Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 7/94 Décision rendue le 28 avril 1994

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : JULIUS H.E. UZOABA

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Anne L. Mactavish Présidente Ross Robinson Membre Lino Sa Pessoa Membre

ONT COMPARU : Me Michael Gottheil Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Me Ian McCowan Avocat du Service correctionnel du Canada

DATES ET LIEUX Les 8, 9 et 10 mars 1993 DE L'AUDIENCE: Les 3, 4 et 5 mai 1993 Les 26, 27 et 28 juillet 1993 Les 9, 10 et 11 août 1993 Kingston (Ontario) Les 20, 21 et 22 septembre 1993 Ottawa (Ontario)

TABLE DES MATIERES

I HISTORIQUE

II LA PLAINTE

III ÉVÉNEMENTS SURVENUS AU COURS DES ANNÉES

a) Le droit

b) Analyse

c) L'incident du garage

IV INCIDENTS MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE

a) Évaluation du rendement de 1980

b) Les appels téléphoniques

c) Agression par un détenu

d) La pétition

e) Témoignage de Marc-Arthur Hyppolite

f) Retenue du curriculum vitae

g) Droits de priorité de M. Uzoaba

h) Prolongation du droit de priorité

i) Offres d'emploi

j) Références négatives

k) Offre de paiement en espèces

V LE DROIT

a) Norme de preuve et fardeau de la preuve

b) Rôle de la discrimination

c) Responsabilité de l'employeur à l'égard du harcèlement de la part des détenus

d) Obligation de l'employeur

VI APPLICATION DES REGLES DE DROIT AUX FAITS

VII RÉPARATION

a) Excuses

b) Rétablissement

c) Formation

d) Perte de salaire et limitation du préjudice

e) Correction du dossier personnel

f) Indemnité spéciale

g) Intérêts

VIII CONCLUSION

Il s'agit, en l'espèce, d'une plainte de discrimination et de harcèlement fondés sur la race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique et visés par les articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la «Loi»).

I HISTORIQUE

Né au Nigeria en 1939, Julius H.E. Uzoaba a obtenu un diplôme en éducation dans ce même pays en 1958. De 1959 à 1966, il a travaillé comme agent d'évaluation initiale dans une prison du Nigeria oriental et comme enseignant au secondaire. En 1966, il a émigré au Canada et, de 1966 à 1970, il a poursuivi des études à la St. Mary's University à Halifax, où il a obtenu en 1970 un baccalauréat spécialisé en économie et en statistique. De 1970 à 1972, il a étudié à l'Université d'Ottawa et a obtenu sa maîtrise en criminologie en juin 1972. Au cours des deux années suivantes, il a travaillé comme chercheur à temps partiel au département de criminologie de l'Université d'Ottawa.

Le 12 novembre 1974, M. Uzoaba a commencé à travailler pour le Service correctionnel du Canada (l'«intimé» ou le «SCC»), alors appelé le Service canadien des pénitenciers. Au cours des années suivantes, M. Uzoaba a travaillé comme agent de classification ou comme agent de rééducation et de formation (unité résidentielle), qui est un poste connexe. Il a été l'un des premiers agents de classification noirs de l'Ontario.

L'agent de classification travaille avec les détenus. Il les évalue individuellement et analyse à cette fin les antécédents sociaux et criminels de l'individu. Il élabore et recommande des programmes pour chaque détenu, compte tenu des besoins de celui-ci et de la nécessité de protéger la société. L'une des fonctions les plus importantes de l'agent de classification est peut-être celle qui consiste à préparer à l'intention de la Commission des libérations conditionnelles et des comités d'examen des demandes de permission de sortir des rapports dans lesquels il analyse les cas des individus et indique s'il y a lieu de leur accorder une libération temporaire ou permanente de l'établissement en question.

De 1974 à novembre 1978, M. Uzoaba a travaillé dans divers établissements du SCC et a également été détaché temporairement à l'administration centrale à Ottawa. En novembre 1978, il a commencé à travailler comme agent de classification à l'établissement de Collins Bay («ECB»). La plainte de M. Uzoaba se rapporte aux événements survenus dans cet établissement ainsi qu'aux événements qui ont suivi son départ de cet endroit.

II LA PLAINTE

M. Uzoaba a d'abord déposé une plainte contre le SCC auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la «Commission»), le 23 novembre 1988. Cette plainte a subséquemment été modifiée à trois reprises, soit le 12 décembre 1988, le 23 décembre 1988 et le 26 avril 1989. Voici le texte final de la plainte :

[TRADUCTION]

Le Service correctionnel du Canada a agi de façon discriminatoire à mon endroit en me traitant différemment dans le cadre de mon travail et en me harcelant en raison de ma race, de ma couleur (noire) et de mon origine nationale ou ethnique, contrairement aux articles 7 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai commencé à travailler pour le Service correctionnel du Canada à Warkworth, en Ontario, en 1974. J'ai été le premier agent de classification noir du Service correctionnel du Canada en Ontario.

Je suis d'avis que les actes suivants ont été commis en raison de ma race, de ma couleur et de mon origine nationale ou ethnique :

  1. En 1980, alors que je travaillais comme agent de correction WP-03 à l'établissement de Collins Bay à Kingston (Ontario), j'ai reçu une évaluation de rendement négative qui ne correspondait pas à la qualité de mon travail. Certains de mes collègues blancs qui n'avaient pas autant de formation et d'expérience que moi ont obtenu de bonnes évaluations.
  2. Mes conditions de travail à l'établissement de Collins Bay n'étaient pas les mêmes que celles de mes collègues de race blanche. J'ai été victime de harcèlement au téléphone et j'ai fait l'objet d'insultes racistes à partir de janvier jusqu'au 17 mars 1980. Je pense que ces appels et ces insultes provenaient du personnel.
  3. Le 14 mars 1980, un détenu m'a agressé et je crois que la direction a consenti à ce geste. Le jour ouvrable suivant, le 17 mars 1980, on m'a renvoyé de l'établissement, sous le prétexte de me protéger.
  4. Le 6 juin 1980, une pétition que 247 détenus ont signée avec, je crois, la participation de la direction, a été versée dans mon dossier sans autre enquête. Pour qu'on la retire, j'ai été forcé, le 10 juillet 1980, de convenir par écrit de ne pas travailler avec des détenus en milieu carcéral.
  5. Lorsque je suis revenu à l'automne de 1982 après une absence de deux ans pour congé d'études, mon curriculum vitae n'a pas été transmis à la Commission de la fonction publique avant plusieurs mois, ce qui a diminué mes chances d'emploi car, lorsqu'il est finalement parvenu à la Commission, le gel de l'embauche avait débuté et je n'ai pu me trouver un emploi.
  6. Le Service correctionnel du Canada a d'abord refusé de prolonger mon droit de priorité lorsqu'il a expiré le 30 septembre 1983, malgré le fait qu'il avait retenu mon curriculum vitae. Cependant, la direction a fini par prolonger mon droit de priorité, mais seulement pour une période de quatre mois allant du 15 octobre 1984 au 14 février 1985.
  7. Même si des postes appropriés étaient disponibles, le Service correctionnel du Canada ne m'a offert que des emplois qui ne convenaient pas. En m'offrant un poste à l'établissement de Millhaven le 20 janvier 1983, le Service a abrogé unilatéralement l'entente selon laquelle je ne devais pas travailler avec les détenus. On m'a offert seulement des postes correspondant à un niveau équivalent ou inférieur à celui du poste que j'occupais précédemment, malgré le fait que j'avais obtenu mon doctorat. Même si la direction pouvait le faire, elle ne m'a pas offert sans concours l'un ou l'autre des deux postes de niveau WP-04 qui étaient disponibles à l'administration régionale en avril 1983.
  8. Le Service correctionnel du Canada m'a empêché de réintégrer la fonction publique en me donnant de mauvaises références et en incitant des personnes qui connaissaient la bonne qualité de mon travail à dire le contraire. Je n'ai donc pu obtenir un autre emploi, que ce soit dans le Service correctionnel du Canada ou dans d'autres ministères du gouvernement fédéral.
    1. Au début d'août 1983, la Commission de la fonction publique m'a envoyé à Statistique Canada, où j'ai passé une entrevue au sujet d'un poste d'agent d'évaluation ES-04. Quelques jours plus tard, on m'a dit que le poste ne m'était pas offert, en raison d'une entrevue avec l'une des personnes citées comme référence.
    2. Le 19 février 1985, j'ai passé une entrevue au Secrétariat d'État de Hamilton au sujet d'un poste d'agent de développement social WP-04 à Toronto. Deux semaines plus tard, on m'a fait savoir par écrit que je ne convenais pas pour le poste.
    3. Le 25 février 1985, j'ai passé une entrevue pour un poste d'enquêteur, Affaires des détenus WP-03 à Ottawa, au Secrétariat du Solliciteur général. Le 15 mars 1985, on m'a dit que je ne convenais pas pour l'emploi.
  9. Je suis toujours à l'emploi du Service correctionnel du Canada, en congé de convenance personnelle. Le Service correctionnel du Canada n'a rien fait pour me trouver un poste approprié depuis 1985. En janvier et février 1989, il a exercé des pressions pour que je démissionne. Lorsque j'ai refusé, on m'a dit que je serais renvoyé.

III ÉVÉNEMENTS SURVENUS AU COURS DES ANNÉES 70

Au début de l'audience, l'avocat de la Commission a indiqué qu'il avait l'intention de présenter une preuve au sujet de certains incidents qui sont survenus au cours des années 70 et qui concernent M. Uzoaba. Il a précisé qu'il ne cherchait pas à obtenir une réparation à l'égard des incidents survenus avant 1980. La preuve visait plutôt à expliquer le fondement de la plainte ainsi que le contexte dans lequel les événements reprochés sont survenus. Au fur et à mesure que la preuve a été présentée, la position de la Commission est devenue évidente : à son avis, seule une présentation de la façon dont la situation professionnelle du plaignant avait évolué permettrait au Tribunal de bien comprendre la façon dont M. Uzoaba a réagi aux incidents reprochés dans la plainte.

L'avocat de l'intimé s'est vivement opposé à l'admission de cette preuve, soutenant d'abord que les incidents débordaient le cadre de la plainte. En outre, il a fait valoir que les événements en question n'étaient pas pertinents, parce qu'ils concernent des incidents survenus dans des établissements qui n'ont rien à voir avec la plainte elle-même et qui se sont produits jusqu'à six ans avant le premier des incidents mentionnés dans la plainte. En troisième lieu, l'intimé a ajouté qu'en élargissant la portée de la plainte de façon que celle-ci couvre des événements remontant à 1974, le Tribunal agirait d'une façon inéquitable qui irait à l'encontre des principes de justice naturelle. A cet égard, l'intimé a fait état des problèmes inhérents à l'identification et à la recherche des témoins ainsi que du souvenir imprécis que les témoins disponibles auraient des événements en question. Enfin, l'intimé a soutenu que le Tribunal n'avait pas compétence pour examiner les actes survenus avant le 1er mars 1978, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Après avoir entendu les arguments des avocats au sujet de l'objection préliminaire, le Tribunal a décidé que les parties pourraient présenter une preuve au sujet des événements survenus au cours des années 70. Cependant, il a mis en délibéré la question de l'importance à accorder à cette preuve, si celle-ci devait finalement être admise. C'est dans ce contexte que l'audience s'est déroulée. Il convient de souligner que l'avocat de l'intimé avait été mis au courant des allégations concernant les événements survenus au cours des années 70 environ trois mois avant le début de l'audience et qu'il avait obtenu des copies de la plupart des documents que la Commission chercherait à invoquer.

Sans examiner de façon détaillée la nature de la preuve, le Tribunal précise que quelques incidents sont survenus dans différents établissements du SCC au cours d'une période de six ans. S'ils étaient

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établis, certains de ces incidents constitueraient clairement de la discrimination à l'endroit du plaignant ou du harcèlement fondé sur la race, la couleur ou l'origine nationale ou ethnique de M. Uzoaba. D'autres actes reprochés n'étaient pas discriminatoires à première vue, mais l'avocat de la Commission a soutenu qu'ils étaient motivés par des considérations racistes ou qu'ils découlaient d'une forme de discrimination raciale inconsciente à l'endroit du plaignant.

a) Le droit

L'avocat de la Commission s'est fondé sur plusieurs arrêts pour soutenir que la preuve relative aux événements survenus pendant les années 70 devrait être admise. Selon lui, les arrêts Re Latif and the Human Rights Commission (1979), 105 D.L.R. (3d) 609 et Dalton c. Commission canadienne des droits de la personne et al, [1985] 1 C.F. 37 permettent de dire que les pratiques discriminatoires qui ont débuté avant l'entrée en vigueur de la Loi, mais qui se sont poursuivies après celle-ci, peuvent être visées par la Loi. Soutenant que les actes survenus au cours des années 70 faisaient partie d'un comportement discriminatoire continu, la Commission a souligné que, même si les événements se sont peut-être produits dans plusieurs établissements alors que le plaignant était sous la surveillance de différentes personnes, ils ont tous eu lieu dans le cadre de l'emploi qu'il a exercé pour l'intimé. En réponse à l'argument de l'intimé selon lequel la Commission cherche à élargir la portée de la plainte, la Commission invoque les arrêts Cousens c. L'Association des infirmières et infirmiers du Canada (1981), 2 C.H.R.R. D/365 et Barnard v. Fort Francis Board of Police Commissioners (1986), 7 C.H.R.R. D/3167 pour dire qu'une plainte en matière de droits de la personne est différente d'une dénonciation et vise plutôt à informer l'intimé des allégations qui seront examinées à l'audience. La principale question à trancher est celle de savoir si l'intimé a eu un avis suffisant des allégations qu'il devra réfuter, compte tenu des règles d'équité en matière de procédure.

L'intimé cite également l'arrêt Latif (supra) pour dire que, en cherchant à présenter des éléments de preuve concernant des événements qui sont survenus au cours des années 70, la Commission tente de donner à la Loi une application rétrospective. Selon l'intimé, les incidents en question ont commencé et se sont terminés avant l'entrée en vigueur de la Loi et, par conséquent, celle-ci ne s'applique pas.

L'intimé ajoute que, selon le paragraphe 50(1) de la Loi, un tribunal peut examiner seulement la plainte et non la preuve d'événements qui se sont produits avant les incidents mentionnés dans ladite plainte, sauf si la Commission a d'abord accordé une dispense conformément à l'alinéa 41e) de la Loi, dont le libellé est le suivant :

41 Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants : ...

e) la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.

b) Analyse

Il est indéniable qu'une plainte en matière de droits de la personne est différente d'une accusation au pénal et que le Tribunal jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire qui lui permet de modifier la plainte (Cousens, supra, p. 365 et Barnard, supra, p. 3171), pourvu qu'un avis suffisant soit donné à l'intimé. En l'espèce, on ne demande pas une modification formelle de la plainte; la Commission a même indiqué clairement qu'elle ne demandait aucune réparation à l'égard des événements survenus au cours des années 70. Elle désire plutôt présenter certains éléments de preuve qui permettront de comprendre, du point de vue du plaignant, les répercussions des événements reprochés dans la plainte.

Selon l'alinéa 50(2)c) de la Loi, un tribunal peut recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire.

Bien que cette disposition accorde de larges pouvoirs au Tribunal en ce qui a trait à la preuve qu'il peut recevoir, il est bien évident que cette preuve doit être pertinente quant aux questions en litige.

Les tribunaux des droits de la personne ont reconnu que, notamment dans les affaires de harcèlement, la sensibilité et le degré de tolérance varient d'un plaignant à l'autre et que les actes de harcèlement doivent donc être examinés du point de vue de la victime (voir, par exemple, Stadnyk c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, D.T. 13/93). Des éléments de preuve concernant les expériences passées, notamment dans le milieu de travail, peuvent être pertinents et permettre au Tribunal de comprendre le point de vue de la victime. En outre, dans les affaires de harcèlement, la nature des efforts que l'employeur a déployés pour empêcher le harcèlement ou la façon dont il a réagi aux actes de harcèlement sera souvent en litige. Pour déterminer si un employeur a agi rapidement et de façon appropriée dans toutes les circonstances d'un cas donné, il faudra bien souvent tenir compte de la connaissance qu'avait l'employeur quant à la vulnérabilité d'un employé donné. En conséquence, de l'avis du Tribunal, la preuve que la Commission a cherché à présenter était pertinente quant aux questions en litige en l'espèce.

En ce qui a trait à l'argument de l'intimé selon lequel la Commission cherche à donner à la Loi une application rétrospective, il convient d'examiner la nature de la rétrospectivité. Une loi est appliquée de façon rétrospective lorsqu'elle :

[TRADUCTION]

... crée une nouvelle obligation, pénalité ou invalidité à l'égard d'un événement survenu avant l'adoption.

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(Driedger, The Construction of Statutes, (2d Ed.) p. 701)

En l'espèce, la Commission ne demande pas au Tribunal d'imputer de nouvelles conséquences aux événements survenus pendant les années 70, mais plutôt d'examiner ceux-ci pour déterminer les conséquences devant découler d'événements qui se sont produits après la promulgation de la Loi.

De l'avis du Tribunal, en examinant des événements survenus avant le 1er mars 1978 pour évaluer ou interpréter les répercussions d'incidents survenus après cette date, il ne donne pas une application rétrospective à la Loi.

En dernier lieu, l'intimé soutient que l'obligation pour lui de présenter une preuve au sujet d'événements qui, dans certains cas, remontent à près de vingt ans lui cause un préjudice. Selon le Tribunal, cet argument de l'intimé pourrait être justifié. Tout au long du témoignage des témoins que l'intimé a présentés pour répondre aux allégations concernant les années 70, il a semblé évident que ces personnes avaient un souvenir confus, sinon inexistant, des événements en question. Ce n'est pas étonnant, compte tenu du temps qui s'est écoulé et de la nature des événements sur lesquels leur témoignage portait.

En conséquence, le Tribunal a conclu qu'il serait inéquitable envers l'intimé d'admettre la preuve concernant les événements survenus au cours des années 70 (sauf l'exception indiquée ci-après) et notre décision n'est donc nullement fondée sur cette preuve.

La seule exception à cette conclusion concerne un événement qui s'est produit à l'établissement de Collins Bay à la fin de 1978 et qui est commenté plus longuement ci-après.

c) L'incident du garage

Les établissements du SCC offrent une formation scolaire et professionnelle aux détenus, notamment dans le domaine des réparations de véhicules. Il est reconnu que les employés du SCC peuvent généralement faire réparer leur véhicule dans les garages des établissements. Le véhicule de l'employé est utilisé dans le cadre de la formation et, en échange, l'employé peut faire réparer son véhicule moyennant des frais symboliques.

Selon M. Uzoaba, moins d'une semaine après avoir commencé à travailler à l'ECB à la fin de 1978, il a pris un rendez-vous pour faire réparer son véhicule au garage. Avant que M. Uzoaba ne se rende au garage à cette fin, M. Kenneth Payne, le directeur adjoint de la formation professionnelle à l'établissement, l'a appelé pour lui dire de ne pas conduire son véhicule au garage. L'explication donnée était la suivante : un membre du personnel avait entendu des détenus dire qu'ils avaient l'intention d'endommager le véhicule de M. Uzoaba, si celui-ci l'amenait au garage.

M. Payne, qui a témoigné pour l'intimé, a confirmé le témoignage de M. Uzoaba sur tous les points importants. Il a ajouté qu'il avait

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également appris que les détenus voulaient endommager le véhicule de M. Uzoaba parce que celui-ci était noir. M. Payne a confirmé que cette explication a été communiquée à M. Uzoaba.

Selon M. Payne, lorsqu'une menace de cette nature est reçue, la pratique habituelle consiste à déposer un rapport de situation qui est ensuite révisé au cours de la réunion opérationnelle que le personnel supérieur de l'établissement tient le matin. Le cas peut ensuite être renvoyé à l'agent de sécurité préventive de l'établissement, s'il y a lieu de poursuivre l'enquête.

La preuve ne permet pas de dire si un rapport de situation a été déposé en l'espèce. Il ne semble pas que le cas ait été renvoyé à l'agent de sécurité préventive à des fins d'enquête. En ce qui a trait à la réaction de la direction de l'ECB par suite de la menace, M. Payne a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q. ... Comment le personnel de la direction a- t-il réagi à ça? S'il y a une indication de racisme de la part des détenus à l'endroit d'un membre du personnel, que fait-on?

R. A l'époque, je pense qu'on ne faisait rien. Je ne dis pas ça avec indifférence ou satisfaction. La situation était simple : il y avait un problème et il fallait le résoudre. L'employé n'a pas amené son véhicule et il n'y a donc pas eu de dommages.

(Transcription, vol. 7, p. 1680)

Le Tribunal est d'avis que le témoignage concernant cet incident devrait être admis en preuve. L'incident est survenu à l'ECB environ un an avant les premiers événements visés par la plainte. Même si l'incident du garage n'est pas explicitement mentionné dans celle-ci, il est évident que les exigences liées à l'équité en matière de procédure ont été respectées. L'incident a été manifestement signalé à l'intimé pendant que le présent litige était devant la CCDP. Il faut donc convenir que l'intimé n'a nullement été lésé par la présentation de cette preuve. Rappelons qu'aucune réparation n'est demandée à l'égard de l'incident du garage. L'objet de cette preuve est plutôt d'expliquer l'état d'esprit du plaignant et de démontrer à quel point l'intimé était conscient des problèmes que M. Uzoaba rencontrait dans le milieu de travail. C'est dans cette mesure que la preuve en question est pertinente quant aux questions dont le Tribunal est actuellement saisi.

IV INCIDENTS MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE

a) Évaluation du rendement de 1980

M. Uzoaba soutient qu'en 1980, il a reçu une évaluation de rendement négative qui ne traduisait pas la qualité de son travail. En revanche, ses collègues blancs, qui avaient moins de formation ou d'expérience que lui, ont obtenu de bonnes évaluations.

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L'évaluation du rendement de M. Uzoaba a été faite par son superviseur de l'époque, Robert Markowski, au début de 1980. Elle concerne le rendement de M. Uzoaba pour la période allant de février 1979 à février 1980. Il s'agissait d'une évaluation relativement longue et détaillée.

La section 2a) de l'évaluation renferme une appréciation des principaux objectifs que l'on avait demandé à M. Uzoaba d'atteindre au cours de l'année précédente. Le rendement du plaignant était «entièrement satisfaisant» à l'égard de chacun des quatre grands objectifs de travail mentionnés dans cette section.

La section 2b) de l'évaluation concerne le rendement général de l'employé. Bien que la formule elle-même énonce que l'évaluation qui se trouve dans la section 2a) doit être compatible avec celle de la section 2b), dans le cas de M. Uzoaba, alors que le rendement avait été jugé «entièrement satisfaisant» pour les quatre objectifs, M. Markowski était d'avis que, dans le cas du rendement global, [TRADUCTION] «il y avait place à amélioration : il a atteint la plupart des objectifs convenus pour la période sous examen, mais pas tous».

