Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 2/97 Décision rendue le 17 février 1997

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : DANA LAWRENCE

LE PLAIGNANT

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LA COMMISSION

- et -

MINISTERE DU REVENU NATIONAL (DOUANES ET ACCISE)

L'INTIMÉ


DÉCISION DU TRIBUNAL


TRIBUNAL : Norman Fetterly, président Julie Pitzel, membre Guy Chicoine, membre

ONT COMPARU : Dana Lawrence, plaignant Eddie Taylor, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Darlene Patrick, avocate de l'intimé

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Du 24 au 27 juin et du 30 juillet au 1er août 1996, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 27 septembre 1994, le plaignant, M. Lawrence, un citoyen canadien et résident de Vancouver, est rentré chez lui après une courte visite d'une

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semaine à Amsterdam où l'avait rejoint sa fille qui habitait à Londres, en Angleterre. Elle était l'un de ses deux enfants d'un mariage antérieur.

M. Lawrence, aujourd'hui âgé de quarante-neuf ans, est un ancien professeur et administrateur qui est atteint du SIDA. Il a été diagnostiqué comme étant séropositif en 1991, et la maladie s'est déclarée après 1994.

Il était alors et il continue à être soigné par le Dr Philip Sestak, qui avait prescrit onze médicaments pour le traitement de sa maladie lorsque l'incident en question s'est produit. Depuis cette époque, le nombre de ses médicaments est passé à dix-sept.

Des dispositions avaient été prises pour que l'ami de M. Lawrence, un certain M. Geoff Metcalf, vienne le chercher à l'Aéroport international de Vancouver.

Lorsqu'il est arrivé à Vancouver à bord du vol 3000 d'Air Canada, après un voyage de 14 heures à partir d'Amsterdam, M. Lawrence est passé à la ligne d'inspection primaire des Douanes pour le premier interrogatoire. C'était dans les anciens locaux des Douanes à l'aéroport, qui depuis cette époque ont été remplacés par des locaux plus spacieux et plus modernes.

A la ligne d'inspection primaire, les voyageurs en provenance de l'étranger doivent produire leur déclaration en douane (qui a depuis lors été modifiée) ainsi que leur passeport. Ils sont ensuite dirigés par l'inspecteur des douanes vers le comptoir de l'inspection primaire, soit vers la ligne verte sur le plancher de béton qui les amène de l'autre côté du carrousel à bagages à la sortie, ou vers la ligne rouge qui les amène au secteur de l'inspection secondaire. C'est à ce dernier endroit qu'ils acquittent les droits exigibles pour les marchandises qui sont déclarées comme étant en sus de la limite autorisée, et c'est aussi à cet endroit que les bagages sont fouillés si l'on soupçonne qu'ils renferment de la contrebande.

M. Lawrence, le premier passager à récupérer du carrousel le seul sac qu'il avait enregistré, s'est dirigé vers la sortie avec, en outre, un sac à poignées en papier et deux bouquets de fleurs enveloppées.

Alors qu'il poussait son chariot à bagages vers la sortie, et qu'il se trouvait encore à une certaine distance des portes, M. Lawrence a été interpellé par un inspecteur des douanes en uniforme, M. Raj Pratap.

Ce jour-là, le rôle de l'inspecteur Pratap consistait, selon le jargon de la Direction générale des opérations douanières, à faire fonction de maraudeur. C'est-à-dire, il était littéralement obligé de se promener parmi les passagers pour repérer des objets suspects et observer des comportements suspects.

Ce qui a attiré l'attention de l'inspecteur Pratap, c'est le matériel végétal dans les deux bouquets de fleurs enveloppées que portait M. Lawrence.

Après un bref entretien, l'inspecteur Pratap a demandé à M. Lawrence de le suivre. De la voie de sortie, c'est-à-dire la ligne verte, il l'a

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conduit au secteur d'inspection secondaire où se trouvaient, à cette époque, une quinzaine de comptoirs identiques. M. Lawrence a été conduit au comptoir trois ou quatre. De l'autre côté de ce comptoir, de douze à quinze pieds plus loin, se trouvaient deux bureaux. Le bureau le plus directement en face du comptoir était la salle des ordinateurs, qui renfermait deux systèmes informatiques.

Le système relié au Système de récupération de renseignements judiciaires ou SRRJ est un système qui réunit de l'information des services de police de tout le Canada, et qui trie ou classifie cette information selon trois niveaux. Les Douanes ont accès au premier niveau, qui consiste en de brefs commentaires anecdotiques concernant l'intéressé, et qui peut, dans certains cas, faire état du casier judiciaire d'une personne ou, dans d'autres cas, fournir le nom du témoin d'un crime. Un message codé peut aussi apparaître à l'écran, mais ce ne sont pas tous les inspecteurs des douanes qui savent ce que signifie ce message. Les deux autres niveaux renferment des renseignements classifiés et confidentiels, qui ne sont pas accessibles aux agents des douanes.

Le deuxième système informatique est le Système automatisé de surveillance à la ligne d'inspection primaire ou SASLIP. C'est un système d'information autonome des Douanes, qui consigne et divulgue les noms de personnes que l'on sait avoir enfreint la Loi sur les douanes et les règlements des Douanes.

A côté de la salle des ordinateurs se trouve le bureau du superviseur. A cette époque, il y avait, entre le secteur de l'inspection secondaire et la voie de sortie, ou ligne verte, une machine à rayons X de trois à quatre pieds de haut, qui servait également à démarquer le secteur de l'inspection secondaire de la voie de sortie. Elle se trouvait à la gauche des voyageurs qui sortaient. A leur droite il y avait le bureau de l'agent chargé du contrôle des produits agricoles.

L'inspecteur Pratap a appelé l'agent chargé du contrôle des produits agricoles, l'agent Ma, au moyen d'un avertisseur électronique. L'agent Ma a aussitôt quitté son bureau, et il a traversé la courte distance qui le séparait du secteur de l'inspection secondaire où l'attendaient MM. Pratap et Lawrence.

Jusqu'ici, les faits ne sont pas contestés. Outre le témoignage oral des parties, le Tribunal a eu la chance de voir les anciennes installations des Douanes qui n'ont pas beaucoup changé par rapport à septembre 1994, année où l'incident qui a donné lieu à la plainte s'est produit.

Après leur arrivée au comptoir de l'inspection secondaire et l'apparition de l'agent Ma, le plaignant et l'inspecteur Pratap diffèrent dans leur opinion de ce qui est devenu une série de mésaventures des plus extraordinaires et des plus bizarres qui a finalement abouti au dépôt d'une plainte officielle par M. Lawrence.

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LA PLAINTE

En fournissant des détails sur sa plainte, M. Lawrence allègue, entre autres, que lorsqu'il a été forcé d'affirmer publiquement qu'il souffrait du SIDA, l'agent des douanes est allé cherché et a enfilé des gants de caoutchouc... [traduction] a ouvert mon sac de médicaments et a fait un commentaire désobligeant sur la quantité de médicaments que j'avais en ma possession.

Dans ses remarques préliminaires, l'avocat de la Commission a défini sa position dans les termes suivants, à la page 6 de la transcription.

[TRADUCTION]

«Nous maintenons que le fait d'avoir enfilé des gants de latex après avoir été mis au courant de la nature de la maladie du plaignant constitue un traitement différentiel fondé sur une déficience, lequel est interdit en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne... ce que je viens tout juste d'affirmer établit prima facie la discrimination<».

«Dans le contexte de l'emploi, ce type de discrimination a été qualifié de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, et à la fin de la journée je ferai valoir que cette interprétation présentera au Tribunal un cas nouveau sans précédent. Je plaiderai que l'intimé a une politique en apparence neutre, qui consiste à fouiller des voyageurs pour prévenir l'entrée au Canada de substances prohibées».

«Par conséquent, pour ces raisons, faire l'objet d'une fouille à la ligne d'inspection secondaire est un effet préjudiciable qui tient à une maladie chronique.»

Les observations de l'avocat de la Commission dans ses remarques préliminaires sont importantes, car si nous comprenons bien la plainte, M. Lawrence allègue une discrimination directe, c.-à-d. qu'il a été défavorisé dans la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement aux termes de l'alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par souci de clarté, il convient de mentionner que la discrimination par suite d'un effet préjudiciable est un principe établi à la suite de décisions judiciaires; voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears [1985] 2 R.C.S., 536. Par contre, l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lorsqu'il emploie le terme défavoriser, le fait dans un contexte entièrement différent.

