Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROIS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

PERRY DENNIS

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL DE BANDE D'ESKASONI

l'intimé

DÉCISION

2008 TCDP 38
2008/09/12

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

I. LA PARTICIPATION DES PARTIES À L'AUDITION DE LA PLAINTE

II. LES FAITS À L'ORIGINE DE LA PRÉSENTE PLAINTE

A. L'accident de voiture de M. Dennis

B. La pêcherie d'Eskasoni

C. La politique Apte au travail

D. Le dépistage de 2004

E. Le dépistage de 2005-2006

III. LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES EN L'ESPÈCE

IV. LA PLAINTE FONDÉE SUR L'ARTICLE 7

A. Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie fondée sur l'article 7?

(i) M. Dennis était il déficient (c'est-à-dire toxicomane) au sens de la Loi?

(ii) La bande a-t-elle perçu M. Dennis comme étant dépendant à la drogue?

V. LA PLAINTE FONDÉE SUR L'ARTICLE 10

A. Une preuve prima facie a-t-elle été établie au sens de l'article 10?

B. La bande s'est elle acquittée du fardeau de présenter une explication raisonnable?

(i) La bande a-t-elle adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause?

(ii) La bande a-t-elle adopté la norme de bonne foi? 23

(iii) La norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail?

a) La sécurité comme préoccupation - un environnement de travail sécuritaire 26

b) Le travail avec les facultés affaiblies pose un danger à la sécurité 29

c) Le test de de dépistage de drogues et d'alcool est-il un moyen efficace de détecter la présence d'un danger en milieu de travail?

d) Le facteur du coût - les répercussions sur la pêcherie commerciale de la bande

e) La contrainte de la bande est-elle excessive?

f) La politique impose-t-elle un fardeau excessif aux employés?

VI. L'ARTICLE 67 DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

[1] Le plaignant, Perry Dennis, soutient que l'intimé, le Conseil de bande d'Eskasoni, a refusé de l'embaucher comme matelot de pont sur un bateau de pêche parce que le résultat de son test de dépistage de drogues préalable à l'emploi était positif. Il soutient que l'intimé a fait preuve de discrimination envers lui en raison de sa déficience (toxicomanie), au sens de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dans sa décision et que la politique de dépistage de drogues de l'intimé est elle-même discriminatoire, au sens de l'article 10 de la Loi.

I. La participation des parties à l'audition de la plainte

[2] Au départ, la Commission avait renvoyé cinq autres plaintes, en plus de celle de M. Dennis, au Tribunal. Peu avant le début de l'audience, quatre des plaignants ont réglé leurs plaintes avec l'intimé. La Commission a alors avisé le Tribunal qu'elle ne participerait pas à l'audience. Deux jours après le début de l'audience, l'autre plaignante restant a aussi réglé sa plainte.

[3] M. Dennis n'était pas représenté par un avocat à l'audition de sa plainte. Le sixième jour de l'audience, après que M. Dennis a complété sa preuve, il a soudainement, et sans avis au Tribunal ou à l'agent du greffe, recueilli ses choses et a quitté la salle d'audience pendant une pause dans la procédure, vers 11 h 45, accompagné de sa conjointe, Mary Lou Gould. Il n'est jamais revenu. J'ai ajourné la procédure pour environ deux heures pendant que l'agent du greffe tentait de téléphoner au domicile de M. Dennis. Il n'a eu aucune réponse. J'ai demandé à toutes les personnes présentes, y compris à l'interprète micmac attitré à l'affaire, si M. Dennis avait mentionné pourquoi il avait quitté et pour combien de temps il serait absent. Personne n'a pu me donner de détails. Ils ont simplement vu M. Dennis ramasser ses papiers et quitter sans dire un mot. À ce moment, l'intimé en était rendu à la moitié de son interrogatoire principal d'un témoin expert. Compte tenu des circonstances, et particulièrement du fait que M. Dennis a quitté subitement sans donner de préavis, d'excuse ou d'explication, j'ai décidé de continuer en son absence. Le système numérique de l'enregistrement de la voix du Tribunal a continué à enregistrer la procédure et une copie de l'enregistrement a ensuite été fournie aux deux parties.

[4] Plus tard cet après-midi là, l'agent du greffe a envoyé un message par courriel à M. Dennis pour l'aviser que l'audience continuerait comme prévu le lendemain. Il a invité M. Dennis à communiquer avec lui par courriel ou par téléphone. M. Dennis a répondu par courriel à l'agent du greffe ce soir là. Il lui a expliqué qu'il s'était senti [traduction] seul et dépassé par la procédure. Il a blâmé en partie la Commission parce qu'elle n'avait pas participé à l'audience et qu'elle l'avait [traduction] abandonné aux loups. Le lendemain matin, M. Dennis a envoyé un courriel à l'agent du greffe pour lui demander si Mme Gould pouvait le représenter. Elle avait été présente à l'audience depuis le début et elle avait déjà témoigné. J'ai accueilli la demande de M. Dennis et Mme Gould s'est présentée cet après-midi là. Elle n'est pas avocate. Elle a contre interrogé les témoins restants qui ont été appelés à témoigner par l'intimé et elle a présenté des observations finales pour M. Dennis.

[5] De son côté, l'intimé était représenté par un avocat pendant toute l'audience.

II. Les faits à l'origine de la présente plainte

A. L'accident de voiture de M. Dennis

[6] M. Dennis est membre inscrit de la collectivité d'Eskasoni de la Première nation micmaque, située à environ 40 km au sud de Sydney (Nouvelle-Écosse). L'intimé est le Conseil de bande de la collectivité (la bande).

[7] M. Dennis a grandi à Eskasoni et y a passé la plupart de sa vie. Il a 38 ans. En 1989, il a été impliqué dans un accident de voiture grave. Ses blessures comprenaient des fractures au cou. Il a témoigné que les fractures lui ont laissé plusieurs problèmes de santé chroniques douloureux. De temps en temps, son cou enfle, ce qui restreint les rotations de la tête et lui cause des douleurs au cou et aux épaules, ainsi que des maux de tête sévères. Ses médecins lui ont d'abord prescrit un médicament [traduction] fort pour traiter la douleur, mais il avait l'effet de rendre son visage [traduction] affaissé et triste, même s'il se sentait bien. Lorsqu'il a tenté de prendre des doses plus faibles, il soutient qu'il [traduction] en est devenu dépendant, mais il n'a présenté aucune précision ou explication dans son témoignage.

[8] Vers 1990, M. Dennis a découvert que l'utilisation de la marijuana le relaxait et diminuait sa douleur dans ses épaules et son cou, sans qu'il n'y ait d'effets secondaires comme ceux mentionnés plus haut, qui étaient causés par les médicaments prescrits par les médecins. Il n'utilisait pas la marijuana tous les jours, mais seulement lorsqu'il était pris de [traduction] crises de douleur. Cependant, il y a certains jours où, même s'il souffrait d'importantes douleurs, il ne prenait pas de marijuana et il [traduction] vivait avec son état et sa douleur.

[9] À un moment en 2004, M. Dennis se souvient avoir demandé à un médecin de la clinique de santé d'Eskasoni de lui prescrire de la marijuana à des fins médicales. M. Dennis soutient que bien que le médecin n'ait pas contesté son utilisation de la marijuana, il a dit à M. Dennis qu'il n'avait pas l'autorisation de lui donner une telle prescription. Il semble que M. Dennis n'a pas tenté de trouver un autre médecin qui avait une telle autorisation. Plutôt, M. Dennis a continué de se procurer de la marijuana par des moyens qu'il n'a pas précisés. Le médecin n'a pas été appelé comme témoin en l'espèce.

B. La pêcherie d'Eskasoni

[10] Avant l'an 2000, l'exploitation de pêche de la bande était très modeste. Elle était gérée par un département de la bande qui portait le nom d'Eskasoni Fish & Wildlife Commission (EFWC). La plupart de ses activités portaient sur la recherche et la conservation de la pêche. Il n'y avait qu'environ cinq employés à temps plein et entre 15 à 40 employés occasionnels pendant l'année.

[11] Dans deux décisions rendues en 1999 (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456 et R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533), la Cour suprême a confirmé les droits issus de traités des Micmacs en ce qui a trait à la chasse et à la pêche ainsi qu'au commerce des produits de ces activités, afin de gagner un salaire moyen pour eux-mêmes et pour leurs familles. À la suite de ces décisions, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) fédéral a conclu des ententes avec les Premières nations pour leur donner les outils qui leur permettraient de développer leurs propres pêcheries commerciales. La bande a signé une telle entente en 2000 (l'entente Marshall), en vertu de laquelle le MPO fournirait un financement pour l'achat de permis de pêche, de navires et d'autre équipement, pour la construction d'immeubles et pour la formation des employés des pêcheries.

[12] Lorsque l'entente Marshall est entrée en vigueur en 2000, peu de membres de la bande possédaient les aptitudes requises pour pêcher de façon commerciale. Par conséquent, la bande a mis en place des programmes pour former ces personnes à titre de matelots de pont, de seconds capitaines et de capitaines certifiés. M. Dennis avait travaillé de temps en temps comme matelot de pont pour des pêcheurs qui n'étaient pas autochtones entre 1992 et 2000, mais il n'avait jamais obtenu sa certification. M. Dennis s'est donc inscrit à la formation offerte par la bande et il a obtenu son certificat de matelot de pont en 2000.

[13] Les tâches d'un matelot de pont comprennent le nettoyage, l'entretien, la réparation et le vidage des filets. Les matelots de pont placent aussi les prises, telles que les crevettes, dans des sacs spéciaux, ils vident et amorcent les pièges et ils nettoient le pont et la cale. Un matelot de pont suit les directives du capitaine qui, en plus de guider le bateau, actionne le vire ou le treuil qui servent à soulever les pièges et les filets sur le bateau.

[14] Pour la plupart des espèces capturées par la bande, la saison de pêche dure généralement de mars à novembre. Afin de distribuer les emplois de façon égale parmi les matelots de pont qualifiés à Eskasoni, l'EFWC prépare une liste chaque année sur laquelle les membres de la bande inscrivent leur nom et leur numéro de téléphone. Alors qu'un bateau se prépare à aller en mer, l'EFWC téléphone aux matelots de pont dont le nom se trouve sur la liste, en suivant une rotation. Les pêcheurs sont payés en fonction de la taille de la prise et du prix de cette prise au marché. Ce type d'emploi est considéré comme un emploi saisonnier, ce qui permet au pêcheur d'obtenir de l'assurance-emploi pendant la saison morte, si son salaire à dépassé un seuil de base (environ 11 000 $). M. Dennis a inscrit son nom sur la liste et on l'a appelé pour travailler en 2001, en 2002 et en 2003. Son salaire de 2003 se trouvait juste sous la barre des 30 000 $. Par conséquent, M. Dennis et les autres matelots de pont de l'EFWC n'étaient ni des employés à temps plein, ni des employés indéterminés de l'EFWC. Leur emploi était occasionnel. En 2005, l'EFWC a confié la gestion de la pêcherie commerciale à une entreprise du nom de Crane Cove Seafoods, qui appartenait en entier à la bande. À tous égards, la bande était toujours en charge de sa pêcherie commerciale.

