Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 6/ 87

Décision rendue le 14 avril 1987

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: DARLENE CORLIS plaignante

- et

LA COMMISSION CANADIENNE DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION mise en cause

DEVANT: ANDRIY J. SEMOTIUK

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU: JAMES HENDRY Procureur de la plaignante et de la Commission canadienne des droits de la personne IAN DONAHOE Procureur de la mise en cause

J’aimerais maintenant avancer quelques autres constatations.

Je remarque que la plaignante, dans sa demande initiale de prestations d’assurance- chômage, a annoncé comme genre de travail recherché celui de vendeuse en magasin. Je note également que cette demande ne fait allusion à aucun autre genre de travail.

Dans le courant du mois de septembre 1983, vers le 20, je constate que la plaignante a fait l’objet d’une vérification au hasard menée par Emploi et Immigration Canada. C’est là une pratique normale pour la Commission. Un certain M. Isnor a convoqué la plaignante pour une entrevue le 20 septembre 1983. Voici son compte rendu de cet entretien :

(traduction)

"Elle s’est présentée au bureau local et, comme pièce d’identité, a produit sa carte d’assurance sociale. Elle aimerait travailler dans un bureau, mais ne possède aucune compétence reconnue de secrétaire. Elle est disposée à travailler dans un hôpital (personnel de cuisine). Elle accepterait de travailler dans un magasin.

Elle a présenté des demandes d’emploi auprès de Alberta Power, Credit Union, AGT et divers hôpitaux. Sa dernière demande a été faite à l’hôpital, il y à environ un mois et demi ou deux mois. Elle refuse de travailler pour moins de 5,00 $ par heure. Elle n’a refusé aucun emploi. Elle ne travaille pas à temps partiel et n’a aucun gain. Elle accepterait de travailler par quarts, mais pas le samedi. Elle est mariée, sans enfant. Elle dispose de son propre moyen de transport et est titulaire d’un permis de conduire..."

Je constate par ailleurs que, quelque temps après cette entrevue, M. Sladek a rédigé une note datée du 7 octobre 1983 selon laquelle la plaignante cherchait du travail dans un domaine où il faut pouvoir travailler le samedi, et que cela constituait une restriction à ses heures de disponibilité. Cette note a été versée au dossier Corlis, à Emploi et Immigration Canada.

Plus tard, soi le 10 octobre 1983, je constate que M. Sladek, qui est agent d’assurance à Emploi et Immigration Canada, a pris une décision à l’égard de la plaignante dans laquelle il est dit ce qui suit :

(traduction)

"... vous êtes disponible pour le travail et incapable de trouver un emploi convenable. Vous n’avez pas rempli ces conditions du fait que, après avoir été sans emploi pendant une période raisonnable, vous posez des conditions limitatives à votre acceptation d’un emploi adéquat, en faisant une restriction à propos des jours où vous êtes disposée à travailler. Le versement des prestations est suspendu tant que durera cette situation."

Je constate que, le 25 octobre 1983, la plaignante a déposé par écrit auprès de la Commission de l’emploi et de l’immigration un élément d’information éclairant; elle a précisé que la raison pour laquelle elle ne voulait pas travailler le samedi se fondait sur une croyance religieuse, à savoir qu’elle était adventiste du septième jour. Je constate aussi qu’à partir de ce jour la Commission de l’emploi et de l’immigration a su qu’elle refusait de travailler pour une raison religieuse.

D’autre part, je note que le 9 novembre 1983, M. Reynolds, agent d’assurance à Emploi et Immigration Canada, a maintenu la décision établie par M. Sladek, après avoir examiné les documents évoqués plus haut ainsi que la décision de M. Sladek elle- même.

Je note aussi que, le 14 novembre 1983, une conversation téléphonique s’est tenue entre un agent d’Emploi et Immigration Canada et soit la plaignante, soit son mari. Dans cet entretien, la Commission, c’est- à- dire la Commission de l’emploi et de l’immigration, a également été informée du fait que la plaignante cherchait du travail dans divers domaines et non pas en tant que vendeuse seulement.

Je constate que, le 18 novembre 1983, Mme O’Kane, agent d’assurance à Emploi et Immigration Canada, a cassé la décision antérieure par laquelle la Commission avait mis fin aux prestations, et a autorise une reprise des versements à partir du 11 novembre 1983.

