Tribunal canadien des droits de la personne

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JUGEMENT RENDU LE 15 AVRIL 1981

DT- 3- 81

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

Nancy Bain Plaignante, - et

Air Canada

Mis en cause

DEVANT: F. D. Jones, C. R., nommé comme tribunal des droits de la personne conformément à l’article 39 de la Loi.

ONT COMPARU: R. G. Juriansz et Nancy Bain, représentant la Commission canadienne des droits de la personne.
R. Patrick Saul, représentant Air Canada

Entendu à Vancouver, Canada, le 3 décembre 1980. (Traduction- original en anglais) >

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE - et DANS L’AFFAIRE D’UNE PLAINTE PAR NANCY BAIN CONTRE AIR CANADA

TRIBUNAL D’ENQUETE: F. D. Jones, C. R., représentant les parties R. Patrick Saul, représentant Air Canada Russell Juriansz et Nancy Bain, représentant la Commission canadienne des droits de la personne

La plainte de Nancy Bain porte sur le tarif familial de Air Canada qui permet à une famille (telle que définie) de jouir d’une diminution de tarif de 17% partagée entre deux personnes adultes. Ms. Bain soutient que la structuration du tarif familial va à l’encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce que les taux réduits ne sont disponibles que lorsqu’il s’agit d’une famille (telle que définie) et ne s’appliquent pas à deux adultes célibataires qui voyagent ensemble, et enfreint, par conséquent, l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne puisque la distinction est fondée sur la situation de famille.

La Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit:

"3. Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, la situation de famille ou l’état de personne graciée et, en matière d’emploi, sur un handicap physique".

L’article 5 se lit corne suit: 5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public a) d’en priver, ou b) de défavoriser, à l’occasion de leur fourniture, un individu, pour un motif de distinction illicite.

La plainte de Ms. Bain se circonscrit autour de son allégation à l’effet que la plan familial est discriminatoire à l’égard des adultes célibataires et que la distinction, comme telle, défavorise les adultes célibataires qui voyagent ensemble.

La déclaration des faits, dont les parties conviennent, qui était déposée auprès du tribunal, se lit comme suit:

  1. Air Canada est une compagnie incorporée en vertu d’un acte spécial du Parlement dans le but principal de faire affaires en tant que transporteur aérien international et domestique.
  2. Depuis octobre 1953, Air Canada offre un tarif de groupe connu sous le nom de tarif familial.
  3. En avril 1978, le tarif familial était offert aux groupes suivants:

    (i) deux conjoints, ou (ii) deux conjoints et un ou plusieurs fils ou filles les accompagnant, âgés de 2 à 21 ans, ou (iii) l’un ou l’autre des conjoints et un ou plusieurs fils ou filles l’accompagnant, âgés de 2 à 21 ans.

  4. En mai 1979, le groupe de l’alinéa (iii) était modifié comme suit: (iii) un parent et un ou plusieurs fils ou filles l’accompagnant, âgés de 2 à 21 ans.
  5. Les définitions suivantes s’appliquent à ce groupe: a) un conjoint signifie une personne qui possède cet état matrimonial légalement ou de fait; b) un parent comprend: un beau- parent, un parent adoptif et un tuteur légal; c) fils ou fille comprend: un beau- fils ou une belle- fille, un enfant adopté légalement et un pupille légal.
  6. Pour un tel groupe voyageant ensemble strictement à l’intérieur du Canada, Air Canada accorde les tarifs suivants, calculés à partir d’un tarif simple pour adulte:

    Chef de famille 100% Premier membre de la famille qui l’accompagne 83% L’autre ou les autres membres de la famille qui l’accompagnent 83% Un ou plusieurs mineurs, membres de la famille, qui l’accompagnent 66- 2/ 3%

  7. Les définitions suivantes s’appliquent à ce tarif: (1) Chef de famille: peut signifier un époux, une épouse ou un parent. (2) Premier membre de la famille qui l’accompagne: sera un conjoint ou si le deuxième conjoint ne fait pas partie du groupe, un fils ou une fille, âgé( e) de 2 à 21 ans. (3) Autres membres de la famille qui l’accompagnent: un fils ou une fille, âgé( e) de 2 à 21 ans, lorsqu’il y a un premier membre de la famille qui l’accompagne.
  8. Le tarif familial ne s’applique pas à deux ou plusieurs adultes qui voyagent ensemble mais qui ne sont pas unis par l’un des liens de parenté mentionnés ci- haut.
  9. Le 21 avril 1978, Nancy Bain déposait une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en alléguant que le tarif familial était discriminatoire.
  10. Si la Loi s’applique à Air Canada, il est convenu que c’est l’article 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui est applicable.

