Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 1/ 85

Décision rendue le 21 mars 1985

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT: David H. Vickers, Président, Peter Cameron, Judith Setrakov

DANS UN LITIGE OPPOSANT

LAURELLE CASSAN, JOANNE DALLAS, CATRY OVERBY, DEBBIE BORLEY, JOHN BURKE, ROBERT GLEN BURKE et BARRY BEST, PLAIGNANTS,

ET

LA COMPAGNIE MINIERE ET MÉTALLURGIQUE DE LA BAIE D’HUDSON LIMITÉE, MIS EN CAUSE

ONT COMPARU:

Les plaignants et la Commission canadienne des droits de la personne René Duval

Pour le mis en cause Walter Ritchie, C. R. assisté de D. H. Kells, K. S. MacLean et W. Thoms

A WINNIPEG, MANITOBA, LES 10, 11 ET 12 DÉCEMBRE 1984

AGENT DU TRIBUNAL Gwen Zappa >

Le présent tribunal a été constitué conformément aux dispositions de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 1976- 1977, chapitre 33. L’audience a eu lieu à Winnipeg, au Manitoba, les 10, 11 et 12 décembre 1984.

Les plaignants prétendent que le mis en cause fait preuve à leur égard de discrimination fondée sur le sexe. Une série d’épineuses questions de fait et de droit sont soulevées par cette affaire qui découle d’une politique du mis en cause restreignant l’emploi de femmes à sa fonderie de Flin Flon, au Manitoba, à cause de la présence de contaminants plombifères dans cet établissement industriel.

Les avocats de la Commission et des plaignants ont présenté des preuves à l’appui des plaintes des travailleuses, mais aucune en faveur des travailleurs parce que, dirent- ils, il leur a été impossible de trouver des témoins.

Requête de non- lieu

A la fin de la preuve, les avocats ont avisé le tribunal qu’ils avaient convenu de diviser l’affaire. L’avocat du mis en cause a réclamé le rejet des plaintes déposées par les quatre travailleuses pour le seul motif qu’il n’existait aucune preuve de discrimination. Il a fait de même dans le cas des plaintes déposées par John Burke, Robert Glen Burke et Barry Best, mais la situation n’était pas la même étant donné qu’aucune preuve n’avait été présentée en leur nom.

Nous prenons acte du fait qu’une demande de non- lieu avait été présentée dans l’affaire Philip Foucault c. les, Chemins de fer nationaux du Canada, Robson, 30 juillet 1981; T. D. 8/ 81. Dans cette affaire, le mis en cause, le CN, avait demandé le rejet de la plainte (traduction) parce qu’il n’existait pas de preuve. ou bien de preuve démontrant selon toutes probabilités, que la Loi est applicable. Dans la présente affaire, les avocats ont adopté la position qui avait été retenue dans l’affaire Foucault et ont convenu que s’il était établi qu’il semblait y avoir eu discrimination fondée sur le sexe, c’est alors le mis en cause qui serait tenu de faire la preuve d’exigences professionnelles justifiées conformément à l’article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Ainsi, la requête présentée ici par le mis en cause, qui s’appuie sur le fait qu’aucun acte discriminatoire n’a été mis au jour, est en réalité une requête de non- lieu. John Sopinka, à la page 124 de son ouvrage intitulé The Trial of an action, décrit ainsi ce genre de requête :

(Traduction)

En droit moderne, la requête de non- lieu est présentée par le défendeur qui prétend que le juge des faits, au lieu d’évaluer la preuve de la manière habituelle, devrait rejeter l’action. Le défendeur doit convaincre le juge de première instance que la preuve est telle qu’aucun jury, dans l’exercice de ses fonctions judiciaires ne saurait donner raison au demandeur. La décision du juge, dans les actions tant avec jury que sans jury, consiste se prononcer sur une question de droit".

Dans la présente affaire, l’avocat de la Commission n’a pas soutenu que le tribunal devrait exiger que M. Ritchie décide s’il désirait présenter des preuves à ce stade de l’audience. Nous constatons qu’un tel argument a été avancé dans l’affaire Foucault, mais le tribunal intéressé n’a pas exigé que l’avocat du mis en cause fasse un tel choix. Il a été convenu ici que, si le tribunal estime qu’il semble y avoir eu discrimination, le mis en cause aura toute liberté de présenter des preuves au moment de la reprise de l’audience, selon que son avocat le jugera bon.

