Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 2/90 Décision rendue le 12 février 1990

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S.R.C. 1985 CHAPITRE H-6

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

LOUISE COURTOIS

-et-

MARIE-JEANNE RAPHAEL

PLAIGNANTES

-et-

LE MINISTERE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN

INTIMÉ

TRIBUNAL : Me MAURICE BERNATCHEZ

DECISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU :

Anne Trotier Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Diane H. Soroka Pour les plaignantes

Benoît Pelletier Pour l'intimé

DATES ET LIEU DES AUDIENCES: Les 8, 9 et 10 mai 1989, les 24, 25 et 26 mai 1989 à Québec, le 15 juin 1989 et le 8 septembre 1989 à Montréal

CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le 2 novembre 1988 le Président du Tribunal des droits de la personne constituait le présent Tribunal en vertu du paragraphe 39 (1.1), devenu l'article 49.1 de la Loi Canadienne sur les droits de la personne, ( S.C. 1976-1977 chapitre' 33 et amendements, devenu le chapitre H-6 des Lois refondues de 1985 ), afin d'étudier la plainte de Mme Marie-Jeanne Raphaël, du 12 février 1987, ainsi que celles de Mme Louise Courtois l'une en date du 5 février 1987 et l'autre du 13 mai 1987 contre le ministère des affaires Indiennes et du Nord Canadien.

La jonction de ces plaintes est autorisée en vertu de l'ancien article 32 (4), lequel article est devenu l'article 40 (4) du chapitre H-6 des lois de 1985.

L'audition de ces plaintes débuta le 8 mai 1989 au Palais de Justice de Québec. L'acte de constitution du Tribunal fut déposé sur la Cote T-1. Dès l'ouverture de l'audition, le procureur de l'intimé, le Ministère des affaires Indiennes et du Nord Canadien a fait une objection préliminaire quant à la juridiction du présent Tribunal.

L'OBJECTION PRELIMINAIRE BASEE SUR L'ARTICLE 67 DE LA LOI

Cette objection préliminaire se base sur les dispositions de l'ancien article 63 (2) de la Loi Canadienne sur les droits de la personne, devenu l'article 67 du chapitre H-6, lequel se lit comme suit:

Article 67: "La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi."

La version anglaise de cet article se lit comme suit:

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"Nothing in this Act affects any provision of the Indian Act or any provision made under or pursuant to that Act"

Ce texte est clair. En effet, dans la mesure où les plaintes telles que déposées visent des gestes "discriminatoires" prohibés par la loi Canadienne des droits de la personne, cette loi n'a (ne s'applique pas) aucun effet pour des mesures, actes, gestes posés et autorisés par la loi sur les Indiens. De l'avis du soussigné, il ne s'agit pas seulement de déterminer, si les gestes et/ou actes dit "discriminatoires" reprochés à l'intimé originent de la loi sur les indiens, mais encore, il faut que ces gestes et/ou actes, qui autrement (en l'absence de l'article 67) seraient discriminatoires, aient été fait en conformité de la loi sur les Indiens, et non pas contrairement et en violation de cette loi.

L'objection préliminaire de l'intimé, quant à la juridiction du présent Tribunal, n'a été déposée et connue qu'au tout début de l'audition des plaintes soit le 8 mai 1989 et considérant qu'à cette date, tous les témoins des parties étaient présents, et que l'audition prévue était de trois ( 3 ) jours, le procureur de l'intimé a accepté, que le Tribunal procède à l'audition au fond des plaintes, sous réserve de son objection préliminaire.

Conséquemment, l'audition s'est déroulée les 8, 9 et 10 mai 1989 au Palais de Justice de Québec pour se continuer les 24, 25 et 26 mai 1989 au Palais de Justice de Québec, pour se transporter le 15 juin 1989 à Montréal et pour finalement se terminer à Montréal le 8 septembre 1989.

Avant donc de statuer du bien ou du non fondé des plaintes, il y a lieu maintenant et préalablement de décider de l'objection préliminaire de l'intimé.

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Au soutien de son objection préliminaire, le savant procureur du Ministère des Affaires Indiennes a déposé, autorités et jurisprudence, lesquelles visaient à convaincre le Tribunal que la portée et le "libellé" de l'article 67 constituaient en lui-même, une fin "de non recevoir" des plaintes de dames Marie-Jeanne Raphaël et de Louise Courtois.

Avec déférence, et après plus de huit ( 8 ) jours d'audition, je ne peux me convaincre que l'article 67 de la loi Canadienne des droits de la personne, et la conclusion, qu'en tire le procureur de l'intimé, quant l'absence de juridiction du présent Tribunal est aussi évidente, qu'il le prétend. D'ailleurs, le procureur de l'intimé l'a implicitement reconnu dans sa plaidoirie, lorsqu'il déclare aux pages 642, 643 des notes sténographiques ce qui suit:

"La question que je me posais au tout début de cette instance c'était la suivante. Tout d'un coup qu'on se rendrait compte en cours de route que les droite, les avantages, les privilèges que revendiquent les plaignantes ne découlent pas sur la loi sur les indiens. A ce moment là mon objection serait drôlement affaiblie. Mais tel n'a pas été le cas."...

Il m'apparaît important de rappeler que la Loi Canadienne sur les droits de la personne est une loi, qui a été reconnue par la Cour Suprême du Canada, comme un loi de nature "quasi-constitutionnelle". A cet effet on peut lire avec intérêt, l'affaire Robichaud -vs- Sa majesté La Reine ( 1987 ) 2 R.C.S., 84 et plus précisément à la page 90 où l'honorable Juge La Forest écrivait ce qui suit:

"Plus récemment encore, dans l'arrêt Compagnie des Chemins de Fer Nationaux de Canada -c.- Canada (Commission Canadienne des droits de la personne) (l'arrêt Action Travail des Femmes), (1987) 1 R.C.S., 1114, le Juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncée dans ladite loi, conformément à la loi

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d'interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets"

L'honorable Là Forêst continue à la page 92:

"Tout doute qui pourrait subsister à cet égard est complètement dissipé par la nature des redressements prévus pour donner effet aux principes et aux politiques énoncés dans la Loi. Cela est d'autant plus révélateur que la Loi, nous l'avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature "quasi-constitutionnelle" des droits protégés." ( les soulignés sont du Tribunal )

En raison de sa nature "quasi-constitutionnelle", et afin que la loi Canadienne des droits de la personne puisse conserver ses fins, et ses objets, il faut qu'elle soit "interprétée de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets." Conséquemment toute exception, quant à l'application de cette loi doit-être interprétée de façon restrictive. En d'autres termes, l'intimé le Ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien, ne peut sous le seul couvert-de l'article 67 de la loi Canadienne des droits de la personne, conclure à l'absence de juridiction du Tribunal, parce que l'intimé aurait agi en vertu de la Loi sur les Indiens. En effet, pour se prévaloir de l'article 67, il faut de l'opinion du soussigné, que les gestes, actes 'discriminatoires' et reprochés à l'intimé par les plaignantes, aient été fait en vertu de la loi des Indiens, et en conformité de cette même loi. Conséquemment, il m'apparaît évident, que l'objection préliminaire de l'intimé ne peut-être retenue; en effet, le Tribunal avant de se prononcer sur l'article 67, se devait de connaître les raisons d'être, et l'origine des actes et/ou gestes "discriminatoires" reprochés à l'intimé, et subséquemment, déterminer si ces gestes et actes l'ont été en

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conformité de la loi.

D'ailleurs le seul arrêt déposé par les parties concernant l'interprétation de l'article 63 (2) devenu l'article 67, soit la décision de la Cour d'appel fédérale dans Rose Desjarlais contre la Bande Indienne de la réserve numéro 75 de Piapot renforce ma conviction que l'objection préliminaire de l'intimé doit-être rejetée. En effet, tel qu'il en ressort de cet arrêt, il ne s'agit pas seulement et uniquement de déterminer s'il s'agit de gestes ou actes posés en vertu de la loi sur les Indiens, mais également de déterminer si ces gestes et actes ont été posés conformément à la loi. Or, il est évident que pour rendre une telle décision, le Tribunal se doit d'examiner les circonstances, dans lesquelles ont été posés les actes et/ou gestes dit discriminatoires, ainsi que le fondement de ces actes reprochés au Ministère des Affaires Indiennes.

Ceci donc dispose de l'objection préliminaire du procureur de l'intimé quant à la juridiction du Tribunal basé sur les dispositions de l'article 67 de la loi Canadienne des droits de la personne.

Suite au débat de cette objection préliminaire, l'audition a débutée par un exposé sommaire de la loi sur les Indiens par le procureur des plaignantes, et suivi des commentaires du procureur du Ministère des Affaires Indiennes sur cette même loi. Par la suite, débuta l'audition proprement dite des plaintes devant être examinées par le Tribunal.

Tout d'abord, fut déposé sous les cotes HRC 1 et sous HRC 2, les deux plaintes déposées par Mme Louise Courtois. La plainte déposée sous la cote HRC 1 se lit comme suit:

"Le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien discrimine contre moi et ma fille mineure, Julie Girard, en ne prévoyant pas le financement scolaire sur la Réserve pour les enfants des Indiennes, membres de la

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Bande, qui avant le 17 avril 1985 ont épousé des non-membres de la Bande, et ce, en contravention de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. or, le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien finance les frais scolaires sur la Réserve pour les enfants des hommes, membres de la Bande, qui ont épousé des non-membres avant le 17 avril 1985 d'où ma plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial."

La plainte déposée sous la cote HRC 2 se lit comme suit:

"Le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien discrimine contre moi et ma fille mineure, Julie Girard, en ne prévoyant pas le financement scolaire sur la Réserve pour les enfants des Indiennes, membres de la Bande, qui avant le 17 avril 1985 ont épousé des non-membres de la Bande, et ce, en contravention de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai fait parvenir une lettre au Ministre des Affaires Indiennes et du Nord Canadien le 3 septembre 1986 sans obtenir de résultats concrets. Or, le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien finance les frais scolaires sur la Réserve pour les enfants des hommes, membres de la Bande, qui ont épousé des non-membres avant le 17 avril 1985 d'où ma plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial."

Par la suite, ces deux plaintes ont été l'objet d'une demande d'amendement par le procureur de la commission, lequel amendement fut de consentement avec le procureur de l'intimé autorisé, de tel sorte, que le début de ces deux plaintes doivent se lire de la façon suivante:

"Le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien discrimine contre moi et ma fille Julie Girard, en lui refusant l'accès à l'école de Pointe-Bleu"... (quant au reste des deux plaintes, le texte demeurant le même.)

Quant à la plainte de Mme Marie-Jeanne Raphaël, qui fut déposée sous la cote HRC 23, elle se lit de la façon suivante:

"Le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien

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discrimine contre moi et mes enfants mineurs, Lucie, Nancy, Roland, Stéphane, Stéphanie et Candide Gagnon en refusant de payer pour leurs livres d'école et leurs repas du midi à l'école en vertu de mon sexe et de mon état matrimonial, et ce, en contravention de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droite de la personne. Ce refus du ministère me fut spécifiquement signifié verbalement par téléphone à Madame Louise Philippe, Vice-présidente de l'Association des Montagnaises du Lac Saint-Jean le 17 novembre 1986. J'avais demandé à Madame Philippe de me représenter dans mes discussions avec le ministère parce que je comprend moins bien le français que le Montagnais. Après que Madame Philippe eut expliqué au représentant du ministère Monsieur Ghislain Truchon que j'ai été forcée par le Conseil de Bande de quitter mon logement sur la Réserve, et ce, en vertu de mon sexe et de mon état matrimonial contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne, celui-ci a répondu que le ministère ne pouvait me donner l'argent dont j'aurais eu droit si je serais demeurée sur la Réserve. Je crois que ce refus du ministère est basé sur le fait que je me suis mariée avant le 17 avril 1985 avec une personne qui n'était pas membre de ma Bande. Or, les hommes, membre de la Bande qui avant le 17 avril 1985 ont marié des non-membres ne se font pas forcer par le Conseil de Bande de quitter leurs logements sur le Réserve et ont ainsi droit de recevoir l'argent qui m'est refusée par le ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien; considérant que mon statut d'Indienne vivant hors Réserve est fondé sur mon éviction illégale et contestée justement sur la base de discrimination fondée sur mon sexe et sur mon état matrimonial et, considérant que la Loi sur les Indiens n'a pas de provision particulière permettant au ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien en connaissance de cause de me considérer et de me traiter comme une Indienne vivant hors Réserve d'où ma plainte de discrimination fondée sur le sexe et l'état matrimonial."

