Tribunal canadien des droits de la personne

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TRADUCTION DE L’ANGLAIS

DT 5/ 85 Décision rendue le 13 août 1985

DÉCISION DU TRIBUNAL DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

S. C. 1976- 1977, C. 33 version modifiée ET DANS L’AFFAIRE entendue par un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

DEVANT : Robert W. Kerr

DANS UN LITIGE OPPOSANT : CHRISTINE MORRELL Plaignante ET LA COMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA Mis en cause

ONT COMPARU : Pour la plaignante et la Commission canadienne des droits de la personne, Russell Juriansz assisté de James Hendry Pour le mis en cause Duff Friesen assisté de Steven Sharzer

A OTTAWA (ONTARIO), LE 6 JUIN 1985 >

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, S. C. 1976- 1977, C. 33 version modifiée ET DANS L’AFFAIRE entendue par un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

DANS UN LITIGE OPPOSANT : CHRISTINE MORELL Plaignante ET LA COMMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA Mis en cause

LES FAITS

En février 1983, la plaignante s’est adressée au Centre d’emploi du Canada de St- Jean de Terre- Neuve afin d’obtenir un poste d’agent de police. Serveuse, elle désirait travailler dans un autre domaine. Elle avait abandonné ses études après la neuvième année. Or, il fallait une onzième année pour postuler le poste d’agent de police. C’est pourquoi au début de mai, les fonctionnaires du Centre ont recommandé qu’elle suive un cours en vue de parfaire sa scolarité. Son nom a donc été placé sur la liste d’attente d’un Cours préparatoire à la formation professionnelle. Puis, le 28 août 1983, elle a été inscrite au cours lui- même qui devait se poursuivre jusqu’au 8 juin 1984. Si la plaignante avait réussi le cours, elle aurait reçu l’équivalent d’un diplôme de douzième année.

> Après avoir changé d’emploi à la mi- juin 1983, la plaignante a été licenciée à la mi- juillet, date à laquelle elle a fait une demande de prestations d’assurance- chômage, qui a été acceptée. Quand elle a commencé à suivre le Cours préparatoire à la formation professionnelle, le versement de ses prestations n’a pas été interrompu, conformément aux dispositions prévues en ce sens dans le cas des prestataires que les autorités compétentes envoient suivre un tel cours.

La plaignante est devenue enceinte entre le moment où l’on a recommandé qu’elle suive le cours et le début de celui- ci. Au début de janvier, à la suite d’une discussion avec son mari, elle a commencé à se demander si sa grossesse allait influer sur ses prestations d’assurance- chômage. Avisant le Centre d’emploi du Canada qu’elle était enceinte, le 10 janvier 1984, elle lui a alors demandé si cela pouvait avoir un effet sur ses prestations.

Après examen de son cas, les fonctionnaires ont jugé que, du fait de sa grossesse, elle n’avait pas droit aux prestations ordinaires du 1er janvier au 22 avril 1984 et que, vu sa situation particulière, elle n’était pas admissible au bénéfice des prestations de maternité au cours de cette période. La plaignante avait déjà touché des prestations pour la première semaine de cette période avant d’aviser les autorités de sa grossesse. La poursuite du versements des prestations a immédiatement été suspendue jusque ce qu’on décide de son admissibilité. La décision ayant été négative, aucune autre prestation ne lui a été versée jusqu’au 22 avril, date à laquelle le versement des prestations ordinaires a repris, celles de la première semaine étant toutefois retenues pour compenser les prestations versées en trop pour la première semaine de janvier.

La plaignante a cessé de suivre le Cours préparatoire à la formation professionnelle le 3 février 1984 et a recommencé le 2 avril. Si elle ne s’est pas présentée au cours, a- t- elle affirmé dans son témoignage, c’est à cause des difficultés financières engendrées par la cessation des prestations d’assurance- chômage et non à cause d’une incapacité physique liée à sa grossesse.

> La plaignante a fait valoir qu’en la privant du bénéfice des prestations d’assurance- chômage ordinaires du 1er janvier au 22 avril 1984, on l’a privée, du fait de son sexe, d’un service destiné au public, ce qui va à l’encontre de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S. C. 1976- 1977, version modifiée. La plaignante invoque également le

paragraphe 3( 2), S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 143, art. 2, selon lequel : Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe.

