Contenu de la décision
LORRAINE ROCH
la plaignante
- et -
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
la Commission
- et -
MALTAIS TRANSPORT LTÉE
ET GAETAN MALTAIS
les intimés
REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉE PRÉSENTÉE PAR
L'INTIMÉE, MALTAIS TRANSPORT LTÉE
MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet
2003 TCDP 33
2003/10/22
[1] Le 7 juillet 2003, le Tribunal canadien des droits de la personne recevait de Me Robert Brunet, avocat de l'intimée, Maltais Transport Ltée, une requête en irrecevabilité basée sur une absence alléguée de lien de faits et de droit entre la plaignante, Lorraine Roch, et l'intimée, Maltais Transport Ltée.
[2] Le 25 septembre 2003, la Commission canadienne des droits de la personne soumettait ses prétentions en opposition à cette requête. La plaignante, Lorraine Roch, et l'intimé, Gaétan Maltais, n'ont présenté aucun argument sur cette requête.
[3] Dans sa requête l'intimée, Maltais Transport Ltée, prétend qu'il n'y a, en l'espèce, aucun lien, ni de faits, ni de droit entre elle et la plaignante. Elle allègue également n'avoir jamais cautionné, permis, encouragé ou toléré les faits et gestes reprochés à l'intimé Gaétan Maltais. Elle prétend qu'il n'existe aucun lien de droit entre elle et Gaétan Maltais. Maltais Transport Ltée argumente qu'aucun allégué dans la plainte ne lui reproche quoi que ce soit et qu'elle ne peut-être tenu responsable, des faits et gestes ou de la conduite de Gaétan Maltais même si celui-ci a été à un moment donnée actionnaire, administrateur et officier de Maltais Transport Ltée.
[4] Le Tribunal n'a pas à ce stade des procédures à porter un jugement sur le bien fondé ou non des allégations de l'intimée. L'objet de la présente requête est de décider s'il y a lieu de rejeter, de manière sommaire, la plainte contre Maltais Transport Ltée.
[5] Pour bien comprendre la compétence du Tribunal d'entendre ou non une telle requête en irrecevabilité, il faut s'en remettre au cadre législatif de la Loi canadienne sur les droits de la personne1 et, notamment, aux articles 41, 44, 49, 50 et 53. Ces dispositions prévoient :
[6] La procédure, telle que décrite par la Loi, prévoit que la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime que cette plainte est irrecevable, entre autres, parce qu'elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. Si la Commission décide que la plainte est recevable, elle charge un enquêteur d'enquêter sur celle-ci.
[7] L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête. Sur réception du rapport, la Commission, si elle est convaincue que l'examen de la plainte est justifié, peut demander à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte. La Commission informe par écrit les parties de la décision qu'elle a prise de référer la plainte au Tribunal.
[8] Sur réception de la demande de la Commission, la présidente du Tribunal désigne un membre pour instruire la plainte. Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission et aux parties, instruit la plainte en donnant aux parties la possibilité de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations. À l'issue de l'instruction, le membre peut soit rejeter la plainte qu'il juge non fondée ou émettre une ordonnance conforme au paragraphe 53(2) de la Loi.
[9] La requête en irrecevabilité, en l'espèce, demande au Tribunal de rendre une ordonnance qui aurait pour effet d'annuler la décision de la Commission de référer pour instruction par le Tribunal la plainte contre l'intimée. Comme nous venons de le voir, selon la Loi, c'est la Commission qui décide dans un premier temps si la plainte est recevable et qui après l'examen du rapport de l'enquêteur décide si elle est justifiée et, si tel est le cas, de la référer au Tribunal. Est-il loisible, à ce stade-ci des procédure, pour le Tribunal d'interférer dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire de la Commission ?
[10] Dans l'affaire Eyerley c. Seaspan International Limited, rendue le 2 août 2000, la présidente du Tribunal, Anne Mactavish, déclare au paragraphe 4 :
Il n'appartient pas à notre Tribunal de se pencher sur la compétence ou le comportement de la Commission canadienne des droits de la personne. Ces questions relèvent exclusivement de la Section de première instance de la Cour fédérale. Par conséquent, je n'ai point l'intention d'aborder la question de la contestation par Seaspan de la compétence de la Commission.
[11] De même, dans l'arrêt International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster2, le juge Gibson avait ceci à dire :
Par conséquent, je suis d'avis que le Tribunal a commis une erreur en disant qu'il avait compétence pour statuer sur les objections préliminaires du syndicat, compte tenu de la norme de la décision correcte. Ayant décidé de ne pas demander devant la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire par laquelle la Commission a prorogé le délai prévu à l'alinéa 41(1)e) de la Loi, le syndicat ne pouvait tout simplement pas exercer l'autre recours qu'il a choisi, c'est-à-dire qu'il ne pouvait pas soulever devant le Tribunal les mêmes questions qu'il aurait pu soulever dans une demande de contrôle judiciaire.
[12] En raison du cadre législatif décrit plus haut et de la jurisprudence citée, je suis d'avis que le Tribunal n'a pas la compétence requise pour entretenir la requête de l'intimée, Maltais Transport Ltée. Le recours approprié aurait été pour l'intimée de demander devant la Cour fédérale le contrôle de la décision de la Commission d'être saisie de la plainte et de la référer au Tribunal. Une fois la décision prise de référer la plainte au Tribunal, le membre instructeur désigné par la présidente, instruira la plainte et donnera aux parties la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve et leurs observations. Il tranchera ensuite les questions de droit et les questions de fait dont il a été saisi, y inclus la question à savoir si l'intimé, Gaétan Maltais, à commis un acte discriminatoire et si cet acte, s'il est établi, a été commis dans le cadre de son emploi
, tel que prescrit au paragraphe 65(1) de la Loi. Encore dans l'éventualité où il était établi qu'un acte discriminatoire a été commis et que cet acte a été commis dans le cadre de l'emploi de l'intimé (Gaétan Maltais), l'intimée Maltais Transport Ltée pourra présenter de la preuve à l'audience pour se soustraire à l'application de ce paragraphe et, notamment, elle pourra présenter de la preuve pour établir les dérogations prévues au paragraphe 65(2).
[13] La requête en irrecevabilité présentée par l'intimée, Maltais Transport Ltée, est donc rejetée.
Michel Doucet
OTTAWA (Ontario)
Le 22 octobre 2003