Je constate que la plaignante a ensuite interjeté appel auprès du conseil arbitral de la Commission de l’emploi et de l’immigration. Une décision prise par ce conseil le 10 janvier 1984 a maintenu les décisions antérieures des fonctionnaires. Il ’y est entre autres choses dit ce qui suit :

(traduction)

"... le conseil souscrit unanimement à la décision de l’agent d’assurance, généralement pour les mêmes raisons. La plaignante reçoit maintenant des prestations depuis sept mois et est au chômage depuis près de dix mois. C’est là, sans conteste, une période suffisante pour trouver un emploi convenable. La deuxième raison est que les emplois exigeant de travailler le jour du sabbat sont plus nombreux que ceux qui ne l’exigent pas. C’est là une restriction à la disponibilité."

Je constate que, par la suite, un autre appel a été interjeté auprès d’un arbitre. Le juge Dubinsky, qui agissait comme arbitre dans cette affaire, a maintenu les décisions antérieures des parties de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada.

Je passe maintenant aux éléments de preuve qui ont été soumis au tribunal de vive voix. Je constate que la plaignante vit et cherche du travail dans la ville de Grande Prairie, dans la province de l’Alberta, dont la population est d’environ 22 000 personnes. La plaignante a été surprise et choquée d’apprendre que la Commission de l’emploi et de l’Immigration, du Canada mettait fin à ses prestations. Je note également que, en dépit des déclarations contenues dans les documents présentés par la Commission, dès le début de la période où la plaignante a demandé ces prestations jusqu’à aujourd’hui celle- ci n’a pas nécessairement restreint ses recherches aux emplois de vendeuse en magasin, mais qu’elle cherchait en fait dans divers autres domaines.

En ce qui concerne l’examen de M. Isnor et la note disant que la plaignante n’était pas disposée à travailler le samedi, je constate que M. Isnor et la plaignante ont tous deux fait erreur en ne mentionnant pas, dans les notes résumant l’entretien, que la plaignante n’était pas disposée à travailler le samedi, pour des raisons religieuses.

Je constate que le premier examen de M. Isnor, ses notes et sa décision de mettre fin aux prestations de chômage ne tiennent aucunement compte des congés religieux et que la question du congé religieux est apparue seulement lors de la révision par M. Reynolds de la première décision. Ce n’est qu’à partir de ce moment que cet aspect de la question a été connu de la Commission.

Je constate que la distance (aller seulement) entre Grande Prairie et Edmonton est de 471 kilomètres. Si la plaignante a droit à un remboursement de ses frais, ses dépenses doivent être calculées au tarif de 0,24 $ du kilomètre, selon accord entre les parties, soit 471 x 0,24 multiplié par deux, pour les frais de déplacement; elle a en outre droit 25 $ par personnes par jour, pour le séjour fait à Edmonton aux fins des audiences et de la préparation des audiences.

A ce sujet, je constate également qu’à chaque occasion, soit ceux fois, la plaignante et son mari se sont rendus à Edmonton et y sont restés deux jours. Je calcule que le montant payable devrait donc s’élever à 652,16 $.

Je passe maintenant au témoignage de M. Sladek, qui a été le premier fonctionnaire à décider de mettre fin aux prestations de la plaignante. Il travaille auprès d’Emploi et Immigration Canada depuis 22 ans. Je constate que la raison pour laquelle il a mis fin aux prestations de la plaignante est qu’elle cherchait un travail de vendeuse, lequel exige une disponibilité en fin de semaine et en dehors des heures normales, et qu’elle refusait de travailler le samedi, posant ainsi une condition restrictive qui l’empêchait de trouver du travail. Dans sa décision, M. Sladek a jugé important le fait que la plaignante en était à la phase finale de sa période d’admissibilité aux prestations d’assurance- chômage, puisqu’elle se trouvait sans emploi depuis un certain temps.

Quant à M. Reynolds, je constate qu’il a maintenu la décision de M. Sladek, estimant que la disponibilité d’une personne pour le travail, y compris le travail le samedi, était un élément de poids pour ce qui touche l’admissibilité aux prestations.

Pour ce qui concerne Mme O’Kane, je constate qu’elle a utilisé un résumé des principes applicables à l’admissibilité aux prestations, soit le manuel généralement utilisé par Emploi et Immigration Canada dans les cas comme celui dont ce tribunal est saisi. Ce manuel a été utilisé par elle, tout comme par les autres parties qui ont étudié la demande de la plaignante dans cette affaires.