Cette dernière disposition est entrée en vigueur le 1er juillet 1983. Le mis en cause, d’autre part, invoque l’article 46 de la Loi de 1971 sur l’assurance- chômage, S. C. 1970- 71,72, c. 48, qui stipule ce qui suit:

Sous réserve de l’article 30, une prestataire, en cas de grossesse, n’est pas admissible au bénéfice des prestations durant la période qui débute huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement et se termine six semaines après celle de son accouchement.

L’article 30 est la disposition relative aux prestations de maternité, qui ne s’appliquait pas dans le cas de la plaignante. Quant à l’article 46, il a été abrogé en date du 1er janvier 1984 - S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 150, art. 7, demeurant toutefois en vigueur aux fins des demandes de prestations visant une période qui, comme dans le cas de la plaignante, avait commencé avant cette date : id., art. 10.

>PREUVE SUFFISANTE A PREMIERE VUE

D’après les faits présentés, il s’agit, à première vue, d’un acte discriminatoire contrevenant à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Or, en vertu de son paragraphe 63( 1), la Loi lie la Couronne à titre fédéral. L’assurance- chômage est un service offert par le mis en cause. Non seulement ce service est- il destiné au public, mais la plupart des membres de la population qui détiennent un emploi sont tenus de par la loi d’y contribuer. Les presations ordinaires dont la plaignante a été privée du 1er janvier au 22 avril 1984 sont un élément fondamental de ce service. Il est clair qu’elle en a été privée du fait de sa grossesse et de son accouchement. D’après le paragraphe 3( 2), qui était alors en vigueur, il s’agit- là d’une distinction fondée sur le sexe, distinction qui est illicite en vertu du paragraphe 3( 1). Ainsi, la plaignante a été privée d’un service destiné au public pour un motif de distinction illicite.

CONFLIT AVEC LA LOI SUR L’ASSURANCE- CHOMAGE

Toutefois, c’est en vertu de l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage, toujours en vigueur à l’époque en vertu de S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 150, art. 10, que la plaignante a été privée de prestations ordinaires du 1er janvier au 22 avril 1984. C’est pourquoi il faut se demander si la discrimination prescrite par une autre loi fédérale constitue un acte discriminatoire contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Ni la Loi canadienne sur les droits de la personne ni la Loi sur l’assurance- chômage ne stipulent expressément qu’une loi doit avoir préséance sur l’autre. On peut soutenir qu’il est affirmé indirectement dans la Loi canadienne sur les droits de la personne que celle- ci a préséance sur les autres lois en général

>car certaines de ses dispositions portent qu’elle est sans effet sur d’autres textes de loi bien précis. Par exemples l’alinéa 14b) range parmi les

exceptions à la Loi les exigences relatives à l’âge minimal ou à l’âge maximal prévu pour un emploi par la loi ainsi que les règlements établis par le gouverneur en conseil pour l’application dudit alinéa. L’alinéa 14b) en fait autant dans le cas des conditions d’un régime de retraité prévoyant la dévolution ou le blocage obligatoires des cotisations en fonction de l’âge conformément à la Loi sur les normes de prestations de pension. Selon l’article 48, constituent des exceptions à la Loi, les régimes de retraite constitués par une loi du Parlement antérieure à l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le paragraphe 63( 2) stipule que la Loi canadienne sur les droits de la personne est sans effet sur la Loi sur les Indiens. L’existence de telles dispositions laisse croire que toute autre distinction établie en vertu de ces lois tomberait effectivement sous le coup de la Loi canadienne sur les droits de la personne. On peut donc en déduire que la Loi prime sur toutes les dispositions législatives qui ne sont pas spécifiquement exemptées.

Je ne suis pas convaincu que cette conclusion découle des exceptions prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les dispositions d’une loi peuvent influer sur les dispositions contraires d’une autre loi de trois façons. Premièrement, elles peuvent implicitement les annuler et, par conséquent, les rendre inopérantes. Deuxièmement, elles peuvent modifier l’interprétation qui en serait autrement donnée. Troisièmement, il est possible que le conflit découle non pas directement des dispositions des deux lois, mais plutôt d’un acte réglementaire ou d’une autre mesure prise en vertu de l’une ou l’autre des deux lois. Étant donné la préséance de toute loi sur les actes réglementaires et autres mesures, sauf disposition légale contraire, une disposition d’une loi peut annuler une disposition d’un acte réglementaire ou d’une autre mesure prise en vertu d’une autre loi.

