Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

GINO DUMONT

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

TRANSPORT JEANNOT GAGNON

l'intimée

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2001/06/13

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish, présidente

[1] Gino Dumont a déposé une plainte à l'encontre de son ancien employeur, Transport Jeannot Gagnon (TJG). Dans sa plainte, M. Dumont allègue que TJG a refusé de le rappeler au travail à la suite de son hospitalisation, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[2] La plainte de M. Dumont, qui a été déposée le 20 mars 1998, porte sur des faits survenus en 1996. La Commission canadienne des droits de la personne a de toute évidence exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 41 (1) e) de la Loi et décidé de traiter la plainte de M. Dumont, même si celle-ci semble porter sur des faits survenus plus d'un an avant son dépôt.

[3] D'après les exposés soumis, je crois comprendre que TJG s'oppose à l'instruction de cette affaire si le Tribunal canadien des droits de la personne se considère lié par la décision unilatérale de la Commission canadienne des droits de la personne de traiter la plainte. Selon TJG, s'il est incapable d'examiner les décisions de la Commission relatives à la prorogation ou à l'abrègement des délais prescrits pour le dépôt des plaintes relatives aux droits de la personne, alors le Tribunal n'est ni indépendant ni impartial et, par conséquent, n'a pas compétence pour traiter la plainte de M. Dumont.

[4] À cet égard, TJG se fonde sur la décision récente de la Cour fédérale dans Bell Canada c. ACET, Femmes Action et Commission canadienne des droits de la personne (Bell Canada)(1). Dans Bell Canada, Madame la juge Tremblay-Lamer, de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a conclu que le Tribunal canadien des droits de la personne n'était pas un organisme indépendant ou impartial du point de vue institutionnel puisque la Commission canadienne sur les droits de la personne a le pouvoir de lui donner des directives qui ont pour lui un effet obligatoire(2). La juge Tremblay-Lamer a également conclu que l'indépendance du Tribunal était compromise du fait qu'il faut obtenir l'agrément de la présidente pour qu'un membre dont le mandat est échu puisse terminer une affaire dont il a été saisi(3). Par conséquent, la juge Tremblay-Lamer a ordonné que l'on interrompe les procédures dans l'affaire Bell Canada jusqu'à ce que les problèmes qu'elle a soulevés en ce qui concerne le régime légal aient été réglés.

[5] Il convient de noter que TJG ne soutient pas que le Tribunal canadien des droits de la personne ne jouit pas du degré d'indépendance ou d'impartialité institutionnelle nécessaire pour l'un ou l'autre des motifs cités par la juge Tremblay-Lamer dans l'arrêt Bell Canada.

[6] La Commission canadienne des droits de la personne est d'avis que le Tribunal n'a pas le pouvoir d'examiner les décisions de la Commission de traiter des plaintes déposées plus d'un an après le dernier fait ayant donné lieu à une plainte. De plus, la Commission fait observer que la Cour suprême du Canada s'est penchée récemment sur la question du délai par rapport aux plaintes relatives aux droits de la personne; dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne)(4), la Cour a fait remarquer que le seul point à considérer en ce qui touche la question du délai était le préjudice causé aux parties. Selon la Commission, aucun élément de preuve ne donne à croire que la décision de la Commission de traiter la plainte de M. Dumont a causé un préjudice à TJG. En conséquence, la contestation juridictionnelle de TJG devrait être rejetée.

I. Analyse

[7] Le Tribunal canadien des droits de la personne n'a pas le pouvoir d'examiner la façon dont la Commission canadienne des droits de la personne décide d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 41 (1) e) de la Loi. Cette question relève exclusivement de la Cour fédérale(5). Le fait que la Commission ait décidé de traiter la plainte de M. Dumont, sans apparemment avoir reçu d'exposés de TJG, a peut-être été d'une certaine importance(6). Toutefois, il y a lieu de noter que rien n'indique que TJG ait tenté de soumettre à un contrôle judiciaire la décision de la Commission de traiter la plainte de M. Dumont. Je n'ai pas non plus été saisie d'éléments de preuve me donnant à croire que TJG a fait quelque tentative que ce soit pour faire contrôler la décision de la Commission de renvoyer la plainte de M. Dumont au Tribunal canadien des droits de la personne.