Les faits

Mme Cassan travaillait à l’usine de coulée en anodes de la fonderie de la Compagnie en 1979 lorsque la direction lui a offert un transfert- sortie. Elle a accepté parce qu’elle n’était pas prête à courir le risque qu’un enfant qu’elle pourrait porter soit contaminé par le plomb. On lui a donné le choix de demeurer la fonderie ou d’accepter une mutation à un autre poste. Elle aurait choisi de rester si elle n’avait pas eu l’intention de fonder un jour une famille.

Mlle Borley, devenue depuis Mme Warren, dit qu’elle était conductrice de convertisseur catalytique à la fonderie en 1979. Etant donné la présence des contaminants plombifères et les risques qu’ils présentaient, on lui a offert de quitter la fonderie afin d’aller occuper un autre poste pour le compte du mis en cause. Elle a refusé en raison de la perte de rémunération et d’ancienneté qu’elle aurait subie. Elle a choisi de quitter son emploi parce qu’on lui a explique que la forte concentration de plomb constituait un risque pour les femmes en âge d’avoir des enfants et également parce qu’elle avait de la difficulté à porter l’équipement de sécurité à cause d’une fracture du nez qu’elle s’était infligée jadis. Au moment de son départ, elle était d’avis qu’elle n’avait pas d’autre choix.

Mlle Overby, devenue depuis Mme Krochak, travaillait en 1979 à la fonderie, où elle est actuellement conductrice remplaçante. Au printemps 1979, la direction l’a avisée que les foetus couraient un risque à cause de la présence de contaminants plombières. On lui a offert une mutation à l’extérieur de la fonderie. Même si elle est encore en âge d’avoir des enfants, elle a choisi de continuer à travailler à la fonderie.

Mlle Dallas, devenue depuis Mme Cober, était conductrice de convertisseur catalytique à la fonderie en 1979. Elle a été mutée à un autre poste à l’assayerie parce qu’elle était convaincue du risque qu’aurait couru son foetus, le cas échéant, si elle avait continué de travailler à la fonderie. Elle a tenté plus tard de revenir à la fonderie, ce qu’on lui a refusé parce qu’elle était toujours fertile et que les contaminant plombifères présentaient un risque pour le foetus.

La nature de la politique que le mis en cause a tenté de mettre en oeuvre au printemps 1979 a suscité une certaine controverse. Selon l’avocat du mis en cause, il s’agissait non pas d’interdire l’emploi de toutes les femmes à la fonderie, mais bien de restreindre l’emploi des femmes fertiles.

Comme la preuve prêtait à controverse, l’avocat des plaignants a fait valoir que le tribunal ne devrait prendre, à ce stade, aucune décision qui nécessiterait qu’on en évalue la force probante. Il a affirmé que certains éléments de preuve permettaient de conclure que l’interdiction visait toutes les femmes et qu’il faudrait donner le bénéfice du doute aux plaignants tant que le mis en cause n’aurait pas présenté de preuves expliquant le conflit apparent. De toute façon, il a soutenu que l’interdiction était discriminatoire, peu importe qu’elle vise toutes les femmes ou seulement les femmes fertiles.

Dans une lettre datée du 30 décembre 1980 et signée par le vice- président et directeur général W. K. Callander, le mis en cause a fait part à la Commission de ce qu’il considérait comme (traduction) notre politique à l’égard des travailleurs de la fonderie. En voici un extrait :

(Traduction)

D’après les preuves présent- ses aux audiences de l’OSHA au sujet des normes en matière de teneur en plomb, la présence de plomb dans le sang à un taux aussi peu élevé que 30ug par 100 grammes peut causer des perturbations du comportement et d’autres dommages chez les jeunes enfants. En outre, les mêmes taux présentent également un risque pour le foetus, et ce durant toute la période de gestation. Un taux élevé de plomb dans le sang pendant une courte période pourrait avoir des effets néfastes sur un embryon à toutes les étapes de son développement. Il faut donc éviter que l’embryon, dont on peut même ignorer la présence, ne soit exposé à un taux élevé de plomb dans le sang, ne serait- ce que sur une courte période. Afin d’assurer la protection requise, nous croyons que la meilleure solution consiste à suivre une politique qui restreint le placement de femmes dans certains secteurs de nos opérations.

