Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6(version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

PETER CRANSTON, HARVEY POWELL, ROBERT BISSON, DONALD J. ALLIN, JOHN THORPE, JOHN G. BURKE, DENNIS BISSON, LORNE VICKERS, JACQUES H. BRULE, WILLIAM N. DEVINE, DONALD WILLIAMS, LYMAN H. GILKS, ROBERT GRAHAM, JOHN WOODLEY, GARY BROWN, PIERRE LALIBERTE, ROBERT CASKIE, JOHN D. SQUIRES, MARCEL LAROCHE, PAUL CARSON, DAVID FALARDEAU, WILLIAM L. MacINNIS, ALBERT J.G. CHIASSON, JOE CZAJA, LEONARD MURRAY & CHARLES L. EMPEY

les plaignants - et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission - et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Hugh L. Fraser - Président Lise Leduc - Membre Marjorie Lewsey - Membre

ONT COMPARU: René Duval Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Brian Evernden Avocat de l'intimée

Alain Préfontaine Avocat de l'intimée

DATES ET LIEU DE Le 5 décembre 1990 L'AUDIENCE: Les 4, 5, 6, 7, 11, 12, 13, 14, 18, 19, et 20 mars 1991 Les 3, 4, 10, 11, 12, 13, 17, 18, 19, 20, 24, 25 et 26 juin 1991 Les 26, 27, 29 et 30 août 1991 Le 5 septembre 1991 Ottawa (Ontario)

TRADUCTION

LA PLAINTE

Vingt-six plaignants ont, en l'espèce, déposé des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant avoir été l'objet, de la part de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, d'une discrimination fondée sur l'âge, en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les plaignants allèguent également que le ministère de la Défense nationale a appliqué une ligne de conduite susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'une catégorie d'individus pour des considérations fondées sur l'âge, en contravention de l'article 10 de cette loi. Les plaignants étaient au service du ministère des Transports à l'époque de la discrimination alléguée. Donald Allin, Dennis Bisson, Robert Bisson, Gary Brown, Jacques H. Brule, John G. Burke, Paul Carson, Robert Caskie, A.M. Chiasson, Joseph Czaja, Peter Cranston, William Devine, Charles L. Empey, David Falardeau, Lyman H. Gilks, Robert Graham, Pierre Laliberte, Marcel Laroche, William MacInnis, Leonard J. Murray, Harvey Powell, John Squires, John Thorpe, Lorne Vickers, Donald Williams et John Woodley étaient tous pilotes attachés aux services de transport aérien pour dignitaires, qui relevaient de Transports Canada.

Robert Bisson, John Burke, Jacques Brule, Albert Chiasson, Charles Empey et Lyman Gilks étaient agents de bord au sein des mêmes services.

Au début de l'audience, il a été convenu que le présent Tribunal serait lié par la décision relative à la retraite obligatoire devant être rendue dans l'affaire Douglas H. Martin et autres c. Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes et autres.

Pendant plusieurs années, les services de transport aérien pour dignitaires de l'administration fédérale ont été dispensés par deux ministères, celui des Transports et celui de la Défense nationale. Peter Cranston, témoin principal des plaignants, a déclaré que le ministère des Transports assurait à lui seul environ 85 à 90% des vols transportant des dignitaires. Il s'agissait, a-t-il expliqué, d'un service aérien sur demande. Les demandes arrivaient au bureau du ministre des Transports, puis étaient acheminées au centre des opérations aériennes, lequel prenait alors les arrangements nécessaires quant aux appareils et aux équipages. L'établissement du calendrier des équipages se faisait en accord avec le chef pilote.

Tous les pilotes de ce service devaient avoir la licence de pilote de ligne, soit la licence de plus haut niveau qu'un pilote civil puisse détenir au Canada. Il s'agissait de pilotes expérimentés ayant à leur actif un grand nombre d'heures de vol.

Dans une note en date du 9 décembre 1984, Peter Cranston faisait observer que les Forces armées canadiennes exploitaient un service comparable à celui du ministère des Transports. Il soulignait que les pilotes oeuvrant alors au ministère des Transports avaient en moyenne cinquante et un (51) ans et plus de douze mille heures de vols à leur actif. La durée moyenne de leur service était de treize ans. Beaucoup volaient à plein temps depuis une trentaine d'années. On n'a signalé aucun accident aérien mettant en cause des membres de ce service. M. Cranston affirmait également que tous les agents de bord, à une exception près, avaient acquis plusieurs années d'expérience dans l'armée et que les meilleurs diplômés de l'armée étaient généralement embauchés comme agents de bord par le service civil.

Malgré le dossier exemplaire des services de transport aérien pour dignitaires du ministère des Transports, il appert de la preuve présentée au Tribunal que le projet de regrouper les services de vols pour dignitaires du gouvernement fédéral au sein soit du ministère des Transports, soit du ministère de la Défense nationale, était à l'étude depuis plusieurs années. Le but visé était d'assurer aux ministres le transport aérien le plus efficace possible. Divers documents relatant l'évolution de ce projet ont été d'une aide précieuse dans l'examen des plaintes.

LA PREUVE

Le premier document que le Tribunal a examiné est la brève lettre que le premier ministre du Canada, l'honorable Brian Mulroney, a adressée à l'honorable Robert C. Coates, ministre de la Défense nationale, et dont voici la teneur:

[TRADUCTION]

Cher collègue, J'ai eu l'occasion d'examiner la question du transfert des services de transport aérien pour dignitaires du ministère des Transports, dont il relève présentement, à celui de la Défense nationale.

Je compte que ce transfert soit effectué dans les plus brefs délais. J'en suis en effet venu à la conclusion qu'il s'agit d'un objectif souhaitable, et ce principalement pour des raisons d'économie et d'efficience. Je vous prie de faire en sorte que le transfert s'effectue de façon juste et équitable afin d'occasionner aux personnes en cause le moins d'inconvénients possible.