A cet égard, la question qui préoccupait le Tribunal était la suivante :

Lorsqu'un acte discriminatoire spécifique est allégué, c'est-à-dire le fait d'enfiler des gants de latex en apprenant qu'une personne souffre du SIDA, les politiques en apparence neutres d'un organisme gouvernemental peuvent-elles alors former la base d'une allégation de discrimination par suite d'un effet préjudiciable?

Dans l'arrêt Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool [1990] 2 R.C.S., 489, la Cour suprême du Canada a statué qu'il y a

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lieu de faire une distinction entre la discrimination directe et la discrimination indirecte aux fins de déterminer la réponse qu'il convient d'apporter à une preuve apparente de discrimination (voir note en haut de page à la page 490).

Dans ses motifs, le juge Wilson dit ce qui suit à la page 515 : L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive : en d'autres mots, il s'agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'employeur et ne lui impose des frais excessifs. Les cas comme celui-ci soulèvent une question très différente de celle que soulèvent les cas de discrimination directe. Lorsqu'on démontre l'existence de discrimination directe, l'employeur doit justifier la règle, si cela est possible en vertu de la loi en cause.

Dans cette affaire et dans d'autres où la notion de discrimination par suite d'un effet préjudiciable est entrée en jeu, la relation entre les parties était normalement celle d'employeur-employé. Dans ces instances, les faits sur lesquels était fondée la prétention de discrimination par suite d'un effet préjudiciable sont sensiblement différents des faits de l'espèce. Le moyen statutaire de défense de motif justifiable prévu à l'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui peut être invoqué contre une allégation qu'une personne a été défavorisée pour un motif de distinction illicite, ne peut l'être contre une allégation de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Dans les affaires où un employeur fait valoir le moyen de défense d'accommodement raisonnable, il est tenu de prouver qu'une règle en apparence neutre est une condition ou une règle qui est raisonnablement liée à l'exécution des fonctions. Voir Alberta Human Rights Commission, supra, où l'on adopte les remarques du juge McIntyre dans Commission ontarienne des droits de la personne et O' Malley c. Simpson-Sears Ltd. [1985] 2 R.C.S., 536 à 552.

Comme il a été mentionné, le Tribunal a eu de la difficulté à accepter la pertinence de la notion d'effet préjudiciable dans les circonstances de l'espèce. En outre, comme nous l'avons dit, cette notion est normalement appliquée dans des situations d'emploi où des politiques en apparence neutres adoptées et contrôlées par l'employeur ont un effet préjudiciable sur l'un ou plusieurs des employés.

En ce qui concerne le moyen statutaire de défense de motif justifiable en vertu de l'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, si l'on pouvait s'en prévaloir, l'avocate de l'intimé ne semble pas l'avoir invoqué dans son exposé final.

LES QUESTIONS EN LITIGE

La question du moment où l'inspecteur Pratap a enfilé les gants de latex est une question de fait cruciale que doit trancher le Tribunal. Compte tenu des circonstances, de la maladie du plaignant et des règles et pratiques de la Direction générale des opérations douanières, la question de savoir si le fait pour l'inspecteur Pratap d'enfiler des gants de latex est ou non, en soi, un acte discriminatoire, peu importe le moment où il s'est produit, n'a peut-être pas d'intérêt pratique.

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La Loi sur les douanes et les règlements des Douanes sont adoptés, semble-t-il, pour protéger le grand public et favoriser les intérêts du pays. Dans l'arrêt Simmons c. La Reine (1988) 45 C.C.C. 3rd, 296, pourvoi devant la Cour suprême du Canada, il a été décidé ce qui suit :

«Les personnes qui se présentent à la frontière sont assujetties dès le départ à une forme de contrainte, en ce sens qu'il ne leur sera pas permis d'entrer au pays tant que les fonctionnaires de l'immigration et des douanes ne seront pas convaincus qu'elles ont le droit de le faire et que les marchandises et les substances qu'elles ont en leur possession peuvent être légalement importées au Canada...», le juge L'Heureux-Dubé, le juge McIntyre souscrivant au dispositif.

Le J.C.C. Dickson et les juges Beetz, Lamar et La Forest ont également souscrit à l'opinion du juge L'Heureux-Dubé, et ils ont conclu ce qui suit :

« Les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s'attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l'objet d'une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. On s'attend à ce que l'État joue ce rôle pour le bien-être général de la nation. Les voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales s'attendent parfaitement à faire l'objet d'un processus d'examen. Ce processus se caractérise par la production des pièces d'identité et des documents de voyage requis, et il implique une fouille qui commence par la déclaration de tous les effets apportés dans le pays concerné. L'examen des bagages et des personnes est un aspect accepté du processus de fouille lorsqu'il existe des motifs de soupçonner qu'une personne a fait une fausse déclaration et transporte avec elle des effets prohibés.»

Il est vrai que cette affaire avait trait à un appel interjeté contre une condamnation au criminel, et que la question en litige était de savoir si l'appréhension et la fouille corporelle de l'accusée constituaient un empiètement sur son droit à la vie privée en vertu de la Charte des droits. Néanmoins, les commentaires des juges concernant l'arrivée de voyageurs de l'étranger qui demandent à être admis au Canada sont opportuns et instructifs.

Enfin, si la Loi sur les douanes crée un effet préjudiciable qui équivaut à de la discrimination, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle confère, le redressement consiste à la modifier, une solution qui n'est pas, à notre avis, visée par les pouvoirs de redressement conférés au présent Tribunal.

LA PREUVE

Les témoignages du plaignant et de l'inspecteur Pratap ne concordent pas. Les versions des protagonistes diffèrent pour ce qui est du moment où les gants de latex blancs ont été enfilés.

M. Lawrence a témoigné que cela s'est produit après que l'inspecteur Pratap l'eut poussé à répondre à des questions concernant les médicaments

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contenus dans ses bagages. Selon M. Lawrence, il a contesté le droit qu'avait l'inspecteur Pratap d'exiger cette information, mais il a fini par révéler, à contrecoeur, qu'il était une victime du SIDA. L'inspecteur Patrap aurait aussitôt enfilé les gants de latex blancs, retiré les flacons de médicaments de ses bagages, et examiné leur contenu.

L'inspecteur Pratap, par contre, a témoigné qu'il a quitté le comptoir d'inspection pour aller dans la salle des ordinateurs faire une recherche sous le nom de Dana F. Lawrence, et qu'il a enfilé les gants de latex après avoir vu à l'écran des mots comme [traduction] lien/cocaïne/trafic.

Il existe également des versions différentes concernant le prétendu casier judiciaire du plaignant et la façon dont la question a surgi. Même si l'existence ou la non-existence d'un prétendu casier judiciaire ne constitue pas le fondement de la plainte, il est nécessaire de décrire assez en détail la position des parties qui ont des vues contradictoires sur ce qui s'est passé à cet égard.

Dans son témoignage, le plaignant a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

«L'agent chargé du contrôle des produits agricoles était encore là lorsque l'agent des douanes est arrivé devant moi et a déclaré d'une voix forte que j'avais un casier judiciaire. A peu près au même moment, l'agent chargé du contrôle des produits agricoles s'éloignait avec les choses qu'il avait confisquées.»

On a alors montré au plaignant un dessin, non à l'échelle, qu'il avait fait le lendemain de l'incident et sur lequel il avait marqué sa position au comptoir d'inspection ainsi que la porte qui donnait accès à la salle des ordinateurs. Il a témoigné que c'est lorsqu'il est sorti de la salle des ordinateurs, à une douzaine de pieds plus loin, que l'inspecteur Patrap a annoncé d'une voix forte que lui, Lawrence, avait un casier judiciaire.

La version qu'a donnée l'inspecteur Pratap de la façon dont la question d'un prétendu casier judiciaire a surgi est sensiblement différente de la version du plaignant. L'inspecteur a témoigné que la question n'a été soulevée qu'après que le plaignant eut insisté pour connaître les résultats de la vérification dans l'ordinateur qu'il avait faite avant de revenir au comptoir d'inspection. Il nie avoir crié, en sortant de la salle des ordinateurs, que le plaignant avait un casier judiciaire.

