Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

HEATHER PATTERSON FEATHERSTONE

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

l'intimée

- et -

LORNE LONEY

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

LE TRIBUNAL: Keith C. Norton, président

Kathleen Jordan, membre Hugh Fraser, membre

ONT COMPARU: Odette Lalumière Avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Venier Avocat de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada

DATES ET LIEU 1er et 2 mars 1993 DE L'AUDIENCE: Belleville (Ontario)

TRADUCTION

Les plaintes

Heather Patterson (qui s'appelle désormais Heather Patterson Featherstone) a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne deux plaintes identiques datées du 2 novembre 1988 et visant la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et Lorne Loney.

Selon les plaintes qui ont été produites devant le Tribunal sous les onglets 1 et 2 de la pièce HRC-1, les intimés auraient exercé de la discrimination à l'égard de la plaignante en la traitant différemment, en la harcelant et en l'obligeant à démissionner, sur le fondement de son sexe (féminin), contrairement aux articles 7 et 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La plainte renferme quelque dix-huit énoncés, y compris quinze incidents précis qui auraient eu lieu entre la mi-octobre 1986 et le 6 mai 1988 et qui constitueraient des actes de harcèlement sexuel.

La preuve

La plaignante a travaillé au ministère de la Défense nationale, à la base des Forces armées canadiennes de Trenton, jusqu'en juin 1986; elle a alors reçu un avis de mise à pied, devenant ainsi une employée excédentaire bénéficiant d'une priorité.

Le 10 juin 1986, l'un des intimés, Lorne Loney, surveillant à la division des installations et de la sécurité, Administration régionale auxiliaire, Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (la CEIC), à Belleville, a téléphoné à la plaignante pour la convoquer à une entrevue afin de lui offrir un poste dans son service. L'entrevue a eu lieu à la mi-juin et, le 23 juin 1986, la plaignante a commencé à travailler à titre de commis de soutien-administration (CR-3), sous la direction de M. Loney.

Une autre personne, M. Bill Cretney, travaillait dans le même service et relevait de M. Loney.

Même si la plainte comme telle ne fait mention que d'incidents postérieurs à la mi-octobre 1986, la plaignante a témoigné que le premier incident s'était produit le jour où elle était entrée en fonction. M. Loney l'avait alors invectivée parce qu'elle déjeunait à son poste de travail.

Selon la plaignante, de nombreux incidents se sont produits par la suite, M. Loney la comparant alors défavorablement à la personne qu'elle remplaçait, Ken Quinn, et lui disant, à au moins une occasion, qu'il regrettait de lui avoir offert le poste.

Tous les témoins conviennent que Lorne Loney parlait fort. La plaignante a déposé que, souvent, celui-ci criait et employait des termes

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déplacés et grossiers et la traitait de [TRADUCTION] chienne de bonne à rien, d'espèce d'enfant de chienne et d'imbécile de chienne lorsque des erreurs ou des malentendus relativement peu importants survenaient au bureau.

Madame Featherstone notait les incidents sur des feuilles de papier et dans un journal personnel à mesure qu'ils se produisaient. Selon son témoignage, elle se serait servi de ces notes pour rédiger une lettre détaillée de quinze pages destinée à la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), le 8 décembre 1987, une déclaration du plaignant à l'intention de la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique, le 6 avril 1988, et la plainte comme telle, le 2 novembre 1988. Elle aurait ensuite détruit ses notes et son journal. La portée de ce geste se précisera davantage dans les pages suivantes.

La plaignante a témoigné que, le 9 février 1987, elle avait rencontré le supérieur immédiat de M. Loney, William Girdlestone, gérant, Services administratifs et financiers, pour se plaindre du comportement de M. Loney. Il existe une certaine confusion quant à la date de cette rencontre et aux propos qui ont été tenus.

Il est clair qu'une rencontre a eu lieu. Dans sa plainte et lors de son témoignage, la plaignante a affirmé que la rencontre s'était déroulée le 9 février 1987. Or, selon le paragraphe 4 (p. 2) de la lettre adressée à la CCDP et datée du 8 décembre 1987 (pièce CEIC-1, onglet 7), il appert que la rencontre a eu lieu au retour de la plaignante après un congé annuel, soit le 5 janvier 1987. Selon M. Girdlestone, elle se serait déroulée en janvier, mais il n'a pu préciser la date.