> Étant donné que les dispositions relatives à l’âge minimal ou maximal et aux régimes de retraite mettent souvent en jeu des actes réglementaies ou des ententes contractuelles plutôt que des dispositions légales comme telles, la plupart des cas d’exception prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne ne l’ont peut- être été que pour soustraire les actes réglementaires ou les ententes contractuelles à l’effet de la Loi. S’il est évident que l’exception relative à la Loi sur les Indiens est manifestement plus générale, peut- être ne l’a- t- on prévue que pour empêcher les modifications d’interprétation de la Loi sur les Indiens fondées sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. Étant donné que, de par sa nature, la Loi sur les Indiens établit énormément de distinctions fondées sur la race, elle aurait facilement pu être ainsi réinterprétée, n’eut été de la présence du paragraphe 63( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, si d’autres lois ont été explicitement exclues du champ d’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il est possible qu’on ait voulu ainsi protéger les actes réglementaires ou autres mesures prises en vertu de ces lois ou, dans le cas de la Loi sur les Indiens, empêcher sa réinterprétation, plutôt que de laisser entendre que la Loi canadienne sur les droits de la personne aurait préséance sur les dispositions explicites des autres lois.

La jurisprudence ne permet pas de déterminer si les dispositions contraires d’une autre loi l’emportent sur celles de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou y sont assujetties. Un tribunal des droits de la personne a été appelé à examiner cette question dans l’affaire Bailey et al v. Minister of National Revenue (1980), 1 C. H. R. R. D/ 193( Cumming). Étaient en cause des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui, lorsqu’il s’agit d’accorder des déductions pour des personnes à charge,

établissent des distinctions fondées sur l’état matrimonial ou en établissent d’autres fondées sur le sexe lorsqu’il s’agit d’accorder des déductions au titre des dépenses

>engagées pour la garde des enfants. M. Cumming a estimé que ces dispositions violaient de façon déraisonnable les droits énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, concluant cependant que la Loi ne rendait pas ces dispositions inopérantes.

Par analogie avec la norme de l’objectif fédéral valable qui sert à déterminer si une loi viole le droit à l’égalité en vertu de la Déclaration canadienne des droits, M. Cumming a conclu que les autres lois en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de la personne demeurent opérantes en autant qu’elles sont fondées sur des considérations que le Parlement estime pertinentes à leur objet fondamental : D/ 221- 2. Le simple fait qu’une disposition soit déraisonnable par rapport à l’objet de l’autre loi ne la rend pas inopérante. En outre, même si une telle disposition était inopérante, le pouvoir de redressement conféré au tribunal en vertu du paragraphe 41( 2) de la Loi ne lui permettrait pas de modifier la loi ou même de la déclarer inopérante : D- 223/ 4. Le tribunal pourrait tout au plus porter l’acte discriminatoire à l’attention du ministre de la Justice en vertu de l’alinéa 22( 1) e) de la Loi.

Vers la même époque, la question des conflits entre les lois sur les droits de la personne et les autres lois a également été soumise à des commissions d’enquête en vertu des lois sur les droits de la personne de la Colombie- Britannique et du Manitoba. En Colombie- Britannique, la commission d’enquête a conclu que la loi sur les droits de la personne avait préséance sur l’autre loi, tandis qu’au Manitoba, la commission d’enquête a décidé que l’autre loi l’emportait sur la loi sur les droits de la personne. Les deux décisions ont été soumises aux tribunaux, qui, en fin de compte, ont confirmé celle de la Colombie- Britannique et annulé celle du Manitoba, conférant ainsi préséance à la loi sur les droits de la personne dans les deux cas : Insurance Corporation of British Columbia v. Heersping et al., (1982) S. C. R. 145, (1982) I. L. R. 1- 1555, 43 N. R. 168, 137

