans les différentes locomotives et voitures.
  9. Conduire les locomotives au poste de combustible liquide.
  10. Faire le plein de combustible et ajouter un agent de refroidissement, au besoin.
  11. Vérifier quotidiennement les boîtes d’essieu des voitures et des wagons plats.
  12. Ajouter de l’huile aux boîtes d’essieu, au besoin.
  13. Changer les coussinets des essieux, au besoin.
  14. Réparer la timonerie de frein, au besoin.
  15. Remplacer, au besoin, les conduites d’air et les tuyaux à air brisés.
  16. Placer les fûts d’huile sur des socles, au besoin.
  17. Aider aux déraillements en gare du triage, au besoin. Le poste de propos à l’entretien des locomotives se situe à l’échelon le plus bas de la hiérarchie des quatre postes qui composent l’équipe du train. Les préposés à l’entretien des locomotives qui s’acquittent avec succès de leurs tâches sont successivement promus aux postes de serre- frein, chef de train et mécanicien.

> 3.

Les parties sont également d’accord sur le fait que la plaignante est en mesure de s’acquitter convenablement des tâches de propos à l’entretien des locomotives. En effet, quelque temps après le déclenchement du conflit qui nous intéresse, le mis en cause a effectivement nommé la plaignante au poste de proposée à l’entretien des locomotives, sans pour autant reconnaître le bien- fondé de la présente allégation. Il ressort du témoignage de M. Dickson qu’elle s’est parfaitement bien acquittée de ses fonctions.

A l’origine du litige, il y a, bien sûr, la décision prise par M. Dickson au printemps 1980. Le mis en cause soutient que M. Dickson avait alors appuyé sur des critères non discriminatoires sa décision d’engager d’autres candidats au poste de propose à l’entretien des locomotives. Étant donné qu’il s’agit d’un travail plus ou moins saisonnier, les nominations se font généralement au printemps. En 1980, il y en a eu deux. Outre la plaignante, qui, à l’époque, travaillait comme serveuse en chef dans un établissement de l’entreprise, à Bennett en Colombie- Britannique, trois autres personnes ont posé leur candidature : M. Bob Krewey, M. Mike Lightle et M. Donald Dickson. Dans le procès- verbal d’audience, M. Krewley a été décrit soit comme serveur, soit comme chasseur de l’établissement en question de Bennett (C.- B.). A l’époque, M. Lightle ne travaillait pas pour le mis en cause. M. Donald Dickson, qui était alors étudiant, avait déjà travaillé pour l’entreprise mise en cause pendant quatre étés et pendant toute une année. Fait plus important à noter, semble- t- il, aux fins de la présente affaire, M. Donald Dickson est le fils de M. William Dickson.

> 4. Le mis en cause soutient que la décision de M. Dickson d’engager M. Lightle et M. Donald Dickson comme proposés à l’entretien des locomotives au printemps 1980 était fondée entièrement sur des motifs non discriminatoires. La décision d’engager son fils semble avoir été prise au début de 1980, avant la présentation de la demande d’emploi de la plaignante. Selon le témoignage de M. Dickson, son fils lui avait demandé de lui trouver du travail pour la fin de l’année scolaire et il lui avait promis de l’engager comme propose à l’entretien des locomotives lorsqu’on commencerait à embaucher des gens pour ce secteur (p. 157 de la transcription). Peut- être faudrait- il ajouter que, selon M. Dickson, deux raisons justifiaient l’engagement pris. Premièrement, il n’était pas rare d’embaucher des parents au sein de l’entreprise. Deuxièmement, il était convaincu que l’expérience de travail de son fils en faisait un candidat intéressant à ce poste.

En ce qui a trait à M. Lightle, M. Dickson a déclaré que ses antécédents professionnels en faisaient un candidat plus intéressant que la plaignante. M. Dickson a indiqué, dans son témoignage, que l’une des choses importantes lorsque vient le moment de procéder à ces nominations, c’est de trouver des personnes qui ont l’expérience de la conduite de machines lourdes. A son avis, les compétences de M. Lightle dans ce domaine étaient supérieures. Il savait conduire des tracteurs- pelles, des camions, et connaissait le fonctionnement de ce qu’on a appelé des canalisations pneumatiques. M. Dickson a également souligné que M. Lightle avait un permis de manipulation des explosifs ce qui était un atout de plus car une seule autre personne possède un tel permis chez nous; il est toujours pratique d’avoir quelqu’un pour assurer la relève en cas d’urgence (page 158 de la transcription).

> 5.

Du point de vue de M. Dickson, les antécédents de travail de la plaignante étaient moins impressionnants car, dit- il, elle avait travaillé essentiellement dans le domaine de la restauration et in peu à l’hôpital général de Whitehore (page 159 de la transcription). Elle n’avait pas autant d’expérience quant à la conduite d’équipement lourd bien qu’elle ait travaille sur la ferme de son père, comme M. Dickson l’a signalé. Mme Bennett MacPherson a en outre déclaré qu’elle avait passe du temps avec M. Neil MacPherson, son fiance d’alors et futur mari, qui était titulaire du poste de propose à l’entretien des locomotives, à se familiariser avec les tâches du poste en question.