Cette plainte fut également l'objet d'une demande d'amendement laquelle fut cependant contestée par le procureur de l'intimé le Ministère des Affaires Indiennes. Le Tribunal a cependant fait droit à cette demande d'amendement, étant d'opinion que l'amendement sollicité ne modifiait pas substantiellement le texte de la plainte; et que de toute façon, l'amendement était implicitement inclue dans le texte de la plainte de sorte que,

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cette demande d'amendement ne prenait d'aucune façon par surprise l'intimé. Conséquemment, suite à cette demande d'amendement qui fut autorisée la plainte de Mme Marie-Jeanne Raphaël déposée sous la cote HRC 23 doit se lire maintenant comme suit:

"Le ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien discrimine contre moi et mes enfants mineurs Lucie, Nancy, Roland, Stéphane et Candide Gagnon en leur refusant l'accès à l'école de Pointe Bleu et" ...(quant au reste de la plainte, le texte demeurant le même).

LA PREUVE

a) LES PLAINTES DE LOUISE COURTOIS

De l'ensemble du témoignage de Mme Louise Courtois, il ressort, qu'elle est née sur la Réserve de Pointe Bleu, de parents Indiens et qu'elle y réside toujours, y travaillant depuis plus de quatorze ans. Elle s'est mariée à une non-indien en 1979, mais a continué à vivre sur la Réserve. De son mariage deux enfants sont issus, soit Julie Girard née en 1980 et un autre enfant né en 1983.

Les faits qui ont engendrés au dépôt de ces plainte ( pièces HRC 1 et HRC 2) sont et peuvent se résumer comme suit. Mme Courtois a fait des démarches au cours du printemps 1985, afin d'inscrire sa petite fille Julie à la pré-maternelle de la Réserve, soit l'école Amishk pour l'année scolaire 1985-1986. La pièce HRC 3 daté du 24 avril 1985, dresse une liste des élèves de pré-maternelle pour l'année 1985-1986. Le nom de Julie Girard, fille de la plaignante y apparaît, sauf contrairement à la majorité des autres enfants y apparaissant, il n'y a pas de numéro de Bande, indiqué au côté du nom de Julie Girard. Mme Courtois a témoigné, qu'au cours d'avril 1985 elle a fait des démarches, pour s'assurer de l'inscription de sa fille Julie pour l'année scolaire 1985-1986 à l'école de la Bande se trouvant sur la Réserve. Bien plus, elle

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a participé au cours du mois de mai 1985 à des séances d'information adressées aux parents d'élèves de pré-maternelle pour l'année scolaire 1985-1986, et notamment, à des séances d'information quant au programme d"amérindienisation". Julie Girard ainsi que sa mère Louise Courtois ont rencontré au mois de mai 1985 la "jardinière" de la classe pour les enfants apparaissant à la liste des élèves (pièce HRC 3). A compter de cette période, selon le témoignage de Mme Courtois, sa fille et elle, étaient tous deux convaincues et assurées que Julie Girard ferait son entrée à l'école Amisk à l'automne-1985.

La rentrée scolaire de 1985 fut retardée en octobre pour des raisons de travaux d'agrandissement de l'école de la Réserve. Le 13 septembre 1985, le couple Girard recevait de l'école Amishk (pièce HRC 4 une lettre indiquant que la petite Julie Girard n'était pas admissible à l'école Amishk "en vertu d'un statu quo imposé par le conseil". A compter de cette date, la plaignante Louise Courtois a fait d'innombrables démarches pour faire changer cette décision du conseil, de façon, à ce que sa fille Julie Girard puisse avoir accès à l'école de la Bande. En effet, la preuve révèle, qu'elle fit adresser et adressa elle-même des lettres à toute personne susceptible de lui apporter de l'aide dans ses démarches. Elle écrivit, au Ministre des affaires indiennes, notamment par ses lettres, pièce HRC 5, HRC 6 et HRC 9, l'informant de sa situation, et demandant que sa fille Julie, soit admise à l'école de la Bande. Malgré ses démarches, la petite Julie Girard ne put avoir accès à l'école de la Bande au cours de l'année 1985- 1986.

La plaignante, dès le mois de février 1986, réitérait ( pièce HRC 13 ) au conseil de la Bande de Pointe-Bleue qui administrait l'école Amishk, sa demande d'admission à l'école pour sa fille Julie pour l'année scolaire 1986-1987. Dès le 24 février 1986 le conseil des montagnais du Lac Saint-Jean, par son directeur de l'éducation,

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avisait Mme Courtois du refus d'admission de Julie pour l'année scolaire 1986-1987 en raison du moratoire adopté par le Conseil de Bande de Pointe-Bleue (pièce HRC 14).

Dès le 25 février 1986, la plaignante s'adressait à nouveau au Ministre des affaires indiennes l'intimé, (pièce HRC 15), pour se plaindre de ce second refus d'admission à l'école de la Bande, refus qu'elle considérait discriminatoire.

A tout événement, malgré toutes ses démarches la petite Julie Girard n'a pu fréquenter l'école Amisk pour l'année scolaire 1986-1987. Enfin, la preuve a révélé, que depuis septembre 1987 Julie Girard fréquente l'école de la Bande, l'école Amishk ( pièce HRC 21 ).

b) LA PLAINTE DE MADAME MARIE-JEANNE Raphaël

Selon son témoignage, Mme Raphaël est née d'une famille indienne, et a vécu toute son enfance sur la Réserve. Elle a quitté! la Réserve quelque années, après s'être mariée à un non-indien, pour y revenir par la suite à différentes occasions. Il ressort dit la preuve, que Mme Raphaël n'était pas résidente sur la Réserve de Pointe-Bleue entre 1982 et 1986. D'autre part, en août 1986 suivant son témoignage, elle aurait été invitée à venir s'installer dans la résidence de son fils Jean-Marc Raphaël, enfant qu'elle avait eu alors qu'elle était célibataire et avant son mariage à un non-indien. En août 1986 donc, Mme Raphaël s'installait avec ses autres enfants (qu'elle avait eu de son mariage avec un certain monsieur Gagnon) à la résidence de son fils Jean-Marc durant la période, où ce dernier quittait la Réserve pour une période d'un mois pour effectuer la trappe. Toujours suivant le témoignage de Mme Raphaël, elle a tenté en août 1986 d'inscrire ses enfants à l'école de la Réserve, ce à quoi, elle aurait essuyé un refus systématique du directeur de l'école, sous prétexte que les enfants

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"blancs" n'avaient pas le droit à la scolarité sur la Réserve. Au début de septembre 1986, Madame Raphaël a voulu effectuer le paiement du loyer du logement qu'elle occupait (celui de son fils) à un fonctionnaire du conseil de bande (Mme Danielle Paul); qui aurait refusé la remise du loyer, sous prétexte que les non-indiens n'avaient pas le droit de demeurer dans une "maison indienne" de sorte, qu'elle fut selon sa prétention évincée de la Réserve. Mme Raphaël a donc quitté la Réserve, et inscrit ses enfants à l'école de St-Félicien et de Roberval. En raison de ses revenus insuffisants, Mme Raphaël par l'intermédiaire de Mme Louise Philippe, (puisqu'elle avait de la difficulté à parler une autre langue que le montagnais) a demandé au Ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien au cours du mois de novembre 1986, de lui octroyer une aide financière, afin de lui permettre d'acheter les livres et fournitures scolaires nécessaires à ses enfants. Selon Mme Raphaël, cette demande essuya un refus de la part du Ministère des affaires Indiennes, l'intimé, d'où, elle déposa par la suite la plainte déposée sous la cote HRC 23.

Fut entendu également pour la commission canadienne des droits de la personne, Mme Louise Philippe. Au moment de l'audition, Mme Philippe était présidente de l'association des montagnaises du Lac Saint-Jean, et ayant été au préalable pendant trois ans, sa vice-présidente. Mme Philippe, est elle-même une indienne, née de parents indiens, mais mariée à un non-indien avant le 17 avril 1985. Mme Philippe est également ce témoin, qui tout en étant mariée un non-indien, a conservé, son numéro de Bande, contrairement à l'ensemble de toutes les autres femmes indiennes mariées à des non-indiens. Mme Philippe a été en quelque sorte l'intermédiaire et l'interprète de Mme Marie-Jeanne Raphaël en novembre 1986 pour demander au Ministère, l'intimé, que celui-ci acquitte les frais pour les livres et fournitures scolaires des enfants de Mme Marie-Jeanne Raphaël. De son témoignage, il ressort que Mme Philippe, s'est impliquée grandement au sein de

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l'association des montagnaises du Lac Saint-Jean dont la mission, est de venir en aide aux femmes montagnaises et notamment pour les revendications des femmes "réinscrites" depuis 1985. (A cet effet, on peut lire les pages 192 et suivantes des notes sténographiques). Mme Philippe, a contribué en 1987 à une étude sur la population étudiante de Mashteuiatah, étude qui fut déposés sous la cote HRC 26. Cette pièce est une étude sur la population étudiante de Mashteuiatsh en 1986. Cette étude fait état, du grand nombre "de catégorie" d'élèves fréquentant l'école de la Réserve. En effet, de cette étude il appert que les élèves qui fréquentaient l'école Mashteuiatsh en 1986, étaient issus de différents milieux familiaux. Le témoignage de Mme Philippe a porté beaucoup sur ce document pièce HRC 26. Il fut produit également lors de son témoignage, de nombreuses lettres entre l'Association des montagnaises du Lac Saint-Jean et les différents Ministres des affaires indiennes, entre autre, l'honorable Crombie et l'honorable Bill McNight. Tel qu'il appert de ces pièces (HRC 27 à HRC 34), ces lettres avaient plusieurs objets, et on y parle des nombreux problèmes de discrimination dont sont victimes les femmes "réinscrites", et dont celle de Mme Courtois pièce HRC 31. Mais ces lettres traitent également de d'autres problèmes et notamment le droit pour les femmes réinscrites quant à leur le droit de vote sur les affaires de Bande ou les règles d'appartenance (pièce HRC 27) ou encore tous les services devant-être fournis aux femmes "réinscrites' et qui sont de la responsabilité administrative du conseil de Bande. Ces problèmes ou plutôt ces discriminations à l'égard des femmes "réinscrites' proviendraient, selon l'association des montagnaises du Lac Saint-Jean, de l'application par le conseil de bande des dispositions de chapitre 27 des lois de 1985, soit la loi sur les Indiens. Il est vrai qu'une des lettres du Ministre des affaires indiennes (pièce HRC 32) contenait quelques erreurs, mais des mises au point et des corrections y ont été apportées par la suite par le même ministre (pièce HRC 34 ). De toute cette preuve documentaire, il ressort que l'Association

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des montagnaises du Lac Saint-Jean, ainsi que l'une des plaignante Mme Louise Courtois, se sont plaintes auprès du Ministre des affaires indiennes de discrimination par la suite de l'application par le conseil de Bande de certaines dispositions de la loi sur les indiens. Discrimination, qui aurait comme origine un 'moratoire' décrété par le conseil de Bande en vertu de la loi des indiens et de l'article 11 paragraphe 2 de cette même loi. En d'autre termes, le conseil de Bande de Pointe-Bleue se prévalant de la loi sur les indiens, et des dispositions de l'article 11.2 de la loi a décrété le 28 juin 1985 (selon pièce HRC 27), un moratoire, lequel a eu pour effet, de suspendre l'octroi de tous les services, pendant deux ans, aux femmes "réinscrites" et cela dans tous les domaines qui sont sous la responsabilité administrative du Conseil de Bande (pièce HRC 27).

Comme dernier témoin appelé par la Commission canadienne des droits de la personne, fut entendu M. Florent Cadote, qui est un enquêteur de la commission canadienne des droits de la personne. Ce témoin, est venu informé le Tribunal que le Ministère des affaires indiennes, fut avisé par courrier recommandé le 2 mars 1987, de la plainte logée par Mme Raphaël, et fut également avisé par courrier recommandé en date du 29 juin 1987 de l'existence de la plainte de Mme Courtois. Fut produit, sous réserve de l'objection du procureur de la commission, le rapport de M. Cadote, objection, basée sur le fait, que les rapports d'enquête n'étaient pas en général produit devant le Tribunal; ne s'agissant que de l'opinion d'un inspecteur basé sur des faits, que le Tribunal lui-même, avait à étudier pour rendre une décision. En somme, selon le procureur de la Commission, le Tribunal n'a pas à siéger en révision de la décision de la commission canadienne des droits de la personne de porter une plainte. Conscient de cet argument, le Tribunal se doit de rejeter cette objection dans la présente affaire. En effet, c'est le procureur de la Commission, qui a introduit ce témoin, pour lui faire dire en quoi avait consisté ses

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démarches dans les plaintes de Mme Raphaël et Mme Courtois. Ce témoin nia pas été entendu comme un témoin des faits engendrés et originant des plaintes, mais uniquement des faits qui lui ont été révélés par suite de son enquête, d'où l'opinion qu'il peut lui-même s'être formé ne représente certainement pas une étude exhaustive de tous les faits originants de ces plaintes.