[15] D'après les témoignages du chef actuel et de plusieurs conseillers de la bande, au cours des deux premières années d'opération de la pêcherie commerciale, c'est-à-dire 2001 et 2002, des rapports ont été déposés selon lesquels des pêcheurs allaient en mer alors qu'ils étaient sous l'influence de drogues ou d'alcool. Par conséquent, le 10 décembre 2002, le Conseil de bande a pris une résolution selon laquelle les pêcheurs commerciaux devaient subir un dépistage de drogues obligatoire. Au cours des mois suivants, la bande a nommé Jim Maloney comme responsable de l'élaboration d'une politique de dépistage de drogues. M. Maloney était membre d'une autre collectivité de Première nation en Nouvelle-Écosse. Par le passé, la bande lui avait donné la tâche d'élaborer d'autres programmes. À l'été 2003, la politique proposée, qui portait le nom de Eskasoni Fit to Work (Drug and Alcohol) Program Policy ([traduction] la politique de programme Apte au travail d'Eskasoni (Drogues et Alcool)), était prête.

[16] M. Maloney a témoigné qu'il avait tenu un certain nombre de séances d'information pour les pêcheurs commerciaux d'Eskasoni, afin de leur présenter la nouvelle politique. Des affiches ont été collées afin d'en faire la publicité et une lettre d'une page, qui résumait la politique, a été envoyée à l'adresse de toute personne qui était liée à la pêcherie de l'EFWC. La même lettre a été distribuée à toutes les personnes qui se sont présentées à la séance d'information. La lettre portait le titre de Open Letter to the Community of Eskasoni - Fit to Work (Drug and Alcohol) Program ([traduction] Lettre ouverte à la collectivité d'Eskasoni - Programme Apte au travail (Drogues et Alcool)). Elle indiquait que le peuple d'Eskasoni avait ciblé l'abus d'alcool et de drogues comme problème sérieux qui affectait la vie de tous dans la collectivité et que le chef et le Conseil de bande s'étaient engagés à résoudre ce problème. La lettre expliquait aussi que la politique était nécessaire pour l'opération de la pêcherie commerciale d'Eskasoni, puisque la pêcherie commerciale était [traduction] reconnue comme l'une des professions les plus dangereuses, ce qui rend la sécurité en milieu de travail essentielle à la protection des vies des personnes qui y travaillent.

[17] La lettre notait aussi que la politique prévoyait une série [traduction] d'étapes progressives, liées au traitement, pour les gens dont le résultat du dépistage était positif, afin que ces gens puissent retourner au travail.

C. La politique Apte au travail

[18] Le 16 septembre 2003, la politique proposée a été adoptée officiellement par le Conseil de bande. Sa mise en uvre devait commencer au cours de la saison de pêche de 2004. La politique énonce que son objectif général est de garantir que les employés de l'EFWC [traduction] se conforment aux règles et qu'ils montrent l'exemple à la collectivité en travaillant sans être sous l'influence de la drogue ou de l'alcool, dans un environnement de travail sécuritaire où il n'y a pas de drogue ni d'alcool. La politique touche aussi les sous-traitants et les travailleurs à contrat. Certains des objectifs précis mentionnés dans la politique comprennent :

éviter que les employés se trouvent dans une position où leurs facultés sont affaiblies et où leur travail devient un risque pour eux-mêmes et pour le bon fonctionnement des installations et de l'équipement de l'EFWC;

prévenir les accidents et les blessures découlant de l'utilisation de drogues ou de l'alcool;

encourager et appuyer les travailleurs qui ont un problème de toxicomanie ou d'alcoolisme afin qu'ils atteignent et maintiennent une [traduction] qualité de vie sans alcool et sans drogue.

[19] La politique oblige les gestionnaires et les employés de l'EFWC à lire, à comprendre et à reconnaître la politique. Les employés doivent se conformer à une norme [traduction] d'aptitude au travail, qui est définie comme la capacité et l'aptitude à faire leur travail. Cela comprend le fait qu'ils ne doivent pas être sous l'influence de l'alcool, de drogues illicites, de médicaments ou de substances qui peuvent affecter leur rendement. On s'attend à ce que les employés demandent de l'aide et suivent un traitement approprié s'ils croient qu'ils ont ou qu'ils développent un problème de toxicomanie.

[20] La politique prévoit que tous les employés de l'EFWC doivent se soumettre à un test de dépistage de drogues et d'alcool avant de pouvoir être embauchés. Toute offre d'emploi est conditionnelle au résultat de ce test de dépistage. De plus, il peut y avoir des tests surpris, à la discrétion de l'employeur, tout au long de l'année, sans préavis. Il peut aussi y avoir des tests de dépistage s'il y a eu un [traduction] accident important qui cause, ou qui aurait pu causer, la mort, des blessures, la perte ou la destruction d'équipement. En outre, si les gestionnaires ont de bonnes raisons de croire que les actions, l'apparence ou le comportement d'un employé, alors qu'il se trouve au travail, peuvent indiquer qu'il a consommé de la drogue ou de l'alcool, ils peuvent exiger que l'employé se soumette à un test, mais cette décision doit être prise avec l'approbation d'une deuxième personne, si possible.

[21] Les substances qui sont recherchées dans le test de dépistage sont :

dans la catégorie des drogues - les cannabinoïdes (marijuana, hachisch, de l'huile de cannabis), les stimulants (la cocaïne, les opiacés, les amphétamines) et les anesthésiques de vétérinaire (phencyclidine (PCP));

dans la catégorie de l'alcool - l'alcool de bouche, l'alcool éthylique ou d'autres alcools de faible poids moléculaire, y compris le méthanol ou l'alcool isopropylique.

La politique précise comment les tests de dépistage se dérouleront afin de déterminer si des drogues ou de l'alcool se trouvent en quantités dépassant certains niveaux de concentration (qui sont précisés dans un tableau). Un résultat positif (c'est-à-dire qui dépasse le seuil d'inclusion) est soumis à un deuxième test plus avancé afin d'obtenir confirmation. Les tests de confirmation qui sont positifs sont alors envoyés à un agent d'examen médical pour une autre évaluation et pour [traduction] garantir qu'on ne donne pas à la personne un faux résultat positif en laboratoire.

[22] Lorsque l'évaluation de l'agent d'examen médical confirme le premier résultat et élimine la possibilité d'un faux résultat positif, une série d'évaluations et d'options de traitement sont offertes en vertu de la politique. S'il s'agit de la première fois où l'employé a un résultat positif, on lui recommandera d'obtenir une évaluation ou un traitement pour consommation de drogue ou d'alcool, mais il s'agit d'une option tout à fait volontaire. Les numéros de téléphone de la Native Alcohol and Drug Abuse Counselling Association (NADACA) et de la tente micmaque, où l'on peut obtenir des conseils au sujet de la toxicomanie, se trouvent dans la politique. Toute personne qui veut poser sa candidature ou retourner au travail doit se soumettre à un autre test de dépistage de drogues de [traduction] retour au travail, et obtenir un résultat négatif, avant de pouvoir obtenir un emploi.

[23] Si la personne obtient un deuxième résultat positif, elle devra être évaluée par un conseiller en toxicomanie à la NADACA, mais le traitement sera volontaire, et non obligatoire. La personne reste inapte à travailler. Après un troisième résultat positif, l'évaluation et le traitement deviennent obligatoires. La personne doit terminer le traitement avant de pouvoir être réembauchée, et cette embauche est conditionnelle aux conclusions et aux recommandations positives du conseiller en toxicomanie ou de l'établissement de traitement.

[24] Après un quatrième résultat positif, la personne sera mise à pied et ne pourra pas présenter à nouveau sa candidature pendant un an, jusqu'à [traduction] preuve de sobriété. Thomas Johnston, le directeur exécutif de l'EFWC, a témoigné que l'EFWC interprétait cette période comme n'étant pas exactement douze mois, mais plutôt comme une période qui allait jusqu'à la prochaine saison de pêche. Par conséquent, même si certains pêcheurs ne réussissaient pas le quatrième test de dépistage en octobre, ils pouvaient néanmoins se présenter au processus de dépistage du printemps suivant, avec les autres pêcheurs.

[25] La politique précise que l'EFWC défraierait les coûts du premier test de dépistage de drogues d'une personne dont le résultat est positif, mais les coûts de tout autre évaluation ou traitement ne seront pas couverts par l'EFWC. Tous les résultats de tests sont confidentiels et ne doivent pas être divulgués, sauf au gestionnaire de l'EFWC approprié. La communication et l'envoi des résultats positifs des tests de dépistage sont faits par code, plutôt que par nom de la personne, et la gestion de l'EFWC doit garder dans un endroit sécuritaire la liste qui précise à quels noms correspondent les codes.

[26] Toute personne qui enfreint la politique pendant qu'elle est [traduction] sur appel ou pendant qu'elle travaille sur les lieux, sur les bateaux ou avec de l'équipement qui appartient à l'EFWC, est immédiatement, à la discrétion de l'EFWC, renvoyée, suspendue de son travail sans rémunération, escortée à l'extérieur des navires ou des lieux appartenant à l'EFWC, rapportée à la police lorsqu'il y a présence de drogues illégales ou placée au statut de [traduction] retour au travail. Dans ce dernier cas, la personne pourra retourner au travail après avoir subi un autre examen, comme il est précisé ci-dessus.

D. Le dépistage de 2004

[27] M. Maloney a témoigné que pour la saison de pêche de 2004, la bande a embauché une firme externe, East Coast Mobile Medical Inc. (East Coast), pour effectuer les tests de dépistage de drogues sur place à Eskasoni en l'espace d'une journée. Il a ajouté qu'il avait envoyé des avis à tous les pêcheurs pour leur préciser qu'ils devaient s'inscrire en vertu du programme Apte au travail au plus tard le 8 mars 2004, sur une liste qui se trouvait au bureau de l'EFWC. Ces avis ont aussi été diffusés sur le poste de télévision communautaire local.

[28] Dans son témoignage, M. Dennis a déclaré qu'il n'avait jamais reçu cet avis et qu'il n'a eu connaissance de la tenue du test de dépistage de drogues que quelques jours avant qu'il ait lieu, le 14 mai 2004. La preuve met en doute cette déclaration. Il a témoigné qu'il était en mer en janvier et en février, au moment où les avis ont été distribués, même si la preuve attestait que les équipages ne quittaient le port habituellement que pour trois jours à la fois. De plus, la feuille d'enregistrement pour le test de dépistage de drogues, qui a été présentée en preuve, contredit la déclaration de M. Dennis selon laquelle il n'était pas au courant. Son nom apparaît sur la liste, ainsi que son numéro de téléphone, son numéro de membre de la bande et une note indiquant [traduction] après 17 h. M. Maloney a témoigné qu'il se souvenait que M. Dennis lui ait téléphoné pour s'inscrire et pour mentionner qu'il préférait se soumettre au test de dépistage après 17 h. M. Maloney a ajouté qu'il ne s'était pas opposé à cette demande, puisque l'EFWC essayait d'être aussi souple que possible afin de garantir que chaque pêcheur subirait le test de dépistage.