Le 9 novembre 1984, le ministre des Transports Don Mazankowski envoyait à son sous-ministre une note demandant à ce qu'il [TRADUCTION] soit procédé immédiatement au transfert évoqué dans la lettre du premier ministre. La note énumérait six points à prendre en considération aux fins d'assurer [TRADUCTION] une transition rapide et en douceur:

[TRADUCTION]

  1. Le centre de coordination des opérations aériennes relèvera de la compétence du ministère de la Défense nationale et c'est lui assurera, comme par le passé, tous les services pour dignitaires.
  2. A moins d'avis contraire, les guides d'utilisation des appareils destinés au transport des dignitaires resteront les mêmes.
  3. Toutes les demandes de vols devront être adressées au ministre de la Défense nationale.
  4. Les pilotes présentement au service du ministère des Transports, et plus particulièrement ceux qui travaillent au sein de l'Administration canadienne des transports aériens, seront, s'ils le désirent, intégrés aux services de transport aérien pour dignitaires du ministère de la Défense nationale où leur expérience antérieure sera pleinement reconnue.
  5. Le personnel d'entretien et de soutien présentement relié aux services de transport aérien pour dignitaires sera, s'il y a lieu, intégré au ministère de la Défense nationale. Dans le cas contraire, toutes les mesures voulues seront prises pour que leur départ ait lieu dans des conditions justes et équitables.
  6. La flotte réservée au transport des dignitaires, sous la juridiction du ministère de la Défense nationale, servira, dans toute la mesure possible, à l'amélioration, sous tous ces aspects, de la formation des pilotes.

Le 20 novembre 1984, le gouvernement du Canada, plus précisément les deux ministères en cause, ont émis un communiqué de presse annonçant que les services de transport aérien du gouvernement fédéral pour dignitaires, actuellement gérés par deux ministères, seront regroupés et contrôlés par le ministère de la Défense nationale. Le communiqué ajoutait:

M. Coates et M. Mazankoswki ont affirmé que cette initiative mettra fin à la duplication des services et après un certain temps permettra au gouvernement fédéral de réaliser des économies.

Le dernier paragraphe est important. Il était ainsi libellé:

Les ministres ne prévoient pas de licenciements suite à cette fusion: Nous avons avisé notre personnel de s'assurer que le transfert s'effectue d'une façon juste et équitable afin d'occasionner aux gens impliqués le moins d'inconvénients possible."

L'autre document important est une directive d'exécution, intitulée Directive d'exécution 84/Groupe de travail interministériel- Services de transport aérien pour dignitaires. Cette directive visait l'élaboration conjointe d'un plan de mise en oeuvre du transfert des services de transport aérien pour dignitaires. On y faisait ressortir un certain nombre de facteurs à prendre en considération à cet égard :

[TRADUCTION]

  1. Les services offerts aux ministres devraient, dans toute la mesure possible, être maintenus à leur niveau élevé traditionnel.
  2. Le transfert des responsabilités du MT au MDN devra être effectué de façon juste et équitable afin d'imposer au personnel en cause le moins d'inconvénients possible.
  3. Le transfert des responsabilités du MT au MDN exigera une présentation au Conseil du Trésor eu égard à la question des ressources.
  4. La transition doit s'effectuer de façon ordonnée et sans compromis quant à la sécurité aérienne.
  5. Le ministère des Transports continuera, sur une base intérimaire, d'assurer les services de transport aérien selon l'attribution des tâches effectuée par le MDN, aux termes d'un protocole d'entente devant être rédigé par le Groupe de travail interministériel (GTI).

La directive énonçait un cadre conceptuel en trois phases. En bref, la phase un était celle du transfert, au MDN, du pouvoir d'attribuer les tâches pour tous les services de transport aérien pour dignitaires. Dans la phase deux, il devait y avoir conclusion, le 1er avril 1985, d'un protocole d'entente interministériel prévoyant les modalités en vertu desquelles ces services seraient assurés à moyen terme. Dans la phase trois, un plan détaillé à long terme devait être établi par le MDN et le

MT, au 1er septembre 1985, plan qui prévoirait notamment des dispositions concernant la modernisation de la flotte par le MDN.

Le 12 décembre 1984, Gary Brown, l'un des pilotes des services de transport aérien pour dignitaires, également représentant syndical, a fait parvenir une note à Donald Lamont, directeur général du Service des vols. M. Brown y déplorait le manque d'information détaillée pour les personnes susceptibles d'être touchées par le transfert. Il demandait que ces personnes puissent avoir accès aux différentes options à l'étude eu égard à la mise en oeuvre du transfert avant qu'une décision définitive soit prise. Il exposait ensuite les préférences des membres de la manière suivante:

[TRADUCTION]

Notre première préférence serait de continuer à oeuvrer en qualité de civils pour le compte du MDN, moyennant certaines garanties d'emploi à long terme;

  1. au cas où le MDN n'accepterait pas le concept d'équipages civils aux commandes de ses avions, certains de nos membres sont disposés à devenir membres des Forces armées. Il y aurait alors enrôlement, dans une forme quelconque de service de réserve. En vertu de cette proposition, nos membres devraient avoir certaines garanties telle une durée minimale d'emploi et le droit de transférer leurs cotisations de pension au régime de pension des Forces.
  2. Pour ceux qui ne voudraient pas continuer à oeuvrer au transport des dignitaires sous la nouvelle administration, ils devraient, à notre avis, bénéficier d'un traitement préférentiel quant à la mutation dans d'autres postes au sein du ministère des Transports.

L'autre document important que le Tribunal a examiné est la note qu'un certain R. St. John a envoyée au ministre des Transports en date du 24 janvier 1985. On y expose dans les termes suivants la position du MDN en ce qui concerne le personnel du MT:

[TRADUCTION]

  1. Il est impossible, pour des raisons d'ordre opérationnel, d'accepter le transfert au MDN des vingt (20) pilotes pour dignitaires du MT;
  2. Il est impossible, pour des raisons d'ordre opérationnel, d'accepter le transfert au MDN du personnel d'entretien des avions;
  3. Les huit agents de bord pourraient être intégrés au sein du MDN mais leurs services ne seraient pas nécessairement utilisés à ce titre;
  4. Le transfert d'un régulateur de vol ne pose pas de problème.