L'évaluation porte ensuite sur les aptitudes démontrées de M. Uzoaba et renferme des recommandations visant à corriger les faiblesses décelées ainsi que des prévisions concernant l'admissibilité de l'employé à une promotion éventuelle.

M. Uzoaba a indiqué clairement au cours de son témoignage que cette évaluation lui a semblé négative. Il est bien certain qu'elle renferme des critiques concernant le rendement du plaignant, bien que, pour la plupart des aspects évalués, le rendement ait été jugé pleinement satisfaisant.

De l'avis de M. Uzoaba, l'évaluation est non seulement négative, mais aussi inéquitable. Selon lui, son rendement était supérieur à celui des autres agents de classification de l'ECB et, comparativement au rendement de ses collègues, aucun aspect de son travail ne devait être amélioré (transcription, vol. 3, p. 512-513). M. Uzoaba semble désapprouver surtout les critiques formulées dans la section 3b) de l'évaluation, qui renferme des exemples précis de comportement invoqués à l'appui des cotes attribuées. Voici les exemples que M. Markowski a utilisés :

[TRADUCTION]

M. Uzoaba a présenté au comité d'examen des demandes de permission de sortir des cas qui étaient fondés sur des données partielles ou sur des enquêtes incomplètes.

M. Uzoaba n'utilise pas l'expérience et la compétence de ses collègues de l'établissement. Il communique très peu avec ses collègues ainsi qu'avec d'autres membres du personnel de l'établissement.

Au cours de la dernière année, un nombre assez important de détenus ont demandé officiellement de ne plus relever de

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M. Uzoaba, en raison d'un problème de langage ou encore d'une attitude affectée ou autrement répréhensible.

Chacun de ces exemples sera examiné séparément.

En ce qui a trait à la première critique, selon laquelle M. Uzoaba a présenté au comité d'examen des demandes de permission de sortir des cas fondés sur des données partielles ou sur des enquêtes incomplètes, le témoin a dit que ses rapports sur les demandes de permission de sortir étaient toujours présentés à temps et qu'il y joignait toujours les documents pertinents. Lorsqu'il a rencontré M. Markowski en 1980 pour revoir avec lui son évaluation de rendement, il lui a demandé des exemples précis de cas où il n'avait pas fourni les renseignements nécessaires. M. Uzoaba a dit que M. Markowski n'avait pu lui donner d'exemples précis et lui a mentionné qu'il changerait cette partie de l'évaluation.

L'intimé a fait témoigner M. Markowski. En contre- interrogatoire, celui-ci a avoué qu'il ne pouvait indiquer maintenant quelles étaient les lacunes en ce qui a trait à la présentation des cas au comité d'examen des demandes de permission de sortir; cependant, de façon générale, il se souvenait que le comité n'avait pu prendre une décision finale dans certains cas, parce que les renseignements fournis étaient insuffisants. M. Markowski a reconnu que d'autres agents de classification éprouvaient des problèmes semblables.

L'intimé a également appelé M. Larry Stebbins à la barre des témoins. M. Stebbins est actuellement directeur de l'établissement de Pittsburgh. Au début de 1980, il était le directeur intérimaire de l'établissement de Collins Bay. Auparavant, il a été le directeur adjoint de la socialisation à Collins Bay. Une des fonctions de M. Stebbins à ce titre consistait à présider les réunions hebdomadaires du comité d'examen des demandes de permission de sortir. M. Stebbins a dit que, de façon générale, M. Uzoaba pouvait présenter les cas au comité tout aussi bien que la plupart des autres agents de classification. Cependant, M. Stebbins a précisé que, vers septembre 1979, un problème est survenu au sujet de l'un des cas présentés par M. Uzoaba. Plus précisément, M. Uzoaba aurait négligé de déposer au nom d'un détenu, à l'intérieur du délai prescrit, une demande d'autorisation de sortie sans surveillance pour le congé de Noël auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles. M. Stebbins a dit qu'il était très ennuyé par cette omission car, si la demande n'était pas présentée en temps opportun à la Commission des libérations conditionnelles, la permission pourrait être refusée au détenu. Selon M. Stebbins, le problème a été résolu, mais il n'a pu se rappeler comment.

En ce qui a trait à la critique selon laquelle M. Uzoaba n'utilisait pas l'expérience et la compétence de ses collègues de l'établissement, M. Markowski a indiqué clairement au cours de son témoignage que le poste d'agent de classification était un poste de type «ouvert». Il a décrit l'atmosphère collégiale qui régnait au sein de l'ECB, où les agents de classification se consultaient constamment.

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M. Markowski estimait que M. Uzoaba ne consultait pas ses collègues au sujet de cas particuliers. En outre, M. Uzoaba ne communiquait pas suffisamment avec ses collègues de façon informelle, que ce soit [TRADUCTION] «... pour discuter d'une partie de balle, d'un film ou quoi que ce soit» (transcription, vol. 10, p. 2382). Bref, M. Uzoaba [TRADUCTION] «ne cadrait pas» (transcription, vol. 10, p. 2345). En contre-interrogatoire, M. Markowski a admis que l'écart qui séparait M. Uzoaba des autres membres du personnel de l'ECB pouvait découler en partie de différences culturelles.

M. Uzoaba semble avoir une perception bien différente de la nature du poste. Selon lui, il s'agit d'un poste de type «fermé», qui exigeait de la part de l'agent de classification qu'il fasse preuve de discrétion pour gagner la confiance des détenus. A son avis, il serait inapproprié de discuter avec ses collègues de cas particuliers concernant les détenus. En outre, a-t-il dit, il était l'un des agents de classification les plus anciens et c'est lui qui avait reçu la meilleure formation. Il estimait qu'il connaissait son travail et qu'il n'avait donc pas besoin de consulter ses collègues.

La dernière critique relative au rendement de M. Uzoaba concernait le nombre de détenus qui avaient demandé officiellement de ne plus relever de M. Uzoaba, [TRADUCTION] «en raison d'un problème de langage ou encore d'une attitude affectée ou autrement répréhensible».

M. Markowski a dit que M. Uzoaba éprouvait du mal à communiquer avec les hommes qui faisaient partie de sa charge de travail. Selon M. Markowski, M. Uzoaba était perçu par eux comme une personne «négative» qui ne s'inquiétait pas pour eux. En outre, les détenus n'aimaient pas l'attitude de M. Uzoaba. Certains détenus lui ont demandé d'être affectés à un autre agent de classification. M. Markowski a dit qu'il ignorait le nombre de demandes de cette nature qu'il a reçues pendant l'année qui a précédé l'évaluation de rendement, mais il estimait qu'il pouvait en avoir reçu de 12 à 15. En contre-interrogatoire, M. Markowski a mentionné qu'il était prêt à admettre qu'en réalité, le nombre de détenus qui avaient fait cette demande s'élevait à cinq, comme l'avait dit M. Uzoaba, mais qu'il préférait s'en tenir à son estimation de 12 à 15. Il a précisé qu'en moyenne, dans le cas des autres agents de classification, un détenu par année demandait un changement. Tous les détenus qui ont demandé un changement d'agent de classification étaient des Blancs. M. Markowski a dit qu'un ou deux ou au moins deux des détenus ayant demandé un changement d'agent de classification lui ont précisé qu'ils faisaient cette demande en raison de la race de M. Uzoaba. M. Markowski a admis que la race de M. Uzoaba a peut-être été un facteur qui a incité les autres détenus à demander un changement d'agent de classification. Il a ajouté qu'il se pouvait que certains des détenus ayant demandé un changement d'agent l'aient fait sans même avoir rencontré M. Uzoaba. M. Markowski a dit qu'il a refusé d'affecter les individus en question à un agent de classification différent.

Pour sa part, M. Uzoaba a dit qu'il n'a pas été mis au courant des demandes des détenus lorsque celles-ci ont été reçues. Lorsqu'il a

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obtenu de M. Markowski une copie de l'évaluation de rendement, il lui a demandé des renseignements précis au sujet des demandes des détenus et M. Markowski lui a dit que cinq détenus avaient présenté une demande de ce genre. M. Uzoaba a pu indiquer le nom de certains de ces détenus et a souligné que, du moins dans certains cas, la demande de changement a été faite après que le détenu lui ait été confié, mais avant que M. Uzoaba ne le rencontre pour la première fois. Selon celui-ci, des considérations racistes sont à l'origine de plusieurs de ces demandes.

Le plaignant a dit qu'après avoir reçu cette évaluation dont il n'était pas satisfait, il a demandé au comité de révision des évaluations de l'établissement, présidé par M. Stebbins, de la réviser. Cette révision a eu lieu en février 1980. Voici les commentaires du comité de révision :

[TRADUCTION]

Le comité a constaté la différence entre les évaluations des sections 2a) et b). D'après les commentaires qui figurent à la section 2b), il y a place à amélioration quant au rendement global, tandis que le rendement est jugé entièrement satisfaisant à la section 2a), en ce qui a trait aux quatre grands objectifs de travail. Nous sommes d'accord avec les recommandations du superviseur au sujet de la formation.

La preuve relative à la présentation de cas au comité d'examen des demandes de permission de sortir n'est pas concluante. Le Tribunal n'est pas prêt à tirer une conclusion du fait que M. Markowski est incapable d'indiquer maintenant des cas précis où la présentation de M. Uzoaba aurait été incomplète. Une évaluation de rendement est une tâche relativement routinière pour le gestionnaire. L'évaluation de rendement qui nous concerne a été faite en 1980. Même si M. Markowski savait qu'il serait question de cette évaluation au cours de l'audience, on lui demande maintenant de reconstruire des événements qui remontent à environ treize ans. Pour sa part, M. Stebbins a indiqué catégoriquement que, dans un cas du moins, un problème s'est posé au sujet d'une demande que M. Uzoaba avait présentée au comité d'examen des demandes de permission de sortir, mais qu'il ne s'agissait pas d'un problème découlant de [TRADUCTION] «données partielles ou d'enquêtes incomplètes», contrairement à ce qu'on peut lire dans l'évaluation de rendement.

Par ailleurs, la preuve présentée au sujet du fait que M. Uzoaba ne faisait pas appel à l'expérience de ses collègues n'est pas concluante non plus. Il est bien évident que MM. Uzoaba et Markowski avaient des perceptions fondamentalement opposées de la nature du travail. Il est également indéniable que M. Uzoaba se croyait supérieur à ses collègues, tant en raison de son expérience que de sa formation, et estimait que ceux- ci ne pourraient pas vraiment l'aider. Toutefois, M. Markowski a également soutenu que M. Uzoaba ne «cadrait pas». Son témoignage sur ce point est troublant et le Tribunal craint que cette évaluation ne soit fondée en partie sur des différences culturelles. Cependant, la preuve présentée ne permet pas au Tribunal de tirer une conclusion à ce sujet.

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Quant au nombre de détenus qui ont demandé de changer d'agent de classification, le Tribunal n'hésite pas à dire qu'il était inéquitable et inapproprié d'évaluer le rendement de M. Uzoaba uniquement sur la foi de ces demandes. Le Tribunal accepte l'estimation que M. Uzoaba a proposée quant au nombre de détenus qui auraient demandé un changement d'agent de classification. Son témoignage sur ce point était à la fois précis et circonstancié, tandis que celui de M. Markowski était vague. Bien entendu, cette question avait plus d'importance pour M. Uzoaba qu'elle n'en avait pour M. Markowski et le souvenir du plaignant était vraisemblablement plus précis. M. Markowski a dit qu'au moins deux détenus lui ont mentionné que la raison de leur demande était la race ou la couleur de la peau du plaignant. Il a aussi admis qu'il se pouvait que d'autres demandes aient été fondées sur des considérations raciales et a ajouté qu'il avait envisagé cette possibilité à l'époque. Le Tribunal accepte également le témoignage de M. Uzoaba selon lequel certains des détenus ont demandé un changement sans même l'avoir rencontré. S'il est possible que quelques-uns des détenus aient demandé un changement pour des raisons directement liées au rendement de M. Uzoaba, il est aussi évident qu'un nombre important de détenus l'ont fait pour des raisons liées à l'intolérance et aux préjugés. De l'avis du Tribunal, l'acceptation aveugle et absolue par le SCC de ces actions comme mesure légitime du rendement de M. Uzoaba équivaut de la part de l'employeur à de la discrimination fondée sur la race.

Dans sa plainte, M. Uzoaba allègue aussi que des collègues blancs qui n'avaient pas autant de formation ou d'expérience que lui ont reçu de bonnes évaluations. Cependant, la preuve présentée à ce sujet n'était pas suffisante pour permettre au Tribunal de tirer une conclusion à cet égard.

b) Les appels téléphoniques

Au paragraphe 2 de la plainte, M. Uzoaba allègue que ses conditions de travail à l'ECB n'étaient pas les mêmes que celles de ses collègues blancs. Il soutient qu'il a fait l'objet de harcèlement au téléphone et d'insultes racistes. A son avis, ces appels provenaient du personnel.

Au cours de son témoignage, M. Uzoaba a dit que, dès janvier 1980, il a reçu une série d'appels téléphoniques anonymes au travail. Pendant ces appels, l'interlocuteur employait des jurons et traitait M. Uzoaba de «nègre». Selon le plaignant, au cours de la période allant de janvier au 17 mars 1980, il a reçu entre 80 et 120 appels de cette nature.

Le plaignant a dit qu'il a parlé de ces appels à M. Markowski, qui était alors son superviseur. M. Markowski a alors proposé au plaignant de vérifier si les appels téléphoniques étaient acheminés par le standard de l'établissement, afin de déterminer s'ils provenaient de l'intérieur ou de l'extérieur. Après avoir vérifié auprès du standardiste, M. Uzoaba a conclu que les appels provenaient de l'intérieur de l'établissement.

La question a alors été signalée à l'attention de M. Robert Frankovich, l'agent de sécurité préventive de l'établissement. Selon M. Uzoaba, M. Frankovich lui a alors remis un dispositif d'enregistrement qui devait être relié par un fil au téléphone. M. Uzoaba

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a dit qu'il avait placé le dispositif sous son pupitre et qu'il l'avait dissimulé à l'aide d'un journal, afin d'empêcher les détenus de le voir. A l'occasion, M. Frankovich lui demandait de lui remettre le dispositif. Selon M. Uzoaba, dès que le dispositif était installé, les appels téléphoniques cessaient. Chaque fois que M. Frankovich le reprenait, les appels recommençaient. Cette démarche a été répétée à sept ou huit reprises, ce qui a incité M. Uzoaba à croire que l'auteur des appels était au courant de l'installation du dispositif.

En juin 1980, M. Uzoaba a écrit une note à M. Arthur Trono, le directeur général du SCC pour la région de l'Ontario. Dans cette note, M. Uzoaba a mentionné qu'à son avis, le comité des détenus de l'ECB était [TRADUCTION] «probablement derrière tous les appels téléphoniques que j'ai reçus et qui constituaient du harcèlement».

Devant le Tribunal, M. Uzoaba a dit que, selon lui, les appels ont été faits par des employés du SCC ou avec leur complicité. Pour en arriver à cette conclusion, M. Uzoaba s'est fondé sur le fait que les appels reprenaient et cessaient selon que le dispositif d'écoute était en place ou non. En outre, il a ajouté que les détenus ne jouissaient pas d'un accès illimité aux téléphones de l'ECB. Habituellement, lorsqu'un détenu voulait téléphoner, il devait demander à un agent de classification ou à un agent de rééducation et de formation (unité résidentielle) de faire l'appel pour lui. Bien qu'il ait admis en contre-interrogatoire que les détenus pouvaient, à l'occasion, utiliser les téléphones sans l'aide d'un employé du SCC, il a nié que les détenus aient été en mesure de faire eux- mêmes de 80 à 120 appels au cours de la période en question.

M. Uzoaba a dit qu'il ne connaissait aucun autre employé de l'ECB qui avait reçu des appels semblables.

M. Markowski a confirmé que M. Uzoaba s'était plaint auprès de lui au sujet des appels téléphoniques. Selon M. Markowski, lui-même ou quelqu'un d'autre a alors consulté l'agent de sécurité préventive de l'établissement pour déterminer les mesures à prendre afin d'identifier l'auteur des appels. Ni M. Markowski non plus que les autres témoins de l'intimé n'ont présenté une preuve satisfaisante au sujet des mesures qui ont été prises pour tenter d'identifier l'auteur ou les auteurs. Aucune explication n'a été donnée quant aux enquêtes qui auraient été menées. M. Frankovich n'a pas été cité à témoigner et aucune explication n'a été fournie à ce sujet.

Selon M. Markowski, il arrivait souvent que les employés de l'ECB reçoivent des menaces adressées à eux-mêmes et à leurs familles. A son avis, cela faisait partie du travail. Plusieurs témoins de l'intimé ont dit la même chose.

M. Markowski n'était pas d'accord avec le témoignage de M. Uzoaba au sujet de l'accessibilité des téléphones pour les détenus. Selon M. Markowski, tout détenu faisant du travail de bureau à l'intérieur de l'établissement pouvait avoir suffisamment accès aux téléphones pour faire le nombre d'appels que M. Uzoaba soutient avoir reçus.

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M. Markowski a ajouté que les bureaux des agents de classification étaient nettoyés par des détenus. Le nettoyage avait généralement lieu le jour, du lundi au vendredi.

M. Stebbins a également confirmé que M. Markowski l'a informé au sujet des appels téléphoniques que M. Uzoaba recevait. M. Stebbins a nié avoir participé de quelque façon que ce soit aux décisions prises à ce sujet, affirmant que c'est le directeur adjoint de la sécurité et l'agent de sécurité préventive de l'établissement qui se sont occupés de ce problème. Le directeur adjoint de la sécurité n'a pas été cité à témoigner pour l'intimé non plus.

L'intimé a fait témoigner Mme Janet Ethier à ce sujet. Mme Ethier est actuellement agente de gestion de cas à l'établissement de Frontenac. Au début des années 80, elle a travaillé à l'ECB, également comme agente de gestion de cas. Elle a dit que, à cette époque, elle a reçu au travail une série d'appels téléphoniques qui constituaient une forme de harcèlement sexuel. Selon elle, elle aurait reçu de quatre à six appels téléphoniques pendant une période d'environ un mois.

Mme Ethier a dit que, en vérifiant auprès de la standardiste, elle a conclu que les appels provenaient de l'intérieur de l'établissement. Mme Ethier a parlé de la situation à M. Frankovich, qui lui a remis un dispositif d'enregistrement. Selon Mme Ethier, elle n'a pas été capable de faire fonctionner le dispositif. Dans son cas, l'auteur des appels n'a jamais été identifié.

Mme Ethier a ajouté qu'elle savait que d'autres employés du SCC recevaient des appels téléphoniques qui constituaient du harcèlement. Selon elle, il n'était pas rare que des employés du SCC fassent l'objet de menaces de la part des détenus. A titre d'exemple, elle a raconté qu'elle avait reçu, chez elle, une menace de mort de la part de l'un des détenus dont elle s'occupait et qui était illégalement en liberté à l'époque.

Selon Mme Ethier, il est fort possible que les détenus aient eu suffisamment accès aux téléphones à l'intérieur de l'établissement pour faire de 80 à 120 appels au cours d'une période allant de deux mois et demi à trois mois.

Pendant les plaidoiries, l'avocat de l'intimé n'a pas contesté le fait que M. Uzoaba a reçu des appels téléphoniques anonymes ou qu'il s'agissait d'appels de nature raciste. Cependant, il n'était pas d'accord avec le nombre d'appels indiqué par M. Uzoaba, soulignant que celui-ci avait dit qu'il avait généralement reçu de deux à trois appels par jour, habituellement tous les deux jours, lorsque le dispositif d'écoute n'était pas en place. En outre, a-t-il rappelé, M. Uzoaba a dit que le dispositif se trouvait dans son bureau pendant la majeure partie de la période allant de janvier au 17 mars 1980. Selon l'avocat, le plaignant aurait plutôt reçu de 20 à 30 appels.

L'avocat de l'intimé conteste également la bonne foi de M. Uzoaba lorsqu'il dit que la direction du SCC a participé d'une façon ou d'une

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autre aux appels, soulignant que, dans une note en date du 9 juin 1980, M. Uzoaba a indiqué qu'à son sens, c'est le comité des détenus qui était derrière tout cela. L'avocat a soutenu qu'après le 9 juin 1980, aucun événement qui aurait pu donner au plaignant des raisons de changer d'avis n'est survenu. Effectivement, l'avocat se fonde sur cette note du plaignant pour contester le témoignage de celui-ci au sujet du fait que les appels s'arrêtaient et reprenaient selon que le dispositif d'enregistrement était installé ou enlevé. D'après l'avocat, si tel avait vraiment été le cas, M. Uzoaba aurait eu des motifs de soupçonner la direction de complicité en juin 1980 et l'aurait indiqué dans sa note du 9 juin de la même année.

Cependant, la preuve indique qu'au cours des trois premiers mois de 1980, M. Uzoaba a reçu un nombre important d'appels téléphoniques anonymes de nature raciste et cette preuve n'est pas contestée. A l'instar de l'intimé, le Tribunal reconnaît que l'estimation de 80 à 120 appels téléphoniques est peut-être exagérée, compte tenu du témoignage de M. Uzoaba au sujet de l'installation et du retrait du dispositif d'enregistrement et de son estimation du nombre d'appels reçus tous les jours lorsque le dispositif n'était pas en place. Cependant, le nombre précis d'appels téléphoniques n'a pas vraiment d'importance. L'avocat admet lui-même que M. Uzoaba aurait reçu de 20 à 30 appels au cours de cette période, ce qui est une situation intolérable en soi.

Les circonstances entourant les appels, leur fréquence et, notamment, l'allégation selon laquelle les appels reprenaient chaque fois que le dispositif d'enregistrement était enlevé donnent certainement à penser que la direction a peut-être participé d'une façon ou d'une autre à ces appels. Cependant, le Tribunal est préoccupé par le fait que M. Uzoaba n'a pas mentionné cette possibilité dans sa note du 9 juin 1980. Il reconnaît également que les détenus qui s'occupaient du nettoyage avaient accès aux bureaux des agents de classification et pouvaient donc suivre le mouvement du dispositif d'enregistrement. Le Tribunal accepte le témoignage des témoins de l'intimé au sujet de l'accessibilité des téléphones pour les détenus et conclut qu'il était effectivement possible que les détenus aient suffisamment accès aux téléphones de l'établissement pour avoir fait les appels. Pour ces motifs, le Tribunal ne peut conclure que la direction du SCC était impliqué directement dans les appels téléphoniques en question.

Il faut cependant se demander quelle est la responsabilité d'un employeur comme le SCC lorsqu'un employé reçoit dans son milieu de travail des appels téléphoniques de nature raciste non pas de ses collègues, mais des détenus. On peut également se demander si le SCC a réagi de façon appropriée en l'espèce. Ces questions seront examinées dans les parties V et VI de la présente décision.

c) Agression par un détenu

M. Uzoaba soutient qu'il a été agressé par un détenu le 14 mars 1980. Selon le plaignant, cette agression a eu lieu avec le consentement de la direction. En outre, le jour ouvrable suivant, soit le 17 mars 1980, on l'a renvoyé de l'établissement sous le prétexte de le protéger.