Devant le tribunal des droits de la personne et le présent tribunal d’appel, la plaignante a soutenu que les raisons exposées par M. Dickson pour expliquer sa décision n’étaient pas convaincantes. La conduite de M. Dickson, a- t- on fait valoir, témoignait d’un préjuge défavorable à l’embauchage de femme au poste de préposé à l’entretien des locomotives. Plus particulièrement, l’avocat de la plaignante a soutenu que le fait que M. Dickson n’ait pas insisté pour en savoir plus long sur l’expérience de la plaignante à la ferme démontrait qu’il ne portait pas vraiment intérêt à sa candidature. De nombreux éléments de preuve soumis au tribunal permettent de conclure que la plaignante s’était servi de différentes machines agricoles et qu’elle avait effectué certains travaux d’entretien connexes. M. Dickson a admis que s’il avait eu plus de renseignements sur l’expérience de travail de la plaignante à la ferme de son père, il en aurait tenu compte.

A part ce prétendu défaut d’insister pour obtenir des renseignements, l’avocat de la plaignante a relevé un certain nombre d’indices de la partialité de M. Dickson. Par exemple, il a accordé une certaine importance, semble- t- il, au fait que M. Dickson aurait invoqué la difficulté du travail pour justifier

> 6. sa décision de ne pas engager la plaignante. L’avocat de cette dernière a soutenu qu’il y avait lieu de conclure à l’existence d’une attitude ouvertement (il voulait sans doute dire sciemment) discriminatoire, fut- elle inconsciente, pour expliquer cette décision. (page 255 de la transcription, page 10 de la décision du tribunal).

Le tribunal a rejeté la plainte, accordant ainsi foi au témoignage de M. Dickson qui a déclaré avoir tenu compte des antécédents professionnels respectifs de la plaignante et de M. Lightle et ignorer que Mme Bennett MacPherson avait eu l’occasion de se familiariser avec les machines au cours de sa jeunesse lorsqu’elle habitait sur une ferme (page 9 de la décision du tribunal). Le tribunal a donc conclu qu’il n’y a aucune preuve directe de discrimination à l’égard des femmes relativement au poste de proposé à l’entretien des locomotives de la part de la White Pass and Yukon Route Corporation Limited. Je suis également d’avis que rien ne permet de tirer une conclusion en ce sens car, en fait, les preuves directes mènent à la conclusion contraire (page 10 de la décision du tribunal).

En ce qui a trait à la possibilité que la décision de M. Dickson ait été inspirée ou motivée par un préjugé inconscient, le tribunal a jugé être lié par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. la Commission canadienne des droits de la personne et K. S. Bhinder (1983), 147 D. L. R. (3d) 312, dans laquelle on a conclu que seuls les actes discriminatoires perpétrés avec une intention discriminatoire sont interdits par la loi (page 11 de la décision du

tribunal). Dans le contexte de la décision en question, cela signifie, croyons- nous, que le tribunal a jugé que, pour établir le bien- fonds d’une plainte, il devait, en vertu de la décision Bhinder, être en mesure de conclure que le responsable de l’acte discriminatoire en question, savait qu’il entretenait un préjugé et avait agi en

> 7. toute connaissance de cause. Le tribunal a en outre note que la décision Bhinder était en instance d’appel devant la Cour suprême du Canada.

Comme remarque préliminaire, précisons que nous ne souscrivons pas à cette interprétation de la décision rendue dans l’affaire Bhinder. Ce qui y est affirme, selon nous, c’est que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’englobe pas les actes de discrimination soi- disant indirecte. On entend par discrimination indirecte les cas où des décisions, bien que fondées sur des critères neutres, ont des conséquences imprévues, par exemple, la restriction des chances d’emploi pour un groupe donné. Dans l’affaire Bhinder, l’employeur mis en cause avait congédie un employé sikh qui avait refusé de se soumettre à l’une des conditions d’emploi, à savoir le port du casque de sécurité. Le plaignant a fait valoir que sa religion l’obligeait à porter un turban et qu’il avait donc été congédie pour défaut d’observance d’un règlement qui établissait une distinction à l’égard des sikhs. Comme dans d’autres cas de plaintes jugés en vertu des codes provinciaux et fédéral des droits de la personne, le plaignant a réussi à faire admettre par le tribunal que, même si l’employeur n’avait pas l’intention d’établir une distinction à l’égard des membres d’un groupe religieux en adoptant la règle du port obligatoire du casque de sécurité, l’effet indirect de l’adoption de la règle en question, soit le congédiement des employés qui ne s’y conforment pas, était de priver de chances d’emploi les membres d’un groupe religieux, et ce, d’une manière contrevenant à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le juge Le Dain enregistrant sa dissidence, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’opinion voulant que ce type de discrimination indirecte constitue une infraction au Code.