Pourquoi s'objecter à la production du rapport de ce même témoin, alors que la Commission par ce témoin, a tenté de faire la preuve que le Ministère, des affaires Indiennes, l'intimé, par l'un de ses préposés ( M. Chamberland ), lui avait fait part de son interprétation du mot "résidence" contenu à l'article 4.3 de la loi sur les indiens, ainsi que l'interprétation d'un autre préposé du ministère, un nommé James Allen quant à la signification et l'interprétation du mot "statut administratif"? Par ce témoin, la Commission tente de démontrer que l'intimé, avait une définition ou interprétation toute "particulière" de certaines dispositions de la loi sur les indiens. Pourquoi alors, l'intimé voulait-il une fois cette preuve faite devant le Tribunal, faire produire le rapport de Florent Cadote? Si, ce n'est justement, que malgré cette "interprétation" de certains des préposés de l'intimé le rapport de Florent Cadote concluait au rejet de la plainte. En d'autres termes, je ne vois pas pourquoi, l'on pourrait se servir d'un témoin que dans ses seuls buts et/ou objectifs, mais, s'objecter au dépôt de son rapport d'enquête. De l'avis du soussigné, la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, de porter les plaintes de Mme Raphaël et Courtois, contre l'intimé est le résultat de plusieurs éléments constituant son dossier, et le rapport de M. Florent Cadote, n'est qu'un de ces éléments.

La production des pièces R-2 et R-3, est donc autorisée. Ceci étant dit, les conclusions de ces deux rapports de M. Florent Cadote, de l'avis du soussigné, ne reflètent que son opinion

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personnelle, et ne constitue qu'un des éléments du dossier de la Commission canadienne des droits de la personne, d'où comme je l'ai souligné lors de l'audition, la pertinence de la production de ces rapports m'apparaît douteuse.

Suite à l'audition du témoin Florent Cadote, la commission canadienne des droits de la personne déclara sa preuve close.

Fut ensuite entendu pour les plaignantes Mme Michelle Rouleau, présidente de l'Association des femmes autochtones du Québec, dont les objectifs principaux sont l'amélioration des conditions de vie des femmes autochtones et de leur famille, ainsi que la défense des droits des femmes autochtones. Mme Rouleau, ainsi que l'association qu'elle représente, fut appelée à intervenir dans les plaintes en cause, à la demande des plaignantes elles-même, ainsi qu'à la demande de l'association des montagnaises du Lac Saint-Jean. Mme Rouleau, a déclaré que son association, étant une association sans but lucratif, et ne fonctionnant que grâce à des subventions, tenta, afin de venir en aide financièrement à l'association des femmes montagnaises de Lac Saint-Jean, d'obtenir des argents du Ministère des affaires Indiennes; qui refusa sous prétexte que, que cette aide financière n'était disponible que lors d'une deuxième instance (témoignage de Mme Rouleau p.354). A tout événement, à même ses fonds généraux l'Association selon le témoignage de Mme Rouleau a acquitté certains compte d'honoraires provenant des procureurs des plaignantes et notamment la pièce C-3 fut produit à cet effet.

Mme Rouleau fut le seul témoin entendu de la part des plaignantes. Par la suite, en défense, l'intimé, le Ministère des affaires indiennes et du Nord canadien fit entendre trois témoins, tout d'abord, fut entendu de nouveau Mme Louise Philippe. Par la suite, fut entendu M. Denis Gill. Lors de l'audition, M. Denis Gill était le directeur général du conseil Attikamek montagnais. M. Gill, est

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un indien originaire de Pointe-Bleue. Durant les années 1980 à 1987, il a agi comme directeur de l'éducation pour le conseil de Bande des montagnais de Pointe-Bleue. Soit dit en passant, M. Denis Gill est également le cousin de l'une des plaignante Mme Louise Courtois. M. Gill a révélé que son employeur durant la période de 1980-1987 était le conseil des montagnais du Lac Saint-Jean, de qui il recevait son chèque de paye. M. Gill a expliqué qu'entre 1973 et 1980, il avait travaillé pour le Ministère des affaires indiennes à Pointe-Bleue. A compter de l'année 1980, et suite au désir d'autonomie développé par les communautés indiennes, le conseil de Bande des montagnais du Lac Saint-Jean, a réalisé ce désir, par la prise en charge de l'éducation, qui était la réalisation d'un document intitulé "La maîtrise Indienne de l'éducation Indienne". (page 387 des notes sténographiques) M. Gill a expliqué que le Ministère des affaires indiennes transférait au conseil des montagnais, les fonds nécessaires afin de leur permettre d'assumer la gestion de l'école. Selon M. Gill, (page 389 des notes sténographiques) depuis 1980, il n'existe plus à Pointe-Bleue d'école "fédérale", relevant des affaires indiennes, au contraire cette prise en charge de l'éducation à donner naissance à l'école de "Bande" qui elle, est sous l'autorité du conseil de Bande. Immédiatement, il y a lieu de souligner le passage suivant de témoignage de M. Gill à la page 388 des notes sténographiques et je cite:

"Maintenant je pourrais peut-être élaboré un peu plus dans le sens que quant on parle de prise en charge, il faut comprendre que la prise en charge de l'éducation, évidemment quant il s'agit de parler de programme à l'intérieur de l'école on essaie de se donner des programmes et on a la latitude de se donner des programmes qui vont être en fonction des besoins de notre communauté, sauf qu'il faut comprendre aussi que quant on parle de prise en charge au niveau de l'éducation ce qu'on avait qu'en même des règles à suivre, à savoir que les Affaires Indiennes nous imposent, c'est-à-dire signent une entente avec nous dans laquelle ils conviennent de nous remettre des sommes correspondant au nombre d'étudiants qu'on a dans chacun des niveaux et

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correspondant aussi au service qu'on est en droit de donner à ces jeunes dépendant du niveau où ils sont." (les soulignés sont du Tribunal)

M. Gill a témoigné également, que seul le conseil de Bande avait l'entière responsabilité et la seule autorité pour décider de la sélection des enfants devant fréquenter l'école dite de "Bande". A noter également le passage suivant du témoignage de M. Gill à la page 391 et 392:

" Il était très clair à mon avis que cette autorité-là appartenait au conseil de Bande. Maintenant il faut comprendre aussi que dans l'entente que le ministère signait avec le conseil de Bande, c'est qu'il y avait un certain engagement. Je veux dire le Ministère a dit on vous remet tel et tel fond mais par contre évidemment le conseil de Bande prend l'engagement lui de donner le service aux étudiants Indiens dans la communauté... il demande à la Bande d'administrer ces fonds-là pour une clientèle très précise. Cette clientèle-là en principe c'est la clientèle étudiante Indienne de Pointe-Bleue." (les soulignés sont du Tribunal)

M. Gill fut également appelé à donner sa version et/ou ses commentaires relativement à la confection de la pièce HRC 26.

Relativement à cette pièce HRC 26, il est à souligner immédiatement, qu'elle a été préparée en relation et en fonction de plusieurs plaintes déposées par plusieurs plaignantes et visant non seulement le Ministère des Affaires Indiennes l'intimé mais également le conseil des montagnais du Lac-St-Jean. Il faut se rappeler que le présent Tribunal a été constitué uniquement pour entendre les plaintes de Mme Louise Courtois et de Mme Marie-Jeanne Raphaël. Ceci étant dit, je dois me satisfaire de la preuve versée concernant précisément ces plaintes. La présente décision ne peut et ne doit servir de base et d'appui pour les autres plaintes actuellement pendantes devant la Commission canadienne des droits de la personne, si plaintes il y a. Je ne partage pas l'opinion du procureur de la Commission, à l'effet, que les plaintes

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actuelles, doivent-être étudiées dans une perspective générale de "discrimination", qui prévalait sur la Réserve de Pointe Bleue, par suite de l'application de la loi C-31. Car ce faisant, de l'opinion du soussigné, une telle perspective ouvrirait la porte à une multitude de plaintes.

En effet, je ne peux partager cette perspective "générale" proposée par le procureur de la Commission aux pages 1202 et 1203 des notes sténographiques et je cite:

"Je comprends, mais moi je vous dis qu'il faut mettre ça dans une perspective un peu plus générale. C'est sûr que Mme Raphaël elle ne peut pas se plaindre avant d'avoir été refusée, ça c'est bien certain là, M. Chamberland c'est sûr qu'il ne pouvait pas être au courant. Cependant on connaît le portrait" ...

et plus loin à la page 1203, elle continue:

"c'est-à-dire que quand Mme Philippe téléphone au mois de novembre, le ministère depuis un an, grosso modo, en reculant là de novembre 1986 en arrière, connaît la situation des femmes sur la Réserve de Pointe-Bleue.".... (les soulignés sont du Tribunal)

En d'autres termes, il ne suffit pas de prétendre qu'il existe une situation générale d'une supposée "discrimination" pour conclure qu'il y a effectivement discrimination dans chacune des plaintes et cela sans qu'une preuve "minimale" soit fournie.

M. Gill a expliqué, qu'antérieurement à la mise en vigueur de la loi C-31 (C-27 des lois de 1985) soit dans les faits, avant le 28 juin 1985, le conseil de Bande des Montagnais du Lac Saint-Jean, acceptait à son école dite de "Bande" des enfants provenant de différents milieux, indépendamment de leur statut d'indien ou non; d'où il explique l'existence et la présence d'enfants non-indien à l'école de la Réserve avant 1985. A compter de juin 1985 le conseil de Bande des Montagnais du Lac Saint-Jean, a adopté selon le témoin Gill ce qu'il qualifie du moratoire, la décision du

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Conseil de Bande d'interdire l'accès à l'école de "Bande" à compter de septembre 1985 toute nouvelle admission d'enfant n'ayant pas de "numéro" de bande. Cependant pour ceux, ayant débutés leurs études avant 1985, ils pouvaient continuer à fréquenter cette école malgré le fait qu'ils étaient soit des non-indiens ou encore n'avait pas de numéro de bande et cela sous le prétexte des droits acquis. M. Gill fut également appelé à commenter les pièces HRC 4 et HRC 14 adressée à Mme Courtois, l'avisant qu'en raison du moratoire, sa fille Julie Girard ne pouvait-être admise à l'école Amishk pour l'année 1985-1986 ainsi que pour l'année scolaire 1986-1987. M. Gill a expliqué que ces décisions provenaient uniquement du moratoire décrété et imposé par le conseil de Bande. Que lui, en tant qu'employé de cette même Bande, il se devait de faire respecter ce moratoire, lequel visait à exclure l'admission d'enfants, qui n'avaient pas à ce moment là, leur appartenance à la Bande de Pointe-Bleue, et cela sans égard à leur statut d'Indien ou de non-Indiens.

M. Gill a également relaté durant son témoignage, les différents incidents qui ont entourés la mise en application du moratoire décrété par le conseil de Bande. On peut penser au cas de Mme Cleary, qui avait trois enfants, dont un, était admissible à l'école de la Bande, alors que ses jumeaux se sont vue refusés l'accès à la même école. (page 406 des notes aténographiques) M. Gill a donné d'autres exemples, où la mise en oeuvre du moratoire imposé par le conseil de Bande, a eu comme conséquence de provoquer de nombreux déchirements dans les familles se trouvant sur la réserve de Pointe-Bleue.

Interrogé par le procureur de l'intimé quant à savoir si, le Ministère des affaires indiennes avait pu intervenir pour forcer le conseil de Bande à accepter les étudiants Indiens se trouvant sur la Réserve, mais n'ayant pas de numéro de Bande, M. Gill déclare à la page 415 des notes:

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"C'est une bonne question. Si je vous disais honnêtement, de façon très générale les Affaires Indiennes évitent dans la mesure du possible de faire de l'ingérence dans les communautés, surtout une communauté qui a pris en charge... dans le cas précis dont on parle évidemment il y avait une reconnaissance de ces enfants-là ou de ces femmes autochtones-là que la loi C-31 leur donnait un statut, ce que le conseil de Bande ne reconnaissait pas à cause de son moratoire. Alors évidemment on était dans une situation où le Ministère avait un certain engagement à remplir vis-à-vis de la loi, ce que le conseil de Bande refusait lui de faire étant donné qu'il ne reconnaissait pas la Loi tant et aussi longtemps qu'il n'aurait pas bâti son Code d'appartenance. Alors évidemment que le Ministère avait la responsabilité de donner le service à ces enfants-là, aux femmes autochtones qui n'avaient pas une reconnaissance officielle dans la Bande mais avaient une reconnaissance officiel en tant qu'Indiennes." (les soulignés sont du Tribunal)

M. Gill a déclaré, que bien qu'il était personnellement contre le moratoire décrété par le conseil de Bande, il se devait en tant qu'employé de la Bande de le faire respecter. Dans le cas des femmes "restatuées" par la loi C-31, et dont, les enfants se voyaient refuser l'accès à l'école de la Bande, M. Gill a témoigné, qu'il encourageait ces femmes à faire des démarches auprès du Ministère. Notamment, il se souvient d'avoir conseillé Mme Courtois, de s'adresser aux Ministère des affaires Indiennes. D'autre part, M. Gill a révélé que le conseil de Bande avait tenté en vain, de faire ratifier par l'ensemble de le communauté montagnaise de la Réserve de Pointe-Bleue, avant la fin de juin 1987, son code d'appartenance; lequel code d'appartenance, faisait en sorte, que les femmes "restatuées" par la loi C-27, ainsi que leurs enfants, étaient exclus comme membre de la Bande. Fut également produit lors du témoignage de M. Gill, les pièces HRC 38 à HRC 42, qui sont les ententes de contribution intervenues entre le Ministère des Affaires Indiennes, l'intimé et le conseil de Bande de conseil des montagnais du Lac Saint-Jean. Il est fort

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intéressant de lire les passages suivants du témoignage de M. Gill (page 439 des notes sténographiques):

Q: Est-ce que le ministère a un droit de regard ou d'approbation sur le contenu scolaire le contenu de la programmation scolaire?