Toutefois, pour des raisons qui apparaissent lorsqu'on examine les dépositions des témoins, le Tribunal n'a aucun doute que le prétendu casier judiciaire a effectivement été mentionné par l'inspecteur Pratap, et que c'est fort probablement lorsqu'il se trouvait devant le plaignant, lui faisant face, et au moment où l'agent Ma se préparait à quitter le secteur.

Le Tribunal reconnaît également comme un fait que l'information affichée sur l'écran de l'ordinateur était trompeuse, et que la conclusion qu'en aurait apparemment tirée l'inspecteur Pratap était erronée.

Le Tribunal comprend l'indignation qu'a suscitée chez le plaignant une accusation ou suggestion, peu importe la façon dont elle a été formulée,

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qu'il avait un casier judiciaire. Selon ses propres mots, sa réaction a été [traduction] l'horreur, le choc et la stupéfaction. Il est encore plus facile de comprendre la réaction du plaignant lorsqu'il s'est avéré que les implications découlant de l'imprimé de l'ordinateur étaient en fait non fondées.

Nous croyons toutefois que ce n'était pas dans le caractère de l'inspecteur Pratap de faire ces remarques à voix forte alors qu'il se trouvait à une douzaine de pieds plus loin. Notre opinion est fondée sur l'impression qu'a donnée au Tribunal l'inspecteur Pratap pendant qu'il témoignait, et sur son dossier exemplaire où il est fait état de son professionnalisme, de son honnêteté et de sa courtoisie dans les évaluations du rendement rédigées par ses supérieurs jusqu'au moment de l'incident (voir les onglets 1 et 2 de la pièce HR-1 et les lettres d'éloges à la pièce R-9). En outre, nous jugeons que la façon dont l'inspecteur Pratap aurait formulé ces remarques n'est pas compatible avec le propre témoignage du plaignant, selon lequel l'inspecteur Pratap était très poli et professionnel dans son comportement. Il y a également le témoignage de l'agent Ma qui sera examiné de façon assez détaillée et qui, croyons-nous, réfute l'allégation du plaignant selon laquelle l'inspecteur Pratap aurait déclaré d'une voix forte que lui, Lawrence, avait un casier judiciaire.

Il est évident que l'insinuation non fondée de l'existence d'un casier judiciaire préoccupait énormément M. Lawrence, comme en témoignent plusieurs lettres qu'il a adressées peu de temps après l'incident à des agents de la Direction générale des opérations douanières et au ministre de la Justice. A cet égard, on peut se reporter à une lettre datée du 30 septembre 1994 (pièce HR-1, onglet 5) et adressée à M. Brian Flagel, gestionnaire des opérations, Douanes Canada, à Vancouver. Le paragraphe suivant apparaît à la troisième page :

[TRADUCTION]

«Ce sont les deux éléments de la plainte que je tiens à vous signaler officiellement. Le problème plus grave, soit la découverte que Douanes Canada possède des renseignements selon lesquels j'ai une condamnation au criminel et un casier judiciaire, est, comme je l'ai dit, beaucoup trop complexe pour que l'on puisse raisonnablement s'attendre que votre bureau le règle, et je ne me plains pas auprès de vous de cette information erronée, et cela n'a rien à voir non plus avec le comportement de votre représentant.»

Le problème plus grave a de nouveau été mentionné dans une lettre adressée à l'honorable Alan Rock le 2 octobre 1994 (pièce HR-1, onglet 6). Dans les deux cas, les destinataires de ces lettres ont réagi en envoyant des excuses inconditionnelles à M. Lawrence pour l'allusion qui avait été faite au sujet d'un casier judiciaire. Voir R-1, onglets 12, 13 et 14.

A la suite de ses propres démarches, M. Lawrence, au moyen d'entrevues avec la GRC et le Service de police de Vancouver, a établi que l'information dans l'ordinateur qu'avait vue l'inspecteur Pratap avait trait à un incident qui s'était produit quelques années auparavant.

Il a appris qu'au cours d'une enquête menée à l'automne de 1989, le Service de police de Vancouver avait tenté d'arrêter un trafiquant de

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drogues qui occupait un appartement voisin de celui de M. Lawrence dans un immeuble d'habitation en copropriété. A ce moment-là, M. Lawrence avait été interviewé par la police comme témoin éventuel. Cet incident n'a eu aucune conséquence dans le cas de M. Lawrence, mais l'information a toutefois été consignée dans le SRRJ.

Lorsque l'inspecteur Pratap a entré dans le SRRJ les renseignements figurant dans les documents de M. Lawrence, le message lien/cocaïne/trafic ou quelque chose de semblable est apparu à l'écran. Il ne semble y avoir aucune justification, quelle qu'elle soit, même pour ces mots obscurs, et comme il a été mentionné, on peut facilement comprendre et accepter que M. Lawrence ait été mécontent, en colère et stupéfait.

Il reste une autre chose dont nous devons traiter avant d'examiner et d'analyser le témoignage de M. Lawrence et celui de l'inspecteur Pratap concernant le port des gants. Il s'agit du temps qui s'est écoulé entre le moment où M. Lawrence est descendu de l'avion jusqu'au moment où lui et l'inspecteur Pratap se sont quittés. La preuve à cet égard est contradictoire.

A moins de surveiller l'horloge, la façon de mesurer le temps a tendance à être fortement subjective. Le plaignant, M. Lawrence, n'était pas sûr si son vol d'Amsterdam, qui devait arriver à Vancouver à 12 h 15, était en fait arrivé à l'heure. Il estimait que de une heure et demie à une heure quarante minutes s'était écoulée, au total, entre le moment où il a récupéré son sac au carrousel et celui où il a quitté le terminal.

Après que M. Lawrence eut été intercepté par l'inspecteur Pratap et escorté jusqu'au secteur de l'inspection secondaire, à quelques pas de la voie de sortie marquée par la ligne verte, l'agent Ma, l'agent chargé du contrôle des produits agricoles, a été appelé et est arrivé rapidement, à peu près deux minutes plus tard. L'inspecteur Pratap s'est alors dirigé vers la salle des ordinateurs à courte distance du comptoir. Deux ou trois minutes plus tard, pendant que l'agent Ma se tenait encore au comptoir, l'inspecteur Pratap est revenu. L'agent Ma était sur le point de retourner à son bureau lorsque la discussion au sujet du prétendu casier judiciaire s'est produite. Elle a été suivie de questions, d'un échange concernant le casier judiciaire et, finalement, d'une fouille du sac de M. Lawrence ainsi que du contenu de ses poches.

L'ami de M. Lawrence, M. Metcalf, a témoigné qu'il est arrivé à l'Aéroport international de Vancouver vers midi vingt-cinq, et qu'il était près de 14 h lorsque M. Lawrence l'a rejoint.

L'arrivée des vols à l'Aéroport international de Vancouver est consignée de façon assez détaillée sur un document intitulé Système de la ligne d'inspection primaire ou SLIP. Douanes Canada enregistre sur ce document toutes les entrées d'aéronefs et de leurs passagers. Il a été admis en preuve et on lui a attribué la cote R-2. Le document, qui est daté du 27 septembre 1994, renferme des renseignements concernant l'origine et le numéro du vol, l'heure d'arrivée approximative, etc., pour les diverses lignes aériennes à une date précise. On y inscrit l'E.T.A. ou Heure d'arrivée prévue, de même que les acronymes FPAX à PIL ou premier passager à la ligne d'inspection primaire, et LPAX à PIL ou dernier

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passager à la ligne d'inspection primaire. Le vol de M. Lawrence, qui portait la cote CMM, est arrivé à Vancouver d'Amsterdam à 12 h 47, ou trente-deux minutes plus tard que prévu selon l'information figurant sur la pièce R-2.

D'après ce document, le premier passager à se présenter à la ligne d'inspection primaire l'a fait à 12 h 52, ou environ cinq minutes après le débarquement. En supposant que M. Lawrence était le premier en ligne, il s'est écoulé, en raison du retard à l'arrivée et au débarquement, un intervalle de quelque trente-sept minutes avant qu'il aille récupérer ses bagages au carrousel pour se diriger ensuite vers la sortie.

Il aurait été intercepté à la sortie par l'inspecteur Pratap quelques minutes plus tard. L'entretien avec l'agent Ma a été bref, probablement environ cinq minutes. Lorsque l'inspecteur Pratap est revenu, l'agent Ma était sur le point de partir. La discussion entre l'inspecteur Pratap et M. Lawrence et la fouille de l'un de ses sacs ne justifient pas, de l'avis du Tribunal, que l'on en déduise qu'environ une heure quarante minutes s'est écoulée entre le moment où M. Lawrence a récupéré son sac au carrousel et le moment où il a quitté le terminal.