> 8. A notre avis, la décision Bhinder ne permet pas de répondre à la question soulevée dans la présente affaire par l’avocat du plaignant, à savoir si le fait de poser un acte motivé par un préjugé inconscient constitue une infraction au Code. Il est possible d’imaginer des cas où une personne, tout en étant persuadée de n’avoir pas de préjugé, fonde en fait ses décisions sur des attitudes discriminatoires ou des stéréotypes. Nous croyons pouvoir alors affirmer que cette personne est motivée, au sens où l’on entend ce terme en l’occurence, par une attitude discriminatoire et pose, par conséquent, un acte de discrimination directe.

Après avoir signalé notre désaccord avec le doyen Jones sur ce point, il nous faut préciser que, de toute façon, ses conclusions ne permettent pas tellement de conclure à l’existence d’un préjugé inconscient. En fait, il semble avoir accepté l’explication de M. Dickson qui disait avoir effectivement pris en considération les antécédents professionnels des candidats et être sincèrement persuadé que, à cet égard, le dossier de M. Lightle était plus intéressant que celui de la plaignante. En outre, le doyen Jones a jugé que rien ne prouve que M. Dickson, père, ait eu une basse raison pour ne pas lui poser de questions détaillées sur son expérience à la

ferme dans le cadre de son entrevue avec la plaignante (page 9 de la décision du tribunal). M. Jones a poursuivi en déclarant qu’à son avis, il incombe au candidat de signaler tous les faits pertinents dont il se rappelle au cours de l’entrevue de sélection. Il était de toute évidence persuadé que la plaignante ne l’avait pas fait et, par conséquent, que M. Dickson n’avait pu que conclure que M. Lightle était un meilleur candidat.

C’est donc de cette décision qu’on en appelle en l’espèce. Au fond, la plaignante et la Commission nous demandent de déterminer les faits autrement que le tribunal de première instance, à partir de la transcription des témoignages dont celui- ci a été saisi. L’avocat de la plaignante et de la Commission a fait valoir devant nous que la décision du tribunal témoignait de son hésitation à tirer les conclusions qui, quoique fort subtiles dans certains cas,

> 9. s’imposaient à son avis dans un conflit de ce genre. En cas de contradiction entre le témoignage de la plaignante et celui de M. Dickson, a- t- il ajouté, il faudrait accepter celui de la plaignante. Cela signifie, par exemple, qu’on accorderait beaucoup moins de poids à l’explication fournie par M. Dickson quant à la nature de sa décision, compte tenu du fait que lorsqu’il a appelé la plaignante pour l’aviser de sa décision, il aurait déclaré être peu disposé à l’engager parce que le travail était trop difficile pour elle, ce que nie M. Dickson.

En guise de réponse, l’avocate du mis en cause nous a soumis deux arguments, faisant d’abord valoir qu’en dépit des vastes pouvoirs dont jouit un tribunal d’appel en vertu du paragraphe 42.1( 4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui porte que le tribunal d’appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait, celui- ci doit, dans l’exercice de ses fonctions, s’en remettre aux conclusions du tribunal de première instance en ce qui concerne la crédibilité des témoins. L’avocate a ensuite fait valoir que le dossier dont le tribunal avait été saisi permettait, de toute façon, d’établir le bien- fondé des arguments présentés par le mis en cause, sans compter qu’il donnait à entendre que la crédibilité de la plaignante était moins bien établie que celle de M. Dickson.

Avant d’étudier le bien- fondé des arguments soumis au nom de la plaignante et de la Commission, il faut donc déterminer dans quelle mesure un tribunal d’appel comme le nôtre peut, d’une manière générale ou dans le cas concret qui nous intéresse, annuler les conclusions du tribunal de première instance concernant la crédibilité des témoins ou ne pas en tenir compte. L’avocate du mis en cause a accordé beaucoup d’importance à la décision rendue, dans l’affaire Kotyk et al c. la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1984), 5 C. H. R. R. D/ 1895 (S. N. Lederman), par le tribunal d’appel à qui on avait demandé d’annuler les conclusions du tribunal de première instance quant à la crédibilité des témoins. Ayant conclu qu’il ne fallait pas que le tribunal d’appel intervienne de cette manière, le président, M. Lederman, a souligné en ces termes (à la page D/ 1899) l’importance d’observer le comportement des témoins pour déterminer leur crédibilité :

> 10.

L’attitude des témoins, leur façon de s’exprimer et d’autres traits personnels sont pertinents, mais non pas nécessairement déterminants, lorsque vient le moment d’établir leur crédibilité."

A son avis, les tribunaux d’appel constitués en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne doivent suivre l’exemple des cours d’appel qui s’en tiennent aux conclusions d’un juge des faits dans de tels cas. Aussi estime- t- il que les propos du vicomte Simon, tiré de l’affaire Watt or Thomas v. Thomas (1947) A. C. 484. p. 486 (H. L.), s’appliquent en l’occurence:

"... S’il n’y a aucun élément de preuve à l’appui d’une conclusion donnée (il s’agit là véritablement d’une question de droit), la cour d’appel n’hésitera pas à rendre une décision en ce sens. Mais, s’il est raisonnable de considérer que la preuve, dans son ensemble, justifie la conclusion du tribunal de première instance, surtout si ce dernier en est venu à cette conclusion après avoir vu et entendu les témoins dont les dépositions se contredisaient, la cour d’appel tiendra compte du fait qu’elle n’a pas eu cette chance et que l’opinion du juge de première instance en matière de crédibilité est très importante. Cela ne signifie pas que ce dernier soit infaillible lorsqu’il s’agit de déterminer qui dit la vérité ou se contente de rapporter les faits sans exagération. Comme n’importe quel autre tribunal, le juge de première instance peut se tromper sur une question de fait, mais force est d’admettre que pour évaluer un témoignage présenté de vive voix, il a l’avantage (qui est refusé à la cour d’appel) de pouvoir rencontrer les témoins et d’observer la façon dont ils font déposition".

