Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Denise Seeley

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

l'intimée

 

Numéro du dossier : T1355/8508

Membre : Michel Doucet

Date : Le 14 mars 2014

Référence : 2014 TCDP 11


[1]               Dans une décision du 29 septembre 2010 le Tribunal a conclu que Denise Seeley, la plaignante, avait été victime de discrimination fondée sur sa situation de famille. Le Tribunal a ordonné entre autres mesures correctives qu’elle soit indemnisée en totalité pour le salaire qu’elle aurait gagné et les avantages sociaux auxquels elle aurait eu droit entre le 1er mars 2007 et le 29 septembre 2010, si elle avait travaillé à la Compagnie pendant cette période. Il a ordonné en particulier ce qui suit :

[183] La plaignante demande une indemnité pour tout le salaire et les avantages qu'elle a perdus, en application de l'alinéa 53(2)c) de la LCDP. Compte tenu de ma conclusion au sujet de la date de rétablissement, j'ordonne que la plaignante soit indemnisée pour toute perte de salaire et d'avantages à partir du 1er mars 2007 jusqu'à ce jour. J'ordonne aux parties de calculer le montant du salaire en fonction de la formule prévue dans la convention collective. En ce qui a trait aux paiements supplémentaires qu'un chef de train peut recevoir, comme il serait difficile pour le Tribunal d'établir un montant, le Tribunal ordonne aux parties qu'elles établissent ce montant en examinant les montants supplémentaires qui ont été payés pendant cette période à un conducteur travaillant dans le terminal qui aurait une ancienneté semblable, en supposant que le chef de train n'avait pas d'absences inhabituelles. Par exemple, les parties pourraient tenir compte des paiements supplémentaires qui ont été payés à l'employé qui a été affecté à Jasper en mars 2006. [Non souligné dans l’original]

[2]               Dans une autre décision du Tribunal datée du 2 octobre 2013, j’ai ordonné aux parties de présenter des observations sur deux questions :

a)      Quelle est la bonne méthode pour calculer le salaire (« montants supplémentaires » compris) qui est dû à la plaignante?

b)      La plaignante a-t-elle droit à des indemnités qui tiennent lieu des avantages sociaux qu’elle n’a pas reçus, et si oui, à quel montant d’indemnisation a-t-elle droit?

[3]               Après avoir examiné les observations des parties, le Tribunal est maintenant prêt à rendre sa décision, en espérant qu’elle pourra mettre un terme à la présente affaire.

[4]               L’établissement de l’indemnité juste n’est pas une science exacte. Le caractère complexe de la convention collective le complique d’autant plus en l’espèce, en particulier à propos du paiement du salaire et des  montants supplémentaires. Il importe également de se rappeler à cet égard que les parties ont eu amplement l’occasion à l’audience de présenter des éléments de preuve à l’appui de leurs arguments concernant à la fois la question de la discrimination et celle des dommages. Je dois de plus traiter avec prudence les questions dont je suis saisi. La présente instance ne doit pas être abordée comme s’il y a eu disjonction de ces deux questions. Tel n’est pas le cas. Je dois aussi veiller à ne pas permettre aux parties de présenter de nouveaux éléments sur la question des dommages. Il s’agit de trancher les questions dont je suis saisi en l’espèce avec les preuves qui ont été présentées lors de l’audience.

[5]               Il est possible, en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6, d’ordonner à la personne trouvée coupable de l’acte discriminatoire « d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte ». Il faut donc autant que possible replacer la plaignante dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait travaillé chez l’intimée.

[6]               La plaignante allègue dans son mémoire que son salaire devrait être calculé en multipliant par le chiffre de 4 300 milles par mois le taux de millage applicable prévu par la convention collective. S’appuyant sur l’alinéa 22.10a) de celle-ci, elle soutient essentiellement qu’elle avait un salaire garanti de 4 300 milles par mois. Cet alinéa prévoit ce qui suit :

[traduction] 22.10 a) Le personnel affecté aux opérations, qui est en situation de disponibilité pour travailler pendant son mois-millage entier, et dont le nom figure au tableau de remplacement visé à la clause 36.2, ou du service de ligne ou commun dans les gares incluant un territoire de service prolongé :

         a droit à 4 300 milles s’il travaille comme chef de train;

         la présente garantie est établie au prorata, par période de 14 jours de rajustement du tableau.

