Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

BRUCE BRINE

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE HALIFAX

ET TRANSPORTS CANADA

les intimés

Décision sur la requête visant à entendre avant l'audience l'objection concernant le règlement

2003 TCDP 17

2003/04/29

MEMBRE INSTRUCTEUR : Dr Paul Groarke

[TRADUCTION]

[1] La présente décision porte sur la requête demandant au Tribunal de se pencher sur une objection préliminaire à la plainte avant d'entendre la preuve sur le fond. L'objection est que le plaignant a signé une renonciation complète à l'égard de la question dont le Tribunal est saisi. La présente controverse gravite autour de la question à savoir si l'objection devrait être examinée avant l'audience ou après l'audition de la preuve.

[2] Il est admis que le plaignant souffrait d'une dépression nerveuse lorsqu'il était à l'emploi de l'Administration portuaire de Halifax et qu'il a subséquemment été congédié. Selon l'employeur, le congédiement était justifié. Dans sa plainte, le plaignant allègue que son congédiement constituait un acte discriminatoire fondé sur la déficience aux termes de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutefois, l'intimée va plus loin et soutient que le Tribunal n'a pas compétence pour instruire la plainte, étant donné que le plaignant a signé une entente de règlement sur la question. L'entente dont il s'agit renferme, semble-t-il, une clause de renonciation précisant que l'intimée a satisfait aux obligations qui lui incombaient en vertu du Code canadien du travail et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[3] La Commission des droits de la personne a initialement refusé de traiter la plainte aux termes de l'alinéa 41(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, pour le motif qu'une entente de règlement était intervenue avec le plaignant. Saisie de l'affaire (Brine c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1439 (Q.L.), la Cour fédérale a renvoyé celle-ci à la Commission. Le juge Lemieux a jugé que la Commission n'avait pas tenu compte d'un rapport sur l'état psychologique du plaignant établi par M. Dunphy, l'un de ses propres enquêteurs. Au paragraphe 44 du rapport(1), l'enquêteur a écrit :

La preuve fournie par le psychologue du plaignant démontre que le plaignant n'était pas émotivement en mesure de défendre ses intérêts quand il a signé le règlement.

Il semble que la Commission et le plaignant prétendent maintenant que le plaignant n'était pas en mesure, compte tenu de son incapacité psychologique, de signer une renonciation ayant force exécutoire.

[4] La Commission et le plaignant soutiennent que le Tribunal n'est pas en mesure de déterminer la validité du règlement sans un dossier de preuves complet. De l'avis de la Commission, le Tribunal :

[TRADUCTION]

… ne peut décider de l'issue finale de cette plainte par voie de requête préliminaire, sans… entendre toute la preuve concernant la plainte.

L'intimée s'oppose, faisant valoir que [TRADUCTION] la démarche à suivre consiste à tenir une audience distincte [TRADUCTION] pour examiner la question de la renonciation, ce qui implique notamment l'audition d'une preuve et une argumentation, avant d'instruire la plainte. On pourrait également procéder par voie de voir-dire au début de l'audience.

[5] Dans ses observations, la Commission fait remarquer que la décision de la Cour fédérale exige que le Tribunal se prononce sur la question de la renonciation après l'audience sur le fond de la plainte. Je ne vois pas la logique de cet argument. La décision de la Cour fédérale énonce précisément les responsabilités de la Commission, organisme d'enquête ayant pour mandat de régler des plaintes. Au paragraphe 39, le juge Lemieux indique que la Commission exerce des fonctions d'administration et d'examen préliminaire préalable sans pouvoir décisionnel important. Le rôle de la Commission est assez semblable à celui d'un juge à une enquête préliminaire. La Commission n'a pas pour rôle d'instruire la plainte et n'a pas le pouvoir de trancher des questions dont un tribunal serait normalement saisi.

[6] La Cour fédérale devait en fait déterminer si la Commission avait rejeté la plainte sans examiner la preuve et les circonstances entourant l'affaire. Toutefois, la Commission ne rend pas le même genre de décisions que le Tribunal et ne peut trancher la question. Si la décision de la Cour fédérale est importante en l'espèce, c'est surtout parce qu'elle démontre qu'il existe un litige entre les parties sur la question du règlement. Il semble évident qu'un tribunal ne peut dans un tel cas déterminer, sans un dossier de preuves complet, si la renonciation a force exécutoire. Par dossier de preuves complet, j'entends simplement le dossier de preuves détaillé nécessaire pour se prononcer. La question à savoir si cela exige une instruction en bonne et due forme est sujette à débat.

[7] Je ne suis pas aussi sûr que l'intimée qu'il convienne de qualifier de question de compétence le point dont je suis saisi, bien que le terme compétence ait été énormément galvaudé dans la jurisprudence. L'argument de base de l'intimée n'en est pas moins convaincant. Il semble irraisonnable de procéder à une audience en bonne et due forme, alors qu'on ne sait pas vraiment s'il existe un litige - un lis - entre les parties. L'intimée invoque la décision Chow v. Mobile Oil Canada, [1999] A.J. No 949 (Q.L.) (C.B.R. Alberta), dans laquelle la cour précise, au paragraphe 100, qu'une question similaire soumise à une commission d'enquête soulève une question de compétence, d'où la nécessité de trancher la question avant de procéder à l'instruction de la plainte. L'intimée fait valoir, sur la foi de cette décision, que le présent Tribunal ne peut instruire la plainte sans avoir entendu et tranché l'objection.