La partie de nos opérations qui est visée par cette politique, c’est- à- dire le secteur de la fonte et du raffinage du cuivre, représente moins de 12 p. cent de nos effectifs. Les catégories professionnelles susceptibles d’être exposées à une concentration de plomb présentant un risque élevé ne constituent qu’environ 2 p. cent de l’ensemble de nos effectifs. Il nous est difficile, sur le plan administratif, de faire exception de ces quelques catégories en raison des systèmes d’ancienneté et devancement établis. C’est pourquoi notre politique vise l’ensemble du secteur de la fonte et du raffinage du cuivre. (C’est le tribunal qui souligne.)

Comme on l’a déjà mentionné, trois des quatre plaignantes ont déclaré avoir eu le choix de demeurer ou non à la fonderie. L’une a choisi de rester et y est toujours. Il semblerait donc que l’extrait précité de la politique du mis en cause soit une exagération.

Il ne nous parait pas nécessaire, à ce stade de l’instance, de déterminer les faits là où les témoignages sont contradictoires. Nous avons donc l’intention d’examiner la requête en question en tenant compte des deux éventualités. Nous constatons également que nous ne sommes pas appelés, à ce stade, à nous prononcer sur la justesse de l’une ou de l’autre politique. Il s’agit simplement de déterminer si une politique ayant pour effet d’exclure toutes les femmes, ou les femmes fertiles, constitue de la discrimination fondée sur le sexe.

Le docteur Radhey L. Singhal a témoigné en tant qu’expert dans le domaine de la pharmacologie et de la toxicologie. A la lumière de son témoignage, non contesté, le tribunal conclut que le plomb est un métal lourd que le corps humain absorbe par inhalation et ingestion. Il est stocké dans le squelette dans trois types de compartiments de stockage. Le premier est le sang lui- même, où sa demie- vie biologique est d’environ vingt- cinq à trente jours. Le second compartiment est composé surtout des tissus mous, où sa demie- vie biologique est d’environ trente à trente- cinq jours. Le troisième compartiment est formé des os, où sa demie- vie biologique peut s’étendre jusqu’à cent mille jours.

Les effets du plomb se font sentir sur les fonctions de la plupart des systèmes organiques, notamment celles du rein, du foie, du pancréas, des organes de reproduction, du système nerveux (périphérique et central), du cerveau et de la biosynthèse de l’hémoglobine.

Le témoignage nous amène à conclure, en ce qui a trait à toutes ces fonctions, que les corps des hommes et des femmes sont affectés au même degré par l’exposition au plomb. On ne peut affirmer que les organes de reproduction des hommes et ceux des femmes sont plus ou moins susceptibles d’être endommagés par une surexposition aux contaminants plombifères.

La situation est toutefois différente dans le cas du foetus qui court beaucoup plus de risques. Il suffit, pour lui causer du tort, d’un taux de concentration de plomb beaucoup moins élevé que dans le cas des organes des hommes ou des femmes. Finalement, le plomb traverse la barrière placentaire et ce qu’on appelle la barrière mammaire. Bref, on peut trouver du plomb dans le lait maternel aussi bien que dans le placenta. La corrélation du taux de plomb présent dans le sang de la mère avec celui qui se trouve dans le foetus est de un pour un.

Les arguments

L’avocat du mis en cause a soutenu que la politique de ce dernier consistait à refuser d’employer des femmes fertiles à la fonderie à son avis, cette politique n’était pas discriminatoire. Son objet était de protéger le foetus, toute considération fondée sur le sexe étant exclue. La politique visait le foetus et non la travailleuse. Elle n’était pas destinée à prévenir les dommages susceptibles d’être causés au sperme ou à l’ovule.

Le mis en cause a invoqué la décision Re General Motors of Canada Ltd. and United Automobile Workers, Local 222 (1979), 24 L. A. D. (2d) 388, que M. E. E. Palmer a rendue relativement à un conflit de travail ayant pour objet l’effet de l’exposition au plomb sur les femmes fertiles. A l’audience, le syndicat a laissé tomber la question du droit de l’employeur d’empêcher les femmes fertiles d’être exposées au plomb dans certains secteurs de l’usine. Le point en litige a apparemment été reformulé de façon à faire valoir que (traduction) l’effet sur le foetus, dans les cas où la fécondation a été faite par des hommes également exposés au plomb, était tel que ces hommes devraient aussi être exclus pour les mêmes raisons que le groupe de femmes susmentionné.

