Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 14/90 Décision rendue le 12 octobre 1990

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (L.R.C. 1985, C. H-6, version modifiée)

SIÉGEANT EN APPEL SOUS L'ÉGIDE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

GIHANE MONGRAIN

Appelante (Plaignante)

- et -

MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE

Intimé - et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

TRIBUNAL:

CLAUDE D. MARLEAU, PRÉSIDENT MARIE-THÉRESE MOREAU-LANDRY JACQUES CHIASSON

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

COMPARUTION:

Gérard Mongrain, pour l'appelante Johanne Levassetir, pour l'intimé Anne Trotier, pour la Commission canadienne des droits de la personne

DATE ET LIEU: Les 8 et 9 mars 1989 Montréal

CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le 6ième jour d'octobre 1988, le président du Tribunal des droits de la personne constituait le présent tribunal aux fins d'entendre le pourvoi en appel logé par l'appelante Gihane Mongrain le 31 août 1988 et ce, à l'encontre d'un jugement rendu par le tribunal de première instance en la persorme de Niquette Delage le 30 juin 1988, lequel tribunal rejeta la plainte.

L'appel fut entendu a Montréal les 8 et 9 mars 1989 devant, Me Claude D. Narleau, madame Marie-Thérèse Noreau-Landry, et Monsieur Jacques Chiasson.

POUVOIR DU TRIBUNAL

Les pouvoirs du Tribunal d'appel sont énumérés a l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985) c. H-é et ses amendements, et plus particulièrement aux alinéas (3), (4), (5) de cet article:

(3) Le Tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(4) Le Tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du Tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées; mais peut, s'il estime indispensable A la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux é1éments de preuve ou entendre des témoignages.

(5) Le Tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus

A suite au dépôt des plaintes, le président du tribunal canadien des droits de la personne nomma madame Niquette Delage présidente du tribunal de première instance. Madame Delage entendit les plaintes à Montréal les 18, 19 janvier et les 15, 1é février 1988. Le 9 août 1988, Madame Delage rejeta les plaintes des trois plaignantes.

Le 31 août 1988, l'appelante déposait un avis d'appel, dont copie est reproduite ci-bas:

"L'appelante fonde son appel sur les motifs suivants: le Tribunal a selon l'appelante, erré dans son jugement sur les points suivants:

1) Erreur dans la date d'acceptation par l'appelante du contrat pour la période du 30 avril 1985 au 24 mai 1985.

2) Affirmation que l'employée, soit l'appelante, avait avisé l'employeur de son retour au travail dans trois mois.

3) Planification de la grossesse de l'appelante.

4) Rapport du comité mixte du 13 septembre 1984.

5) Cas Françoise Landry.

6) Contrat du 30 avril 1985 versus contrat du 24 mai 1985.

7) Le fait que l'appelante ne fut pas contactée en juillet 1985.

8) La charge de travail à la base militaire de Saint-Jean-sur-Richelieu lors de la période estivale de 1985.

9) La clause de disponibilité.

10) Le fait que des gens furent engagés avant l'expiration de la

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liste."

Lors de l'audition de la présente cause, l'appelante était représentée par son époux qui avait aussi rédigé l'avis d'appel.

Bien que l'avis d'appel ne soit pas rédigé dans un style et/ou un langage juridique strict, le tribunal en vient A la conclusion que cet appel en est un de questions mixtes de faits et de droit et ce, contrairement aux prétentions du procureur du ministère de la Défense nationale qui nous a soumis que l'appel n'était formé que sur des motifs de faits. Ainsi, il nous apparaît qu'il est dans l'esprit de la Loi canadienne sur les droits de la personne que la forme ne l'emporte pas sur le fond assurant ainsi que les objectifs de la Loi puissent à être remplis de façon pleine et entière. Il suffit de se pencher sur le cinquième motif de l'avis d'appel pour conclure qu'il y a un motif mixte.

Le Tribunal avait accepté d'entendre, sous réserve, des nouveaux témoignages pour le bénéfice de l'appelante; mais le représentant de cette dernière retira sa demande au début de ses représentations.