Il se peut fort bien que cela ait paru comme une heure quarante minutes ou une éternité, compte tenu des incidents stressants qu'a vécus M. Lawrence à la fin d'un voyage long et fatigant. Toutefois, compte tenu de l'arrivée tardive de son vol et des autres facteurs que nous avons décrits, le temps approximatif qu'il croit avoir passé au dédouanement n'est pas réaliste. En se fondant sur la preuve, le Tribunal décide que près d'une heure, mais pas plus d'une heure, s'est probablement écoulée entre le moment du débarquement et la sortie du terminal.

Nous examinerons maintenant la preuve concernant le port des gants de latex. Outre le témoignage du plaignant, nous avons les dépositions de M. Geoff Metcalf et du Dr Sestak; ils n'ont pas été témoins de l'affaire, mais M. Metcalf a décrit la mine et le comportement du plaignant à sa sortie du terminal, et le Dr Sestak, les médicaments prescrits que prenait M. Lawrence au moment de l'incident, les effets de ces médicaments et l'état du plaignant à diverses étapes de sa maladie.

M. Metcalf qui, on se rappellera, était venu à l'Aéroport international de Vancouver pour chercher son ami, M. Lawrence, et le conduire chez lui, a reconnu qu'il se peut que le vol ait été retardé mais il ne se rappelait pas si en fait il l'avait été.

M. Metcalf a témoigné au sujet de la mine du plaignant. [Traduction] Il avait l'air fatigué. C'est un long vol. Ses vêtements étaient froissés... Il était aussi visiblement contrarié.

En relatant ce qui s'était passé, M. Metcalf a affirmé que M. Lawrence lui avait dit qu'il avait eu [traduction] l'une des pires expériences de sa vie. Il était humilié, il était bouleversé, il n'arrêtait pas de gesticuler... Il était ébranlé.

Selon M. Metcalf, M. Lawrence lui aurait raconté une histoire décousue, [traduction] il sautait du coq à l'âne, il disait une chose puis quelque chose d'autre.

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M. Metcalf a témoigné que M. Lawrence lui avait décrit la façon dont ses bagages avaient été ouverts et fouillés; les questions concernant ses médicaments qui l'avaient amené, à contrecoeur, à expliquer sa maladie. Et M. Metcalf a ajouté :

[traduction]

A ce moment-là - et Dana était très contrarié par cela - l'agent des douanes a enfilé des gants de caoutchouc et a fouillé dans ses médicaments.

M. Metcalf a témoigné que M. Lawrence [traduction] était contrarié, très contrarié. Il estimait qu'ils avaient agi de façon discriminatoire à son endroit. Il était humilié.

Enfin, M. Metcalf a affirmé :

[traduction]

A vrai dire, j'ai conseillé à Dana de mettre tout ce qui s'était passé par écrit dès que nous arriverions à la maison.

Au cours de cet entretien avec son ami, M. Lawrence n'aurait apparemment pas fait mention des fleurs confisquées par l'agent Ma.

En passant en revue le témoignage du plaignant, il se sera pas nécessaire de revoir les conclusions de fait préliminaires relatives à la façon dont l'inspecteur Pratap a remis son message concernant le prétendu casier judiciaire, ni au temps qui s'est écoulé entre l'arrivée du plaignant à l'aéroport et son départ.

Le dessin, soit la pièce HR-4, est censé montrer le secteur d'inspection secondaire avec ses comptoirs, la porte qui donne accès à la salle des ordinateurs, il y avait en fait deux portes, et ce qui est décrit comme une [traduction] barrière de corde. A cette époque, il y avait une machine à rayons X de trois à quatre pieds de haut à l'endroit indiqué comme étant la barrière de corde. Certaines des marques indiquant l'emplacement de la porte de la salle des ordinateurs et la position du plaignant au comptoir semblent avoir été faites lorsque le dessin a été fait, c'est-à-dire le lendemain de l'incident.

Le dessin est d'une exactitude douteuse, il est incomplet, et par nécessité il est intéressé. Le Tribunal s'appuie plutôt sur son inspection des lieux et son évaluation des témoignages faits sous serment non seulement par M. Lawrence mais aussi par tous les témoins qui étaient présents au moment pertinent.

Étant donné qu'à son retour au comptoir, l'inspecteur Pratap avait déclaré ou laissé entendre que M. Lawrence avait un casier judiciaire - à peu près au même moment où l'agent Ma partait - il s'ensuivit une discussion au cours de laquelle M. Lawrence a nié avoir un casier judiciaire et a demandé à l'inspecteur Pratap de retourner faire une nouvelle vérification dans son ordinateur. La réponse de l'inspecteur Pratap a été que cela n'était pas nécessaire, car en se fondant sur ce qu'il avait vu, il avait des motifs suffisants de fouiller les bagages de M. Lawrence.

A ce moment-là de son témoignage, le plaignant a fait allusion à un dialogue entre lui et l'inspecteur Pratap concernant les médicaments sur ordonnance, leur usage, les endroits où ils avaient été achetés, et si le plaignant avait acheté des drogues à Amsterdam. Il a répondu aux questions de l'inspecteur Pratap en disant que les seules drogues qu'il avait avec

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lui étaient des médicaments prescrits, et lorsqu'on a exigé plus de détails, il a expliqué qu'il prenait les médicaments pour une maladie chronique; ensuite, pressé de questions, il a répondu que c'était pour le SIDA.

Quant à sa réaction au moment où il a été informé qu'il avait un casier judiciaire, le plaignant a témoigné qu'il avait été [traduction] stupéfait, horrifié et secoué. Il a ajouté que l'inspecteur Pratap avait fait une remarque sur la [traduction] très grande quantité de médicaments.

A la suite de cet échange, [traduction] le monsieur a ouvert quelques-uns des flacons, les bouteilles à pilules habituelles. Il les a secoués, il a bougé la ouate à l'intérieur, et au moins une fois il a passé son doigt dans les pilules.

Il convient de souligner que jusqu'à ce moment-ci de son témoignage, le plaignant n'avait pas parlé des gants de latex blancs, pas avant que l'avocat produise une note datée du 28 septembre 1994, laquelle, prétend-on, consistait en un imprimé des entrées faites par le plaignant sur son propre ordinateur. Il a témoigné qu'il avait pour habitude de documenter les événements importants au fur et à mesure qu'ils se produisaient.

Après une discussion concernant l'admissibilité de ce qui semblait être, à première vue, un document intéressé, celui-ci a été admis en preuve, non en raison de son contenu, mais uniquement comme indication que le plaignant avait pris des notes à la même époque où l'incident dont il se plaignait s'était produit. Le Tribunal l'a accepté avec certaines réserves quant à sa valeur probante. Il a été marqué pièce HR-1, onglet 3.

Quoi qu'il en soit, il a été remis au témoin qui a lu les deux premières pages pour se rafraîchir la mémoire. L'avocat a attiré son attention sur certains passages dans ces pages. Il lui a ensuite dit expressément de se reporter à la deuxième page, troisième ligne, où il décrit les circonstances qui ont mené à la divulgation de la nature de sa maladie à l'inspecteur Pratap. La question suivante posée au témoin alors qu'il tenait encore la note dans ses mains a été la suivante :

[TRADUCTION]

Q. Très bien. Et ensuite vous dites quoi? R. Ce que je dis, c'est que dès que j'ai déclaré, parce qu'on exerçait des pressions sur moi, ma maladie comme étant le SIDA, l'agent des douanes s'est tout de suite dirigé vers la même porte d'où il était sorti lorsqu'il a annoncé qu'il avait vérifié si j'avais un casier judiciaire. Après quelques secondes il est revenu, et pendant qu'il s'avançait vers moi, il enfilait des gants de caoutchouc ou de latex.»

L'avocate de l'intimé n'a soulevé aucune objection à ce que l'on ne saurait qualifier autrement que de questions suggestives. Le Tribunal est conscient de la maladie débilitante de M. Lawrence et du stress causé par le fait de témoigner, et il sait qu'il est possible que cela ait pu affecter son souvenir de ce qui s'est passé il y a deux ans. Cette série de questions est toutefois allée plus loin que prévu, et elle est venue

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dangereusement près d'aiguillonner le témoin vers un aspect essentiel et crucial de l'affaire.