>D. L. R. (3d) 219; confirmant le jugement (1981) 4. W. W. R. 103, 27 B. C. L. R. 1, (1981) I. L. R. 1- 1368, 2C. H. R. R. D/ 355, 121 D. L. R. (3d) 464 (C. A.); annulent le jugement (1979), 18 B. C. L. R. 91, (1980) I. L. R. 1- 1208, 108 D. L. R. (3d) 123 (S. C.), qui rejetait la décision de la commission d’enquête; Newport v. Manitoba, (1982) 2 W. W. R. 254, 13 Man. R. (2d) 292, 3 C. H. R. R. D/ 721, 131 D. L. R. (3d) 564 (C. A.); annulant le jugement (1981) 5 W. W. R. 765, 12 Man. R. (2d) 443, 2 C. H. R. R. D/ 528, 81 C. L. L. C. 14,134, 126 D. L. R. (3d) 563 (Q. B.), qui annulait la décision de la commission d’enquête. Toutefois, les tribunaux ont rendu leurs décisions finales en se fondant sur des considérations disparates, ce qui fait que la loi demeure incertaine.

La majorité des juges de la Cour d’appel du Manitoba se sont laissés guider par la règle voulant que, dans les cas où un conflit entre des dispositions légales ne peut être résolu autrement, la disposition la plus récente annule implicitement la plus ancienne. En Colombie- Britannique, la Cour suprême a rendu trois jugements, chacun représentant le point de vue de trois juges, et l’un de ces jugement était marqué au coin de la dissidence. Les six juges majoritaires ont souscrit à l’opinion du juge Ritchie qui était finalement fondée sur une question de procédure. L’instruction judiciaire avait eu lieu par voie d’exposé de cause, ce qui était interdit étant donné

que se posaient à la fois des questions de fait et des questions de droit : 152 S. C. R. Le juge Ritchie a également exprimé son opinion sur la question du conflit entre la loi sur les droits de la personne et la disposition de la loi provinciale sur les assurances qui faisait l’objet du litige. Il a conclu qu’on pouvait concilier les deux en considérant la loi sur les droits de la personne comme une restriction apportée à la disposition de la loi sur les assurances : 153 S. C. R. De cette façon, il n’était pas nécessaire de déterminer quelle loi devrait avoir préséance en cas de conflit irréconciliable. Le jugement concourrant du juge Lamer et le jugement dissident du juge

>Martland se sont opposés sur cette question. Le juge Martland a indiqué qu’à son avis il faudrait que le libellé soit explicite en ce sens pour que la loi sur les droits de la personne entre en conflit avec les dispositions d’une autre loi : 157 S. C. R. Le juge Lamer, d’autre part, estimait que la loi sur les droits de la personne établit la loi fondamentale qui devrait avoir préséance en cas de conflit avec une autre loi : 157- 8 S. C. R.

La Cour d’appel du Manitoba s’est ensuite penchée à nouveau sur cette question dans un contexte semblable à celui de l’affaire Newport, mais où était en cause une disposition légale adoptée après la loi sur les droits de la personne. La majorité a suivi le raisonnement du juge Lamer en décidant que la loi sur les droits de la personne était une loi fondamentale qui avait encore préséance sur les autres lois : Craton v. Winnipeg School Division No. 1 et al., (1983) 6 W. W. Re 87, 21 Man. R. (2d) 315, 149 D. L. R. (3d) 542 (C. A.); appel en instance devant la Cour suprême du Canada.

D’autres décisions ayant un certain rapport avec la question m’ont également été citées. Dans l’arrêt Attorney General of Canada v. Cumming et al., (1980) 2 F. C. 122, 1 C. H. R. R. D/ 91, 79 D. T. C. 5303, 102 D. L. R. (3d) 151 (T. D.), la cour a rejeté une objection préliminaire portant que M. Cumming n’était pas habilité à statuer sur la validité des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu dans l’affaire Bailey. La confirmation de la compétence de M. Cumming laisse croire que la Loi canadienne sur les droits de la personne pourrait avoir préséance sur d’autres lois, mais tout ce que la décision a établi, c’est qu’il était prématuré pour la cour d’intervenir dans une instance introduite dans les règles en vertu de la Loi.