Les options suivantes étaient ensuite exposées :

[TRADUCTION]

  1. Le transfert immédiat de la flotte et du personnel du MT au MDN. Cette option est celle qui occasionnerait le moins d'inconvénients aux employés en cause, pourvu qu'on leur garantisse le maintien de leur niveau salarial actuel et qu'ils puissent oeuvrer au même titre qu'ils le faisaient au MT. Le MDN a jugé cette option inacceptable parce qu'il n'était pas en mesure d'assurer l'entretien des appareils JetStar; la possibilité que des pilotes civils soient aux commandes d'appareils militaires et que des civils en fassent l'entretien pose un problème. Il y aurait diminution du niveau des services de transport aérien pour dignitaires consécutive au manque d'appareils, faute par le MDN de pouvoir en assurer l'entretien;
  2. Une option par étapes, sans transfert de personnel, le MT assurant l'exploitation et l'entretien des appareils pour une période fixée par le MDN. Cette option n'offre aucune sécurité aux employés en cause, qui se retrouveraient excédentaires par rapport aux besoins du MT à la fin de la période. De plus, la perspective d'une permanence au sein des services de transport aérien pour dignitaires étant disparue, les employés chercheraient des postes ailleurs, de sorte que le MT ne serait plus en mesure de fournir le personnel permettant d'assurer un niveau satisfaisant de service;
  3. Le détachement des employés au MDN pour une période déterminée puis retour au MT. Les perspectives d'emploi sont similaires à celles de l'option 2 ci-dessus et les résultats seraient les mêmes;
  4. Le transfert des employés au MDN et leur réaffectation au MT, pour une période fixée par le MDN, aux fins d'assurer l'exploitation et l'entretien des appareils réservés au transport des dignitaires. Cette option offre les meilleures garanties quant au maintien d'un effectif suffisant pour la sécurité de l'entretien et de l'exploitation d'un service de transport des dignitaires au niveau existant ou à un niveau qui s'en approche. Cependant, cette option ne résout pas les questions que soulève le MDN devant la perspective que des pilotes civils ainsi détachés commandent des appareils du MDN.

La note se termine ainsi:

[TRADUCTION]

Afin de maintenir les services de transport pour les dignitaires à un niveau satisfaisant, tout en assurant aux employés du MT un traitement juste et équitable, nous sollicitons votre appui en faveur de l'option quatre dans les négociations avec le MDN. Si cette option n'était pas ou ne pouvait pas être retenue, le MT chercherait à obtenir auprès des agences centrales l'assurance d'une aide aux fins de résoudre les problèmes de personnel qui en résulterait.

Le ministre Mazankowski a apparemment donné son approbation le 1er février 1985.

Un protocole d'entente entre le ministère des Transports et celui de la Défense nationale a d'abord été signé, le 29 mai 1985, par l'honorable Erik Nielsen, ministre de la Défense nationale, puis, le 17 juin 1985, par l'honorable Don Mazankowski, ministre des Transports. Le paragraphe 1 de ce protocole dispose:

[TRADUCTION]

1. Le présent protocole (PE) a pour objet d'établir les bases d'une entente mutuelle sur les questions reliées au transfert des services de transport gouvernementaux, anciennement appelé Service de transport aérien pour dignitaires, du ministère des Transports (MT) au ministère de la Défense nationale (MDN), suivant la directive qu'a donnée le premier ministre dans une lettre au ministre de la Défense nationale et au ministre des Transports, en date du 2 novembre 1984.

Le paragraphe 3 prévoit ce qui suit:

[TRADUCTION]

La mise en oeuvre et l'interprétation des conditions du présent PE devront être conformes aux principes établis par le premier ministre dans sa lettre aux ministres en date du 2 novembre 1984, à savoir la prise en compte des facteurs d'économie et d'efficience, la nécessité de procéder au transfert dans les plus brefs délais et d'une façon juste et équitable afin de causer le moins d'inconvénients possible aux personnes susceptibles d'être touchées.

L'annexe C du protocole d'entente contient les dispositions suivantes relatives au placement et à la retraite des employés:

[TRADUCTION]

  1. Pour les employés excédentaires le 1er juillet 1986, les dispositions normales des conventions collectives ainsi que la politique sur le réaménagement des effectifs s'appliqueront. Le MT, le MDN et le SCT concerteront leurs efforts afin de redéployer ces employés dans des postes vacants pour lesquels ils ont la compétence ou pourraient l'acquérir moyennant formation. Les mesures suivantes sont également prévues:
    1. protection salariale pour un an pour les employés qui accepteront un travail moins bien rémunéré;
    2. années-personnes données au nouveau ministère pour une période allant jusqu'à deux ans s'il accepte du personnel excédentaire;
    3. recyclage s'il y a lieu pour faciliter le placement;
    4. avis minimum de quatre mois en cas de mise en disponibilité;
    5. priorité de placement au sein de la fonction publique pendant un an à compter de la mise en disponibilité;
  2. Les agents de bord souhaitant continuer à oeuvrer dans le domaine du transport aérien des dignitaires après le 1er juillet 1986 auront la possibilité de devenir réservistes de classe C, pourvu qu'ils satisfassent aux exigences de ce service.
  3. Dans le cas où certains employés n'auraient pas encore été placés dans un autre emploi quatre-vingt-dix jours avant la disparition des JetStar, au 1er juillet 1986, le Conseil du Trésor examinera, dans chaque cas, la possibilité de prendre des mesures spéciales.

Dans toutes les plaintes déposées devant le Tribunal, le grief fondamental des pilotes et des agents de bord est essentiellement de s'être fait dire par le brigadier-général Bell des Forces armées canadiennes qu'[TRADUCTION] en raison de l'âge moyen du groupe, le ministère de la Défense nationale ne pouvait [les] accepter. Aux yeux des plaignants, le général Bell a manifestement joué un rôle crucial dans le transfert des services du ministère des Transports à celui de la Défense nationale.

Dans son interrogatoire principal, le général Bell a indiqué qu'à son sens, la directive du premier ministre signifiait que l'administration des services de transport aérien pour dignitaires passerait au ministère de la Défense nationale et que ce transfert devait être effectué avec une diligence raisonnable. Le personnel de ces services devait être traité de façon aussi juste que possible, les objectifs à viser étant l'économie et l'efficience. Le général Bell a alors commandé à l'un des membres de son personnel une étude sur les options susceptibles de se dégager des discussions du groupe de travail interministériel. L'étude devait porter tant sur la militarisation des services de transport pour dignitaires au sein du ministère de la Défense nationale que sur le maintien de son caractère civil au sein de ce ministère.