[8] Comme je l'ai dit, j'ai tendance à croire qu'il est exagéré de parler de compétence. Même si la renonciation touche la compétence du Tribunal pour poursuivre la procédure, le Tribunal semble disposer d'une certaine latitude à cet égard. Dans Mohawk Council of Kahnawake c. Jacobs, 1996 A.C.F. no 757 (Q.L.), la Cour fédérale a révisé la décision d'un tribunal d'entendre l'ensemble de la preuve avant de se prononcer sur la question de compétence. La juge Tremblay-Lamer a affirmé que le tribunal était maître de sa propre procédure et a refusé d'intervenir. On peut trouver hors de l'arène fédérale des cas où on a abondé dans le même sens (p. ex., Newfoundland (Human Rights Commission) v. Newfoundland (Department of Health), [1998] N.J. No. 129 (C.A. Terre-Neuve).

[9] Il s'ensuit que le Tribunal jouit du pouvoir discrétionnaire de se pencher sur la question du règlement avant ou après l'audience, selon ce qui semble préférable dans les circonstances. Bien que ce ne soit pas une option qui s'offre à moi, je soupçonne que la situation actuelle pourrait être résolue par une ordonnance de fournir une garantie pour les dépens devant les tribunaux civils. S'il devient évident à la fin de l'audience que celle-ci n'était pas nécessaire, l'intimée aurait au moins l'assurance de recevoir un dédommagement pour ses efforts. Cela n'est pas possible dans le cadre de la procédure en matière de droits de la personne, étant donné le consensus général voulant que la partie intimée n'ait pas droit aux dépens. Il peut en résulter une injustice. Il est relativement facile pour la partie plaignante et la Commission d'insister sur la nécessité d'entendre toute la preuve, en sachant que l'autre partie devra assumer une grande part des frais.

[10] Le paragraphe 48.9(1) de la Loi soulève une question connexe, à savoir que l'instruction des plaintes se fait de la façon la plus expéditive possible dans les circonstances. À mon avis, cette règle s'applique tout autant aux questions préliminaires et de procédure qu'à l'audience sur le fond. La loi habilitante appuie par conséquent le principe voulant que les décisions du Tribunal soient prises sommairement, dans la mesure du possible. La partie intimée n'a peut-être pas droit aux dépens ou à une garantie pour les dépens; cependant, elle a droit à un règlement rapide et efficace de la plainte. Le Tribunal doit prendre soin de ne pas pénaliser l'intimé en faisant en sorte que l'affaire dure plus longtemps que normalement.

[11] En outre, il y a des raisons de croire que les questions liées aux renonciations soient de nature préliminaire, ainsi qu'en témoigne la jurisprudence rendue en vertu des règles de cour en vigueur dans les diverses provinces. Dans Sinclair-Cockburn Insurance Brokers Ltd. v. Richards [2002] O.J. No. 3288 (Q.L.), par exemple, la Cour d'appel de l'Ontario s'est penchée sur un ensemble de faits plutôt bouleversants entourant une affaire de cautionnement frauduleux. Au paragraphe 14, la cour a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme l'a indiqué dans son plaidoyer oral l'avocat de Wiggins, Me Cadsby, son client a payé une somme appréciable pour acheter la paix, et ce, non pas simplement la paix quant au risque qu'il puisse être jugé responsable par un tribunal, mais aussi la paix même en ce qui concerne l'obligation de répondre à une allégation de Mme Richards. Sinclair-Cockburn a signé une renonciation complète. Wiggins a droit à tous les avantages qui découlent de cette renonciation, notamment quant à sa réputation et à son intérêt à ne pas faire l'objet d'une poursuite devant les tribunaux.

La force de ce raisonnement peut varier selon le cas. Cependant, les divers intérêts en cause militent grandement en faveur d'un règlement hâtif des questions litigieuses qui découlent d'un règlement entre les parties.

[12] La présente décision ne porte pas sur le fond de la requête. C'est voulu. Le plaignant et la Commission soutiendront peut-être qu'il n'est pas pratique d'isoler la question du règlement des autres questions que soulève l'affaire. Je dis cela parce qu'ils semblent prétendre que le plaignant n'était pas en mesure, à cause de ses problèmes psychologiques, de conclure un règlement ayant force exécutoire. Si telle est leur position, on peut certes arguer qu'il sera impossible de déterminer si le règlement a force exécutoire sans entendre la preuve concernant la nature et l'étendue de sa déficience. Il sera peut-être nécessaire également d'entendre la preuve portant sur les événements qui ont donné lieu à la plainte à l'origine. Il s'agit donc de déterminer s'il est possible d'isoler la question du règlement des autres questions en cause.

[13] Les observations qui m'ont été présentées ne traitent pas de cette question. Celle-ci devra être examinée au début de l'audience. J'inviterai alors les avocats à me dire s'il est possible à leur avis de dissocier la question de la renonciation des autres questions. Je partage l'opinion de l'intimée selon laquelle il est préférable, dans la mesure du possible, de trancher la question du règlement avant de poursuivre la procédure. Toutefois, il faut préserver dans la mesure du possible l'intégrité de l'audience et je ne vois aucune raison d'examiner cette question dans le cadre d'une requête distincte. Au regard des circonstances entourant la présente affaire, je crois qu'il est préférable de procéder par voie de voir-dire. S'il devient évident en entendant la preuve que le règlement n'a pas force exécutoire, la preuve présentée dans le cadre du voir-dire pourra alors s'appliquer à l'audience dans son ensemble.

(Originale signée par)

Paul Groarke

OTTAWA, Ontario

le 29 avril 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO : T758/0803

INTITULÉ DE LA CAUSE : Bruce Brine c. Administration portuaire de Halifax et Transports Canada

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 29 avril 2003

ONT COMPARU :

Barry Mason au nom du plaignant

Giacomo Vigna au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Jane O'Neill au nom de l'Administration portuaire de Halifax et de Transports Canada

1. 1Extrait du paragraphe 14 de l'arrêt de la Cour fédérale.

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