Dans l’affaire Canadian National Railway Co. and Canadian Human Rights Commission (1983) 4 C. H. R. R. D/ 1404, 48 N. R. 81, 147 D. L. R. (3d) 312 (en instance d’appel devant la Cour suprême du

>Canada), la Cour d’appel fédérale a utilisé un règlement établi en vertu du Code canadien du travail pour justifier une exigence professionnelle jugée discriminatoire par un tribunal des droits de la personne. Cela laisse entendre que d’autres dispositions législatives pourraient avoir préséance sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, le juge Heald, l’un des deux membres de la majorité, ne s’est pas prononcé sur là question de l’existence d’un conflit direct entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et le règlement. Il a plutôt affirmé que le règlement permettait de conclure qu’il s’agissait d’une exigence professionnelle justifiée : 319- 20 D. L. R. De telles exigences faisant partie des exceptions prévues à l’alinéa 14 a), ce raisonnement permettait de concilier les deux dispositions contradictoires. Le juge Le Dain a exprimé son désaccord en adoptant le point de vue du juge Lamer dans l’affaire Heerspink quant à la préséance de la loi sur les droits de la personne : 339- 40 D. L. R. Pour sa

part, le juge Kelly estimait que la loi sur les droits de la personne n’a pas préséance sur les autres lois en l’absence de dispositions explicites à cet effet : 342 D. L. R. Par conséquent, la décision est aussi peu concluante que celle de la Cour suprême dans l’affaire Heerspink.

En principe, je serais enclin à souscrire à l’avis de M. Cumming dans l’affaire Bailey à défaut d’une décision subséquente nettement contraire. Les tribunaux des droits de la personne, comme les cours de justice, devraient viser à une interprétation uniforme de la législation applicable. Toutefois, sans nullement tenir compte de l’incertitude découlant des décisions subséquentes des cours de justice, j’ai de la difficulté à souscrire au raisonnement qui sous- tend la décision rendue dans l’affaire Bailey. Pour commencer, j’ai du mal à me faire à l’idée que le Parlement ait pu conférer aux tribunaux des droits de personne quelque pouvoir que ce soit d’examiner d’autres lois relativement aux actes discriminatoires, si ce

>pouvoir est aussi limité que le conçoit M. Cumming. Le fait d’adopter une norme semblable à celle qu’invoquent les cours dans l’application de la clause d’égalité de la Déclaration canadienne des droits, suivant l’approche de M. Cumming, conférerait à la Loi canadienne sur les droits de la personne l’effet qu’a déjà la clause d’égalité de la Déclaration canadienne des droits sur les autres lois. Étant donné qu’il conclut ensuite qu’un tribunal des droits de la personne n’a à peu près aucun pouvoir de redressement, même s’il s’avère qu’une autre loi entre en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, il ne servirait pas à grand chose de faire en sorte qu’une telle discrimination soit visée de quelque façon que ce soit par la Loi.

En tout état de cause, sur le plan de l’interprétation, j’ai un peu de difficulté à retrouver quelque chose qui s’apparente à la norme de l’ objectif fédéral valable dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’élaboration de cette norme aux termes de la Déclaration canadienne des droits est compréhensible parce que le document en question énonce de vagues principes généraux et laisse aux cours une vaste gamme d’interprétations possibles. Les cours ont opté pour une interprétation étroite de la clause d’égalité, ainsi que des autres dispositions de la Déclaration canadienne des droits. La norme de l’ objectif fédéral valable est l’un des moyens que l’on a pris pour la mise en oeuvre de cette interprétation étroite.

La Loi canadienne sur les droits de la personne, d’autre part, renferme des dispositions assez précises. Même si certaines d’entre elles sont un peu ambiguës, les possibilités d’interprétation sont beaucoup plus réduites que dans le cas de la Déclaration canadienne des droits. Je crois que si le Parlement avait voulu restreindre les droits ainsi énoncés explicitement par le recours à la norme prônée par M. Cumming

>pour confirmer la validité de la loi contradictoire, il l’aurait dit dans la loi.

Il est plus probable, à mon sens, que si le Parlement a réfléchi à la question, il a supposé simplement que la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou bien aurait préséance sur les autres lois, ou bien leur serait soumise. Il reste donc à déterminer laquelle de ces suppositions représente l’intention du Parlement.

L’opinion du juge Lamer voulant que la législation sur les droits de la personne doive être considérée comme une loi fondamentale est intéressante pour un tribunal chargé de l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Compte tenu de la complexité du préambule d’un bon nombre des lois provinciales sur les droits de la personne, il est possible également d’y voir un reflet fidèle de l’intention qu’avait le législateur en adoptant ces lois. J’ai toutefois de la difficulté à retrouver pareille manifestation d’intention dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

A l’article 2 de la Loi, il est dit que celle- ci a pour objet non pas d’énoncer la loi fondamentale en matière de droits de la personne, mais simplement de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe de l’égalité des chances. Comme le champ d’application de l’ancienne loi fédérale sur les droits de la personne était très limité, il semble s’agir davantage d’une simple description de l’élargissement considérable qu’on entend y donner en vertu de la Loi que d’une manifestation d’intention d’établir un code de loi fondamentale.