Une étude approfondie a été menée par le lieutenant-colonel Scott. Le général Bell a déclaré qu'après avoir étudié le rapport présenté par le lieutenant-colonel, il a estimé que l'option militaire était préférable en raison des nombreuses incohérences qu'entraînerait la tentative d'intégrer des civils et de mettre sur pied une organisation civile distincte au sein du 412e escadron. Prié de préciser en quoi consisteraient ces incohérences, le général Bell a répondu ainsi:

[TRADUCTION]

Nous avons relevé la grande disparité dans les conditions d'emploi. Les conditions du service dans les Forces étaient bien sûr très différentes des conditions civiles d'emploi au sein du gouvernement. Il n'y avait pas de syndicats, une différence remarquable dans les salaires... et une grande différence d'âge entre les groupes."

Quand on lui a demandé quelle était à ses yeux l'importance de cette différence d'âge, le général Bell a répondu ce qui suit:

[TRADUCTION]

Uniquement parce je les considérais comme un groupe, je considérais les vingt pilotes et les services de transport aérien pour dignitaires comme formant un groupe composite; l'intention initiale suivant leur point de vue, je crois, et certainement de notre point de vue, était qu'ils viendraient en tant qu'entité et il était donc important de voir combien satisfaisaient aux règles militaires et combien n'y satisfaisaient pas, compte tenu que la retraite dans les Forces est à cinquante-cinq ans.

Et interrogé quant à l'importance qu'aurait la différence d'âge dans une organisation civile, le général Bell a répondu qu'il n'y en aurait aucune.

Aux questions portant sur les diverses options à l'étude au ministère de la Défense nationale, au début de janvier 1985, en ce qui concerne les pilotes et les agents de bord des services de transport aérien pour dignitaires, le général Bell a fait la réponse suivante :

[TRADUCTION]

Si vous voulez parler de l'option que nous privilégions, à mon sens, elle prévoyait qu'il n'y aurait pas réaffectation à partir du ministère de la Défense nationale; au départ, en effet, l'une des options était qu'ils viendraient au ministère de la Défense nationale en qualité de civils et qu'ils seraient alors réaffectés au ministère des Transports sous supervision militaire; selon les avis que nous avions reçus, cela présentait plus d'inconvénients que d'avantages pour le personnel et risquait de créer du même coup beaucoup de soubresauts administratifs; la meilleure façon de procéder, en présumant que nous maintenions notre volonté de militarisation, était qu'au moins pendant les trois années où les JetStars seraient toujours en opération, ils travaillent pour le compte du ministère de la Défense nationale en vertu d'un protocole d'entente tout en restant attachés au MT, et que pendant cette période, le MT, le MDN et le Conseil du Trésor mettent au point une solution acceptable pour la perte de leurs possibilités d'emploi, si vous voulez, dans les services de transport pour dignitaires, au MT ou ailleurs.

A la question de savoir si on avait examiné, au cours de ce processus, la possibilité que les pilotes soient employés comme réservistes de classe C, le général Bell a répondu [TRADUCTION] certainement, on l'a

toujours prise en considération. Quand on lui a demandé si cette possibilité avait pu à un certain moment être écartée, le général Bell a répondu qu'il n'en était rien, qu'elle avait toujours existé.

Outre les notes qu'a prises D.E. Lamont, directeur général du Service des vols, au sujet de la réunion du 30 janvier 1985, le Tribunal a également examiné les notes prises par l'un des plaignants, William Devine. Ces notes renvoient à plusieurs des questions posées au brigadier-général Bell lors de son interrogatoire principal. Voici les commentaires attribués au général Bell d'après les notes prises par M. Devine le 30 janvier 1985:

[TRADUCTION]

Gén. Bell - nous avons examiné l'option des pilotes pour dignitaires retournant au SC soit comme membres des forces rég. ou en classe C et ce ne serait pas une bonne solution. L'âge max. classe C est de 55 ans. Les salaires seraient beaucoup moindres. Le rang de capitaine serait le max. non acceptable. Difficile d'imaginer ensemble les jeunes du 412e supérieurs aux pilotes pour dignitaires plus âgés et plus expérimentés. Pas de transférabilité des pensions du MT au MDN. Préfère la formule contractuelle, le MT fournit appareils et équipages et le MDN paie les coûts."

Eu égard à ces notes, on a demandé au brigadier-général Bell s'il se rappelait avoir dit que ce ne serait pas une bonne solution. Il a répondu ainsi:

[TRADUCTION]

Ce que j'ai dit, lorsque c'est possible, il y a certains pilotes qui pouvaient répondre aux exigences de la classe C à cause de leur expérience militaire antérieure -- je ne me souviens pas exactement combien, probablement autour de huit qui avaient une expérience militaire -- qui n'avaient pas encore 55 ans. Parce qu'il faut reconnaître que les limites de la classe C sont exactement les mêmes que pour les Forces, les officiers commissionnés peuvent aller jusqu'à 55 ans.

Je leur ai dit que s'ils songeaient sérieusement à faire ce genre de transfert et à entrer dans les Forces, ils devaient examiner soigneusement les conséquences de l'appartenance à un escadron, qu'ils devraient fonctionner tout comme les officiers, ce qui leur causerait certains inconvénients. C'était ma perception, à cause des différences dans les conditions dont nous avions parlé, de la discipline, des obligations accessoires imposées, de certaines choses qu'ils avaient eu le temps d'oublier depuis qu'ils avaient quitté les Forces, toutes choses qu'il serait sage d'examiner s'ils envisageaient sérieusement d'entrer dans les Forces. Faire partie de la classe C n'est souvent pas une façon douce d'entrer dans les Forces et de mener une vie privilégiée au sein des services de vols pour dignitaires, mais faire pleinement partie des Forces canadiennes.

