Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Marie-Claire Coupal et
Biserka (Biba) Milinkovich

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Agence des services frontaliers du Canada

l'intimée

Décision sur requête

Membre : J. Grant Sinclair
Date : Le 16 juin 2008
Référence : 2008 TCDP 24

[1] L'Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) demande à être ajoutée comme partie aux plaintes de Marie-Claire Coupal et de Biserka Milinkovich déposées contre l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

[2] Mme Coupal était une agente des services frontaliers (ASF) au poste frontalier terrestre de Windsor lorsque l'ASFC a mis en place une formation sur le recours à la force (FRF) pour ses agents.  La formation donne aux ASF les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour réagir à des conflits potentiels ou réels dans le cadre de leurs fonctions.  Mme Coupal soutient qu'en raison de son invalidité partielle et de son âge, elle n'a pas pu participer à la FRF.  Elle s'est plainte du fait que l'ASFC avait restreint ses tâches parce qu'elle n'avait pas suivi la formation et que, par conséquent, elle a perdu des occasions d'emploi.

[3] Mme Milinkovich était candidate reçue pour un poste d'ASF aux Opérations du courrier international de l'ASFC à Toronto.  Elle soutient qu'on l'a empêchée d'obtenir un poste d'ASF parce que l'ASFC a supposé que ses restrictions physiques ne lui permettraient pas de suivre la FRF.

[4] La question en litige dans les deux plaintes est la suivante : la politique de l'ASFC en matière de formation sur le recours à la force (FRF) pour les ASF est-elle discriminatoire envers les plaignantes en raison de leur invalidité ou de leur âge, en violation de l'article 7 de la Loi.  La plainte de Mme Coupal comprend aussi l'allégation selon laquelle l'exigence en matière de FRF est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus en raison de leur invalidité ou de leur âge, en violation de l'article 10 de la Loi.

[5] L'AFPC souhaite être ajoutée comme plaignante afin de discuter des allégations portant sur la discrimination systémique qui font partie de la plainte fondée sur l'article 10 de Mme Coupal et afin de demander un redressement approprié au nom de tous les agents des services frontaliers s’il est conclu que les plaintes sont fondées.

[6] Les plaignantes ont consenti au dépôt de la requête.

[7] L'ASFC s'oppose à la requête visant à adjoindre l'AFPC comme partie.  Elle soutient que le Tribunal n'a pas la compétence d'ajouter l'AFPC comme plaignante et que, subsidiairement, l'AFPC ne satisfait pas au critère de l'adjonction d'une partie.

[8] Le Tribunal a le pouvoir, en vertu de l'alinéa 48.9(2)b) de la Loi, d'adjoindre des parties à une procédure existante.  Dans la majorité des cas, le Tribunal a exercé ce pouvoir afin d'ajouter des intimés plutôt que des plaignants.

[9] La jurisprudence établit que l'adjonction de parties doit être faite avec prudence et seulement après un examen minutieux d'un certain nombre de facteurs, notamment les questions de savoir : si l'ajout de la partie est nécessaire à la résolution de la plainte, s'il pouvait être raisonnablement prévu que la nouvelle partie aurait dû être ajoutée lorsque la plainte a été déposée et si l'adjonction de la partie constituera un préjudice grave à la partie adverse (voir, par exemple : Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43; Wade c. Canada (Procureur général), 2008 TCDP 9; et Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail c. Barbe, 2003 TCDP 24, dans laquelle décision le Tribunal a accueilli la requête en ajout d'un plaignant.  Voir aussi : Syndicat des employés d’exécution de Québec-Téléphone c. TELUS Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31, au paragraphe 30; et Smith c. CN, 2005 TCDP 23, au paragraphe 52).

[10] En l'espèce, l'AFPC soutient que sa participation à titre de plaignante est nécessaire puisqu'elle seule peut fournir les renseignements qui aideront le Tribunal à trouver un redressement approprié, si la plainte au sujet de l'article 10 est fondée.  Selon l'AFPC, le redressement approprié en serait un qui s'applique à tous les ASF au Canada.  Les ASF remplissent des fonctions extrêmement variées partout au pays, dans environ 12 000 points d'entrée au Canada, qui comprennent les postes frontaliers terrestres, les aéroports, les ports de mer, les services postaux et les centres de détention d’immigration.

[11] Compte tenu de la diversité des tâches et de l'environnement de travail des ASF, la nature et la portée des risques auxquels ils font face au travail varient grandement.  La nécessité de suivre la FRF varie donc tout autant.  L'AFPC soutient que le Tribunal a besoin de renseignements au sujet de la nature et de la portée des risques auxquels ce groupe de travail diversifié fait face afin de trouver un redressement qui n'est pas restreint par l'environnement de travail des plaignantes – le poste frontalier terrestre de Windsor et les Opérations du courrier international à Toronto.