La nature des droits prescrits par la Loi ne permet pas non plus de conclure à la création d’un code de loi fondamentale. Contrairement aux lois sur les droits de la personne qui énoncent de façon positive les droits des individus

>ou interdisent expressément certains comportements, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne fait que définir les actes discriminatoires tout en prévoyant une procédure quasi civile de redressement. Ce n’est pas la façon habituelle d’énoncer une loi fondamentale.

En ce qui a trait plus particulièrement au lien être la Loi canadienne sur les droits de la personne et les autres lois, l’alinéa 22( 1) f) autorise la Commission canadienne des droits de la personne à examiner les actes réglementaires et à en commenter les dispositions qu’elle juge incompatible avec le principe de l’égalité des chances. Si la Loi elle- même a été conçue de façon à avoir préséance sur les autres lois, il est très étrange que cette disposition ne prévoit pas l’examen des autres lois. De toute évidence, cela signifie que le Parlement s’est réservé le droit de décider si les autres lois entrent en conflit avec la Loi canadienne sur les droits de la personne et s’il convient d’adopter de telles lois incompatibles, ce qui ne concorde pas avec une quelconque intention d’accorder préséance sur les autres lois à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission est autorisée en vertu du paragraphe 48( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne à examiner les lois du Parlement antérieures à l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui établissent des régimes de retraite. Voilà qui confirme la conclusion selon laquelle les autres lois ne sont pas l’affaire de la Commission.

Comme nous l’avons mentionné ci- dessus, la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit un recours quasi civil en cas d’actes considérés come discriminatoires. En principe, il suffit ordinairement, dans les actions judiciaires civiles, de faire valoir que la conduite préjudiciable en cause est expressément autorisée par la loi. On peut certes soutenir que le fait que la discrimination soit prescrite par la loi constitue également un moyen de défense dans le cas d’une plainte déposée

>en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Par conséquent, s’il me fallait rendre une décision à ce sujet, je serais enclin à estimer que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’a pas été conçue pour avoir préséance sur les dispositions légales contraires, ce qui concorderait avec la conclusion de M. Cumming dans l’affaire Bailey, même si mon raisonnement diffère du sien. La seule différence d’ordre pratique est que je ne retiendrais pas la lointaine possibilité, reconnue par M. Cumming, que, dans certains cas extraordinaires, la loi canadienne sur les droits de la persnne puisse avoir préséance sur une autre loi.

Je crois toutefois qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question d’une manière générale étant donné qu’il existe une preuve plus directe de l’intention du Parlement en ce qui a trait au conflit particulier existant entre le paragraphe 3( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage. La modification visant à faire entrer la grossesse et l’accouchement parmi les motifs de distinction illicite prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne a été sanctionnée le 30 mars 1983 et devait entrer en vigueur au moment de sa promulgation : S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 143, par. 29( 1). La modification abrogeant l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage a été sanctionnée le 3 juin 1983 et devAit entrer en vigueur au moment de sa promulgation : S. C. 1980- 81- 82- 83, c. 150, art. 11. Or, les modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne n’avaient pas encore été promulguées le 3 juin.

On ne peut que conclure que le Parlement, conscient du conflit éventuel entre le paragraphe 3( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage, a pris les mesures nécessaires pour l’éviter. N’eut été de la disposition transitoire de l’article

>10 des modifications qui prévoyait la poursuite de l’application de l’article 46 aux périodes de prestations déjà commencées, il n’y aurait pas eu de conflit entre la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’assurance- chômage si les deux modifications avaient été promulguées simultanément. Quelles que soient les raisons administratives qui ont pu retarder l’abrogation de l’article 46 jusqu’au 1er janvier 1984, alors que le paragraphe 3( 2) est entré en vigueur le 1er juillet 1983, aucune raison juridique n’empêchait leur promulgation en même temps.