R: C'est une bonne question parce que je vais vous dire honnêtement nous on a Jamais agi comme si le Ministère avait le droit. Je ne sais pas s'il l'avait effectivement. A ma connaissance, évidemment comme je le disais ce matin, quant on signait une entente avec les Affaires Indiennes on prenait en quelque sorte l'engagement de donner aux enfants la formation qu'ils devaient recevoir. Maintenant est-ce que ...

Q: Et vous prenez cet engagement là auprès de qui?

R: Bien, on prend l'engagement auprès des Affaires Indiennes parce que c'est avec eux qu'on signe l'entente et eux en quelque sorte nous décentralise les fonds pour qu'on fasse le travail à leur place en quelque sorte.

Et plus loin à la page 450 et 451 M. Gill continue:

"J'ai déjà eu d'ailleurs à ce moment-là avec monsieur Claude Chamberland, à l'époque j'avais eu une conversation téléphonique avec lui parce qu'il nous arrivait souvent de discuter de notre obligation à nous de donner certains services en vertu de l'entente parce qu'on disait si on a pris la juridiction de l'éducation on a une marge de manoeuvre, on ne doit pas nécessairement être obligés de donner un service spécifique aux étudiants, si la communauté par exemple est d'accord avec le principe qu'il y a d'autres choses plus importantes à donner aux étudiants. A ce moment là lui m'avait répondu nous-autres on a de par la loi l'obligation de donner le service. Si vous le donnez pas et que des personnes de la communauté viennent se plaindre à nous de ne pas l'avoir on s'en occupera pas, sauf que si un individu de la communauté vient nous voir puis nous dit on n'a pas le service et j'aurais dû l'avoir de la Bande, à ce moment là il me disait soit qu'on donne le service ou on va vous demander de le donner parce que vous avez un engagement de le donner. (Les soulignés, sont du Tribunal)

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Enfin, il ressort du témoignage de M. Gill que le "moratoire de 1985", n'a eu d'effet, que de brimer les femmes "restatuées" par la loi de 1985, le C-31. A cet effet, on peut lire avec intérêt à la page 419 des notes sténographiques ce qui suit:

Q: Maintenant, est-ce que c'est vraiment exact de dire qu'avec le moratoire de 1985, que seules les femmes restatuées ont été brimées dans leurs droits?

R: Je dirais que c'est peut-être ce qui s'est produit effectivement parce que tous les cas qui ont été touchés étaient des cas de ce genre-là, sauf que je dois ajouter que pour moi, comme employé du Conseil de Bande, j'avais affaire à appliquer ça dans toutes les situations et pour moi toutes les situations c'était autant les enfants de femmes Indiennes qui avaient récupéré leur statut mais qui n'appartenaient pas, qui n'étaient pas sur la liste de Bande et autant pour n'importe lequel non-Indien qui aurait pu être dans la communauté à ce moment-là qui aurait voulu envoyer son enfant à l'école aurait été refusé aussi parce qu'on n'avait pas à donner ce service-là à tout non-Indien ou à toute personne n'était pas reconnue comme statuée.

Comme dernier témoin, il fut entendu en défense M. Claude Chamberland, qui est le directeur régional du programme éducation au Ministère des Affaires Indiennes et agissait à ce même titre durant les années 1985 et 1986 et 1987. Il fut impliqué dans le dossier de Mme Louise Courtois, au cours de septembre 1986. D'ailleurs, il adressait en septembre 1986 la lettre, qui fut déposée sous la cote HRC 18. M. Chamberland a expliqué, qu'il a reçu de Mme Courtois la demande d'intégration de son enfant à l'école du conseil de Bande de Pointe-Bleue. Il a alors communiqué avec M. Denis Gill directeur de l'école qui lui a fait part de la situation et de la décision du conseil de Bande, quant au moratoire visant les femmes restatuées. Suite à ces discussions, M. Chamberland déclare, qu'il a été entendu que la décision du conseil de Bande de Pointe-Bleue serait respectée et que le Ministère

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verrait à fournir des services de scolarisation pour Julie Girard à l'extérieur de l'école de Bande de Pointe-Bleue. Le Ministère a donc pris différentes ententes avec la commission scolaire de Roberval, afin de rendre disponible aux enfants de femmes "restatuées", dont Julie Girard, la scolarisation, qui était offerte sur la réserve aux enfants membres de la Bande. Cependant, Mme Courtois a refusé l'offre du Ministère. Le témoin Chamberland a fait également part, qu'une préposée du Ministère des Affaires Indiennes, Mme Marthe Dufour-Gill, elle-même membre de l'association des femmes autochtones du Québec, et qui avait été mise au courant de la situation prévalant sur la Réserve de Pointe-Bleue, avait communiqué avec lui pour demander d'étudier la possibilité de mettre sur pied une école "parallèle", une école "alternative". Ecole, qui avait été proposée par les femmes "réinscrites", dont Mme Courtois, et Mme Philippe. D'ailleurs, la pièce HRC 18, se veut la réponse du Ministère quant à cette école dite parallèle ou alternative. M. Chamberland a également expliqué, que puisque le Ministère avait accordé au conseil de Bande, l'autonomie qu'il recherchait, la "prise en charge" de son éducation, le Ministère, ne voulait pas s'ingérer, ni intervenir d'aucune façon dans leurs décisions. Le Ministère, selon M. Chamberland s'en remettait entièrement au conseil de Bande, quant au contenu des cours dispensés sur la Réserve. A cet effet, on peut lire à la page 533 des notes sténographiques le témoignage de M. Chamberland:

..."C'était, à toutes fins pratiques, comme commission scolaire autonome qui devait voir à tous les aspects de son éducation, incluant le contenu, est-ce qu'on enseignait plus ou moins la langue autochtone, plus ou moins la tradition autochtone, plus ou moins la géographie ou le français. C'était des décisions qui à partir de 1980 appartenaient à la Bande."...

M. Chamberland fut également interrogé, quant aux différents mécanismes développés par le Ministère, pour s'assurer que les

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services prévus par les ententes étaient réellement fournis. Il déclare à la 545 des notes:

"En plus des visites des administrateurs dont je vous parlais, la Bande, ayant décidé d'administrer ses programmes, oui, c'est à la Bande, face à la communauté à faire la preuve que les services sont donnés.

Le transfert ayant été effectué, c'est un gouvernement finalement où des électeurs et des élus ont une relation entre le service qui devait être rendu et demandé et qui a été rendu plus ou moins à la satisfaction de la population. C'est plutôt à ce niveau-là. C'est un jugement entre des élus et des électeurs que ça se fait au niveau de la communauté. Les mécanismes sont, comme vous le disiez, plus officiels et réfèrent à des transferts de fonds qui sont étudiés par un comité. Vous dites se fier seulement qu'à la parole du Conseil de Bande. Je pense que le mécanisme est quand même très sérieux, ce sont des états financiers vérifiés par un vérificateur externe qui sont certifiés et c'est ce qui est étudié au ministère."

M. Chamberland avoue à la page 568 des notes sténographiques, que le Ministère des Affaires Indiennes l'intimé, n'a fait aucune demande spécifique, auprès du conseil de Bande des Montagnais du Lac-Saint-Jean, afin que les enfants des femmes "réinscrites" puissent aller à l'école de la Bande pour les années 1985-1986 et 1986-1987. Et il conclut à la même page 568:

..."On respectait, comme je vous disais, la décision de Bande. D'autant plus qu'elle câdrait dans les deux ans que la Loi accordait au Conseil de Bande pour se donner un statut, des statuts pour l'admission des membres à la Bande."

Soit dit en passant, je crois que cette interprétation provenant de l'article 11 (2) de la Loi sur les indiens est erronée. Cet article stipule que les personnes visées par les sous-paragraphes a) et b) du paragraphe (2) de l'article 11 ont un droit automatique à être inscrit sur la liste de Bande, à moins que la Bande, est adoptée dans les deux ans de la sanction de la loi son code

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d'appartenance. Il est faux de prétendre que la Bande, n'avait qu'une période de deux ans pour adopter son code d'appartenance. Bien au contraire, la lecture de la loi démontre que le code d'appartenance de quelque Bande que ce soit, peut-être adopté en tout temps, même après deux ans sauf, que dans cette hypothèse, les personnes prévues aux sous paragraphes a) et b), ne peuvent-être d'aucune façon écartées de la liste de Bande.

Le témoignage de M. Chamberland, a longuement porté sur ce que représentait ou signifiait le "moratoire" de l'article 11 de la loi pour le Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien.

LE DROIT

Tout d'abord, il y a lieu de rappeler l'objet même de la loi canadienne des droits de la personne, et en vertu de laquelle loi, le Tribunal a été appelé à étudier les plaintes de Mme Raphaël et de Mme Courtois. L'objet de la loi, est énoncé à l'article 2:

"La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de la personne graciée ou la déficience."

Je crois, qu'il est important, de garder à l'esprit l'objet de la loi, en regard de l'objection formulée par le procureur de l'intimé quant à la juridiction du présent Tribunal.

L'article 3 de la loi énumère quant à lui, les motifs de distinction illicite prohibés par la loi, dont, l'état matrimonial et le sexe, que les plaignantes, reprochent à l'intimé au terme de

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leurs plaintes, pièce HRC 1, HRC 2 et HRC 23. Plus précisément, et plus spécifiquement, ce qui est reproché à l'intimé par ces plaintes, est d'avoir contrevenu à l'article 5 de la loi qui se lit comme suit:

Article 5: "Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public:

  1. d'en priver un individu;
  2. de le défavoriser, à l'occasion de leur fourniture."

Cet article expose quatre éléments ou conditions pour son application. En effet, pour être discriminatoire, l'acte doit-être premièrement, le fait de priver un individu ou le défavoriser, deux, s'agir d'un service adressé au public, trois, accompli par un fournisseur de biens, de services, et quatrièmement que ce fait, soit fondé sur des motifs de distinction illicite, lesquelles sont plus amplement décrit par l'article 3. Evidemment, le procureur de la Commission, ainsi que celui des plaignantes, prétendent que ces quatre conditions sont remplies par les plaignantes, alors que le procureur de l'intimé, prétend le contraire.

Il m'apparaît donc évident dans un premier temps de déterminer, si les différentes plaintes de Mme Raphaël et Courtois, respectent le câdre de l'article 5. En d'autres termes, en regard des plaintes déposées, il s'agit de déterminer si les plaignantes (individu) ont été privées et/ou défavorisées, par l'intimé (à titre de fournisseur de services), lors de la fourniture d'un service destiné au public ( l'école ), fondé sur des distinctions illicites (l'état matrimonial et le sexe des plaignantes). Il y a donc lieu de déterminer si ces conditions sont respectés dans la présente affaire.

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1- Le fait de priver un individu ou de le défavoriser.

Le procureur de l'intimé a soutenu ( page 1015 et suivantes des notes sténographiques ) que l'enfant Julie Girard n'avait pas un droit à l'école de Bande, n'étant pas membre de la Bande et que la seule obligation de l'intimé, s'il y avait obligation ( en raison du bas âge de Julie ) était de lui fournir l'éducation, à l'extérieur de la réserve, ce que l'intimé prétend avoir offert à l'enfant Girard.

Sans me prononcer immédiatement sur le droit à l'école de Bande, les obligations de l'intimé en matière d'éducation, sont édictées aux articles 114 et suivants de la loi sur les indiens. L'article 116 stipule' que l'enfant indien âgé de 7 ans, doit fréquenter l'école; l'article 116 (2) ajoute que le ministre peut enjoindre un indien âgé de 6 ans à fréquenter l'école.