Le président, M. Lederman, a poursuivi en ces termes (p. D1900) : Le tribunal d’appel ne dispose d’aucun principe ou règle lui permettant d’évaluer, en se fondant sur le procès- verbal d’audience, les traits de caractère des protagonistes.

> 11. N’ayant pas eu l’avantage de voir et d’entendre directement les témoins, nous ne sommes pas en mesure de conclure que le tribunal a tout simplement fait erreur. En fait, d’après notre étude de la transcription, le tribunal disposait d’assez d’éléments de preuve pour étayer sa décision concernant les faits et la crédibilité des témoins. Il serait superflu de répéter ici ces éléments que Mme Ashley a exposés en détail dans sa décision. Il n’est pas non plus utile, à notre avis, de passer en revue les diverses conclusions contraires que M. Wasylyshen a tirées des faits et nous a vivement recommandé d’accepter. Qu’il nous suffise de dire que les constatations et déductions faites par le tribunal étaient raisonnables et fondées dans les circonstances, et que nous rejetons les conclusions contraires suggérées par M. Wasylyshen. Il ne s’agit pas d’un cas où la décision du tribunal était sans fondement ou unique et justifiait l’ingérence du tribunal d’appel. En conséquence, nous estimons que les conclusions du tribunal quant à la crédibilité et aux faits concordaient avec les témoignages et l’ensemble de la preuve.

Ces citations tirées de la décision Kotyk soulèvent deux questions d’ordre général. Il y est d’abord affirmé que, dans les cas comme celui qui nous intéresse, le tribunal d’appel a essentiellement la même compétence qu’une cour d’appel. Deuxièmement, il y est fait état de la difficulté pour un tribunal d’appel d’en arriver à une conclusion de fait différente de celle

du juge des faits dans un cas où des questions de crédibilité entrent en jeu. Comme nous le verrons, il n’est pas nécessaire de nous prononcer de façon définitive sur la force de persuasion de la première affirmation. D’ailleurs, la question n’a pas été débattue sous tous ses angles devant nous. Nous tenons cependant à faire certaines réserves concernant l’à- propos du parallèle établi avec la cour d’appel dans le présent contexte. Comme le président Kerr l’a indiqué dans la décision Carson et al c. Air Canada (1984) 5 C. H. R. R. D/ 1857, les tribunaux d’appel sont investis de pouvoirs

> 12. très étendus pour ce qui est d’admettre des preuves additionnelles et de rendre des décisions qu’aurait dû rendre, selon eux, le tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel et, par conséquent, leur juridiction semble plus large que celle des cours d’appel ordinaires. La conclusion du président Kerr, à Laquelle nous souscrivons, est qu’il ne faut pas interpréter de façon restrictive le mandat du tribunal d’appel. Plus particulièrement, si on laisse effectivement entendre dans la citation susmentionnée tirée de la décision Kotyk que le tribunal d’appel n’est pas censé en arriver à une conclusion de fait différente de celle du tribunal de première instance, à moins que la décision du tribunal en question n’ait été sans fondement ou inique, on se trouve, à notre avis, à interpréter de façon trop étroite le mandat conféré au tribunal d’appel par les dispositions de l’article 42.1. Dans l’affaire Kotyk, cependant, le tribunal d’appel a jugé que les conclusions du tribunal quant à la crédibilité et aux faits concordaient avec les témoignages et l’ensemble de la preuve. Par conséquent, il se peut fort bien que le tribunal d’appel n’ait pas interprété son rôle d’instance d’appel de façon aussi restrictive que le laisse supposer ce passage. Chose certaine, dans le présent litige, nous nous sommes engages a examiner à fond les conclusions de fait du tribunal de première instance et à juger de façon absolument indépendante si elles nous semblent concorder avec l’ensemble de la preuve.

Le second point est toutefois plus complexe et, à notre avis, restreint sérieusement la capacité du tribunal d’appel d’en arriver à ses propres conclusions de fait. Comme on le souligne dans la décision Kotyk, le tribunal appelé à tirer des conclusions de fait sur la seule foi de la transcription des dépositions pourrait bien estimer que l’impossibilité où il se trouve d’observer le comportement des témoins j’empêche de se prononcer de façon indépendante sur les questions de crédibilité ou, encore, fait qu’il ne serait pas très prudent de sa part d’en arriver à une conclusion autre que celle du juge des faits qui a eu la chance d’observer les témoins en question. La fermeté des convictions du tribunal d’appel à cet égard peut varier considérablement en fonction de l’importance que le tribunal inférieur a accordé au comportement et à l’observation des

> 13. témoins pour déterminer leur crédibilité et en fonction de la mesure dans laquelle la transcription comme telle permet de relever des incohérences et des contradictions qui amènent le tribunal d’appel à douter de la bonne foi du témoin en question. Retenons que, dans un cas comme celui qui nous intéresse, où se pose la question de la crédibilité, le tribunal d’appel qui n’a pas vu les témoins se trouve très mai placé pour tirer ses propres conclusions de fait. Dès lors, lorsqu’il juge important le fait d’avoir pu

observer les témoins, il doit, à notre sens, s’en remettre aux conclusions du tribunal inférieur en ce qui touche la crédibilité.