[29] En outre, la preuve démontre qu'en mars 2004, après que l'EFWC ait commencé à inscrire des personnes pour le test de dépistage, plusieurs pêcheurs ont formé un groupe qui s'opposait à l'imposition de la politique Apte au travail. M. Dennis a aidé à organiser ce groupe et son nom apparaît à titre de partisan dans une lettre ouverte qui a été préparée avant le 15 mars 2004. La lettre invite tous les résidents d'Eskasoni à se présenter à une réunion organisée par le groupe qui portait sur la politique Apte au travail. La réunion a eu lieu le 22 mars 2004 et le procès-verbal démontre que M. Dennis était présent. Par conséquent, il ne semble pas crédible que M. Dennis déclare qu'il n'a su que quelques jours avant la tenue du test de dépistage que celui-ci aurait lieu.

[30] M. Dennis n'approuvait pas la politique. Il était d'avis qu'il s'agissait d'une attaque du chef et du Conseil de bande contre certains membres de la bande, pour les empêcher de gagner un bon salaire. Après s'être soumis au test de dépistage le 14 mai 2004 (analyse d'urine et alcootest), il a communiqué avec M. Johnston, qui à l'époque était directeur des opérations à l'EFWC, et il a appris qu'il avait échoué l'analyse d'urine parce qu'on y décelé la présence de cannabis. M. Dennis a déclaré en interrogatoire principal qu'on ne lui a pas dit qu'il pouvait subir un autre test cette saison là. Il soutient que M. Johnston lui a dit qu'on ne lui donnerait pas de travail cet été là et qu'il ne pouvait se présenter pour un autre test que l'année suivante, à ses propres frais.

[31] La déclaration de M. Dennis à ce sujet est contraire à la preuve de M. Maloney et au dossier d'entreprise d'East Coast. M. Maloney se souvient avoir discuté au téléphone avec M. Dennis après qu'il ait échoué le premier test de dépistage de drogues préalable à l'emploi. Il se souvient que M. Dennis a déclaré qu'il avait hâte de se soumettre à un autre test et qu'il espérait pouvoir retourner au travail cet été là.

[32] M. Maloney a alors entrepris de prendre un nouveau rendez-vous pour le test de dépistage de M. Dennis, qui devait avoir lieu à l'installation d'East Coast à North Sydney (Nouvelle-Écosse). M. Maloney a témoigné qu'il avait avisé M. Dennis par téléphone qu'un rendez-vous avait été pris pour le 18 juin 2004. M. Dennis ne s'est jamais présenté à son rendez-vous. M. Maloney a alors pris un deuxième rendez-vous pour M. Dennis, le 6 août 2004. M. Maloney se souvient avoir averti M. Dennis qu'il était important qu'il se présente, puisque East Coast avait facturé la bande pour le premier rendez-vous, même si M. Dennis ne s'était pas présenté. Les dossiers d'East Coast démontent que M. Dennis avait un rendez-vous pour ces deux dates, mais qu'il ne s'était présenté à aucune d'elles.

[33] À mon avis, cette preuve est convaincante, alors que je ne suis pas convaincu par la déclaration de M. Dennis selon laquelle on lui a dit de revenir l'année d'après pour subir un deuxième test. Je note qu'une telle réponse ne correspond pas à la politique, qui précise qu'une personne peut se soumettre à un nouveau test jusqu'à quatre fois. Si la personne échoue le quatrième test, elle peut tout de même se soumettre au test une fois de plus l'année suivante. Il s'agit de la seule limite de temps mentionnée dans la politique. Il n'existe aucune limite de temps attachée au deuxième test. Présumément, dès qu'une personne se sent prête à se resoumettre au test, elle peut le faire. Le processus complet de test et de tests subséquents, précisé dans la politique, vise à être terminé avant la fin de la saison annuelle de pêche, conformément au processus de réembauche qui a lieu au début de chaque saison de pêche. Par conséquent, tous les pêcheurs doivent se soumettre à un test chaque année, même si leur résultat était négatif lors de la saison précédente. De plus, la politique prévoit que même dans les pires cas, lorsqu'une personne échoue le test quatre fois, elle n'est inapte à l'emploi que jusqu'à l'année suivante.

[34] Dans son témoignage, M. Dennis a souligné qu'East Coast ne venait à Eskasoni qu'une fois par année pour faire subir le test de dépistage à tous les pêcheurs. Il s'agit possiblement de la source du malentendu au sujet de la date à laquelle il pouvait se soumettre à nouveau au test. La preuve laisse entendre qu'il ait pu refuser de se rendre ailleurs pour se soumettre au test. Cependant, il n'était pas déraisonnable que la bande demande à une personne qui souhaite obtenir un emploi, mais qui a échoué le premier test sur place, de se rendre au bureau d'East Coast à North Sydney (à environ une heure en voiture d'Eskasoni) pour qu'elle se soumettre à un nouveau test, plutôt que de payer East Coast pour que la compagnie ramène son équipement à Eskasoni, simplement pour faire subir le test à une seule personne.

[35] Bien que M. Dennis ne se soit pas rendu à l'installation d'East Coast à North Sydney pour subir le test, il s'est présenté au Centre de santé communautaire d'Eskasoni le 23 juin 2004, où un médecin l'a examiné. Le médecin a écrit à la main une note de cinq lignes pour M. Dennis adressée [traduction] à qui de droit, dans laquelle il déclarait que, en fonction de son examen, M. Dennis semblait [traduction] Apte au travail. Il n'a inscrit aucun autre commentaire et, en particulier, il n'y a aucune mention d'un quelconque test de dépistage de drogues ou d'alcool que le médecin aurait effectué

[36] Comme M. Dennis ne s'est pas soumis à un autre test de dépistage de drogues en 2004, il n'a pas pu travailler comme pêcheur pour l'EFWC cette année là.

[37] Après avoir appris qu'il avait échoué le test de dépistage de drogues, M. Dennis a déposé une [traduction] lettre de grief devant la bande, dans laquelle il se plaignait de [traduction] tests injustes de la part de l'EFWC. Dans sa lettre, il faisait allusion à une manifestation que les pêcheurs membres du groupe de protestation avaient tenue à l'extérieur des bureaux de l'EFWC pendant plusieurs jours en mai 2004. Supposément, le chef les avait rencontrés et avait accepté de permettre aux pêcheurs de travailler, même si les résultats de leur test étaient positifs. Cependant, plusieurs jours après la supposée entente, le Conseil de bande s'est réuni et a réaffirmé que la politique serait en vigueur. M. Dennis mentionne dans son grief la politique de la Commission canadienne des droits de la personne sur les tests de dépistage d'alcool et de drogues, qu'il avait censément examinée. Il a soutenu que la politique de la Commission [traduction] indique clairement qu'on a enfreint ses droits.

[38] Il est intéressant de noter que M. Dennis ne mentionne pas dans sa lettre son besoin d'utiliser la marijuana comme médicament antidouleur pour son cou et ses épaules. Il a mentionné avoir souffert de maux de tête, de fatigue, de dépression, d'insomnie et de perte d'appétit, mais il a attribué ces problèmes aux [traduction] divers stresseurs qu'il vivait en raison de l'application de la politique, qui a causé son [traduction] incapacité à travailler. M. Dennis a annexé la note du médecin, susmentionnée, dans sa lettre de grief.

[39] Le 7 juillet 2004, M. Dennis a déposé la présente plainte en matière de droits de la personne, dans laquelle il déclarait qu'on lui avait refusé un emploi [traduction] en raison du fait [qu'il] souffre d'une déficience physique et [qu'il prend] la drogue marijuana. Cependant, dans son énoncé des précisions, qu'il a déposé conjointement avec la Commission, il ne fait aucune mention d'une déficience physique; il soutient en fait que la bande a fait preuve de discrimination envers lui, fondée sur une déficience ou sur la perception d'une déficience, qu'il a précisée être la dépendance à la drogue. Il n'a fait aucune allégation de discrimination fondée sur toute déficience liée à ses blessures au dos et au cou. Il a exposé son affaire conformément aux allégations qu'il avait présentées dans son énoncé des précisions. La bande, quant à elle, était d'avis que la déficience en question était la dépendance à la drogue et elle a présenté son dossier en conséquence. Bien que la plainte comme telle est un peu ambiguë dans la description de la supposée discrimination, à mon avis, il serait injuste envers la bande de traiter cette affaire comme étant une affaire autre qu'une plainte de discrimination fondée sur une dépendance à la drogue, compte tenu de la façon dont l'affaire s'est déroulée.

E. Le dépistage de 2005-2006

[40] Le dépistage de drogues a été effectué pour tous les pêcheurs à nouveau en 2005 et M. Dennis s'est soumis au test de dépistage le 22 avril 2005. Il a eu un résultat positif pour les cannabinoïdes. En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Dennis s'il avait demandé de subir un autre test en 2005. Il ne s'en souvenait pas, mais il a dit qu'il [traduction] devait avoir fait quelque chose. Aucune preuve au dossier n'indique qu'il a demandé un autre test en 2005.

[41] Alors que la saison de pêche de 2006 approchait, M. Dennis a décidé de prendre des mesures afin de garantir qu'il pouvait réussir le test de dépistage de drogues. Il a complètement arrêté l'utilisation de marijuana. Cependant, il est devenu très déprimé en raison de l'angoisse qu'il ressentait du fait qu'il était incapable de gagner sa vie et de s'occuper du bien-être de sa famille. Un soir, il a commencé à boire de l'alcool, même s'il était sobre depuis sept ans. Il a bu de façon excessive, à un point tel que la GRC a dû intervenir et l'amener au détachement, où il a passé la nuit.

[42] Heureusement pour M. Dennis, un ancien de la collectivité a eu vent de ses troubles et s'est interposé pour aider M. Dennis en l'amenant à une suerie. On a administré à M. Dennis des méthodes de guérison traditionnelles pour l'aider avec sa douleur, y compris l'application de gras d'ours. M. Dennis a témoigné que ces méthodes de guérison l'ont aidé à mieux endurer sa douleur.

[43] Le 24 mars 2006, M. Dennis s'est soumis à nouveau au test de dépistage de drogues. Cette fois, les résultats étaient négatifs. Son nom a donc été ajouté à la liste des pêcheurs disponibles et il a travaillé durant cette saison.

[44] En 2007, M. Dennis ne s'est pas inscrit pour subir le test de dépistage de drogues de l'EFWC. Il semblerait que M. Dennis croyait, avec erreur, qu'il n'avait pas besoin de s'inscrire officiellement pour les tests de 2007 puisqu'il avait obtenu un résultat négatif l'année précédente. Il croyait qu'il pouvait simplement se présenter le jour du test de dépistage et donner son échantillon. Il avait tort. M. Dennis (et tous les pêcheurs) doivent s'inscrire officiellement chaque année pour subir le test de dépistage. Comme M. Dennis ne s'était pas inscrit, il n'avait pas le droit de se présenter pour le test de dépistage en 2007.

[45] En ce qui a trait à la saison de pêche de 2008, l'audience s'est terminée alors que la saison de pêche allait commencer. Le gestionnaire de la pêcherie de l'EFWC a témoigné que M. Dennis ne s'était pas présenté pour son rendez-vous pour le dépistage de drogues prévu le 28 mars 2008. La preuve dont je suis saisi au sujet de cet événement et de la saison 2008 en général est, cependant, insuffisante pour que je puisse tirer de conclusion.

III. LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES EN L'ESPÈCE

[46] La plainte de M. Dennis est soulevée en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'article 7 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu. L'article 10 prévoit que constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite.

[47] L'article 3 prévoit que la déficience fait partie des motifs de distinction illicite. L'article 25 de la Loi précise que le terme déficience comprend la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

[48] Le premier fardeau revient au plaignant, qui doit établir une preuve prima facie qu'il y a eu discrimination (Comm. ont. des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28 (O'Malley)). La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée.

[49] Lorsque le plaignant a établi une preuve prima facie, il revient à l'intimé de fournir une explication raisonnable pour justifier la pratique qui autrement serait discriminatoire (Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 18). Le comportement d'un employeur ne sera pas considéré discriminatoire s'il peut établir que le refus, l'exclusion, l'expulsion, la suspension, la restriction, la condition ou la préférence par rapport à tout emploi était fondé sur des exigences professionnelles justifiées (alinéa 15(1)a) de la Loi). Pour qu'une pratique soit considérée comme une exigence professionnelle justifiée, il doit être établi que l'accommodement des besoins de l'individu ou du groupe d'individus affectés imposerait une contrainte excessive à la personne qui devrait accommoder ces besoins, par rapport à la santé, à la sécurité et aux coûts (paragraphe 15(2) de la Loi).

IV. La plainte fondée sur l'article 7

A. Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie fondée sur l'article 7?

(i) M. Dennis était il déficient (c'est-à-dire toxicomane) au sens de la Loi?

[50] Je conclus que M. Dennis n'a pas démontré qu'il était déficient au sens de la Loi. La preuve établit indiscutablement que M. Dennis consommait de la marijuana, mais elle n'est pas suffisante pour établir une preuve prima facie qu'il avait une dépendance à la drogue.

[51] M. Dennis a témoigné qu'il souffre de douleurs chroniques, depuis l'accident de voiture qu'il a subi en 1988. Plusieurs documents qui datent de 1988 et 1989 ont été déposés. Ces documents précisaient certains des traitements que M. Dennis a reçus après son accident. Sa conjointe a confirmé dans son témoignage les signes externes de douleur que M. Dennis montre encore aujourd'hui. À mon avis, il n'y a aucune raison de douter des déclarations de M. Dennis au sujet de la douleur physique qu'il ressent.

[52] De façon plus importante, cependant, aucune preuve ne m'a été présentée selon laquelle il avait une dépendance à la marijuana lorsqu'il a échoué le test de dépistage de drogues en 2004 et lorsqu'il a déposé sa plainte. Pour établir une preuve prima facie, la preuve présentée doit être suffisante pour porter sur les allégations qui ont été faites. M. Dennis allègue qu'il est dependent à la drogue et qu'il est donc déficient. Cependant, je conclus que cette preuve ne fait que démontrer qu'il consomme cette drogue, et non qu'il en est dépendant. La définition du New Shorter Oxford English Dictionary pour le mot dépendant, dans un contexte pertinent quant à l'article 25 de la Loi, est la suivante :

Resting entirely on someone or something for maintenance, support, or other requirement; obliged to use something; unable to do without someone or something, especially a drug; maintained at another's cost.

[Non souligné dans l'original.]

[traduction]

Se fier entièrement à quelqu'un ou à quelque chose pour subvenir à ses besoins, pour obtenir un soutien, ou pour tout autre besoin; être obligé d'utiliser quelque chose; être incapable de fonctionner sans quelqu'un ou quelque chose, particulièrement une drogue; subvenir à ses besoins aux frais de quelqu'un d'autre.

La version française de l'article 25 utilise l'expression la dépendance [...] envers l'alcool ou la drogue. Le Petit Robert de la langue française, 2006 définit la dépendance, dans ce contexte, comme :

État résultant de la consommation répétée d'une substance toxique, qui se caractérise par le besoin de continuer la prise et d'augmenter les doses.

[53] Ces deux définitions, à mon avis, capturent le sens du terme tel qu'il est utilisé dans l'article 25. En appliquant ces définitions à l'affaire en l'espèce, je conclus que la preuve est insuffisante pour établir une preuve prima facie que M. Dennis était dépendant à la marijuana (c'est-à-dire qu'il était incapable de fonctionner sans cette drogue, ou subsidiairement, qu'il était dans un état dans lequel il devait continuer la prise et augmenter les doses de cette drogue).

[54] Il n'a appelé aucun médecin (même le médecin du Centre communautaire de santé d'Eskasoni, qu'il a vu le 23 juin 2004) à témoigner du fait qu'il était dépendant à la marijuana, et il n'a présenté aucun rapport d'expert à ce sujet. Aucun témoin n'a été appelé pour confirmer l'étendue de sa consommation de marijuana, même si M. Dennis a d'abord déclaré dans son interrogatoire principal que [traduction] tout le monde dans la collectivité était au courant de son [traduction] état et de son [traduction] habitude. Cependant, en contre-interrogatoire, il a témoigné que la majorité des gens dans la collectivité ne savait pas qu'il fumait de la marijuana. Il s'est plaint du fait qu'en refusant de l'embaucher, la bande avait effectivement rendu public le fait qu'il avait échoué le test de dépistage de drogues et d'alcool, et il a vu cela comme un manquement à son droit à la vie privée. Tout compte fait, il me semble que sa consommation de marijuana, en fait, n'était pas très évidente.

[55] M. Dennis a témoigné qu'il utilisait la marijuana comme médicament antidouleur, qu'il en consommait en quantités variées et qu'il tentait [traduction] d'étirer les doses autant que possible. Le fait que la politique le forçait à changer son mode de vie et à utiliser d'autres moyens de composer avec sa douleur au cou et aux épaules le dérangeait. Il préférait utiliser la marijuana plutôt que d'autres médicaments antidouleur, que ses médecins lui avaient prescrits par le passé. Il a déclaré dans son témoignage qu'il se demandait pourquoi la bande exigeait qu'il abandonne sa consommation de marijuana. Cependant, je note à nouveau qu'il n'a pas mentionné de dépendance à la drogue dans la lettre de grief qu'il a envoyée à la bande avant de déposer la présente plainte.

[56] M. Dennis a confirmé qu'en utilisant les méthodes traditionnelles de guérison, il a été capable d'accepter la douleur causée par les blessures qu'il avait subies dans l'accident de voiture de 1988 et de composer avec celle-ci. Il a donc cessé d'utiliser la marijuana pour composer avec la douleur et il a ainsi réussi le test de dépistage de drogues préalable à l'emploi de l'EFWC en 2006. Il a témoigné qu'il n'avait pas ressenti de symptômes de manque après avoir arrêté de consommer de la marijuana. Rien n'indiquait dans son témoignage ou dans la preuve que les méthodes de guérison traditionnelles qu'il avait reçues à la suerie avaient été utilisées afin de traiter sa dépendance à la drogue ou à l'alcool. Il ne s'agissait pas d'un traitement de réadaptation pour les alcooliques ou les toxicomanes.

[57] Pour déterminer si M. Dennis était déficient en raison d'une dépendance à la drogue, je tiens compte du fait que la notion de déficience ne doit pas être interprétée de façon restreinte. La déficience peut exister même s'il n'y a aucune preuve de limite physique ou aucune présence de malaise (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Ville de Montréal, [2000] 1 R.C.S. 665, au paragraphe 76). Néanmoins, dans les circonstances en l'espèce, la preuve au sujet de la consommation de drogues de M. Dennis n'appuie pas sa déclaration selon laquelle il avait une dépendance à la drogue. (La question de savoir si la bande a perçu M. Dennis comme une personne déficiente sera traitée dans la prochaine section de la présente décision).

[58] La déclaration de M. Dennis selon laquelle il consommait de la marijuana régulièrement n'a pas été contredite et les résultats des tests de dépistage de drogues préalables à l'emploi de 2004 et 2005 n'empêchent pas une telle conclusion. Cependant, la consommation régulière de marijuana ne constitue pas nécessairement un usage fréquent. Comme j'expliquerai plus tard dans la décision, des preuves d'expert ont été présentées qui démontraient que même une seule consommation de marijuana serait détectée dans un test de dépistage de drogues, jusqu'à dix jours après la consommation. Des consommations plus fréquentes peuvent être détectées même un ou deux mois plus tard.

[59] Je ne suis pas convaincu que la simple présence de drogue dans son système, ni même le reste de la preuve au sujet de sa consommation de marijuana, établit une preuve prima facie qu'il avait une dépendance à la drogue au sens de la Loi (c'est-à-dire qu'il ne pouvait pas fonctionner sans drogue ou qu'il avait le besoin de continuer la prise et d'augmenter les doses).

(ii) La bande a-t-elle perçu M. Dennis comme étant dépendant à la drogue?

[60] Cependant, comme la jurisprudence dans des cas semblables nous le démontre, le fait qu'un tribunal ne soit pas persuadé qu'un plaignant ait une dépendance à la drogue et que, par conséquent, il souffre d'une déficience, n'est pas fatal à la plainte en matière de droits de la personne de ce plaignant (voir Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc., 2003 TCDP 37, aux paragraphes 82 à 88, Alberta (H.R.C.C.) c. Kellogg Brown and Root (Canada) Company, 2007 ABCA 426, aux paragraphes 29 et 30, demande de pourvoi à la CSC rejetée le 29 mai 2008 (dossier no 32505)). L'interdiction contre la discrimination fondée sur la déficience a été étendue aux affaires dans lesquelles un employeur refuse d'employer un individu en raison d'une perception que l'individu a une dépendance à l'alcool ou la drogue.

[61] On ne m'a présenté aucune preuve qui laisse entendre que la bande a réellement perçu M. Dennis comme étant dépendant à la drogue. M. Dennis n'a certainement pas appelé de témoins ou produit de document qui affirmait l'existence d'une telle opinion. Rien dans la preuve dont je suis saisi n'indique que des questions ont été posées ou que des enquêtes ont été entreprises par la bande afin de déterminer si M. Dennis avait une dépendance à la drogue (voir Milazzo, au paragraphe 90). En fait, M. Maloney a témoigné que la bande n'a jamais supposé qu'un individu, dont le résultat est positif au premier test (comme M. Dennis), avait une dépendance, comme le démontre le fait qu'on n'a pas exigé que M. Dennis et d'autres personnes comme lui subissent une évaluation ou un traitement pour la dépendance à la drogue ou à l'alcool avant qu'ils puissent se soumettre au test pour une deuxième fois.

[62] Aucun des employés de la bande qui ont témoigné à l'audience n'ont déclaré qu'ils savaient que M. Dennis consommait de la marijuana. M. Dennis a soutenu dans son propre témoignage qu'il n'avait jamais été au travail, dans les années précédentes, alors qu'il était sous l'influence de la marijuana. Par conséquent, présumé ment, l'EFWC et la bande n'avaient pu avoir aucun signe externe de sa consommation de marijuana. L'EFWC et la bande avaient encore moins d'indications qui pouvaient les porter à percevoir que M. Dennis avait une dépendance à la drogue.