Dans la présente affaire, il est vrai en raison de l'âge de Julie Girard (5 ans), soit en 1985-1986 ou en 1986-1987, que l'intimé n'avait pas d'obligation en matière d'éducation à son égard. Cependant, Julie Girard n'a pas eu droit au même traitement réservé aux autres enfants Indiens, membre de la Bande, qui avaient le même âge, et pour lesquels enfants, l'intimé versait au conseil de Bande les fonds nécessaires. Elle a été à tout le moins défavorisée, puisque pour fréquenter la pré-maternelle, elle aurait du accepter la proposition du ministère, soit l'école hors-réserve, alors que ce même service était disponible sur la réserve. C'est en quelque sorte l'application et la démonstration de l'adage bien connu "un poids deux mesures". En effet, pour les enfants indiens prévus par les articles 114 et suivants de la loi, il y a eu deux catégories, soit les enfants indiens, membres de la Bande, qui ont eu le droit et qui ont été acceptés sur l'école de la Réserve, et les autres enfants indiens, eux non-membres de la Bande, lesquels ont du ou

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devaient pour ce même service, aller à l'extérieur de la réserve; alors que les articles de la loi (114 et suivants) ne font aucune distinction entre des enfants indiens, membres ou non-membres d'une Bande. Je crois, qu'il est important de rappeler le témoignage de M. Gill, à l'effet que le moratoire décrété par le conseil de Bande nia dans les faits, pratiquement eu des conséquences, que sur les femmes "réinscrites" par la loi C-31 devenue le chapitre C-27 des lois de 1985. Conscient de cette situation, il m'apparaît opportun de rappeler et de souligner les deux décisions de la Cour Suprême, dans les affaires O'Malley et Bhinder, qui ont émis le principe, qu'une mesure qui affecterait de façon disproportionnée un groupe protégé, serait une mesure discriminatoire. Il s'agit de la théorie de l'effet préjudiciable ou de "l'adverse effect". A cet effet, on peut lire l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et Théresa O'Malley -vs- Simpsons-Sears Ltée (1985) 2 R.C.S., 536 et particulièrement la page 551 où l'honorable Juge McIntyre écrivait ce qui suit:

"Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques au d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quant même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles, elle peut s'appliquer."

2- Fournisseurs de services

Le procureur de l'intimé a prétendu que le fournisseur de services dans les deux plaintes en cause, n'était pas le Ministère des Affaires Indiennes, mais plutôt le conseil de Bande des montagnais du Lac-St-Jean, et conséquemment une des conditions de l'article 5 n'était pas respectée. En effet, selon lui, le fait pour le conseil de Bande, de prendre en charge l'éducation sur la Réserve, le fait pour ce même conseil de payer le personnel de l'école de la Bande, le fait pour le conseil de Bande de décider, du contenu du programme d'éducation, tous ces faits mis ensemble, démontraient

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que seul le conseil de bande, était le fournisseur de services; et par conséquent les plaignantes ne pouvaient s'adresser qu'au conseil de Bande, si elles prétendaient être victimes de quelconque discrimination. Au soutien de ses prétentions, le procureur de l'intimé a référé aux arrêts Mintuck -vs- Valley River Band no: 63A et autres, 75, D.L.R. (3 e édition) 589, ainsi que la décision de la Cour Suprême dans l'affaire St-Régis. 1982 2 R.C.S. page 72. Avec respect pour l'opinion contraire, j'estime que ces arrêts ne peuvent recevoir application dans la présente affaire. Il est vrai, que ces arrêts, ont reconnu le conseil de Bande, comme une entité juridique en elle-même, distincte, de telle sorte, qu'il pouvait-être l'objet d'une poursuite directement. Cependant, dans ces poursuites le Conseil de Bande avait agi dans les limites des pouvoirs qui lui sont accordés et conférés par la loi sur les Indiens. Mais dans la présente affaire, ce n'est pas le conseil de Bande, qui a des obligations en matière d'éducation. En effet, les seuls pouvoirs, et les seules obligations en matière d'éducation, contenus dans la loi sur les indiens sont dévolus et conférées uniquement et expressément au Ministre des Affaires Indiennes. Il en résulte donc expressément en vertu de la loi, que le fournisseur de service en matière d'éducation est effectivement le Ministre et non pas l'intimé le conseil de Bande.

3- Pour des services destinés au public

Le procureur de l'intimé a soumis, qu'une école de Bande n'est pas un service destiné "au public at large" (page 1022 des notes sténographiques). Un tel argument n'est pas sérieux et ne peut-être retenu. Il est évident qu'une école est un service destiné au public pour s'en convaincre, il s'agit tout simplement de lire l'arrêt Re Schmilt and Calgary Board of Education (57 D.L.R.) (3d) 746. On peut également lire la décision de la Cour d'appel Fédérale, dans l'affaire Procureur général du Canada -vs- Carla Druken et als ( Cour d'appel Fédérale A-638-87 où l'honorable Juge

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Mahoney écrivait à la page 3 ce qui suit:

"En ce qui concerne la proposition précédente, le requérant semble avoir trouvé convaincante l'opinion incidente exprimée dans l'arrêt Re Subhaschan Singh dossier no: A-7-87, une décision non publiée rendu le 9 mai 1988 dans laquelle le Juge Hugessen prononçait les motifs de cette Cour, a dit à la page 12:

On peut à vrai dire soutenir que les termes qualificatifs de l'article 5

le fournisseur de ... services ... destinés au public

ne peuvent jouer qu'un rôle limitatif dans le contexte des services qui sont rendus par des personnes physiques ou par des personnes morales et que, par définition, les services que rendent les fonctionnaires publics au frais de l'Etat sont des services destinés au public et qu'ils tombent sous le coût de l'article 5."...

On peut lire également la décision du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Anvary (D.T. 18-88 décision rendue le 14 décembre 1988) où il est dit à la page 13

"Le fait pour les personnes assujetties au programme Ran-qui devaient avoir recours aux services du personnel de l'Immigration de former un groupe particulier et spécial ne leur enlève pas leur statut de membres du grand public. Autrement, ce serait de dire que toutes les personnes qui appartiennent à un groupe spécial ne sont plus membres de la collectivité dans son ensemble, ce qui ouvrirait la porte à toute sorte d'actes discriminatoires. (les soulignés sont du Tribunal)

Ainsi appliquer cette jurisprudence à la présente affaire, il ne peut-être d'aucune façon allégué et prétendu que l'école de la réserve ne constitue pas un service destiné au public du simple fait, que cette école de la réserve, est essentiellement, une école limitée aux indiens. En effet, qu'il s'agisse d'une école dite de "Bande" il n'en demeure pas moins, que le coût de ces écoles est

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défrayé essentiellement par les deniers publics. Prétendre qu'il ne s'agit pas d'un service public, parce qu'adressé uniquement aux Indiens, ce serait de dire comme dans l'affaire Anvary que "toutes les personnes qui appartiennent à un groupe spécial (soit les indiens) ne sont plus membres de la collectivité dans son ensemble, ce qui ouvrirait la porte à toute sorte d'actes discriminatoires.

4- Fondé sur des distinctions illicites

A la page 1025 des notes sténographiques le procureur de l'intimé a plaidé ce qui suit:

"Ici le motif de distinction illicite c'est le sexe ou l'état matrimonial. C'est assez embêtant ça par contre parce que les discriminations fondées sur le sexe ou fondées sur l'état matrimonial ont été habituellement interprétées de façon très restrictive par les tribunaux. Il faut vraiment que la discrimination porte sur le sexe ou porte sur l'état matrimonial."

Au soutien de ces prétentions, il a référé à l'arrêt Air Canada -vs- Nancy Bain (1982) 2 C.F. 341, particulièrement à la page 346 où la Cour Fédérale écrivait ce qui suit:

"La plainte formulée par Mlle Bain, laquelle a été jugée fondée par le Tribunal, était qu'Air Canada s'était rendue coupable de distinction illicite fondée sur la situation de famille en fournissant ses services au grand public. A mon avis, on ne peut pas dire en l'espèce que Mlle Bain a été victime de distinction illicite fondée sur sa situation de famille ou, pour s'exprimer de façon plus générale, que le Tarif familial d'Air Canada créait une distinction illicite entre les voyageurs sous la base de leur situation de famille. Mlle Bain était célibataire et avait l'intention de voyager avec un ami. Ce n'était pas sa situation de célibataire qui l'empêchait de se prévaloir du tarif familial mais le fait qu'elle n'avait avec son compagnon de voyage aucun lien pouvant laisser conclure qu'ils formaient une famille ... Il ne saurait y avoir de distinction illicite fondée sur la situation

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de famille, si dans les circonstances identiques, une personne mariée et une personne célibataire se voient refuser le même avantage." (Les soulignés sont du Tribunal)

L'intimé a produit également au même effet la cause Yvon Blanchette -va- La compagnie d'assurance du Canada sur la Vie (1984) C.S..

Le procureur de l'intimé a déclaré à la page 1028 et 1029 des notes sténographiques ce qui suit:

"Nous répondons madame, même les femmes qui, même les hommes indiens qui auraient voulu que leurs enfants en 1985 aillent à l'école ... non, pardon -- même les femmes Indiennes, même les femmes non-Indiennes, les femmes blanches qui auraient voulu que leurs enfants aillent à l'école de la réserve en 1985 n'auraient pas eu ce droit-là parce que la discrimination s'est faite sur l'appartenance, l'appartenance à la Bande, non pas sur le qu'on est restatué ou non, et encore une fois, c'est pour ça que j'ai cité encore tout à l'heure Denis Gill, encore une fois, même les africains, les petits blancs, même les petits haïtiens à 1985 n'avaient pas plus de droit que Julie Girard. La vrai discrimination -- si discrimination il y eût, c'est fait non pas en fonction du fait que Mme - Girard était restatuée, mais en fonction du fait que sa fille n'était pas membre de la Bande."

Je ne peux partager cette opinion. D'ailleurs pour s'en convaincre, il s'agit de se référer au témoignage de Denis Gill, déjà cité, où il avoue que le moratoire de 1985 n'a eu d'effet que de brimer les femmes "restatuées" par la loi de 1985, le C-31. D'ailleurs, l'ancien article 12 (1) b) de la loi sur les indiens avait comme résultat de faire perdre le statut "d'Indienne", aux femmes Indiennes qui se mariaient à des non-Indiens. La raison d'être de la loi C-31 visait justement à rétablir et corriger cette discrimination. Les articles 114 et suivants de la loi traitent de la responsabilité du Ministre en matière d'éducation pour les Indiens. Alors, il est aucunement pertinent de parler, "que même les africains, les petits blancs, même les petits haïtiens en 1985

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n'avaient pas plus de droit que Julie Girard".

En d'autres termes, les "non-indiens" n'ont aucun droit à l'éducation qui doit-être fournie par le Ministre et ce dernier, nia aucune obligation vie-avis les non-Indiens. Cependant, le Ministre a des obligations vis-à-vis les enfants des plaignantes, qui par l'entrée en vigueur de la loi C-31, ont obtenu automatiquement le statut "d'indien".

D'autre part, l'interprétation restrictive de l'état matrimonial, tel que soulevé dans la décision Air Canada -vs-.Bain, a été mis de côté par l'arrêt Commission des droit de la personne du Québec -vs- Ville de Brossard et Line Laurin (1988) 2 R.C.S., 279, où la Cour Suprême, a adopté une interprétation plus large et libérale de ce que l'on entend par état matrimonial. D'ailleurs, dans cette décision qui confirmait le principe émis dans l'affaire Cashin -vs- Société Radio Canada (1989) 3 F.C. 494, l'honorable Juge Beetz écrit à la page 286 ce qui suit:

"La ville de Brossard a en toute bonne foi tenté de combattre le népotisme dans la fonction publique locale par l'adoption d'une politique d'embauchage qui empêche les membres de la famille immédiate des employés à temps plein et des conseillers municipaux d'être embauchés par la ville."...

et à la page 294 le Juge Beetz écrit:

"Mais qu'en est-il de l'état matrimonial au sens relatif? L'identité du conjoint d'une personne est-elle pertinente relativement à la discrimination au sens de l'article 10?

L'intimé soutien que, sous cet aspect l'expression "état civil" doit recevoir une interprétation stricte. Toutefois comme je l'ai fait observer, pour saisir l'état civil d'une personne il faut souvent se référer à celui d'une autre personne. Le veuvage en est un exemple. La filiation ainsi que la fraternité et la "sororité" en sont évidemment d'autres exemples. De fait, on peut difficilement concevoir une politique d'embauchage qui

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exclut "tous les fils et toutes les filles" sans qu'il soit précisé de qui ils sont les fils et les filles." (Les soulignés sont du Tribunal)

L'honorable Juge Beetz à la page 298 cite le passage suivant du Juge MacGuigan dans l'affaire Cashin:

"En fin de compte ce que la loi vise à décourager, c'est la distinction dirigée contre une personne individuelle non pas en raison de son individualité, mais parce qu'elle constitue un spécimen d'un groupe spécifié par une caractéristique donnée."

Et plus loin à la page 298 le Juge Beetz écrit ce qui suit:

"Adaptant à la situation qui se présente en l'espèce les propos du Juge MacGuigan, on peut affirmer qu'une règle générale proscrivant l'embauchage des parents des conjoints des employés relève effectivement de l'état civil précisément parce qu'en raison de son caractère général, elle peut avoir pour effet d'imposer une catégorie générale ou une catégorie relative à un groupe."

et finalement à la page 300 l'honorable Juge Beetz conclut:

"Certes la relation de mère-fille et le poste occupé par la mère sont des facteurs qui peuvent être dissociée dans certaines circonstances, mais pour ce qui est de déterminer la clause de l'exclusion de Line Laurin, ils jouent ensemble de manière à former une cause unique et indivisible. C'est l'état civil de Line Laurin, dont l'appréciation nécessite l'examen de la situation de sa mère, qui est à l'origine de son exclusion."