On peut se demander pourquoi, si le Parlement avait l’intention de lier ces deux choses, il n’a pas inclu l’abrogation de l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage au nombre des modifications corrélatives à la Loi canadienne sur les droits de la personne. D’autres modifications ont été apportées à ce titre à la Loi sur l’assurance- chômage : S. C. 1980- 81- 82- 83, C. 143, art. 27, mais elles étaient vraiment mineures et accessoires. D’autre part, comme l’abrogation de l’article 46 constituait un changement majeur de programme, il n’est pas surprenant qu’elle ait été plutôt liée à d’autres changements majeurs de programme que l’on prévoyait à l’époque apporter à la Loi sur l’assurance- chômage. Ce qui est significatif, c’est le moment choisi pour l’entrée en vigueur du texte de loi apportant ces changements de programme. Le Parlement s’est assuré de l’adopter avant la promulgation des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne visant à couvrir la discrimination fondée sur la grossesse et l’accouchement.

Quelle que soit la règle à appliquer pour résoudre un conflit entre des dispositions légales irréconciliables, il est d’usage en matière

d’interprétation législative de concilier les dispositions chaque fois que la chose est possible, et ce, même s’il faut réinterpréter une disposition existant déjà au moment de l’entrée en vigueur d’une disposition contradictoire. En

>outre, à moins qu’une disposition légale n’établisse clairement le contraire, les dispositions légales ont préséance sur les actes réglementaires. Je crois que le Parlement avait l’intention d’éviter le conflit évident existant entre le paragraphe 3( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage, sauf dans les cas de transition où la période de prestations était déjà commencée, en prévoyant l’abrogation de l’article 46 au moment de la promulgation du paragraphe 3( 2). Voilà qui devait assurer la conciliation des deux dispositions en question. Le fait que cette intention ait été contrecarrée par la décision du gouverneur en conseil de reporter la promulgation de l’abrogation de l’article 46 à six mois après la promulgation du paragraphe 3( 2) fait entrer en jeu un acte réglementaire sur lequel des dispositions légales risquent d’avoir préséance. J’en conclus qu’il entrait dans les vues du Parlement que l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage devienne inopérant au moment de la promulgation du paragraphe 3( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, il faut supposer que la promulgation du paragraphe 3( 2), le 1er juillet 1983, a abrogé implicitement l’article 46, annulant ainsi l’acte réglementaire du gouverneur en conseil par lequel l’abrogation devait être retardée jusqu’au 1er janvier 1984. Comme la période de prestations de la plaignante avait commencé le 17 juillet 1983, elle n’était pas visée par les dispositions de l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage. Par conséquent, la cessation du versement des prestations du 1er janvier au 22 avril 1984 du fait de la grossesse et de l’accouchement de la plaignante constituait un acte discriminatoire contraire à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

>REDRESSEMENT

L’avocat du mis en cause a soutenu que si la plainte, devait s’avérer fondée, il conviendrait de verser à la plaignante les prestations qu’elle aurait touchées, n’eut été de leur interruption pour cause de grossesse, du 1er janvier au 22 avril 1984. Tout en convenant de la justesse de cette mesure pour dédommager la plaignante de la perte de ses prestations, l’avocat de la Commission des droits de la personne a également demandé en son nom une indemnisation pour préjudice moral. Selon l’avocat du mis en cause, si la plaignante a subi un préjudice moral, c’est uniquement à cause de la perte financière qu’elle a connue; d’ailleurs il ne s’agissait pas de ce sentiment de dépréciation personnelle qu’éprouve habituellement une victime de discrimination; dès lors, il suffirait d’indemniser la plaignante de sa perte financière pour réparer entièrement le tort qui lui avait été causé.

La principale mesure de redressement en pareil cas est énoncée à l’alinéa, 41( 2) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, stipulant qu’il faut accorder à la victime les droits, chances ou avantages dont elle a été privée. Je ne suis pas certain que le versement des prestations interrompues constitue un redressement adéquat en vertu de cette disposition. Les prestations de la plaignante étaient liges à son inscription au Cours préparatoire à la formation professionnelle et constituaient une source de revenu qui lui permettait de parfaire ainsi son instruction. Bien qu’elle eut finalement abandonné le cours de son propre gré après la reprise du versement des prestations, il ressort du témoignage

de la plaignante que les difficultés financières découlant de la perte des prestations du 1er janvier au 22 avril 1984 l’ont forcée à prendre cette décision. Comme il a déjà été mentionné, ces difficultés financières l’ont également forcée à se retirer pendant quelques semaines de la période où le versement des prestations a été