Le plaignant a ensuite décrit de façon assez détaillée la fouille de ses effets personnels, y compris le contenu de ses poches qu'il a vidées à la demande de l'inspecteur Pratap. Il a témoigné qu'une fois la fouille terminée, l'inspecteur Pratap a enlevé les gants de latex et a accepté de lui serrer la main. Le plaignant a qualifié son interaction avec l'inspecteur Pratap de [traduction] polie au point d'être exagérée. Il était très très poli.

Le plaignant a dit que lorsqu'il a quitté le secteur des douanes, il se sentait [traduction] éreinté. Il a ensuite décrit en détail ce qu'il avait fait au cours des jours qui ont suivi l'incident, entre autres qu'il était allé, comme le lui avait conseillé l'inspecteur Pratap, à la GRC et au Service de police de Vancouver pour se renseigner au sujet du prétendu casier judiciaire. Il a aussi décrit de façon assez détaillée les sentiments d'humiliation, de gêne, de colère et de peine qu'avait suscités chez lui ce traitement, et il a conclu en disant :

[traduction]

Comme je l'ai déjà dit, il a fallu beaucoup de temps avant que je puisse obtenir suffisamment d'information par moi-même pour pouvoir oublier la partie casier judiciaire de ce problème.

La pièce HR-1, sous l'onglet 1, renferme un affidavit signé par le Dr Sestak le 7 juin 1996. Le Dr Sestak a également comparu à l'audience ajournée pour témoigner au nom de son patient, M. Lawrence.

Le Dr Sestak a beaucoup d'expérience dans le traitement du VIH et du SIDA, ayant soigné jusqu'ici environ 350 patients. Il a commencé à soigner M. Lawrence le 1er novembre 1991. Selon son affidavit, il a diagnostiqué une immunodéficience chez M. Lawrence en raison du VIH. Le Dr Sestak a mentionné d'autres symptômes qu'il avait remarqués chez M. Lawrence, par exemple de la faiblesse, une tolérance à l'exercice réduite, et un souffle court. En outre, il souffrait d'une affection distincte, connue sous le nom d'aphonie spasmodique, et ce avant d'avoir été infecté par le VIH. Selon le Dr Sestak, cette affection [traduction] se manifeste entre autres par une élocution spasmodique, c'est-à-dire que le sujet s'exprime d'une façon hésitante, manque de contrôle et a la voix facilement entrecoupée. Cette hésitation au niveau de la parole peut souvent être interprétée comme une tentative pour éviter de répondre.

Le Dr Sestak a décrit de façon assez détaillée les médicaments que prend M. Lawrence pour sa maladie. Il a témoigné que Dana, comme il appelait le plaignant, avait pris un cocktail de médicaments pendant une période d'à peu près deux ans et demi à compter de 1992. Le Dr Sestak a décrit assez longuement les médicaments qu'il avait prescrits, leur usage et leurs effets. En dépit du risque d'effets secondaires sérieux que peut présenter le cocktail de médicaments administrés à son patient, le Dr Sestak a maintenu que l'état de M. Lawrence s'était stabilisé en 1994, car M. Lawrence ne s'était jamais plaint de quelque chose qui, selon le Dr Sestak, aurait pu être attribuable à ses médicaments ou à une combinaison d'entre eux. Le Dr Sestak a affirmé que d'après son expérience, il y avait peu de chance que la combinaison de médicaments administrés à M. Lawrence affecte ses facultés cognitives.

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Lorsqu'il a été interrogé au sujet de ses observations quant à l'impact psychologique, s'il en est, que le port de gants pourrait avoir sur une personne atteinte du SIDA, le Dr Sestak a parlé assez longtemps du traitement du SIDA, de l'attitude des fournisseurs de soins et d'autres personnes à l'égard de cette maladie depuis 1981. Apparemment, c'est encore [traduction] un problème énorme, même à l'hôpital St. Paul's, lorsque les employés qui apportent et viennent chercher les plateaux des repas décident de porter des gants. Cette pratique est autorisée même si, selon le Dr Sestak, il existe une abondance de preuves qu'il n'y a aucun danger de contracter le virus. Il a affirmé que lui-même se sentirait sûrement très mal à l'aise s'il était malade et que les personnes qui le soignaient portaient des blouses d'hôpital et des gants alors que le risque d'être infecté par le virus est extrêmement faible.

Il a toutefois affirmé que le port de gants pour manipuler des seringues pourrait offrir une certaine protection.

L'intimé a appelé trois témoins, soit M. Crossley, l'agent Ma et l'inspecteur Pratap. M. Crossley travaille pour Douanes Canada depuis dix-neuf ans. Au cours de cette période, il a occupé divers postes. Il travaille actuellement avec le directeur des Services frontaliers des douanes, région du Pacifique, où il assure le suivi de programmes mis en oeuvre par le Ministère ainsi que des opérations aux divers bureaux des Douanes de toute la région. Son rôle consiste à s'assurer que les politiques, procédures et programmes du Ministère sont correctement appliqués par le personnel d'exécution.

Il convient de mentionner que la tenue de l'enquête sur la plainte de M. Lawrence ainsi que des entrevues avec les personnes intéressées incombait directement au surintendant Pringle qui, malheureusement, n'a pu assister à l'audience en raison d'une maladie.

Lorsqu'il a reçu une copie de la plainte écrite de M. Lawrence, probablement la lettre du 30 septembre 1994 adressée à M. Flagel, onglet 5 de la pièce HR-1, M. Crossley a donné au surintendant Pringle instruction de mener une enquête, d'interviewer tous les témoins, de recueillir toute la documentation, et de lui envoyer les résultats.

M. Crossley a examiné tous les rapports d'enquête, et il a fait une recommandation quant à la réponse à donner à la plainte de M. Lawrence. Il a rédigé la lettre du receveur régional à M. Lawrence, où on lui présentait des excuses pour l'allusion à un casier judiciaire.

A la suite de son enquête, il a conclu qu'il n'y avait aucune preuve de discrimination. [Traduction] Toutefois, nous avons pris note du fait que l'agent avait déclaré que le nom de M. Lawrence figurait dans la base de données SRRJ, une déclaration que nous jugions tout à fait inappropriée et... j'ai recommandé au directeur que l'on prévienne l'inspecteur de s'abstenir de dire des choses semblables dans l'avenir.

M. Crossley a témoigné qu'après avoir pesé les probabilités, il avait décidé que si l'inspecteur Pratap avait suivi la procédure, et selon ce qui figurait dans sa déclaration écrite, il était fort probable qu'il avait enfilé les gants avant que M. Lawrence n'affirme qu'il était atteint du SIDA. C'est la conclusion à laquelle il était arrivé.

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M. Crossley a été renvoyé à une page extraite du Manuel de l'exécution des douanes figurant dans le cahier de documents de l'intimé, pièce R-1 sous l'onglet 9. Dans le Manuel, où l'on cite en partie le paragraphe 98(1) de la Loi sur les douanes, il est dit ce qui suit :

«98(1)... l'agent peut fouiller :

a) toute personne arrivée au Canada, dans un délai justifiable suivant son arrivée;»

et l'on cite ensuite l'article 99 de la Loi, qui dispose en partie ce qui suit :

«99(1) L'agent peut :

a) tant qu'il n'y a pas eu dédouanement, visiter toutes marchandises importées...

e) visiter les marchandises dont il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'elles ont donné ou pourraient donner lieu à une infraction...»

M. Crossley a renvoyé le Tribunal à la section 5 du Manuel qui autorise un agent des douanes à fouiller toute personne arrivée au Canada, qu'il s'agisse d'un résident ou d'un visiteur, en vertu des dispositions de la Loi, si l'agent soupçonne pour des motifs raisonnables qu'une loi fédérale pertinente a été enfreinte. Il peut, dans ces circonstances, fouiller les marchandises en la possession du voyageur pour s'assurer qu'elles ne renferment pas de contrebande.

Sous la rubrique Santé et sécurité au travail, le Manuel renferme une sous-rubrique intitulée Drogues, qui se trouve à la page 26, onglet 9, pièce R-1, et où apparaissent les paragraphes suivants :

[TRADUCTION]

«50. Les agents ne doivent pas faire preuve de négligence ou sous-estimer le danger lorsqu'ils recherchent ou manipulent des drogues. Il faut faire attention à d'éventuels pièges posés par les trafiquants de drogue, les plus communs étant les lames de rasoir, les débris de verre et les aiguilles hypodermiques.