M. Palmer prend acte du fait qu’il existait depuis longtemps une politique générale par laquelle la Compagnie avait empêché les femmes fertiles d’être exposées de façon excessive au plomb, même s’il n’avait pas à se prononcer sur le bien- fonds de cette politique. Il affirme à la page 389 :

(Traduction)

Signalons ici entre parenthèses, mais de façon catégorique, qu’une telle politique est manifestement raisonnable. Une lecture attentive de la documentation et des éléments de preuve dont J’ai été saisi suffit à m’en convaincre. De même, le simple fait qu’une telle politique touche seulement les femmes ne la rend pas pour autant discriminatoire. Il existe des différences entre les sexes à certains égards, l’une des plus évidentes étant la fonction de reproduction. Le terme discrimination, au sens où il est employé ici, a une connotation péjorative. Une telle conclusion ne découle pas nécessairement des affirmations qui précèdent, mais la possibilité n’en existe pas moins.

De toute façon, pour ce qui est de la présente affaire, les parties ont convenu que le secteur des batteries et l’usine d’Oshawa de la compagnie présentent suffisamment de danger d’exposition au plomb pour qu’entre en jeu la politique susmentionnée qui, comme je l’ai déjà affirmé, > ne saurait être mise en doute de façon générale. Son application dans un secteur donné peut être une source de controverse. Toutefois, cette question ne se pose pas ici. Ce qu’il faut, au fond, c’est de déterminer si la preuve médicale produite à ce sujet lors de l’audience, preuve qui m’a ensuite été communiquée, permet de conclure que la politique est discriminatoire en ce sens qu’elle établit une distinction entre les hommes et les femmes fertiles.

La question que M. Palmer était appelé à trancher diffère de celle dont nous sommes saisis. M. Palmer devait évaluer la force probante de la preuve relative à l’effet du plomb sur les organes reproducteurs des hommes et des femmes’. Voici ce qu’il conclut sur ce point à la page 394 :

(traduction)

... force est de conclure qu’il n’existe pas de preuve manifeste que les effets de l’exposition au plomb constituent un plus grand danger pour les femmes fertiles que pour les hommes capables de procréer".

Comme nous l’avons déjà indiqué dans notre examen des faits, nous en sommes arrivés à une conclusion opposée. Nous croyons qu’il n’y a pas de distinction à faire entre les hommes et les femmes quant aux effets de l’exposition au plomb. Il y a toutefois une différence marquée entre, d’une part, les hommes et les femmes et, d’autre part, le foetus, qui est beaucoup plus sensible à l’exposition au plomb.

L’avocat du mis en cause a ensuite fait valoir la possibilité d’établir une analogie entre la situation que nous devons examiner, c’est- à- dire celle des femmes fertiles, et les jugements et décisions rendus dans des affaires récentes où les cours de justice et les tribunaux des droits de la personne étaient appelés à déterminer si la discrimination fondée sur la grossesse constituait de la discrimination fondée sur le sexe. A cet égard, nous prenons acte du fait que, par suite de la modification du 1er juillet 1983, la Loi canadienne sur les droits de la personne stipule ce qui suit au paragraphe 3( 2) :

"Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe."

Cette disposition n’est pas rétroactive et ne peut donc aider les plaignants dont la cause d’action remonte à 1979.

Le mis en cause invoque les remarques incidentes du juge Ritchie de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Bliss v. The Attorney General of Canada (1978) 92 D. L. R. (3d) 417, laquelle concernait l’application de l’article 46 de la Loi sur l’assurance- chômage du Canada qui, en bref, stipulait qu’une prestataire n’était pas admissible au bénéfice de certaines prestations au cours de la période commençant huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement et se terminant six semaines après celle de son accouchement. La question précise sur laquelle la Cour était appelée à se prononcer consistait à déterminer si cette disposition allait à l’encontre de l’alinéa 1( b) de la Déclaration canadienne des droits qui prévoit le droit de tout individu à l’égalité devant la loi.

Prononçant le jugement unanime de la Cour, le juge Ritchie a conclu que la disposition en question ne privait pas l’appelante, Mme Bliss, de son droit à l’égalité devant la loi. Il a toutefois dit ce qui suit, en passant:

(traduction

"... que je ne peux partager l’avis du juge- arbitre voulant que l’application de l’article 46 dans le cas de l’intéressée ait constitué, à son égard, de la discrimination fondée sur le sexe".