Dans le cas qui nous occupe, comme l’a noté l’avocat de la plaignante et de la Commission, la décision du tribunal ne témoigne pas d’un examen approfondi de la crédibilité de l’un ou l’autre des deux témoins, bien que l’on ait relevé des contradictions évidentes entre les dépositions de la plaignante et celles de M. Dickson. Les témoins sont apparemment tombés d’accord sur ce qui semble avoir été la plus importante conclusion de fait du tribunal, à savoir que la plaignante n’avait pas rendu compte en détail, dans le cadre de son entrevue avec M. Dickson, de son expérience de la conduite de machines agricoles. Le tribunal semble avoir pu ainsi éviter de se prononcer de façon catégorique sur la question de la crédibilité respective des deux témoins. Par ailleurs, si le tribunal avait accordé foi au témoignage de la plaignante selon lequel M. Dickson aurait tenté de justifier son refus de l’engager en affirmant que le travail en question était trop difficile pour elle, l’explication fournie par M. Dickson n’aurait certainement pas manqué d’être quelque peu mise en doute. Nous sommes donc portés à croire que le tribunal a implicitement rejeté le témoignage de la plaignante à cet égard pour accorder foi à celui de M. Dickson. Toutefois, vu que l’on ne s’est pas penché de façon explicite et systématique sur la question de la crédibilité, nous pensons pouvoir l’étudier au moins à la lumière des observations que nous a faites l’avocat de la plaignante et de la Commission et en tenant compte du fait qu’il nous est impossible d’observer le comportement de ces témoins.

> 14. Avant de passer en revue ces observations relatives à la crédibilité des témoins, signalons que l’avocat de la plaignante et de la Commission a émis l’opinion que le témoignage de la plaignante était plus digne de foi que celui de M. Dickson, faisant toutefois valoir que, même si l’on ne tirait pas pareille conclusion, l’attitude et le témoignage de M. Dickson donnaient à croire que ce dernier entretenait des préjugés, ce qui permettait de conclure à l’existence d’un motif discriminatoire. Nous sommes d’avis, faut- il le préciser, que ces deux arguments sont étroitement liés; d’ailleurs, nous ne croyons pas qu’il soit possible, en l’occurence, de nous prononcer sur la question de l’existence d’un motif discriminatoire sans conclure par la même occasion qu’il faille rejeter le témoignage de M. Dickson. Quels que soient les soupçons que son attitude ait éveillés chez la plaignante ou d’autres observateurs, il n’en reste pas moins que M. Dickson a fourni une explication plausible de sa décision. Celle- ci, a- t- il affirmé, reposait sur un critère que les deux parties reconnaissent comme étant lié à l’emploi et correspondant à celui que le mise en cause utilisait effectivement. Il a dit avoir tenu compte des antécédents de travail des deux principaux candidats, la plaignante et M. Lightle, et a donné une explication plausible de sa décision de retenir la candidature de ce dernier.

Dans le cadre des plaintes relatives aux droits de la personne faisant état de décisions discriminatoires en matière d’emploi, il arrive souvent, bien sûr, que les employeurs aient une explication plausible à offrir pour justifier leurs décisions à l’égard des plaignants. Ceux- ci tentent alors de démontrer que la justification ou l’explication fournie par l’employeur n’est qu’un prétexte, c’est- à- dire qu’elle ne constitue pas la véritable raison de sa décision. A cet égard, divers types de preuve peuvent être présentés, mais, règle générale, si le plaignant réussit à prouver son affirmation, la vraisemblance des preuves soumises par le décisionnaire se trouve à être mise en doute. Par conséquent, s’il est établi que ce dernier, dans le contexte

de la décision contestée, s’est servi de critères irrationnels ou différents de ceux qu’il applique pour rendre des

> 15. décisions semblables visant des personnes autres que la plaignante, on peut croire que sa justification n’est qu’un prétexte, c’est- à- dire qu’elle ne rend pas fidèlement compte de ce qui s’est véritablement passé.