51. Pour se protéger, les agents doivent toujours porter des gants et éviter de passer la main dans des endroits cachés sans d'abord essayer d'autres méthodes d'inspection comme les miroirs. Lorsqu'on trouve des substances que l'on soupçonne être des drogues illicites, il faut immédiatement enfiler des gants de latex. Ceux-ci ont deux fonctions : ils protègent l'agent contre les effets nuisibles de la drogue et préservent en même temps les empreintes digitales qui pourraient servir d'éléments de preuve.»

Les caractères gras sont de nous, pour faire le lien avec le témoignage antérieur de M. Crossley au sujet de la nécessité de suivre la procédure.

Lorsqu'on lui a demandé quels outils les agents utilisent pour les fouilles, M. Crossley a mentionné diverses choses, dont des gants de caoutchouc qui sont utilisés très fréquemment. Il a expliqué que si l'agent des douanes porte des gants, ce n'est pas seulement pour se

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protéger mais aussi pour empêcher que soient contaminés par mégarde les bagages d'un passager par ceux d'un autre passager fouillé par le même agent.

Lorsqu'il a visité les anciennes installations et le nouveau terminal, le Tribunal a remarqué que les comptoirs d'inspection secondaire étaient et sont équipés de tiroirs où l'on trouve, entre autres, des gants de latex blancs.

M. Crossley a témoigné au sujet des procédures ainsi que des différences dans ces procédures entre l'inspection primaire et l'inspection secondaire. A l'inspection primaire, l'agent des douanes pose des questions courantes, et il exige du voyageur qu'il produise son passeport ainsi que la formule de déclaration en douane. A l'inspection secondaire, s'il y en a une, on pose des questions plus détaillées au voyageur.

Comme il a été mentionné, le plaignant est passé au comptoir de l'inspection primaire sans être interrogé au sujet du bouquet de fleurs qu'il avait en sa possession.

M. Crossley a décrit le genre de choses qui pourraient éveiller les soupçons d'un inspecteur des douanes. Elles comprendraient, dans le cas d'un résident canadien, l'origine de son vol, son comportement pendant l'interrogatoire, les marchandises qu'il aurait achetées pendant son séjour à l'étranger, et les marchandises qu'il aurait alors en sa possession. Le passeport et la formule de déclaration renferment tous deux des renseignements sur la ligne aérienne, le numéro du vol et l'endroit d'où arrive le voyageur. La formule de déclaration en douane actuellement utilisée est essentiellement la même que celle qu'a remplie M. Lawrence. On y demande au voyageur d'indiquer s'il apporte au Canada des plantes, boutures, vignes, légumes, fruits en saison, graines, noix, racines ou de la terre.

Lorsqu'on lui a demandé quel genre de soupçons raisonnables ou quel genre d'indicateurs amèneraient un agent des douanes à procéder à un interrogatoire plus poussé, M. Crossley a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Pour un résident canadien, de la nervosité, une attitude hésitante, s'il portait quelque chose qui devrait manifestement être inspecté, ce serait là des indices évidents. Quoi d'autre? Son apparence, des choses de ce genre.»

«Le passeport fournit une indication des endroits où la personne est allée, dans quels pays elle a séjourné. Avec l'expérience et des renseignements de sécurité, nous savons que pour certains pays, plus que d'autres, les risques de contrebande sont plus élevés.»

«Nous prêterions davantage attention si le voyageur arrivait, par exemple, de la Thaïlande, ou de la Colombie, ou de n'importe quel endroit dans les Antilles, s'il arrivait d'Amsterdam. Ce sont ces pays qui nous préoccupent le plus lorsqu'il s'agit de stupéfiants, par exemple.» (Caractères gras ajoutés par nos soins.)

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Au moment de cet incident, l'agent Ma, un diplômé en biologie de l'Université de Waterloo et un technologiste de laboratoire médical agréé, travaillait comme inspecteur à l'ancien terminal de l'Aéroport international de Vancouver, intervenant seulement lorsqu'il était appelé par Douanes Canada.

Il travaillait à partir d'un bureau distinct situé à la droite des passagers lorsqu'ils suivaient la ligne verte pour se diriger vers les portes de sortie.

Il a témoigné qu'il savait que des agents des douanes utilisaient des gants, et que certains d'entre eux en utilisaient souvent et d'autres rarement. Cela variait, mais il a affirmé qu'il arrivait très souvent que les agents portent des gants et [traduction] ce n'est pas anormal.

Il a témoigné avoir travaillé dans le même secteur que l'inspecteur Pratap pendant à peu près huit ans. Le 27 septembre 1994, l'inspecteur Pratap l'a appelé au comptoir de l'inspection secondaire au moyen d'un avertisseur électronique, pour examiner du matériel végétal en la possession du plaignant, M. Lawrence.

L'agent Ma a remarqué que M. Lawrence avait en sa possession des chrysanthèmes coupés, qui venaient probablement du bouquet de fleurs, et il a expliqué pourquoi leur entrée au Canada était restreinte. Il a continué à poser des questions, comme on le lui avait montré pendant sa formation, et M. Lawrence lui a alors mentionné qu'il avait aussi avec lui des bulbes qu'il avait achetés à Amsterdam ou ailleurs en Hollande.

L'agent Ma a ensuite demandé à M. Lawrence [traduction] Pouvez-vous s'il vous plaît les sortir pour me les montrer? Lorsque M. Lawrence a sorti les bulbes, l'agent Ma a remarqué [traduction] qu'ils étaient dans une boîte, recouverts de diverses choses comme des vêtements et des bas. Il ne peut se rappeler si les bulbes ont été retirés des bagages de M. Lawrence, c'est-à-dire le sac à poignées, ou du sac en papier, mais de toute façon ils ont été confisqués avec les chrysanthèmes.

L'agent Ma a témoigné que normalement, il se tient à côté de l'agent des douanes pendant une inspection, et qu'au cours de cet incident, il avait [traduction] l'impression qu'au début nous étions ensemble. J'ai l'impression qu'il a quitté les lieux, qu'il est parti pour aller quelque part et que pour une raison quelconque il est revenu.

Lorsqu'on l'a interrogé au sujet du port des gants, l'agent Ma a témoigné qu'il avait effectivement vu un agent ganté ouvrir un flacon. Il a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Je ne peux vous dire s'il les a mis pendant que j'étais là ou non, mais il portait des gants, oui... pour être honnête, je - je sais que je l'ai vu avec des gants lorsque j'ai quitté le secteur. Je m'en rappelle. Je ne sais pas s'il est arrivé dans le secteur avant ou après avoir enfilé les gants, je ne peux pas dire.»

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L'agent Ma a témoigné qu'à aucun moment pendant la discussion entre l'inspecteur Pratap et M. Lawrence a-t-il entendu M. Lawrence mentionner qu'il avait le VIH ou le SIDA.

L'agent Ma a ajouté que son travail ne consiste pas vraiment [traduction] à poser des questions... même si je pourrais être présent, en train de faire mon travail, avec un agent des douanes près de moi, je ne porterais pas vraiment attention aux questions posées par l'agent.

On l'a renvoyé à ses rapports dont deux portaient la cote pièces R-4 et R-5, qui auraient apparemment été rédigés à des moments différents. Dans l'un des rapports, la pièce R-5, il mentionne une déclaration faite [traduction] face à face, au comptoir secondaire, qu'il avait un casier judiciaire (that he had some criminal record), faisant allusion à une conversation entre l'inspecteur Pratap et M. Lawrence. Dans l'autre rapport, le mot that a été rayé, parafé et remplacé par le mot whether. Ce changement a eu pour effet de modifier la signification, c'est-à-dire de faire d'une affirmation une question.

L'avocat de la Commission s'est longuement arrêté à ce changement dans son contre-interrogatoire de l'agent Ma. Celui-ci a reconnu avoir fait le changement peu après avoir rédigé le rapport, mais il a nié qu'il modifiait la signification dans le contexte. Lorsqu'on lui a demandé ce que signifiaient les mots whether et that, il a affirmé qu'il ne savait pas qu'il s'agissait de deux choses différentes, et il a ajouté :

[traduction]

Je n'avais aucune intention particulière d'une façon ou d'une autre. Je l'ai tout simplement changé, et je ne peux pas dire pourquoi je l'ai changé.