[7]               Certes, la Compagnie a l’obligation de permettre au personnel d’accumuler 4 300 milles en fournissant des possibilités de travailler en nombre suffisant, mais le libellé de l’alinéa 22.10a) précise que la garantie des 4 300 milles s’applique uniquement aux chefs de train [traduction] « en situation de disponibilité pour travailler pendant leur mois-millage entier ». Si donc un chef de train décide, pour quelque raison que ce soit, de ne pas être disponible pendant une partie du mois, elle ou il n’aura pas droit à la garantie des 4 300 milles pour ce mois-là. L’alinéa 22.10b) prévoit à cet égard que cette garantie [traduction] « est proportionnellement réduite du nombre de milles parcourus pendant le service de ligne pour chaque période de service pendant laquelle l’employé aurait gagné un salaire s’il avait été disponible et pour chaque appel manqué ». Cet alinéa prévoit aussi que l’employé qui manque plus de deux appels pendant une période de 14 jours [traduction] « n’a plus droit à aucune garantie », et n’est alors rémunéré que pour les milles parcourus pendant son travail. L’alinéa 22.10c) prévoit la réduction de la garantie dans le cas où l’employé se réserve du repos pendant plus de 14 heures consécutives. Je suis d’accord avec l’intimée que ces dispositions réunies établissent que le droit des chefs de train à être rémunérés 4 300 milles ne vaut pas pour chaque mois de leur emploi. Diverses décisions de leur part peuvent avoir pour effet de réduire leur salaire garanti ou même de le supprimer entièrement.

[8]               Il faudrait que la plaignante établisse, pour étayer sa demande de salaire calculé au taux de 4 300 milles par mois, qu’elle était en situation de disponibilité pour travailler chaque mois entier entre le 1er mars 2007 et le 17 octobre 2010. Aucun élément présenté à l’audience n’a appuyé cette prétention. Les deux parties ont fait état dans leur mémoire d’événements survenus après 2010, afin de tenter d’appuyer leurs arguments respectifs concernant l’interprétation à donner à cette clause. Je ne tiendrai pas compte de ces preuves, puisque le Tribunal n’y a pas eu accès quand il a rendu sa décision.

[9]               J’appliquerai le critère de la façon dont le Tribunal aurait tranché l’affaire en 2010 si on lui avait demandé de rendre une décision précise sur la perte de salaire. Après avoir examiné les arguments des deux parties en l’espèce et étudié la décision de 2010 ainsi que les éléments de preuve présentés, je conclus que c’est la démarche de l’intimée qui aurait été retenue. Le Tribunal aurait privilégié le mode de la comparaison et puisque lors de l’audience, les parties avaient évoqué M. Thom et aucun autre employé, M. Thom aurait été considéré comme le facteur de comparaison idoine. La plaignante fait état dans son mémoire d’autres employés qui, selon elle, auraient mieux permis la comparaison, mais comme elle n’a mentionné aucune de ces personnes à l’audience, je ne tiendrai pas compte de celles-ci dans la présente décision.

[10]           M. Thom était chef de train et travaillait pendant la période visée à la gare d’attache de la plaignante, Jasper, et il a été établi à l’audience qu’il avait alors la même ancienneté que celle-ci. Je suis d’accord avec l’intimée que, du fait de leur ancienneté semblable, la plaignante aurait pu recevoir le même nombre de possibilités de travailler que M. Thom. Pour les périodes d’absence de celui-ci, l’intimée a utilisé le salaire du travailleur présent qui était le subalterne immédiat de M. Thom pendant la période visée. En examinant le travail exécuté par celui-ci quand il a été présent et le travail exécuté par le chef de train qui était le subalterne immédiat de M. Thom pendant que celui-ci n’a pas travaillé, l’intimée est ainsi arrivée à une représentation du travail qui aurait été affecté à la plaignante. Ceci n’est peut-être pas aussi précis ou exact qu’elle le souhaiterait, mais en l’absence de dons de clairvoyance particuliers, ce calcul est aussi précis que possible, et je ne vois pas comment le Tribunal serait arrivé à une conclusion différente si la question lui avait été présentée lors de l’audience.