Sauf erreur, l’avocat de la plaignante et de la Commission tente de nous convaincre du fait qu’il peut arriver que, même s’il croit sincèrement n’avoir pas agi de manière discriminatoire et s’il fait, en toute honnêteté et avec beaucoup de crédibilité, une déposition en ce sens, un témoin ait, en fait, été motivé par un préjugé inconscient dont prend acte le tribunal. Nous souscrivons à cette observation, et c’est ce qui fait que nous ne sommes pas d’accord, comme nous l’avons indique précédemment, avec l’interprétation que le tribunal inférieur a donnée de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Bhinder. Il nous semble cependant peu probable qu’on puisse conclure à l’existence d’un préjugé inconscient dans un cas où les témoignages confirment que l’employeur a essayé sincèrement de s’en tenir à un critère lié à l’emploi qu’il applique de façon constante lorsque vient le moment de prendre des décisions de ce genre. Quoiqu’il en soit de la valeur générale de cette opinion, nous sommes cependant d’avis qu’en l’espèce, pour démolir l’explication de M. Dickson concernant sa décision de ne pas engager la plaignante, il faut prouver que son témoignage n’est pas digne de foi et que, lorsqu’il entre en contradiction avec celui de la plaignante, c’est ce dernier qu’on doit retenir.

Venons- en maintenant aux observations faites par l’avocat de la plaignante et de la Commission concernant la question de la crédibilité. Il a fait valoir que le témoignage de la plaignante devait l’emporter sur celui de M. Dickson pour la simple raison que ce dernier se contredisait. A titre d’exemples l’avocat a fait état de certains passages du témoignage de M. Dickson concernant le fait qu’il n’avait pas été question, dans le cadre de l’entrevue, de l’expérience du travail de la plaignante à la ferme. Le dialogue suivant est tiré de l’interrogatoire principal de M. Dickson (p. 160 de la transcription) (traduction) :

Q. Au cours de l’entrevue, avez- vous discuté de son expérience du travail à la ferme?

> 16. R. Non, elle a seulement mentionné qu’elle avait travaillé, vécu sur une

ferme, et je ne lui ai pas posé de questions à ce sujet. Et, plus loin, (p. 184 de la transcription) :

Q. A- t- il été question de son expérience du travail à la ferme?

R. Nous ne sommes pas entrés dans les détails. Elle n’a pas insisté là- dessus.

Q. Lui avez- vous posé des questions à ce sujet?

R. Non.

Q. Vous ne lui avez posé aucune question concernant son expérience de travail sur la ferme?

R. Non, elle - je n’y ai pas accordé une grande importance. La prétendue contradiction réside dans les passages suivants tirés du contre- interrogatoire de M. Dickson (pages 185 et 186 de la transcription) (traduction) :

R. Bien, je suppose que si elle avait insisté un peu plus sur cette question, j’aurais eu un peu plus de renseignements, mais elle ne m’en a jamais parlé.

... Q. Son expérience de travail à la ferme était mentionné sur la formule de demande d’emploi, n’est- ce pas? R. C’est vrai.

Q. Vous l’avez remarqué?

R. Elle m’a fait remarquer qu’elle avait travaillé sur une ferme.

> 17. L’avocat nous a fait valoir que M. Dickson se contredisait dans ces extraits en déclarant, d’une part, que la plaignante ni avait fourni aucun renseignement concernant son expérience du travail à la ferme et, d’autre part, qu’elle avait, en fait, attiré son attention sur ce point et tenté d’en discuter au cours de l’entrevue. Nous ne partageons pas l’opinion voulant que ces extraits soient porteurs d’une contradiction évidente et troublante. Si, comme la chose est fort possibles aucune des parties n’est revenue plus en détail sur l’expérience de travail de la plaignante à la ferme, dont il avait été fait mention au cours de l’entrevue et sur le formulaire de demande d’emploie toutes les déclarations de M. Dickson n’en seraient pas moins plausibles. La plaignante n’a fait qu’effleurer le sujet et M. Dickson ne l’a pas approfondi, admettant ailleurs dans son témoignage que cette expérience aurait pu être déterminante si la plaignante avait insisté; mais elle ne l’a pas fait en ce sens qu’elle n’a pas pris l’initiative de lui fournir des détails à ce sujet. Par conséquent, nous ne pouvons considérer qu’il s’agit- là d’une contradiction évidente et troublante dans le témoignage de M. Dickson, contradiction dont l’effet serait de vous faire douter de la sagesse du tribunal qui semble avoir été disposé à accorder foi à sa déposition.

L’avocate du mis en cause a fait valoir que nous ne devions pas nous fier au témoignage de la plaignante, compte tenu surtout de certaines déclarations erronées faites par cette dernière dans une lettre adressée à la Commission canadienne des droits de la personne (pièce R4). La plus troublante de ces deux déclarations soi- disant erronées se lit comme suit (traduction):

"Lorsque j’ai posé ma candidature au poste de préposé à l’entretien des locomotives, on m’a dit que je ne l’aurais pas parce que j’étais une femme. Comme l’a fait remarquer l’avocate du mis en cause, la plaignante n’a pas indiqué, dans sa déposition devant le tribunal, que M. Dickson avait fait cette déclaration lorsqu’il s’était entretenu avec elle. Elle a donc fait valoir que la plaignante était prête à déformer grossièrement les faits pour

s’attirer de la sympathie et que, par conséquent, nous devrions hésiter à accorder quelque importance à son témoignage.

> 18. Bien que nous convenions de la pertinence de cet incident pour déterminer la crédibilité du témoin, nous ne croyons pas pouvoir conclure que la plaignante n’est pas digne de foi sans avoir eu la chance de l’observer lorsqu’elle faisait sa déposition.