M. Girdlestone a dit se souvenir que Mme Featherstone s'était plainte de la façon dont M. Loney gérait le service et du fait qu'il ne lui demandait jamais de faire quelque chose, mais le lui ordonnait. M. Girdlestone a précisé que cela tenait au passé militaire de M. Loney et aux habitudes qui en découlaient.

Quoi qu'il en soit, M. Girdlestone a rencontré M. Loney en privé le lendemain et, deux jours plus tard, il a réuni M. Loney et Mme Featherstone pour arbitrer le différend et exhorter M. Loney à modifier son style de gestion. Il a alors cru que la question était réglée et il n'en a d'ailleurs plus entendu parler pendant dix mois.

Selon le témoignage de la plaignante, après la rencontre, l'attitude de M. Loney s'est améliorée de manière intermittente. Néanmoins, la plaignante a continué de noter les fois où M. Loney élevait la voix ou tenait des propos blessants.

Les énoncés 11, 12 et 16 figurant à la page 3 de la plainte formelle sont particulièrement importants en ce qu'ils traduisent l'existence d'un

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ton, d'une attitude et de circonstances qui sont propres au harcèlement sexuel. Lors de son témoignage, la plaignante a également mentionné les incidents en cause en renvoyant au libellé de la plainte.

Selon la plainte, le 27 octobre 1987, M. Loney aurait dit à Mme Featherstone :

[TRADUCTION]

Reste ici, espèce de traînée.

Le 23 novembre 1987, il lui aurait fait remarquer qu'elle avait une belle poitrine, que celle de sa femme était plutôt plate et que les hommes aimaient en avoir plein les mains.

Le 4 mai 1988, il aurait dit :

[TRADUCTION]

«Tu m'as causé beaucoup de problèmes, espèce de putain».

Mme Featherstone a témoigné que, après la rencontre du 5 janvier (ou du 9 février) 1987, et le suivi donné à celle-ci, elle ne s'était pas plainte ni n'avait soulevé la question auprès de la direction parce qu'elle n'avait pas confiance en celle-ci.

Cependant, le 24 novembre 1987, elle a demandé une mutation latérale interne [TRADUCTION] en raison de harcèlement constant et dégradant (pièce CEIC-1, onglet 1).

Il ressort de la preuve que M. Girdlestone lui a immédiatement offert un poste temporaire (OE MEO 3) au service du recouvrement et qu'elle l'a accepté. Le poste lui a également été offert sur une base permanente, mais elle l'a refusé à cause d'un écart salarial annuel de 131 $.

La plaignante aurait refusé un autre poste permanent parce qu'il s'agissait de travail par postes.

Le 1er décembre 1987, M. Girdlestone a écrit à Mme Featherstone pour attirer son attention sur la politique de la CEIC concernant les plaintes de harcèlement au travail ainsi que sur le mécanisme interne de recours (pièce CEIC-1, onglet 3). Le 3 décembre suivant, il a rencontré la plaignante pour discuter de ses motifs de plainte. La rencontre ayant dégénéré en affrontement, les parties y ont mis fin, ce dont atteste la note de service de M. Girdlestone établie le jour même (pièce CEIC-1, onglet 4). En effet, Mme Featherstone avait alors refusé de répondre à toute question ou de fournir tout renseignement concernant les prétendus incidents, à moins qu'une demande à cet effet ne lui soit présentée par écrit.

Plus tard, dans la journée du 3 décembre 1987, M. Girdlestone a demandé par écrit à Mme Featherstone de lui fournir de plus amples renseignements afin qu'il puisse mener une enquête interne (pièce CEIC-1, onglet 5).

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Dans une note de service datée du 8 décembre 1987, Mme Featherstone a répondu qu'elle se refusait à donner de plus amples détails sur le sujet et qu'elle comptait avoir recours à d'autres moyens de règlement (pièce CEIC- 1, onglet 6).

Le témoignage de la plaignante révèle que celle-ci était affligée d'une incapacité au côté gauche et que, dans l'exercice de ses fonctions au service du recouvrement, elle devait se servir d'un fichier rotatif à la fois volumineux et lourd, contenant des rubans, qui se trouvait à sa gauche. Cela lui causait des douleurs au dos et à la hanche; elle a donc quitté le travail le 7 décembre 1987 pour n'y revenir que le 20 avril 1988.