Précisant les inconvénients qu'il entrevoyait, le général Bell a ajouté:

[TRADUCTION]

...après la période de protection, qui pouvait durer un an vu les règles existantes, mais au-delà, la plupart d'entre eux auraient probablement eu rang de capitaine, parce que vous ne pouvez pas leur donner directement le grade de major et en faire des cadres supérieurs, de sorte que leur salaire aurait chuté radicalement. Le salaire d'un capitaine, à cette époque, était

d'environ trente-cinq mille dollars. Comme je vous l'ai déjà dit, d'après mon souvenir, l'échelle de leurs salaires atteignait soixante et un mille dollars, et avec les heures supplémentaires, probablement plus de soixante-dix dans certains cas. Quoi qu'il en soit une différence appréciable et j'étais également d'avis qu'avec de très jeunes pilotes, la plupart des pilotes des avions à réaction, par exemple, étaient des jeunes du 412e escadron. Leur âge moyen était d'environ trente - trente et un an. L'âge des pilotes des services de transport pour dignitaires était notablement plus élevé. Mêler les deux pouvait créer certains problèmes tant pour les jeunes que pour les plus âgés.

Appelé à décrire les problèmes qu'il anticipait eu égard aux jeunes pilotes, le général Bell a fait l'observation suivante:

Et bien, d'après ma perception bien sûr, le jeune capitaine, qui a un revenu beaucoup moindre, des conditions de travail complètement différentes, des exigences complètement différentes, aurait eu énormément de difficulté à admettre d'avoir à ses côtés quelqu'un qui gagne deux fois son salaire, n'a pas à se conformer comme lui à certaines règles; je crois que la différence d'âge crée des difficultés parce que le jeune est moins porté à s'affirmer. Ayant travaillé à former ces jeunes à s'affirmer comme capitaines devant des décisions difficiles à prendre, j'avais simplement le sentiment que j'aurais eu de la difficulté à dire à quelqu'un qui a trente ans d'expérience de vol: Laisse-moi faire, j'essaie d'apprendre. Et je crois qu'il serait également difficile pour un pilote très expérimenté d'être le second de ce jeune commandant militaire de l'appareil et de ne pas intervenir. C'est seulement l'une des considérations et il ne faudrait sûrement pas en exagérer l'importance.

On a posé au général Bell une autre question ainsi formulée : avez-vous exposé cette position au groupe de pilotes dans les termes que vous venez d'expliquer? Réponse : Oui, c'est précisément ce que j'ai fait.

La réunion à laquelle se reportent tous les plaignants a eu lieu le 26 avril 1985. Le Tribunal a pu prendre connaissance des notes qu'a prises à cette occasion le général Bell, ainsi que de celles de William Devine, l'un des pilotes présents. Le général Bell a admis être l'auteur des notes reproduites à l'onglet 16 du volume R-32 des pièces. Interrogé quant à savoir dans quelles circonstances la question de l'âge des pilotes avait été soulevée lors de la réunion, le général Bell a dit se souvenir, bien que cela n'ait pas été tout à fait clair dans son esprit, qu'il avait fait une déclaration abordant sensiblement les points suivants:

[TRADUCTION]

L'âge moyen des vingt pilotes était de cinquante et un ans. Entrer dans les Forces pour travailler comme pilotes militaires présentait des problèmes dont nous avions abondamment discuté auparavant et encore là, cinquante-et un ans n'était que la moyenne du groupe. Lorsque j'ai fait la déclaration, c'était pour réitérer ce que j'avais déjà dit à plusieurs occasions, à savoir les difficultés concrètes que ne manqueraient pas de rencontrer plusieurs d'entre eux.

Le général Bell a ensuite été interrogé sur les notes de William Devine, plus particulièrement en ce qui a trait aux [TRADUCTION] problèmes associés à l'âge et qui rendent plus difficile l'adaptation à la vie militaire. Le général Bell a dit ne pas se rappeler avoir fait de déclarations à ce sujet. Il a admis qu'il avait fort bien pu prononcer

cette phrase parce qu'il s'agissait d'un lieu commun. Il a ainsi explicité sa pensée:

[TRADUCTION]

Et bien, je pense que si j'avais cinquante-deux ou cinquante-trois ans et que j'envisageais d'entrer dans une armée où je devrai prendre ma retraite à cinquante-cinq ans, compte tenu des exigences et du changement radical de mon mode de vie, cela serait extrêmement difficile. Je serais tout à fait malhonnête si je ne prévenais pas les gens.

On a alors demandé au général Bell quelles exigences il avait à l'esprit. Voici ce qu'il a répondu :

[TRADUCTION]

Encore une fois, les mesures disciplinaires, le changement complet dans les conditions de service, la perte de salaire, les activités disciplinaires, les obligations accessoires, imposer cela à quelqu'un qui est habitué à un mode de vie différent - je ne parle pas d'un mode de vie plus facile, mais différent. Avec l'âge, c'est plus difficile. J'ai trouvé cela difficile de m'adapter en vieillissant. J'étais beaucoup plus grognon et je le suis encore.

Il est clair qu'en janvier 1985, le ministère de la Défense nationale examinait toujours une variété d'options quant au transfert des services de transport aérien pour dignitaires, bien qu'il fût déjà venu à la conclusion que le transfert des vingt pilotes du MT ne pouvait avoir lieu pour des raisons d'ordre opérationnel. Des raisons du même ordre ont été invoquées dans le cas du personnel d'entretien des appareils. On n'a pas défini précisément devant le Tribunal ce qu'il fallait entendre par raisons d'ordre opérationnel, mais il ressort clairement des divers témoignages, dont ceux du général Bell et de l'amiral Mainguy, que les nombreux obstacles auxquels les pilotes, et dans une moindre mesure les agents de bord, feraient face dans l'accomplissement des mêmes tâches dans un environnement strictement militaire, sous-tendent ces raisons invoquées dans plusieurs documents.

A l'appui de leur argument selon lequel la cohésion et le moral sont des considérations importantes dans toute opération militaire, les intimés ont présenté au Tribunal le témoignage du Dr Darryl Henderson, expert dans ce domaine. Le Dr Henderson, qui a servi comme colonel dans l'armée américaine, est l'auteur d'un livre intitulé Cohesion The Human Element in Combat. Ce livre a été soumis à l'attention du Tribunal.

Le Dr Henderson a témoigné quant aux différents facteurs susceptibles de saper le moral dans une unité militaire, fondant son opinion sur la recherche scientifique ainsi que sur son expérience personnelle. Parmi les principaux facteurs qu'il a cités figurait l'inégalité de traitement entre les personnes affectées aux mêmes tâches. A son avis, le fait que certains pilotes soient assujettis aux règles de conduite militaire, aient davantage de tâches à remplir, y compris des tâches mettant leur vie en danger, pour un salaire moindre que celui des pilotes civils qui ne sont pas assujettis aux mêmes règles, ont une tâche substantiellement moins lourde et le droit de refuser d'exécuter un travail mettant la vie en danger, serait susceptible de détruire le moral des employés et partant, la cohésion de l'unité.