La Cour suprême des États- Unis en est arrivée à une conclusion semblable dans les affaires Geduldig v. Aiello 417 U. S. 484, General Electric Company v. Gilbert 429 U. S. 125 et Nashville Gas Company v. Satty 434 U. S. 136. Par la suite, le Congrès des États- Unis a modifié le Title VII de la Civil Rights Act en utilisant des termes semblables à ceux du paragraphe 3( 2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon que la discrimination fondée sur le sexe englobe la discrimination fondée sur la grossesse.

Le jugement rendu dans l’affaire Bliss a inspiré la décision qu’un conseil d’arbitrage a prononcée le 26 octobre 1984, en vertu de la Loi sur les droits de la personne du Manitoba, dans l’affaire Susan Brooks v. Canada Safeway Ltd (J. F. Reah Taylor, décision non publiée). On en est arrivé à une conclusion semblable dans l’affaire Vivian Wong v. Hughes Petroleum Ltd, 4 C. H. R. R., Decision 296, et dans l’affaire France Breton v. la Société canadienne de métaux Reynolds Ltée, (1981) 2 C. H. R. R., Decision 118.

C’est à une conclusion contraire qu’en sont arrivées deux commissions d’enquête, en vertu du Code des droits de la personne de la Colombie- Britannique, dans les affaires Holloway v. Macdonald and Clairco Foods Ltd. (1983) 4 C. H. R. R. Decision 291 et Polly Paton v. Brouwer and Co. (1984) 5 C. H. R. R. Decision 345.

Finalement, l’avocat du mis en cause a attiré notre attention sur la décision, non encore publiée, que la Cour d’appel du Manitoba a rendue le 17 octobre 1984 dans l’affaire Canada Safeway Ltd v. The Manitoba Human Rights Commission, 260/ 84. Dans cette affaire, le mis en cause, Canada Safeway Ltd, appliquait une politique interdisant le port de la barbe. Un conseil d’arbitrage avait jugé que la politique était discriminatoire, ce qu’avait confirmé le juge Wright de la Cour du Banc de la reine du Manitoba. En passant, il est intéressant de prendre note que dans son jugement intitulé Canada Safeway Ltd v. Manitoba Food and Commercial Workers Union and Manitoba Human Rights Commission 1984 5 C. H. R. R., Decision 366, le juge Wright conclut ses remarques incidentes en affirmant que la grossesse constituerait de la discrimination fondée sur le sexe, opinion qui va à l’encontre de celle du juge Ritchie dans l’affaire Bliss. Ceci dit, la Cour d’appel, dans sa brève décision, conclut qu’une (traduction) politique interdisant le port de la barbe est une politique relative à l’apparence qui s’applique aux employés et qui n’a sûrement rien à voir avec la discrimination sexuelle.

M. Ritchie nous demande de conclure que la politique du mis en cause, dans la présente affaire, est non pas une politique constituant de la discrimination fondée sur le sexe, mais plutôt une règle médicale destinée à protéger le foetus.

M. Duval, au nom des plaignants, a recommandé au tribunal de ne pas entreprendre d’évaluer la force probante de la preuve à ce stade- ci de l’instance. Il a fait valoir que certains éléments de preuve permettaient de conclure que la politique du mis en cause visait à exclure toutes les femmes de la fonderie.

Il a en outre invoqué la décision qu’un tribunal d’appel en matière d’emploi avait rendue, dans l’affaire Page v. Freight Hire (Tank Haulage) Ltd. /1981/ 1 A. E. R. 394, au sujet de la plainte d’une femme qui affirmait avoir été victime d’un acte discriminatoire contraire à l’article 1 de la Sex Discrimination Act, 1975. Employée pour conduire un camion, cette femme de vingt- trois ans s’était vu refuser la permission de transporter certains produits chimiques à cause du danger qu’ils pouvaient présenter pour les femmes en âge d’avoir des enfants.

Le tribunal industriel initialement saisi de l’affaire avait conclu qu’il y avait eu discrimination fondée sur le sexe. Cette conclusion a été confirmée par le tribunal d’appel, mais pour des raisons différentes. L’argument invoqué par M. Duval était que l’exclusion des femmes capables d’avoir des enfants pouvait constituer de la discrimination fondée sur le sexe.