Le 8 décembre 1987, elle a adressé à la CCDP la lettre de quinze pages donnant le détail de ses motifs de plainte (pièce CEIC-1, onglet 7).

Le 15 février 1988, Mme Featherstone a officiellement fait une demande d'enquête à la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique, région de l'Ontario (pièce CEIC-1, onglet 8) et, le 6 avril suivant, elle a déposé une déclaration du plaignant (pièce CEIC-1, onglet 10).

M. Girdlestone a informé Mme Featherstone, pendant le congé de maladie de celle-ci, qu'il procédait à son remplacement au poste temporaire et qu'elle devrait occuper de nouveau son poste permanent (pièce CEIC-1, onglet 9). La plaignante a répondu qu'elle ne pouvait pas retourner travailler avec M. Loney.

Par conséquent, à son retour au travail le 20 avril 1988, la plaignante s'est vu offrir deux autres postes et a opté pour celui offert au service de la gestion du matériel où son surveillant serait M. Ike MacDonald.

La plaignante a déposé que d'autres incidents mettant en cause M. Loney s'étaient produits par la suite. Essentiellement, celui-ci l'aurait regardée avec insistance et l'aurait suivie.

La Direction générale des appels et enquêtes a informé M. Girdlestone, par lettre datée du 15 avril 1988, que Mme Featherstone avait formulé une plainte pour le harcèlement dont elle aurait été victime de la part de son surveillant et elle lui a demandé de répondre à la déclaration du plaignant (pièce CEIC-1, onglet 10) ainsi que de fournir tout document pertinent à l'appui.

M. Girdlestone a demandé à M. Loney de répondre aux prétentions de la plaignante, et celui-ci l'a fait, point par point, dans une note de service datée du 9 mai 1988 (pièce CEIC-1, onglet 15). M. Loney a nié chacune des prétentions de la plaignante.

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Signalons que la déclaration du plaignant ne fait aucunement état de l'incident où M. Loney aurait fait certaines remarques concernant la poitrine de la plaignante ni de l'emploi du mot [TRADUCTION] putain et qu'elle ne fait pas directement mention du harcèlement sexuel. Plusieurs incidents où des termes blessants auraient été employés y sont cependant relatés.

Le 6 mai 1988, la plaignante a quitté le bureau avant d'avoir terminé sa journée de travail. Selon son témoignage, elle a agi ainsi sur le conseil de son médecin, mais elle n'en a pas informé son surveillant.

Auparavant, au cours de son témoignage, la plaignante a précisé qu'elle était mécontente du fait qu'elle n'avait pas de poste permanent ni de bureau et qu'elle devait travailler à une table.

Lorsque son surveillant l'a jointe au téléphone le lendemain, elle lui a dit qu'elle démissionnait. Elle a confirmé sa décision dans une lettre datée du 6 mai 1988 sans donner de motifs à l'appui (pièce CEIC-1, onglet 16).

Le certificat médical daté du 13 mai 1988, produit devant le tribunal (pièce CEIC-1, onglet 16), fait état d'une dépression réactionnelle sévère liée aux conditions de travail de la plaignante.

Après avoir épuisé ses prestations d'assurance-chômage, Mme Featherstone a demandé, par lettre datée du 28 juillet 1988, l'annulation de sa démission (pièce CEIC-1, onglet 17). Le directeur du personnel, région de l'Ontario a signifié son refus par lettre datée du 7 novembre 1988 (pièce CEIC-1, onglet 19).

Comme le tribunal l'a déjà mentionné, la plaignante n'a saisi la CCDP d'une plainte formelle que le 2 novembre 1988.

M. Loney n'a comparu ni personnellement ni par l'entremise d'un avocat. Il n'a pas non plus obtempéré au bref de subpoena que lui avait signifié la CEIC. Après avoir admis la preuve de la signification de tous les documents requis (pièces T-1 à T-10), y compris l'avis d'audience, et après avoir suspendu l'audience pendant quinze minutes pour le cas où M. Loney serait en retard, le tribunal a conclu que ce dernier avait décidé de ne pas se présenter et il a donc entrepris son enquête.