LE DROIT

Le Tribunal a examiné plusieurs lois visant l'emploi auprès de Sa Majesté la Reine. Les alinéas 7(1)a), b), e) et f) de la Loi sur la gestion des finances publiques disposent :

7.(1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l'égard des questions suivantes : a) les grandes orientations applicables à l'administration publique fédérale; b) l'organisation de l'administration publique fédérale ou de tel de ses secteurs ainsi que la détermination et le contrôle des établissements qui en font partie; e) la gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi; f) les autres questions que le gouverneur en conseil peut lui renvoyer.

Les fonctionnaires sont nommés par la Commission de la fonction publique. Ils occupent leurs fonctions à titre amovible, conformément à l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, ainsi conçu :

Le fonctionnaire est nommé pour une durée indéterminée, sauf mention contraire, et à titre amovible, sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi que des règlements pris sous leur régime.

Dans l'arrêt Kelso c. Sa Majesté la Reine, [1981] 1 R.C.S. 199, la Cour suprême du Canada a confirmé le principe selon lequel l'emploi dans la fonction publique ne confère pas à un employé un droit acquis à un poste précis. La permanence s'attache à la fonction publique et non à un poste au sein de celle-ci. Il est donc loisible au gouvernement, en conformité avec la loi, de déplacer des employés au sein de l'administration publique.

L'autre loi importante est la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique, S.R., ch. P-34. L'article 2 de cette loi dispose :

2. Le gouverneur en conseil peut procéder : a) à tout transfert d'attributions, ou de responsabilité à l'égard d'un secteur de l'administration publique, entre ministres ou entre ministères ou secteurs de l'administration publique; b) au regroupement de deux ministères ou plus sous l'autorité d'un seul ministre et d'un seul sous-ministre.

Y a-t-il eu discrimination directe en l'espèce? La discrimination est une distinction préjudiciable, c'est-à-dire une distinction fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles du plaignant, ayant pour effet de lui imposer des obligations non imposées aux autres et de limiter les possibilités offertes aux autres, selon la définition que donne le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la p. 174. Dans l'arrêt O'Malley c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 551, le juge McIntyre conclut qu'il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé.

Les plaignants ont également soutenu avoir été l'objet de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Dans l'arrêt O'Malley

c. Simpson-Sears Ltd., le juge McIntyre a dit qu'il y avait discrimination indirecte ou discrimination par suite d'un effet préjudiciable quand

...un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposés aux autres employés.

Les plaignants allèguent principalement que l'intimée a exercé à leur endroit une discrimination directe ou indirecte en refusant de les employer ou de continuer à les employer en raison de leur âge, discrimination qui prendrait sa source dans la déclaration faite par le brigadier-général Bell, le 26 avril 1985. Ils affirment avoir été empêchés de présenter une demande d'emploi par les Forces armées canadiennes. Le Tribunal, cependant, se range à la prétention de l'intimée, à savoir que malgré l'allégation de discrimination indirecte qu'aurait exercée l'intimée en fixant ou en appliquant une ligne de conduite ou en concluant une entente susceptible d'annihiler les chances d'emploi des plaignants, on n'a jamais établi clairement quelle était la pratique offensante en cause.

Dans ses observations finales, l'avocat de l'intimée a souligné les différences importantes qui existent, au niveau de l'emploi, entre les fonctionnaires et les membres des Forces armées canadiennes: les fonctionnaires, fait valoir l'intimée, sont nommés par la Commission de la fonction publique, ils peuvent être membres d'unités de négociation, négocier leur conditions d'emploi et faire la grève si les négociations ne se font pas à leur satisfaction. Leur obligation de travailler est limitée dans le temps et ils ont le droit, si leur convention collective le prévoit, d'être rémunérés pour les heures supplémentaires. Ils peuvent refuser de faire un travail susceptible de mettre leur vie ou leur sécurité en danger. Ils peuvent démissionner de leur poste sur simple avis écrit à leur supérieur. S'ils font l'objet de mesures disciplinaires, ils peuvent contester par grief devant un arbitre indépendant toute décision de l'employeur à cet égard. En cas d'infraction disciplinaire, la punition la plus sévère qu'on puisse leur imposer est le renvoi. Ils peuvent demander la révision de la nomination d'un autre fonctionnaire pour s'assurer qu'elle a été faite suivant le principe du mérite. Les conditions en vertu desquelles il peut être mis fin à leur emploi sont régies par les conventions collectives et les lois applicables, dont la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, ainsi que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35. L'intimée soutient que les membres des Forces armées canadiennes sont soumis à un régime très différent. Enrôlés directement par les Forces armées canadiennes, les soldats ne peuvent être membres d'une unité de négociation. Leur salaire ne constitue pas pour eux un droit et la rémunération des heures supplémentaires est chez les militaires une notion étrangère. Pour être libéré des Forces armées canadiennes, il faut en faire la demande. Les soldats sont soumis au code de discipline militaire. En vertu de ce code, le refus d'exécuter un ordre légitime équivaut à un acte d'insubordination punissable de l'emprisonnement à perpétuité, même si l'on met ainsi sa propre vie en danger. Ne pas se présenter au travail est une désertion ou une absence sans permission punissable de l'emprisonnement à perpétuité. Prendre part à une grève est un acte de mutinerie punissable de mort. Préconiser l'usage de la force pour changer le gouvernement n'est

pas l'expression d'une opinion, mais une infraction de sédition punissable de l'emprisonnement à perpétuité. Le tout tel qu'il appert de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5.

Sa Majesté a, incontestablement, le droit de réorganiser ses ministères et de procéder à tout transfert d'attributions ou de responsabilité entre ministres, conformément la Loi sur les restructurations et les transferts d'attributions dans l'administration publique. Le gouverneur en conseil, sur recommandation du premier ministre, a décrété le transfert d'attributions du ministère des Transports au ministère de la Défense nationale. Ce transfert a eu pour effet d'éliminer les services aériens civils par suite de la décision du ministre de la Défense nationale de recourir aux services d'une unité militaire déjà affectée depuis longtemps à des fonctions similaires. D'où l'abolition de tous les postes civils liés au transport aérien pour dignitaires.