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Au cours de son témoignage, M. Uzoaba a dit que, le 14 février 1980, il a rencontré le détenu R.L. qui lui a demandé de l'aider à faire un interurbain. M. Uzoaba a composé un numéro correspondant à un endroit situé en Alberta et a été avisé que la personne à laquelle R.L. voulait parler ne pouvait plus être jointe à ce numéro. M. Uzoaba a alors tenté, encore sans succès, de faire un autre numéro à la demande de R.L. Cette démarche a été répétée à maintes reprises. Finalement, un autre détenu qui avait rendez-vous avec M. Uzoaba est arrivé. M. Uzoaba a donc dit à R.L. qu'ils essaieraient de faire l'appel un autre jour.

R.L. s'est levé et a vidé le contenu d'un cendrier qui se trouvait sur le pupitre de M. Uzoaba sur la tête de celui-ci. Il a ensuite agrippé le plaignant, l'a poussé contre le mur puis, pour reprendre les mots de M. Uzoaba, il l'a [TRADUCTION] «frappé comme un déchaîné» (transcription, vol. 2, p. 251).

Au cours de l'altercation, un autre employé du SCC est entré dans la pièce et a fait sortir R.L..

M. Uzoaba a dit qu'il était affligé, physiquement et moralement, et qu'il a quitté l'établissement. Lorsqu'il est retourné travailler le lundi suivant, on lui a demandé d'aller voir M. Stebbins. Selon M. Uzoaba, M. Stebbins lui a dit que, par suite de l'agression, il ne pourrait rester plus longtemps à l'ECB. M. Stebbins avait apparemment discuté de cette affaire avec M. Trono, le directeur régional, et M. Uzoaba était muté à l'administration régionale. Le plaignant croyait qu'il s'agissait là d'une mutation permanente.

M. Uzoaba s'est alors présenté à l'administration régionale et il a constaté qu'il n'avait plus de travail à faire : il s'occupait [TRADUCTION] «simplement de ramasser les papiers» (transcription, vol. 2, p. 255).

Le 9 avril 1980, on a demandé à M. Uzoaba de rencontrer M. Trono, M. Brian Yealland, gestionnaire des programmes pour les délinquants, M. Patrick Quinn, autre employé de l'administration régionale, et M. Stebbins. Selon M. Uzoaba, M. Trono a débuté la rencontre en lui disant qu'il retournerait à l'ECB le 14 avril. M. Uzoaba s'est montré très étonné car, selon un principe bien reconnu en criminologie, lorsqu'un agent a été menacé dans un établissement, il ne devrait pas y retourner à moins que la menace ne soit d'origine précise et temporaire. M. Uzoaba n'était pas d'accord avec l'opinion de M. Trono selon laquelle les parties concernées avaient eu le temps de se calmer et qu'il pouvait maintenant retourner sans crainte à l'établissement.

M. Uzoaba dit avoir soutenu catégoriquement qu'il ne devrait pas être tenu de retourner à l'établissement. M. Trono lui a alors expliqué qu'il n'y avait aucun poste disponible pour lui à l'administration régionale. Selon le plaignant, c'est là la première indication qu'il a eue du fait que sa mutation de l'ECB n'était pas permanente. M. Trono a ensuite demandé à M. Uzoaba de lui écrire une lettre pour l'aider à lui trouver un poste dans le cadre duquel il ne serait pas appelé à travailler

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avec les détenus car, selon M. Trono, le plaignant avait du mal à communiquer avec eux. Le 10 avril 1980, M. Uzoaba a écrit la lettre suivante à M. Trono :

[TRADUCTION]

Monsieur Trono,

Je vous écris la présente lettre pour vous demander de m'aider à me trouver un emploi dans d'autres ministères du gouvernement. Comme vous le savez sans doute, depuis que j'ai commencé à travailler à l'établissement de Collins Bay comme agent de classification en novembre 1978, j'ai dû subir presque tous les jours un nombre insupportable d'insultes de nature raciste de la part des détenus. Le récent incident du 14 mars 1980, au cours duquel un détenu m'a agressé dans mon bureau, n'est que le début d'une violence organisée contre moi, d'après ce qu'on m'a dit. Selon l'enquête du directeur intérimaire, M. L. Stebbins, à ce sujet, ce n'est que «la pointe de l'iceberg». Il est évident désormais, pour moi comme pour toutes les personnes concernées, j'imagine, que ma vie est en danger à cet établissement. C'est une situation très pénible.

Je travaille actuellement au niveau WP-3 et j'aimerais obtenir un poste appartenant au même groupe et au même niveau. Par ailleurs, certains postes appartenant à d'autres groupes, comme SI, AS, PM, etc. m'intéressent vivement aussi. En fait, je suis prêt à accepter tout emploi à mon niveau actuel dans n'importe quel ministère pour fuir cet enfer. Je ne ressens pas la quiétude d'esprit et la satisfaction que la plupart des gens éprouvent face à leur travail.

Je suis titulaire d'un baccalauréat spécialisé en économie et d'une maîtrise en administration correctionnelle. J'aimerais beaucoup que vous m'aidiez à me trouver un emploi dans la région d'Ottawa. Pour des raisons d'ordre familial, je préférerais travailler dans la région d'Ottawa-Hull.

Je vous demande humblement de considérer cette affaire comme une question de vie ou de mort. Comme je travaille actuellement à Kingston cinq jours par semaine, je dispose de très peu de temps pour établir moi-même des contacts afin de me trouver un emploi.

Je vous remercie à l'avance de votre collaboration et vous prie d'agréer l'expression de mes sentiments les plus distingués.

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Julius F. Uzoaba

M. Uzoaba a rencontré à nouveau M. Trono le 11 avril et il lui a répété ses craintes au sujet de son retour à l'ECB. M. Trono a alors consenti à ne pas renvoyer M. Uzoaba à l'ECB et le plaignant a été affecté à l'établissement de Frontenac, établissement à sécurité minimale situé à côté de l'ECB. Il devait s'occuper de l'accréditation de l'ECB, tâche qui n'exigeait aucun contact avec les détenus.

Il appert de la preuve que R.L. a subséquemment été condamné à vingt-cinq jours d'isolement disciplinaire. Pour M. Uzoaba, cette peine était une «farce» (transcription, vol. 3, p. 592). Selon lui, pour ce genre d'infraction, le délinquant aurait normalement dû être muté à Millhaven, établissement à sécurité maximale.

M. Uzoaba a dit qu'à l'origine il ne croyait pas que la direction de l'ECB ait participé à l'agression, mais que [TRADUCTION] «les événements subséquents ne me permettaient plus d'en douter» (transcription, vol. 3, p. 597). Quant aux événements subséquents en question, il s'agirait, selon le plaignant, de son propre renvoi de l'ECB et de la nature temporaire de ses nouvelles fonctions ainsi que d'autres éléments (notamment la pétition et l'«entente» du 10 juillet 1980, qui seront commentées plus loin dans la présente décision). Lorsqu'on lui a demandé le nom des membres de la direction qui, à son avis, auraient participé à l'agression, M. Uzoaba a dit que M. Stebbins était le [TRADUCTION] «principal acteur».

M. Stebbins a également témoigné à ce sujet. Selon lui, en mars 1980, M. Markowski lui a dit qu'il avait reçu des plaintes au sujet de M. Uzoaba. M. Stebbins a mentionné que, avant le 14 mars 1980, T.F., président du comité des détenus, avait signalé à maintes reprises à l'attention de M. Markowski les plaintes des détenus au sujet de M. Uzoaba, à qui ils reprochaient de ne pas se soucier d'eux et de ne pas tenir suffisamment compte de leurs besoins. M. Stebbins était d'avis que le racisme était l'un de plusieurs facteurs qui expliquaient ce mécontentement à l'endroit de M. Uzoaba.

M. Markowski a confirmé avoir reçu ces plaintes de T.F.. Il ne semble pas que ces plaintes aient été communiquées à M. Uzoaba alors que celui-ci était encore à l'ECB.

Pour comprendre le rôle du comité des détenus dans la présente affaire, il faut connaître le rôle des membres de groupes de motards ou «Bikers» à l'ECB. Selon M. Stebbins, en 1980, le président national du «Satan's Choice», le président local des «Vagabonds» et d'autres membres de divers groupes de motards étaient détenus à l'établissement. On comptait environ 27 motards sur un nombre total de 400 détenus. D'après M. Stebbins, les motards contrôlaient les autres détenus en faisant appel à l'intimidation. M. Stebbins a dit que les motards étaient considérés comme des gens racistes qui n'aimaient pas les Noirs ou les membres appartenant à d'autres groupes ethniques. T.F., le président du comité des détenus, était lui-même un motard appartenant au groupe des Vagabonds. T.F. a fait

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part à M. Stebbins de ses opinions sur les questions raciales et lui a alors clairement avoué ses opinions racistes.

M. Stebbins était le onzième des douze témoins du SCC que l'intimé a appelés et qui, pour la plupart, travaillaient dans la région de Kingston. M. Stebbins est le seul témoin de l'intimé à avoir mentionné l'influence néfaste qu'un groupe reconnu pour ses idées racistes avait à l'intérieur de l'ECB. Même si les témoins de l'intimé n'étaient pas nécessairement tous au courant de ce fait, puisque même M. Uzoaba l'ignorait avant que M. Stebbins ne témoigne, celui-ci a confirmé que quelques témoins de l'intimé, plus précisément M. Markowski (transcription, vol. 12, p. 2725) et M. Trono (transcription, vol. 13, p. 2799), le savaient certainement. Il est donc étonnant que ce point n'ait nullement été mentionné lorsqu'on a posé à ces personnes des questions explicites au sujet du racisme pouvant exister à l'intérieur de l'ECB ainsi qu'au sujet des activités du comité des détenus.

M. Stebbins a dit au cours de son témoignage que, le 13 mars 1980, T.F. est venu le voir et lui a dit qu'il pourrait y avoir un problème à la «section arrière» de l'établissement, soit l'endroit où les détenus restaient. T.F. a fait savoir à M. Stebbins que les détenus en voulaient à M. Uzoaba et songeaient à [TRADUCTION] «lui régler son compte» (transcription, vol. 11, p. 2573). Selon M. Stebbins, il était inhabituel que T.F. lui communique ce genre de renseignements, car cela allait à l'encontre du «code des détenus». M. Stebbins a dit que c'est la seule fois au cours de sa longue carrière dans le SCC qu'il a été informé qu'un employé était visé par un règlement de compte.

M. Stebbins a ajouté que, en milieu carcéral, l'expression «règlement de compte» signifiait qu'une personne pourrait tenter d'attaquer M. Uzoaba.

M. Stebbins a dit qu'il a téléphoné à M. Trono et l'a mis au courant de la situation. Le lendemain, M. Stebbins a discuté de cette question avec le directeur adjoint de la sécurité, M. Don Patterson. M. Stebbins n'a pas parlé à M. Uzoaba des menaces qui avaient été formulées à l'endroit de celui-ci. Selon M. Stebbins, la pratique normale consistait à suivre la voie hiérarchique, c'est-à-dire à informer M. Markowski qui, à son tour, aviserait M. Uzoaba. Cependant, M. Markowski ne se trouvait pas à l'établissement le 14 mars. M. Stebbins savait que M. Markowski était à l'extérieur et que M. Uzoaba serait donc informé plus tard, mais il n'a pris aucune mesure pour l'aviser directement.

M. Stebbins a dit qu'il a présumé que l'agression survenue le 14 mars était sans doute le résultat du «projet de règlement de compte» dont T.F. avait parlé la veille. Il a ajouté qu'après avoir été mis au courant de l'agression, il a communiqué avec M. Trono, qui a proposé que M. Uzoaba se présente à l'administration régionale pour sa propre sécurité. M. Stebbins a rencontré M. Uzoaba le lundi qui a suivi l'agression et lui a fait part de la demande de M. Trono. Selon M. Stebbins, M. Uzoaba l'a remercié d'avoir fait cette démarche.

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M. Stebbins a dit qu'environ trois semaines après le départ de M. Uzoaba, il a appris de M. Trono que le plaignant reviendrait à l'ECB. M. Stebbins ne se rappelle pas précisément ce qu'il a répondu à M. Trono, mais il lui aurait probablement dit ce qui suit : [TRADUCTION] «C'est vous qui prenez les décisions, mais ce n'est peut-être pas une bonne idée» (transcription, vol. 13, p. 2777).

Bien que M. Stebbins ne se souvienne pas précisément d'une réunion tenue le 9 avril 1980, il se rappelle avoir été présent à une rencontre qui a eu lieu dans le bureau de M. Trono et au cours de laquelle MM. Quinn, Trono et Uzoaba étaient également présents. Selon M. Stebbins, M. Trono songeait à renvoyer M. Uzoaba à l'ECB. M. Stebbins a dit qu'il était évident que M. Uzoaba ne voulait pas y retourner et que, effectivement, il a répliqué à M. Trono qu'il intenterait une action en justice si on le forçait à retourner travailler dans un endroit qu'il jugeait dangereux pour lui.

M. Stebbins a confirmé que, à titre de directeur intérimaire de l'ECB, il a présidé une audience disciplinaire au cours de laquelle R.L. a été condamné à 25 jours d'isolement disciplinaire. Il a ajouté que, en plus de devoir purger cette peine après avoir été reconnu coupable d'une infraction de cette nature, R.L. ne ferait pas l'objet de recommandations de la part d'un agent de gestion de cas en vue d'autorisations de sortie, d'un transfèrement à un établissement à sécurité moindre ou de l'octroi de privilèges. En outre, la condamnation toucherait son admissibilité à la libération conditionnelle. Pour reprendre les propos de M. Stebbins, [TRADUCTION] «cette peine reportera sa mise en liberté de quelques années» (transcription, vol. 12, p. 2753).

M. Stebbins n'est pas d'accord avec la suggestion de M. Uzoaba selon laquelle R.L. aurait automatiquement dû avoir été transféré à Millhaven. A titre d'exemple, M. Stebbins a dit que, deux ou trois ans avant l'agression à l'endroit de M. Uzoaba, un détenu a tué deux membres du personnel à l'ECB. Ce détenu a été isolé, mais il est resté longtemps dans ce même établissement après les meurtres.

M. Trono a dit que M. Stebbins l'avait informé de l'agression. Il lui aurait dit que ce n'était que le début et que, si M. Uzoaba restait à l'ECB et que les choses reprenaient comme avant, un préjudice grave ou même un décès pourrait en résulter. C'est pourquoi il a renvoyé M. Uzoaba de l'établissement et l'a muté à l'administration régionale comme mesure provisoire.

M. Trono a dit que, même si les opinions des détenus au sujet de M. Uzoaba étaient peut-être teintées de racisme, elles découlaient principalement de l'intolérance du plaignant, de son arrogance et du fait qu'il était absolument incapable de communiquer avec eux.

M. Trono se souvient qu'il a rencontré M. Uzoaba à plusieurs reprises après l'agression, mais il ne se rappelle pas lui avoir proposé de retourner à l'ECB, bien qu'il ait reconnu que c'était possible.

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M. Trono a dit qu'à son avis, lorsqu'un directeur intérimaire est au courant du fait qu'un employé du SCC fait l'objet d'un ressentiment croissant de la part des détenus et qu'un règlement de compte se trame à son endroit, il doit avertir l'employé pour le protéger.

M. Trono ne se rappelle pas expressément avoir reçu la lettre de M. Uzoaba en date du 10 avril 1980, mais il reconnaît qu'il doit l'avoir reçue. En ce qui a trait aux allégations de racisme que M. Uzoaba a formulées dans cette lettre, voici ce que M. Trono a dit au cours de son témoignage :

[TRADUCTION]

Q. Vous voyez là qu'il parle de... depuis qu'il est arrivé à Collins Bay en novembre 1978, il a dû supporter un nombre intolérable d'insultes à caractère raciste de la part des détenus et ce, presque tous les jours. Maintenant, je pense que nous avons démontré que le racisme de la part des détenus est peut-être compréhensible. Nous savons qu'il existe. Ne diriez-vous pas comme moi que le personnel ne devrait pas être tenu de supporter le comportement et les menaces racistes de la part des détenus?

R. Je suis tout à fait d'accord.

Q. Vous êtes d'accord?

R. Je suis d'accord. Bien sûr.

Q. Maintenant, il vous dit qu'il a dû supporter ce genre de comportement depuis 1978. Il relate ensuite l'incident de l'agression et soutient que ce n'est là que le début d'une violence organisée à son endroit. M. Stebbins lui a dit que ce n'était que la pointe de l'iceberg et il poursuit en disant que sa vie est en danger à l'établissement. Le 10 avril, Monsieur, vous étiez donc au courant des allégations de racisme que M. Uzoaba avaient formulées?

R. Oui.

Q. Vous étiez au courant?

R. Oui.

Q. Maintenant, j'aimerais savoir si vous avez tenu une enquête à ce sujet?

R. La seule enquête que j'ai faite est la démarche que j'ai entreprise auprès du directeur de Collins Bay. Comment faites-vous une enquête à ce sujet auprès d'un groupe de détenus?

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Q. Je vous ai mal compris?

R. Je dis que je ne sais pas comment on peut faire une enquête à ce sujet auprès d'un groupe de détenus. J'ignore comment... (Transcription, vol. 8, p. 1778- 1779)

M. Trono s'exprime plus tard comme suit :

[TRADUCTION]

Q. ... le 10 avril 1980, du moins, vous étiez au courant de ça... vous connaissiez ces allégations...

R. C'est exact.

Q. Vous saviez qu'il faisait l'objet de harcèlement raciste de la part des détenus.

R. Oui, j'imagine que oui.

Q. C'est exact?

R. Oui.

Q. Et vous reconnaissez que vous n'avez pas mené une enquête à ce sujet?

R. Je n'en ai pas fait.

Q. Il explique ensuite qu'il est un employé de niveau WP-3 et qu'il aimerait avoir un poste du même groupe et du même niveau, mais il... il aimerait obtenir un autre emploi dans le cadre duquel il ne serait pas appelé à travailler avec les détenus. Avez-vous fait quelque chose? Avez-vous communiqué avec M. Weck [l'agent de dotation régionale du SCC], par exemple, ou avec quelqu'un d'autre, pour tenter de lui trouver un poste permanent... une mutation permanente... en dehors du milieu carcéral?

R. Non.

Q. Vous ne l'avez pas fait?

R. Pas que je me souvienne. (Transcription, vol. 8, p. 1781-1782)

Par la suite, M. Trono a dit que le directeur de l'établissement en question ou le directeur du bureau des libérations conditionnelles fait habituellement une enquête au sujet des menaces dont font l'objet les employés. M. Stebbins dit avoir signalé le projet de règlement de compte au directeur adjoint de la sécurité.

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Cependant, il n'y a aucune preuve indiquant qu'une enquête ait été menée à ce sujet.

Enfin, M. Trono a confirmé qu'habituellement, avant de décider de renvoyer une personne à un établissement où elle pourrait être en danger, il rencontrait cette personne pour savoir ce qu'elle pensait et déterminait ensuite si cette décision était appropriée dans les circonstances. Voici ce que M. Trono a dit à ce sujet :

[TRADUCTION]

Q. ... Je présume, Monsieur, qu'avant de décider de renvoyer une personne à l'établissement où sa vie pourrait être en danger, vous rencontrez cette personne pour entendre sa version des faits et vous déterminez ensuite si c'est une bonne idée. Est-ce exact?

R. C'est exact.

Q. Je veux dire que vous ne renverriez pas une personne là-bas s'il y avait une possibilité de danger.

R. Je ne crois pas, non.

Q. Vous rencontrez d'abord la personne. Vous discutez des possibilités, comme vous l'avez mentionné. Il serait logique d'entendre sa version de l'histoire, d'entendre son impression au sujet de ce qui est envisagé. Est-ce exact?

R. C'est exact. (Transcription, vol. 8, p. 1834-1835)

La preuve présentée devant le Tribunal ne permet nullement de conclure qu'en avril 1980, le ressentiment général des détenus à l'endroit de M. Uzoaba et la menace pour sa sécurité qui existait à l'ECB en mars 1980 s'étaient atténués ou que l'on avait tenté d'y remédier d'une façon ou d'une autre. Il est donc raisonnable de conclure, à la lumière de toute la preuve présentée devant le Tribunal, que si M. Uzoaba était retourné à l'établissement, sa vie aurait continué d'être en danger.

Par ailleurs, la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que la direction du SCC a joué un rôle actif dans l'agression dont M. Uzoaba a été victime. Il est certainement regrettable que ni M. Stebbins ni M. Markowski n'aient mentionné à M. Uzoaba le ressentiment croissant que les détenus éprouvaient à son endroit au début de 1980. Plus précisément, il est malheureux que M. Stebbins ne se soit pas donné la peine de mettre M. Uzoaba au courant du projet ourdi contre lui en temps opportun. Même si bon nombre des témoins de l'intimé ont dit qu'il arrivait souvent que des menaces soient formulées à l'endroit des employés des services correctionnels, selon le propre aveu de M. Stebbins, un projet de cette nature était un événement exceptionnel. Cependant, comme les renseignements n'ont été transmis à M. Stebbins que moins de 24 heures

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avant l'agression, le Tribunal n'est pas prêt à dire qu'en omettant d'informer M. Uzoaba du projet en temps opportun, la direction du SCC a toléré ou approuvé tacitement le geste en question.

L'ensemble de la preuve permet donc de conclure que l'agression commise par R.L. le 14 mars découlait du projet auquel M. Stebbins a fait allusion. Elle est survenue moins de 24 heures après que M. Stebbins ait été prévenu de l'existence de ce projet. Même s'il arrivait parfois que des employés du SCC soient agressés, aucun élément de la preuve ne permet de dire que ces agressions étaient régulières au point de nous inciter à croire que la proximité dans le temps des deux événements n'était qu'un pur hasard.

En ce qui a trait aux causes de l'agression, le Tribunal est convaincu que celle-ci découlait du ressentiment que les détenus éprouvaient depuis quelque temps à l'endroit de M. Uzoaba. Ce ressentiment était fondé sur plusieurs motifs, notamment l'arrogance de M. Uzoaba et le manque de sensibilité qu'il affichait à l'endroit des détenus qui lui étaient confiés. Le Tribunal reconnaît que M. Uzoaba était mécontent et frustré par les événements de l'ECB, et ce mécontentement ainsi que la frustration ont sans aucun doute affecté le comportement de M. Uzoaba lors de son témoignage. Ayant observé M. Uzoaba à la barre des témoins pendant quelques jours, le Tribunal est convaincu que cette perception des détenus peut avoir été justifiée jusqu'à un certain point. Cependant, le Tribunal est également d'avis que l'une des causes premières de ce ressentiment était liée à la race ou à la couleur de M. Uzoaba. En outre, l'agression était probablement motivée elle aussi par des considérations liées à la race et à la couleur, du moins en partie.