Somme toute, nous sommes d’avis que notre examen de la transcription ne nous permet pas de condlure que l’un ou l’autre des témoins (la plaignante et M. Dickson) n’était pas digne de foi. Etant donné qu’en pareil cas le fardeau de la preuve incombe à la plaignante, nous devons présumer, aux fins de nos délibérations, que le témoignage de M. Dickson était plausible.

A la lumière de cette conclusion, voyons ce qu’il en est des autres observations faites par l’avocat de la plaignante et de la Commission concernant l’existence d’un parti pris. On a d’abord fait grand cas du fait que M. Dickson ne se soit pas enquis plus résolument de la nature de l’expérience de travail de la plaignante à la ferme. L’avocat a signalé que le tribunal avait indiqué, dans sa déposition, qu’il incombait à la plaignante de faire connaître ces renseignements dans le cadre de l’entrevue. Il nous a fait valoir que la loi ne prévoit aucun fardeau semblable. Nous souscrivons certes à cette observation, mais nous sommes toutefois persuadés que le tribunal a simplement voulu dire par là que la plaignante aurait dû apporter plus de précisions dans le contexte d’une entrevue dont l’objectif manifeste était de faire en sorte que l’employeur éventuel soit mis au courant de tous les renseignements pertinents. Cependant, nous admettons également que le défaut de se renseigner sur des points pertinents peut témoigner, dans une certaine mesure, de l’existence d’un parti pris; d’où l’importance, à notre avis, du fait que M. Dickson ait fourni, dans une autre partie de son témoignage, une explication plausible de son omission à cet égard. Il a déclaré s’être intéressé beaucoup plus aux antécédents de travail de la plaignante qu’à l’expérience qu’elle avait acquise pendant son jeune âge sur la ferme de ses parents. Précisant qu’il ne connaissait pratiquement rien de la vie sur une ferme, il a dit ignorer qu’on pouvait y acquérir passablement d’expérience du fonctionnement de machines lourdes. Il nous semble parfaitement plausible qu’un homme se trouvant dans la situation de M. Dickson puisse être vraiment surpris de découvrir l’étendue

> 19. des connaissances pertinentes acquises par la plaignante sur la ferme. Compte tenu de notre hypothèse voulant que sa crédibilité niait pas été mise en doute, le fait pour M. Dickson de n’avoir pas insisté sur cette expérience antérieure n’est pas, à notre sens, un indice significatif de l’existence d’un parti pris.

On a également accordé beaucoup d’importance au fait que M. Dickson avait demandé à la plaignante, au cours de l’entrevue, si elle estimait être en mesure d’accomplir les tâches du poste exigeant de la force physique. La plaignante et M. Dickson ont tous deux confirmé dans leur témoignage que ce dernier avait bel et bien posé une telle question. M. Dickson s’est justifier en faisant remarquer que la plaignante étant une femme de frêle corpulence, il lui avait posé cette question sans arrière- pensée. La réponse

de la plaignante à l’effet qu’elle estimait être parfaitement en mesure d’exécuter ces tâches a satisfait M. Dickson. Il nie avoir déclaré, pour justifier sa décision de ne pas l’engager, que le travail était trop difficile pour elle, comme le prétend la plaignante. Celle- ci a peut- être mal interprété une remarque de M. Dickson concernant son manque d’expérience de la conduite de machines lourdes; mais, de toute façon, n’étant pas en mesure de rejeter le témoignage de M. Dickson pour des raisons de crédibilité, nous admettons qu’il n’a été question des capacités physiques de la plaignante, par rapport aux exigences du poste de préposé à l’entretien des locomotives, qu’au cours de l’entrevue. L’explication de M. Dickson étant plausible, et en l’absence de preuves permettant de conclure que rien dans l’apparence de la plaignante ne pouvait justifier pareille question, il n’y a pas lieu, à notre avis, de croire à l’existence d’un parti pris.

Quant au troisième indice majeur de parti pris invoqué par l’avocat de la plaignante et de la Commission, il ressort de la conversation au cours de laquelle M. Dickson a fait part à la plaignante de sa décision de ne pas l’engager. La plaignante l’accusa d’avoir fondé sa décision sur des motifs discriminatoires, puis voulut savoir si l’entreprise mise en cause avait engagé des femmes à d’autres postes. M. Dickson a alors mentionné que, sauf erreur, une femme occupait le poste de chauffeur de camion à la

> 20. division du transport routier. Dans son interrogatoire principal, M. Dickson a évoqué la suite de leur échange dans les termes suivants (p. 164 de la transcription) (traduction) :

Q. Et qu’a- t- elle dit? R. Elle a voulu savoir, je crois, si cette femme était toujours en poste;

comme je lui ai dit que non, elle m’a demandé pourquoi. J’ai alors répondu :

"Eh bien! je crois savoir que le travail était tout simplement trop difficile pour elle".