En applicant ces principes à la présente affaire, il ressort évidemment, que le "moratoire" visait les femmes "restatuées" par la loi C-31. Ces femmes "restatuées", sont ces femmes qui étaient mariées à des non-indiens, et de leur union, étaient issus les enfants, dont Julie Girard et les enfants Raphaël, qui se sont vus refuser l'accès à l'école Amishk contrairement à tous les autres

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jeunes indiens de la Réserve; bien que ces femmes et ces enfants étaient devenus indiens par l'application de la loi C-31.

Conséquemment, en raison des passages des témoignages déjà cités, et à la lumière de la loi ainsi que de la jurisprudence quant à l'interprétation et la portée des article 3 et 5 de la loi canadienne des droits de la personne, j'en arrive à la conclusion, que les plaignantes, ont à prime abord, été victimes de discrimination, tel qu'énoncée aux plaintes HRC 1 HRC 2 et HRC 23.

Puisque les plaignantes ont établi "prima facie", avoir été victimes de discrimination, il y a lieu maintenant d'appliquer les principes établis par la décision de la Cour Suprême dans l'affaire La Commission Ontarienne des droits de la personne et Als -vs- La municipalité d'Etobicoke (1982) 1 R.C.S., 202 et plus particulièrement le passage suivant, où l'honorable Juge McIntyre écrit ce qui suit à la page 208:

"Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités."

et plus loin:

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller

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à l'encontre de ceux du Code." (Les soulignés sont du Tribunal)

Or comme je l'ai déjà souligné, les plaignantes ont été victimes de discrimination. Il en résulte que les plaignantes ont droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'intimé. Et, la seule justification qui peut-être invoquée, est une restriction basée de bonne foi, et sur la conviction sincère que cette restriction ( qui autrement serait une discrimination ) est tout à fait raisonnable, en vue d'atteindre un objectif valable.

Il est vrai que l'arrêt Etobicoke a été rendue en matière d'exigence professionnelle justifiée (article 15 a) de la loi). Cependant, je suis d'opinion que ce même test, doit-être appliqué en matière de fourniture de service, et par voie de conséquence, la justification doit être pour "un motif justifiable" (article 15 g)).

Avant d'étudier les défenses soulevées par l'intimé, il y a lieu de garder à l'esprit la décision rendue par la Cour Suprême dans l'affaire Bonnie Robichaud -vs- La Reine déjà cité au début de cette décision; où, il a été reconnu le caractère "quasi-constitutionnel" de la loi Canadienne des droits de la personne et, où on a déclaré que son interprétation doit-être la plus large et la plus libérale de façon à réaliser les objectifs prévus par cette loi. D'autre part, il y a lieu de se rappeler qu'en vertu de la loi sur les Indiens, seul le Ministère des Affaires Indiennes a des responsabilités et des obligations en matière d'éducation des Indiens.

Les défenses soulevées par l'intimé

Sauf en ce qui a trait, à l'objection préliminaire quant à la

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juridiction du présent Tribunal, en vertu de l'article 67 de la loi Canadienne des droits de la personne, la défense de l'intimé, est tirée essentiellement et principalement, de l'article 11 (2) de la loi sur les Indiens qui se lit comme suit:

"A compter du jour qui suit de deux ans le jour où la loi intitulée Loi modifiant la Loi sur les Indiens, déposée à la Chambre des communes le 28 février 1985, a reçu la sanction royale ou de la date antérieure choisie en vertu de l'article 13.1, lorsque la Bande n'a pas la responsabilité de la tenue de sa liste prévue à la présente loi, une personne a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de Bande tenue au ministère pour cette dernière:

  1. soit si elle a droit d'être inscrite en vertu des alinéas 6(1)d) ou e) et qu'elle a cessé d'être un membre de la bande en raison des circonstances prévues à l'un de ces alinéas;
  2. soit si elle a droit d'être inscrite en vertu de l'alinéa 6(1)f) ou du paragraphe 6(2) et qu'un de ses parents visés à l'une de ces dispositions a droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande ou, s'il est décédé, avait ce droit à la date de son décès."

Il s'agit du "moratoire" dont il fut question tout au long du débat. Moratoire qualifié de "fantôme" par les procureurs de la commission et des plaignantes, vu l'inexistence d'un document officiel attestant ce "moratoire". Bien plus, selon Me Soreka pour les plaignantes, ce moratoire ne peut et ne pouvait exister, vu les dispositions de l'article 82 (2) de la loi sur les Indiens qui stipule ce qui suit:

"Un statut administratif établi selon l'article 81 entre en vigueur quarante jours après qu'un exemplaire en a été envoyé au Ministre, suivant le paragraphe (1), ..."

Hors suivant la pièce HRC 32, le Ministre déclarait qu'il n'avait reçu aucun moratoire, et je cite un extrait de cette lettre:

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"Je crois que le moratoire de la Bande auquel vous referez est le règlement numéro 35-85 adopté par le conseil de Bande en février 1986. Mon ministère n'a pas reçu à ce jour ce règlement du conseil des montagnais du Lac Saint-Jean."

Et plus loin dans cette lettre le Ministre ajoute que ce règlement qui en quelque sorte serait un statut administratif, doit suivre les formalités de l'article 81 de la Loi sur les Indiens, et il est assujetti à une période d'annulation de 40 jours après son envoi au Ministère des Affaires Indiennes. Il est vrai qu'effectivement, il n'y a aucun moratoire "écrit". Ceci dit, les articles 10 et 11 de la Loi sur les Indiens, traitent des pouvoirs d'une Bande d'adopter ses propres règles d'appartenance, et du processus à suivre pour y parvenir. L'article 11 (2) signifie, qu'à moins que le conseil de Bande n'ait, dans les deux ans de la sanction de la loi, adopté conformément à la loi son propre code d'appartenance, les enfants des femmes 'réinscrites' en vertu de la loi C-31, ont un droit automatique à leur inscription dans la liste de Bande.

Il y a lieu de reproduire l'article 114 de la loi sur les Indiens qui se lit comme suit:

"(1) Le gouverneur en conseil peut, en conformité de la présente loi, autoriser le Ministre à conclure, au-nom de Sa Majesté et pour l'instruction des enfants indiens conformément à la présente loi, des accords avec

a) le gouvernement d'une province;

b) le commissaire des territoires du Nord-Ouest;

c) le commissaire du territoire du Yukon;

d) une commission d'écoles publiques ou séparées; et

e) une institution religieuse ou de charité.

(2) Le Ministre peut, en conformité de la présente loi, établir, diriger et entretenir des écoles pour les enfants indiens."

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Pour sa part l'article 116 (1) et (2) stipule ce qui suit:

"Sous réserve de l'article 117, tout enfant indien qui a atteint l'âge de sept ans doit fréquenter l'école.

(2) Le Ministre peut

a) enjoindre à un Indien qui a atteint l'âge de six ans de fréquenter l'école;"...

Il ressort donc des articles 114 et 116, que le Ministre a des obligations et a la responsabilité d'assumer l'éducation des enfants "indiens". Il n'y a aucune disposition dans la loi C-31 devenue le chapitre 27 des lois de 1985, qui donne au conseil de Bande, un pouvoir, quel qu'il soit en matière d'éducation. Il ne peut être soutenu, qu'il n'y a pas eu de discrimination à l'égard des plaignantes ainsi que de leurs enfants, puisqu'ils auraient été traités de la même façon que tous les enfants non-membres de la Bande. Que des enfants non-indiens soient admis ou non avant 1985, cela ne change rien aux droits et obligations de l'intimé quant aux enfants Indiens. En effet, vis-à-vis des non-indiens, le Ministre n'au aucune obligation et par voie de conséquence, ces non-indiens, n'ont pas le droit à l'éducation financée par le Ministre. Par contre, vis-à-vis des 'indiens', et malgré l'existence des articles 10 et 11 de la loi, qui permettaient au conseil de Bande d'assumer la liste de leur effectif; il n'en demeure pas moins, que seuls les enfants des femmes "réinscrites" et "restatuées" ont obtenu le droit au statut d'Indiens, par l'application de l'article 6 (2) qui stipule:

"Sous réserve de l'article 7, une personne a droit d'être inscrite si l'un de ses parents a droit d'être inscrit en vertu du paragraphe (1) ou, s'il est décédé, avait ce droit à la date de son décès."

Rappelons le témoignage de M. Denis Gill témoin de l'intimé lorsqu'il déclare à la page 392 ce qui suit:

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"...le Ministère peut pas donner des choses à deux places, dans le sens qu'il remet les fonds à la Bande et il demande à la bande d'administrer ces fonds-là pour une clientèle très précise. Cette clientèle-là en principe c'est la clientèle étudiante Indienne de Pointe-Bleue." (les soulignés sont du Tribunal)

Rappelons également le témoignage de Denis Gill déjà cité, qui a avoué que dans les faits, seul les femmes "restatuées" avaient été touchées par le "moratoire" décrété par le conseil de Bande.

Bien qu'il n'existe aucun pouvoir statuaire en matière d'éducation attribuée à la Bande, le Ministère, l'intimé prétend qu'il existe trois types d'école. En effet le témoin Chamberland déclare à la page 598 des notes sténographiques ce qui suit:

"Il y a trois types d'écoles. C'est celle que vous venez de mentionner. Il y a des étudiants Indiens qui fréquentent les écoles provinciales, les commissions scolaires qui relèvent du réseau du MEQ qui est le ministère d'Enseignement du Québec. Il y a les écoles gérées par le ministère. Il en reste encore, il va en rester encore en septembre prochain trois de ces écoles-là. Les employés de ces écoles-là sont mes employés, ce sont des fonctionnaires, ce sont des employés du gouvernement, et la troisième catégorie, les écoles de Bande sont les écoles qui ont été transférées à des autorités locales, à des gouvernements élus dans les réserves."

En raison du souci, de la volonté de plus en plus grande, des différents conseils de Bande d'obtenir leur autonomie, et notamment par la prise en charge de leur éducation, le Ministre conclue qu'il ne peut intervenir, et n'intervient pas, afin, qu'il ne lui soit pas reproché par les conseils de Bande, d'ingérence. Certes, il s'agit politiquement d'un motif louable.

Mais je ne peux souscrire à un tel raisonnement, puisque la loi sur les indiens, n'attribue en matière d'éducation, aucune responsabilité et aucun pouvoir au conseil de Bande. De tel sorte,

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que le privilège d'aller à l'école dite de "Bande", ne peut d'aucune façon; être rattaché légalement au fait d'être "membre" de la Bande. L'éducation, qui doit-être fournie par le Ministère, en vertu de la loi sur les indiens se rapporte essentiellement, au statut d'indien, aux droits et privilèges des indiens, sans égard à l'appartenance ou non à un conseil de Bande. Je suis d'opinion, que les conseils de Bande sont des créatures de la loi sur les indiens, et n'ont que les pouvoirs qui leurs sont expressément dévolus par cette même loi. Le Tribunal partage l'opinion cependant du procureur de l'intimé, lorsqu'il déclare à la page 1146 des notes sténographiques ce qui suit:

"Dès le moment où dans la Loi on accepte la notion de membre du Conseil de Bande, dès le moment où on accepte de donner au Conseil de Bande le soin de définir son propre code d'appartenance, on accepte par le fait même que le Conseil de Bande limite ses services à ceux qui font partie du code d'appartenance."

Même s'il est vrai, que le Conseil de Bande peut limiter ses services à ses membres, encore faut-il, que ce Conseil de Bande soit habilité à les fournir. Or, à titres d'exemples seulement, le Conseil de Bande a autorité et pouvoir en matière d'attribution de terre sur une réserve (article 20), en matière des routes et de ponts sur la réserve (article 34), en matière d'ajustements de contrats (article 59). En faits, le conseil de Bande a les seuls pouvoirs qui lui sont dévolus par la loi; et rien dans cette loi sur les Indiens n'attribue au conseil de Bande le pouvoir en matière d'éducation.

Le procureur de l'intimé, a également soutenu, que la seule obligation du ministre en matière de l'éducation à l'égard des indiens, était de fournir ce service d'éducation, que ce soit hors ou dans la réserve, peu importe où, en autant qu'il était fourni. Je ne peux partager cette opinion, puisque le service d'éducation recherché par les plaignantes, soit l'admission à l'école Amishk

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était disponible sur la Réserve de Pointe-Bleue, de sorte que, les enfants des plaignantes, en raison de leur statut d'indien, y avaient droit. Ce service d'école sur la Réserve devait, leur être offert et octroyé, puisque en cas contraire, il y a 'un poids deux mesures', ce qui constituerait de la discrimination. A cet effet, je fais mien, les propos tenus dans la décision, Druken -vs- La commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (D.T. 7-87) où à la page 12, il est déclaré ce qui suit:

"Pour qu'un service normalement à la disposition du grand public soit refusé, il faut que ce refus soit justifié et fondé sur la plus solide des preuves. La décision doit s'appuyer sur des faits dans chaque situation, et non pas s'appliquer de façon généralisée à un groupe particulier de personnes."