Je suis frappé par le commentaire de Mme O’Kane selon lequel beaucoup des problèmes survenus dans ce dossier auraient pu être résolus par un simple appel téléphonique à la cliente. Je remarque également que Mme O’Kane soutient dans son témoignage que M. Corlis a eu un langage offensant au téléphone lorsqu’il a discuté des problèmes survenus après l’interruption des prestations d’assurance- chômage. Je note aussi que le témoignage de Mme Hill confirme ce fait. J’ai conscience que Mme Hill a du se fier largement aux commentaires de Mme O’Kane sur ce que M. Corlis avait dit au téléphone et sur ce qu’il n’avait pas dit, mais j’estime néanmoins que le témoignage de Mme Hill corrobore ce qui s’est passé entre M. Corlis, et Mme O’Kane au téléphone.

A propos du manuel dont j’ai parlé plus haut, j’estime que certaines parties de celui- ci devraient être incorporées dans ma décision. C’est pour, quoi je souhaite en citer le passage de la page 78, sous- alinéa 10.10.6 concernant les convictions religieuses. Il se lit comme suit :

"Il se peut que les convictions religieuses d’une personne l’empêchent de travailler certains jours de la semaine, notamment le vendredi soir, le samedi ou encore le dimanche. Il faut garder à l’esprit que les textes de loi exigent d’une personne qu’elle se rende d’abord disponible du lundi au vendredi. Suivant l’occupation exercée, il peut quand même arriver que le refus de travaille le vendredi soir ou les fins de semaines diminuent considérablement les possibilités d’obtenir du travail, par exemple en tant que préposé à la vente dans un magasin.

Malgré le bien- fondé des convictions qu’entretient une personnes on ne saurait évidemment parler de justification; le droit aux prestations est fondé sur la disponibilité plutôt que sur la justification de son indisponibilité. Il revient alors au prestataire de se rendre disponible dans des domaines où les possibilités d’emploi restent nombreuses. Si ses convictions sont profondes au point de l’empêcher de se plier à des exigences par ailleurs acceptables dans le monde du travail et si ses possibilités d’emploi s’en trouvent grandement réduites, on pourra faire appel à la notion de délai raisonnable qui lui permettra d’explorer ce qu’offre le marché du travail.

Pour ce qui est de toute fête religieuse tombant un jour de semaine, que le prestataire de dise disponible ou non, ce jour- là ne doit pas à lui seul faire l’objet d’une inadmissibilité si ce jour fait, par ailleurs, partie d’une période de disponibilité".

D’après ce texte, il m’apparaît que la Commission a pour politique d’accorder une certaine marge de tolérance lorsqu’une fête religieuse tombe un jour de semaine. D’autre part, malgré le fait que l’exemple choisi dans ce passage, à propos des problèmes que pose le travail en fin de semaine, et celui de vendeur en magasin, je crois que la politique de la Commission est, ou devrait être, de faire des aménagements pour les personnes dont les fêtes religieuses tombent en semaine ou en fin ce semaine, dans la mesure du possible.

Cette idée sera appuyée par les affaires auxquelles je m’apprête à faire référence.

Voici un autre pasage du manuel situé à la page 50 (alinéa 9.10.3) portant sur les convictions morales ou religieuses :

"A moins que leur authenticité puisse être mise en doute, les convictions religieuses d’un assuré peuvent justifier le refus d’une offre d’emploi. Il en a été décidé ainsi dans le cas d’une personne qui a refusé de travailler le jour du sabbat ou d’oeuvrer au sein d’une école confessionnelle".

D’après le contenu de ces passages, je conclus que la politique de la Commission au moment où ont été prises les décisions en cause ici n’étaient pas discriminatoires en ce qui concerne l’intention, et qu’elles n’étaient pas problématiques en ce qui concerne la politique elle- même.

J’aimerais maintenant passer à l’aspect juridique. Au cours de cette audience, de nombreuses affaires et de nombreuses lois ont été citées. J’aimerais ici me contenter d’énumérer les affaires prises en compte et citées, aux fins de la présente décision.

La Loi sur l’assurance- chômage de 1971, article 25, et le règlement pris aux termes de cette Loi tel qu’il se trouve, en version modifiée, dans le chapitre 1576 de la Codification des règlements du Canada ce 1978. Plus précisément, c’est l’article 45 qui a été mentionné. Bien entendu, la Loi canadienne sur les droits de la personne a aussi été citée; j’y reviendrai, dans un moment.