[63] Comme le Tribunal l'a conclu dans Milazzo, au paragraphe 92, afin de pouvoir se prévaloir des protections de la Loi, un plaignant doit démontrer l'intervention d'un ou de plusieurs motifs de distinction illicite énoncés à l'article 3 de la Loi. Comme M. Dennis n'a pas établi, même en preuve prima facie, qu'il était déficient en raison d'une dépendance à la drogue ou que la bande le percevait comme étant déficient, il n'a pas établi une preuve prima facie de discrimination et, par conséquent, sa plainte fondée sur l'article 7 est rejetée.

V. La plainte fondée sur l'article 10

[64] Contrairement aux plaintes fondées sur l'article 7, qui porte sur les actions d'un employeur qui affecte des individus précis, nommés, l'article 10 traite des effets discriminatoires que les politiques ou les pratiques d'un employeur pourraient avoir ou auraient tendance à avoir sur un individu ou un groupe d'individus (Milazzo, au paragraphe 94). La question n'est donc pas uniquement centrée sur la situation de M. Dennis.

A. Une preuve prima facie a-t-elle été établie au sens de l'article 10?

[65] Une preuve détaillée a été présentée au sujet du problème répandu de consommation de drogues et d'alcool à Eskasoni. Je note que l'un des objectifs que la bande a déclarés lors de l'adoption de la politique était d'encourager et d'appuyer les personnes toxicomanes à établir et à garder une [traduction] qualité de vie sans drogue et sans alcool. Le nombre de résidents d'Eskasoni qui s'inscrivent pour devenir pêcheurs a augmenté de façon importante au cours des ans. Comme la proportion de la population d'Eskasoni qui rejoint les rangs des pêcheurs commerciaux augmente, il devient plus probable que les personnes qui vivent avec un abus d'alcool ou d'autres drogues, et qui ont donc une dépendance à la drogue ou à l'alcool (c'est-à-dire qu'ils ont une déficience au sens de l'article 25), voudront obtenir un tel travail, mais ils échoueront le test de dépistage d'alcool et de drogues. Ceux qui échouent le test seront, au moins temporairement, privés de la possibilité de travailler comme pêcheurs. Comme c'était le cas dans Milazzo, à mon avis, la politique dans l'affaire en l'espèce affectera donc inévitablement les personnes qui souffrent de déficiences liées à la toxicomanie.

[66] Une politique de dépistage de drogues qui a pour effet de priver ces individus, qui relèvent de la catégorie protégée des personnes déficientes, de possibilités d'emploi, est donc discriminatoire à première vue au sens de l'article 10 de la Loi. Je note en passant que l'avocat de la bande a reconnu dans ses observations finales qu'une [traduction] grande quantité de jurisprudence laisse entendre que les [traduction] affaires portant sur le dépistage de drogues de ce genre sont, à première vue, discriminatoires (voir Milazzo, au paragraphe 97).

B. La bande s'est elle acquittée du fardeau de présenter une explication raisonnable?

[67] Comme je l'ai mentionné plus tôt, lorsqu'une preuve prima facie a été établie, le fardeau revient alors à l'intimé de fournir une explication raisonnable. En l'espèce, la bande a tenté de démontrer qu'il existait une exigence professionnelle justifiée pour l'adoption de la politique de dépistage de drogues (alinéa 15(1)a) de la Loi). Pour ce faire, la bande doit établir que le fait d'accommoder ces individus, qui sont soit dépendants à la drogue ou qui sont perçus comme tel, imposerait une contrainte excessive à la bande, compte tenu de la santé, de la sécurité et du coût (paragraphe 15(2) de la Loi).

[68] La Cour suprême a énoncé une approche à trois volets à suivre lorsqu'on cherche à déterminer si une exigence professionnelle justifiée a été établie (voir Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin)). Un intimé peut justifier la pratique contestée en prouvant, selon la prépondérance des probabilités :

  1. que l'employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause;
  2. que l'employeur a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.

(i) La bande a-t-elle adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause?

[69] Cette première étape de l'analyse ne vise pas la validité de la norme, mais plutôt la validité de son objectif plus général (Meiorin, au paragraphe 59). Je suis convaincu, compte tenu de la preuve, que l'objectif de l'adoption de la politique Apte au travail de la bande était d'éviter que des employés soient blessés, ainsi que d'éviter les dommages à la propriété de la bande, en raison d'une déficience causée par la drogue ou l'alcool. À mon avis, ces objectifs sont rationnellement liés à l'exécution du travail des pêcheurs (matelots de pont, second capitaines, capitaines) dans un environnement sécuritaire, ainsi qu'à l'assurance d'une viabilité à long terme de leurs emplois.

(ii) La bande a-t-elle adopté la norme de bonne foi?

[70] À cette étape de l'analyse, l'intimé doit établir qu'il a adopté la norme en croyant honnêtement et de bonne foi qu'elle était nécessaire à l'accomplissement de son objectif, sans aucune intention de faire preuve de discrimination envers le plaignant (Meiorin, au paragraphe 60). Si l'imposition de la norme n'était pas raisonnablement nécessaire ou si elle était motivée par une intention discriminatoire, elle ne peut alors pas être considérée comme une exigence professionnelle justifiée.

[71] Comme je l'ai mentionné précédemment, peu de temps après l'ouverture de la pêcherie commerciale d'Eskasoni en 2001, des rapports ont été présentés au sujet du fait que certains pêcheurs se trouvaient en mer alors qu'ils étaient sous l'influence de drogues ou d'alcool. Le chef actuel de la bande Eskasoni est Charles Joseph Dennis. Il était le directeur de la pêcherie commerciale à cette époque. Il a témoigné qu'il avait reçu de nombreuses plaintes de personnes qui travaillaient sur les navires de la bande et qui étaient inquiètes pour leur sécurité personnelle parce que d'autres pêcheurs travaillaient sous l'influence de drogues ou d'alcool. Le chef Dennis se souvient d'un capitaine qui lui a dit qu'un jour, alors qu'il était en mer, il croyait que tout son équipage était passé par-dessus bord. Au moment où il allait appeler la Garde côtière, il a remarqué des volutes de fumée qui venaient de l'intérieur du canot de sauvetage du navire. Ses trois matelots de pont s'étaient glissés à l'intérieur pour fumer de la drogue.

[72] Thomas Johnston, qui était le directeur de l'exploitation de l'EFWC jusqu'en 2004, a témoigné qu'une fois, un capitaine était si saoul alors qu'il pêchait qu'il s'est évanoui. L'un des matelots de pont à dû ramener le navire au port et ce faisant, il a frappé le navire contre le quai. M. Johnston a aussi entendu parler du fait que certains pêcheurs faisaient du trafic de drogue sur les navires de pêche de la bande. Comme je l'ai déjà mentionné, il y a une consommation et un abus généralisés d'alcool et de drogues au sein de la collectivité d'Eskasoni.

[73] Par conséquent, la bande soutient qu'elle a adopté la politique Apte au travail en croyant honnêtement et de bonne foi que cette politique aiderait à prévenir ou à réduire la consommation d'alcool ou de drogues par ses employés et ainsi les empêcher de se blesser ou de causer des dommages à la propriété de la bande. La bande espérait aussi que la politique aurait l'avantage d'aider à freiner la consommation de drogues ou d'alcool au sein de la collectivité en général.

[74] M. Dennis semblait laisser entendre dans son témoignage que la politique avait été adoptée pour un tout autre objectif : celui d'affecter défavorablement certains individus ou certaines familles au sein de la collectivité d'Eskasoni. Cependant, la preuve n'appuie pas cette interprétation. Les procès-verbaux d'un certain nombre de réunions du Conseil de bande ont été présentés à l'audience. Ils font part de l'appui général des conseillers pour l'adoption de la politique. Ils ont déclaré que leurs motifs pour l'appui de cette politique sont tous liés à la sécurité en milieu de travail et à l'encouragement à vivre sans toxicomanie dans la collectivité. Aucun autre motif n'a été énoncé. M. Dennis a laissé entendre que certains des conseillers ont été forcés d'adopter cette position d'appui envers la politique, mais il n'a présenté aucune preuve de cette interprétation. Aucun témoin et aucune preuve n'a confirmé sa déclaration. Dans son témoignage, M. Maloney a déclaré que des [traduction] problèmes de famille existent dans toute petite collectivité et que des [traduction] guerres de clans et des factions peuvent avoir [traduction] joué un petit rôle, mais que la question principale pour la bande était celle de la sécurité et du maintien de la productivité et de la viabilité de la pêcherie. Il n'a pas précisé la façon dont ces guerres se sont déroulées. M. Johnston a reconnu qu'il y a eu une dispute entre certaines familles au sujet de la politique, mais cela n'est arrivé qu'après l'adoption de la politique, alors que les groupes au sein de la collectivité ont commencé à prendre des positions au sujet de sa mise en uvre. Il convient de noter qu'aucune des cibles alléguées de la politique Apte au travail n'ont été appelées comme témoin afin de préciser si elles avaient perçu la situation de la même façon que M. Dennis.

[75] De façon peut-être plus importante, comme la question porte sur le deuxième des trois volets énoncés dans l'analyse Meiorin, il n'y a eu aucune affirmation ou preuve présentée selon laquelle l'intention de la bande, telle que l'a exprimée la Cour suprême dans Meiorin, était de faire preuve de discrimination envers certaines personnes qui avaient une dépendance à la drogue (c'est-à-dire qu'elles étaient déficientes). M. Dennis soutient dans sa plainte que c'est ce groupe qui a été visé par la discrimination.

[76] Je conclus que la preuve au sujet des allégations de motifs cachés de la bande quant à l'adoption de la politique n'est pas convaincante. Il ne s'agit de rien de plus que des hypothèses de la part de M. Dennis. Je suis convaincu que la bande a établi que la politique a été adoptée en croyant de bonne foi qu'elle était nécessaire à l'atteinte des objectifs précisés dans la première étape de l'analyse Meiorin.

(iii) La norme est-elle raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail?

[77] Afin de répondre à ce volet de l'analyse, la bande doit démontrer qu'elle ne pouvait pas accommoder les personnes qui avaient une dépendance à la drogue ou à l'alcool (c'est-à-dire les personnes déficientes) qui obtenaient des résultats positifs quant à la présence de drogues ou d'alcool dans leur corps, sans qu'elles ne subissent de contraintes excessives au sujet de la santé, de la sécurité et du coût (paragraphe 15(2) de la Loi). La bande soutient qu'elle aurait subi des contraintes excessives dans ce cas, tant sur le plan du facteur de la sécurité que du facteur du coût.

a) La sécurité comme préoccupation - un environnement de travail sécuritaire

[78] La bande soutient qu'elle doit faire tous les efforts possibles afin d'éviter que les employés sous l'influence de l'alcool et de la drogue travaillent sur ses navires, pour assurer la sécurité de ces mêmes employés. La bande doit donc exiger que ses travailleurs subissent un test de dépistage de drogues et d'alcool. Tout accommodement qui empêcherait la bande d'interdire l'accès à ses navires aux employés qui échouent le test imposerait une contrainte excessive à la bande.