A des questions posées par le membre Chicoine, l'agent Ma a témoigné qu'il avait été avec M. Lawrence au comptoir d'inspection pendant environ cinq minutes. Il ne pouvait dire combien de temps à peu près le plaignant était demeuré au comptoir. A d'autres questions que lui adressait le Tribunal, il a témoigné qu'il avait rédigé son rapport assez rapidement, et que le changement qu'il avait fait en rayant le mot that pour le remplacer par le mot whether l'avait été [traduction] après que se soient écoulés environ les trois quarts de la période entre cet événement et aujourd'hui, alors que je me souvenais de certaines choses; je n'étais pas sûr s'il s'agissait d'une affirmation ou d'une interrogation. Même si j'ai rédigé ce rapport, j'ai dû y réfléchir, et je n'étais pas sûr de quoi il s'agissait. Bien qu'on ait l'impression que c'est une affirmation, je ne sais pas s'il s'agissait d'une question, si elle était formulée comme une question ou comme une affirmation par l'inspecteur Pratap.

Le fait que l'allégation ait été formulée par l'inspecteur Pratap comme une affirmation ou comme une question posée à M. Lawrence n'est pas aussi important que le fait qu'elle l'ait été effectivement. Le Tribunal a antérieurement décidé qu'il n'acceptait pas la version du plaignant concernant la façon dont l'affirmation avait été faite ou la question posée, c'est-à-dire à voix forte, alors que l'inspecteur se trouvait à une douzaine de pieds de lui.

L'agent Ma a témoigné que l'inspecteur Pratap est revenu au moment où lui, l'agent Ma, quittait le comptoir d'inspection, et que quelque chose s'était produit pendant qu'eux, c'est-à-dire M. Lawrence et l'inspecteur

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Pratap, étaient debout l'un en face de l'autre; l'agent Ma se serait retourné en entendant M. Lawrence élever légèrement la voix, d'un ton énervé et irrité. Il a dit avoir entendu l'inspecteur Pratap répondre d'une façon surexcitée (impassioned), c'est-à-dire, selon l'agent Ma, sur un ton monotone ou monocorde, où il parlait d'un casier judiciaire.

L'agent Ma a déclaré que l'inspecteur Pratap était très surexcité et qu'il [traduction] s'en tenait uniquement aux éléments de la conversation et qu'il était très différent de [traduction] certains agents qui ne réagissent pas aussi bien lorsqu'ils sont mis au défi, ils craquent ou ils se mettent à trembler.

L'agent Ma n'était pas le témoin le plus convaincant. Il avait de la difficulté à se rappeler les événements dans l'ordre où ils s'étaient produits, et il avait tendance à se créer des images ou des impressions de ce qui était arrivé. Il avait aussi de la difficulté à comprendre le sens de certains mots anglais, et la façon de les utiliser. Nous croyons toutefois qu'il était essentiellement sincère.

L'inspecteur Pratap travaillait pour la Direction générale des opérations douanières depuis environ neuf ans lorsque cet incident s'est produit. Peu de temps après son entrée en fonction, soit en 1985, il avait décelé et intercepté trente livres de haschich liquide importé dans une planche à voile. Au cours des dernières années, il a fait un travail remarquable dans l'interception de marchandises de contrebande. Voir les lettres d'éloges, onglets 2 et 8 de la pièce R-1, et d'autres lettres d'éloges produites lorsque l'avocat de la Commission l'a mis au défi de le faire, voir pièce R-9.

Son rendement, tel qu'évalué par ses superviseurs pendant plusieurs années avant l'incident auquel M. Lawrence a été partie, était entièrement satisfaisant, et dans des commentaires sous la section C des évaluations de rendement que l'on trouve à l'onglet 1 de la pièce R-1, il y a, par exemple, des déclarations comme les suivantes :

[TRADUCTION]

«Vos décisions sont toujours justes et raisonnables. Vous prenez également soin d'expliquer au public ce que vous faites (et pourquoi vous le faites).»

Vous comprenez bien le concept de justice naturelle. Voir pages 1-2. A la page 3a) et à 3, on trouve ce qui suit :

[TRADUCTION]

«Vous prenez toujours soin de voir si vous devriez accorder à quelqu'un le bénéfice du doute, et vous le faites lorsque les circonstances le justifient. Lorsque vous prenez ces mesures, vous vous comportez d'une façon très professionnelle.»

Et à la page 5, onglet 1, pièce R-1, les commentaires suivants apparaissent :

[TRADUCTION]

«Vos interactions avec le public voyageur, avec vos pairs et vos superviseurs, sont bonnes. Continuez votre bon travail en 1993.»

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L'inspecteur Pratap a témoigné que lorsqu'il a vu le bouquet de fleurs que portait le plaignant, il l'a intercepté et lui a demandé de produire son passeport et sa formule de déclaration en douane. Ayant constaté que le plaignant n'avait pas déclaré le matériel végétal, il lui a demandé de le suivre au secteur de l'inspection secondaire qui est plus tranquille et qui est à l'écart de la vague de voyageurs qui se dirigent vers la sortie.

Le plaignant a suivi l'inspecteur Pratap jusqu'au comptoir trois ou quatre des quinze comptoirs qui se trouvaient dans le secteur d'inspection. L'inspecteur Pratap a ensuite appelé par avertisseur l'agent chargé du contrôle des produits agricoles, l'agent Ma. En attendant son arrivée, il a examiné le passeport et la déclaration du plaignant, et il a vu qu'il venait d'arriver d'Amsterdam.

Lorsque l'agent Ma est arrivé, l'inspecteur Pratap a dit au plaignant :

[traduction]

Je vais faire une courte recherche de nom et je reviens tout de suite. Il s'est ensuite dirigé vers la salle des ordinateurs, qui se trouvait à une douzaine de pieds derrière le comptoir, et il a disparu derrière la porte.

Dans la salle des ordinateurs, l'inspecteur Pratap a entré dans le SRRJ le nom du plaignant, puis il a vu s'afficher sur l'écran les mots lien/cocaïne/trafic, ou des mots de ce genre. Il s'agissait d'un 10 ou d'une correspondance sur une échelle de 1 à 10 selon l'usage qui prévalait à la Direction générale des opérations douanières.

L'inspecteur Pratap a témoigné que sur la tablette derrière l'ordinateur se trouvaient beaucoup d'outils, de gants et de matériel d'inspection. Après s'être saupoudré les mains avec du talc, il a enfilé les gants et est retourné au secteur d'inspection où l'agent Ma terminait son interrogatoire.

Selon l'inspecteur Pratap, le plaignant aurait dit :

[traduction]

Pourquoi les gants?

et l'inspecteur aurait répondu

: [traduction]

C'est normal. Pour les arrivées de certains pays, nous en utilisons.

L'inspecteur Pratap a témoigné qu'il savait déjà sur quels articles il allait concentrer son attention. En contre-interrogatoire, lorsque l'avocat lui a demandé s'il avait décidé de fouiller les bagages du plaignant quand il a vu les mots apparaître à l'écran, l'inspecteur Pratap a répondu que ce n'était pas à ce moment-là qu'il avait pris sa décision. L'avocat de la Commission a décidé de ne pas aller plus loin, et en réinterrogatoire l'avocate de l'intimé n'a pas demandé quand, en fait, l'inspecteur Pratap avait décidé de procéder à une fouille.

L'avocat de la Commission a prétendu que l'on devrait conclure de cet échange que l'inspecteur Pratap a décidé de procéder à une fouille du sac du plaignant plus tard lorsqu'il a appris que M. Lawrence souffrait du SIDA. Il serait rapidement retourné à la salle des ordinateurs pour enfiler des gants, selon le témoignage du plaignant.

L'inspecteur Pratap nie catégoriquement être retourné une deuxième fois à la salle des ordinateurs. En fait, cela aurait été tout à fait inutile sans vérifier d'abord s'il y avait des gants au comptoir dans les tiroirs prévus à cette fin. Nous acceptons son témoignage à cet égard

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comme étant digne de foi, cohérent, et compatible avec ce qui s'est produit par la suite.

