Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 9/ 84 Décision rendue le 2 août 1984

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL D’APPEL

DANS L’AFFAIRE de l’appel interjeté par Mme EMILDA SHAFFER, en date du 11 octobre 1983, de la décision du tribunal des droits de la personne rendue le 14 septembre 1983.

ENTRE MME EMILDA SHAFFER appelante - et LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA représenté par le ministère des Anciens combattants intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL D’APPEL DEVANT: Paul L. Mullins, président Shelley Acheson Simone Joanisse

Avocats: Pour la plaignante: G. Grenville- Wood Pour l’intimé : L. Leduc et son adjoint, Wayne Cunneyworth Pour la Commission canadienne des droits de la personne : Russell Juriansz

> La plaignante, Mme Emilda Shaffers fait appel de la décision par laquelle le tribunal a rejeté la plainte en harcèlement racial qu’elle avait déposée contre le Conseil du Trésor. Elle n’a porté aucune plainte contre le collègue qui, en fait, est l’auteur de l’incident.

Le 9 août 1981, une vive dispute a éclaté à la maison de santé administrée par le Conseil du Trésor du Canada entre la plaignante, Mme Shaffer, et son collègue, M. Côté. Lors de cette dispute, M. Côté a fait des

remarques désobligeantes concernant l’origine raciale et la couleur de la peau de Mme Shaffer.

Le 10 août 1981, une agression a eu lieu lorsque M. Côté a giflé Mme Shaffer. D’après les faits connus, il n’a pu être déterminé clairement s’il y avait eu provocation ou non, mais M. Côté a été reconnu coupable d’agression devant la Cour provinciale.

Lorsque M. McGovern, l’administrateur en chef de la maison de santé, a été informé le 10 aôut des incidents qui avaient eu lieu la veille et le jour même, il a immédiatement demandé à la directrice des infirmières par intérim, Mme Knox, de faire enquête sur cette affaire. Les intéressés ont été interrogés, des rapports déposés et M. McGovern mis au fait de la situation. Les 18 et 19 août, les responsables ont rencontré Mme Shaffer et M. Côté afin de les amener à régler leur différend à l’amiable. M. Côté a nié avoir giflé Mme Shaffer mais il a accepté de continuer à travailler avec elle dans l’harmonie. Mme Shaffer a demandé qu’on lui donne le temps d’examiner la question de façon plus approfondie et, chose tout à fait justifiable, a refusé de passer l’éponge.

M. McGovern ne savait pas encore avec certitude s’il y avait eu agression. Il a donc réprimandé M. Côté parce qu’il croyait n’avoir à régler que l’incident de l’injure raciste. Les poursuites intentées, les débats tenus en cour et les dires de M. Côté lui- même ont démontré que M. McGovern faisait erreur. Cependant, le Tribunal a déclaré n’avoir constaté aucune motivation ni intention discrimatoire de la part de M. McGovern.

> - 2 M. McGovern espérait que les adversaires régleraient leur différend eux- mêmes et a déployé des efforts considérables à cette fin, mais en vain. Il a alors placé une lettre de réprimande dans le dossier de M. Côté, geste qui n’a toutefois pas été rendu public.

Le Tribunal d’appel doit décider si, aux termes du paragraphe 7( b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’employeur, en l’occurrence le Conseil du Trésor du Canada, a l’obligation d’assurer à ses employés un lieu de travail exempt de harcèlement racial et s’il a effectivement manqué à cette obligation.

Le paragraphe 7( b) porte ce qui suit: Constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

L’article 3 de la Loi inclut dans les motifs de distinction illicite la race et la couleur, motifs invoqués dans la plainte.

Nous nous accordons à dire que Mme Shaffer a été victime de harcèlement racial de la part de M. Côté. Mais l’employeur en est- il responsable?

Un certain nombre de décisions ont été soumises à notre examen, dont les suivantes:

Commission des droits de la personne de l’Ontario c. Simpsons Sears (1982), 3 C. H. R. R., D/ 796

Sucha Singh Dhillon c. S. W. Woolworht Company Limited, (1982), 3 C. H. R. R., D/ 743

> - 3 Commission canadienne de l’Emploi et de l’Immigration et Jack Chuba, avril 1983 (non publiée)

Brennan c. Robichaud, (1982), 3 C. H. R. R., D/ 977 Bien que la question ait été très débattue, nous considérons qu’il ne sert à rien d’essayer de déterminer si les incidents en question constituaient un seul et même événement ou non. Il ne fait aucun doute que le premier incident a consisté dans un échange d’insultes et que celles proférées par M. Côté étaient de nature nettement raciste. Quant à l’incident de la gifle survenu le lendemain, Mme Shaffer elle- même ne l’a pas clairement qualifié de geste à motivation raciste, ni quand elle a soumis un grief à son syndicat, ni quand elle a témoigné devant le Tribunal.

Nous considérons que l’enquête menée par M. McGovern était au mieux superficielle. Elle n’a pas été conduite avec la fermeté justifiée par les incidents en cause. L’employeur a persisté à tenter d’amener les deux employés à régler eux- mêmes leur différend, attitude qui n’était pas raisonnable dans les circonstances. Il aurait fallu au moins réprimander publiquement l’employé. Qu’ils aient été à motivation raciste ou non, les incidents en question exigeaient une intervention claire et ferme de la part de la direction.

Nous croyons toutefois opportun de faire une distinction entre la responsabilité que l’employeur doit assumer pour la conduite de son personnel de supervision et celle qui concerne les relations entre collègues. Or, toutes les décisions qui nous ont été présentées portaient sur des cas où des personnes occupant des postes de commande avaient traité leurs subordonnés d’une façon qui contrevenait à la Loi.

Si, dans l’affaire qui nous intéresse, le comportement dont l’appelante s’est plainte avait été le fait d’un superviseur plutôt que d’un collègue, nous aurions jugé l’employeur coupable d’une infraction à la Loi.

> - 4 Cette affirmation ne veut pas dire que l’employeur ne saurait être tenu responsable d’un comportement discriminatoire d’un employé envers un collègue. Elle vise simplement à signaler que la réaction de l’employeur doit être proportionnée à l’importance de l’incident. De par sa nature même, un comportement illégal de la part d’un superviseur est plus grave. Il faut en tenir compte lorsqu’il s’agit de déterminer la mesure de la responsabilité.

Néanmoins, les employeurs doivent apprendre que les incidents à composante raciste font partie d’une catégorie spéciale qui exige une intervention ferme de leur part. Bien que nous considérions que l’employeur n’avait aucune responsabilité dans cette affaire, nous soulignons que les employeurs doivent savoir qu’il leur revient de faire respecter les principes prescrits par la Loi canadienne sur les droits de la personne. La possibilité de recourir à la Loi est essentielle, bien que dans les incidents

racistes entre collègues, elle ne soit qu’un pis- aller et que rien ne remplace un effort conjoint des travailleurs et de la direction pour créer un milieu de travail exempt de toute discrimination.

Nous tenons encore une fois à signaler à Mme Shaffer que nous regrettons qu’elle ait été victime de ce comportement répréhensible de la part de son collègue.

L’appel est donc rejeté. Windsor (Ontario), le 29 juillet 1984

PAUL L. MULLINS, président SHELLEY ACHESON SIMONE JOANISSE

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