Décision

Il s’agit de l’application du paragraphe 3( 1) et de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se lisent comme suit :

"3.( 1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirecte- ment, pour un motif de distinction illicite."

Par suite de la requête présentée, nous devons décider s’il y a eu discrimination, et non si la politique en question peut être considérée comme une exigence professionnelle justifiée. La politique du mis en cause établit- elle une distinction entre les hommes et les femmes ou, comme le soutient M. Ritchie, vise- t- elle le foetus, sans tenir compte du sexe?

Nous ne pouvons accepter l’argument du mis en cause à cet égard. Bien que sa politique puisse avoir comme effet de protéger le foetus, elle est quand même axée sur l’emploi des femmes, qu’il s’agisse de l’ensemble des femmes ou de celles qui sont capables d’avoir des enfants. Sur ce point, elle marque une différence entre les hommes et les femmes.

Une politique qui vise toutes les femmes fertiles, ou toutes les femmes, est une politique axée sur une catégorie distincte de personnes, catégorie nullement limitée à celles qui ont l’intention d’avoir des enfants. En bref, la politique de la compagnie à cet égard semble donner à entendre que les femmes ne bénéficieront de l’égalité de traitement qu’à la condition de sacrifier leur rôle de mère. Si tel est bien le cas, les femmes en tant que catégorie se sont certainement vu refuser leur plein épanouissement. La politique de la compagnie semble dire aux femmes qu’elles doivent être semblables aux hommes et ne pas avoir de bébés si elles désirent être égales. La conclusion ne peut que demeurer la même si la politique vise toutes les femmes ou toutes les femmes fertiles.

Nous n’avons pas à décider si les distinctions fondées sur la grossesse sont en fait fondées sur le sexe. En l’espèce, la politique de la Compagnie, interprétée de façon étroite, vise la possibilité de grossesse, le cas des femmes capables d’avoir des enfants. Si les femmes fertiles doivent ne pas être traitées comme des partenaires égales et à part entière au travail, les femmes en tant que catégorie ne sont donc pas égales mais en position d’infériorité parmi l’effectif.

Nous en arrivons à la conclusion que la politique de la Compagnie est discriminatoire et constitue de la discrimination fondée sur le sexe, conclusion que confirme le Code for Medical Surveillance for Lead publié par la Division de la santé et de la sécurité au travail du ministère du Travail de l’Ontario. Ce programme de surveillance médicale établit quels sont les niveaux de présence du plomb dans le gang qui peuvent donner matière à poursuite. Les mêmes niveaux s’appliquent aux hommes et aux femmes sans distinction. Le Code vise tous les travailleurs, sans distinction de sexe, à l’exception du sous- alinéa 4( 1) a) i) dont le dernier paragraphe se lit comme suit :

(traduction)

Afin de protéger le foetus en croissance une femme fertile ne doit plus être exposée au plomb lorsque la concentration de celui- ci dans le sang est supérieure à 0.40 mg/ L".

En bref, les femmes fertiles ne sont pas toutes exclues. C’est seulement dans les cas où la concentration de plomb dans le sang atteint un certain niveau qu’elles le sont, et ce, pour des raisons médicales.

Nous concluons donc que la politique de la Compagnie qui consiste à exclure toutes les femmes fertiles, ou toutes les femmes, constitue de la discrimination fondée sur le sexe et, à ce titre, contrevient à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous sommes d’avis que la plainte est apparemment fondée.

Règlement des plaintes

L’audition des plaintes des femmes reprendra à une date et un endroit à déterminer. Nous n’écartons pas l’argument de M. Ritchie qui affirme que chaque plainte doit être jugée au fond. Nous concluons seulement pour le moment qu’il s’agit d’un cas de discrimination apparemment fondée. C’est au terme de l’audience que nous nous prononcerons sur la justesse de la politique du mis en cause et sur le fond de diverses plaintes.

Aucune preuve n’a été présentée à l’appui des plaintes de John Burke, Robert Glen Burke et Barry Best. L’avocat de ces plaignants et de la Commission canadienne des droits de la personne a expliqué qu’il avait été impossible de trouver des témoins. Par conséquent, en l’absence de preuve et à la requête du mis en cause, les plaintes de John Burke, Robert Glen Burke et Barry Best sont rejetées.

FAIT à Victoria, Colombie- Britannique, ce 28e jour de février 1985.

David H. Vickers

Peter Cameron

Judith Setrakov

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