De l'avis du Tribunal, il était tout à fait approprié et raisonnable de la part du SCC de renvoyer M. Uzoaba de l'ECB après l'agression et de l'affecter à l'administration régionale. Même si MM. Uzoaba et Stebbins ne se sont peut-être pas clairement entendus au sujet de la nature des fonctions du plaignant à l'administration régionale, le Tribunal conclut qu'il s'agissait là d'une façon raisonnable de tenter de régler une situation qui était soudainement devenue délicate. Cette mesure a été adoptée honnêtement, dans le but véritable de protéger M. Uzoaba.

Comme le renvoi de M. Uzoaba de l'établissement était justifié, il convient d'examiner ensuite les efforts que la direction a déployés pour que M. Uzoaba revienne à l'ECB. A cet égard, le Tribunal accepte sans réserve le témoignage de M. Uzoaba selon lequel M. Trono lui a dit qu'il devait retourner sous peu à l'établissement. Il appert de la preuve que M. Uzoaba n'a pas été consulté au sujet de cette décision et que l'on n'a nullement tenté de connaître son opinion avant de décider de le renvoyer à l'ECB. A ce sujet, le Tribunal se fonde, notamment, sur le témoignage de M. Stebbins, selon lequel M. Trono lui avait dit que M. Uzoaba retournerait à l'ECB. Cette déclaration semble avoir été faite avant que M. Uzoaba ne rencontre M. Trono le 9 avril 1980.

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Indépendamment des obligations juridiques qui peuvent incomber à l'employeur dans une situation de cette nature, il faut examiner la pratique habituellement suivie au sujet du retour d'un employé à l'établissement de cette nature après une agression. A cet égard, le Tribunal considère le témoignage du témoin de l'intimé, Kenneth Payne, comme un résumé assez juste de la pratique habituelle.

Voici ce que M. Payne a dit :

[TRADUCTION]

Q. J'aimerais savoir, de façon générale, lorsqu'un employé est renvoyé d'un établissement après avoir été agressé par un détenu, est-ce qu'on lui demande de retourner au même établissement? Que fait- on de lui?

R. S'il cesse de travailler temporairement, c'est qu'il y a un problème. C'est l'un des problèmes les plus difficiles que nous devons tenter de régler dans une organisation. Je vais tenter de le résumer du mieux que je peux.

Q. D'accord, allez-y.

R. Je ne peux vous répondre par un «oui» ou par un «non» définitif et c'est la première remarque que je formulerai. Cela dépend de la gravité de la situation, du poste que la personne occupe et du type d'agression physique.

Aujourd'hui, nous examinons le cas d'un agent qui a été sauvagement battu il y a un an; nous renvoyons cet agent de notre établissement et nous le mutons ailleurs. Nous avons des cas où d'autres personnes ont été prises en otage et nous les avons réintégrées dans le personnel dès le lendemain.

La décision dépend donc, dans une large mesure, de la force, de l'attitude du membre du personnel qui fait l'objet de la menace.

Si la personne est assez forte pour retourner travailler dans ce milieu, nous l'encourageons dans la mesure du possible à le faire, parce que si nous déplaçons continuellement une personne pour l'éloigner de la source du problème, cela crée, à mon avis, et j'utiliserai le jargon du milieu, un type de problème personnel. Vous avez devant vous une personne qui ne peut tout simplement pas reprendre le collier.

Il y a beaucoup de documentation là-bas ainsi que des membres de la sûreté de police et d'organismes chargés d'appliquer la loi qui dirigent des séances de groupe

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et nous avons souvent recours à ça maintenant. Dans la mesure du possible, vous essayez de renvoyer la personne dans son milieu de travail dès le lendemain, parce que, plus vous attendez, plus la situation risque de s'aggraver.

Q. Est-il exact de dire que des solutions à ce type de problème ont été élaborées au fil des années à l'établissement?

R. C'est exact.

Q. Mais j'imagine que la décision de renvoyer une personne au même établissement est une décision prise conjointement par la direction de l'établissement et par la victime de l'agression.

R. J'aimerais penser que oui, c'est ainsi que cela devrait se faire mais, encore une fois, cela dépend de plusieurs autres facteurs dont j'ai déjà parlé.

Q. Bien sûr, mais la personne qui a été agressée devrait, à tout le moins, être informée et exprimer son avis à ce sujet.

R. Cela semble raisonnable. (Transcription, vol. 7, p. 1675-1678)

M. Trono a admis lui-même qu'habituellement, on consultait l'employé en question au SCC.

Tel qu'il est mentionné ci-dessus, le Tribunal est d'avis qu'en l'espèce, M. Trono n'a nullement tenté de connaître le point de vue de M. Uzoaba avant de décider de le renvoyer à l'ECB. Il n'y a pas de raison de croire que l'omission de M. Trono de consulter M. Uzoaba au sujet de son retour à l'ECB était fondée sur des motifs liés à la race, à la couleur ou à l'origine ethnique du plaignant. Cependant, compte tenu de toutes les autres circonstances, l'omission de M. Trono est un autre exemple du manque de délicatesse du SCC tout au long de cette affaire.

La dernière question à examiner concerne la peine imposée à R.L. par suite de l'agression qu'il a commise sur la personne de M. Uzoaba. Celui-ci estime que la pénalité a été beaucoup moins lourde que celle qui aurait habituellement été imposée dans le cas d'une agression de cette nature. M. Uzoaba semble sous-entendre que c'est là une autre preuve du fait que la direction du SCC n'a pas traité avec suffisamment de sérieux l'agression dont il a été victime.

Aucune preuve n'a été présentée au sujet des peines imposées à d'autres détenus ayant commis des actes similaires et le Tribunal ne peut donc déterminer si la peine en question était appropriée ou non.

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d) La pétition

M. Uzoaba soutient qu'une pétition contre son retour à l'ECB a été versée dans son dossier sans qu'une enquête ou une audience n'ait été tenue à ce sujet. Il allègue que la direction du SCC a participé à la préparation de cette pétition et qu'il a été forcé de signer une entente prévoyant que la pétition serait retirée de son dossier personnel pourvu qu'il accepte de ne pas retourner travailler avec les détenus en milieu carcéral.

Selon M. Uzoaba, le 6 juin 1980, alors qu'il travaillait à l'établissement de Frontenac, il a reçu de M. Trono une note en date du 2 juin 1980, dont le libellé est le suivant :

[TRADUCTION]

Pétition des détenus :

  1. Vous trouverez ci-jointe une pétition claire et nette qui a été présentée à l'administration de l'ECB.
  2. Même si vous avez déjà sans doute reçu une copie de cette pétition directement des détenus, je vous fais parvenir le présent exemplaire pour m'assurer que vous êtes bien au courant de son contenu.
  3. Une copie est également envoyée au directeur régional du personnel et sera versée dans votre dossier personnel (pièce HR-2, onglet 5).

Une copie de la note a été envoyée au directeur régional du personnel.

Contrairement à ce que M. Trono indique dans sa note, M. Uzoaba nie avoir auparavant reçu une copie de la pétition.

Une copie de la pétition en question, qui avait été signée par 247 détenus, était jointe à la note. Voici le texte de la pétition :

[TRADUCTION]

Nous, soussignés, aimerions souligner à l'attention de l'administration nos inquiétudes au sujet du retour de M. Uzoaba à Collins Bay. Il n'est pas le type de personne que qui que ce soit peut comprendre. Il a plus de problèmes personnels que les détenus qui lui sont confiés. Pour cette raison et pour d'autres raisons, nous craignons qu'il n'ait des ennuis avec les détenus qui lui sont confiés s'il revient à l'établissement (pièce HR-2, onglet 6).

M. Uzoaba soutient qu'il n'a jamais rencontré la plupart des personnes qui ont signé la pétition.

Selon lui, cette pétition n'avait aucun sens car, d'après ce qu'il savait, il n'était nullement question, en juin 1980, qu'il retourne à l'établissement.

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M. Uzoaba décrit comme suit la façon dont il a réagi lorsqu'il a reçu la pétition :

[TRADUCTION]

J'étais humilié. On me faisait passer pour quelqu'un qu'il fallait fuir, pour une personne dont il fallait éviter la compagnie. Ma réputation et mon intégrité étaient attaquées ainsi que ma fierté. Je voyais là aussi une violation du code des droits de la personne. A mon avis, c'était un message haineux. (Transcription, vol. 2, p. 278)

En versant la pétition dans le dossier du plaignant, M. Trono a adopté, de l'avis de celui-ci, l'attitude des détenus.

Le plaignant a dit qu'à son avis, aucune autre pétition n'a circulé dans les établissements du SCC lorsqu'il était à l'emploi de celui- ci.

Il estime que les détenus de l'ECB n'auraient pas pu préparer ce genre de pétition sans aide et que l'administration de l'ECB a nécessairement participé. Cependant, en contre-interrogatoire, il a admis que les détenus de l'établissement pouvaient avoir accès à des machines à écrire et à des photocopieurs.

Selon le plaignant, on a versé la pétition dans son dossier personnel pour le punir, sans lui donner la chance d'y répondre avant qu'elle ne soit effectivement versée dans son dossier. En conséquence, le 9 juin 1980, M. Uzoaba a fait parvenir à M. Trono une lettre dont voici un extrait :

[TRADUCTION]

... Je suis renversé par votre décision de verser ce document tortueux dans mon dossier et je me demande pourquoi vous agissez de la sorte. La pétition fait-elle partie de l'évaluation de mon rendement et, dans l'affirmative, est-ce ma popularité ou mon travail proprement dit qui est évalué?

Je défie qui que ce soit de contester une partie du travail que j'ai fait. Il a toujours été facile pour les gens de se servir de mon accent pour masquer leurs véritables sentiments. Il existe une preuve écrite de ce comportement à l'ECB, où au moins deux détenus ont avoué ouvertement qu'à leur avis, s'ils utilisaient mon accent, leur demande aurait plus d'impact, parce qu'ils ne m'aimaient pas. La pétition est-elle une forme de mesure disciplinaire? Dans l'affirmative, quelle est l'infraction dont je suis accusé? Ai-je eu la possibilité d'être entendu? ...

... Comme je l'ai mentionné dans ma lettre du 10 avril, je désire ardemment quitter votre établissement le plus tôt possible. Je ne vois pas d'avenir pour moi dans le

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milieu carcéral. Ma famille et moi-même méritons de vivre en toute quiétude. Je n'ai rien à gagner en restant là plus longtemps que ce n'est nécessaire. Près de trois mois après avoir quitté l'établissement, je suis encore éclaboussé par les événements qui sont survenus et je suis encore victime de leurs complots et de leurs machinations déloyales. Je demande que l'on retire ce document diffamatoire de mon dossier, si on l'a déjà versé. ...

... Si une copie de cette pétition est versée dans mon dossier personnel, les principes de justice naturelle et les règles et règlements régissant l'emploi dans la fonction publique du Canada exigent qu'on m'accorde une audience juste et équitable devant un tribunal impartial, afin que je puisse présenter ma propre version des faits au sujet du bien-fondé de la décision de verser ce document dans mon dossier personnel. ... (Pièce HR-2, onglet 7)

Le 4 juillet, M. Trono a répondu comme suit :

[TRADUCTION]

... A mon avis, le document traduit la position des détenus qui ont signé la pétition. Le fait qu'il ait été versé dans votre dossier personnel n'indique pas que le SCC est d'accord avec l'évaluation faite par les détenus. Il indique plutôt que, pour une raison ou pour une autre, les détenus de l'établissement de Collins Bay étaient incapables de vous accepter comme agent de classification. ...

... A mon sens, la pétition démontre qu'il n'est pas souhaitable que vous retourniez à l'établissement de Collins Bay, pour votre propre sécurité, compte tenu également du point de vue des détenus, qui disent qu'ils ne peuvent pas communiquer avec vous. A mon avis, il s'agit donc d'un document qu'il y a lieu de verser dans votre dossier. ...

... Je pense que nous sommes tous deux d'accord pour dire que vous seriez plus à l'aise si vous occupiez un poste n'exigeant aucun contact direct avec les détenus. J'appuierais donc une demande que vous feriez en vue d'obtenir un poste de cette nature au sein du SCC. Comme il n'y a pas de vacance actuellement dans notre administration régionale, je vous suggérerais d'envisager des possibilités d'emploi à l'extérieur du SCC. ... (Pièce HR-2, onglet 8)

M. Trono a ensuite proposé à M. Uzoaba de le rencontrer afin de discuter de son avenir au SCC.

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M. Uzoaba a rencontré M. Trono le 10 juillet 1980. Brian Yealland, gestionnaire des programmes pour les délinquants à l'administration régionale, était également présent à cette réunion. M. Yealland n'a toutefois pas été appelé à témoigner dans le présent litige.

Selon M. Uzoaba, au cours de la réunion du 10 juillet, M. Trono lui a dit en toutes lettres qu'il ne retirerait pas la pétition à moins que tous deux ne puissent s'entendre. Lorsqu'on lui a demandé à quel type d'entente il faisait allusion, M. Trono aurait dit que, à compter de ce jour, M. Uzoaba ne travaillerait plus avec les détenus. Le plaignant a dit qu'il a d'abord demandé une audience pour déterminer le bien-fondé de la décision de verser la pétition dans son dossier. Cependant, il a fini par accepter de conclure une entente de la nature envisagée par M. Trono afin de faire retirer la pétition du dossier.

Voici le texte du document signé le 10 juillet, qui est présenté sous forme de note au dossier :

[TRADUCTION]

Le présent document vise à expliquer et à justifier les circonstances dans lesquelles Julius Uzoaba a été réaffecté de l'établissement de Collins Bay à l'administration régionale ainsi que les circonstances entourant son affectation actuelle à l'accréditation.

En mars 1980, Julius Uzoaba a été réaffecté de l'établissement de Collins Bay à l'administration régionale sur une base de détachement, par l'utilisation d'une année-personne de Collins Bay, en raison de l'ampleur des sentiments de réprobation exprimés par certains détenus de l'établissement de Collins Bay à son endroit et des répercussions que ce ressentiment pouvait avoir pour sa sécurité personnelle. Cette réaffectation demeure en vigueur parce que les soussignés estiment qu'il serait inapproprié et irresponsable d'affecter Julius dans un établissement, que ce soit maintenant ou plus tard, à un poste nécessitant un contact étroit avec les détenus.

Actuellement, les soussignés sont tous très heureux de l'affectation de Julius à l'accréditation et du travail qu'il fait.

Des efforts sont déployés avec Julius à l'heure actuelle pour lui trouver un autre poste approprié pour lequel il aurait toutes les aptitudes voulues, que ce soit dans le domaine des services correctionnels ou dans un domaine connexe.

(s) Julius Uzoaba, A.M. Trono et Brian Yealland.

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(Pièce HR-2, onglet 9)

M. Uzoaba a mentionné qu'il n'y avait pas de postes WP-3 au sein du SCC qui n'exigeaient pas un contact avec les détenus. Il a déclaré que, quelque temps après le 10 juillet, il a compris que l'entente avait pour effet de l'empêcher de se trouver un autre emploi au sein du SCC. Cependant, il a continué à travailler dans le cadre du projet d'accréditation de l'établissement de Frontenac après la signature de l'entente.

M. Trono a dit que M. Stebbins lui avait remis une copie de la pétition et qu'il n'avait jamais vu une pétition comme celle-là auparavant. Il a expliqué qu'il avait versé la pétition dans le dossier personnel de M. Uzoaba :

[TRADUCTION]

Je crois que je la considérais comme quelque chose ... comme un document très concret au sujet de la façon dont M. Uzoaba était perçu par les détenus. Les conversations qui avaient eu lieu au sujet du retour de M. Uzoaba indiquaient une opposition importante et je crois qu'à l'époque, nous avions l'intention de dire : 'Si nous devons insister pour que vous quittiez l'établissement, c'est là une preuve qui nous aiderait à le faire'. (Transcription, vol. 8, p. 1719-1720)

De l'avis de M. Trono, le racisme n'est pas un facteur à l'origine de la pétition. Selon lui, celle-ci indique plutôt que M. Uzoaba était incapable de communiquer avec les détenus. De la même façon, les appels téléphoniques et l'agression lui ont semblé être d'autres indices de ce problème de communication que M. Uzoaba éprouvait. En fait, M. Trono n'était pas prêt à admettre que la race de M. Uzoaba a joué un rôle dans les problèmes qu'il a rencontrés à l'ECB. L'extrait du témoignage suivant résume l'opinion de M. Trono au sujet de la situation du plaignant :

[TRADUCTION]

Q. Je présume, Monsieur, que, pendant toute cette période, vous avez pensé que M. Uzoaba était responsable, dans un sens, qu'il était l'auteur de son propre malheur, parce qu'il était arrogant et qu'il avait du mal à communiquer avec les détenus; mais vous n'avez jamais pensé que le racisme pouvait être un problème.

R. Non, je n'ai jamais cru que c'était un problème d'origine raciale. Certains de nos employés appartenant à d'autres races occupaient un poste semblable à celui de M. Uzoaba à l'époque et nous n'avons pas eu de problème avec eux.

Q. Et vous êtes prêt à admettre avec moi que, même après avoir appris qu'il avait fait l'objet de harcèlement raciste au fil des années, vous ne considériez toujours pas le racisme comme un facteur.

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R. Si j'ai bonne mémoire, la seule personne qui a dit que c'était un problème d'origine raciale, c'est M. Uzoaba et il y a eu un cas à Warkworth où une dame a dit avoir appris de certains détenus que tel ou tel incident était survenu.

Je reviens à ça, je n'ai pas pensé qu'il s'agissait d'un problème d'origine raciale et je ne le crois pas maintenant personnellement.

Q. M. Stebbins vous a parlé des appels téléphoniques harcelants.

R. Oui.

Q. C'est exact?

R. Il m'a dit qu'il y avait eu des appels depuis l'intérieur au bureau de M. Uzoaba, oui.

Q. Et que ces appels étaient de nature raciste.

R. Je ne crois pas que c'était des appels racistes. Je pense qu'il s'agissait d'appels provenant de détenus qui n'aimaient pas la façon dont M. Uzoaba les traitait et qui ont peut-être fait des remarques racistes en raison de ce traitement. Cependant, le principal facteur n'était pas le fait que M. Uzoaba était noir, parce que nous avions plusieurs ...

Q. Vous n'avez jamais tenu une enquête, Monsieur. Vous ne pouvez donc pas savoir si les motifs étaient d'origine raciale.

R. Je n'ai pas fait d'enquête, non. M. Stebbins était sur les lieux et chaque personne qui travaillait à l'établissement, chaque membre du personnel supérieur estimait que ce n'était pas un problème d'origine raciale.

Q. Nous avons entendu M. Payne témoigner hier au sujet de l'incident au cours duquel M. Uzoaba n'a pu conduire son véhicule au garage et il était bien certain, d'après les renseignements qu'il avait reçus, qu'il s'agissait d'une menace de nature raciste.

R. Il avait son opinion, j'imagine, et j'ai la mienne. (Transcription, vol. 8, p. 1857-1860)

M. Trono a dit que la décision de verser la pétition dans le dossier de M. Uzoaba ne se voulait pas une mesure disciplinaire, mais il a reconnu qu'il aurait peut-être pu se fonder sur la pétition dans des procédures visant à renvoyer M. Uzoaba pour des raisons d'incapacité suivant l'article 31 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique («LEFP»). Tout en reconnaissant que la possibilité existait, il a nié en avoir tenu compte à l'époque pour procéder de cette façon.

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Quant à la rencontre du 10 juillet, M. Trono affirme qu'elle avait pour but de discuter de la situation de M. Uzoaba et d'obtenir un document écrit reconnaissant que celui-ci ne convenait pas comme agent de gestion des cas, parce que ce travail nécessitait un contact étroit avec les détenus. Il estimait que, s'il obtenait une entente de cette nature, il serait en mesure de retirer la pétition du dossier de M. Uzoaba.

M. Trono a expliqué qu'il devait conserver la pétition au dossier pour le cas où il serait tenu de renvoyer M. Uzoaba de l'établissement. En pareil cas, il aurait pu utiliser la pétition comme document justificatif. Cependant, en raison de la signature de l'entente du 10 juillet, cette protection n'était plus nécessaire.

M. Trono a nié que l'entente du 10 juillet ait eu pour but de forcer M. Uzoaba à quitter le SCC. Lorsqu'on lui a demandé à quel endroit il placerait M. Uzoaba si celui-ci ne pouvait travailler en milieu carcéral, M. Trono s'est exprimé comme suit :

[TRADUCTION]

... il arrivait que des postes s'ouvrent à l'occasion. Des années-personnes devenaient disponibles pour différentes choses et nous l'aurions probablement gardé à l'administration régionale pendant quelque temps encore.

Q. Je comprends, d'après ce que vous venez de dire, que vous pensiez pouvoir lui trouver un poste quelque part.

R. Habituellement, après quelque temps, si vous avez suffisamment de temps, vous pouvez trouver quelque chose. Si ce n'est pas dans votre région, ce sera peut-être dans une autre. (Transcription, vol. 8, p. 1724-1725)

M. Trono a subséquemment confirmé qu'il existait au sein du SCC des postes dans le cadre desquels M. Uzoaba n'aurait pas été tenu de travailler avec les détenus. (Transcription, vol. 8, p. 1810)

Il a ajouté qu'il n'était au courant d'aucune mesure qui aurait alors été prise pour trouver un poste permanent pour M. Uzoaba au sein du SCC. D'après lui, le SCC pourrait le garder dans l'administration régionale ou dans la région avoisinante.

M. Stebbins a confirmé qu'il était au courant de la pétition, mais il ne pouvait se rappeler si celle-ci lui avait été remise en mains propres, comme directeur de l'ECB, ou si elle avait été remise directement à M. Trono. Il a confirmé que c'est le comité des détenus qui était derrière la pétition, car ce comité avait déjà préparé des pétitions dans le passé.

Quant à M. Markowski, il a dit qu'il était au courant de la pétition. Il se rappelle que T.F., le président du comité des détenus, lui a dit que les détenus avaient organisé ou étaient sur le point d'organiser une pétition contre M. Uzoaba, parce qu'ils avaient entendu dire qu'il pourrait revenir à l'établissement.

De l'avis de M. Markowski, le personnel de la prison devait nécessairement être au courant du fait qu'une pétition circulait. Selon

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lui, une pétition était une façon raisonnablement acceptable pour les détenus de s'exprimer et il ne convenait pas de tenter de les arrêter.

Il a ajouté que, s'il était mis au courant d'une pétition semblable à celle-ci maintenant, il serait plus «proactif». Il tiendrait une enquête sur les circonstances entourant la pétition pour chercher à en déterminer la cause et pour tenter de savoir si elle pouvait être fondée sur d'autres motifs.

Conrad Weck a également témoigné pour l'intimé. M. Weck a été le chef régional de la dotation en personnel de la région de Kingston de 1975 jusqu'en février 1992.