Il a dit qu'il avait pour habitude de demander au voyageur de produire le passeport et la carte de déclaration en douane. Selon le degré de nervosité et le comportement de la personne, il posait ensuite des questions sur l'endroit d'où elle arrivait, sur la profession qu'elle exerçait, sur le but de son voyage et sur la durée de son séjour à l'étranger.

En ce qui concerne le plaignant, l'inspecteur Pratap a affirmé qu'il était [traduction] un peu nerveux, peut-être un peu agité lorsqu'il l'a interpellé la première fois. Il a vu sur sa déclaration en douane et sur ses étiquettes à bagages qu'il était monté à bord de l'avion à Amsterdam. Il n'a pas déclaré, bien que ce soit par oubli, qu'il avait en sa possession des produits agricoles prohibés.

Il a témoigné que le plaignant était seul, qu'il portait deux sacs, soit un sac à poignées et un sac à dos en cuir noir qui étaient [traduction] très sales.

L'inspecteur Pratap a affirmé [traduction] ce ne sont pas seulement les réponses qu'il fournit à vos questions, c'est le langage corporel, le mouvement des yeux, les vêtements qu'il porte, le chaussures... et d'autres facteurs, y compris, probablement, la façon de s'exprimer sur lesquels il se fonderait pour décider s'il devrait ou non porter des gants dans une situation particulière. Il a dit qu'il portait des gants dans environ la moitié des cas où il devait procéder à une fouille des bagages.

Il est donc raisonnable de conclure d'après les circonstances décrites par l'inspecteur Pratap qu'elles l'amèneraient à décider de fouiller les bagages du plaignant avant d'entrer dans la salle des ordinateurs pour faire la recherche de nom. Lorsque les mots lien/cocaïne/trafic ou des mots de ce genre sont apparus à l'écran, ses soupçons, même s'ils étaient en partie mal fondés, ont apparemment été confirmés et lui ont fourni des motifs raisonnables d'examiner les bagages du plaignant.

En contre-interrogatoire, on a demandé à l'inspecteur Pratap s'il avait déclaré, lorsqu'il se tenait en face du plaignant au comptoir de l'inspection secondaire, que celui-ci avait un casier judiciaire. Sa réponse a été la suivante :

[TRADUCTION]

«Lorsque, pendant l'interrogatoire, M. Lawrence a de nouveau demandé Que dit l'ordinateur à mon sujet?, et cela en face à face et très près, et pendant l'interrogatoire ou juste au début de l'interrogatoire, je lui ai dit, Monsieur Lawrence, pourquoi, pensez-vous que vous avez un casier judiciaire?»

«Et cette question est essentiellement un stratagème que j'utilise lorsque je ne veux pas dire ce qui figure dans l'ordinateur.»

L'inspecteur Pratap a témoigné que le plaignant lui a demandé à maintes reprises ce qu'il y avait dans l'ordinateur, et que c'est seulement

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à ce moment-là qu'il lui a répondu :

[traduction]

Pourquoi, pensez-vous que vous avez un casier judiciaire?

Le Tribunal accepte la version qu'a donnée l'inspecteur Pratap de la conversation entre lui et le plaignant, M. Lawrence, concernant le casier judiciaire, tout en reconnaissant qu'il y avait manifestement une certaine hésitation de sa part à reconnaître que la question avait été effectivement formulée. Ces remarques n'auraient pas dû être faites, et l'inspecteur Pratap en est conscient, tout comme l'étaient ses supérieurs qui, comme il a été mentionné, ont envoyé au plaignant une lettre d'excuses.

Dans l'arrêt Stadnyk c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (1993), 22 C.H.R.R., le Tribunal devait également déterminer si un certain comportement douteux de la part de l'intimée équivalait à une violation du Code canadien des droits de la personne. Le Tribunal a affirmé ce qui suit :

L'intimée a porté à l'attention du tribunal un certain nombre de décisions où un intimé avait fait preuve de manque de jugement, de mauvais goût ou d'insensibilité à l'endroit de plaignants qui croyaient sincèrement que ces actes et ces paroles procédaient de motifs de distinction illicite. Cependant, les tribunaux ont jugé que ce type de conduite ne constituait pas une infraction aux lois sur les droits de la personne applicables. Voir à ce sujet Dhami c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1989), 11 C.H.R.R. D/253 (Can.); Fu c. Ontario Solicitor General (1985), 6 C.H.R.R. D/2797 (Ont.); Makkar c. Scarborough (City) (1987), 8 C.H.R.R. D/4280 (Ont.); Syed c. Canada (ministère du Revenu national) (1990), 12 C.H.R.R. D/1 (Can.); Aragona v. Elegant Lamp Co. Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1109 (Ont.); Nimako v. Canadian National Hotels (1987), 8 C.H.R.R. D/3985 (Ont.); Watt v. Niagara (Regional Municipality) (1984), 5 C.H.R.R. D/2453 (Ont.)

Toutefois, la plainte est fondée sur le fait que l'on a enfilé des gants après avoir appris que le plaignant souffrait du SIDA, et non sur des remarques ou suggestions imprudentes faites par l'agent des douanes au sujet d'un casier judiciaire non existant.

CONCLUSION

Il a été difficile de rendre une décision dans cette affaire, et le Tribunal a évalué la preuve avec beaucoup de soin. Il ne fait aucun doute que le plaignant, comme voyageur, a été victime d'une série d'intrusions désagréables et frustrantes dans sa vie privée. Toute personne qui a eu l'occasion d'aller à l'étranger peut comprendre sa situation et compatir avec lui.

En acceptant la version qu'a donnée l'inspecteur Pratap des circonstances entourant le port de gants de latex blancs, le Tribunal ne juge pas nécessaire de mettre en doute l'honnêteté du plaignant. Nous croyons qu'il existe un certain nombre de raisons pour lesquelles la version du plaignant est peut-être inexacte. Ces raisons comprennent la faiblesse, la fatigue, la frustration et sa sensibilité extrême au port de gants de latex blancs dans une situation de ce genre.

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Par contre, l'inspecteur Pratap nous a paru être objectif, civil et courtois, non seulement pendant qu'il témoignait mais aussi, semble-t-il, pendant toute la rencontre avec le plaignant. S'il a fouillé ses bagages et qu'il lui a posé les questions pertinentes, c'est avant tout parce qu'il soupçonnait, pour des motifs raisonnables, c'est-à-dire le fait qu'Amsterdam était le point d'origine et les autres facteurs déjà décrits, que le plaignant aurait pu avoir en sa possession des stupéfiants. Même après qu'il eut retiré les flacons de médicaments et qu'il les eut placés sur le comptoir, les soupçons de l'inspecteur Pratap n'ont pas été complètement dissipés pendant qu'il continuait à passer son doigt ganté dans les médicaments. C'est seulement à ce moment-là, après d'autres questions, que le plaignant a révélé qu'il avait le SIDA. A la suite de cet aveu, et avant qu'ils se quittent, l'inspecteur Pratap a accepté et serré la main que lui offrait le plaignant, après avoir au préalable retiré ses gants.

Il s'agit d'un cas où les principes énoncés par les cours et d'autres tribunaux relativement à la façon d'interpréter la Loi canadienne sur les droits de la personne sont peu utiles, et le Tribunal doit forcément se fier à son propre jugement et à son expérience pour arriver à sa conclusion en se fondant sur les faits tels qu'il les constate.

Nous acceptons comme un fait que l'inspecteur Pratap a enfilé les gants de latex blancs avant d'apprendre que le plaignant souffrait du SIDA, en exécutant ses fonctions conformément à la procédure qu'il devait suivre pour procéder à la fouille d'un voyageur qui demandait à être admis au Canada, en l'espèce le plaignant, M. Lawrence.

Il incombe au plaignant et à la Commission d'établir prima facie un cas de discrimination. S'ils s'acquittent de ce fardeau, l'obligation de prouver une justification se déplace vers l'intimé.

Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. Voir Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. [1985] 2 R.C.S. p. 558.

Après un examen approfondi de la preuve, le Tribunal n'est pas convaincu que selon la prépondérance des probabilités, le plaignant et la Commission ont, en l'espèce, fait une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination.

Il s'ensuit que l'on n'a pas établi prima facie un cas de discrimination, et la plainte est donc rejetée.

Fait ce 31ième jour de janvier 1997.

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NORMAN FETTERLY, PRÉSIDENT

JULIE PITZEL, MEMBRE

GUY CHICOINE, MEMBRE

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