Le Tribunal d'appel ayant pris connaissance du jugement de première instance, des notes sténographiques, des témoignages et ayant pris en considération la jurisprudence pertinente ainsi que les plaidoiries des procureurs et du représentant de l'appelante, vient à la conclusion que le tribunal de première instance a erré de façon manifestement évidente dans l'appréciation de la preuve qui lui a été soumise, permettant ainsi au présent Tribunal d'appel d'intervenir et de substituer ses propres conclusions; le tout conformément aux critères énoncés dans l'arrêt Stein and the ship 'Katy K' [(1976 2 R.C.S..)] p. 802 ...

Le Tribunal prend les quelques lignes qui suivent pour circonscrire le droit et la jurisprudence qui concerne le présent pourvoi et reviendra dans un deuxième temps afin de démontrer les erreurs commises par le tribunal de première instance.

LE DROIT

L'article 3 se lit comme suit:

3(1) Pour l'application de la présente Loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, age, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée etre fondée sur le sexe.

L'article 7 se lit comme suit:

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de

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distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi;

L'article 15 se lit comme suit:

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires:

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences profes- sionnelles justifiées.

LA JURISPRUDENCE

Il est bien établi depuis l'arrêt Latif c. la Commission des droits de la personne [19801 C.F. p-687 ss. qu'il n'est pas nécessaire que la personne qui se plaint de discrimination établisse une preuve prima facie, mais il suffit qu'elle puisse affirmer qu'elle a des motifs raisonnables de croire qu'un acte discriminatoire a été commis à son endroit. Dès lors, les mécanismes de la Loi sont mis en branle et le fardeau de la preuve est déplacé vers l'employeur qui doit démontrer conformément à l'article 15 de la Loi, que le motif allégué par la persome qui porte plainte, découle dune exigence professionnelle réelle. De plus dans l'affaire La Commission ontarienne des droits de la personne, Bruce Dunlop, Harold E. Hall et Vincent Gray c. La Municipalité D'Etobicoke [19821 1 R.C.S.. p- 202 ss,. il a été décidé qu'une exigence professiormelle réelle au sens du code, doit revetir les aspects suivants:

  1. "Qu'elle soit imposée hormetement, de borne foi;
  2. Qu'elle soit imposée avec la conviction sincère qu'elle est imposée en vue d'assurer la borne exécution du travail en question. Le tout dune manière raisonnablement diligente, sure et économique.
  3. Elle doit se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi tout en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général."

Une décision de la Cour Supreme, soit La Comission ontarieme des droits de la persome et T. O'Malley c. Simpson Sears Ltée [1985] 2 R.C.S. p- 536 ss., est venue préciser certains é1éments quant à la défense de l'exigence professionnelle réelle. Ainsi, l'on a décidé qu'il incombe à l'employeur de démontrer que, sans l'application de la mesure attaquée, il en résulterait pour lui une contrainte excessive. De cette décision il est aussi ressorti qu'il nest pas nécessaire de prouver l'intention d'établir une distinction sur un motif prohibé par la loi mais qu'il suffit de prouver que le résultat de la mesure ait un effet discriminatoire.

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De surcroît cette même décision a dicté le principe suivant: s'il n'en résulte pas une contrainte excessive pour l'employeur, celui-ci a un devoir d'accomodement envers l'employé.

LA DÉCISION DE PREMIERE INSTANCE

Suite à la lecture des notes sténographiques de première instance et suite aux plaidoiries entendues devant le présent Tribunal, il nous apparaît que le tribunal de première instance a erré dans l'appréciation des témoignages de l'employeur ainsi que dans l'appréciation de ce qu'est une exigence professiormelle réelle. En effet, accepter comme le prétend l'employeur, que la clause de disponibilité reléve dune exigence professionnelle réelle, équivaut à enlever toute la portée qu'a voulu donner la Cour Suprème à l'arrêt Bhinder en ce que la défense de l'exigence professiormelle réelle ne doit pas être interprétée d'une façon aussi large qu'elle équivaudrait A déjouer l'objectif de la Loi.

De plus, le juge de première instance n'a pas retenu la thèse des plaignantes et ce que l'appelante a décrit dans sa demande en appel comme étant 'le cas Landry'.

En effet, le juge de première instance n'a pas voulu accepter le cas de madame Landry parce que les plaignantes selon leurs témoignages n'auraient pas eu une connaissance personnelle des faits entourant l'embauche ainsi que de la non-disponibilité de madame Landry.