On a demandé à M. Weck dans quelles circonstances des documents pouvaient être versés dans les dossiers personnels des employés :

[TRADUCTION]

Un dossier personnel est un dossier concernant le comportement d'un employé dans le milieu de travail. Tout document ... tout renseignement que la direction juge pertinent quant au comportement ou aux aptitudes de l'employé, notamment, peut-être versé dans le dossier personnel. A l'heure actuelle, lorsqu'un document est versé dans un dossier, l'employé doit en être avisé par écrit. Si ce n'est pas fait, aucun document ainsi versé sans que l'employé ne soit au courant de son existence ne peut être utilisé dans une autre procédure, qu'il s'agisse d'une mesure disciplinaire ou d'une autre action. (Transcription, vol. 5, p. 1098)

De l'avis de M. Weck, il convenait de verser cette pétition dans le dossier de M. Uzoaba :

[TRADUCTION]

... C'était une pétition concernant le comportement de M. Uzoaba ou la façon dont il était accepté. Il fallait la verser dans le dossier de quelqu'un, dans quel dossier? Celui de M. Uzoaba. Elle serait conservée dans ce dossier pour une utilisation ultérieure, au besoin. (Transcription, vol. 6, p. 1344)

M. Weck a reconnu que le fait de verser une pétition de cette nature dans le dossier personnel de M. Uzoaba pouvait avoir des répercussions négatives sur la carrière du plaignant.

Il a cependant nié que, par suite de l'entente du 10 juillet, M. Uzoaba devenait employé excédentaire. Il croyait qu'il était possible de trouver un autre poste n'exigeant aucun contact avec les détenus au sein du SCC, dans la région de Kingston.

Le Tribunal est convaincu, à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, que la direction de l'ECB n'a pas joué un rôle actif dans la

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présentation de la pétition, bien que certains membres du personnel aient peut-être été mis au courant de son existence. Le Tribunal est également convaincu que, compte tenu de la versatilité apparente du milieu dans un établissement pénitentiaire comme l'ECB et des solutions de rechange disponibles, la distribution d'une pétition constitue effectivement une façon relativement acceptable pour les détenus d'exprimer leur point de vue. En raison des circonstances uniques qui existent dans les établissements de ce genre, le Tribunal ne peut en venir à la conclusion que la direction du SCC était tenue d'intervenir et de chercher à empêcher la distribution de la pétition.

Après avoir examiné l'historique de l'emploi de M. Uzoaba à l'ECB, y compris la menace d'endommager son véhicule, les appels téléphoniques racistes, le projet de règlement de compte et l'agression de la part du détenu, le Tribunal est d'avis que la distribution de la pétition était motivée, du moins en partie, par des considérations liées à la race ou à la couleur de M. Uzoaba.

Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal a également tenu compte de la participation apparente du comité des détenus à la préparation de la pétition, du fait que M. Uzoaba n'avait jamais rencontré la plupart des signataires ainsi que de la teneur et de l'ampleur de la pétition elle- même.

Tel qu'il est mentionné ci-dessus, le Tribunal est d'avis que M. Uzoaba avait effectivement des problèmes de communication avec quelques détenus et que, indépendamment de toutes considérations liées à la race, certains détenus jugeaient M. Uzoaba arrogant et insensible. Le dogmatisme de M. Uzoaba est apparu clairement lorsqu'il a refusé obstinément, au cours de son témoignage devant le Tribunal, de reconnaître une faute de sa part dans ses rapports avec les détenus. Comme on le dit, personne n'est parfait.

Toutefois, compte tenu de toutes les circonstances environnantes, le Tribunal est convaincu que, en plus des plaintes légitimes que les détenus pouvaient avoir à l'endroit de M. Uzoaba, la race et la couleur de ce dernier ont été des facteurs à l'origine de la préparation de la pétition et de sa présentation à la direction du SCC.

Selon le Tribunal, la réaction de la direction du SCC à la pétition, notamment celle de M. Trono, était étonnante. S'il est vrai que l'existence de la pétition confirmait que la situation à l'ECB était très précaire dans le cas de M. Uzoaba, M. Trono semble avoir accepté la pétition comme un compte rendu justifié du rendement au travail de M. Uzoaba.

Dans les circonstances, le refus de M. Trono de chercher à savoir si le racisme a joué un rôle dans la préparation de la pétition n'était pas raisonnable.

Le 10 juin 1980, M. Trono savait que M. Uzoaba avait reçu une série d'appels téléphoniques à caractère raciste lorsqu'il travaillait à

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l'ECB. Il savait qu'en raison du ressentiment qu'ils éprouvaient à l'endroit de M. Uzoaba, les détenus avaient formé un projet de règlement de compte visant le plaignant et que, selon le témoignage de M. Trono lui- même, il pouvait y avoir un élément de racisme dans l'opinion des détenus. M. Trono savait aussi que le plaignant avait été agressé par un détenu. Il savait que M. Uzoaba, à tout le moins, était convaincu d'avoir fait l'objet d'actes répétés de persécution en raison de sa race pendant qu'il travaillait à l'ECB.

Toutefois, malgré tout cela, M. Trono n'était pas prêt à considérer le racisme comme un facteur à l'origine des problèmes de M. Uzoaba. Contrairement à ce qu'indique l'ensemble de la preuve (y compris le témoignage de M. Payne, témoin de l'intimé) et contrairement à la logique, lorsqu'il a témoigné devant le Tribunal, M. Trono n'était même pas prêt à admettre que la menace formulée au sujet du véhicule de M. Uzoaba était fondée sur des considérations racistes.

Le Tribunal estime donc que M. Trono n'aurait pas dû verser la pétition dans le dossier de M. Uzoaba sans d'abord tenir une enquête à ce sujet et chercher à savoir si la pétition en question était fondée sur des considérations liées à la race.

De la même façon, il était inéquitable de la part de M. Trono d'utiliser la pétition pour forcer le plaignant à signer l'entente du 10 juillet. A cet égard, le Tribunal rejette en entier l'explication de M. Trono selon laquelle il avait besoin de la pétition ou, subsidiairement, d'une entente écrite pour le justifier au cas où il devrait renvoyer M. Uzoaba de l'ECB. La preuve indique sans l'ombre d'un doute que M. Uzoaba désirait désespérément s'éloigner de cet établissement. Le Tribunal se reporte à cet égard au témoignage de M. Stebbins selon lequel M. Uzoaba a menacé M. Trono de le poursuivre en justice s'il tentait de le renvoyer à cet établissement ainsi qu'aux demandes écrites que le plaignant a formulées en vue de sortir de ce qu'il a décrit comme un «enfer». L'explication de M. Trono n'est tout simplement pas digne de foi.

Cela dit, le Tribunal est convaincu que, le 10 juillet 1980, M. Uzoaba ne désirait nullement continuer à travailler en milieu carcéral.

Le plaignant a été interrogé longuement au sujet de la question de savoir s'il reconnaissait qu'il devait cesser d'exercer des fonctions exigeant un contact direct avec les détenus. Il suffit de dire que le témoignage de M. Uzoaba sur ce point était extrêmement insatisfaisant. Les contradictions que renferme son témoignage sont résumées aux pages 71 à 76 du mémoire de l'intimé. A certains moments de son témoignage, M. Uzoaba a indiqué qu'il désirait continuer à travailler avec les détenus alors qu'à d'autres moments, il a reconnu qu'il ne désirait plus être en contact avec eux.

D'après l'ensemble de la preuve, le Tribunal est convaincu qu'à l'été de 1980, M. Uzoaba avait décidé qu'il ne désirait plus travailler directement avec les détenus. Plus précisément, le Tribunal se fonde sur

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la note que M. Uzoaba a envoyée à M. Trono le 9 juin 1980 et dans laquelle il a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Je ne vois pas d'avenir pour moi dans le milieu carcéral.

Le Tribunal ne blâme pas M. Uzoaba d'en être arrivé à cette conclusion. Compte tenu des événements déplaisants survenus au cours des six derniers mois et du manque évident d'appui qu'il avait obtenu de la direction du SCC, son désir d'éviter à l'avenir tout contact avec les détenus était entièrement compréhensible.

e) Témoignage de Marc-Arthur Hyppolite

A ce point-ci, le Tribunal aimerait rappeler brièvement le témoignage de Marc-Arthur Hyppolite, qui a témoigné pour l'intimé.

M. Hyppolite est un Noir d'origine haïtienne qui a occupé différents emplois au sein du SCC depuis 1984. Il a travaillé dans plusieurs établissements du SCC (mais non à l'ECB) et, au fil des années, il a eu des liens étroits avec les détenus. Il appert nettement du témoignage de M. Hyppolite qu'il a connu beaucoup de succès au SCC.

L'intimé soutient que le témoignage de M. Hyppolite et son succès à l'intérieur de l'organisation confirment que les ennuis de M. Uzoaba découlaient de problèmes de compétence et de personnalité et non de problèmes liés à la race ou à la couleur du plaignant.

Sans nier d'aucune façon la personnalité de M. Hyppolite ou ses accomplissements au sein du SCC, le Tribunal estime que son témoignage n'est que peu pertinent aux fins du présent litige. Le succès qu'une personne a connu à un certain moment dans un milieu donné n'a rien à voir avec l'expérience qu'une autre personne vit dans un milieu et à une époque différents. Selon le Tribunal, pour attribuer de l'importance au témoignage de M. Hyppolite, il serait nécessaire de formuler le type d'hypothèses généralisées et stéréotypées qui sont fondées sur les caractéristiques personnelles des individus et qui sont précisément le type d'hypothèses que les lois sur les droits de la personne visent à éliminer.

f) Retenue du curriculum vitae

M. Uzoaba soutient que, lorsqu'il est revenu d'un congé d'études de deux ans au cours de l'automne de 1982, son curriculum vitae n'a pas été transmis à la Commission de la fonction publique (la «CFP») avant plusieurs mois. Ses chances d'emploi ont donc été amoindries car, lorsque la Commission a finalement reçu son curriculum vitae, un gel de l'embauche était en vigueur et il n'a pu se trouver un autre emploi par la suite.

M. Uzoaba a dit qu'après avoir signé l'entente du 10 juillet, il estimait que ses chances de se trouver un emploi au niveau WP-3 à l'intérieur du SCC étaient restreintes. Il a donc décidé de poursuivre des études pour améliorer ses chances d'emploi. Il a demandé et obtenu un congé sans solde du SCC afin d'étudier pour obtenir un doctorat en

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criminologie à l'université d'Édimbourg. Ce congé lui a été accordé jusqu'au 1er octobre 1982.

Il a poursuivi des études à l'université d'Édimbourg d'octobre 1980 à la fin de septembre 1982 et est revenu au Canada à la fin d'octobre 1982. Il dit qu'il a rencontré le chef régional de la dotation en personnel, M. Weck, à la fin d'octobre, mais qu'il ne lui avait donné aucun préavis de sa date de retour. M. Uzoaba a dit qu'au cours de sa rencontre avec M. Weck à la fin d'octobre, celui-ci lui a demandé de lui envoyer une lettre confirmant son désir de retourner au travail. M. Uzoaba a fait parvenir cette lettre le 12 novembre 1982 et, à la même date, M. Weck aurait avisé le plaignant qu'il transmettrait la demande de M. Uzoaba au comité de gestion de la région. M. Weck a subséquemment écrit à M. Uzoaba le 20 novembre pour lui demander une copie à jour de son curriculum vitae afin «d'augmenter [ses] chances d'emploi». M. Uzoaba lui a remis son curriculum vitae en mains propres le 29 novembre 1982.

Le 19 janvier 1983, M. Uzoaba a rencontré à nouveau M. Weck et lui a alors demandé d'envoyer une copie de son curriculum vitae à la CFP à Ottawa. Selon le plaignant, M. Weck a refusé, car [TRADUCTION] «[Il] ne faisait pas affaires avec Ottawa». (Transcription, vol. 2, p. 327)

M. Uzoaba a dit qu'il a continué à rencontrer M. Weck au moins une fois par mois pour discuter de ses perspectives d'emploi. Vers le mois de juin ou juillet 1983, il a appris qu'en réalité, M. Weck [TRADUCTION] «faisait affaires avec Ottawa» et il lui en a parlé. Selon M. Uzoaba, c'est à ce moment que M. Weck a fait parvenir à la CFP le curriculum vitae qu'il lui avait remis.

M. Uzoaba mentionne au cours de son témoignage que le gel de l'embauche a débuté quelque temps entre octobre 1984 et 1985. Selon lui, ce gel compromettait sérieusement ses chances de se trouver un nouvel emploi.

Pour sa part, M. Weck a dit qu'il a envoyé le curriculum vitae de M. Uzoaba à l'administration centrale dès qu'il l'a reçu, le 14 décembre 1982. Une note de cette même date à laquelle M. Weck a joint le curriculum vitae de M. Uzoaba à l'intention du directeur de la dotation en personnel de l'administration centrale a été déposée en preuve. (Pièce R-17)

M. Weck a également dit qu'il avait eu différentes conversations téléphoniques avec Ann Gunther, l'administratrice des priorités de la Commission de la fonction publique pour la région de l'Ontario. M. Weck dit avoir envoyé le curriculum vitae de M. Uzoaba ainsi qu'une lettre d'accompagnement en date du 14 janvier 1983 pour aider Mme Gunther à trouver un nouvel emploi pouvant convenir à M. Uzoaba. Une copie de la lettre de M. Weck à ce sujet a également été déposée en preuve dans le présent litige. (Pièce R-18)

Selon M. Weck, il incombait à Mme Gunther de faire parvenir le curriculum vitae de M. Uzoaba au répertoire national des priorités de la CFP à Ottawa. M. Weck ignore quand cela s'est fait au juste, mais il croit

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que ce serait en avril 1983. Ni la Commission non plus que l'intimé n'ont fait témoigner un employé de la CFP à ce sujet.

M. Uzoaba a subséquemment déposé auprès de la Direction générale de l'équité en matière d'emploi de la Commission de la fonction publique une plainte dans laquelle il a allégué, entre autres choses, que son curriculum vitae a été délibérément bloqué à l'administration régionale. La Direction générale a constaté qu'il y avait eu un retard de quatre mois dans l'envoi du curriculum vitae de M. Uzoaba au bureau national de la Commission de la fonction publique.

Les parties ne s'entendent pas sur les droits de priorité dont M. Uzoaba jouissait à son retour d'Angleterre à la fin de 1982. Cette question sera examinée plus loin dans la présente décision. Cependant, pour déterminer qui, du bureau de M. Weck et du bureau régional de la Commission de la fonction publique, devait expédier le curriculum vitae du plaignant au registraire national des priorités de la Commission de la fonction publique, le Tribunal dispose seulement de la version de M. Weck, qui dit avoir envoyé le curriculum vitae à Mme Gunther en janvier 1983, de sorte qu'il incombait à celle-ci de voir à ce que ledit curriculum vitae soit acheminé à Ottawa. En conséquence, d'après la preuve présentée au Tribunal, il n'a pas été établi qu'un membre de la direction du SCC a tardé indûment à envoyer le curriculum vitae de M. Uzoaba à la CFP.

La question du gel de l'embauche ne se pose donc pas.

g) Droits de priorité de M. Uzoaba

Il importe à ce moment-ci de déterminer quels étaient les droits de M. Uzoaba à son retour de son congé d'études en octobre 1982.

Lorsque la demande de congé de M. Uzoaba a été approuvée, M. Weck a avisé le plaignant en ces termes :

[TRADUCTION]

Les employés bénéficiant d'un congé ont le droit d'être renommés à un poste de la fonction publique pour lequel ils sont qualifiés avant toute autre personne. Cependant, il n'est pas garanti que l'employé reprendra le poste qu'il occupait précédemment. (Pièce R-6)

M. Uzoaba a dit que, d'après ce qu'il comprenait, il avait un droit de priorité à l'égard de tous les postes disponibles qui étaient administrés par la CFP et pour lesquels il était qualifié.

Au cours des plaidoiries, l'avocat de la Commission a invoqué le paragraphe 30(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, dont le libellé est le suivant :

30. (1) Lorsqu'il est en congé et qu'une autre personne a été nommée pour une période indéterminée à son poste, le fonctionnaire a le droit, pendant son congé et la période d'un an qui le suit, d'être nommé

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sans concours et en priorité absolue à un autre poste de la fonction publique pour lequel la Commission le juge qualifié.

M. Weck a dit que, à l'époque du retour de M. Uzoaba en 1982, l'employé qui revenait d'un congé n'avait un droit de priorité qu'à l'égard des postes existants à l'intérieur du SCC. Au SCC, la région qui avait accordé l'autorisation était la première qui était tenue de reprendre l'employé. Selon M. Weck, en 1982, ce n'est que lorsque le service ayant autorisé le congé était incapable de reprendre l'employé et que des raisons impérieuses, acceptées par la CFP, existaient que celui-ci pouvait être inscrit sur la liste des priorités de la fonction publique. De l'avis de M. Weck, M. Uzoaba n'avait pas automatiquement le droit d'être inscrit sur cette liste de la fonction publique à la fin de 1982. Ce n'est qu'après avoir déployé des efforts considérables qu'il a pu convaincre Mme Gunther, de la CFP de la région de l'Ontario, d'inscrire M. Uzoaba sur cette liste.

M. Weck explique la contradiction apparente entre son témoignage devant le Tribunal et l'avis qu'il a donné à M. Uzoaba lorsque l'autorisation a été accordée en 1980 par le fait que, au début de 1982, le règlement d'application de la LEFP a été modifié, notamment en ce qui a trait aux droits de renomination des employés revenant d'un congé. Plus précisément, M. Weck a cité le paragraphe 27(2) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, dont le libellé est le suivant :

27. (2) Lorsque est proposée la nomination d'une personne au poste d'un employé en congé, la nomination peut être faite pour une période indéterminée, si

a) le sous-chef intéressé est convaincu qu'il y aura dans l'organisation placée sous son autorité un autre poste disponible dont les fonctions et le niveau sont appropriés et auquel l'employé ou l'autre personne, selon le cas, peut être nommé au retour de l'employé en congé; et b) le congé de l'employé a été approuvé pour une période de plus d'un an.

Au cours du témoignage de M. Weck, le Tribunal lui a demandé si l'intimé estimait que des droits d'origine législative pouvaient être modifiés par règlement, comme M. Weck semblait le sous-entendre. Pendant les plaidoiries, l'avocat de l'intimé a dit que, indépendamment de la question de savoir si la décision de la CFP d'apporter la modification en question était bien fondée sur le plan juridique, M. Weck ne faisait qu'appliquer une directive réglementaire qu'il avait reçue de la CFP et n'a aucunement agi de façon discriminatoire à l'endroit de M. Uzoaba en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine nationale ou ethnique.

Il appert clairement d'une simple lecture du Règlement que la modification n'a pas touché les droits des employés en congé, mais qu'elle porte simplement sur le pouvoir du service qui accorde le congé de combler le poste de l'employé entre-temps.

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Il convient de souligner que les notes explicatives jointes à la directive réglementaire qu'invoque l'intimé prévoyaient ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'article modifié offre à tous les employés en congé la même possibilité d'être rétablis dans leur emploi ou d'être nommés à un poste approprié à leur retour au travail, tout en permettant à la direction de respecter les exigences opérationnelles dans les cas où des congés sont accordés. (Les soulignés sont de nous) (Pièce R-12)

Le Tribunal est donc d'avis que, lorsqu'il est revenu de son congé à la fin de 1982, M. Uzoaba avait un droit de priorité absolu à l'égard des postes de la CFP pour lesquels il était qualifié. Même si le Tribunal craint que l'animosité évidente de M. Weck à l'endroit de M. Uzoaba n'ait influencé quelque peu son interprétation du texte législatif, nous ne pouvons conclure que l'omission initiale du SCC de veiller à ce que le droit d'origine législative de M. Uzoaba soit respecté était motivée par des considérations liées à la race plutôt que par une compréhension erronée, mais honnête des conséquences des récentes modifications apportées au Règlement.

h) Prolongation du droit de priorité

M. Uzoaba reproche au SCC d'avoir refusé à l'origine de prolonger son droit de priorité pour compenser le retard qu'il avait mis à transmettre son curriculum vitae, bien que cette prolongation lui ait été subséquemment accordée.

Il appert de la preuve que M. Uzoaba s'était plaint à la direction du SCC au sujet du retard à transmettre son curriculum vitae à la CFP et qu'il a subséquemment réussi à obtenir une prolongation de son droit de priorité de quatre mois.

Compte tenu des conclusions précédentes qu'il a formulées au sujet du retard touchant l'envoi du curriculum vitae, le Tribunal ne tire aucune conclusion à l'égard de cette allégation.

i) Offres d'emploi

M. Uzoaba allègue que, même si des postes appropriés étaient disponibles, le SCC ne lui a offert que des postes qui ne convenaient pas. Plus précisément, il allègue qu'en lui offrant un poste à l'établissement de Millhaven, le SCC a unilatéralement abrogé l'entente du 10 juillet 1980. Il soutient qu'on lui a offert seulement des postes d'un niveau équivalent ou inférieur à celui du poste qu'il occupait précédemment, même s'il était maintenant titulaire d'un doctorat. Il allègue que, même si la direction pouvait le faire, on ne lui a pas offert sans concours l'un ou l'autre des deux postes de niveau WP-04 qui étaient disponibles à l'administration régionale en avril 1983.

Selon M. Uzoaba, lorsqu'il a rencontré M. Weck le 19 janvier 1983, celui-ci lui a dit que la direction du SCC avait décidé de l'affecter à un poste dans le cadre duquel il serait appelé à travailler avec les

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détenus. M. Weck n'a pas nommé d'établissement précis à l'époque mais, le lendemain, il a écrit à M. Uzoaba pour lui dire qu'il serait affecté à l'établissement de Millhaven.

M. Uzoaba a dit au cours de son témoignage qu'il était furieux lorsque M. Weck l'a informé qu'il devait retourner en milieu carcéral. A son sens, c'était là une indication du peu de respect que le SCC avait pour lui. Il a soulevé la question de l'entente du 10 juillet 1980 et a dit à M. Weck qu'il n'accepterait en aucun cas un poste qui violerait l'entente.

Selon M. Uzoaba, comme il s'agissait d'un établissement à sécurité maximale, l'établissement de Millhaven aurait constitué un milieu de travail encore plus dangereux que l'ECB.

M. Uzoaba a dit qu'en avril 1983, il a reçu une lettre dans laquelle M. Weck lui faisait savoir que le Service des libérations conditionnelles avait un poste vacant dans la région de Windsor/Hamilton et que, si ce poste l'intéressait, il devait communiquer avec la personne désignée afin de fixer un rendez-vous.

M. Uzoaba n'a pas perçu cette lettre comme une offre d'emploi, mais plutôt comme un avis de présentation. Il a indiqué que, à tout événement, ce poste ne l'intéressait pas, parce qu'il exigeait lui aussi des contacts avec les détenus.