Les parties convenaient également que l’article 5b) s’applique à Air Canada du fait que celle- ci fournit des biens, des services, des installations et des moyens d’hébergement destinés au public.

Le témoignage de Ms. Bain révèle que lorsqu’elle s’est rendu compte qu’Air Canada n’offrait pas le tarif escompté à deux adultes célibataires qui voyagent ensemble, elle a utilisé les services d’un autre transporteur aérien et, en fait, d’après son témoignage, elle évite autant que possible de se prévaloir des services d’Air Canada.

Suite au témoignage de Ms. Bain, M. Saul faisait une demande préliminaire à l’effet que Ms. Bain n’avait pas été défavorisée puisqu’elle n’avait pas en fait voyagé avec Air Canada et que, par conséquent, l’article 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne trouvait pas application. A mon avis, cette objection est mal fondée. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne contient aucune disposition voulant que la plainte d’un individu porte sur une expérience personnelle ou que cet individu ait été traité de façon discriminatoire personnellement. En vertu de l’article 32, un individu peut déposer une plainte lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne s’engage ou s’est engagée dans des actes discriminatoires. Il n’est pas nécessaire que le plaignant soit la victime. En outre, l’article 32b) envisage expressément le cas d’une plainte déposée par une personne autre que la présumée victime de l’acte discriminatoire.

Je résumais moi- même l’argumentation de M. Saul à la page 47 des transcriptions dans les termes suivants:

Le président: Alors vous soutenez que, dans le cas qui nous préoccupe, aucune preuve de défaveur n’a été présentée devant cette Commission; est- ce bien le point que vous désirez faire?

M. Saul: Oui, c’est juste. La preuve démontrait nettement que les personnes qui n’ont pas la qualité, telle qu’établie par Air Canada, pour entrer dans le groupe familial n’ont pas droit à la réduction de tarif. A mon avis, ceci a définitivement un effet défavorable si Air Canada s’engage dans des actes discriminatoires suite à sa définition de ce que constitue le groupe familial. Une lecture attentive de l’article 5b) révèle qu’une distinction défavorable à tout individu est discriminatoire si elle est fondée sur l’un des motifs illicites de l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Pour résumer le processus de tarification aérien, il nous faut référer à certains organismes statutaires. L’article 3 de la Loi nationale sur les transports établit une politique de transport nationale. La Commission canadienne des transports a des pouvoirs très larges pour surveiller les opérations du système de transport canadien. Elle peut déléguer ses responsabilités à divers comités. Ses responsabilités en matières aéronautiques sont déléguées au Comité des transports aériens. L’article 22 de la Loi nationale sur les transports établit les pouvoirs, devoirs et fonctions de la Commission canadienne des transports. L’un des pouvoirs de la Commission canadienne des transports est relié à la Loi sur l’aéronautique. Les articles 4 et 24 de la Loi nationale sur les transports établissent les devoirs précis de la Commission canadienne des transports tels qu’ils s’appliquent à la Loi sur l’aéronautique. Le Comité des transports aériens de la Commission canadienne des transports détient un pouvoir de réglementation sur Air Canada et en ce faisant, il surveille les tarifs établis par Air Canada. Par conséquent, lorsque Air Canada veut établir un tarif, elle soumet une proposition au Comité des transports aériens qui, à son tour, recommande à la Commission canadienne des transports d’accepter, de rejeter ou de modifier la proposition. La Commission canadienne des transports prend la décision finale.

M. Saul a soulevé une question de juridiction. Si j’ai bien compris l’essence de son argument, il soutenait que ce tribunal n’avait pas juridiction dans la présente cause puisque toute ordonnance qu’il pourrait rendre devait être dirigée contre Air Canada et que cette dernière ne pourrait pas se soumettre à une ordonnance touchant la tarification, dû au fait que c’est la Commission canadienne des transports qui possède le pouvoir ultime en cette matière. Or, toute ordonnance que ce tribunal pourrait émettre à Air Canada serait sans effet et, conséquemment, il n’a pas juridiction.

