Contenu de la décision
TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
UNITED PARCEL SERVICE CANADA LTD.
MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis
[1] L'intimée, United Parcel Service Canada Ltd. (UPS), prétend que la plaignante Esper Powell, a réglé en 2007 la plainte en matière de droits de la personne qu'elle avait déposée contre UPS. Par conséquent, UPS a déposé une requête visant à obtenir une ordonnance du Tribunal confirmant
le présumé règlement et mettant fin à la présente instance devant le Tribunal.
[2] En janvier 2002, Mme Powell a déposé sa plainte dans laquelle elle prétendait avoir fait l'objet de discrimination de la part de son employeur, UPS, en raison de son sexe (femme), de sa race et de sa couleur (noire). En août 2004, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a renvoyé la plainte au Tribunal pour enquête. L'audience portant sur la plainte avait été fixée au 11 juin 2007. Avant cette date, Mme Powell et UPS ont entrepris, par l'entremise de leurs avocats, des discussions en vue d'un règlement et ces discussions se sont soldées par l'acceptation de la part de UPS de la contre-offre faite par Mme Powell. Le 8 juin 2007, l'avocat de UPS a envoyé un courriel à l'avocat de Mme Powell confirmant cette acceptation. L'avocat de UPS a terminé son courriel en déclarant ce qui suit : [traduction] La présente affaire est donc réglée
. L'avocat de Mme Powell a répondu le même jour par un courriel dans lequel il affirmait qu'il [traduction] confirm[ait] que l'affaire [était] réglée
.
[3] L'avocat de UPS a immédiatement informé le Tribunal que l'affaire avait été réglée. Le Tribunal a donc écrit aux parties le même jour (le 8 juin 2007) afin de les informer que l'affaire était ajournée sine die en attendant que la Commission l'avise que le procès-verbal du règlement avait été approuvé, et ce, en conformité avec le paragraphe 48(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Le Tribunal a ajouté que dès que la Commission l'aurait avisé, il délivrerait un avis de désistement, mettant ainsi fin à l'affaire.
[4] Selon UPS, Mme Powell a refusé de prendre les mesures nécessaires pour finaliser le règlement. Elle n'a pas signé le projet d'entente ni la Décharge totale et définitive
rédigée par l'avocat de UPS. Le 20 novembre 2007, l'avocat de UPS a informé le Tribunal que le procès-verbal du règlement n'avait pas encore été signé et, le 27 novembre 2007, Mme Powell a informé le Tribunal qu'elle avait un nouveau conseiller juridique. Le Tribunal a répondu aux parties que, en l'absence d'un règlement de la plainte signé, il entendrait l'affaire.
[5] UPS fait valoir que l'affaire soumise au Tribunal a été complètement réglée par l'échange de correspondance qui a eu lieu entre les avocats en juin 2007, sans égard à la question de savoir si le procès-verbal du règlement avait finalement été signé. Elle a donc déposé la présente requête en vue d'obtenir une ordonnance confirmant le règlement de la plainte
.
[6] Selon l'article 48 de la Loi, les parties qui conviennent d'un règlement avant le début de l'audience doivent en présenter les conditions à l'approbation de la Commission :
Dans ses observations écrites concernant la requête de UPS, la Commission souligne que [traduction] rien ne prouve qu'un règlement a été approuvé par la Commission
. Par conséquent, la Commission ajoute que les parties ne sont liées par aucun règlement qui peut être assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale au sens du paragraphe 48(3).
[7] UPS prétend que, selon l'article 48, le rôle de la Commission consiste tout simplement à approuver ou à rejeter les règlements qui ont été conclus et non pas à déterminer si un règlement a été conclu. UPS prétend que cette question doit être tranchée par le Tribunal. Dans les circonstances de la présente espèce, UPS prétend qu'un règlement exécutoire a en fait été conclu, et ce, malgré l'absence d'approbation de la part de la Commission.
[8] Selon moi, cet argument repose sur une interprétation erronée de l'article 48. Le libellé de la disposition est clair. Avant le début d'une audience, aucune plainte ne peut être réglée sans l'approbation de la Commission. La Cour fédérale a souligné ce qui suit au paragraphe 87 de la décision Loyer c. Air Canada, 2006 CF 1172 :
Il y a peu de jurisprudence sur l'article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, lorsqu'on lit la disposition dans son contexte, en tenant compte des objets de la Loi tout entière, et à la lumière du mandat de la Commission dans l'intérêt public, il est clair que l'objet de l'article 48 est de faire en sorte que les commissaires eux-mêmes puissent intervenir dans le règlement d'une plainte, pour s'assurer que les buts réparateurs de la Loi sont bien pris en compte dans la solution apportée à la plainte.