Quant à l'allégation selon laquelle on ne lui a offert aucun des deux postes de niveau WP-04 qui étaient disponibles à l'administration régionale en avril 1983, M. Uzoaba n'a pu fournir de renseignements précis au sujet de la nature de ces postes, hormis le fait qu'ils n'exigeaient pas de contact avec les détenus. Il a précisé qu'il n'a été mis au courant de l'existence de ces postes qu'environ deux ans plus tard.

M. Uzoaba a reconnu que son seul droit d'origine législative était le droit d'être renommé à un poste de niveau WP-3, s'il avait les compétences voulues. Cependant, il affirme que le SCC aurait pu lui offrir une promotion à un poste de niveau WP-4, sans concours, comme cela s'était déjà fait à quelques reprises dans le passé.

M. Uzoaba a dit que le SCC lui avait déjà proposé de participer à un concours pour certains postes de niveau WP-5. Le SCC aurait donc reconnu implicitement qu'il avait les compétences voulues pour occuper des postes de niveau supérieur au niveau WP-3.

Lorsqu'il a rencontré M. Weck à quelques reprises au cours des mois suivants, celui-ci lui a dit que, s'il n'acceptait pas un poste de niveau WP-3, le SCC le renverrait, ce qui ne s'est effectivement jamais produit.

Selon M. Weck, lorsqu'il est revenu de son congé d'études, M. Uzoaba lui a dit qu'il n'avait pas l'intention d'accepter un poste de niveau WP-3 qui exigerait un contact avec les détenus. M. Uzoaba aurait dit que, compte tenu de la formation universitaire qu'il venait d'acquérir,

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il s'attendait à être nommé, sans concours, à un poste de niveau WP-4 ou WP-5. M. Weck a alors expliqué au plaignant quels étaient ses droits en lui précisant qu'il ne serait pas nommé à un poste plus élevé sans concours.

M. Weck n'a pas demandé à M. Uzoaba quelles aptitudes il avait acquises au cours de ses études qui lui ont permis d'obtenir un doctorat ou quels cours il avait suivis. De l'avis de M. Weck, ce n'était pas pertinent. Du point de vue de la dotation en personnel, les postes nécessitent un degré précis ou non. Les questions liées aux cours suivis seraient examinées pendant l'entrevue d'emploi elle-même.

M. Weck a également témoigné au sujet de la décision du SCC d'offrir à M. Uzoaba un poste d'agent de classification à l'établissement de Millhaven. Il a d'abord dit que, quelque temps après avoir parlé à M. Uzoaba en octobre 1982, il a été avisé que la direction du SCC avait conclu que les menaces dont M. Uzoaba avait fait l'objet dans le passé et qui pouvaient porter atteinte à sa sécurité n'existaient plus. M. Weck n'a pu nommer le membre de la direction du SCC qui lui avait parlé en ce sens. Selon lui, la direction n'a pas tenu de réunion formelle pour examiner le cas, mais elle a révisé la situation de M. Uzoaba et conclu que celle-ci avait changé et que la tension existant dans les pénitenciers s'était atténuée. En outre, à Millhaven, les déplacements des détenus étaient beaucoup plus restreints et contrôlés, parce qu'il s'agissait d'un établissement à sécurité maximale. La direction a donc conclu que M. Uzoaba pourrait peut-être travailler dans ce milieu.

M. Weck a dit par la suite qu'il était présent lors d'une réunion au cours de laquelle la situation de M. Uzoaba a été examinée. Il ne pouvait se rappeler quelles étaient les autres personnes présentes à la réunion, mais il a précisé que M. Trono présidait habituellement les réunions de cette nature. Il a confirmé que M. Uzoaba n'était pas présent à la réunion en question, ajoutant ce qui suit :

[TRADUCTION]

Sa présence n'aurait pas été utile à ce moment-là. (Transcription, vol. 7, p. 1447)

Lorsqu'on lui a demandé pourquoi un poste à l'établissement de Millhaven a été offert à M. Uzoaba alors que celui-ci avait indiqué clairement qu'il ne voulait plus retourner travailler avec les détenus, M. Weck a dit que, comme M. Uzoaba avait un droit de priorité à l'égard des postes de niveau WP-3 au sein du SCC, il était tenu de lui offrir le poste à Millhaven lorsqu'il est devenu disponible, afin de pouvoir ensuite l'offrir à d'autres personnes.

En outre, M. Weck estimait que cette offre était appropriée, pour les différentes raisons déjà mentionnées. A son avis, M. Uzoaba devait avoir une autre chance de «prouver sa compétence» dans ce type d'emploi. M. Weck a dit que l'entente du 10 juillet 1980 portait sur la situation qui existait à l'ECB à l'époque et ne s'appliquait nullement à la situation actuelle.

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En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Weck pourquoi, si le SCC était en mesure de trouver pour M. Uzoaba un poste ne nécessitant aucun contact avec les détenus au cours du printemps 1980, il n'a pu le faire à la fin de 1982. M. Weck a répondu qu'aucun poste de cette nature n'était disponible et que

[TRADUCTION]

... il devait d'abord revenir dans la population active, il devait redevenir employé. (Transcription, vol. 6, p. 1425)

Plus tard au cours de son témoignage, M. Weck a dit qu'il incombait à la direction de trouver pour M. Uzoaba un poste temporaire ailleurs qu'en milieu carcéral et qu'une tâche de cette nature ne relevait pas de sa compétence. (Transcription, vol. 7, p. 1440)

M. Weck a dit que M. Uzoaba aurait dû accepter le poste de Millhaven et prouver ainsi à la direction qu'il était capable de travailler avec les détenus. Selon M. Weck, M. Uzoaba s'est montré intransigeant en invoquant l'entente du 10 juillet 1980 et peu coopératif en refusant d'accepter le poste à l'établissement de Millhaven.

Expliquant ce qu'il percevait comme l'étendue de ses responsabilités envers M. Uzoaba, M. Weck a dit que, ayant offert à celui- ci le premier poste disponible à son niveau, il s'était pleinement acquitté de ses responsabilités :

[TRADUCTION]

... Je n'étais pas tenu de faire une recherche approfondie pour trouver un poste qui aurait pu convenir aux désirs et aux aspirations de M. Uzoaba. Il lui appartenait à lui de trouver un poste dont les fonctions semblaient correspondre à ses compétences et de présenter sa candidature. Ce n'était pas mon travail à moi... (Transcription, vol. 6, p. 1397)

M. Weck ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q. Je ne comprends pas. Il vous a dit qu'il ne voulait pas travailler avec les détenus.

R. Dans ce cas, Monsieur, il aurait dû quitter son emploi.

Q. Il aurait dû quitter son emploi?

R. Certainement. Si je ne veux pas conduire un autobus, je quitte mon emploi. Bon nombre de personnes l'ont fait plutôt que d'essayer de s'adapter à un travail; pas dans les services correctionnels, mais partout ailleurs. Si je ne puis m'adapter au travail ou si je n'aime pas le travail, je vais ailleurs et j'essaie de trouver l'emploi qui me convient.

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Q. Vous sous-entendiez donc que, s'il n'aimait pas travailler avec les détenus, il aurait dû quitter son emploi.

R. C'est une solution. ... (Transcription, vol. 7, p. 1458-1459) Et plus loin : [TRADUCTION] Q. ... Diriez-vous toujours qu'il devrait quitter son emploi si la raison pour laquelle il n'aimait pas travailler avec les détenus était le fait qu'il avait été agressé et soumis à des attaques racistes?

R. Oui, je vous entends.

Q. Continuez-vous à dire qu'il aurait dû quitter son emploi si c'était là la raison pour laquelle il n'aimait pas travailler avec les détenus?

R. C'est une option, s'il n'y a pas d'autre solution disponible pour lui. (Transcription, vol. 7, p. 1465)

On a également demandé à M. Weck si, compte tenu de l'expérience de travail antérieure de M. Uzoaba au sein du SCC, il estimait que le plaignant n'avait pas droit à une considération spéciale. Voici ce qu'il a répondu :

[TRADUCTION]

A ce moment, il était à l'emploi du Service correctionnel depuis quelque temps. Il savait à quoi s'en tenir. Il connaissait la nature du travail et, selon le principe du mérite de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, il pouvait revenir uniquement au niveau où il se trouvait avant de quitter; s'il désirait obtenir quelque chose de différent ou atteindre un niveau supérieur, il devait se conformer à ce principe du mérite.

On aurait accordé la même considération à tout autre employé qui se serait trouvé dans la même situation. (Transcription, vol. 7, p. 1549-1550)

Selon M. Weck, la lettre du 12 avril 1982 qui concernait un poste au sein du service des libérations conditionnelles dans la région de Windsor/Hamilton représentait une offre d'emploi inconditionnelle. Lorsqu'un poste vacant est offert dans une autre région, on fixe une date d'entrevue pour permettre à l'employé de rencontrer sur place le chef de service, d'examiner le milieu de travail, le voisinage, les écoles, etc. En d'autres termes, l'entrevue ne porte pas sur la compétence et l'employé a un droit absolu au poste, s'il le désire.

M. Weck a dit qu'il n'a nullement discuté avec M. Uzoaba du poste offert dans la région de Windsor/Hamilton et qu'il en a été question entre eux uniquement lorsqu'il a reçu la lettre dans laquelle le plaignant l'a informé qu'il rejetait l'offre.

Quant aux postes WP-4, M. Weck a dit que, au cours de sa rencontre initiale avec M. Uzoaba en octobre 1982, il lui a mentionné que le poste WP-4 à l'administration régionale faisait l'objet d'un concours à l'époque et l'a encouragé à présenter sa candidature. M. Weck ne pouvait se rappeler les caractéristiques du poste. Selon lui, M. Uzoaba lui a dit qu'il n'avait nullement l'intention de se présenter contre des personnes dont la formation était manifestement inférieure à la sienne. M. Uzoaba a apparemment déclaré qu'on aurait dû automatiquement lui accorder le poste.

M. Weck a ajouté que, peu après, il a peut-être mentionné qu'un autre poste WP-4 était disponible pour le plaignant. Il ne se rappelle pas les détails de la conversation, mais il pense que M. Uzoaba lui a répondu par la négative.

Pour sa part, M. Trono a dit qu'il était au courant de la décision d'offrir à M. Uzoaba le poste à Millhaven, mais qu'il ne pouvait se rappeler s'il a participé directement à la décision ou non. Il se souvient d'une discussion concernant le retour de M. Uzoaba après son congé et la possibilité que le SCC soit tenu de lui offrir un poste de cette nature, parce qu'aucun autre poste n'était disponible. On espérait que, au cours des deux dernières années, grâce à la formation qu'il avait reçue, M. Uzoaba se serait adouci et qu'il serait plus en mesure qu'auparavant de travailler avec les détenus. M. Trono espérait que, avec le temps, le plaignant aurait changé son approche et ne s'aliénerait pas les détenus comme il l'avait fait auparavant.

M. Trono a déclaré que, si la direction constatait que M. Uzoaba ne s'était pas adouci, elle serait tenue de le renvoyer de l'établissement. Le témoin a reconnu que le renvoi du plaignant en milieu carcéral pourrait constituer une solution très dangereuse, mais il lui a expliqué qu'il n'y avait pas d'autre option à l'époque.

M. Trono ne se souvient pas d'une réunion au cours de laquelle il a été question de l'avenir de M. Uzoaba, mais il «imagine» que cette réunion a dû avoir lieu. Il n'a pas communiqué avec M. Uzoaba avant qu'on ne décide de l'envoyer à Millhaven. Il a reconnu qu'il était possible que cette décision ait été prise sans que personne n'en ait parlé à M. Uzoaba, mais il a admis qu'il aurait été souhaitable de le consulter avant de décider qu'il convenait de le renvoyer en milieu carcéral.

Tel qu'il est mentionné ci-dessus, M. Trono nie que le racisme ait joué un rôle dans les problèmes que M. Uzoaba a rencontrés à l'ECB. Selon ce témoin, les problèmes de M. Uzoaba sont imputables à l'arrogance du plaignant et au fait qu'il était incapable de communiquer avec les détenus.

L'intimé a également appelé à la barre des témoins J.D. Clark, qui est actuellement membre de la Commission nationale des libérations

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conditionnelles. En 1982, il était responsable en second du SCC de la région de l'Ontario et relevait de M. Trono.

M. Clark a dit qu'il ne se souvenait pas des détails de la conversation concernant le retour de M. Uzoaba en milieu carcéral, mais il se rappelle que, de façon générale, on souhaitait que M. Uzoaba ait tiré des conclusions de son expérience et acquis d'autres aptitudes grâce à la formation qu'il avait suivie. Selon M. Clark, on estimait que, si M. Uzoaba était prêt à essayer, il était raisonnable de tenter de le renvoyer en milieu carcéral.

En contre-interrogatoire, M. Clark a reconnu qu'il aurait été préférable de parler à M. Uzoaba avant de le forcer à retourner dans ce milieu.

Il a ajouté qu'il ignorait que M. Uzoaba avait fait l'objet de menaces et de harcèlement de nature raciste à l'ECB. S'il l'avait su, il aurait tenu compte de cette situation pour chercher d'autres solutions à offrir à M. Uzoaba.

De l'avis du Tribunal, la direction du SCC s'est comportée d'une façon on ne peut plus insensible lorsque M. Uzoaba est revenu de son congé d'études. Elle n'a nullement tenté de discuter ouvertement avec lui pour savoir ce qu'il pensait d'un retour éventuel en milieu carcéral ou pour examiner les solutions de rechange qui pouvaient s'offrir à lui.

M. Weck dit qu'il s'est entretenu avec le plaignant au sujet des options qui s'offraient à lui. M. Uzoaba répète qu'on n'a nullement tenté de savoir si un poste à l'établissement Millhaven lui semblait approprié avant que cette offre ne lui soit faite. Le Tribunal accepte le témoignage de M. Uzoaba selon lequel aucun membre de la direction du SCC n'a communiqué avec lui pour connaître ses sentiments au sujet d'un emploi éventuel en milieu carcéral lors de son retour du Royaume-Uni.

Au cours de l'audience, les parties sont revenues à maintes reprises sur l'importance de l'entente du 10 juillet 1980 et sur la question de savoir s'il s'agissait d'un contrat exécutoire qui empêchait le SCC de renvoyer M. Uzoaba en milieu carcéral. De l'avis du Tribunal, selon cette entente, les parties reconnaissaient que, dans les circonstances, il ne convenait pas que M. Uzoaba travaille en milieu carcéral. Comme la direction du SCC a demandé à M. Uzoaba de signer une entente énonçant qu'il ne devrait pas, [TRADUCTION] «maintenant ou plus tard», travailler en milieu carcéral, il lui appartenait d'examiner sérieusement la situation avec M. Uzoaba pour déterminer si les circonstances avaient changé au point de permettre son retour dans ce milieu.

Quant au poste d'agent des libérations conditionnelles dans la région de Windsor/Hamilton, il est évident que ce poste aurait également exigé de M. Uzoaba qu'il travaille avec les détenus, bien que ce ne soit pas en milieu carcéral. Si la lettre du 12 avril 1983 se voulait vraiment une offre d'emploi inconditionnelle, il n'est pas étonnant, compte tenu de la façon dont elle a été rédigée, que M. Uzoaba ne l'ait pas comprise en ce

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sens. Cette conclusion est encore plus évidente lorsqu'on compare la lettre en question avec celle dans laquelle on lui a offert le poste à Millhaven.

La preuve concernant les deux postes WP-4 à l'administration régionale est entièrement insatisfaisante. Ni M. Weck non plus que M. Uzoaba n'ont pu fournir de renseignements détaillés au sujet de la nature de l'un ou l'autre des postes. En conséquence, le Tribunal ne peut savoir si M. Uzoaba était qualifié ou non pour les postes. Il ne peut non plus déterminer s'il aurait été approprié de le nommer à l'un ou l'autre de ces postes, sans concours, si le SCC avait effectivement pu le faire.

Enfin, le Tribunal rejette en entier le témoignage des témoins de l'intimé, notamment celui de Messieurs Weck et Trono, selon lesquels, à la fin de 1982, il n'y avait aucun poste disponible pour M. Uzoaba, sauf le poste WP-3 à Millhaven.

Messieurs Weck et Trono ont été interrogés tous les deux au sujet de la disponibilité de postes de niveau WP-3 n'exigeant aucun contact avec les détenus, compte tenu des conséquences de l'entente du 10 juillet 1980 sur les perspectives de carrière de M. Uzoaba.

Voici le témoignage de M. Weck à ce sujet :

[TRADUCTION]

Q. Mais vous seriez d'accord avec moi pour dire que, si l'affectation à Frontenac prenait fin et que M. Uzoaba et même M. Trono ne pensaient pas qu'il était souhaitable de renvoyer M. Uzoaba à Collins Bay, on n'aurait pu l'envoyer nulle part et le plaignant aurait été déclaré employé excédentaire ou renvoyé, n'est-ce pas?

R. Non, je ne puis être d'accord avec vous sur ce point. Il y a bien des cas, et je crois qu'on peut les relever en faisant l'historique du Service correctionnel, où des personnes qui se sont trouvées dans une situation désespérée, peut-être parce qu'elles avaient été agressées par des détenus ou pour d'autres raisons, ont été gardées longtemps. Ce n'était pas un cas transparent. Il n'y avait aucune raison de présumer ou de penser, à l'époque, même rétroactivement, que M. Uzoaba était sur le point d'être renvoyé. Ce n'est pas vrai.

Q. En d'autres termes, vous dites que le SCC lui aurait trouvé un autre poste approprié, compte tenu des circonstances qui existaient à l'époque.

R. J'en suis à peu près certain, parce qu'il y avait des précédents de cette nature. (Transcription, vol. 6, p. 1350-1351)

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De la même façon, M. Trono a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q. Où l'auriez-vous envoyé?

R. A cette époque, il représentait une année-personne fournie par Collins Bay pour un certain temps et il arrivait que des postes s'ouvrent à l'occasion. Des années-personnes devenaient disponibles pour différentes choses et nous l'aurions probablement gardé à l'administration régionale pendant quelque temps.

Q. Je comprends, d'après ce que vous venez de dire, que vous pensiez pouvoir lui trouver un poste quelque part.

R. Habituellement, après quelque temps, si vous avez suffisamment de temps, vous pouvez trouver quelque chose. Si ce n'est pas dans notre région, ce sera peut-être dans une autre. (Transcription, vol. 8, p. 1724-1725)

Il est donc évident que, lorsque la direction estimait que les circonstances le justifiaient, elle pouvait trouver à l'intérieur du SCC des postes n'exigeant aucun contact avec les détenus.

Voici ce que M. Clark a dit au cours de son témoignage :

[TRADUCTION]

J'imagine, si vous examinez le Service correctionnel du Canada qui existait à l'époque, c'est une grande organisation et il existe dans le cadre de certains services offerts aux établissements et dans le cadre de certaines liaisons fonctionnelles des postes caractérisés par l'absence totale ou quasi totale de contact avec les détenus et l'on peut en conclure qu'un employé se trouvant dans cette situation pourrait être affecté à ces postes, ce qui soulèverait évidemment d'autres questions, comme les conventions collectives, les salaires, etc. sur lesquelles les parties arrivent habituellement à s'entendre. (Transcription, vol. 8, p. 1919-1920)

Tel qu'il est mentionné ci-dessus, M. Clark a déclaré que, s'il avait su que M. Uzoaba avait fait l'objet de harcèlement raciste, il aurait tenu compte de ce facteur pour chercher un autre emploi pouvant lui convenir.

Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le Tribunal est convaincu que, si l'organisation en avait eu le désir à la fin de 1982, elle aurait pu trouver un autre emploi (peut-être temporaire, toutefois) approprié au sein du SCC pour M. Uzoaba. Il est évident que cette volonté n'existait pas. Messieurs Weck et Trono estimaient tous les deux que M. Uzoaba était un employé difficile qui avait des exigences peu

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raisonnables à l'endroit de l'organisation. D'après leur témoignage, M. Uzoaba ne semblait mériter aucune considération spéciale en raison des problèmes qu'il avait éprouvés dans le passé. Plus précisément, M. Trono estimait que le plaignant était l'auteur de son propre malheur. Il semble qu'aucun de ces deux témoins n'ait été vraiment prêt à tenter de trouver un autre emploi pour M. Uzoaba. M. Weck a bien résumé l'attitude dominante lorsqu'il a dit que le travail de M. Uzoaba exigeait des contacts avec les détenus et que, s'il ne pouvait le faire, il devrait s'en aller.

j) Références négatives

M. Uzoaba soutient que le SCC l'a empêché de réintégrer la fonction publique en lui donnant des références négatives et en incitant d'autres personnes qui connaissaient la bonne qualité de son travail à mentir à ce sujet. Il donne trois exemples précis de postes qui lui ont été refusés, apparemment en raison de références négatives.

M. Uzoaba a dit qu'il avait passé une entrevue pour un poste ES-4 à Statistique Canada. Selon lui, l'entrevue s'était très bien déroulée et il croyait avoir obtenu le poste. A la fin de l'entrevue, on lui a demandé le nom de ses anciens superviseurs. Il a mentionné le nom de M. Murphy, qui avait été son superviseur à la fin des années 70, et celui de Robert Markowski.

M. Uzoaba a dit qu'il a subséquemment communiqué avec M. Markowski pour lui dire que son nom avait été donné. Selon le plaignant, M. Markowski s'est alors mis à rire, ce qui a incité M. Uzoaba à croire qu'il ne serait pas utile à sa cause.

M. Uzoaba a subséquemment été avisé que le poste ne lui avait pas été accordé parce qu'il n'avait pas obtenu de bonnes références de la part de [TRADUCTION] «l'homme de Kingston». M. Uzoaba a témoigné que, par la suite, il a conclut que la personne en question était M. Markowski.

M. Uzoaba a ajouté qu'il avait également passé une entrevue pour un poste WP-4 au Secrétariat d'État de Hamilton. Encore là, il avait bon espoir, après l'entrevue, d'obtenir le poste. Quelque temps plus tard, il a été avisé qu'il «ne convenait pas» pour le poste. Il semble convaincu que ce sont les références négatives qui l'ont également empêché d'obtenir ce poste.

Enfin, en février 1985, M. Uzoaba a présenté sa candidature pour un poste WP-3 au sein du SCC à Ottawa. Le concours a été tenu à l'époque où M. Uzoaba bénéficiait d'un droit de priorité. Il s'agissait du poste d'«enquêteur, Affaires des détenus» et le titulaire du poste serait appelé à mener des enquêtes au sujet des griefs déposés par les détenus à l'encontre du système pénitentiaire de l'ensemble du Canada. Après avoir passé l'entrevue pour le poste, M. Uzoaba avait encore une fois toutes les raisons de penser que sa candidature serait retenue. Lorsqu'on lui a demandé des références, il a mentionné le nom de Millard Beane et celui d'Al Murphy, deux anciens superviseurs.

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M. Uzoaba a dit qu'il a subséquemment joint l'une des personnes qui étaient présentes au cours de l'entrevue et celle-ci l'a informé qu'il ne convenait pas pour le poste. Apparemment, on avait communiqué avec quatre personnes, dont M. Markowski et un certain M. Kelly, et seul M. Beane avait formulé des commentaires positifs à l'endroit de M. Uzoaba.