Or, il est évident, suite aux témoignages des deux témoins de l'employeur soit monsieur Champagne et monsieur Perron, que madame Landry n'a pas été traitée de le même façon que la plaignante: Au moment où l'offre d'emploi du mois de mai lui a été faite, son contrat ne comportait pas de clause de disponibilité. D'ailleurs, interrogé sur l'historique de la clause de disponibilité, monsieur Perron répond à la p- 455 ntes. st. 1ère. ins.: c'est possiblement la première fois que la clause de disponibilité est apparue. Il ressort aussi de ces témoignages qu'un cas comme celui des plaignantes ne s'était jamais produit pendant les dix années de travail de monsieur Champagne. Il est aussi ressorti des témoignages des deux témoins de l'employeur, qu'antérieurement aux faits reprochés, l'employeur ne rescindait pas les contrats des professeurs qui, pour une raison ou une autre ne se présentaient pas au travail suite à l'acceptation dune offre faite par l'employeur.

Il est de notre opinion que dès que le juge de première instance a reçu la preuve de l'employeur à l'effet que madame Landry avait reçu un traitement différent de celui des plaignantes, il aurait dû conclure que les allégations de discrimination qui formaient les plaintes étaient fondées. Tout au moins conclure à une preuve prima facie qui aurait pour effet de renverser le fardeau de preuve sur l'employeur qui alors devait, selon la jurisprudence énoncer plus haut, démontrer une exigence professionnelle réelle s'appliquant à tous ses employées.

Il nous apparaît également de la preuve qui a été soumise en première instance, que l'employeur n'a pas réussit à prouver que

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l'apparition de la clause de disponibilité relevait dune exigence professionnelle réelle remplissant toutes les conditions édictées par la jurisprudence.

De plus, même si nous devions accepter que la clause de disponibilité était du domaine purement administratif et reliée à la planification des besoins en effectifs, il en reste que l'employeur aurait eu un devoir d'accomodement envers ses employées enceintes et il nous semble difficile de comprendre coment cet accomodement pourrait devenir une contrainte excessive pour l'employeur.

En résumé, il nous apparaît très clairement que l'état de grossesse des plaignantes et par surcroît de l'appelante est à l'origine de l'apparition de la clause de disponibilité. De plus, il ne faut pas oublier que la jurisprudence est très exigeante compte tenu des buts et de la nature même d'une Loi sur les droits de la persome et ne demande pas à ce que la discrimination dont on se plaint soit volontaire ou préméditée, mais simplement qu'elle existe; c'est ce que l'on appelle la discrimination par l'effet préjudiciable.

Compte tenu de ce qui précède et compte tenu des témoignages entendus en première instance et des débats qui ont eu lieu devant nous, nous croyons que le juge de première instance a erré de façon manifeste et évidente dans l'appréciation de la preuve. Ce qui a mené à une conclusion erronée quant à l'appréciation des principes de droit et de jurisprudence applicables au dossier qui est devant nous.

Pour toutes ces raisons, le présent Tribunal infirme la décision rendue en faveur de l'intimée et accueille le pourvoi de l'appelante en déclarant qu'elle a été victime de discrimination basée sur son état de grossesse, le tout contrairement aux articles 3(1), (2), et 7(a), (b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), c.H- 6 et ses amendements)].

LES DOMMAGES

Il convient de rappeler que selon les termes de l'article 5é.5 de la Loi,le Tribunal d'appel peut: soit rejeter la décision ou ordonnance faisant l'objet d'appel, soit y faire droit et substituer sa décision ou ordonnance.

Le tribunal en cette matière est donc investi des mêmes pouvoirs que les tribunaux de première instance et peut conformément à l'article 53 de la Loi soit rejeter la plainte, soit y faire droit tout en respectant les paragraphes 53. (2) et (3) de la Loi.

Compte tenu de la preuve offerte à l'effet que, même si madame Mongrain avait été maintenue sur la liste de disponibilité, elle n'aurait pas eu d'autre contrat subséquent à celui contenant la clause discriminatoire, donc nous ne croyons pas que la réintégration et-ou la rémunération pour perte de salaire soit approprié.

EN CONSEQUENCE: le tribunal condamne l'intimé à payer à

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l'appelante un montant de trois mille cinq cent dollars ($3,500.00), à titre d'indemnité pour préjudice morale subit, le tout conformément à l'article 53.3 de la Loi.

Fait a Québec, ce 27ième jour de juin 1990.

Claude D. Marleau, président

Marie-Thérése Moreau-Landry

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