Les autres affaires évoquées et prises en compte sont : - CUB- 384. (20 septembre 1948); - Commission ontarienne des droits de l’homme et O’Malley c. Simpsons- Sears Ltée (1985) 2 R. C. S. 536; - Bhinder et la Commission canadienne des droits de la personne c. les Chemins de fer du Canadien national (1985) 2 R. C. S. 561; - Morrell c. CEIC (1985) 6 C. H. R. R. D/ 479; - Re Funk c. Manitoba Labour Board (1976) 66 D. L. R. (3d) 35; > - 7 Commission ontarienne des droits de l’homme et Dunlop c. The Borough of Etobicoke (1982) 3. C. H. R. R. D/ 781; Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink (1982) 2 R. C. S. 145; Regina c. Bushnell Communications Ltd. 4 O. R. (2d) 288 (cour d’appel) ; Regina c. Bushnell Communications Ltd. 1. O. R. (2d) 442 (Cour supérieure de justice); Sheehan c. Upper Lakes Shipping Ltd (1978) 1 C. F. 836; Newport c. Manitoba (1982) 2. W. W. R. 254; Winnipeg School Division No. 1 c. Craton 6 C. H. R. R. D/ 3014; Procureur général du Canada c. Von Findenigg (1983) 46 N. R. 549. Avant de passer à ces affaires qui constituent la jurisprudence, j’aimerais faire ici un certain nombre d’observations sur les preuves et les témoignages présentés.

Tout d’abord, je suis très impressionnée par la pièce C- 4, soit les notes de M. Isnor rédigées le 20 septembre 1983, où trouvent leur origine l’examen du dossier de la plaignante et l’interruption de ses prestations. Ce qui me frappe dans ces notes, c’est que M. Isnor y mentionne que la plaignante cherche du travail dans divers domaines, et non pas seulement en tant que vendeuse en magasin. Ce document et ces notes ont été pris en compte par chacun des fonctionnaires qui ont pris des décisions dans j’affaire de la plaignante. Pour une obscure raison, le fait qu’elle recherchait du travail autre que comme vendeuse a été totalement ignoré par ces autres décideurs.

A mon avis, le procureur de la Commission, c’est- à- dire de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, a eu raison en qualifiant d’erronées ces décisions subséquentes, puisqu’elles semblent avoir été prises sans égard au fait que Mme Corlis cherchait du travail autre que comme vendeuse en magasin. J’aimerais aussi souligner que, d’après la preuve, ces fonctionnaires ont fondé leurs décisions d’interrompre les prestations sur le fait que la portée des recherches de la plaignante était trop étroite. Pourtant, ils avaient devant eux la preuve que cette portée était plutôt large.

Je remarque également le fait qu’il y a eu interruption des communications entre la plaignante et la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada. Pour ce qui concerne les rapports entre les parties, je considère que la Commission est la plus responsable des deux du fait que la plaignante n’ait manifestement pas été aussi bien informée qu’elle aurait peut- être pu l’être, ainsi que pour cette interruption des communications en générale

Je sais combien de temps il faut, à qui que ce soit, pour mener une affaire jusqu’à une instance comme celle- ci et combien cela demande d’efforts que d’arriver au jour de l’audience. Je connais aussi les innombrables obstacles qui peuvent survenir entre le jour où une plainte est déposée, ou encore le jour où l’on soupçonne la naissance d’un problèmes et le jour où se tient l’audience. Dans un sens, la frustration que supposent les rapports avec l’administration publique peuvent être amplifiés par la lenteur du processus menant a une modification ou à une correction de décision, par le biais d’audiences comme celle- ci.

D’autre part, cependant, j’aimerais souligner la chance que nous avons de vivre dans un pays où les problèmes de discrimination concernent généralement les effets négatifs et les conséquences indirectes de celle- ci plutôt que la discrimination flagrante et ouverte, comme elle existe dans certains autres pays du monde. Nous sommes ici confrontés à une affaire qui se situe à la limite. S’il y a eu discrimination, elle à très certainement été non intentionnelle et n’a pu avoir des conséquences qu’indirectes sur la plaignante.

Pour ce qui touche la Commission de l’emploi et de l’immigration (lu Canada, comme je l’al déjà dit, je ne considère pas sa politique comme discriminatoire en elle- même. Je ne pense pas non plus que l’intention de la Commission dans cette affaire ait été d’exercer une discrimination. Je n’accepte pas l’argument de son procureur voulant que, pour qu’il y ait discrimination, il faut qu’il y ait connaissance préalable. A mon avis, dans presque tous les cas (ou du moins la plupart) de discrimination au Canada, la partie accusée ne se rend pas compte qu’elle établi une différence ayant des conséquences pour l’autre partie. La chose est généralement mise en lumière au cours de l’audience.