Deux employées de la CEIC qui travaillaient au bureau de Belleville, mais à un autre étage que celui où se trouvaient M. Loney et Mme Featherstone, ont été appelées à témoigner. Il s'agit de Judith Carmichael et de Julia Mundle.

Toutes deux ont affirmé connaître les parties. Mme Carmichael a précisé qu'elle n'avait pas entendu M. Loney tenir ce genre de propos,

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qu'il ne l'avait jamais intimidée et que, selon elle, il traitait tout le monde de la même manière.

Julia Mundle a témoigné que Lorne Loney ne faisait pas ce genre de commentaires. Or, selon la lettre de Mme Featherstone datée du 8 décembre 1987 et adressée à la CCDP, Mme Mundle aurait été l'une des personnes qui avaient déploré [TRADUCTION] la conduite de Lorne et ses agressions verbales injustifiées (p. 13).

Il appert que le témoignage sous serment de Mme Mundle contredit la version des faits donnée par Mme Featherstone.

DÉCISION

CONCLUSIONS DE FAIT

Voici quel est l'objet de la plainte selon les formules produites (pièces HRC-1, onglets 1 et 2) :

[TRADUCTION]

La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et Lorne Loney (ont) exercé de la discrimination à mon égard en cours d'emploi en me traitant différemment, en me harcelant et en m'obligeant à démissionner, sur le fondement de mon sexe (féminin), contrairement aux articles 7 et 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il est apparu manifeste à l'enquête qu'il s'agissait en fait de l'article 14, et non de l'article 13.1, et le tribunal a conclu en ce sens.

Le tribunal examinera les prétentions de la plaignante en commençant par la dernière.

La plaignante a-t-elle été contrainte de démissionner en raison d'un traitement différent ou d'un harcèlement imputable à son sexe?

La preuve révèle que, après avoir demandé une mutation latérale interne, le 24 novembre 1987, la plaignante a été mutée presque immédiatement, de manière temporaire, au service du recouvrement, lequel était dirigé par une autre personne que M. Loney.

A la même date, elle s'est vu offrir, à titre permanent, le poste qu'elle occupait temporairement ainsi qu'un autre poste; elle a refusé le premier en raison d'un écart salarial de 131 $ par année et le second, parce qu'il s'agissait de travail par postes.

Après que la plaignante eut quitté son travail le 7 décembre 1987, le poste temporaire qu'elle occupait a été comblé.

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A son retour au travail le 20 avril 1988, après avoir déclaré qu'elle ne pouvait occuper de nouveau son poste permanent sous la direction de M. Loney, la plaignante s'est vu offrir deux postes. Elle en a accepté un et elle y est demeurée jusqu'à sa démission le 6 mai 1988.

Compte tenu de la preuve, le tribunal conclut que l'employeur n'a pas obligé la plaignante à démissionner, mais qu'il a plutôt fait tous les efforts raisonnables pour lui trouver un autre poste lorsqu'elle lui en a fait la demande.

La plaignante a-t-elle été traitée différemment ou harcelée, de sorte que de la discrimination a été exercée à son égard en raison de son sexe?

Parmi les actes de harcèlement et les agressions reprochés, trois se démarquent des autres et ont nettement une connotation sexuelle. Ils sont mentionnés aux points 11, 12 et 16 (p. 3) des formules de plainte (pièce HRC-1, onglets 1 et 2), dont voici le libellé :

[Traduction]

11. Le 27 octobre 1987, je quittais la pièce au moment où Lorne Loney y entrait. Il me cherchait et semblait de mauvaise humeur. Comme je quittais la pièce, il m'a dit : "Reste ici, espèce de traînée".

12. Le 23 novembre 1987, Lorne Loney m'a fait remarquer que j'avais une belle poitrine. Il a ajouté que celle de sa femme était plutôt plate et que les hommes aimaient en avoir plein les mains. Je lui ai dit que sa remarque était

déplacée et de ne plus jamais faire allusion à quelque partie de mon anatomie.

16. Le 4 mai 1988, en me croisant, Lorne Loney m'a dit "Tu m'as causé beaucoup de problèmes, espèce de putain".

Le 24 novembre 1987, Mme Featherstone a demandé à être mutée. Or, elle n'a fait mention des deux actes de harcèlement qui s'étaient produits auparavant, selon la plainte, ni à l'occasion de son entretien avec M. Girdlestone ni dans la demande écrite où elle se disait victime de harcèlement.