[11]           À propos des « montants supplémentaires », l’intimée les calcule selon la même méthode que pour le salaire. De fait, elle a versé à la plaignante une somme équivalant à la totalité de ce que M. Thom a gagné pendant la période visée, salaire et « montants supplémentaires » compris. De même que pour le salaire, le Tribunal estime que la méthode employée par l’intimée pour calculer ces montants est la plus exacte possible. Si le Tribunal avait dû les calculer, en tenant compte de la preuve dont il avait été saisi, il aurait « employé » la même méthode.

[12]           À propos des avantages sociaux, le Tribunal énonce dans sa décision que la plaignante doit être indemnisée de la perte totale de ceux-ci, sans préciser de mode spécial de calcul de cette perte. La plaignante fait valoir qu’elle a droit à des indemnités qui tiennent lieu des avantages sociaux qu’elle n’a pas reçus, et que la bonne méthode pour calculer le montant de l’indemnisation à lui verser est la comparaison, fondée sur la valeur des cotisations annuelles versées par l’intimée pour obtenir le régime d’avantages sociaux. L’intimée prétend quant à elle que la plaignante n’a pas droit à des indemnités qui tiennent lieu des avantages sociaux, car elle a continué d’être couverte par le régime de son mari. L’intimée emploie également son mari.

[13]           Après avoir analysé les arguments des parties sur ce point, le Tribunal conclut que la position de la plaignante est la plus sensée. Il conclut donc qu’elle a droit à des indemnités qui tiennent lieu d’avantages sociaux, d’un montant égal à la valeur des cotisations annuelles que l’intimée a versées pour obtenir le régime d’avantages sociaux, diminué des sommes payées pendant la période visée par le prestataire du régime pour les avantages sociaux de la plaignante dans le régime de son mari. Selon les chiffres échangés entre les parties au cours des négociations préliminaires pour résoudre l’affaire, le montant des cotisations annuelles a été fixé à 2 965,90 $, soit un montant total de 10 627,88 $. La plaignante a donc droit à ce montant de 10 627,88 $, diminué du montant net en dollars des avantages sociaux payé pour elle dans le régime de son mari. Pour que ce montant soit calculé, la plaignante consentira à ce que le prestataire du régime divulgue ces renseignements simultanément à elle-même et à l’intimée.

[14]           J’apporte donc les réponses suivantes aux deux questions :

a)      Quelle est la bonne méthode pour calculer le salaire (« montants supplémentaires » compris) qui est dû à la plaignante?

Le Tribunal conclut que la façon dont l’intimée a calculé le salaire, montants supplémentaires compris, est la bonne méthode.

b)      La plaignante a-t-elle droit à des indemnités qui tiennent lieu des avantages sociaux qu’elle n’a pas reçus, et si oui, à quel montant d’indemnisation a-t-elle droit?

Oui, la plaignante a droit à des indemnités qui tiennent lieu des avantages sociaux qu’elle n’a pas reçus. Le montant total de ces derniers est fixé à 10 627,88 $, moins le coût des avantages sociaux versés pour elle dans le régime de son mari. La plaignante consentira à ce que le prestataire du régime divulgue ces renseignements simultanément à elle-même et à l’intimée.

 

Signée par

Michel Doucet

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 14 mars 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1355/8505

Intitulé de la cause : Denise Seeley c.  Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Date de la décision du tribunal : Le 14 mars 2014

Comparutions :

Meryl Zisman Gary, pour la plaignante

Ikram Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

William Hlibchuk, pour l'intimée

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