Selon le plaignant, c'est la direction du SCC à Kingston, notamment MM. Trono et Weck, qui était derrière la campagne visant à l'empêcher de réintégrer la fonction publique.

MM. Weck et Trono nient tous deux avoir donné des références au sujet de M. Uzoaba.

M. Markowski a dit que, quelques années après le départ de M. Uzoaba de l'ECB, celui-ci l'a appelé pour lui demander des références. M. Markowski l'a alors informé qu'il donnerait des références, mais il l'a prévenu que ces références seraient compatibles avec l'évaluation de rendement préparée en 1980. Cela signifiait que M. Markowski confirmerait les grandes aptitudes analytiques de M. Uzoaba et son grand talent pour rédiger de bons rapports. Cependant, il serait également tenu de faire état des problèmes de communication que M. Uzoaba avait avec les détenus.

M. Markowski se souvient d'avoir été appelé au sujet d'un poste à Statistique Canada, pense-t-il, et ajoute qu'il a peut-être été appelé aussi au sujet d'un poste à l'administration centrale du SCC. Il a dit que les références qu'il a données étaient effectivement compatibles avec l'évaluation de rendement.

M. Markowski nie qu'une personne du SCC ait exercé des pressions sur lui au sujet du contenu des références qu'il a données à l'égard de M. Uzoaba.

L'intimé a également appelé comme témoin M. Jean Garneau, qui était directeur des affaires des détenus à l'administration centrale du SCC à Ottawa. La Division des affaires des détenus devait assurer le respect de l'obligation d'agir équitablement à l'intérieur du SCC. Elle passait en revue les politiques du SCC pour s'assurer que les droits des détenus étaient respectés. En outre, elle s'occupait des griefs et des plaintes que les détenus avaient formulés contre l'État après l'examen au niveau régional.

Selon M. Garneau, compte tenu de la nature délicate des enquêtes qu'ils menaient, les enquêteurs devaient agir avec beaucoup de tact.

M. Garneau était membre du jury de sélection des candidats au poste d'enquêteur, Affaires des détenus. Il était présent au cours de l'entrevue de M. Uzoaba. Selon M. Garneau, l'entrevue a débuté de façon normale, l'agent de dotation expliquant alors à M. Uzoaba la démarche que le comité suivrait. Pendant ces explications, M. Uzoaba a interrompu l'agent en faisant une longue tirade au sujet de l'iniquité des évaluations concernant son rendement antérieur. Cette tirade a duré environ quinze minutes. M. Garneau a ajouté qu'on a alors posé quelques questions au

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plaignant et que ses réponses étaient appropriées. Au cours de l'entrevue, M. Uzoaba a démontré une très grande capacité intellectuelle et de bonnes aptitudes analytiques. Cependant, en raison du comportement qu'il a adopté pendant l'entrevue, le comité de sélection doutait que M. Uzoaba puisse s'acquitter des fonctions inhérentes au poste de façon diplomate, réservée, constructive et positive. Le comité a conclu que l'attitude assez explosive qu'il avait affichée pendant l'entrevue indiquait que M. Uzoaba ne convenait pas pour un poste de nature aussi délicate.

M. Garneau a confirmé que l'agent de dotation en personnel a communiqué avec quatre personnes mentionnées comme références après l'entrevue. Selon toute vraisemblance, trois des quatre personnes en question ont dit que M. Uzoaba avait des problèmes sur le plan des relations interpersonnelles. M. Garneau n'a pas participé directement à la discussion tenue avec les personnes en question et ignorait les problèmes auxquels M. Uzoaba s'était heurté à l'ECB.

D'après le souvenir de M. Garneau, M. Uzoaba était le seul candidat jouissant d'un droit de priorité. Dès qu'on a jugé qu'il ne convenait pas pour le poste, on a examiné ensuite les candidatures des autres personnes. M. Garneau ne peut se rappeler maintenant le nom de la personne à qui le poste a été finalement attribué.

La preuve présentée devant le Tribunal ne permet nullement de confirmer la théorie du complot échafaudée par M. Uzoaba au sujet du rôle que la direction aurait joué à l'égard des références.

Tel qu'il est indiqué ci-dessus, le Tribunal a conclu que M. Uzoaba avait effectivement des problèmes sur le plan des relations interpersonnelles et que les détenus le considéraient comme une personne arrogante et insensible à leurs besoins. Cependant, de l'avis du Tribunal, M. Markowski a évalué le rendement de M. Uzoaba en tenant compte du nombre de détenus qui lui ont demandé d'être retirés de la charge de travail de M. Uzoaba, demande qui, jusqu'à un certain point, était motivée par des considérations liées à la race. En acceptant sans réserve ces demandes comme mesure valable du rendement de M. Uzoaba, M. Markowski a commis un acte de discrimination fondée sur la race. Dans la mesure où cette évaluation a été communiquée à des tiers, encore là sans réserve ou explication des circonstances, M. Markowski a continué à agir de façon discriminatoire.

Cela dit, le Tribunal ne peut tirer aucune conclusion, d'après la preuve présentée devant lui, au sujet des conséquences des références données par M. Markowski quant aux postes disponibles au Secrétariat d'État et à Statistique Canada. Nous avons seulement le témoignage de M. Uzoaba au sujet de la façon dont l'entrevue s'est déroulée et nous n'avons aucune preuve concernant la compétence des autres candidats. En conséquence, le Tribunal ne peut déterminer les conséquences des références données par M. Markowski sur les chances que M. Uzoaba avait d'obtenir l'un ou l'autre des postes.

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Quant au poste de la Division des affaires des détenus, le Tribunal accepte le témoignage de M. Garneau, selon lequel M. Uzoaba a démontré par sa conduite qu'il ne convenait pas pour le poste, et est d'avis que les références données par M. Markowski n'ont joué aucun rôle dans la décision du jury de sélection de rejeter la candidature de M. Uzoaba.

k) Offre de paiement en espèces

M. Uzoaba a dit au cours de son témoignage qu'on lui a proposé plusieurs postes au sein de la fonction publique pendant qu'il jouissait d'un droit de priorité. Il n'a pu se trouver un autre emploi. Lorsque son droit de priorité a expiré, la Commission de la fonction publique ne lui a présenté aucun autre emploi.

Il est admis de part et d'autre que MM. Uzoaba et Weck se sont rencontrés le 18 janvier 1989. Bien qu'on ne s'entende pas sur le contenu exact des discussions au cours de cette réunion, les parties conviennent que M. Uzoaba s'est vu offrir six mois de salaire à titre de paiement en espèces. Pour accepter cette offre, M. Uzoaba devait démissionner de la fonction publique. Selon M. Weck, cette offre de paiement en espèces serait normalement faite aux employés qui ont été déclarés employés excédentaires, ce qui n'était pas le cas de M. Uzoaba.

Après avoir examiné l'offre, M. Uzoaba l'a rejetée.

M. Weck a dit qu'on lui a subséquemment donné l'ordre de ne pas poursuivre les démarches relatives au renvoi avant le résultat du présent litige.

V LE DROIT

La plainte de M. Uzoaba doit être examinée dans le contexte de l'article 2 de la LCDP, qui énonce l'objet du texte législatif. L'article 7 et le paragraphe 14(1) de la Loi sont également pertinents; voici le libellé de ces dispositions :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

a) lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;

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b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d'emploi.

La race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique constituent des motifs de distinction illicites.

a) Norme de preuve et fardeau de la preuve

Les parties reconnaissent que, dans un cas de cette nature, il appartient au plaignant de présenter une preuve apparente (preuve prima facie) de discrimination. Lorsque cette preuve est faite, il incombe ensuite à l'intimé d'établir une justification de la discrimination selon la prépondérance des probabilités (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208 et Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558).

Une preuve apparente est une preuve qui couvre les allégations formulées et qui, si elle est crue, est suffisamment étoffée pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence d'une réponse de la part de la partie intimée (O'Malley, supra, p. 558).

Si l'intimé fournit une explication raisonnable à l'égard du comportement qui serait par ailleurs discriminatoire, il appartient alors au plaignant de démontrer que l'explication n'était qu'un simple prétexte et que les actes de l'employeur ont réellement été motivés par des considérations discriminatoires (Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029).

Il est reconnu dans la jurisprudence qu'il est difficile, dans les cas de discrimination fondée sur la race, de prouver les allégations de façon directe. Comme le Tribunal l'a mentionné dans l'affaire Basi :

La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement. (p. D/5038)

Le Tribunal a plutôt pour tâche d'examiner toutes les circonstances pour déterminer s'il existe ce que l'on a appelé dans l'affaire Basi de «subtiles odeurs de discrimination».

En matière de discrimination, la norme de preuve est la norme de la prépondérance des probabilités qui s'applique dans les causes civiles ordinaires. Lorsqu'une preuve circonstancielle est présentée, le critère peut être formulé comme suit :

[TRADUCTION]

On peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible. (B. Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto), Carswell, 1987, à la page 142)

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b) Rôle de la discrimination

Il est reconnu qu'il n'est pas nécessaire que des considérations liées à la discrimination soient la seule raison de la conduite reprochée pour qu'une plainte soit accueillie. Il suffit que la discrimination soit un facteur qui a motivé la conduite en question (Holden c. Chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12, p. D/15).

c) Responsabilité de l'employeur à l'égard du harcèlement de la part des détenus

La question à trancher dans le présent litige est relativement nouvelle : il s'agit ici de savoir dans quelle mesure l'employeur devrait être tenu responsable des actions des détenus à l'intérieur du système pénitentiaire.

Il est admis que les employeurs peuvent, dans certains cas, être tenus responsables des actes de leurs employés. Voici le libellé de l'article 65 de la LCDP actuelle :

65. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l'application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie.

(2) La personne, l'organisme ou l'association visé au paragraphe (1) peut se soustraire à son application s'il établit que l'acte ou l'omission a eu lieu sans son consentement, qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour l'empêcher et que, par la suite, il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les effets.

Il convient de souligner que l'article 65 a été adopté en 1983 et ne s'applique donc pas à la majorité des événements ayant donné lieu à la présente plainte.

La Cour suprême du Canada a examiné avec soin la question de la responsabilité de l'employeur selon l'ancienne loi dans l'affaire Robichaud et al. c. La Reine (1987), 40 D.L.R. (4th) 577, où le juge La Forest a dit ce qui suit :

En conséquence, je suis d'avis de conclure que la Loi envisage de rendre les employeurs responsables de tous les actes accomplis par leurs employés «dans le cadre de leurs emplois» ("in the course of employment"), en interprétant cette dernière expression en fonction de l'objet de la Loi, c'est-à-dire comme signifiant «reliés de quelque manière à l'emploi». Il s'agit là d'un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui découle purement et simplement de la loi. Toutefois, cette responsabilité répond à un objectif quelque peu semblable à celui de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle, du fait qu'elle impose la responsabilité d'un organisme à ceux qui en ont le contrôle et qui peuvent prendre des mesures réparatrices efficaces en vue d'éliminer les conditions peu souhaitables qui peuvent exister. (p. 584)

Il a également formulé les commentaires suivants :

Je devrais peut-être ajouter que, si la conduite de l'employeur n'a théoriquement rien à voir avec l'imputation de la responsabilité dans un cas comme celui-ci, elle est tout de même susceptible d'avoir des conséquences importantes pour lui sur le plan pratique. Sa conduite peut avoir pour effet d'exclure un bon nombre de redressements prévus ou de les rendre superfétatoires. Par exemple, un employeur qui, devant une plainte, réagit promptement et efficacement en établissant un plan destiné à remédier à la situation et à empêcher qu'elle ne se reproduise ne sera pas responsable dans la même mesure, si jamais il l'est vraiment, qu'un employeur qui n'adopte pas de telles mesures. Ces questions concernent cependant les conséquences en matière de redressement et non pas la responsabilité.

Ainsi, selon l'arrêt Robichaud, une conduite «raisonnablement diligente» de la part de l'employeur ne l'exonérera pas de sa responsabilité, mais elle peut atténuer ou éliminer les risques auxquels il s'expose à cet égard. En revanche, selon la nouvelle Loi, si l'employeur a exercé toute la diligence nécessaire, il pourra peut-être échapper totalement à la responsabilité. Toutefois, dans les deux cas, la conduite de l'intimé sera pertinente aux fins des conclusions qui seront finalement tirées dans une affaire donnée.

Tant la disposition législative modifiée que les commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Robichaud portent uniquement sur la responsabilité de l'employeur à l'égard des actes des employés. L'employeur peut-il être tenu responsable des actes commis par des tiers, en l'occurrence, des détenus?

L'employeur a été tenu responsable des actes de tiers dans une série de causes portant sur «l'importance primordiale du client». Ces arrêts sont invoqués à l'appui de la proposition selon laquelle l'employeur ne peut contester une plainte de discrimination en soutenant qu'il a agi en fonction des préférences perçues ou réelles des clients (voir, par exemple, P.G. du Québec c. Service de Taxis Nord-Est (1978) Inc. (1986), 7 C.H.R.R. 3109 et Bueckert c. Base-Fort Patrol Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/804).

Dans la même veine, la décision rendue dans l'affaire Mohammed c. Mariposa Stores Limited Partnership (1990), 14 C.H.R.R. D/215, constitue un exemple du raisonnement suivi par les tribunaux dans les cas de harcèlement provenant de tierces parties. Dans l'affaire Mariposa, une gérante de magasin a fait l'objet d'un traitement raciste de la part d'un client. Le traitement en question comportait des insultes racistes. Après avoir toléré le comportement abusif pendant quelque temps, la gérante a répondu en traitant le client de [TRADUCTION] «trou de cul» et en lui disant que sa clientèle n'était plus appréciée.

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La plaignante a signalé l'incident à l'employeur, qui l'a congédiée au motif qu'il ne pouvait tolérer dans ses rangs une employée qui parlait de cette façon aux clients. L'employeur n'a pas pensé que le contexte dans lequel la plaignante avait formulé les commentaires pouvait l'excuser de son comportement.

Accueillant la plainte, le Tribunal a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Il est clair, selon la loi, qu'il incombe à l'employeur d'éliminer toutes conditions discriminatoires dans le milieu de travail et de maintenir un «milieu de travail sain». Même si un employeur n'est peut-être pas en mesure de contrôler les remarques d'un client ou même d'un collègue de travail ou d'un superviseur dans le milieu de travail, il a le contrôle sur la façon dont il réagit lorsqu'il y a discrimination dans ce milieu de travail, quelles que soient les circonstances entourant la conduite. Il me semble que la conduite désobligeante ne devrait pas être traitée différemment au motif que l'auteur en est le client. En outre, le raisonnement suivi dans les arrêts concernant l'importance primordiale des clients m'apparaît concluant sur ce point...

... En l'espèce, je suis d'avis que la plaignante a été provoquée par les remarques racistes qui ont été formulées à son endroit. Il appert de la preuve que la plaignante n'avait pas répondu à des gestes de provocation dans d'autres circonstances. Par conséquent, j'estime qu'il y a un lien de cause à effet entre le harcèlement raciste et le renvoi de la plaignante. En outre, en pénalisant l'employée dans ces circonstances, l'employeur indique qu'il tolère la conduite discriminatoire et qu'il permet qu'elle envahisse le milieu de travail. (Les soulignés sont de nous, p. D/218-219)

Les faits à l'origine du litige dans l'affaire La Commission des droits de la personne du Québec c. La Commission Scolaire Deux-Montagnes (décision non publiée en date du 8 avril 1993) sont semblables à ceux qui nous occupent. Dans l'affaire Deux-Montagnes, un enseignant noir a déposé une plainte de harcèlement raciste contre la Commission scolaire pour laquelle il travaillait. Le harcèlement reproché provenait des étudiants. Concluant que la Commission scolaire était responsable du fait qu'elle n'avait pas bien réagi au harcèlement, le Tribunal s'est exprimé en ces termes :

La jurisprudence reconnaît que l'employeur n'est alors pas en mesure d'exercer un véritable contrôle sur les actes posés et sur son auteur. Toutefois, il ne subsiste aucun doute quant à sa capacité de maîtriser la réponse qu'il doit fournir à cet égard et qui

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découle, ici encore, de sa responsabilité première de fournir des conditions de travail justes, raisonnables et exemptes de discrimination et de harcèlement. (p. 35)

Le Tribunal a également souligné ce qui suit :

La responsabilité imputée à un employeur qui ne réagit pas adéquatement à l'encontre de la discrimination et/ou du harcèlement exercé, envers ses employés, par des individus extérieurs à l'entreprise nous conduit à une conclusion de même nature lorsqu'il s'agit d'apprécier les mesures, adoptées par une commission scolaire, envers des tiers ayant des conduites semblables envers ses employés. Il en va de même en ce qui a trait à la responsabilité que cette institution engage pour les actes fautifs des élèves inscrits dans ses écoles. (p. 36)

Compte tenu des actes de harcèlement raciste qui avaient été établis, le Tribunal a conclu que la Commission scolaire devait répondre avec diligence et adopter des mesures rapides, efficaces et raisonnables pour éliminer le problème.

Il convient de souligner que, dans l'affaire Deux-Montagnes, le Tribunal a examiné la nature du milieu scolaire et conclu que, s'il y a un endroit dans notre société où la tolérance devrait être enseignée, c'est bien dans le système scolaire.

Enfin, il convient de tenir compte de la décision rendue dans l'affaire Toth c. Sassy Cuts (1987), 8 C.H.R.R. D/4376, où une coiffeuse chinoise a été congédiée par suite des pressions exercées par ses collègues. Pendant quelque temps, les collègues en question avaient adopté à l'endroit de la plaignante un comportement qui constituait du harcèlement raciste. L'intimé a soutenu que le renvoi découlait d'un mauvais rendement. L'évaluation du rendement de la plaignante reposait sur des rapports de ses collègues de travail, lesquels rapports étaient fondés en partie, de l'avis du Tribunal, sur une attitude discriminatoire. Le Tribunal a conclu qu'en se fondant sur ces rapports, l'employeur avait lui- même agi de façon discriminatoire à l'endroit de la plaignante.

d) Obligation de l'employeur

La dernière question à examiner réside dans la nature des obligations imposées par la loi aux employeurs dans les cas où un employé a fait l'objet de harcèlement. Tel qu'il est mentionné ci-dessus, la Loi actuelle impose une responsabilité à l'employeur, sauf si celui-ci peut démontrer qu'il n'a pas consenti au harcèlement et qu'il a exercé toute la diligence nécessaire pour empêcher le harcèlement et pour en atténuer les effets. Une obligation comparable est imposée par l'arrêt Robichaud.

Dans l'affaire Hinds c. Canada (C.E.I.C.) (1988), 24 C.C.E.L. 65, le Tribunal a examiné l'étendue de l'obligation de l'employeur de réagir aux actes de harcèlement raciste et a dit ce qui suit :

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En examinant la question de savoir si l'employeur avait «exercé toute la diligence nécessaire... pour atténuer ou annuler l'effet de l'acte» de l'autre employé, il faut tenir compte de la façon dont il a réagi. Bien que la LCDP n'exige pas que l'employeur maintienne un milieu de travail irréprochable, elle demande toutefois qu'il prenne des mesures promptes et efficaces lorsqu'il sait, ou qu'il devrait savoir, que la conduite de certains employés dans le milieu de travail constitue du harcèlement raciste ... Pour satisfaire à la charge qui lui incombe, l'employeur doit avoir une réaction proportionnée au caractère de l'incident lui- même ... Pour se soustraire à la responsabilité, l'employeur doit prendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu'il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l'assurance qu'il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement raciste. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être en fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas. (p. 77-78)

Dans l'affaire Hinds, le plaignant avait reçu une lettre anonyme renfermant des insultes racistes par l'entremise du système de courrier interne de l'employeur. Le Tribunal a conclu que la lettre provenait d'un collègue de travail, bien que l'identité du collègue en question n'ait pu être déterminée. Jugeant l'employeur responsable, le Tribunal a tenu compte de l'omission de l'employeur de mener une enquête significative au sujet de l'incident ainsi que de l'absence de sensibilité dont il a fait montre à l'endroit du plaignant. Il a dit que l'absence de réaction de l'intimé constituait non pas une négligence délibérée, mais une conduite empreinte de «négligence grossière» (voir également Pitawanakwat c. Secrétariat d'État (décision non publiée du Tribunal 14/92, 23 décembre 1992).

Il est donc certain que, lorsque l'employeur reçoit une plainte de harcèlement, que ce harcèlement provienne d'un employé ou d'un tiers, il doit répondre rapidement et efficacement au moyen d'une enquête approfondie et tenir compte des besoins de la victime.

VI APPLICATION DES REGLES DE DROIT AUX FAITS

Compte tenu des règles de droit susmentionnées, le Tribunal conclut que l'intimé est responsable, parce qu'il a adopté à l'endroit du plaignant une conduite discriminatoire fondée sur sa race et sa couleur et parce qu'il a omis de réagir de façon appropriée au harcèlement raciste dont le plaignant a fait l'objet de la part des détenus.

Dans l'affaire Sassy Cuts (supra), l'utilisation par l'employeur de plaintes motivées en partie par des considérations racistes a été assimilée à de la discrimination fondée sur la race. De la même façon, dans le cas qui nous occupe, l'accepta-tion sans question de M. Markowski des opinions des détenus au sujet du rendement de M. Uzoaba, alors qu'il

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savait que certaines de ces opinions étaient empreintes de racisme, équivaut à de la discrimination fondée sur la race de la part du SCC.

Cette attitude discriminatoire s'est poursuivie lorsque M. Markowski a fourni des références renfermant des commentaires négatifs en se fondant sur les actions des détenus.

De la même façon, les mesures que M. Trono a adoptées après avoir reçu la pétition des détenus constituent aussi une conduite discriminatoire fondée sur la race et sur la couleur de peau de M. Uzoaba.

Pour en arriver à ces conclusions, le Tribunal a accepté le témoignage des témoins de l'intimé selon lequel M. Uzoaba avait de graves problèmes touchant ses relations avec les détenus, au-delà des difficultés découlant de sa race et de la couleur de sa peau. Cependant, il est aussi évident que M. Markowski s'est fondé en partie sur le comportement raciste des détenus pour formuler une évaluation négative à l'endroit de M. Uzoaba et que M. Trono a agi de la même façon pour conclure que M. Uzoaba ne devrait plus travailler avec les détenus. Chacune de ces conclusions est suffisante pour engendrer une responsabilité de la part de l'employeur (Holden c. C.N.R., supra).

Compte tenu de la preuve présentée devant lui, le Tribunal estime que la réaction du SCC aux appels de harcèlement que M. Uzoaba a reçus était entièrement inappropriée. L'intimé a soutenu que les menaces constituent un désagrément inévitablement lié à un emploi dans le système correctionnel. En outre, dit-il, il appert du témoignage de Janet Ethier que M. Uzoaba a été traité de la même façon que toute autre personne du SCC qui a reçu des menaces.