Il arrive parfois que l'exercice légitime de ce pouvoir de réorganisation ait un effet négatif sur certains employés, comme ce fut le cas en l'espèce pour les plaignants. Toutefois, le Tribunal souscrit à l'argument de l'intimée selon lequel il ressort clairement de la preuve qu'être pilote au sein du 412e escadron requiert une compétence additionnelle particulière, de sorte que les postes ajoutés à la structure de cet escadron et qu'ont remplis les militaires étaient des postes nouveaux pour lesquels les plaignants n'étaient pas qualifiés et pour lesquels ils n'avaient pas manifesté d'intérêt.

Les plaignants ont allégué que la déclaration du brigadier- général Bell, portant qu'en tant que groupe, ils étaient trop âgés pour être enrôlés dans les Forces armées canadiennes, constitue une discrimination directe. Poussée plus loin, cette allégation signifie que l'intimée a refusé d'employer ou de continuer à employer les plaignants en raison de leur âge, en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi. La seule mention que le brigadier-général a faite à cet égard est sa référence à l'âge moyen des pilotes. Or il a été établi, à la satisfaction du Tribunal, que cette référence a été faite pour tenter d'expliquer les difficultés que présentaient certaines des options offertes au MDN et au MT eu égard au personnel du MT. Il était manifeste qu'une des options à l'étude à cette époque était le transfert de tout le personnel du MT au MDN.

Les plaignants ont allégué que l'intimée avait refusé de les employer, mais il ressort de la preuve qu'à l'exception du plaignant Albert Chiasson, aucun d'eux n'a demandé à s'enrôler dans les Forces armées canadiennes. M. Chiasson a présenté une demande d'enrôlement à titre de réserviste de classe C, qui a été rejetée pour des motifs autres que ceux allégués dans sa plainte. La preuve indique également que les Forces armées canadiennes étaient disposées à examiner les demandes individuelles et que l'enrôlement d'un certain nombre de plaignants en classe C a longtemps figuré au nombre des options possibles. Albert Chiasson et Robert Bisson ont exprimé leur intérêt pour le service de classe C. Tous deux ont rencontré le recruteur. M. Bisson a décidé de ne pas aller plus loin parce que cette option n'était pas financièrement attrayante. Albert Chiasson s'est quant à lui rendu jusqu'à l'étape de l'examen médical, mais on l'a avisé qu'il avait peut-être un cancer. Lorsqu'il s'est révélé que le diagnostic était faux, il n'a pas poussé plus avant ses démarches.

Denis Bisson a examiné la possibilité de s'enrôler dans les Forces armées canadiennes et en a discuté avec quelqu'un du quartier général mais il n'a pas non plus poursuivi dans cette voie. Quant à Paul Carson, il a, d'après son témoignage, envisagé de s'enrôler à nouveau mais

il a abandonné l'idée après discussion avec son représentant syndical Gary Brown. Il appert de la preuve présentée au Tribunal que le Centre de recrutement des Forces armées canadiennes à Ottawa avait été prévenu de la possibilité qu'un certain nombre de plaignants présentent une demande d'enrôlement. La directive reçue à cet égard était de veiller à ce que ces demandes soient traitées en stricte conformité avec la procédure habituelle. Or, rien n'indique qu'aucun des plaignants se soient présentés au Centre de recrutement pour présenter une demande d'enrôlement dans les Forces armées canadiennes.

Vu l'ensemble de la preuve qui lui a été présentée, le Tribunal estime que l'âge n'a pas été une cause immédiate de la décision de regrouper les services de vols pour dignitaires du gouvernement fédéral. Le Tribunal estime également que la directive du premier ministre touchant la fusion ne constitue pas une règle d'emploi donnant ouverture à l'application de la notion de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Le Tribunal est également d'avis que les plaignants n'ont pas établi la preuve que l'intimée avait, en ce qui concerne l'âge de recrutement, privilégié une ligne de conduite susceptible d'annihiler leurs chances d'emploi.

Il a été convenu à l'audience que la validité de la règle des Forces armées canadiennes visant l'âge de la retraite obligatoire devait être décidée uniquement en fonction du jugement que rendrait le Tribunal dans l'affaire Martin c. Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes. Or le Tribunal a conclu dans cette affaire que la politique des Forces armées canadiennes en cette matière contrevenait à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Dans la présente espèce, le Tribunal est arrivé à la conclusion que les plaignants n'ont pas été l'objet de discrimination de la part des Forces armées canadiennes et que celles-ci n'ont pas annihilé leurs chances d'emploi. Rien dans la preuve ne permet en effet d'appuyer l'allégation voulant que l'intimée ait refusé d'employer ou de continuer d'employer les plaignants en raison de leur âge. Lorsque leurs postes ont été abolis, les plaignants se sont vu offrir d'autres postes dans l'administration publique, pour lesquels ils pouvaient se qualifier dans un délai raisonnable. N'ayant exprimé que peu d'intérêt à la perspective de s'enrôler dans les Forces armées canadiennes à titre de membres de la force régulière, ils ne sauraient prétendre que la politique de retraite obligatoire des Forces a eu à leur égard un effet discriminatoire.

Le Tribunal estime donc que la décision dans l'affaire Martin c. Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes ne sera d'aucune utilité pour les plaignants.

La preuve produite devant nous établit clairement que les plaignants aimaient leur travail au sein des services de transport aérien pour dignitaires. Ils constituaient un groupe de fonctionnaires hautement professionnels et possédaient, au chapitre de la sécurité, un dossier vierge enviable. Ils détenaient des postes recherchés et ont exprimé en témoignage un très haut niveau de satisfaction. La preuve ne fait par ailleurs état d'aucune insatisfaction à l'endroit des pilotes ou des agents de bord travaillant dans ce service. Dans sa note en date du 9 décembre 1984, Peter Cranston soulignait qu'[TRADUCTION] il est difficile de voir comment la simple cession de nos appareils aux Forces, et la mise en disponibilité ou le transfert des vols et la mutation du personnel non navigant permettraient de réduire les coûts.