Or, dans les plaintes sous étude, et la preuve apportée, il ressort, que seuls les enfants de femmes "restatuées", ont été refusés à l'école de la Bande, soit l'école Amishk. Par surcroit, ce sont ces seuls enfants, à qui, l'intimé a offert un service d'école, mais hors Réserve.

Enfin, j'estime que dans le cas particulier de Louise Courtois et de son enfant Julie Girard, le Ministre des Affaires Indiennes, en raison des obligations et des responsabilités qui lui sont dévolues par les articles 114 et suivants de la loi sur les Indiens, devait intervenir lors de l'entente de contribution pour l'année scolaire 1986-1987 (pièce HRC 38) et particulièrement en vertu du paragraphe 8 de cette entente qui se lit comme suit:

"Si le conseil de Bande manque à ses obligations de fournir les services convenus le ministre peut mettre fin à l'entente. ..."

Comme le ministre était au courant de la situation de Louise Courtois et de son enfant Julie survenue durant l'année scolaire 1985-1986, le ministre devait en vertu de ses obligations.

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intervenir en 1986-1987 auprès du conseil de Bande de Pointe-Bleue, pour qu'il fournisse ce service d'école aux enfants de femmes "restatuées" et particulièrement pour Julie Girard.

L'OBJECTION FONDÉE SUR L'ARTICLE 67 DE LA LOI CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE.

Comme je l'ai déjà mentionné, l'objection préliminaire, quant à la juridiction du présent Tribunal, ne pouvait être retenu, puisque avant de déterminer, de l'application de l'article 67 (L.C.D.P.), il y avait lieu préalablement de déterminer, si les gestes et actes reprochés au Ministre l'avaient été en conformité avec la loi sur les Indiens. Le procureur de l'intimé a à plusieurs reprises allégué et prétendu, que le texte" de la loi ne pouvait être dissocié de "son application" et/ou de son effet. A la page 650 des notes sténographiques le procureur déclare ce qui suit:

"Parce qu'on peut pas dire à quelqu'un ton geste est légal, ton geste est légal, je peux rien faire contre l'article en vertu duquel tu l'as accompli, mais ton geste est discriminatoire et doit être refréné."

Je ne peux accepter cette argumentation, et cela à la simple lecture de l'affaire Druken (opere citatur) , et du passage suivant:

"Pour qu'un service normalement à la disposition du grand public soit refusé il faut que ce refus soit justifié et fondé sur la plus solide des preuve. La décision doit s'appuyer sur des faits dans chaque situation, et non pas s'appliquer d'une façon généralisée à un groupe particulier de personne." (les soulignés sont du Tribunal)

Le service recherché par les plaignantes était offert et disponible sur la Réserve de Pointe-Bleue. Mais les plaignantes, seules, en tant que femmes "restatuées", se sont vues refuser ce service. Ce n'est pas "dissocier le texte de son application" que de constater qu'un même groupe (des Indiens) qui a les mêmes droits (l'école),

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a reçu un traitement et service différent, du fait qu'il était membre ou non d'une Bande, alors que la loi ne permet pas une distinction.

Il y a lieu de rappeler ce que la Cour d'appel Fédérale dans l'affaire Piapot (opere citatur) dans sa décision du 8 mai 1989 à la page 6, écrivait:

"En l'espèce, la motion du conseil de la Bande de Piapot en date du 11 juin 1984 qui se trouve décrite comme {traduction} un "vote de non-confiance contre ... Rose Desjarlais" n'est nulle part autorisée par la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement ou implicitement; en conséquence, cette motion ne constitue pas une des "provision made under or pursuant to that Act" "dispositions prises en vertu de la loi', de sorte qu'elle n'est pas visée par les dispositions d'exemption du paragraphe 63(2) de la loi Canadienne des droits de la personne."

Appliquer ce principe au cas sous étude, revient à dire que le "moratoire" décrété en juin 1985 et qui visait à refuser l'admission des enfants de femmes restatuées à l'école de Bande de Pointe-Bleue, n'est aucunement autorisée par la loi sur les indiens, puisque le conseil de Bande n'a aucun droit en matière d'éducation.

Considérant donc que la plaignante Mme Louise Courtois, est une indienne "réinscrite" en vertu de l'application de la loi C-31 chapitre 27 des lois de 1985;

Considérant également que Julie Girard, est l'enfant de Louise Courtois, et que Julie Girard par l'application de l'article 6(2) de cette même loi a obtenu le statut d'indienne;

Considérant également que suivant la preuve, Louise Courtois ainsi que Julie Girard entre 1985 et 1987 résidaient ordinairement sur la Réserve de Pointe-Bleue, conformément à l'article 4(3) de cette

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même loi;

Considérant les obligations du ministre des Affaires Indiennes, lui découlant des dispositions des articles 114 et suivants de la loi sur les Indiens en matière d'éducation;

Considérant que l'existence d'une école sur la réserve de Pointe-Bleue résulte des obligations du Ministre en matière d'éducation, et que son existence est rendue possible uniquement en raison des fonds provenant du Ministère des Affaires Indiennes;

Attendu que le ministre a agi de façon discriminatoire, en refusant l'accès et le service, de l'école sur la réserve de Pointe-Bleue, service auquel la plaignante Louise Courtois et sa fille Julie Girard avaient droit. Je conclus que les plaintes HRC 1 et HRC 2 tel qu'initialement déposées et subséquemment lors de l'audition amendées, sont bien fondées en fait et en droit, en vertu des dispositions de la loi canadienne des droits de la personne.

Plainte de Marie-Jeanne Raphaël

Relativement à la plainte (initiale ou amendée) de Marie-Jeanne Raphaël (pièce HRC 23), l'intimé, le Ministère des Affaires Indiennes, tout en soulevant la même défense que dans le cas des plaintes de Louise Courtois, a plaidé principalement les dispositions de l'article 4(3) de la loi sur les indiens. Pour les raisons déjà amplement motivées, il y a lieu seulement d'étudier la défense basée sur l'article 4(3) de la loi que se lit comme suit:

"Les articles 114 à 123 et, sauf si le Ministre en ordonne autrement, les articles 42 à 52 ne s'appliquent à aucun Indien, ni à l'égard d'aucun Indien, ne résidant pas ordinairement dans une Réserve ou sur des terres qui appartiennent à Sa majesté du chef du Canada ou d'une province." (les soulignés sont du Tribunal)

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Dans le cas de Mme Marie-Jeanne Raphaël, l'intimé, prétend qu'il n'avait pas à lui fournir le service de l'école de la Réserve ou encore à lui payer le coût des livres de ses enfants, puisque Mme Raphaël et ses enfants ne résidaient pas ordinairement sur la Réserve de Pointe-Bleue en 1986.

Il est intéressant de lire les passages suivants de la plaidoirie du procureur de l'intimé la page 669:

"Alors si ça avait été pris complètement tout de travers, que l'on s'était arrogé des pouvoirs que l'on avait pas, là ce n'est pas fait "in accordance with the Indian Act", mais aussi longtemps que nous, nous agissons en vertu de la Loi sur les Indiens et en respect de la Loi sur les Indiens, moi je prétends de plus c'est ce que nous avons fait. Nous avons appliqué la Loi sur les Indiens.

Dans le cas de madame Raphaël, par exemple, par l'article 4(3) qui nous empêchait de lui donner bénéfice de l'article 114 parce qu'elle ne résidait pas ordinairement sur la réserve. ..."

Comme je l'ai déjà mentionné dans le cas de Mme Louise Courtois et de son enfant Julie Girard, ces plaintes doivent être reçues; puisque dans ce cas particulier, il y a eu un traitement différent donné par le Ministre pour l'éducation des enfants se trouvant sur la réserve; traitement (service) différent entre les enfants indiens, dépendant du fait, qu'ils soient ou non des enfants de femmes "réinscrites". Alors que la loi n'autorise ou ne permet aucune distinction dans la fourniture du service de l'éducation.

Dans le cas de Mme Marie-Jeanne Raphaël, l'intimé, prétend qu'il n'avait pas à donner le service recherché puisque Mme Raphaël ne résidait pas ordinairement sur la réserve. Il faut donc comme l'a reconnu d'ailleurs, le procureur de la commission aux pages 1194 et suivantes des notes sténographiques, déterminé en tout premier lieu, si à la lumière des faits Mme Raphaël, résidait ordinairement sur la Réserve. De l'avis du Tribunal, dans le cas de la plainte

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de Mme Raphaël, il s'agit d'une question élémentaire, fondamentale et essentielle à décider. Puisqu'à défaut de résidence ordinaire sur la réserve, Mme Raphaël ne peut et ne pouvait avoir la possibilité d'envoyer ses enfants à l'école de la Réserve ou au droit, que le coût des livres scolaires et les repas du midi lui soient payés par le Ministère.

Or, à la lumière du témoignage de Mme Raphaël, ainsi que ceux de M. Denis Gill et M. Claude Chamberland, je ne peux me convaincre qu'à la période visée par la plainte de Mme Raphaël, que cette dernière "résidait ordinairement sur la réserve". La plaignante Mme Raphaël, plaide que son intention de demeurer sur la réserve, subsistait malgré son éviction réelle. Elle ajoute au surplus, que la question de résidence ordinaire sur la réserve soulevé par l'intimé, n'est qu'un "faux prétexte", à la véritable discrimination, dont elle a été victime, du fait qu'elle était une femme "réinscrite" par la loi C-31. La preuve versée au dossier démontre t-elle l'intention réelle de Mme Raphaël en août 1986 de résider ordinairement sur la réserve de Pointe-Bleue?

Je crois que cette démonstration ne ressort pas de la preuve versée. En effet, on peut lire les passages suivants du témoignage de Mme Raphaël à la page 160 et 161 des notes sténographiques:

Q: Est-ce que vous avez reçu une invitation pour retourner vivre sur la réserve?

R: Mon garçon m'a passé sa maison.

Q: Et vous avez donc décidé de retourner sur la réserve ayant accès à la maison de votre fils?

R: Je suis retournée parce que mon fils m'a loué sa maison.

Q: Est-ce que vous êtes retournée à ce moment-là avec vos enfants?

R: Oui, j'étais avec mes enfants.

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Q: Pourquoi avez-vous décidé de retourner vivre sur la réserve?

R: La maison où je demeurais était en réparation."

Et plus loin à la page 165:

Q: Est-ce que vous avez rencontré quelqu'un du nom de Denis Paul ... Danièle Paul, à cette époque-là?

R: C'est la personne à qui je suis allée règler le loyer que j'occupais, le loyer de mon garçon et c'est lui qui a refusé le montant que je lui ai amené."

Et plus loin à la page 174, elle déclare ce qui suit:

Q: Madame Raphaël, quand votre fils vous a invitée à venir vivre dans sa maison en été 86, est-ce que lui était là à ce moment-là?

R: Mon garçon était marié avec une femme d'Ouiatchouan, il est allé à Ouiatchouan.

Q: Est-ce qu'il avait quitté pour aller travailler à Ouiatchouan?

R: Pour faire la trappe.

Q: Combien de temps devait-il être parti?

R: Un mois." (les soulignés sont du soussigné)

Il ressort donc de ces extraits de témoignage, que Mme Raphaël est venue habiter la maison de son fils, alors que celui-ci partait pour faire la trappe à Ouiatchouan pendant un mois. La raison qui l'a amené à y résider, résulte du fait que la maison, qu'elle habitait, était en réparation. Cette déclaration ne dénote certainement pas l'intention de Mme Raphaël de résider ordinairement sur la réserve. Mais, il y a plus. En effet, si Mme Raphaël avait réellement l'intention de résider ordinairement sur la réserve, elle n'aurait pas quitté la réserve sans réagir plus vigoureusement et plus rapidement. Or, elle s'est plainte, pour

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la première fois par l'intermédiaire de Mme Philippe de son éviction dite "illégale" seulement à la fin de novembre 1986. Entre son éviction et la demande adressée à l'intimé à la fin de novembre 1986, Mme Raphaël n'a fait aucun geste, ni d'opposition, ni de contestation contre cette "éviction".

On a soutenu, qu'un déménagement et tout ce qu'il l'entoure, n'est pas une sinécure, et par conséquent, le fait d'accepter l'invitation de son fils, et d'aller avec ses enfants habiter la maison de son fils démontrait cette intention.