Le mot juridiction est bien épineux. A la page 171 de la décision Anisminic v. Foreign Comp. Comm. (1969) 2 A. C., Lord Reid en parle dans les termes suivants:

(Traduction) Il a quelques fois été soutenu que la décision d’un tribunal est nulle seulement lorsqu’il a agi sans juridiction. Mais dans de tels cas le mot juridiction était utilisé dans un sens très large et j’en suis venu à la conclusion qu’il est préférable d’utiliser le terme seulement dans son sens restreint et original à l’effet que le tribunal a le droit de faire l’enquête en question. Il existe toutefois plusieurs situations où, bien que le tribunal avait la juridiction pour mener l’enquête, il a fait ou a omis de faire quelque chose au cours de l’enquête qui était de nature à nullifier sa décision. Il peut avoir rendu la décision de mauvaise foi. Il peut avoir rendu une décision qu’il n’avait pas le pouvoir de rendre. Au cours de l’enquête, il peut avoir fait défaut de se conformer aux exigences de la justice naturelle. Il peut, tout en étant entièrement de bonne foi, avoir mal interprété les dispositions qui lui donnaient le pouvoir d’agir et, par conséquent, a erré sur la question qui lui était soumise et s’est prononcé sur une question qui ne lui était pas soumise. Il peut avoir refusé de tenir compte de quelque chose qu’il était tenu de prendre en considération. Ou, il peut avoir appuyé sa décision sur quelque matière qui, en vertu des dispositions qui lui conféraient son pouvoir, il n’avait pas le droit de faire entrer en ligne de compte. Je ne prétends pas que cette énumération soit exhaustive, mais si un tribunal rend une décision sur une question qui lui est soumise sans commettre aucune des erreurs susmentionnées, il est tout aussi fondé à en décider erronément qu’il l’est à en décider justement. Je crois savoir que ma remarque dans Reg. v. Governor of Brixton Prison, ex parte Armah (1968) A. C. 192,234, à l’effet que si un tribunal avait juridiction pour bien juger, il avait également juridiction pour se tromper, a causé quelque confusion. Mais c’est juste si le mot juridiction est pris dans son sens restreint original. S’il a le droit de procéder à l’enquête et ne fait aucune des choses que j’ai déjà mentionnées au cours des procédures, sa décision est alors valide, qu’elle soit bonne ou mauvaise, assujettie au pouvoir de la cour de rectifier, dans certaines circonstances, une erreur de droit seulement. Si je me souviens bien, la seule cause citée qui a incontestablement fait l’objet d’une décision erronée est celle de Davies v. Price (1958) 1 W. L. R. 434. Toutefois, certains motifs de jugement dans plusieurs autres causes sont douteux.

Je suis d’avis que ce tribunal a juridiction au sens du mot tel que défini par Lord Reid dans la cause susmentionnée.

Ce n’est cependant pas la fin du débat. Le dictionnaire juridique Stroud, 4e édition, page 1452, définit la juridiction dans les termes suivants:

(Traduction) 2. Dans son sens restreint et strict, la juridiction d’une cour validement constituée sous- entend les limites imposées à son pouvoir d’entendre et de vider les questions contentieuses entre les personnes qui cherchent à se prévaloir de son processus, par référence (1) à la matière du sujet en question, ou (2) aux personnes entre lesquelles la question a surgi, ou (3) la sorte de redressement recherché ou une combinaison de ces facteurs. Dans son sens plus large, elle comprend également la pratique subtile de la cour en ce qui concerne la façon d’exercer son pouvoir, d’entendre et de vider les questions qui tombent sous sa juridiction (au sens strict) ou en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles elle accordera un redressement particulier qu’elle a la juridiction (au sens strict) d’accorder, y compris la pratique établie de refuser d’exercer de tels pouvoirs ou d’accorder un tel redressement dans des circonstances particulières.

Par conséquent, il est évident que le terme juridiction est en partie relié au type de redressement recherché.

Words and Phrases Legally Defined", volume 3, 2e édition, page 114, cite Oscroft v. Benabo (1967) 2 All E. R. 548 C. A. par Lord Diplock, page 557:

(Traduction)

Les cours (même les cours inférieures) ont la juridiction d’errer en droit; c’est la raison pour laquelle nous entendons des appels sur des questions de droit et non pas seulement des demandes en certiorari. Une cour peut ne pas avoir de juridiction pour entendre et vider un cas particulier lorsque demande lui en est faite dû

(i) à la composition de la cour (la partialité d’un juge, par exemple), ou à (ii) la matière de la cause (par exemple, les titres d’un terrain à l’étranger), ou (iii) aux parties à la cause (par exemple, l’immunité diplomatique); ou, bien qu’elle possède la juridiction pour entendre et vider la question, elle peut ne pas avoir la juridiction pour émettre le genre d’ordonnance requis...