C'est d'abord pour des raisons d'économie et d'efficience qu'a été décidé le transfert interministériel. Mais ce n'est pas à ce Tribunal qu'il appartient de décider si le transfert du MT au MDN a effectivement entraîné des économies ou une plus grande efficience. Ce qu'il doit déterminer, c'est si, en refusant d'employer les plaignants, le ministère de la Défense nationale a exercé contre eux une discrimination fondée sur l'âge. Après une revue approfondie de la preuve, le Tribunal est convaincu qu'il y avait des différences majeures, quant aux responsabilités attachées au transport des dignitaires, entre le ministère des Transports et le 412e escadron.

Dans leur témoignage, les plaignants ont exprimé leur désir de continuer à oeuvrer dans le domaine du transport des dignitaires au MDN ou, au besoin, à tout autre ministère. C'est donc la possibilité de continuer à faire un travail qu'ils aimaient qu'ils cherchaient à préserver, non une carrière dans les Forces. Le général Bell a souligné les différences importantes existant dans les conditions de travail des pilotes du 412e escadron et ceux des services de transport aérien pour dignitaires. Vu ces différences, il a dit douter fortement qu'aucun des plaignants ait envisagé de s'enrôler dans les Forces.

De fait, un certain nombre d'entre eux avaient quitté l'armée en raison des conditions de travail et d'avancement qu'offraient les services de transport aérien pour dignitaires du ministère des Transports. M. Cranston reconnaît ce fait dans sa note du 9 décembre 1984, ainsi que les différences entre un emploi au ministère des Transports et un emploi au ministère de la Défense nationale au sein des Forces armées canadiennes. M. Cranston souligne notamment :

[TRADUCTION]

La principale différence entre le MT et le MDN est que, chez nous, les employés demeurent à leur poste beaucoup plus longtemps. Un pilote des FAC est d'abord un officier de carrière. Sur vingt ou vingt-cinq années de service, il consacrera peut-être la moitié de son temps à des activités autres que le pilotage. Plus il acquiert d'expérience, meilleures sont ses chances d'obtenir une promotion et de passer encore moins de temps dans le poste de pilotage. En tout état de cause, il passera au maximum trois à quatre ans dans le même poste et atteindra l'âge de la retraite obligatoire vers le milieu ou la fin de la quarantaine, à peu près au moment où nos pilotes sont sur le point d'être promus au commandement de nos appareils.

Plus loin dans la note, M. Cranston ajoute :

[TRADUCTION]

Que la responsabilité relève des Transports ou de la Défense nationale semble moins important que le maintien de l'intégrité des services existant. L'employeur n'a pas vraiment d'importance; le travail est le même dans les deux cas : mener les passagers à destination en toute sécurité, en tout moment et en toutes circonstances.

M. Cranston a résumé ainsi très succinctement ce qui paraît être la position des plaignants dans la présente affaire : peu importait l'employeur, pourvu que le travail reste essentiellement le même. Or avec l'enrôlement dans les Forces armées canadiennes, et c'est là la difficulté, le travail n'aurait pas été le même. Bien que la sécurité soit une priorité indéniable, quel que soit le ministère responsable du transport des dignitaires, il a été clairement établi qu'un poste de pilote ou d'agent de bord au sein du 412e escadron comporte des exigences

substantiellement différentes par rapport au même poste au sein des services de transport aérien pour dignitaires du ministère des Transports. Ainsi que l'a dit lui-même M. Cranston, les pilotes militaires sont, à l'occasion, affectés à d'autres fonctions. Plus importante est leur promotion, moins nombreuses sont les heures passées dans le poste de pilotage. Ils peuvent s'attendre à n'occuper un poste que trois à quatre ans avant d'être mutés, peut-être à un poste non navigant. A moins que les Forces armées canadiennes n'aient fait pour eux une exception, rien ne permet de croire que les pilotes pour dignitaires auraient été, en cette qualité, employés comme militaires au sein du 412e escadron pour une période de plus de trois ou quatre ans.

A la fin de sa note, M. Cranston fait une autre remarque importante qui vient appuyer la conclusion du Tribunal selon laquelle les plaignants n'étaient pas très intéressés à se joindre aux Forces armées canadiennes. Il y déclare en effet :

Tous les agents de bord, sauf un, possèdent un certain nombre d'années d'expérience dans le même type d'emploi dans les Forces. Comme pour les pilotes, nous avons toujours été en mesure d'embaucher les meilleurs finissants de l'armée étant donné qu'ils étaient, jusqu'à maintenant, assurés d'une carrière permanente dans le domaine où ils excellaient. Il est facile de comprendre pourquoi notre taux de roulement est si bas.

M. Cranston reconnaît, dans ce paragraphe, que tous les agents de bord, à l'exception d'un seul, ont déjà fait le même travail dans les Forces. Il reconnaît également qu'un certain nombre de pilotes ayant une expérience militaire ont été embauchés et qu'il s'agissait souvent des meilleurs diplômés de l'armée. C'est l'assurance de faire une carrière permanente dans le domaine où ils excellaient qui a incité pilotes et agents de bord à quitter les Forces et à faire carrière au sein des services de transport aérien pour dignitaires. Cette affirmation, plus que tout autre, résume la position des plaignants. Ils souhaitaient faire une carrière permanente dans le domaine où ils excellaient et s'ils ne pouvaient au ministère des Transports, ils comptaient alors fortement sur la possibilité d'une telle carrière au sein du ministère de la Défense nationale, partie civile, sinon au sein des Forces armées canadiennes.

Or, pour des raisons qu'ils ont dit être d'ordre opérationnel, les Forces armées canadiennes ont décidé qu'ils ne pouvaient répondre aux exigences des plaignants quant à la poursuite d'une carrière permanente dans un domaine où ils oeuvraient depuis de nombreuses années et où ils excellaient.

Bien que le Tribunal comprenne fort bien les raisons qui incitaient les plaignants à vouloir continuer de s'acquitter des fonctions qu'ils remplissaient avec un haut niveau d'habileté et de professionnalisme depuis de nombreuses années, force est de reconnaître le droit de Sa Majesté de modifier ces fonctions de la manière qu'elle juge appropriée.

Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal rejette par les présentes toutes les plaintes.

Ce 13 novembre 1992.

HUGH L. FRASER Président

Lise Leduc

Marjorie Lewsey

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