>interrompu. En d’autres mots, l’acte discriminatoire a enlevé à la plaignante la chance de réussir le cours. Il est probable qu’aujourd’hui, la plaignante aurait besoin de plus de temps pour terminer le cours que si elle avait pu le poursuivre au printemps 1983. Elle serait probablement obligée de faire de la révision pour se retrouver au point où elle en était au moment d’abandonner le cours. Par conséquent, il aurait peut- être été plus juste d’ordonner le rétablissement de ses prestations pour toute la durée de la période qu’il lui faudrait maintenant pour terminer son cours à condition, bien sûr, qu’elle s’y inscrive effectivement à nouveau.

Comme aucune demande n’a été présentée en ce sens, j’accepte la proposition des avocats de la Commission et du mis en cause voulant que lui soient versées les prestations ordinaires dont elle a été privée, à l’exception de celles visant la période où elle était frappée d’incapacité. Se disant en mesure de s’entendre sur le montant approprié, les avocats ne m’ont saisi d’aucune preuve qui puisse me permettre d’en décider. Je crois qu’il est bon dans cette affaire que je me réserve le pouvoir d’intervenir advenant que les parties ne puissent pas s’entendre au sujet du montant des prestations dues. L’une ou l’autre des deux parties pourra demander, après en avoir prévenu l’autre suffisamment à l’avance, que je détermine le montant.

En ce qui a trait à la demande d’indemnité pour préjudice moral en vertu du paragraphe 41( 3) de la Loi, il ressort de la preuve que la plaignante a éprouvé de la désillusion et de la frustration en raison du traitement qu’on lui a fait subir, ce qui ressemble beaucoup au préjudice moral éprouvé habituellement par les victimes de discrimination. Par contre, le mis en cause croyait respecter les exigences de la loi, et c’est la raison qu’il a donnée à la plaignante pour justifier la cessation de ses prestations. Étant donné le caractère discrétionnaire de

>l’octroi d’une indemnité en vertu du paragraphe 41( 3), je crois qu’il faut en tenir compte dans la détermination du montant à accorder. Néanmoins, le mis en cause est un représentant du gouvernement qui était responsable du fait que la loi était discriminatoire. Par conséquent, je ne crois pas que son respect de la loi doive servir à réduire l’indemnité autant que s’il s’agissait d’un mis en cause du secteur privé. Tout bien pesé, j’estime qu’une indemnité de 1 500 $ en vertu du paragraphe 41( 3) serait juste.

L’avocat de la Commission a également demandé le remboursement du traitement perdu par la plaignante du fait de sa présence à l’audience. L’alinéa 41( 2) d) permet l’indemnisation de la victime au titre des dépenses entraînées par l’acte discriminatoire. J’estime toutefois que cette disposition vise les dépenses liées directement au comportement discriminatoire et non pas celles qui découlent des instances introduites en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans ce dernier cas, il s’agit plutôt de coûts, dont la Loi ne prévoit pas le recouvrement. Par conséquent, je ne crois pas être habilité à ordonner une indemnisation au titre des dépenses liées à l’audience. J’ajouterais qu’étant donné qu’on ne m’a présenté aucune preuve relative à la perte de traitement, je ne serais

pas en mesure de déterminer le montant en cause même si j’avais le droit de tenir compte de ladite perte dans mon jugement.

CONCLUSION

La plainte est jugée fondée. La plaignante a droit aux prestations d’assurance- chômage ordinaires qu’elle aurait touchées si leur versement n’avait pas été interrompu du 1er janvier au 22 avril 1984, à l’exception de celles visant la période où elle était frappée d’incapacité. Elle a également droit à une indemnité de 1 500 $ pour préjudice moral. Je me

>réserve pendant deux mois le droit d’intervenir advenant que les parties ne puissent pas s’entendre sur le montant des prestations dues à la plaignante. L’une ou l’autre des deux parties pourra, après avis à l’autre, demander au cours de cette période la tenue d’une audience supplémentaire visant à déterminer ce montant.

Fait ce 13e jour d’août 1985 Robert W. Kerr Tribunal des droits de la personne

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