Dans le contexte de la société canadienne et eu égard au genre de dossiers dont sont saisis des tribunaux comme celui- ci, il y aurait une contradiction fondamentale si quelqu’un exercait une discrimination en toute connaissance de cause. Il est possible que la chose existe dans d’autres parties du monde. Dans certains pays, il se peut que des fonctionnaires de l’État exercent des discriminations au grand jour, en sachant ce qu’ils font. Toutefois, cela est rare au Canada, à mon avis.

J’estime que j’affaire Morrell constitue un précédent à l’appui d’une application de l’article 5 de là Loi canadienne sur les droits ce la personne dans le présent cas, à savoir que les prestations d’assurance- chômage constituent des services, au sens de ce texte de loi; j’aimerais, à ce propos, citer quelques passages de la Loi qui me paraissent concerner la présente discussion. Voici d’abord le paragraphe 3( 1) :

"Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion..."

A remarquer le terme religion.

Article 5

"Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public a) d’en priver, ou b) de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu pour un motif de distinction illicite".

L’article 14 se lit comme suit :

"Ne constituent pas des actes discriminatoires a) les refus,... ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées..."

Et le paragraphe 14( g), ... le fait qu’un fournisseur de biens, de services d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire.

Quant à ce qui suit, je le cite simplement pour nuancer l’application générale de l’article 14.

"41. (1) A l’issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu’il juge non fondée.

41. (2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, or donner selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire

a) de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment

(i) d’adopter les programmes, plans ou arrangements spéciaux visés au paragraphe 15( 1), ou

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l’article 15.1, ces mesures doivent être prises après consultation de la Commission sur leurs objectifs généraux;

b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; et

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d’autres biens, services, installations ou moyens d’nébergement, et des dépenses entraînées par l’acte. 41. (3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou

b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de 5 000 $."

Il est évident que cet article définit les pouvoirs dévolus au présent tribunal dans l’instruction de la plainte qui est devant lui.

Les affaires O’Malley et Bhinder traitent de la question de l’exigence professionnelle justifiée. D’après ce que je comprends, dans le dossier O’Malley, la Cour suprême du Canada à décidé que :

"Lorsqu’il y a eu discrimination indirecte, l’employeur se doit de prendre des mesures raisonnables pour compenser, sans toutefois bouleverser ind ment le fonctionnement de ses affaires. Il n’est pas question ici de justification, car la règle n’en n’a pris besoin si Il existe un lien logique avec l’emploi. Si la prise de mesures raisonnables ne permet pas de réaliser la fin désirée, le plaignant, à supposer qu’il refuse tout compromis, devra sacrifier soit ses principes religieux soit son emploi".

Le cas O’Malley, fait autorité en ce qui concerne le fardeau de prouver qu’il y a eu discrimination. Celui- ci revient d’abord au plaignant, qui doit établir qu’il semble y avoir eu discrimination.

"Il incombe ensuite à l’employeur de démontrer qu’il a pris toutes les mesures qu’il lui était possible de prendre pour, faciliter les choses à l’employé sans bouleverser ind ment ses affaires."

Il m’apparaît par ailleurs inutile de soutenir ici l’idée que l’intention n’entre pas en ligne de compte.

J’estime que l’affaire O’Malley constitue un précédent qui lie le présent tribunal, et j’ai l’intention de m’y tenir à propos de ce dont il sera question plus bas.

Je souligne en passant que l’affaire Bhinder traite également au même sujet, à savoir l’exigence professionnelle justifiée. Toutefois, dans cette cause, la Cour suprême du Canada a arrêté que le casque l’exigence voulant que les employés portent un casque sur leur lieu de travail - n’est pas une violation de la loi ni une pratique discriminatoire à l’égard de l’employé qui refuse de le porter parce qu’il est Sikh.

D’après ce que je comprends, le tribunal a alors arrêté que le port d’un casque constituait effectivement une exigence professionnelle justifiée, en l’espèce.

Revenons à notre affaires. On pourrait se demander si le fait d’être disponible le samedi constitue une exigence professionnelle justifiée pour les personnes qui souhaitent travailler comme vendeurs en magasin. A mon sens toutefois cette question demeure théorique, puisque je me vois obligé de constater d’après les éléments de preuve que la plaignante, dès le départ, cherchait aussi des emplois autres que vendeuse en magasin.