[8] La question sur laquelle je dois me prononcer est la suivante : le fait que le Tribunal ne possède pas le pouvoir d'examiner la décision de la Commission de traiter la plainte de M. Dumont compromet-il l'indépendance ou l'impartialité du Tribunal au point de le priver de sa compétence en l'espèce?

[9] Les notions d'indépendance et d'impartialité, bien qu'étroitement liées, n'en sont pas moins distinctes. Cependant, comme la Cour suprême du Canada l'a fait observer dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool)(7), les principales considérations en ce qui touche le critère applicable en matière d'impartialité institutionnelle sont celles qui s'appliquent au critère servant à déterminer la partialité institutionnelle, c'est-à-dire le critère énoncé dans Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres(8). Le soi-disant critère de Grandpré consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

[10] À mon avis, le fait que le Tribunal n'ait pas le pouvoir d'examiner la façon dont la Commission décide d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 41 (1) e) de la Loi ne compromet ni l'indépendance institutionnelle ni l'impartialité institutionnelle du Tribunal au point de le priver de sa compétence pour traiter la plainte de M. Dumont.

[11] L'argument de TJG repose sur l'hypothèse que le Tribunal doit se conformer à la décision de la Commission de traiter la plainte. À mon avis, cette interprétation dénote une profonde méconnaissance de la procédure de règlement des plaintes ainsi que du lien entre une enquête de la Commission et une audience du Tribunal.

[12] La décision que prend la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 41 (1) e) de la Loi autorise simplement la Commission à faire enquête sur la plainte en cause. Une fois l'enquête terminée, plusieurs possibilités s'offrent à la Commission : elle peut rejeter la plainte, la soumettre à l'examen d'un autre forum ou la renvoyer au Tribunal en vue d'une audience -- comme cela s'est produit en l'espèce.

[13] Le fait que le Tribunal ne puisse se pencher sur la décision de la Commission de traiter la plainte ne signifie pas pour autant qu'il n'a pas compétence pour examiner la question du délai. Comme l'a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans Blencoe, une fois qu'une plainte a été renvoyée au Tribunal des droits de la personne, l'intimé peut encore prétendre que le délai qui s'est écoulé est tel qu'une audience serait dénuée des éléments essentiels d'équité. De même, l'intimé peut également soutenir que le délai est tel qu'il équivaut à un abus de procédure. S'il a des préoccupations à cet égard, TJG peut les porter à l'attention du Tribunal.

[14] Compte tenu de ce qui précède, l'objection de TJG en ce qui touche la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne est rejetée.

[15] TJG a soulevé dans ses exposés un certain nombre d'autres questions. À mon avis, il est préférable de reporter l'examen de ces questions jusqu'à l'audience sur le fond.

Originale signée par


Anne L. Mactavish, présidente

OTTAWA, Ontario

Le 13 juin 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T639/2701

INTITULÉ DE LA CAUSE : Gino Dumont v. Transport Jeannot Gagnon

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : 13 juin 2001

ONT COMPARU :

Gino Dumont Pour lui-même

Giacomo Vigna Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Alain H. Belzile Pour Transport Jeannot Gagnon

1. Dossier T-890-99, 2 novembre 2000. Depuis que les parties ont présenté leurs exposés au sujet de l'objection de TJG, la décision rendue par la juge Tremblay-Lamer dans Bell Canada a été renversée par la Cour d'appel fédérale (2001 C.A.F. 161). Cependant, l'argumentation de TJG est basée sur des questions qui n'ont été examinées ni par la Section de première instance ni par la Cour d'appel dans Bell Canada. Compte tenu des circonstances, je ne me suis toutefois pas fondée sur la décision rendue par la Cour d'appel dans Bell Canada pour examiner l'objection de TJG.

2. Voir les paragraphes 27 (2) et 27 (3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. Paragraphe 48.2 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

4. 2 [2000] R.C.S. 307.

5. Wall c. Kitigan Zbi Education Council, décision non publiée, D.T. 6/97 (T.C.D.P.).

6. Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145 (C.A.).

7. [1996] 3 R.C.S. 919.

8. [1978] 1 R.C.S. 369.

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