Le 3 décembre 1987, lors de l'entretien orageux avec M. Girdlestone, la plaignante n'a apparemment pas mentionné ces incidents.

Le 8 décembre 1987, dans la lettre détaillée de quinze pages destinée à la CCDP et qu'elle aurait rédigée à partir de ses notes et de son journal (les mêmes que ceux dont elle s'est servi pour rédiger la plainte près d'un an plus tard, en novembre 1988), elle fait état d'incidents survenus le 27 octobre et le 23 novembre 1987. Dans aucun des cas, il n'est fait

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mention des incidents relatés aux points 11 et 12 des formules de plainte et qui se seraient déroulés aux mêmes dates.

Dans la déclaration du plaignant signée par la plaignante le 8 avril 1988, puis présentée à la Direction des enquêtes de la Commission de la fonction publique (pièce CEIC-1, onglet 10), on ne trouve nulle mention de l'un ou l'autre des incidents susmentionnés.

Le tribunal est quelque peu déconcerté par le fait que, même si la plaignante a eu maintes occasions de signaler les prétendus incidents, fort graves au demeurant, de vive voix ou par écrit, elle n'a mentionné ceux-ci qu'au moment de rédiger sa formule de plainte, soit un an plus tard. Dans l'intervalle, elle a fait d'autres déclarations, verbales et écrites, peu après, et elle a même déclaré que d'autres incidents avaient eu lieu aux mêmes dates, s'appuyant toujours sur ses notes et son journal.

La destruction des notes et du journal, après le dépôt de la plainte, pose également un problème en ce qu'elle prive le tribunal d'un élément de preuve qui aurait pu être utile vu les circonstances.

Le tribunal conclut que l'absence de corroboration des faits relatés aux points 11, 12 et 16 et l'absence de preuve que la plaignante ait fait mention des incidents en cause, de vive voix ou par écrit, à une date rapprochée, compromet sérieusement, voire irrémédiablement, la valeur probante des énoncés 11, 12 et 16 de la plainte.

La preuve permet-elle de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les autres incidents qui se seraient produits ont effectivement eu lieu et qu'il s'agissait de harcèlement sexuel?

A l'instar des points 11, 12 et 16 susmentionnés, les autres prétentions de la plaignante ne sont pas corroborées.

Selon la preuve, un autre employé, Bill Cretney, travaillait près du poste de travail de la plaignante, mais il était souvent absent de son bureau. Mme Featherstone a témoigné que MM. Cretney et Loney avaient des rapports tendus et qu'ils se parlaient rarement.

Par ailleurs, il ressort de la preuve que les bureaux étaient divisés au moyen de cloisons amovibles.

La plaignante a témoigné qu'une femme (qu'elle n'a pas identifiée) qui se trouvait à proximité avait entendu M. Loney s'adresser à elle de manière grossière et que cette tierce personne lui avait demandé comment elle pouvait admettre un tel comportement. Elle a dit ignorer si d'autres personnes avaient été témoins des paroles prononcées par M. Loney à diverses occasions.

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Voici ce que relate Mme Featherstone dans la lettre du 8 décembre 1987 adressée à la CCDP (pièce CEIC-1, onglet 7), à la page 2 :

[Traduction]

Laurie McMillan-Burtt pourrait témoigner qu'elle a souvent entendu Lorne me parler de façon malveillante ou gueuler après moi à tout propos; elle m'a d'ailleurs demandé comment je pouvais tolérer cela... Je me souviens qu'elle a dit qu'elle l'aurait envoyé promener depuis longtemps, qu'elle n'accepterait jamais qu'il lui parle sur ce ton.

A la page 3 de la même lettre, elle relate un autre incident où la même personne aurait entendu M. Loney jurer, ainsi qu'un autre incident où celui-ci aurait crié après une autre employée, Cec Bolyea.

Plus loin dans sa lettre, elle donne le nom d'au moins douze employés qui auraient été témoins d'incidents ou qui auraient critiqué, en sa présence, la conduite de Lorne Loney.

Il est étonnant que les seules personnes qui sont mentionnées dans la lettre et qui ont déposé à titre de témoins, M. Girdlestone et Mme Julie Mundle, aient été assignées par l'intimée CEIC.