[9] En vertu de l'article 48, les parties n'ont pas le choix de soumettre ou non le règlement à la Commission. Dans la version anglaise de l'article, il est mentionné que le règlement sera renvoyé à la Commission
. Dans la version française, les parties présentent
les conditions du règlement à l'approbation de la Commission. Cette exigence est conforme à la conclusion tirée dans la décision Loyer selon laquelle l'objet de l'article 48 est de faire en sorte que les commissaires eux-mêmes puissent intervenir dans le règlement d'une plainte pour s'assurer que les buts réparateurs de la Loi sont bien pris en compte dans la solution apportée à la plainte. Sans une telle intervention, il ne peut y avoir aucun règlement.
[10] Rien n'indique que la Commission a expressément ou tacitement approuvé le prétendu règlement conclu entre Mme Powell et UPS. À défaut de cette approbation, on ne peut pas affirmer qu'il existe un règlement qui met fin à l'enquête du Tribunal sur la plainte.
[11] Bien entendu, selon l'article 48, l'approbation susmentionnée n'aurait été exigée que si le règlement avait été conclu avant le début de l'audience. UPS invoque comme argument additionnel que le règlement en l'espèce n'a pas en fait été conclu avant le début de l'audience
au sens de l'article 48. Elle prétend que le Tribunal a pris des mesures, notamment des conférences préparatoires et la délivrance de diverses ordonnances de nature procédurale
qui démontrent qu'il s'est lancé dans le processus de l'audience
. À ce titre, il y a eu début d'une audience
et l'approbation du règlement par la Commission n'est plus exigée.
[12] Je ne souscris pas à la prétention de UPS. La Loi parle d'une audience
et d'une instruction
, elle ne parle aucunement d'un processus d'audience
. La Cour fédérale a tenu compte de ces deux mots ( audience
et instruction
) dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81, au paragraphe 17. La Cour a souligné que l'article 50 de la Loi mentionne séparément chacune de ces expressions et les traite comme étant des notions distinctes. La Cour siégeait dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision rendue par le Tribunal à la suite d'une requête préliminaire que la défenderesse avait déposée en vue d'obtenir le rejet de la plainte avant que celle-ci ne soit entendue sur le fond. La Commission avait prétendu que le Tribunal devait tenir l'audience avant de rejeter la plainte et que la requête était par conséquent prématurée. La Cour ne souscrivait pas à cette affirmation. Elle a conclu que bien que, selon l'article 50, le membre instructeur doit instruire
chaque plainte qui lui est renvoyée, il n'est pas nécessaire qu'une audience
soit tenue dans tous les cas. La requête en rejet n'était donc pas prématurée.
[13] Par conséquent, selon moi, il ressort de la conclusion de la Cour que le sens à donner au mot audience
est la tenue d'une véritable audience au fond sur la plainte elle-même. Elle n'englobe aucune activité antérieure, notamment les requêtes préliminaires que le Tribunal peut envisager afin de débroussailler la procédure
(Société canadienne des postes, au paragraphe 14), comme la requête en rejet qui avait été déposée dans cette affaire.
[14] En l'espèce, UPS prétend que pour la simple raison que le Tribunal a tenu un certain nombre de conférences préparatoires par téléphone, a donné un certain nombre de directives portant sur des questions comme le calendrier et la divulgation et s'est prononcé sur une requête préliminaire (uniquement sur le fondement d'observations écrites), l' audience
au sens de la Loi a commencé. Cette prétention n'est manifestement pas conforme aux conclusions tirées par la Cour dans Société canadienne des postes. Selon moi, l'audience relative à la plainte en matière de droits de la personne de Mme Powell n'a pas encore commencé. L'article 48 est donc applicable et, sans l'approbation de la Commission, on ne peut pas affirmer que la plainte a été réglée.
[15] Pour les motifs susmentionnés, la requête de UPS est rejetée.
OTTAWA (Ontario)
Le 9 octobre 2008