[12] En supposant, sans me prononcer, que la portée de la plainte est assez large pour comprendre un redressement qui toucherait tous les ASF au Canada qui se trouvent dans des circonstances semblables à celles des plaignantes, je ne vois aucune raison pour laquelle les plaignantes ne pourraient pas appeler l'AFPC comme témoin afin qu'elle fournisse les renseignements susmentionnés.  L'ajout de l'AFPC comme partie n'est pas nécessaire pour qu'elle présente les renseignements au Tribunal.

[13] Le refus d'accorder à l'AFPC le statut de partie n'empêcherait pas les plaignantes de présenter des arguments au sujet du redressement systémique qui devrait être ordonné s'il est conclu que la plainte est fondée.  Il convient de noter que l'AFPC semble travailler en étroite collaboration avec les plaignantes à ce sujet.

[14] Il ne s'agit pas d'une affaire comme celle de Brown c. Commission de la capitale nationale, 2003 TCDP 43, dans laquelle il a été conclu qu'il était nécessaire d'ajouter le ministère des Travaux publics comme intimé, puisqu'il était impossible d'appliquer le redressement approprié sans l'adjonction de cette partie.  L'affaire n'est pas non plus semblable à celle du Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail c. Barbe, dans laquelle le Tribunal a ajouté la victime de l'acte discriminatoire comme plaignante.  Dans cette affaire, il convenait d'ajouter Mme Des Rosiers comme plaignante afin de régler une plainte dans laquelle elle était l'unique intéressée.

[15] En ce qui a trait au fait que Mme Coupal peut appeler un représentant de l'AFPC pour qu'il témoigne au sujet des autres ASF, l'AFPC a répondu que l’intimée s'opposera probablement à ce témoignage au motif qu'il n'est pas pertinent : la portée des plaintes se limite aux circonstances particulières des lieux de travail des plaignantes et, par conséquent, toute information au sujet d'autres lieux de travail n'est pas pertinente.

[16] Si l'AFPC avait des préoccupations au sujet du fait que la portée de la plainte pouvait ne pas être assez large pour comprendre les circonstances de tous les ASF au Canada, alors elle aurait dû mentionner ces préoccupations lorsque la plainte a été écrite ou peu de temps après qu'elle a été avisée du dépôt de la plainte.

[17] L'AFPC a déclaré qu'elle discutait avec l’intimée de façon continue au sujet de la formation sur le recours à la force depuis au moins 2001.

[18] De plus, il semble que l'AFPC participe aux présentes plaintes depuis au moins l'étape de l'enquête.  Elle avait la possibilité de demander à être ajoutée comme partie à la plainte si elle le jugeait nécessaire, avant que la Commission renvoie la plainte au Tribunal.

[19] Cette situation est encore plus évidente lorsqu'on tient compte du fait que la Commission a d'abord rejeté la plainte et que c'est après le contrôle judiciaire que la plainte a été renvoyée à la Commission pour qu'elle fasse une nouvelle enquête et rende une nouvelle décision.  L'AFPC a donc eu amplement la possibilité de prendre connaissance de l'affaire et de demander à être ajoutée comme partie avant que l'affaire soit renvoyée au Tribunal.

[20] Lorsqu'une plainte est renvoyée au Tribunal, l'adjonction d'une partie pourrait entraîner la négation de l'avantage de certaines protections procédurales qui sont garanties à l'étape avant le renvoi.  Ces protections comprennent la possibilité de persuader la Commission, pendant le processus d'enquête, qu'elle devrait refuser de traiter la plainte parce que, par exemple, la plainte n'est pas fondée ou elle porte sur des actes ou des omissions qui se sont produits plus d'un an avant le dépôt de la plainte (Warman c. Lemire, 2006 TCDP 48, aux paragraphes 4 à 7).

[21] L'AFPC soutient qu'il n'y aurait pas manquement à l'équité procédurale envers l’intimée si le Tribunal contournait le processus de la Commission compte tenu du fait que l’intimée sait depuis 2001 que l'AFPC a des inquiétudes quant à la FRF telle qu'elle était appliquée aux travailleurs âgés ou atteints d'une invalidité.  L’intimée ne devrait donc pas être surprise du point de vue de l'AFPC au sujet des plaintes.  C'est peut-être le cas, mais l'argument ne traite pas de la perte des protections procédurales qui seraient autrement disponibles, perte qui pourrait être causée par l'ajout de l'AFPC comme plaignante à cette étape de la procédure.

[22] Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut qu'il ne s'agit pas d'une affaire dans laquelle il peut exercer de façon appropriée son pouvoir discrétionnaire, prévu à l'alinéa 48.9(2)b), pour ajouter l'AFPC comme plaignante dans la présente procédure.  La requête est rejetée.

Signée par

J. Grant Sinclair
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 16 juin 2008

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1240/5207

Intitulé de la cause : Marie-Claire Coupal et Biserka (Biba) Milinkovich
c. Agence des services frontaliers du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 16 juin 2008

Comparutions :

Alison Dewar et Lisa Addario, pour les plaignantes

Aucune représentation, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sandra Nishikawa et Sean Gaudet, pour l'intimée

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