Comme M. Dickson l’a lui même admis au cours du contre- interrogatoire, la personne en question souffrait d’une blessure ou d’un malaise au dos, à l’instar de nombreux chauffeurs de camion. C’est pourquoi on a fait valoir qu’en affirmant que le travail était tout simplement trop difficile pour elle, M. Dickson avait rendu compte de la situation de façon un peu trop cavalière, manifestant ainsi une tendance à considérer que les femmes ne sont pas faites pour ce genre d’emploi, ce qui confirmerait l’existence d’un parti pris. Nous souscrivons à cette façon de qualifier ce compte rendu de la situation. Bien qu’on ne puisse nier, comme l’a noté l’avocate du mis en cause, que c’est la plaignante elle- même qui a posé la question à l’origine de cet échange et que M. Dickson a tenu ces propos en réponse à son accusation de partialité, il ne semble pas pour autant que ce dernier ait rendu compte de la situation d’une façon incomplète et dans un dessein trompeur, n’y qu’il ait voulu démontrer que ce genre de travail ne convient pas aux femmes. Par ailleurs, il ne ressort pas clairement de la transcription que tel était le mobile de ses propos. Qui plus est, nous ne croyons pas pouvoir en conclure à l’existence d’un parti pris général de la part de M. Dickson; chose certaine, ses rapports avec la plaignante n’ont pas été motivés par un tel parti pris.

Le quatrième indice de l’existence d’un parti pris qu’on ait fait valoir est que M. Dickson a préféré un candidat de l’extérieur, M. Lightle, à la plaignante qui, à l’époque qui nous intéresse,

> 21. travaillait déjà pour l’entreprise. L’avocat de la plaignante a soutenu que les promotions internes étant de règle dans l’entreprise mise en cause, le fait pour celle- ci de s’être apparemment écarté de cette ligne de conduite permettait de conclure à l’existence d’un parti pris discriminatoire. Le tribunal inférieur a été saisi d’un extrait d’un guide du personnel de l’entreprise mise en cause (pièce C- 6) dans lequel il était question, entre autres objectifs, de favoriser les promotions internes. Dans son témoignage, M. Harold Hoskin, directeur du service des relations industrielles et du personnel de l’entreprise mise en cause, a fait observer que cette directive s’appliquait au personnel salarié et non aux employés qui, comme la plaignante, étaient membres d’unités de négociation visées par des conventions collectives. Il a précisé que certaines de ces conventions collectives bien que ce ne fut pas le cas de celle visant la plaignante en sa qualité de serveuse, renfermaient des clauses d’embauchage interdisant les mutations ou la prise en considération de l’ancienneté, lors des mutations d’une unité de négociation à une autre. En dépit des réserves exprimées par l’avocat de la plaignante et de la Commission au sujet des raisons qui avaient pu motiver la présentation de cet élément de preuve (car la plaignante n’était pas visée, à l’époque, par une telle convention), nous sommes d’avis que M. Hoskin a voulu tout simplement souligner que l’objectif, exposé dans le guide du personnel, consistant à favoriser les promotions internes ne s’appliquait pas de manière générale dans le cas des employés visés par des conventions collectives. M. Hoskin a cependant admis croire qu’en l’absence de pareilles clauses d’embauchage, les employés devraient avoir droit à un traitement de faveur. Quelque soupçon que puisse susciter par ailleurs la conduite de M. Dickson à cet égard, nous ne sommes toutefois pas en mesure, pour les raisons déjà exposées, de mettre en doute la véracité de son témoignage lorsqu’il affirme qu’il n’était pas au courant de l’existence d’une pareille politique. Par conséquent, nous ne pouvons en conclure à l’existence d’un parti pris discriminatoire de la part de M. Dickson.

> 22. Point n’est besoin que nous. examinions plus à fond les autres observations de caractère aussi général présentées par l’avocat de la plaignante et de la Commission. Nous avons répondu directement aux affirmations qui nous semblaient le plus convaincantes et il ne nous parait pas nécessaire d’en faire autant pour les autres qui reposent, à notre avis, sur des passages bien plus ambigüs et, donc, peu convaincants de la transcription. Nous comprenons que la plaignante ait pu entretenir des soupçons quand une autre personne ne travaillant pas pour l’entreprise a été nommée au poste qu’elle convoitait et pour lequel elle estimait posséder toutes les qualités requises. Cependant, puisqu’il nous faut conclure que la véracité du témoignage de M. Dickson n’a pas véritablement été mise en doute, nous sommes d’avis que la plaignante et la Commission n’ont pas réussi à démontrer l’invraisemblance de l’explication fournie par M. Dickson en ce qui a trait à sa décision de ne pas engager la plaignante, à savoir qu’il s’était fondé sur un critère pertinent, qu’il n’estimait pas être tenu d’accorder la préférence a des personnes déjà employées (Mais appartenant à d’autres unités de négociation dans le cas de la plaignante et de M. Krewey) au détriment de candidats de l’extérieur qu’il jugeait mieux qualifiés, et qu’il était sincèrement persuadé que M. Lightle était beaucoup plus qualifié que la

plaignante. Il s’ensuit qu’il nous faut rejeter l’appel interjeté de la décision du tribunal de première instance.

FAIT le 1er mars 1985, à Toronto John D. McCamus Wayne Petersen Joan Wallace

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.