La plaignante a donc porté plainte plus tard à propos de ce queue estime être une pratique discriminatoire découlant d’une non- reconnaissance de son droit à respecter le sabbat. Lors de la présentation des plaidoyers, on a cité l’article 25 de la Loi sur l’assurance- chômage, que se lit comme suit :

"Un prestation n’est admissible aux prestations pour aucun jour ouvrable d’une période initiale de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était

a. soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable ce jour- là;

b. soit incapable de travailler ce jour- là par suite d’une maladie, blessures ou mise en quarantaine prévue par les règlements."

Le procureur a ensuite mentionné l’article 45 du règlement pris aux termes de la Loi, lequel stipule que :

"Aux fins de l’article 25 de la Loi, tout jour de la semaine, sauf le samedi et le dimanche, est un jour ouvrable".

Dans un des plaidoyers, il a été avancé que, puisque le règlement ne concerne pas les autres articles de la Loi, il doit être considéré comme ne visant que la période initiale de prestations, et que le délai accordé avant l’interruption des prestations d’assurance- chômage de la plaignante tenait effectivement compte de sa situation particulière et de ses convictions religieuses. J’ai de sérieuses réserves sur la valeur de cet argument.

En dernière analyse, je dois donc conclure qu’il y a eu discrimination indirecte causée par la décision de la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada de mettre fin aux prestations de la plaignante, même si cette discrimination n’a pas été intentionnelle. Il y a donc eu, selon moi, violation de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en l’espèce.

Je conclus que la plaignante a droit à la somme de 940 $, soit l’équivalent des prestations qui ont été illégalement retenues par la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada. Si la Commission avait pris la bonne décision, sans commettre, éventuellement, une erreur de fait i l’égard de la portée de la recherche de la plaignante, celle- ci aurait reçu ses prestations. Il me semble donc qu’il y a li une raison de plus pour que la Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada verse cette somme de 940 $.

Pour ce qui touche les dépenses, le procureur de la CEIC m’a convaincue que, si l’affaire Morrell fait autorité dans le présent cas, les dépenses réclamées ne sont pas remboursables. Singulièrement, c’est le paragraphe 2438 de cette affaire qui m’a convaincu.

"Le procureur de la Commission a également demandé remboursement des ’rémunérations perdues par le plaignant pendant la tenue de l’audience. L’alinéa 41( 2)( d) prévoit la possibilité d’adjuger les dépenses engagées par suite de la pratique discriminatoire. Toutefois, à mon avis, cette disposition vise les frais directement liés à la conduite discriminatoire et non pas les dépenses faites aux fins des procédures entreprises aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces dernières concernent plutôt les co ts, et aucune disposition de la Loi ne porte sur le recouvrement des co ts. En conséquence, je n’estime pas être habilité à octroyer les dépenses liées à l’audience. Je souligne par ailleurs qu’aucune preuve concernant les rémunérations perdues n’a été déposée devant moi, de sorte que, même si j’avais la compétence de les inclure dans mon arrêt, il me serait impossible d’en déterminer le montant."

D'autre part, normalement, j'aurais songé à accorder une certaine compensation à la plaignante pour le préjudice moral que lui a causé la décision de la CEIC. J'ai toutefois tenu compte du fait que le mari de la plaignante avait reconnu que, pour dire le moins, des discussions animées avaient eu lieu. D'après les dépositions d'autres témoins, le mari de la plaignante aurait utilisé des propos offensants. Je ne prétends pas, rejeter tout le témoignage du mari de la plaignante concernant ce qu'il a fait. Je ne pense pas non plus qu'il ait été in approprié pour lui de faire le maximum pour rectifier un tort qui avait été causé à sa femme. Toutefois, je reste convaincu que l'on peut rester poli même dans les circonstances les plus invraisemblables, et je serais porté à ne pas accorder de dommage pour préjudice moral, à cause de cette conduite particulière.

Pour ce qui touche l'ordonnance que je pourrais délivrer à l'intention de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, je tiens compte de ma constatation qu'aucune politique n'a été violée et qu'il y a eu effet discriminatoire marginal résultant d'une décision de la Commission. En conséquence, je n'émettrai aucune ordonnance concernant l'avenir, car j'estime que la présente affaire a donné à la Commission une leçon suffisante quant à la flexibilité quelle doit maintenir avec les personnes dont les fêtes religieuses tombent sur un jour autre que le jour normal, soit le dimanche.

L'un des dossiers les plus concluants qui m'ont été présentés est l'affaire CUB-384. J'y ai trouvé de nombreux arguments très persuasifs qui m'ont acheminé à la présente conclusion.

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