En somme, Lord Diplock dit qu’il existe deux types de juridiction. L’une est la juridiction d’entendre et de vider la question, l’autre est celle d’émettre le genre d’ordonnances qui doivent être émises.

Dans McCarthy & Menin & United States Security and Exchange Commission (1973) 2 O. R. 154, la Cour d’appel de l’Ontario parle d’un tribunal de juridiction compétente en disant qu’il ne s’agit pas simplement d’un tribunal compétent pour juger d’une question qui lui est soumise, mais plutôt d’un tribunal qui dispose de toutes les sanctions bien connues que possède une cour de droit ou d’ equity et qui a le pouvoir de faire exécuter les ordonnances qu’elle a dûment émises.

Encore une fois, il semble que l’exécution soit à la base de l’une des significations du mot juridiction.

En dernier lieu, je me réfère de nouveau à la décision de la Cour d’appel, Anisminic v. Foreign Comp. Comm. (1967) 2 All E. R. 986, dans laquelle Lord Diplock, à la page 994, dit:

(Traduction)

Le mot juridiction est utilisé dans plusieurs sens, et c’est le contexte qui en décide. Dans le présent appel... ce n’est que la juridiction statutaire qui nous préoccupe au sens où la question est celle de savoir s’il existe une situation de la sorte décrite dans la loi qui confère à une personne le pouvoir de décider, après enquête, si une telle situation existe. L’existence même d’une situation telle que décrite dans la loi est une condition préalable au droit ou à la responsabilité d’un individu qui est partie à l’enquête sur laquelle l’Exécutif du gouvernement pourra agir ou ne pas agir.

A mon avis, il existe une similarité entre les définitions ci- dessus, en ce que le terme juridiction a au moins deux composantes reconnues. La première est reliée au pouvoir d’entendre et de juger, et la deuxième est reliée au pouvoir d’accorder le redressement recherché.

D’après la définition de juridiction de Lord Diplock et de Lord Reid dans Anisminic v. Foreign Comp. Comm. (supra), je crois que ce tribunal a juridiction pour entendre et juger la question. L’autorité que confère la Loi canadienne sur les droits de la personne est à l’effet que ce tribunal peut établir si, d’après l’ensemble des faits qui sont devant lui, les dispositions de l’article 5b) de ladite Loi sont violées. Je suis d’avis que le plan familial tel qu’établi par Air Canada à pour effet ... de défavoriser... un individu... au motif de sa situation de famille.

Il pourrait être soutenu que Ms. Bain n’a pas la qualité d’une personne mariée puisqu’elle est célibataire, et que, par conséquent, aucune distinction fondée sur sa situation de famille ne peut être faite à son endroit. Ce serait, d’après moi, un moyen fallacieux de détourner la question.

Du point de vue d’un individu en tant que membre du grand public, la définition accolée au mot famille fait une distinction en ce que le fait d’être mari et femme, qui comprend l’état légal et de fait du mariage, est un critère. L’état légal de mari et femme distingue évidemment entre les personnes qui sont mariées légalement et celles qui ne le sont pas. L’union libre réfère, je crois, aux unions d’une certaine durée, quoique pas nécessairement permanentes. Diverses lois des provinces canadiennes visant la famille et la compensation aux travailleurs ont décrit l’ union libre comme en étant une d’une durée de deux à cinq ans. Nulle part ai- je réussi à trouver une définition de l’ union libre qui soit silencieuse sur l’exigence d’une certaine durée. Par conséquent, lorsqu’il est question d’un époux ou d’une épouse, y compris ceux d’un mariage de fait, dans les tarifs familiaux, ceci sous- entend, à mon avis, une relation d’une certaine durée, et exclut une relation passagère ou immédiate entre deux personnes adultes. Ce point est renforcé par le témoignage de Ms. Bain à la page 10 des transcriptions où elle indique en parlant des tarifs dont Air Canada lui faisait part:

... et ils m’ont ensuite donné le montant du tarif régulier en me disant que si j’étais mariée, je pourrais bénéficier de l’autre tarif. J’ai dit que je ne l’étais pas, mais que je voyageais avec un compagnon. Ils ont répondu bien, si vous pouvez prouver que vous habitez ensemble depuis un certain temps, vous aurez alors la qualité requis, mais autrement vous devrez payer le plein tarif.