[79] Quant à la question de la sécurité en milieu de travail, M. Dennis a reconnu dans son énoncé des précisions, préparé conjointement avec la Commission, que le travail d'un capitaine d'un navire de pêche commerciale est [traduction] essentiel à la sécurité. M. Dennis n'a pas fait une telle concession quant aux autres emplois disponibles sur les navires de pêche de la bande. Quant à elle, la bande soutient que la sécurité est une préoccupation majeure pour tous les employés qui pêchent sur ses navires (capitaines, second capitaines et matelots de pont).

[80] Aux fins de cette analyse, je ne crois pas qu'il est important de faire une distinction entre le travail supposément essentiel à la sécurité et le travail qui n'est pas essentiel à la sécurité. Ce qu'il faut réellement déterminer, c'est si le fait d'accommoder le groupe d'individus en question (les personnes qui ont une dépendance à la drogue ou à l'alcool) imposerait une contrainte excessive à la bande au sujet de la sécurité, comme la question a été soulevée en l'espèce.

[81] Greg Johnstone, le conseiller qui a aidé à préparer l'ébauche de la politique Apte au travail, a été appelée par la bande à témoigner à titre d'expert en gestion du risque en milieu de travail, en sécurité et santé au travail, ainsi qu'en toxicologie. Son expertise dans ces domaines a été établie à l'audience. M. Johnstone a déclaré qu'en ce qui a trait au devoir de tout employeur d'assurer la santé et la sécurité de tous les [traduction] partis à l'environnement de travail, la règle ou le principe directeur en est un de prévention. L'un des principaux éléments d'un système de gestion de la santé et de la sécurité est l'identification, l'évaluation et le contrôle des dangers. Plus l'exposition au danger qui pourrait entraîner des accidents ou des dommages est grande, plus la sécurité devient une préoccupation pour l'emploi, ce qui justifie le besoin d'une reconnaissance, d'une évaluation, d'un contrôle et d'une prévention efficaces des dommages associés au danger.

[82] Dans le cas d'une exploitation commerciale de pêche telle que celle de la bande, la nature même des activités et de l'exposition aux éléments crée beaucoup de dangers, de risques et de probabilités de dommages qui, d'après M. Johnstone, rendent le travail [traduction] en terme de postes hautement critiques pou la sécurité. Dans ce contexte, je présume qu'il veut dire que la sécurité devient donc une question plus préoccupante en raison des conditions de travail dominantes. M. Johnstone a noté que la sécurité devient une préoccupation même en ce qui a trait à l'emploi le plus banal sur un navire qui est en mer et loin des côtes parce que, si une situation d'urgence se présente (par exemple une mer agitée, un feu à bord, récupérer une personne qui est passée par-dessus bord, etc.), on s'attend à ce que tous les employés aident. M. Maloney a témoigné que les navires de pêche se rendent de 100 à 200 km au loin de la côte, où le temps et les conditions de l'océan changent rapidement. Il arrive que des fenêtres soient détruites par une mer agitée sur les bateaux et il arrive que les équipages aient à couper leurs lignes de pêche et à retourner rapidement au port.

[83] M. Johnstone a mentionné un certain nombre d'études au sujet de la sécurité des navires de pêche qui confirmaient la nature dangereuse de la pêche commerciale. Il a aussi cité le Nova Scotia Workers' Compensation Board Rate Book, qui énumère les primes payables par les employeurs. Ces primes varient selon les niveaux d'indemnisation que la commission à dû payer aux employés par le passé. D'après M. Johnstone, le risque de dommages réel associé à certains types d'emplois est reflété par l'importance des primes. Les primes pour les emplois dans le domaine de la pêcherie commerciale (en mer) se trouvent près du maximum de l'échelle pour la province. M. Johnstone est d'avis que dès qu'un employé embarque sur un navire et quitte le port, la nature même de l'emploi devient dangereuse en raison de nombreux risques et des circonstances dans lesquelles ces risques peuvent entraîner des dommages et même la mort.

[84] M. Dennis a mentionné certains de ces risques dans son propre témoignage. Son navire est tombé en panne quatre fois en un an et a dû être remorqué jusqu'au port. Il a déclaré que bien que le service de Garde côtière ne laissait pas les pêcheurs quitter le port lors de journées plus [traduction] venteuses, il est parfois allé en mer alors qu'elle était agitée. Lorsqu'il travaille sur des navires qui pêchent du crabe des neiges, l'équipement qu'il utilise comprend une vire qui est composé d'un système de poulies et d'installations hydrauliques, qui sort les pièges de l'eau. Le capitaine contrôle le vire, alors que les matelots de pont attrapent les cordes, vident les pièges, mettent d'autres appâts et placent les pièges à l'extérieur du navire pour qu'ils soient jetés à l'eau. Les navires qui pêchent la crevette utilisent un treuil qui soulève un filet. Les matelots de pont vident le filet lorsqu'il est amené à bord et ils placent les crevettes dans des sacs. M. Dennis a reconnu que si l'équipement utilisé dans la pêche commerciale n'est pas entretenu correctement, les pêcheurs pourraient être blessés si, par exemple, un câble est endommagé ou l'une des poulies se détache.

[85] M. Dennis était le seul matelot de pont sur les navires pour lesquels il a travaillé qui portait un gilet de sauvetage (qu'il s'était acheté lui-même). Les matelots de pont ne sont pas obligés de porter un gilet de sauvetage en mer, ce qui les expose à un plus grand risque de danger s'ils passent par-dessus bord et qui, on pourrait le croire, risquerait de rendre la tâche difficile pour le reste de l'équipage qui tenterait de les sauver. M. Dennis se souvient aussi d'un incident lors duquel un autre matelot de pont a plongé dans l'eau pour démêler une corde qui était prise dans le propulseur du bateau. Cette personne a été gravement blessée en faisant cela.

[86] À mon avis, la preuve est plus que convaincante que les conditions de travail mettent encore plus à risque la sécurité de tous les employés qui travaillent sur les navires de pêche de la bande, y compris les matelots de pont.

b) Le travail avec les facultés affaiblies pose un danger à la sécurité

[87] D'après M. Johnstone, une personne dont la capacité fonctionnelle et l'aptitude au travail dangereux est compromise en raison de consommation de drogues ou d'alcool pose un danger important pour sa propre sécurité et celle des autres dans ce type d'environnement de travail. Il faut approcher un tel danger avec la même prudence et diligence raisonnable qu'on utiliserait dans la présence, par exemple, d'équipement défectueux ou inadéquat, d'un manque de compétence de la part des employés ou dans des conditions de travail insécures. Dans ces circonstances, un employeur doit appliquer les mêmes principes et mesures de gestion saine de la sécurité à une personne, qui au fond représente un danger, qu'il appliquerait à un danger qui n'est pas de nature humaine. C'est-à-dire que l'employeur doit activement chercher, évaluer, surveiller et contrôler les dangers respectifs afin de prévenir les résultats défavorables qui pourraient raisonnablement découler de la situation si elle n'était pas contrôlée. M. Johnstone compare cette approche au concept de gestion du risque connu sous le nom de principe de précaution, qui prévoit que des mesures de protection doivent être prises par les intervenants lorsqu'il y a des preuves raisonnables que l'omission de le faire entraînerait des dommages.

[88] La politique Apte au travail adoptée par la bande prévoyait que le test de dépistage porterait sur la présence de l'alcool et de cinq types de drogue (connu sous le nom de test Panel V) :

Cannabis (marijuana, hachisch, huile de cannabis);

Amphétamines (par exemple le speed, la crystal meth);

Les opioïdes ou les opiacés (par exemple la morphine, l'oxycodone);

La cocaïne (y compris le crack);

La phencyclidine (PCP) (un anesthésique général de vétérinaires).

M. Johnstone a mentionné que le test Panel V était un test [traduction] typique et qu'il s'agissait de la [traduction] norme de l'industrie. Toutes ces drogues peuvent affecter les fonctions d'une personne dans la période suivant immédiatement la consommation.

[89] D'après M. Johnstone, la simple présence d'une drogue qui est reconnue comme une substance pouvant affecter les fonctions du travailleur devrait être un fondement suffisant pour avoir recours au principe de précaution, c'est-à-dire en retirant l'employé en question du lieu de travail où la sécurité est essentielle, jusqu'à ce qu'une évaluation adéquate et une gestion des risques associés soit terminée, particulièrement dans les cas où la quantité de drogue détectée dépasse les niveaux acceptables.

[90] Cette preuve est convaincante. À mon avis, il est évident qu'un employé qui travaille sous l'influence d'une drogue ou de l'alcool pose un danger important à sa propre sécurité et à celle des autres dans un environnement de travail comme celui des navires de pêche de l'EFWC.

c) Le test de de dépistage de drogues et d'alcool est-il un moyen efficace de détecter la présence d'un danger en milieu de travail?

[91] M. Dennis soutient que le processus de dépistage de drogues et d'alcool est inefficace comme moyen de détecter la présence en milieu de travail d'un danger lié aux facultés affaiblies des travailleurs. Il allègue, par exemple, que le dépistage des cannabinoïdes ne mesure pas l'affaiblissement actuel des facultés, mais simplement la présence de la drogue dans le corps de l'individu causée par une consommation antérieure. M. Johnstone a expliqué dans son témoignage que le cannabis est une drogue qui est absorbée par le gras corporel. Bien que le niveau de présence de la drogue dans le sang puisse diminuer, une quantité continue de s'échapper du gras corporel. Une seule consommation de marijuana peut être décelée (c'est-à-dire qu'elle dépassera les niveaux établis par la politique Apte au travail) jusqu'à dix jours plus tard. Une consommation régulière (toutes les semaines ou tous les jours) peut être décelée un ou même deux mois plus tard.

[92] Par conséquent, est-il utile d'effectuer un test de dépistage pour des drogues telles que les cannabinoïdes si la consommation peut avoir eu lieu des semaines plus tôt et si le test de dépistage n'est pas effectué alors que la personne se trouve au travail? M. Johnstone a témoigné qu'il reste des effets persistants et résiduels associés à la consommation de drogues, y compris les cannabinoïdes. Ces effets comprennent des perturbations continues dans les fonctions du corps (des perturbations au niveau du sommeil et des hormones), des déficiences nutritionnelles, des dommages en matière de santé ou de toxicité causés aux organes, des préoccupations avec des difficultés en matière de relations et même des problèmes financiers ou juridiques associés à la consommation de drogues. Même si une personne a suspendu ou a arrêté sa consommation de substances, l'un ou plusieurs de ces symptômes peuvent contribuer à une rechute ou à un retour à la consommation, possiblement alors que la personne se trouve sur le navire. En ce qui a trait à l'alcool, M. Johnstone a mentionné les gueules de bois, qui peuvent se poursuivre même si l'alcool n'est plus présent dans le sang d'un individu. Les effets persistants tels que les maux de tête et la fatigue continueront d'affaiblir les facultés d'une personne et lui causeront ainsi des risques.

[93] M. Johnstone a témoigné que certaines drogues comme le PCP, la cocaïne ainsi que la marijuana, lorsqu'elles sont prises en fortes doses, peuvent causer au consommateur des flashbacks longtemps après la consommation. Ces flashbacks entraînent des perceptions sensorielles qui peuvent porter le consommateur à devenir préoccupé par des fantasmes, de mauvais souvenirs ou d'autres distractions, qui affaiblissent ses facultés. De tels flashbacks sont particulièrement importants dans le cas de consommation de drogues comme le PCP. M. Johnstone a noté que de nos jours, du PCP est parfois ajouté aux drogues de la rue comme la marijuana afin d'en augmenter les effets, simulant ainsi un produit de [traduction] bonne qualité.