Chacune de ces personnes, dans son témoignage sous serment, a donné une version des faits incompatible avec celle que leur attribue Mme Featherstone dans sa lettre.

Voici ce que dit la lettre au sujet de Mme Mundle (à la p. 13) :

[TRADUCTION]

Julie Mundle et Brenda Reed (expédition automatisée des mandats) ont également fait état, à différentes occasions, de la conduite et des agressions verbales injustifiées de M. Loney.

Lors de son témoignage sous serment, voici ce que Julie Mundle a déclaré après qu'on lui a lu certains passages portant sur de prétendues injures :

[TRADUCTION]

Non, ce ne pouvait pas être Lorne.

Elle a ajouté qu'elle ne se rappelait pas avoir remarqué que M. Loney traitait les femmes différemment des hommes et qu'elle n'avait jamais été en présence de Mme Featherstone et de M. Loney simultanément.

Elle a également précisé qu'elle ne pouvait même pas se rappeler avoir fait quelque commentaire, en présence de Mme Featherstone, concernant la conduite de M. Loney au travail ou avoir entendu d'autres employés faire des remarques à ce sujet (se reporter à la transcription, aux pp. 167, 168 et 169).

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En contre-interrogatoire pour le compte de la plaignante, relativement aux prétendues remarques de M. Loney sur la poitrine de cette dernière, Mme Mundle a répondu ce qui suit (p. 169 de la transcription) :

[TRADUCTION]

Eh bien, ça ne ressemble pas au M. Loney que je connais, ce n'était pas son genre, il était toujours courtois avec moi.

Voici ce que dit Mme Featherstone dans sa lettre du 8 décembre 1987 (à la p. 13) :

[TRADUCTION]

Même le patron de M. Loney, Bill Girdlestone, m'a mentionné à deux reprises que ça le rendrait malade s'il devait regarder Lorne Loney et le côtoyer tous les jours.

Voici un extrait du témoignage sous serment de M. Girdlestone (p. 110 de la transcription) :

[TRADUCTION]

M. Loney était une excellente personne, il donnait toujours le meilleur de lui-même lorsqu'il travaillait sous mes ordres, ses fonctions étaient exigeantes du point de vue technique, notamment, mais il parvenait toujours à surmonter les obstacles... c'était un employé modèle. Je n'avais aucune difficulté avec lui.

Les commentaires les moins obligeants qu'a fait M. Girdlestone au sujet de M. Loney étaient peut-être que celui-ci parlait fort et qu'il était bourru.

La contradiction entre les déclarations que Mme Featherstone attribue à ces témoins dans sa lettre de plainte et le témoignage sous serment de ceux-ci soulève la question de la crédibilité.

Comme Mme Featherstone n'a assigné aucune des neuf ou dix autres personnes qui, selon elle, auraient pu confirmer ses dires au sujet de Lorne Loney, et vu que les deux seules personnes appelées à la barre, parmi celles que la plaignante considérait comme des témoins éventuels, ont contredit ses dires quant aux propos qu'elles avaient tenus, il est difficile de conclure que les prétentions de la plaignante suffisent, à elles seules, à établir le bien-fondé de la plainte.

Si l'on ajoute à cela l'omission de signaler, pendant près d'un an, verbalement ou par écrit, les deux incidents les plus graves, alors que la plaignante a eu toutes les occasions de le faire, le tribunal peut difficilement statuer en faveur de celle-ci.

Vu la preuve, le tribunal est convaincu que le milieu de travail de Mme Featherstone était une grande source de stress et qu'il a pu contribuer

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à la dépression diagnostiquée par son médecin. De plus, il ressort de la preuve que Lorne Loney parlait fort, qu'il était autoritaire et exigeant, et que l'affrontement de deux fortes personnalités, la sienne et celle de la plaignante, a vraisemblablement contribué à la situation tendue.

Même si ces éléments ont pu créer un milieu de travail très désagréable, ils n'établissent pas que le harcèlement sexuel était à l'origine du problème.

Compte tenu de la preuve présentée, le tribunal conclut que le bien- fondé des plaintes dirigés contre la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et Lorne Loney n'a pas été établi. Les plaintes sont donc rejetées.

FAIT le 24 mars 1993.

Keith C. Norton, président

Kathleen Jordan, membre

Hugh Fraser, membre

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