Je suis au courant du témoignage de M. Tripp aux pages 108 et 109 des transcriptions. De la façon dont j’interprète ce témoignage, Air Canada ne semblerait pas s’attarder sur la durée de l’union, néanmoins, ceci ne change en rien ce que je considère comme l’essence d’une union libre, c’est- à- dire qu’elle doive durer depuis un certain temps de façon plus ou moins permanente afin de tomber dans cette catégorie. Le fait qu’Air Canada n’insiste pas sur les exigences de temps, ne change pas la signification des mots. Par conséquent, je suis d’avis qu’il y a une distinction qui affecterait défavorablement un individu qui n’entre pas dans le groupe familial et, en outre, je trouve que les définitions de ce groupe sont en partie fondées sur la situation de famille. La défaveur que crée cette distinction est la différence entre le tarif régulier et le tarif familial.

Ayant établi que j’ai la juridiction d’entendre et de juger, et ayant jugé le cas, je dois maintenant me pencher sur les redressements recherchés. En gardant à l’esprit mes constatations en ce qui concerne le mot juridiction, la même question se pose à l’égard des redressements. La Commission canadienne des droits de la personne veut que lorsqu’il est conclu qu’il existe une pratique discriminatoire, un ordre soit donné, à Air Canada dans le présent cas, de cesser de poser ces actes discriminatoires, ou, au moins, de faire une demande visant à les faire cesser. Elle veut aussi que j’accorde des dommages- intérêts à Ms. Bain en vertu de l’article 41( 3) b).

Quant au premier de ces redressements, d’après les définitions citées antérieurement, je ne crois pas que ce tribunal ait la juridiction requise pour ordonner à Air Canada de cesser de poser les actes discriminatoires ou la forcer à en faire demande auprès du Comité des transports aériens. M. Juriansz a soutenu vigoureusement que la Cour fédérale pourrait faire exécuter une telle ordonnance. Toutefois, je crois que c’est un détournement de la question de la juridiction fondamentale du présent tribunal. Les définitions citées plus avant indiquent clairement que pour avoir juridiction en ce qui concerne les redressements recherchés, c’est le tribunal lui- même qui doit pouvoir les faire exécuter afin d’avoir la juridiction d’accorder ce redressement, plutôt que de devoir se fier à un appel à un organisme indépendant (la Cour fédérale) pour faire exécuter le redressement. Le présent tribunal ne peut pas ordonner à une industrie aussi étroitement réglementée que celle des transports aériens le redressement que lui propose la Commission canadienne des droits de la personne, soit d’arrêter d’offrir un tarif aérien discriminatoire. Ce qui ne signifie pas, d’après moi, que la Commission canadienne des droits de la personne ne pourrait pas déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des transports si elle est d’avis que les tarifs sont discriminatoires et enfreignent la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision de refuser d’ordonner à Air Canada de faire une demande auprès du Comité des transports aériens (lequel peut recommander ou ne pas recommander à la Commission canadienne des transports de changer les tarifs proposés dans la demande, et la Commission canadienne des transports à son tour peut accepter ou ne pas accepter la recommandation du Comité des transports aériens) est compatible avec celle qui a souvent été citée au cours des procédures, nommément: Roberta Bailey, William Carson, Réal J. Pellerin, Michael McCaffery et la Commission canadienne des droits de la personne v. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, tel que représentée par le Ministre du Revenu national.

Pour ce qui est de l’article 41( 3) b), le tribunal peut ordonner à Air Canada de verser une compensation s’il est d’avis que Ms. Bain a été victime d’un acte discriminatoire qui a blessé sa fierté et l’a offensée dans ses sentiments. Ayant eu l’occasion d’observer le comportement de Ms. Bain lors de son témoignage et étant au courant de certains articles dont elle est l’auteur et de la publicité qui s’ensuivit, je ne crois pas que la fierté et les sentiments de Ms. Bain aient été bafoués à un point tel, que des dommages- intérêts soient justifiables. En fait, je crois que Ms. Bain a une opinion très saine d’elle- même et qu’elle est de tempérament plutôt aggressif lorsqu’il s’agit de faire valoir ses droits.

Daté en la ville d’Edmonton, dans la Province de l’Alberta, ce 7e jour d’avril 1981.

F. D. Jones, C. R. Président

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