[94] Dans un sens plus large, en ce qui a trait à la signification du dépistage positif chez certaines personnes, même si elles n'ont plus les facultés affaiblies, M. Johnstone mentionne que la détection d'une drogue qui est reconnue pour mettre en danger la sécurité d'un employé peut et devrait être traitée de la même façon qu'un policier est alerté à la nécessité d'examiner le taux d'alcoolémie d'un conducteur lorsqu'il sent de l'alcool dans son haleine. Comme M. Johnstone le note, le grave problème du point de vue de la sécurité est le haut niveau d'incertitude associée à un résultat positif, sans savoir la portée de l'affaiblissement des facultés, le cas échéant, du travailleur et de la façon dont cela pourrait augmenter les risques. À son avis, le dépistage de drogues est une mesure efficace et utile qui donne un certain fondement objectif à partir duquel il est possible de prendre d'autres mesures qui pourraient efficacement traiter le problème. Comme le Tribunal l'a conclu dans Milazzo, au paragraphe 171, bien qu'un résultat positif de dépistage de drogues n'indique pas que les facultés de l'employé étaient réellement affaiblies alors qu'il se trouvait au travail, il sert de drapeau rouge qui peut aider à cibler les employés qui posent un risque plus grand.

[95] Y a-t-il d'autres moyens d'évaluer le risque? La bande pourrait-elle se fier aux pêcheurs eux-mêmes pour qu'ils refusent de travailler sur un navire lorsqu'ils sont sous l'influence de drogues ou d'alcool? M. Dennis a témoigné qu'il n'avait jamais travaillé alors qu'il était sous l'influence de la marijuana. Une telle assurance, cependant, n'empêche pas la possibilité que les pêcheurs continuent de subir les effets persistants après usage que M. Johnstone a mentionné dans son témoignage. De façon plus importante, M. Johnstone a noté que les consommateurs de drogues risquaient peu d'être enclins à aviser leurs superviseurs de leur consommation de drogues ou de l'affaiblissement de leurs facultés et qu'en fait, il est plus probable qu'ils nient leur consommation ainsi que les effets de la drogue sur eux. Lorsqu'un consommateur de drogues atteint un niveau avancé de consommation ou d'accoutumance (étapes qui, présumément, relèveraient de la définition de dépendance à la drogue au sens de l'article 25 de la Loi), de nombreuses manifestations de cet état contribuent à la négation et à leur incapacité d'évaluer leur propre niveau d'aptitudes.

[96] Peut-on se fier aux superviseurs pour remarquer les facultés affaiblies en raison de consommation de drogues parmi les employés? La politique Apte au travail avait prévu cette possibilité. Dans la liste de responsabilités de la gestion prévues dans la politique, les gestionnaires ont la directive de confronter les employés au sujet de tout affaiblissement des capacités qu'ils ont remarqué et de suggérer à ces employés de se soumettre à une évaluation et à un traitement approprié, ou même de les référer directement. Les gestionnaires peuvent envoyer les employés qu'ils soupçonnent avoir consommé de la drogue ou de l'alcool à un test de dépistage. Dans la période précédant la mise en uvre de la politique, la bande a fourni une formation, pendant les séances d'information qui ont été données exclusivement aux capitaines, sur la façon de cibler les employés qui ont consommé des drogues.

[97] M. Johnstone a témoigné que, bien que les observations subjectives puissent être utiles, il ne s'agit pas d'un moyen efficace d'évaluer les risques. Tout d'abord, les interactions entre le superviseur et l'employé peuvent être insuffisantes pour permettre au superviseur de remarquer un affaiblissement des facultés. Évidemment, les navires de pêche de la bande ne constituent pas un environnement de travail très large, mais néanmoins, on a témoigné qu'au moins un capitaine a été tellement préoccupé par ses propres tâches qu'il n'a pas remarqué que son équipage complet s'était caché dans un canot de sauvetage pour consommer de la drogue. Ce qui est le plus inquiétant, c'est l'état des superviseurs eux-mêmes. Comme je l'ai mentionné, on a rapporté certains incidents au cours desquels des capitaines avaient les facultés affaiblies par des drogues ou de l'alcool. En mer, il n'y a personne pour les surveiller. Finalement, même le superviseur le mieux formé peut être déjoué efficacement par un employé qui a consommé de la drogue. M. Johnstone a témoigné que malgré ses nombreuses années de formation et d'expérience dans les domaines de la toxicologie et de l'affaiblissement des facultés, il peut être manipulé par une personne expérimentée qui a des antécédents de consommation de drogues. Le dépistage de drogues et d'alcool, par conséquent, sert d'outil scientifique objectif qui ne peut pas être déjoué comme une personne qui tirerait des conclusions fondées uniquement sur une observation subjective des yeux ou du comportement d'une personne, par exemple.

[98] Certains peuvent aussi douter de l'efficacité du dépistage, compte tenu de la possibilité qu'un individu pourrait éviter de consommer des drogues ou de l'alcool avant de se soumettre au test, pourrait réussir le test de dépistage, mais ensuite consommer des drogues ou de l'alcool par après et même travailler alors qu'il en subit encore les effets. M. Johnstone a répondu à cette préoccupation en mentionnant que le test de dépistage préalable à l'emploi est une occasion d'examiner un employé avant de placer cette personne et ses collègues dans une situation dangereuse. Cependant, il est possible que cette personne obtienne un résultat négatif et qu'elle consomme ensuite des drogues et se rende au travail avec les facultés affaiblies. Néanmoins, le processus en vaut la peine puisqu'il aide à cibler les personnes qui ont une telle dépendance qu'ils en ont perdu toute maîtrise de soi et qui ne peuvent plus gérer leur consommation, même pour la seule période du test de dépistage.

[99] Par conséquent, je suis convaincu que le processus de dépistage de drogues et d'alcool de la bande est un moyen efficace de détecter la présence de dangers à la sécurité en milieu de travail et, en définitive, d'atteindre l'objectif d'empêcher les pêcheurs de travailler lorsque leurs facultés sont affaiblies.

d) Le facteur du coût - les répercussions sur la pêcherie commerciale de la bande

[100] La sécurité n'est pas la seule raison pour laquelle la bande est préoccupée par les dangers et les risques créés par la présence en milieu de travail d'employés dont les facultés sont affaiblies. La bande compte énormément sur les profits de la pêcherie commerciale pour garantir le bien-être général de la collectivité et de ses membres. La bande était préoccupée par les pertes financières qu'elle subirait si les opérations de la pêcherie devaient être interrompues.

[101] Les finances de la bande d'Eskasoni sont dans un état critique depuis des années. En 1995, son déficit accumulé avait atteint 14 millions de dollars. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) est intervenu et a imposé un système de cogestion de la bande, en fonction duquel une entreprise indépendante de vérification a été nommée comme Co-gestionnaire des opérations de la bande. Depuis 2001, Alan Simpson, un comptable agréé, occupe le poste de Co-gestionnaire de la bande. Il a témoigné qu'un plan de 15 ans a été mis en place afin de réduire le déficit à raison de 875 000 $ par année. La bande doit atteindre cet objectif tout en continuant de fournir des services à la collectivité, services qui comprennent l'aide sociale (environ 10 millions de dollars par année), l'éducation (un autre 10 millions de dollars par année) et le logement (environ 1 million de dollars par année). Le budget total d'exploitation de la bande est d'environ 50 millions de dollars. D'après M. Simpson, le financement du MAINC et d'autres gouvernements ne dépasse pas 30 millions de dollars. La bande se fie donc sur d'autres sources de financement pour équilibrer son budget et atteindre ses objectifs de réduction du déficit. Ces autres sources comprennent le jeu, la vente de tabac et la pêcherie commerciale. Cette dernière contribue environ 2 millions de dollars net annuellement au budget. Sans l'infusion des revenus de la pêcherie commerciale, la bande serait incapable de respecter ses objectifs. Elle devrait donc couper du financement dans des secteurs tels que le logement ou l'aide sociale. Le fait que la bande se fie sur les revenus de la pêcherie commerciale et sur d'autres sources locales de financement est accentué par le fait que la population de la bande, d'après le gestionnaire de la bande, Gerard Francis, augmente à un taux beaucoup plus élevé que le taux d'augmentation de financement du gouvernement.

[102] La bande a fait face à des défis importants en ce qui a trait au maintien de son revenu découlant de la pêcherie commerciale. Les prix des fruits de mer ont grandement diminué depuis 2001, lorsque, suivant l'entente Marshall, la pêcherie commerciale de l'EFWC a lancé ses opérations. Il n'y a eu qu'une augmentation très modeste des prix au cours de la dernière année, uniquement en ce qui a trait à quelques-unes des espèces capturées. De plus, l'augmentation des frais d'exploitation, notamment le carburant pour les navires, menace de diminuer les profits, bien que ce phénomène n'était probablement pas un facteur aussi important en 2004, auquel moment M. Dennis a déposé sa plainte. Le fait est que la viabilité de la pêcherie commerciale de la bande est fragile; beaucoup de facteurs peuvent mettre cette viabilité en jeu. En même temps, la bande se fie énormément aux revenus qui en découlent, sans compter que près de cent pêcheurs et leur famille dépendent du revenu qu'ils obtiennent du travail saisonnier et des prestations d'assurance-emploi auxquelles ils ont droit lors de la saison morte. Les possibilités d'emploi à Eskasoni sont limitées et le taux de chômage est élevé. Par contre, le fait que cet emploi rémunérateur existe diminue la demande en matière d'aide sociale auprès de la bande.

[103] La bande soutient que si elle permet la consommation d'alcool et de drogues sur ses navires, sans la contrôler, cette source de revenu sera en danger. M. Maloney a mentionné dans son témoignage qu'en 2003, des problèmes ont fait surface en ce qui a trait à la disponibilité des équipages. Les appels au travail pour les matelots de pont se font à toute heure de la journée, même la nuit, en raison des changements au niveau du temps et de la marée. Les navires d'Eskasoni partent de ports qui se trouvent à une certaine distance de la collectivité (par exemple de Louisbourg ou d'Arichat), ce qui signifie que les équipages ont besoin d'un peu de temps pour se rendre aux navires. La [traduction] période propice est donc courte. Selon M. Maloney, beaucoup de membres d'équipage ne répondaient pas à ces appels au travail, souvent en raison d'une consommation de drogues ou d'alcool. Ils n'étaient simplement pas en état de travailler. En 2003, beaucoup de marchandise a été laissée en mer, y compris 300 000 lbs de crevettes, ce qui représente environ 600 000 $. D'autres bandes ont été invitées à pêcher ces crevettes.