Il n'appartient pas au présent Tribunal de déterminer si l'employeur a réagi de façon appropriée aux appels téléphoniques qu'a reçus Mme Ethier et qui constituaient du harcèlement. Cependant, si la réaction manifestée à l'égard de la plainte de M. Uzoaba était insatisfaisante, le fait qu'une autre personne du système ait été traitée d'une façon tout aussi inappropriée n'aide pas la cause de l'intimé. A tout événement, il est évident que les appels reçus par M. Uzoaba étaient beaucoup plus fréquents et ont duré plus longtemps que ceux dont Mme Ethier s'est plainte.

Le Tribunal reconnaît que l'employeur n'est pas tenu de maintenir un milieu de travail irréprochable et que certains milieux de travail sont plus difficiles à gérer que d'autres. Il reconnaît également que les menaces de la part des détenus constituent malheureusement un aspect inévitable du travail dans le système correctionnel. Toutefois, le fait que ces menaces ne sont pas rares ne libère pas l'employeur de ses obligations qui découlent de la loi, bien qu'il soit permis d'en tenir compte au moment de déterminer si la réaction de l'intimé était raisonnable et appropriée.

Il n'y a aucune preuve directe indiquant que l'on a tenté de faire le suivi des appels pour savoir si une tendance pouvait être décelée et liée au mouvement des détenus et à l'accès aux téléphones à l'intérieur de l'établissement. L'employeur savait que M. Uzoaba avait déjà fait

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l'objet de menaces racistes lorsqu'il travaillait pour l'ECB (c.-à-d. l'incident du garage). Il n'a pas été établi que l'intimé a tenté d'une façon ou d'une autre de déterminer si les circonstances étaient liées. De la même façon, il n'y a aucune preuve indiquant que la police a été appelée ou que l'on a demandé à la société de téléphone de tenter de trouver l'auteur des appels.

La réaction ou l'absence de réaction de l'intimé à l'égard du projet formé au sujet de M. Uzoaba et de l'agression commise par les détenus est choquante. Dans le cas du projet de règlement de compte, il n'y a aucune preuve indiquant que l'intimé a tenté de mener une enquête au sujet de ce qui constituait une menace évidente à la sécurité d'un employé, menace qui, de l'avis du Tribunal, était motivée en partie par de l'animosité empreinte de racisme.

En outre, aucun membre de la direction du SCC ne semble avoir tenté de quelque façon que ce soit d'aider ou de rassurer M. Uzoaba; il ne semble pas non plus que la direction ait reconnu que M. Uzoaba avait été victime d'un traitement inéquitable et discriminatoire.

Enfin, et surtout, personne au sein du SCC ne semble avoir fait quoi que ce soit pour tenter d'expliquer aux détenus que le racisme est une conduite qui ne peut être tolérée dans notre société. On place les détenus en milieu carcéral, inter allia, pour assurer la protection de la société et pour leur permettre de se réadapter. La réadaptation comprend des mesures d'éducation. A cet égard, le rôle de l'établissement pénitentiaire peut être comparé à celui de la Commission scolaire dans l'affaire Deux- Montagnes.

Même si le rôle explicite du système pénitentiaire consiste en partie à enseigner aux détenus à être de meilleurs citoyens, pendant toute la période au cours de laquelle M. Uzoaba a éprouvé des problèmes à l'ECB, aucun employé du SCC ne semble avoir tenté de corriger l'attitude fautive que les détenus ou le personnel du SCC ont adoptée et qui constitue l'une des causes de ces problèmes. Même si M. Trono estimait qu'il n'y avait rien à faire dans les circonstances, il est évident, d'après la version de l'un des témoins de l'intimé, qu'il y avait beaucoup à faire.

L'intimé a appelé à la barre des témoins Andrew Graham, qui est actuellement le sous-commissaire du SCC pour la région de l'Ontario. M. Graham avait été le superviseur de M. Uzoaba pendant quelque temps au cours des années 70 et une grande partie de son témoignage concernait cette période. Il a aussi parlé avec une fierté évidente des efforts considérables que le SCC a déployés au cours des cinq dernières années pour tenter d'éliminer le racisme dans le système correctionnel. Il s'agissait, notamment, d'efforts visant à recruter et à conserver des employés de couleur, à sensibiliser le personnel aux problèmes liés à la race et à élaborer des programmes ayant pour but d'éliminer les problèmes de harcèlement dans le milieu de travail et d'aider les victimes de harcèlement.

Les efforts que le SCC a déployés à cet égard sont louables. Cependant, dans le cas qui nous occupe, ils indiquent uniquement que très peu de choses ont été faites pour M. Uzoaba et que l'on aurait pu faire bien davantage.

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La dernière question à examiner est la mesure dans laquelle l'employeur était tenu de trouver un autre emploi pour M. Uzoaba lors de son retour de son congé d'études. L'intimé soutient que la présente cause porte sur de la discrimination directe et non sur de la discrimination indirecte et que, par conséquent, l'employeur n'est pas tenu d'accommoder les besoins de M. Uzoaba. A cet égard, l'intimé invoque la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool, [1990], 2 R.S.C. 489.

L'arrêt Central Alberta Dairy Pool portait sur une affaire de discrimination indirecte découlant de l'imposition par l'employeur d'une règle obligeant les employés à travailler le lundi de Pâques. Se demandant si la règle de l'employeur pouvait être considérée comme une exigence professionnelle justifiée («EPJ»), la majorité des juges ont conclu que, en matière de discrimination directe, l'exigence discriminatoire sera justifiable ou ne le sera pas. Si l'employeur peut démontrer que l'exigence professionnelle est valable, il n'y aura alors aucune obligation d'accommodement. Si l'employeur ne peut prouver qu'il est raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, de faire une distinction défavorisant une catégorie donnée de personnes, la règle de l'employeur sera annulée en entier. Selon la majorité, ce n'est que dans les cas où la règle est neutre ou non discriminatoire à première vue, mais qu'elle a des conséquences défavorables pour un groupe particulier de personnes qu'elle sera conservée, l'employeur étant alors tenu d'accommoder la minorité touchée.

Il convient de souligner que, dans des motifs concourants exprimés par le juge Sopinka, trois juges de la Cour suprême du Canada étaient en désaccord avec cette analyse. Selon eux, dans les cas de discrimination directe, avant qu'une défense fondée sur une EPJ ne puisse être invoquée avec succès, l'employeur devrait être tenu de démontrer qu'il n'y avait pas d'autre solution raisonnable qui permettrait de tenir compte des circonstances propres aux personnes ainsi touchées sans créer une contrainte excessive.

En d'autres termes, les juges qui ont exprimé les motifs concourants étaient d'avis que l'obligation d'accommodement devait nécessairement être respectée avant qu'une défense fondée sur une EPJ ne puisse être invoquée.

De l'avis du Tribunal, les analyses contenues dans les deux jugements rendus dans l'affaire Central Alberta Dairy Pool ne s'appliquent guère en l'espèce.

En effet, il ne s'agit pas ici de l'imposition par l'employeur d'une règle au plaignant et, par conséquent, le Tribunal n'est pas tenu de déterminer si une règle de cette nature est appropriée.

Dans la mesure où les actes de l'intimé constituent de la discrimination directe à l'endroit du plaignant (par exemple, l'évaluation de rendement, les références d'emploi et l'utilisation de la pétition), ils violent les droits que la Loi lui reconnaît.

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L'employeur est également responsable non seulement en raison de la conduite de discrimination directe qu'il a adoptée à l'endroit du plaignant, mais aussi en raison de l'absence de réaction appropriée au harcèlement de la part des détenus.

Lorsqu'un employé a fait l'objet de harcèlement dans le milieu de travail, l'employeur doit, selon la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Robichaud, adopter des mesures raisonnables pour atténuer les effets de la discrimination. Dans le présent litige, l'intimé a fait clairement comprendre à plusieurs reprises à M. Uzoaba qu'il ne pouvait le protéger ou qu'il n'était pas prêt à le protéger du harcèlement s'il continuait à travailler avec les détenus. Dans les circonstances, le Tribunal conclut que l'intimé devait, dans le cadre de l'obligation qu'il avait d'atténuer les effets du harcèlement pour M. Uzoaba, déployer des efforts significatifs pour lui trouver un autre emploi afin de le protéger d'un traitement abusif répété de cette nature. Aucun effort en ce sens n'a été déployé en l'espèce.

Tel qu'il est mentionné ci-dessus, le Tribunal est d'avis que, si l'intimé avait déployé ces efforts, il aurait pu trouver un autre emploi au plaignant.

VII RÉPARATION

Pour déterminer la réparation à accorder au plaignant, le Tribunal tient compte des objets d'une loi en matière de droits de la personne. Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'affaire O'Malley (supra) :

Le Code vise la suppression de la discrimination. C'est là l'évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non pas à punir l'auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. (p. 547)

Dans l'affaire Robichaud (supra), la Cour suprême du Canada a décrit la loi en ces termes :

Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature «quasi constitutionnelles» des droits protégés. (p. 582)

Après avoir examiné toutes les circonstances, le Tribunal ordonne les réparations suivantes :

a) Excuses

Dans les cas où l'intimé a affiché un comportement dénotant un manque de sensibilité, les tribunaux ont ordonné à l'intimé de présenter au plaignant des excuses officielles par écrit (voir, par exemple, l'affaire

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Hinds (supra) et l'affaire Grover (supra)). Cette réparation s'impose en l'espèce. Le Tribunal ordonne donc au commissaire des services correctionnels de remettre au plaignant une lettre d'excuses dans les trente jours suivant la présente décision.

b) Rétablissement

La Commission a demandé à l'intimé de rétablir M. Uzoaba à un poste approprié. Selon la Commission, un poste approprié serait un poste équivalent, à tout le moins, à un poste de niveau WP-5.

L'intimé ne conteste pas le pouvoir du Tribunal de rétablir le plaignant, mais nie qu'il puisse accorder à M. Uzoaba une promotion sans concours, contournant par le fait même l'application du principe du mérite et de la LEFP.

Le Tribunal a étudié attentivement la question du rétablissement. Comme le plaignant ne fait pas partie de la population active depuis plus de treize ans et qu'il ressent manifestement de la colère et de l'amertume à l'endroit de son employeur, le Tribunal se demande s'il y a lieu de réintégrer M. Uzoaba dans la main-d'oeuvre. D'autre part, il est conscient des conséquences désastreuses des événements relatés en l'espèce pour le plaignant et sa famille. Après avoir étudié attentivement la question, vu la nature réparatrice du texte législatif, le Tribunal a conclu que la seule réparation appropriée en l'espèce est un rétablissement à un poste au sein du SCC.

Le Tribunal ordonne ce rétablissement avec certaines réserves et incite M. Uzoaba à tenter, si possible, d'oublier ces événements malheureux et d'aller de l'avant dans sa carrière.

Quant au niveau du poste à attribuer au plaignant, il s'agit là d'une question très difficile à trancher. Le Tribunal reconnaît qu'il n'a pas la compétence voulue pour rétablir M. Uzoaba à un poste de niveau supérieur au niveau WP-3. A cet égard, voici le type d'ordonnance que le Tribunal peut rendre selon l'alinéa 53(2)b) de la LCDP :

D'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;

Si l'on reconnaît que, au cours de l'intervalle de treize ans, M. Uzoaba aurait pu obtenir au moins une promotion et que le fait qu'il n'en ait pas eu découle, en tout ou en partie, de la discrimination fondée sur la race, il s'ensuit que le Tribunal devrait être en mesure de dédommager le plaignant à l'égard de cette perte. Une réparation de cette nature a été accordée dans l'affaire Grover.

Dans le cas qui nous occupe, il est certain que, indépendamment des considérations liées à la race ou à la couleur, il y avait des failles importantes dans le rendement de M. Uzoaba. Par ailleurs, les témoins de l'intimé ont reconnu à l'unanimité les points forts de M. Uzoaba, notamment ses aptitudes analytiques, sa capacité intellectuelle et son talent pour préparer des rapports explicites et bien conçus.

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Lors de l'évaluation de rendement qu'il a préparée en janvier 1980, M. Markowski a confirmé que M. Uzoaba était en droit de s'attendre à une promotion d'ici une année ou deux, s'il pouvait corriger les faiblesses indiquées dans l'évaluation. Bien qu'il soit difficile de le dire avec certitude, le Tribunal est d'avis que, si M. Uzoaba avait continué à travailler au SCC, dans un milieu moins empreint de racisme, il aurait pu s'attendre à être promu à un poste de niveau WP-4 dans un délai d'environ trois ans. Il appert de la preuve que les postes de ce niveau auraient probablement convenu davantage à une personne ayant les aptitudes de M. Uzoaba et le Tribunal est convaincu que, sans le stress qui découle des contacts constants avec les détenus, M. Uzoaba se serait probablement bien acquitté de ses fonctions et aurait obtenu une autre promotion plus tard. Nous sommes donc d'avis qu'il conviendrait de rétablir M. Uzoaba à un poste de niveau WP-5.

En conséquence, le Tribunal ordonne à l'intimé d'offrir à M. Uzoaba, à la première occasion raisonnable, un poste au niveau WP-5 qui n'exige aucun contact avec les détenus.

c) Formation

Il est évident que, si M. Uzoaba avait continué à travailler pour l'intimé, il se serait tenu au courant des pratiques et procédures de celui-ci. Cette possibilité lui a été refusée. En conséquence, compte tenu du fait que le plaignant a été longtemps absent du milieu de travail, le Tribunal ordonne à l'intimé de lui fournir une formation suffisante sur les pratiques et procédures actuelles du SCC pour lui permettre de s'acquitter en bonne et due forme des responsabilités inhérentes à son nouveau poste.

d) Perte de salaire et limitation du préjudice

La Commission demande également à l'intimé de dédommager M. Uzoaba à l'égard du salaire qu'il a perdu au niveau WP-4 de 1982 à 1985 et au niveau WP-5 pour la suite. L'intimé soutient qu'une perte de salaire pour une période de treize ans n'est pas raisonnablement prévisible et que M. Uzoaba a omis de prendre des mesures raisonnables pour limiter le préjudice qu'il a subi.

M. Uzoaba a témoigné au sujet des efforts qu'il a déployés pour limiter le préjudice qu'il a subi en se trouvant un nouvel emploi. La preuve n'indique pas clairement le nombre précis de références que M. Uzoaba a reçues de la fonction publique jusqu'à l'expiration de son droit de priorité en 1985, mais il semble que ce nombre s'établissait à cinq ou six. M. Uzoaba n'a réussi à obtenir aucun de ces postes. Au cours de son témoignage en chef, M. Uzoaba a déclaré qu'il avait également présenté sa candidature lors de 40 ou 50 concours tenus à l'intérieur de la fonction publique et qu'il avait passé une entrevue pour cinq ou six postes. En contre-interrogatoire, il a nié avoir témoigné en ce sens et il a déclaré qu'il s'est inscrit à plusieurs concours, principalement au sein du ministère du Solliciteur général. Sa dernière demande d'emploi remonte à 1991.

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En outre, M. Uzoaba a présenté sa candidature à des postes d'enseignement à la Queens University, à la University of Toronto, à la McMaster University et à une université de Halifax. Il a aussi présenté une demande d'emploi au gouvernement de l'Ontario. Le Tribunal n'a pas obtenu les dates de ces demandes.

La Commission soutient qu'il appartient à l'intimé de prouver que M. Uzoaba a omis de prendre des mesures raisonnables pour limiter le préjudice qu'il a subi. A cet égard, la Commission invoque l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Red Deer College c. Michaels et al (1975), 57 D.L.R. (3d).

Bien que, selon cette décision, le fardeau de la preuve appartienne généralement à l'intimé, il ne s'agit pas d'une règle absolue. Voici ce que le juge en chef Laskin a dit à ce sujet :

Dans le cours ordinaire d'une action pour renvoi injustifié, un demandeur, en faisant la preuve de ses dommages, doit être en mesure de prouver la perte qu'il prétend avoir subie en raison du renvoi. Il peut avoir obtenu un autre emploi dont la rémunération était moindre ou plus élevée qu'auparavant, ce qui influerait sur ses dommages. Il peut ne pas avoir obtenu un autre emploi, et la question de savoir s'il a paressé ou s'il a vainement cherché un autre emploi aurait aussi une incidence sur la question des dommages. Si le défendeur prétend que le demandeur aurait pu raisonnablement minimiser la perte alléguée, il incombe au défendeur d'en faire la preuve, à moins que ce dernier ne se contente de laisser au juge de première instance le soin de trancher cette question à la lumière de son évaluation de la preuve des conséquences évitables fournie par le demandeur. (Nous soulignons, pp. 390-391)

Il convient de noter que l'arrêt Red Deer College portait sur une action pour renvoi injustifié. Dans les plaintes en matière de droits de la personne, l'évaluation du préjudice n'est pas régie par les principes des contrats qui sont appliqués dans les affaires de congédiement injuste, où l'indemnité est limitée à une période d'avis raisonnable (Re Piazza c. Airport Taxicab (Malton) Ass'n (1989), 69 O.R. (2d) 281). Cela dit, les principes touchant la limitation du préjudice s'appliquent de la même façon aux plaintes en matière de droits de la personne et aux actions contractuelles.

En outre, il y a la question de la prévisibilité. Dans l'affaire Torres c. Royalty Kitchen Ware Limited (1982), 3 C.H.R.R. D/858, la commission d'enquête s'est exprimée en ces termes :

[TRADUCTION]

Je dirais qu'une partie intimée n'est responsable que du préjudice général se rapportant à une période raisonnable, c'est-à-dire une période qu'une personne raisonnable aurait pu raisonnablement prévoir dans les circonstances, si elle avait réfléchi

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à la question. Il faut donc se demander pendant combien de temps on aurait pu raisonnablement s'attendre à ce que les plaignants cherchent à atténuer leur préjudice, même s'il était impossible de le faire, compte tenu de la situation exceptionnelle des plaignants lésés. (P. D/872)

Ce raisonnement a été suivi par d'autres commissions d'enquête (voir, par exemple, l'affaire Gohm c. Domtar Inc. et al (1990), 12 C.H.R.R. D/161, p. 180).

Compte tenu de toutes les circonstances, notamment le retard considérable de M. Uzoaba à déposer la plainte, le Tribunal est d'avis qu'il n'était pas raisonnablement prévisible que M. Uzoaba demeure sans emploi pendant treize ans. Le Tribunal a conclu que le plaignant devrait recevoir une indemnité correspondant à trois années de salaire perdu, calculé au niveau WP-3 pour la période allant du 1er décembre 1982 au 1er décembre 1985. Si les parties ne peuvent s'entendre sur le montant de cette indemnité, elles pourront s'adresser au Tribunal.

e) Correction du dossier personnel

La Commission a demandé que l'entente du 10 juillet et toute autre décision découlant de la discrimination ou du harcèlement soient retirées du dossier personnel de M. Uzoaba.

Le Tribunal a conclu que la pétition et l'entente en résultant étaient motivées par des considérations liées à la race et à la couleur. En conséquence, le Tribunal ordonne que l'entente soit retirée du dossier personnel de M. Uzoaba. S'il existe dans le dossier de M. Uzoaba d'autres documents découlant de la pétition ou de l'entente et que les parties ne peuvent s'entendre sur leur traitement, elles pourront s'adresser au Tribunal.

f) Indemnité spéciale

Ayant conclu que l'intimé avait agi de façon insensible et grossièrement négligente, vu les conséquences dévastatrices de ces incidents pour le plaignant et pour son amour-propre, sa santé et sa vie familiale, le Tribunal ordonne à l'intimé de verser au plaignant la somme de 5 000 $.

En ordonnant le dédommagement maximal autorisé, le Tribunal adopte les commentaires que le Tribunal avait formulés dans l'affaire Morgan c. Forces armées canadiennes (1989), 10 C.H.R.R. D/6386 :

D'après les éléments de preuve dont je dispose, le préjudice en question n'est en rien comparable à l'humiliation et à l'embarras dont souffrent les personnes victimes d'une discrimination publique fondée sur la race, la religion, la couleur ou le sexe, en particulier lorsqu'il y a perpétration répétée et que le préjudice moral subi entraîne des manifestations physiques ou mentales de stress. A mon avis, le haut de l'échelle s'applique à cette dernière catégorie de situations. (p. D/6403)

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De toute évidence, le présent litige est l'un des cas mentionnés dans l'affaire Morgan.

g) Intérêts

Il est également bien reconnu dans la jurisprudence que des intérêts doivent être payés sur l'indemnité relative à la perte de revenu et sur l'indemnité attribuée à l'égard du préjudice moral (Hinds (supra) et Grover (supra)).

Le Tribunal ordonne donc que des intérêts soient payés sur les sommes d'argent accordées aux présentes conformément aux dispositions de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario au taux bancaire en vigueur le 1er jour du dernier mois du trimestre précédant celui au cours duquel la plainte initiale a été déposée.

Les intérêts devraient être versés comme suit :

  1. sur le salaire perdu, des intérêts calculés sur le montant total à payer à compter du 1er juin 1984, soit le milieu de la période visée par le paiement du salaire;
  2. sur l'indemnité de 5 000 $ à l'égard du préjudice moral, des intérêts à compter du 1er septembre 1980, soit la date approximative à laquelle M. Uzoaba a cessé de travailler activement pour le SCC.

VIII CONCLUSION

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal déclare que l'intimé a violé les droits que la LCDP reconnaît à M. Uzoaba et ordonne

  1. au commissaire des services correctionnels de remettre à M. Uzoaba une lettre d'excuses dans les trente jours suivant la présente décision;
  2. à l'intimé d'offrir à M. Uzoaba, à la première occasion raisonnable, un poste au niveau WP-5 qui n'exige aucun contact avec les détenus;
  3. à l'intimé de fournir à M. Uzoaba une formation suffisante au sujet des pratiques et procédures actuelles du SCC pour lui permettre de s'acquitter en bonne et due forme des responsabilités inhérentes à son nouveau poste;
  4. à l'intimé de payer à M. Uzoaba un montant correspondant à trois années de salaire perdu, calculé au niveau WP-3, pour la période allant du 1er décembre 1982 au 1er décembre 1985;
  5. à l'intimé de retirer l'entente du 10 juillet 1980 du dossier personnel de M. Uzoaba;
  6. à l'intimé de verser à M. Uzoaba une indemnité de 5 000 $ à l'égard du préjudice moral que le plaignant a subi;
  7. à l'intimé de verser des intérêts sur les sommes d'argent adjugées aux présentes conformément aux dispositions de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario :
    1. sur le salaire perdu, des intérêts calculés sur le montant total à payer à compter du 1er juin 1984, soit le milieu de la période visée par le paiement du salaire;
    2. sur l'indemnité de 5 000 $ à l'égard du préjudice moral, des intérêts à compter du 1er septembre 1980, soit la date approximative à laquelle M. Uzoaba a cessé de travailler activement pour le SCC.

FAIT LE 15 mars 1994 Anne L. Mactavish, présidente

Ross Robinson, membre

Lino Sa Pessoa, membre

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