Mais la preuve révèle, que Mme Raphaël dans sa vie, a vécu à plusieurs reprises sur la réserve, mais également elle a quitté à plusieurs reprises cette même réserve. Il faut se rappeler que la maison, qu'elle habitait avant d'accepter l'invitation de son fils, était en réparation. Cela ne signifie pas nécessairement qu'elle n'avait plus l'intention d'y retourner, une fois les réparations complétées. Il faut également se rappeler que son fils était parti à la trappe avec sa femme. Cela démontre une situation temporaire, puisqu'il est évident que son fils, ainsi que sa femme reviendraient une fois la période de trappe terminée. Or, la maison de son fils pouvait-elle physiquement recevoir au moins neuf personnes (la plaignante, ses six enfants, son fils Jean-Marc et son épouse)? Autant de faits, d'interrogations, qui laissent le Tribunal perplexe quant à l'intention de Mme Raphaël de résider ordinairement sur la réserve en août 1986.

Il y a plus, en effet il est intéressant de souligner le passage suivant du témoignage de M. Denis Gill, lequel agissant comme directeur de l'école de Pointe-Bleue en 1986, ce même directeur qui aurait refusé à Mme Raphaël et ses enfants l'admission à l'école. (page 425 des notes sténographiques)

Q: Est-ce que vous connaissez les circonstances particulières qui ont amené l'éviction de

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madame Raphaël en septembre 1986?

R: Je ne peux pratiquement rien dire là-dessus parce qu'à ma connaissance, je me rappelle que madame Raphaël avait habité une maison, je pense que c'est une maison qui appartenait à monsieur Réal Philippe pendant quelques années. Je ne sais même pas si c'est de cette maison-là qu'on parle quand elle a été évincée qu'on a dit.

Je sais tout simplement moi qu'à l'époque, comme directeur d'éducation, je savais queue n'avait plus de résidence à Pointe-Bleue et queue demeurait à l'extérieur et donc je n'avais pas à donner de services pour elle."

Et plus loin à la page 471 le même témoin Gill en contre-interrogatoire répond ce qui suit:

Q: Y avait-il une vérification de la question de résidence, à savoir à quel moment quelqu'un aurait rentré sur la réserve, est-ce que ça faisait six mois qu'ils étaient résidents, est-ce que ça faisait trois mois. Pour vous c'était quoi le critère de résidence ordinaire?

R: C'était quoi le critère...je peux vous dire là-dessus que le critère était moins, probablement moins sévère qu'il l'aurait été avec les Affaires Indiennes dans le sens qu'eux auraient peut-être établi, d'ailleurs ils viennent de le faire très récemment, ils ont établi vraiment des critères très rigides en disant il faut que l'individu dorme là régulièrement pour que ce soit sa résidence. A l'époque c'était pas aussi stricte que ça et nous on l'était encore moins, dans le sens qu'on identifiait quand même des individus qui étaient de la communauté mais qui demeuraient à l'extérieur et souvent par manque de résidence à Pointe-Bleue et dans ce temps-là on disait, nous on se disait on n'a pas à les priver du service parce qu'ils sont pas dans la communauté. On essayait autant que possible de leur donner le service quand même et évidemment en quelque sorte on prétendait qu'ils étaient dans la communauté et ils l'étaient pas nécessairement."(les soulignés sont du Tribunal)

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Rappelons, que Denis Gill était employé du conseil de Bande à cette époque. Il est également intéressant de lire les passages suivant du témoignage de M. Claude Chamberland à la page 510:

Q: Maintenant, quelles étaient les informations que vous possédiez concernant sa résidence sur la réserve justement?

R: Le jugement qui a été fait sur la résidence de madame Raphaël était basé sur le fait que depuis 1982, donc quatre ans avant la demande, madame Raphaël n'avait résidé que quelques semaines sur une réserve de Pointe-Bleue, ce qui n'en faisait pas une personne ayant sa résidence ordinaire sur une réserve."

Et plus loin à la page 560:

Q: Maintenant, vous avez fait référence dans votre témoignage au fait que vous avez utilisé le critère de résidence pour refuser de payer certains services éducatifs à madame Raphaël. Maintenant, qui vous a donné l'information concernant la résidence ou les conditions de résidence de madame Raphaël, donc en août ou septembre ... novembre, devrais-je dire, 86?

R: Les informations ont dû parvenir d'un premier temps du Conseil de Bande, mais j'imagine ont été vérifiées par le conseiller du ministère qui s'occupait de ces cas-là, de ces enfants-là."

Et un peu plus loin à la page 561:

R: Non. Je ne vois pas chacune des applications personnellement. C'est l'information qu'on avait sur laquelle la décision a été prise au ministère. C'est que très très récemment, comme je vous disais, il y a six semaines peut-être, que j'ai appris qu'il y avait eu une période de quelques semaines dans les six dernières années où il y avait eu la résidence sur la réserve, mais la décision reste la même. C'est pas quelques semaines en plusieurs années qui font la résidence permanente ou la résidence ordinaire d'une personne sur la réserve." (les soulignés sont du soussigné)

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De toute cette preuve, il ressort d'une part que selon Denis Gill, celui-là même, qui a refusé aux enfants de la plaignante Raphaël leur admission à l'école, qu'elle ne résidait pas ordinairement sur la réserve en août 1986. Et c'est la raison pour laquelle il a refusé ses enfants. Bien plus, selon le témoignage de M. Chamberland, il fut informé seulement quelques semaines avant l'audition des plaintes, que Mme Raphaël aurait résidé quelques semaines sur la réserve en août 1986. Cela démontre encore une fois, que s'il est vrai, que la plaignante fut évincée en août 1986 contre son gré, cette éviction n'a pas donné lieu à des démarches spéciales de la part de la plaignante. Je suis d'opinion que la preuve versée ne peut établir l'intention de la part de Mme Raphaël de résider ordinairement sur la réserve de Pointe-Bleue en août 1986. Conséquemment à la lumière de cette preuve, la décision du ministre, de ne pas payer les repas du midi ou les frais des livres scolaires, (ainsi que le refus d'admission de ses enfants à l'école de la réserve, selon la plainte amendée), basé sur le fait que Mme Raphaël ne résidait pas ordinairement sur la réserve est fondée. La décision prise par l'intimé, dans le cas de Mme Raphaël, l'a été conformément aux dispositions de l'article 4(3) de la loi sur les Indiens. Dans les circonstances, puisque cette décision l'a été prise conformément à la loi, il y a lieu également d'appliquer l'article 67 de la loi canadienne des droits de la personne. J'ajouterai également que l'article 4(3) de la loi sur les indiens, est en quelque sorte un article, quelque peu "discriminatoire" en ce qu'il, fait une distinction (ou plutôt une dispense de service) entre des Indiens vivant sur des réserves, et des indiens vivant hors des réserves. Mais considérant que la décision de l'intimé, dans le cas de la plainte de Mme Marie-Jeanne Raphaël (pièce HRC 23) l'a été conformément à l'article 4(3) de la loi sur les Indiens, et il y a lieu à l'application de l'article 67 de la loi canadienne des droits de la personne, et conséquemment, le présent Tribunal ne peut faire droit à la plainte.

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Mesure correctrice

Considérant que le Tribunal juge les deux plaintes déposées par Mme Louise Courtois Pièce HRC 1 et HRC 2 fondées. Il y a lieu maintenant de se prononcer sur les ordonnances, que le Tribunal est autorisé à rendre en vertu de l'article 53(2) de la loi qui se lit comme suit:

"A l'issue de son enquête, le Tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe 4 et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire:

a) ...

b) ...

c) D'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiqué des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte; (les soulignés sont du Tribunal)

(les sous-paragraphes a, b ne pouvant recevoir application dans la présente affaire)

Les Dépenses de Mme Courtois

En ce qui concerne, les dépenses de Mme Louise Courtois, le Tribunal rejete cette demande. En effet, quant à la somme de 210.00$, réclamée pour la perte de 3 jours de travail de Mme Courtois pour s'occuper de sa fille malade Julie Girard, il n'y a aucune preuve 'scientifique' reliant la maladie de Julie Girard et la discrimination, dont elle a été victime de la part de l'intimé.

D'autre part, la demande de remboursement de frais de garderie pièce HRC 12 et HRC 19 est rejetée. En effet, la plaignante, Mme Courtois a été incapable d'établir, le montant d'argent, qu'elle aurait payé en moins pour les frais de garderie, si la petite Julie Girard n'avait pas été victime de discrimination par le ministère. Or ces frais de garderie, la plaignante devait les supporter pour

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son autre enfant.

Quant aux autres frais réclamés, et plus particulièrement les frais d'avocat (notes d'honoraires) représentés par la pièce C-3, ainsi qu'un autre document, qui fut transmis au Tribunal, provenant de l'étude des procureurs des plaignantes par une lettre datée du 22 août 1989, et indiquant qu'une somme de 16 687.37$ était due à titre d'honoraires et déboursés encourus dans les plaintes de Mme Courtois et Mme Raphaël. Ces réclamations sont également rejetées puisque d'une part, la plainte de Mme Raphaël pour les raisons ci-haut invoquées, est rejetée. Conséquemment le Tribunal n'est pas en mesure de procéder à la ventilation de ce compte. D'autre part, il y a lieu de souligner le témoignage de Mme Michèle Rouleau, qui est la présidente de l'association des femmes autochtones du Québec, organisme sans but lucratif, organisme qui a payé, mandaté les avocats non seulement pour les plaintes de Mme Courtois et de Mme Raphaël, mais pour plusieurs autres personnes. Il est intéressant de lire le passage suivant du témoignage de Mme Rouleau: (page 354 des notes sténographiques)

Q: Y avait-il une entente quelconque avec les plaignantes là-dessus?

R: On n'a pas signé de contrat avec elles. On s'étaient entendues comme quoi on assumeraient pour un certain temps les frais légaux et que ces personnes-là, quand ça serait réglé, quand elles seront en mesure elles pourront peut-être nous rembourser ces frais-là." (les soulignés sont du Tribunal)

Or les frais d'avocat ont été effectivement payés par l'association des femmes autochtones mais non, par la plaignante Louise Courtois.

De l'avis du soussigné, les pouvoirs dévolus au présent Tribunal en vertu des dispositions de l'article 53, visent à indemniser la victime en l'occurence Louise Courtois et sa fille Julie Girard,

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des dépenses entraînées par l'acte reproché à l'intimé. Je ne crois pas, en tant que Tribunal, constitué par la loi canadienne des droits de la personne, avoir juridiction pour accorder des frais à un organisme, qui n'est pas parti à la plainte et qui n'est pas victime de discrimination. D'autant plus, que je ne peux me convaincre d'accorder des frais à une victime (Mme Courtois) qui dans les faits, ne les a pas assumés.

Une telle demande de remboursement de frais légaux, a déjà été refusée par le Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Morell c. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. Sans me prononcer définitivement sur ce point, je doute qu'un Tribunal constitué en vertu de la loi canadienne des droits de la personne, est habilité à accorder des dépens. Je conclus donc, au rejet de cette demande de dommages-intérêts pour frais-d'avocat.

Quant aux dommages moraux, qui peuvent être accordés par le Tribunal au terme de l'article 53(3). Considérant l'arrêt Butterhill vs Via Rail Canada Inc. (D.T.A. 1-80), considérant également que la plaignante Louise Courtois, et sa fille Julie Girard ont subi du fait de l'acte discriminatoire de l'intimé, des frustrations et des désillusions par suite du refus de l'intimé d'intervenir, et de donner accès à l'école de la réserve de Pointe-Bleue à Julie Girard en tant qu'indienne. Se fondant sur ce qui précède, le Tribunal arrive à la conclusion qu'une somme de 1 500.00$ devra être versée à Louise Courtois pour préjudice moral, ainsi qu'une somme de 500.00$ à Julie Girard pour préjudice moral également;

CONCLUSION

La plainte de Marie-Jeanne Raphaël telle que déposée et subséquemment amendée sous la cote HRC 23 est rejetée;

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Les deux plaintes de Louise Courtois déposées sous la cote HRC 1 et HRC 2 sont déclarées bien fondées;

Conséquemment, je déclare que l'intimé, le Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien a contrevenu aux obligations, qui lui sont dévolues, en matière d'éducation, en refusant l'accès de l'école de Pointe-Bleue et en ne prévoyant pas le financement scolaire sur la réserve, pour Julie Girard, enfant d'une Indienne, Louise Courtois, membre de la Bande, qui avait avant le 17 avril 1985 épousé un non-membre de la Bande. L'intimé a commis de ce fait, un acte discriminatoire, basé sur l'état matrimonial et le sexe de la plaignante, discrimination illicite et contraire aux dispositions des articles 3 et 5 de la Loi Canadienne des droits de la personne.

Ordonne à l'intimé de payer à la plaignante Louise Courtois pour préjudice moral la somme de 1 500.00$;

Ordonne à l'intimé de verser à la plaignante pour son enfant Julie Girard, une somme de 500.00$ pour préjudice morale causé à Julie Girard.

ET J'AI SIGNE A QUEBEC ce 8 janvier 1990.

Maurice Bernatchez, avocat Président du Tribunal

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