[104] Gerard Francis, le gestionnaire de la bande, a témoigné qu'il craignait que le MPO enlève les permis de pêche de la bande et qu'il saisisse ses navires s'il découvrait des équipages qui consommaient des drogues ou de l'alcool alors qu'ils étaient en mer. Une autre préoccupation dont la bande était au courant lorsque la politique a été adoptée, d'après les déclarations de plusieurs témoins, était la possibilité de responsabilité criminelle, conformément aux modifications au Code criminel qui sont entrées en vigueur après la mort tragique qui a eu lieu à la mine Westray en Nouvelle-Écosse. Le projet de loi C-45 a imposé une obligation explicite à ceux qui ont la responsabilité de diriger le travail d'autres personnes, soit l'obligation de prendre des mesures raisonnables afin de prévenir les blessures corporelles ou les blessures mortelles parmi les employés. Si un employeur ne respecte pas cette obligation, l'organisation et ses cadres supérieurs pourraient être accusés d'un acte criminel, puni par des amendes élevées. L'avocat de la bande à l'époque avait informé le Conseil de bande de l'existence de ces nouvelles dispositions.

[105] Par conséquent, en tenant compte de toutes les circonstances, à mon avis, la bande a établi qu'elle subirait des contraintes tant au niveau de la sécurité que du coût si elle ne mettait pas en uvre une politique visant à empêcher les membres des équipages de travailler sur ses navires alors qu'ils sont sous l'influence de drogues et d'alcool. Cependant, il reste une question à trancher : cette contrainte est-elle excessive?

e) La contrainte de la bande est-elle excessive?

[106] Pour trouver une réponse à la question, les tribunaux doivent tenir compte des diverses façons dont les capacités de chaque individu peuvent être accommodées. Ils doivent aussi être innovateurs tout en étant pratiques lorsqu'ils étudient la meilleure façon de le faire dans les circonstances en cause (Meiorin, au paragraphe 64).

[107] L'une des approches qui a été suggérée dans Meiorin quant à l'exploration de l'accommodement des capacités d'un individu est d'examiner s'il existe différentes façons d'effectuer le travail qui est disponible. En l'espèce, la preuve démontre que c'est impossible. Le seul travail qui peut être effectué par les pêcheurs est en mer, à titre de matelots de pont, de seconds capitaines ou de capitaines. Les dangers et les risques liés à la pêche en mer ne peuvent pas être dissociés des tâches liées à ces emplois. M. Johnstone a témoigné que même les employés qui ont d'autres tâches sur les navires de pêche commerciale, tels que les cuisiniers, sont exposés aux mêmes dangers et risques que les autres membres de l'équipage. On s'attend à ce qu'ils aident les autres membres de l'équipage s'il y a une urgence en mer. De plus, ils peuvent faire face aux dangers particuliers liés à leurs emplois spécifiques, tels que le feu ou l'explosion de carburant et d'ingrédients utilisés pour cuisiner. Quoi qu'il en soit, aucune preuve ne m'a été présentée quant à l'existence d'emplois autres que ceux de matelots de pont, de second capitaines et de capitaines qui sont disponibles sur les navires de l'EFWC.

[108] M. Dennis soutient que l'EFWC devrait offrir d'autres emplois dans des postes qui ne sont pas essentiels à la sécurité pour les employés dont le résultat du test de dépistage est positif, au moins pendant la période au cours de laquelle ces employés reçoivent des conseils ou des traitements pour leur dépendance à la drogue ou à l'alcool. Il a même suggéré que si aucun autre emploi n'était disponible, ces pêcheurs devraient continuer de recevoir une certaine [traduction] compensation pendant leur traitement.

[109] M. Johnston, le directeur général de l'EFWC, a témoigné que, à part les équipages de pêche, la pêcherie commerciale employait environ dix personnes pendant la haute saison de pêche, dont la plupart étaient mises à pied à la fin de la saison. Ces postes comprennent deux [traduction] surveillants, qui s'occupent de la sécurité sur les quais, deux répartiteurs ou [traduction] personnes qui s'occupent des appels au travail, une personne qui organise l'horaire de travail et une personne qui déplace les pièges et les lignes de pêche sur le quai. Un certain nombre d'employés qui ont de l'expérience en science travaillent aussi dans la section de recherche et l'EFWC emploie aussi trois commis comptables et comptables à temps plein. M. Leonard Denny, le gestionnaire de la pêcherie commerciale, a témoigné que même en été, la pêcherie commerciale est très rigoureuse en ce qui a trait à la dotation, qui est composée des pêcheurs et des quelques employés susmentionnés. Il n'y a aucun autre emploi disponible.

[110] En fonction de la preuve que la bande a présentée, je suis convaincu qu'il n'existe aucun emploi substitut qui peut être offert, dans la pêcherie commerciale, aux personnes qui ont échoué le test de dépistage de drogues, et il serait déraisonnable de s'attendre à ce que la bande crée de tels emplois ou paye simplement les pêcheurs pendant qu'ils suivent un traitement pour leur dépendance (voir Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2000 CSC 43, aux paragraphes 15 à 18; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Tribunal des droits de la personne), [1997] A.C.F. no 1734 (Q.L.)(1re inst.) (Dumont-Ferlatte), au paragraphe 44). Il convient de noter que les pêcheurs comme M. Dennis ne sont pas des employés permanents, même s'ils ont la possibilité d'être réembauchés chaque année. Le salaire que ces pêcheurs reçoivent est généré par la vente des fruits de mer qu'ils pêchent. La pêcherie commerciale n'a aucune autre source de revenu. De façon plus importante, la preuve démontre clairement que la pêcherie commerciale a été établie en vue de générer de l'emploi et des revenus pour la bande et ses membres; elle ne visait pas à servir de remplacement pour le programme d'aide sociale de la bande.

f) La politique impose-t-elle un fardeau excessif aux employés?

[111] M. Dennis a soutenu que la politique en matière de dépistage de drogues de la bande imposait un fardeau excessif aux personnes à qui elle s'appliquait. Selon Meiorin, au paragraphe 65, il s'agit d'un des facteurs dont on peut tenir compte lorsqu'on évalue si une politique était raisonnablement nécessaire. Il a insisté sur le fait que la politique était injuste envers les personnes comme lui qui obtenaient un résultat positif au test de dépistage et à qui on refusait un emploi, mais qui réellement n'avaient jamais été pris à travailler alors que leurs facultés étaient affaiblies.

[112] Cependant, même si certaines personnes croient qu'une politique d'un employeur est [traduction] injuste, elle ne constitue pas nécessairement un manquement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Comme le Tribunal l'a souligné dans Milazzo, au paragraphe 180, le fait qu'un employé ait un résultat positif dans un test de dépistage de drogues imposé par un employeur ne signifie pas automatiquement que l'employé a une déficience et qu'il a donc droit à la protection de la Loi.

[113] La possibilité qui existe en vertu de la politique Apte au travail, qui permet à l'employé de se soumettre à un autre test de dépistage, d'obtenir une évaluation et de recevoir un traitement, contraste nettement avec la composante de la politique dans la décision Milazzo, en fonction de laquelle le Tribunal a conclu que cette politique ne respectait pas les exigences de la Loi. Dans cette affaire, on a simplement enlevé les offres d'emploi aux employés éventuels qui souffraient de déficiences liées à la drogue, sans que l'employeur ait d'abord examiné la question de l'accommodement. Le Tribunal a conclu que les employeurs n'avaient pas le droit de mettre en uvre une telle pratique. Le Tribunal a mentionné le contraste entre le traitement des employés éventuels et la possibilité que l'employeur donne à ses employés existants qui, de leur propre gré, l'informaient de leur problème quant à la drogue ou à l'alcool. L'employeur permettait à ses employés existants de se réadapter et de revenir au travail. Le Tribunal a fait valoir qu'à tout le moins, l'employeur devait offrir un type semblable d'accommodement aux employés éventuels.

[114] En l'espèce, je note que la politique Apte au travail offre beaucoup plus d'accommodement aux employés éventuels que la politique dont il était question dans l'affaire Milazzo. Par conséquent, la politique reflète la directive qui a été donnée dans Meiorin, au paragraphe 68, selon laquelle la norme établie par l'employeur devrait offrir un accommodement individuel, si cela est raisonnablement possible. La politique prévoit que les personnes qui obtiennent un résultat positif au test de dépistage peuvent se soumettre à nouveau à ce test. M. Maloney a témoigné que ces personnes ont reçu un document qui expliquait la nature du test de dépistage et les circonstances qui entraîneraient un résultat positif. Ce document donnait aux employés éventuels l'information dont ils avaient besoin afin d'ajuster leurs habitudes, de réussir le prochain test de dépistage de drogues et de pouvoir retourner au travail. Un employé qui échouait le test de dépistage de drogues pouvait s'y soumettre encore deux fois avant d'être refusé définitivement, mais le refus à l'emploi ne durait que jusqu'à l'année suivante. Entre-temps, on encouragerait ou on obligerait l'employé, en fonction du nombre d'échecs de test de dépistage de drogues, à obtenir une évaluation ou un traitement pour son problème. On espérait ainsi que le traitement de l'employé serait couronné de succès et que cet employé n'aurait plus de résultats positifs au test de dépistage à l'avenir.

[115] J'ai déjà conclu que la bande subirait une contrainte excessive fondée sur la sécurité et le coût si on exigeait qu'elle permette aux personnes qui obtenaient un résultat positif au dépistage de drogues de travailler sur ses navires. Il était impossible d'accommoder ces personnes en leur offrant un autre emploi sur terre ou sur la mer, puisqu'il n'existait pas de tels emplois. De plus, il serait déraisonnable d'exiger que la bande paie un salaire à un pêcheur qui ne travaille pas (et qui, par conséquent, ne rapporte aucun revenu à la pêcherie). À mon avis, ces deux types d'accommodement auraient inévitablement imposé une contrainte excessive à la bande. D'un autre côté, les procédures d'accommodement que la bande a prévues dans sa politique étaient plus que raisonnables. Elles offraient aux individus suffisamment de possibilités de se soumettre à un autre test au cours de la saison de pêche et, peu importe le résultat, ces individus pouvaient toujours se présenter à nouveau au test de dépistage l'année suivante.

[116] Pour ces motifs, je conclus que la bande a démontré que l'adoption de la politique Apte au travail était raisonnablement nécessaire pour qu'elle puisse atteindre ses objectifs en ce qui a trait à la protection de ses employés contre les blessures et de sa propriété contre les dommages. Il a donc été satisfait au troisième volet de l'analyse Meiorin. La bande s'est ainsi acquittée de son fardeau. Par conséquent, la plainte de M. Dennis fondée sur l'article 10 est rejetée.

VI. L'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[117] Dans sa défense concernant la plainte, la bande a soutenu que sa politique Apte au travail était une mesure d'autonomie gouvernementale qu'elle exerçait en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens et que, par conséquent, elle était exemptée des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, conformément à l'article 67. Comme j'ai rejeté la plainte pour d'autres motifs, il n'est pas nécessaire d'examiner cet argument.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 12 septembre 2008

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1134/1606

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Perry Dennis c. le Conseil de bande d'Eskasoni

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 3, 4, 5, 6 et 7 mars 2008
Les 17, 18 et 19 mars 2008
Les 31 mars, 1er, 2, 3 et 4 avril 2008

Sydney (Nouvelle-Écosse)

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 12 septembre 2008

ONT COMPARU :

Perry Dennis/
Mary Lou Gould

Pour lui-même/

Pour le plaignant

Aucune représentation

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Christopher Conohan

Pour l'intimé

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